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La pierre et la terre

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Sylvain Vigneron

Troisième partie. Le marché des biens fonciers de Louis XIV à la Révolution

Chapitre VIII. Marché foncier et dynamiques sociales de Louis XIV à la Révolution

Texte intégral

1Le mouvement des marchés fonciers de l’annexion des provinces du Nord à la Couronne de France aux premières heures de la Révolution dépend des grandes phases économiques comme il subit les accidents conjoncturels. Les variables comme le prix de la terre, la rente foncière, le prix des céréales et la production agricole influaient sur l’intérêt économique du produit foncier mis sur le marché et sur le niveau de vie des individus. Le marché foncier offre ainsi une clé de lecture des oscillations économiques et des dynamiques sociales.

Les hommes et les échanges fonciers au Grand Siècle

2Jean Jacquart et Jean-Marie Constant ont mis l’accent sur la crise du monde paysan victime de dépossession foncière au profit des bourgeois. La conjoncture, marquée par la baisse des revenus de la terre que venaient aggraver les calamités agricoles, frappait de plein fouet la paysannerie dont l’endettement s’amplifiait. Le Grand Siècle était ainsi propice à une redistribution des cartes sur le marché des biens-fonds.

3Il convient donc d’orienter cette étude dans trois directions : la conjoncture du marché foncier, l’attitude des différentes composantes de la société, enfin l’analyse du temps court, celui de la crise de 1693-4 considérée comme moteur de l’accaparement foncier par les citadins.

Un marché foncier dans la tourmente

1) Un marché élastique et anémique

4Le rythme des aliénations foncières suit les variations de l’offre et de la demande, bref la nécessité de vendre et la volonté d’acheter. La vente, souvent contrainte, est imposée par l’évolution des revenus fonciers liée à la production agricole et au prix auquel les propriétés se négociaient. Il convient donc de vérifier s’il y a une corrélation entre le nombre de transactions, le volume du marché et la conjoncture céréalière.

  • 1 À Saint-Victor-de-la-Coste, dans le Languedoc, on comptait moins de cinq ventes par an entre 1661 e (...)
  • 2 ADN, E 953, Répertoire des embrefs passés durant l’échevinage de Catillon, 1648-1729.

5Comparé au repère de 1751-2, le Grand Siècle correspond aux basses eaux de l’activité foncière. Dans le Cambrésis, l’atonie du marché était flagrante jusqu’aux premières années de la décennie 1690, suivant en cela la faiblesse des prix céréaliers1 ; à Catillon, trois ventes seulement étaient enregistrées en moyenne par an de 1680 à 1689 alors que onze l’étaient au cours de la décennie précédente2. Dans la région lilloise, les ventes s’emballaient pourtant encore au début de la décennie 1680 : les prix céréaliers, accrus depuis le milieu des années 1670, étaient en effet élevés à environ 6 florins la rasière pour la période 1678-82.

Tableau no 62 - Conjoncture céréalière et mouvement des biens-fonds dans le Cambrésis et la Flandre wallonne à l’époque de Louis XIV (1671-1712)

Tableau no 62 - Conjoncture céréalière et mouvement des biens-fonds dans le Cambrésis et la Flandre wallonne à l’époque de Louis XIV (1671-1712)
  • 3 D. Leclercq, Ville et baronnie de Cysoing au XVIIIe siècle, Université de Lille 3, mémoire de maîtr (...)
  • 4 J-J. Crampon, Lille et son plat pays de 1708 à 1713, Université de Lille 3, DES, 1959, p. 72-286.

6À la fin du règne de Louis XIV se manifestait une reprise du mouvement des biens-fonds. Dans le Cambrésis, le nombre de mutations avait au moins doublé à la fin du XVIIe siècle. À la lumière des embrefs de Catillon, cette tendance n’était pourtant pas régulière. En l’occurrence, dans les dernières années du XVIIe siècle, alors que le mencaud de froment connaissait une inflation en atteignant le prix de 5 florins, l’activité du marché s’emballait, les échevins du bourg allant jusqu’à enregistrer 60 transactions en 1698 et 1699 ; après un fléchissement, les échanges se multipliaient à nouveau à l’occasion de la hausse des prix lors de la crise céréalière de 1709-10 pendant laquelle 41 ventes avaient été contractées. Dans la châtellenie de Lille, la relation entre conjonctures céréalière et foncière se vérifiait aussi. En effet, l’essoufflement remarquable de l’activité en 1701-2 intervient au cours d’une période de prix bas ; contrairement au Cambrésis, l’inflation de 1698-9 était alors digérée et laissait place à une période d’atonie foncière qui durait longtemps, les encaissements des lods et ventes par la baronnie de Cysoing atteignant même leur niveau plancher en 17083. De nombreuses mutations étaient en revanche enregistrées en 1711-2 dans un contexte particulier qui aggravait la paupérisation, la hausse des prix, débutée fortement en 1708 lors du siège de Lille4, puis poursuivie par l’hiver 1709-10.

7Saisissante est donc la corrélation entre le mouvement des biens-fonds et la conjoncture agricole. Le Cambrésis paraissait toutefois plus sensible à la conjoncture céréalière assez servilement suivie par le mouvement des ventes. En effet, alors que l’écart d’activité était de 2,33 dans la province cambrésienne entre les années les plus intenses et celles qui enregistraient le moins de mutations, il n’était que de 1,65 dans la région lilloise où le marché était moins instable.

 

8La rotation des superficies était assez grande même si dans le Cambrésis et surtout dans la région lilloise, un fléchissement se lit à la fin du règne de Louis XIV. En effet, les superficies vendues étaient généralement supérieures à celles échangées lors des années 1751-2. La vitesse de rotation des biens-fonds s’en trouvait accrue. Au-delà d’une moyenne globale de 0,78 % des superficies vendues annuellement, la mobilité oscillait dans la châtellenie de Lille entre 0,55 % en 1701-2 et 0,9 % au début des années 1670 ; dans le Cambrésis où la structure foncière bloquait la libre circulation des biens-fonds, la vitesse de rotation demeurait faible, au mieux 0,16 % par an en 1701-2. Pour autant, le rythme de circulation des superficies foncières n’accompagnait pas strictement l’évolution du marché en termes de transactions. Au début des années 1670, alors que le nombre de mutations augmentait assez sensiblement en Flandre wallonne, les superficies déplacées avaient un peu diminué.

  • 5 À partir de 1712, de nombreuses seigneuries et grosses propriétés changeaient aussi de mains dans l (...)

9La structure du marché foncier ne rencontre pas de profondes transformations à l’époque de Louis XIV puisqu’elle est directement dépendante de la structure de la propriété terrienne caractérisée par une forte parcellisation. Pour autant, le Grand Siècle est marqué par l’émiettement croissant des superficies échangées. Dans le Cambrésis, le segment des petites propriétés inférieures à 0,5 hectare passait de 73,4 % à 84,4 % des transactions ; la situation est identique en Flandre wallonne, sauf dans les dernières années du règne du Roi Soleil pendant lesquelles des mutations importantes, en particulier sept seigneuries, s’ajoutaient aux nombreuses ventes de parcelles5.

10Globalement, on constate une adéquation entre le niveau des prix céréaliers et la nature de la structure des échanges. En effet, lorsque les blés sont à un prix élevé, le marché est envahi de petites transactions ; à l’inverse, les belles ventes sont plus nombreuses en période de dépression économique comme au début des décennies 1670 et 1690. En fait, l’appréciation de la conjoncture céréalière différait d’un propriétaire à un autre. Un petit propriétaire de terre, obligé d’acheter régulièrement des céréales pour subvenir à ses besoins alimentaires, craint en effet la hausse des prix qui atteint son pouvoir d’achat. À l’inverse, la déflation n’était pas en soi une bonne chose pour le gros propriétaire dont le volume de blé vendu sur les marchés lui rapportait moins pour une quantité équivalente. Certes, un individu se débarrassant d’une petite parcelle de terre, n’était pas nécessairement un micro-propriétaire. En revanche, une grosse vente émanait obligatoirement de gros propriétaires ; or, ceux-ci étaient les plus représentés sur le marché au moment où les prix étaient bas, bref lors de périodes où les revenus tirés de la terre, baissaient.

11Quid alors des dernières années du Roi Soleil dans la région lilloise marquées par une élévation des superficies moyennes mises en vente. Les dommages causés par les soldats dans les campagnes étaient de nature à provoquer des difficultés importantes pour les producteurs inquiets des exactions de la soldatesque. La crise commerciale et manufacturière traversée par Lille qui avait quasiment perdu le débouché français à cause de la mise en place de tarifs douaniers prohibitifs, a aussi eu des répercussions sur la bourgeoisie marchande contrainte par les nécessités du temps de vendre quelques grosses propriétés. L’irruption de grands détenteurs fonciers dans le mouvement des biens-fonds était ainsi la répercussion d’une crise généralisée dont les tenants n’étaient pas tous liés à l’économie agricole.

2) Le malheur des temps pour les propriétaires

12S’il n’est pas insensible à l’intérêt symbolique de la terre, le propriétaire détermine son attitude par rapport à l’investissement foncier en fonction de sa valeur, du revenu qu’il peut procurer et de sa rentabilité.

Le prix de la terre au Grand Siècle

13Le prix de la terre constitue un paramètre déterminant dans la mesure où un individu souhaitant se porter acquéreur d’un bien foncier, espère avoir réalisé une bonne affaire, c’est-à-dire avoir placé son capital sur un bien qui ne va pas se déprécier.

Tableau no 63 - Evolution de la valeur de la terre (en florins) sur le marché foncier du Cambrésis et de la Flandre wallonne à l’époque de Louis XIV (1671-1712)

Tableau no 63 - Evolution de la valeur de la terre (en florins) sur le marché foncier du Cambrésis et de la Flandre wallonne à l’époque de Louis XIV (1671-1712)
  • 6 À Saint-Victor-de-la-Coste, les prix restèrent stationnaires dès 1660 et ne dépassèrent jamais 20 l (...)

14Le prix de la terre a enregistré une hausse pendant le règne de Louis XIV. Dans la région lilloise, l’hectare de labour a rencontré une hausse moyenne de 25 %, soit 0,6 % par an, passant de 464 florins en 1671-2 à 583 florins dans les dernières années du Roi Soleil. Cette inflation est confirmée sur le marché cambrésien où l’hectare de terre labourable qui se négociait à 219 florins en 1711-2, avait enregistré une inflation de 0,8 % par an au cours des trente années précédentes. Ainsi, l’époque de Louis XIV rendait compte d’une croissance réduite des prix des labours6.

  • 7 À Montigny, les écarts de croissance étaient certes moins spectaculaires entre les prix moyens de l (...)

15Quant aux prix de l’hectare des autres catégories de terre, leur croissance était plus rapide. Elle était assez spectaculaire pour les bois dont le prix moyen de 254 florins par hectare en 1671-2 s’envolait à plus de 565 florins à la fin de la période. Pour les autres biens, le taux de croissance moyen annuel était globalement compris dans une fourchette de 2 à 3 %7. Les écarts de prix se sont donc accrus. Alors que la valeur vénale des champs céréaliers souffrait des effets déflationnistes des prix du blé, jardins, prés et bois sont devenus des valeurs refuges.

 

  • 8 Après une croissance forte entre 1675 et 1685, le prix de la terre se stabilisa jusqu’en 1715 entre (...)
  • 9 Entre 1681 et 1699, l’hectare de terre passait de 165 à 289 livres tournois. J-M. Constant, Nobles (...)

16La croissance des prix a obéi à des fluctuations inégales, positives et négatives. Ainsi, dans la Flandre wallonne, la hausse du prix de l’hectare a largement dépendu de la décennie 1670 : la valeur des champs a alors été multipliée par 1,42 en dix ans. Pourtant, sauf pour les jardins, ce gain a été ruiné par les années 1680 pendant lesquelles, comme dans la châtellenie de Bergues8, la terre devenait un capital dont la valeur nominale était stationnaire, voire déclinante. Ce rythme général n’était pas remis en question sur le marché cambrésien, même si comme dans la Beauce, les prix fonciers profitaient assez fortement de la hausse de la mercuriale des années 16909.

17Si la valeur vénale de la terre a crû à l’époque de Louis XIV, le prix du blé a connu lui aussi une poussée inflationniste particulièrement forte à partir des années 1690. Ainsi, la valeur nominale de la terre pouvait bien croître, ce capital s’effritait si le propriétaire achetait moins de denrées avec le prix qu’il pouvait obtenir en cas de vente.

18Le mouvement de déflation enregistré par les prix tempère largement la croissance des valeurs nominales de la terre sur le long terme. Sur le marché flamand, la stabilisation des prix fonciers n’en apparaît que plus grande pour les terres non labourables : le taux de croissance moyen annuel de leur prix qui n’excédait pas 0,8 % pour les bois était souvent inférieur à 0,2 %. Les champs ont même enregistré une érosion de leur valeur sur une quarantaine d’années, l’hectare de labour, qui se négociait à 70 hectolitres de froment au début des années 1670, étant dévalorisé de quelques 17 hectolitres en 1711-2. Dans le Cambrésis, si la valeur des champs n’avait pas chuté en équivalent céréalier, elle s’était stabilisée autour de 40 hectolitres pour un hectare. Quant aux autres biens-fonds, ils enregistraient, tout comme en Flandre wallonne, une croissance plus forte, en particulier pour les jardins et les prés. Ainsi, les perturbations de la conjoncture céréalière faisaient des jardins et prairies un capital vers lequel les investisseurs pouvaient se réfugier.

19En fait, la tendance longue des prix réels a suivi trois phases. Jusqu’aux années 1680, la conjoncture était propice aux investissements fonciers qui rencontraient une période de hausse assez sensible de leur valeur réelle. En dix ans, l’hectare de labour avait vu sa cote croître de 36 % dans la région lilloise. Tous les biens-fonds profitaient de cette embellie, y compris les prairies qui présentaient un croît de 2,4 % par an. La terre était alors un bon placement pour qui avaient les moyens d’investir. Après les années 1680, le capital foncier vit sa valeur croître plus modérément. Les champs de la région lilloise ne bénéficièrent que d’une augmentation de 14,5 % de leur prix en céréales pendant les vingt dernières années du XVIIe siècle ; la plus-value sur les terres labourables était de 5 à 6 % par an dans le Cambrésis. L’horizon des propriétaires fonciers s’assombrissait surtout dans les dernières années du règne de Louis XIV, le capital foncier s’effritant sous l’effet de la cherté céréalière. Si l’on considère les labours, l’hectare perdait presque 3 % de valeur par an dans le Cambrésis, et même 5 % dans la châtellenie de Lille.

Revenu et rentabilité du capital foncier au Grand Siècle

  • 10 En Picardie, il s’est passé entre 9 et 10 années entre la baisse des mercuriales après la crise de  (...)
  • 11 J. Garnier, Bourgeoisie et propriété immobilière en Forez aux XVIIe et XVIIIe siècles, Saint-Etienn (...)
  • 12 L. Vardi, op. cit., p. 65-86.

20Les inflexions des prix céréaliers commandaient la conjoncture rentière même s’il n’y a pas d’immédiateté entre les deux mouvements10. À la différence des évolutions foréziennes caractérisées par le marasme des revenus fonciers à compter de 167211, les fermages n’ont pas été abaissés dans la France du Nord. Les redevances perçues par l’Hôpital Comtesse enregistraient même une croissance sensible dans les années 1680 et 1690 : de 42 à 50 florins de loyer à partir de 1681 pour la petite exploitation de Premesques. Le Cambrésis n’était pas étranger à ce mouvement : Michel Malesieux, censier de la Trappe, ferme du chapitre métropolitain de Cambrai, subissait en 1698 une augmentation de son loyer de 150 à 162,5 florins12.

  • 13 Le rendement très élevé en 1675, de l’ordre de 7,7 % du capital investi, s’effondrait sous la barre (...)
  • 14 Dans la Bourgogne du Nord, la conjoncture était encore favorable au milieu des années 1680. En effe (...)
  • 15 Au cours de la décennie 1690, la rentabilité d’une ferme beauceronne de 71 hectares s’élevait globa (...)

21Pourtant, la rentabilité financière de la terre diminuait. Dans la région lilloise, d’un rendement élevé au début des années 1670, environ 7 % du capital foncier, la terre rapportait 5 à 6 % seulement par la suite. Cette évolution obéissait au même rythme que dans la région de Dunkerque13. Après les années Colbert avantageuses aux investisseurs assurés d’empocher un intérêt assez remarquable14, la crise de la fin du XVIIe siècle rendait, comme dans la Beauce15, la terre beaucoup moins attractive pour qui voulait l’acheter. Encore la baisse rapide du prix foncier, pendant les années de guerre, élevait le rendement puisque les baux ne suivaient qu’avec retard ce mouvement : à la fin de la guerre de Succession d’Espagne, le capital investi rapportait à nouveau 5,9 %. Cette situation se reproduisait dans le Cambrésis même si le blocage structurel du marché locatif par les censiers réduisait la rentabilité de l’investissement foncier en dessous du niveau de 1,6 % atteint jusqu’au tournant des années 1690 ; après, le capital foncier ne rapportait plus que 1,3 à 1,4 % par an.

  • 16 L. Vardi, op. cit., p. 65-86.
  • 17 F. Charlet, C. Lecompte, Revenus, salaires, profits dans les Flandres sous l’Ancien Régime d’après (...)

22L’instabilité des prix céréaliers rend toutefois aléatoire la hausse des rentes foncières. La situation des loyers dus par le censier de la Trappe à Montigny-en-Cambrésis, après avoir converti le paiement en espèces par son équivalent en froment16, le confirme : alors que les fermages nominaux avaient crû de 10,7 % sur la longue durée, les paiements locatifs réels chutaient d’un quart au cours de la dernière décennie de Louis XIV, se stabilisant à un niveau plancher de 0,6 hectolitre de grain, qui permettait, compte tenu d’une consommation annuelle de 3,12 hectolitres par personne, de nourrir un individu pendant deux à trois mois. En une décennie, la perte de substance des fermages équivalait donc pour le propriétaire à un mois alimentaire plein. La fin du règne du Roi Soleil paraissait plus sombre encore pour les rentiers flamands : l’effondrement des fermages réels dus par l’exploitant de la petite ferme de Verlinghem à l’Hôpital Comtesse correspondait à un an de subsistance d’une personne adulte, les loyers de l’institution hospitalière passant de 5,6 à 3,1 hectolitres de grain par hectare17.

  • 18 H. Neveux, « La production céréalière dans une région frontalière : le Cambrésis du XVe au XVIIIe s (...)

23Ce renversement de tendance était d’autant plus spectaculaire que les décennies précédentes avaient été assez favorables aux propriétaires rentiers qui pouvaient escompter 4,5 à 5 hectolitres de grain, c’est-à-dire de quoi se nourrir pendant près de deux années. Toutefois, si le niveau d’exigence des rentiers a crû jusqu’à la fin du XVIIe siècle, c’est qu’ils tenaient compte d’une conjoncture agricole marquée par la hausse de la production céréalière. L’enquête d’H. Neveux sur les dîmes du chapitre Saint-Géry de Cambrai confirme la bonne prestation de l’agriculture cambrésienne dans les dernières années du XVIIe siècle puisque la production a crû de 56 % entre 1670-80 et 1700-1018. Ainsi, la conjoncture favorisait l’exploitant agricole jusqu’au début du XVIIIe siècle puisque la hausse des fermages nominaux était plus modérée que celle de la production céréalière ; si les baux prévoyaient un paiement en part de fruit, l’avantage était diminué pour les paysans, sauf pour les censiers dont le volume de blé vendu sur les marchés avait tout de même augmenté. En revanche, la crise finale touchait tout le monde, aussi bien l’exploitant payant en part de fruit, qui souffrait de la chute de la production, que celui dont le loyer nominal en espèces n’avait pas pris note de la nouvelle donne.

 

24En définitive, les dernières années du règne de Louis XIV ont clos une période contrastée. Les années 1680 ont marqué un tournant, le capital foncier, qui s’enchérissait jusqu’alors, progressant ensuite à un rythme modéré ; la terre devenait alors un placement moins avantageux pour le propriétaire rentier. Les dernières années du Roi Soleil invitaient peu à apprécier l’investissement foncier : non seulement la valeur du capital investi se détériorait, mais en plus les revenus de la terre s’effondraient. Par-delà ces mouvements, la situation du Cambrésis était structurellement au désavantage des rentiers du sol qui souffraient du blocage du marché locatif par les censiers qui leur laissaient peu d’espoirs d’engranger des revenus importants.

Les hommes face à la conjoncture foncière : des attitudes différenciées

1) Des nobles en situation de résistance

  • 19 Le capital foncier des Hangouart, d’une valeur de 800.000 florins, s’étendait sur 400 hectares disp (...)

25Le marché n’était pas pour la noblesse le lieu où se forgeait son patrimoine foncier. Ainsi, la famille lilloise des Hangouart dont le patrimoine atteignait son extension maximale entre 1661 et 1730 avait amplement profité des biens amenés en dot par Isabelle de la Vichte qui avait épousé Barthélémy XII d’Hangouart en 1670, ainsi que des héritages qu’elle reçut de son père, Ignace d’Erbodeghem ; elle n’utilisa l’achat qu’à six reprises à l’époque de Louis XIV alors que son patrimoine avait augmenté de 42 propriétés19. Pourtant, même s’il est entendu que la noblesse attendait plus des héritages et des mariages que des achats pour renforcer son assise foncière, son destin dépendait aussi de la conjoncture économique reflétée par le marché foncier.

26Dans la région lilloise, alors que les nobles, avec 3,5 à 4,5 % des opérations foncières, étaient assez nombreux à intervenir sur le marché foncier jusqu’au début des années 1690, ils s’effaçaient quand la conjoncture devenait difficile. Dans le Cambrésis, la noblesse restait marginalisée dans le jeu foncier, n’apparaissant que dans 2 à 3 % des actes. Le second ordre se détournait donc du marché foncier dès lors qu’il fut ébranlé dans les derniers temps du Roi Soleil.

Tableau no 64 - Soldes de la noblesse sur le marché foncier du Cambrésis et de la Flandre wallonne à l’époque de Louis XIV (1671-1712)

Tableau no 64 - Soldes de la noblesse sur le marché foncier du Cambrésis et de la Flandre wallonne à l’époque de Louis XIV (1671-1712)
  • 20 Dans la châtellenie de Bergues, la noblesse vendait de façon massive entre 1685 et 1695, les superf (...)
  • 21 D. Leclercq, op. cit., p. 81-87.
  • 22 C. Fleury, op. cit., p. 54-56.
  • 23 S. Vigneron, « Propriété espagnole et frontière franco-belge : l’exemple de la châtellenie de Lille (...)
  • 24 ADN, Tabellion 3624, acte de vente du 21 avril 1672.

27Indéniablement, la noblesse a beaucoup vendu au cours de cette période. Dans le Cambrésis, c’était pas moins de 231 hectares qu’elle avait rejetés. Dans la Flandre wallonne, plus spectaculaire encore était le déficit foncier puisqu’en dix années, la noblesse avait abandonné plus de 2000 hectares pour une somme totale de 1.133.700 florins ; ce mouvement s’amplifia surtout dans les années 1680-9020. En effet, les difficultés économiques n’épargnaient pas le second ordre : le marasme seigneurial maintes fois démontré y était effectif, à l’image de la baronnie de Cysoing qui enregistrait un déficit net de 9200 livres en 1700-2021. Toutefois, quelles que fussent les circonstances économiques, de nombreuses ventes naissaient plutôt d’un contexte familial particulier. Le marché foncier était alors le moyen de restructurer le patrimoine en abandonnant des biens marginaux. Chez les Hangouart, l’intention était claire de concentrer les propriétés dans la Pévèle autour de la baronnie d’Avelin ; en janvier 1690, Michel Hangouart inscrivait les biens paternels au registre de fidéicommis du Magistrat de Lille, annihilant ainsi toute possibilité d’aliénation, le patrimoine étant nécessairement restitué en entier par l'héritier22. L’époque était du reste favorable à ces redistributions spatiales après l’irruption de la frontière en 1668 et le déménagement de la Chambre des Comptes à Bruges. Ainsi, apparurent à Lille des propriétaires « espagnols » préférant se retirer du marché foncier de la Flandre wallonne ; ils échappaient aussi au risque de saisie des biens et des revenus que pratiquait la monarchie française en temps de guerre pour financer les subsistances de ses troupes23. Parmi ceux-ci, Juan Ladron de Guenara, seigneur d’Antroeuil, s’est dessaisi en 1672 de la plupart des biens-fonds qu’ils détenaient dans la Pévèle, en particulier deux fiefs, dont celui de la Broye profitant à François Petitpas de Warcoing qui avait fait le choix de se rallier à Louis XIV24.

  • 25 ADN, Tabellion 1971, acte de vente du 23 décembre 1671.

28Ces déficits sont d’autant plus frappants que de nombreux fiefs et seigneuries étaient mis en vente sur le marché de la région lilloise. Au plus fort du mouvement de vente jusqu’à la crise de 1693-4, il n’y eut pas moins de 45 biens nobles abandonnés. Si de petits fiefs étaient mis en vente, on comptait aussi de belles seigneuries : en 1671, le sieur de Willerval délaissait pour 48.000 florins la seigneurie d’Allennes-les-Marais consistant, outre le village à clocher d’Allennes, en la cense de Lassus accompagnée de bois, de marais et d’un moulin s’étendant sur 265 hectares25.

 

  • 26 ADN, Tabellion 987, acte de vente du 4 décembre 1691.
  • 27 ADN, Tabellion 3911, acte de vente du 13 mai 1692.

29Pourtant, si la mise en vente de seigneuries rendait compte de l’ampleur de la crise traversée par le second ordre, tous les nobles n’étaient pas logés à la même enseigne. Dans le Cambrésis, les vendeurs étaient surtout issus de la noblesse ancienne ; la petite noblesse seigneuriale montrait aussi des signes de fragilité. En revanche, sur le marché flamand, la noblesse la plus récente était bien représentée parmi les vendeurs, plus d’un tiers d’entre eux. Se pressaient alors dans les études notariales les membres de la famille de Fourmestraux, anoblie par lettres de Louis XIV en 1670, ou encore Denis Demadre, écuyer, seigneur du Fay. Cette jeune noblesse abandonnait surtout des médiocres parcelles : en 1691, Jean-Baptiste Wacrenier d’Urtembus, pressé par ses créanciers, s’était contenté de vendre trois hectares de labours à Herlies26. En revanche, les maisons anciennes payèrent un lourd tribut à la dépression économique. Les difficultés dans lesquelles se débattait Albert de Saint-Aldegonde étaient sérieuses, ses créanciers l’obligeant à vendre, pour 75.000 florins, la seigneurie de Genech avec ses 72 hectares de terres27.

  • 28 ADN, Tabellion 2522, acte de vente du 20 mars 1694.

30À l’inverse, en dépit de la morosité de la conjoncture, certains nobles ont poursuivi leurs achats. Ils appartenaient surtout à la noblesse récente. Tous les biens-fonds les intéressaient : terres nobles, parcelles isolées et exploitations. Martin Jacops de Vertain, appartenant à une famille dont l’anoblissement remontait à 1652, multipliait ainsi les acquisitions pendant les trente dernières années du règne de Louis XIV : sur dix opérations foncières, aucune ne portait sur des seigneuries et terres fiefs, l’objectif étant des parcelles labourables et des exploitations dont la plus remarquable était une ferme de 20 hectares pour 17.000 florins28.

  • 29 A. Houzé de l’Aulnoit, La finance d’un bourgeois de Lille au XVIIe siècle. Livre de raison de Franç (...)

31Pourtant, les acquisitions étaient peu nombreuses, le volume des affaires chutant même de moitié entre 1671-2 et 1681-2 dans la région lilloise. Dans le Cambrésis, la rareté des achats de la noblesse se doublait de leur grande modestie. En effet, la noblesse ne voyait pas dans le système des achats un moyen honorable d’accroître un domaine, la notion de patrimoine demeurant attachée à celle de parenté. En outre, une partie des capitaux de la noblesse était détournée vers des placements plus rémunérateurs. La pierre a attiré une partie des nobles, surtout à Lille où le nouveau quartier de Saint-André attisait les convoitises. La noblesse était aussi occupée par le commerce de l’argent. C’était une activité rémunératrice pour François-Daniel Le Comte qui retirait 56 % de ses revenus soit des rentes viagères, soit des prêts et placements hypothécaires. Entre 1676 et 1706, il avait consenti 17 prêts pour un montant de 110.000 livres ; leur rentabilité n’était pas exceptionnelle, en général un intérêt de 5 à 5,5 %, mais l’affaire semblait sûre29.

2) Les citadins sur le marché foncier du Grand Siècle : du triomphe au retrait ?

La ruée vers la terre (jusqu’aux années 1680)

  • 30 En 1665, la population urbaine représentait 38,5 % des participants du jeu foncier ; elle n’était d (...)

32Sans conteste, jusqu’aux années 1680, la terre était un bien assez rentable et d’une sûreté évidente pour intéresser les citadins qui se sont alors empressés d’intervenir sur le marché foncier : ils représentaient trois acteurs sur dix dans la rotation des terres de la Flandre wallonne, 27 % d’entre eux sur le marché cambrésien. Pourtant, si l’on en juge par le cas flamand, leur présence était déclinante puisqu’entre 1671-2 et 1681-2, la place des citadins passait de 32,5 à 29,5 % dans le jeu des échanges. À en croire le mouvement étudié dans la châtellenie de Bergues, ce processus de dégradation progressive de la représentation urbaine était entamé dès les années 166030.

  • 31 J. Garnier, op. cit., p. 106-107.

33L’orientation des citadins sur le marché invite à penser à un empressement pour la terre. Les Lillois avaient amassé en quatre années plus de 1200 hectares ; alors que les soldes positifs des citadins n’avaient crû que de 51 % en une décennie, les habitants de Lille avaient investi massivement à la campagne au point qu’en 1681-2, le montant global des capitaux investis avait augmenté de 75 % par rapport à la décennie précédente. Un tel score était symptomatique du dynamisme de la cité lilloise dont la croissance démographique était forte, la population gagnant environ 8000 habitants entre les dénombrements de 1677 et 1686. L’époque était en outre favorable à l’investissement foncier d’autant que les emprunts publics payaient peu, le denier 25 étant le plus fréquent à Lille jusqu’en 1692. Du reste, dans le Forez, les bourgeois stéphanois ne s’y étaient pas non plus trompés puisqu’ils enregistraient près de 16.000 livres de bénéfice foncier, le nombre de leurs acquisitions étant 73 % plus élevé que celui de leurs ventes31. On comprend dès lors les vaines sollicitations de Colbert pour encourager le placement des capitaux dans les entreprises commerciales et manufacturières. L’argent préférait alors s’engourdir dans la possession et l’exploitation de la terre.

Tableau no 65 - Solde des citadins sur le marché foncier du Cambrésis et de la Flandre wallonne à l’époque de Louis XIV (1671-1712)

Tableau no 65 - Solde des citadins sur le marché foncier du Cambrésis et de la Flandre wallonne à l’époque de Louis XIV (1671-1712)
  • 32 Alors que la bourgeoisie d’office était en position de repli entre 1641 et 1662, les marchands, réa (...)
  • 33 ADN, Tabellion 192, acte de vente du 1er juillet 1681.
  • 34 J. Garnier, op. cit., p. 275.

34L’avancée des Lillois dépendait des bourgeoisies qu’elle fût d’ancien type ou négociante. Les plus entreprenants appartenaient à la bourgeoisie d’Ancien Régime qui progressait de plus de 840 hectares dans les campagnes flamandes. De ce point de vue, Lille se distinguait de Saint-Etienne dont les seuls éléments dynamiques étaient à trouver parmi les négociants32. Robins et négociants se distinguaient au niveau des choix opérés sur le marché foncier. Certes, les robins recouraient assez massivement aux parcelles de terres, mais près de 15 % d’entre elles étaient étendues sur plus de deux hectares. Fermes et fiefs demeuraient les objets qu’ils convoitaient le plus. Une soixantaine d’exploitations agricoles avait ainsi été accaparée en quatre années, et pas moins de 25 terres nobles : Hippolyte Taverne, procureur au début de la décennie 1680, devint détenteur de trois fiefs dont le plus important, coûtant 44.000 florins, consistait en un beau château sur motte appelé Château du Fossé33. Parce que Louis XIV cherchait des appuis politiques dans la province nouvellement conquise, ainsi que des finances supplémentaires pour ses dépenses somptuaires et militaires, l’époque était en effet favorable à la « féodalisation de la bourgeoisie »34 d’autant que les rangs de la vieille noblesse, touchés par la crise des revenus agricoles, abandonnaient des fiefs sur le marché foncier.

  • 35 Ibidem, p. 229.
  • 36 Issu de la bourgeoise marchande, Jacques Le Brun multiplia les achats de domaines nobles, avant de (...)
  • 37 ADN, Tabellion 3901, acte de vente du 7 février 1682.
  • 38 Entre 1641 et 1662, le groupe hétéroclite des métiers stéphanois enregistrait une « perte » de plus (...)

35Moins offensifs, les négociants lillois faisaient montre d’une attitude différente. À la différence des robins, la bourgeoisie marchande était bien représentée parmi les vendeurs. Certes, les aléas des affaires justifiaient des mises en vente, mais cette situation rendait surtout compte de l’attachement relatif des marchands pour la terre. Trésor de guerre, la terre devait fournir des revenus suffisamment attrayants. C’est pourquoi les marchands ne se lançaient guère à l’assaut des fiefs puisque leurs investissements ne recherchaient pas « la satisfaction de bourgeois gentilhomme »35. De fait, ils n’étaient que neuf à acquérir des terres nobles : à l’instar des marchands guingampais36, Jean-Baptiste Wacrenier, achetant en 1682 la terre et seigneurie des Planques à Houplines-sur-la-Lys37, initiait une trajectoire qui allait l’amener aux portes du second ordre avant 1697. Les négociants préféraient plutôt se porter acquéreurs de propriétés parcellaires et d’exploitations agricoles de taille moyenne. De ce point de vue, les négociants présentaient sur le marché foncier un comportement qui n’était guère différent de celui des artisans. Peu enclins à orienter leurs investissements en dehors des murs de la ville, préférant placer leurs capitaux dans la pierre, ces derniers, grâce à des soldes positifs de 36 hectares, faisaient preuve d’une plus grande diversification de fortune qu’à Saint-Etienne38.

  • 39 ADN, 3 G 803, acte de vente du 29 août 1692.

36Pourtant, ce que l’exemple lillois pourrait faire paraître pour un triomphe de la ville sur la campagne est à nuancer à la lumière du cas cambrésien. Voyant dans le marché un lieu de liquidation foncière et non d’accaparements de terre, les Cambrésiens contractaient deux fois plus de ventes que d’achats. Du coup, le positionnement de la ville dans les campagnes dépendait amplement d’une poignée d’individus : le bénéfice de 98 hectares enregistré peu avant la crise de 1693-4 était la conséquence d’un seul et unique coup, celui d’Aimé Bourdon, bourgeois de son état, investissant 2000 florins dans l’acquisition de la seigneurie de Dehéries abandonnée par Charles-Robert de Namur39. En outre, les opérations foncières des Cambrésiens portaient surtout sur les propriétés parcellaires qui étaient, il est vrai, presque les seules à circuler.

  • 40 M. Knockaert, La Draperie d’Armentières des origines au XVIIe siècle, Université de Lille III, DES, (...)
  • 41 ADN, Tabellion 7021, acte de vente du 8 mai 1681.
  • 42 J. Jacquart, op. cit., p. 1005-1007.

37Les petites villes ne faisaient pas non plus preuve d’un comportement très offensif sur le jeu foncier. Dans la région lilloise, elles enregistraient même un solde négatif dès la décennie 1680. À Armentières, la dégradation était la plus rude, un déficit de 15.000 florins au début des années 1680 ; cette situation était caractéristique du déclin de cette cité touchée par la crise de la fabrication drapière40. Seule la petite ville de Comines présentait alors une insolente santé grâce à la seule acquisition de la cense du Nouveau Monde, à Bas Warneton, par Jean Van Uytbergue, négociant41. À l’instar de la région parisienne, la domination des Lillois sur le marché foncier s’est donc opérée aux dépens des petites villes42.

Le retrait des citadins (1690-1715)

  • 43 P. Vandewalle, op. cit., p. 444.
  • 44 Entre 1690 et 1715, les négociants malouins ont profité de leur enrichissement pour investir dans l (...)

38Le retournement conjoncturel des dernières décennies du règne de Louis XIV, en l’occurrence l’effritement de la valeur du capital investi et la difficulté à recevoir des exploitants le fermage, sapait la confiance que les citadins avaient pour la terre. Un des signes de cette crise de confiance fut leur recul sans équivoque sur le marché. Dans la région lilloise, à l’instar du mouvement mesuré dans le Dunkerquois43, leur participation tombait entre 21 et 27 % des contractants ; leur marginalisation était plus prononcée dans le Cambrésis, avec seulement 15 à 22 % des actes. Les citadins se détournaient donc de la terre pour des placements plus rémunérateurs. Mieux, ils faisaient montre de désinvestissement aussi bien sur le marché cambrésien que dans la région lilloise où le nombre des ventes dépassait celui des acquisitions ; seules les dernières années du Roi Soleil offraient des conditions plus favorables aux citadins même si le taux de couverture achat - vente était à peine supérieur à 100. Toujours est-il que le recul était sévère, en particulier dans la région lilloise où les soldes, demeurés positifs, tombaient systématiquement sous 300 hectares ; exprimé en équivalent grain, les bilans avaient chuté de 2650 % entre les décennies 1680 et 1710. Pourtant, à défaut d’investir aussi massivement que les Malouins44, les citadins flamands continuaient de progresser dans les campagnes grâce au marché foncier. En revanche, dans le Cambrésis, après la crise de 1693-4, le mouvement des biens-fonds se faisait aux dépens des citadins.

  • 45 Entre 1683 et 1698, les excédents des bourgeois de Saint-Etienne, consécutifs à un surplus de quatr (...)

39Les capitales régionales ont mieux amorti la chute de l’activité foncière des villes. Certes, Lille comme Cambrai se sont progressivement détournés de la terre devenue moins attrayante. Ainsi, les Lillois achetaient moins à partir des années 1690, en l’occurrence 15 % de superficie en moins. Pourtant, si les soldes positifs lillois ont chuté après 1690, à l’instar du mouvement constaté dans la région stéphanoise45, la capitale provinciale n’en a pas moins gardé de l’intérêt pour les biens fonds. Pour les Cambrésiens, le nombre des acheteurs était stable mais sur des opérations de médiocre valeur.

40En revanche, le destin des petites villes fut dramatique, les soldes négatifs se multipliant après les années 1690. Les petites cités flamandes enregistraient des soldes négatifs croissants, sauf à Lannoy pour un excédent modique ; dans le Cambrésis, Le Cateau souffrait aussi du renversement de la conjoncture. Les difficultés rencontrées par les habitants des petites villes étaient particulièrement visibles lors des années 1711-2 ; certaines, non protégées par les murailles, avaient payé un lourd tribut aux dommages de guerre causés par les troupes alliés, comme en témoigne les ventes de maisons ruinées et incendiées.

  • 46 ADN, Tabellion 681, acte de vente du 11 juin 1701.

41La fragilité des petites villes tenait surtout à la base sociale des propriétaires ouverte à des individus fixés en dehors des groupes élitaires. Ces populations aisément bousculées par la conjoncture, étaient moins en mesure de conserver leurs possessions que les bourgeois des capitales provinciales. Dans la tourmente, des lambeaux de terre étaient ainsi abandonnés par les propriétaires étranglés par les dettes, à l’instar de la pauvre Hélène Merchier contrainte de vendre 31 ares du terroir de Seclin pour rembourser une dette de 300 livres46. Les artisans, atteints par l’exurbanisation en cours des activités textiles et par l’effondrement de la demande de la population rurale, n’étaient pas non plus épargnés par les difficultés.

42Toutefois, les bourgeois demeuraient les acteurs les plus prééminents du marché foncier dont ils extrayaient des soldes presque sans cesse positifs. Parmi eux, les marchands conquéraient une position très avantageuse qu’ils n’avaient pas auparavant, dépassant même parfois les bourgeois de type ancien. À Lille, le renversement de dynamique était remarquable ; il est vrai que les rentiers et bourgeois en titre subissaient le contrecoup de l’érosion de leurs revenus réels.

3) Des temps de malheur pour le monde rural ?

Un processus d’autonomisation en cours des campagnes

  • 47 Alors qu’en 1665, les ruraux comprenaient 53 % des acteurs, ils étaient bien moins représentés en 1 (...)

43La société rurale a durement ressenti la crise de la fin du XVIIe siècle. Une des conséquences de ces difficultés fut le rôle de plus en plus grand occupé par les ruraux dans la rotation des biens-fonds. Contractant près de 2000 actes en 1711-2, les ruraux flamands avaient opéré 55 % d’actes de plus qu’au début de l’époque française. Dans le Cambrésis, le nombre d’actes avait même été multiplié par trois. Du coup, les ruraux étaient de plus en plus nombreux à participer au marché foncier : représentant moins de 55 % des acteurs au début de la décennie 1670 sur le marché de la région lilloise, ils étaient présents dans 66 % des mutations dans les dernières années du règne de Louis XIV. En l’occurrence, la surreprésentation des gens de la campagne, déjà perçue dans le Dunkerquois à la même époque47, était le résultat par défaut du retrait des citadins.

  • 48 Les affaires signées entre ruraux représentaient rarement plus de 70 % de l’activité. J-M. Boehler,(...)

44S’affirmant comme les premiers acteurs du marché foncier, les ruraux eurent tendance à contracter entre eux. Dans la région lilloise, dès les années 1681-2, près des trois quarts des mutations étaient internes au monde rural. Ce mouvement, quoique plus tardif, était semblable dans le Cambrésis, plus de 77 % des ventes étant passées entre ruraux. L’appauvrissement de la sphère sociale des contractants ruraux est ainsi spectaculaire, surtout si on le compare à la situation alsacienne48. Alors que le marché était encore un lieu de brassage des populations dans la vallée rhénane, il enregistrait un fort mouvement d’autonomie des campagnes dans la France du Nord, les citadins ayant fait le choix d’inscrire leurs ambitions dans d’autres domaines.

Le monde des campagnes, le marché foncier et la dépression du XVIIe siècle (1671-90)
  • 49 En 1649, la confrontation achat - vente laissait entrevoir un solde négatif de 2148 livres tournois (...)
  • 50 Dans le Béthunois, la situation fut même catastrophique, la paysannerie forte de la moitié du sol a (...)

45Jusqu’aux années 1690, les faibles prix céréaliers, fondement essentiel des revenus agricoles, étaient durement ressentis par le monde rural dont les difficultés se lisaient par des liquidations foncières ou, dans le meilleur des cas, par un équilibre précaire. Au début de la décennie 1670, les campagnes flamandes enregistraient un déficit foncier de 160 hectares ; après cette période symptomatique de la crise du milieu du XVIIe siècle, les soldes devinrent positifs, mais demeuraient modestes et fragiles. Les difficultés foncières perduraient dans le Cambrésis jusqu’en 1691-2 alors que le bilan des mutations était positif de moins de 6000 florins. Le témoignage du marché alsacien ne contredit en rien cette évolution même si, à l’image des affaires traitées par les notaires strasbourgeois, on peut croire que le temps fort des liquidations foncières est intervenu lors de la crise de la Fronde49. Le XVIIe siècle fut donc tragique pour la paysannerie du Nord, victime d’un vaste mouvement de dépossession aussi constaté dans le Béthunois50.

Tableau no 66 - Solde des ruraux sur le marché foncier du Cambrésis et de la Flandre wallonne à l’époque de Louis XIV (1671-1712)

Tableau no 66 - Solde des ruraux sur le marché foncier du Cambrésis et de la Flandre wallonne à l’époque de Louis XIV (1671-1712)
  • 51 J. Jacquart, op. cit, p. 955-966.

46Tous les ruraux n’ont pas enregistré la crise avec la même amplitude. Les plus humbles, les journaliers dont l’endettement chronique atteignait alors un niveau paroxysmique, ne pouvaient pas faire du marché foncier un instrument d’accroissement de leurs possessions. Les ventes contraintes étaient plus nombreuses que les achats ; elles portaient sur de modestes parcelles de terres, et non sur les maisons qu’ils rechignaient à abandonner. Quoi qu’il en fût, si la paupérisation des manouvriers ne faisait guère de doute, peu d’entre eux vendaient puisqu’on n’en recensait que 32 en 1671-2 et 1681-2 dans la région lilloise. En effet, non seulement tous ne disposaient pas de biens fonciers, mais en plus la vente n’arrivait qu’en ultime recours après s’être débarrassé de biens mobiliers ou avoir proposé d’offrir sa force de travail pour un temps plus ou moins long ; a joué aussi l’attentisme des créanciers acceptant de reporter les paiements à une année meilleure51.

  • 52 Ibidem, p. 966.
  • 53 Ibidem, p. 966-976.
  • 54 ADN, Tabellion 968, acte de vente du 7 janvier 1672.

47Toutefois, comme l’indiquait J. Jacquart, la nouveauté de cette crise « réside davantage dans l’atteinte portée au groupe moteur de la société paysanne »52, en l’occurrence la paysannerie indépendante. Les difficultés des laboureurs, entamées dès la crise de la Fronde dans la région parisienne53, étaient perceptibles dans la Flandre wallonne au début des années 1670. À cette date, ce groupe abandonnait dix hectares, et les clivages internes se sont accentués. Les plus fragiles, à la tête d’exploitations médiocres, ne supportèrent pas la conjoncture qui les poussait à vendre une partie de leur patrimoine. Ce moment dramatique achevait souvent des années d’endettement : considérons l’exemple de Grisolle Poissonnier, déclaré fugitif en 1672, date à laquelle son exploitation de 5 hectares à Verlinghem était mise en vente au profit d’un autre laboureur, Nicolas Roussel54. Alors que l’un était engagé dans une trajectoire déclinante, l’autre poursuivait l’aventure en améliorant même sa situation, son accession à la propriété foncière lui permettant d’être maître chez lui et de desserrer les liens l’unissant au propriétaire rentier. C’est dire la capacité de renouvellement du groupe des laboureurs qui achetaient les petites parcelles qui inondaient d’ordinaire le marché foncier. Restructuré par la dépression, les laboureurs pouvaient ainsi affronter avec tranquillité la fin du règne de Louis XIV : dès les années de 1680, la balance de leurs opérations affichait des résultats positifs.

  • 55 J. Jacquart, op. cit., p. 978.
  • 56 J-M. Moriceau, Les fermiers de l’Ile-de-France (XVe - XVIIIe siècle), Paris, Fayard, 1994, p. 587-5 (...)
  • 57 J-M. Moriceau, op. cit., p. 587-589.

48Plus durables furent les difficultés traversées par les fermiers qui ressentaient les bas prix céréaliers comme une catastrophe économique. Dans le sud de la région parisienne, les faillites s’étaient multipliées dès après 167055 ; en Ile-de-France, les fermiers ne fournissaient le gros des victimes qu’à partir de la décennie 169056. En fait, dans la France du Nord, l’attitude des fermiers sur le marché foncier s’était nettement améliorée en 1691-2. En cela, ils profitaient de divers atouts. En effet, la taille souvent importante de leur exploitation permettait d’amortir les chutes grâce aux économies d’échelles. En outre, ils pouvaient arguer de pratiques traditionnelles, le mauvais gré, pour se rendre inexpugnables, le propriétaire étant alors contraint de composer avec son exploitant. À la différence de l’Ile-de-France57, la crise de l’économie rurale du temps du règne personnel de Louis XIV ne brisa donc pas les dynasties de fermiers de la France du Nord.

Les campagnes sur le marché foncier de la fin du règne de Louis XIV (1691-1712)

  • 58 J-M. Boehler, op. cit., p. 2276-2277.

49Restructuré, le monde rural put faire face à la pénible fin du règne de Louis XIV. Prise dans sa globalité, la société des campagnes ne paraissait guère souffrir de cette période, sauf dans les dernières années du Roi Soleil quand le contexte militaire était exceptionnel. Comme en Alsace, les années 1690 et le début du XVIIIe siècle furent bénéfiques58. Multipliant les achats, ils présentaient des soldes positifs importants sur le marché de la région lilloise, 285 hectares emportés en quatre années. Dans le Cambrésis, le début du XVIIIe siècle présentait un accroissement du montant des excédents des villageois, plus de 20.000 florins.

  • 59 Cité par J. Bruniau, L’abbaye de Saint-Aubert au XVIIIe siècle, Université de Lille 3, mémoire de m (...)
  • 60 ADN, 7 G 748, acte de vente du 5 février 1712.

50Pourtant, les épisodes de chertés n’étaient pas neutres auprès des populations paupérisables dont le destin dramatique avait interpellé le vieux maréchal Vauban. Journaliers et veuves partageaient un même destin marqué par les liquidations foncières nombreuses. Même si les notaires n’indiquaient les mentions de dettes qu’avec parcimonie, celles-ci étaient suffisamment convergentes pour toucher du doigt cette réalité sociale qui emportait les plus faibles. Le paroxysme de ces difficultés fut atteint à la fin de la guerre de Succession d’Espagne qui aggravait terriblement les circonstances par les pillages et les destructions de récoltes commis par les armées qui ont pris la France du Nord pour champ de bataille. L’abbé de Saint-Aubert fait ainsi le décompte de ces méfaits : « L’année donc mille sept cent et dix s’estant assez bien passer nous eusmes des grandes pertes les années suivant qu’ils nous ont mis hors d’estat de pouvoir subsister sans le secours d’autruy car l’armée des ennemies commandés par Malbereaux le prince Eugène que passa la et sen vint camper à Avesne le Secq, Ivy, Villers Cauchie, foulèrent au pied la plus belle moissons quon avait neu depuis longtemps et pillèrent d’un coster et d’austre les villages voisins tellement que de ce coster la nous n’avons pas eu de despouilles »59. Les récoltes étant ruinées, les journaliers n’étaient plus guère utiles pour les grands travaux effectués dans les grandes fermes. Le pain manquait aussi, et pour en acquérir à un prix élevé, il fallait bien consentir à se séparer d’une partie de son patrimoine, ce que fit Marie-Anne Buffé dont la vente de 2 ares devait lui permettre de disposer des ressources nécessaires à son achat puisqu’« elle n’a pas un morceau de pain pour elle »60. Il faut ajouter enfin les destructions et vols des biens mobiliers et immobiliers, particulièrement dans la région lilloise où la pratique de la terre brûlée transpirait dans les minutes des notaires inscrivant en vente des maisons détruites par les incendies.

  • 61 P. De Saint-Jacob, op. cit., p. 186.
  • 62 A. Houzé de l’Aulnoit, op. cit., p. 97.
  • 63 AN, G 7-259, 1699. Cité par A. Lottin, Vie et mentalité d’un Lillois sous Louis XIV, Lille, E. Raou (...)
  • 64 J-M. Moriceau, op. cit., p. 589-592.

51Toutefois, comme l’indiquait P. de Saint-Jacob, il se trouvait dans chaque village « une classe aisée qui porte sur elle l’avenir (et) continue l’achat des terres et prés »61. Fermiers, meuniers et surtout laboureurs étaient de ceux-là. Non seulement les plus solides d’entre eux surent faire fléchir les exigences locatives des propriétaires, à l’image de l’exploitant de la ferme du Bus, près de Tourcoing, dont le bail de 1690 était réduit à 300 florins par an en temps de guerre au lieu des 400 habituellement payés62, mais en plus les temps de cherté céréalière étaient en faveur des paysans disposant d’importants stocks de grains. Du reste, l’intendant de Flandres nota l’enrichissement des fermiers en temps de malheurs : « Le plat pays est remply de censiers et de paysans forts riches et qui ont infiniment gagné depuis quelques années par la cherté des bleds »63. L’appropriation des terres abandonnées par les propriétaires en difficulté leur permettait alors de se détacher relativement de la dépendance vis-à-vis du propriétaire rentier, allégeant ainsi leurs dépenses et améliorant la rentabilité de leur affaire. Les dernières décennies du règne de Louis XIV avait donc encouragé le « retour au faire-valoir direct » constaté dans l’Ile-de-France après 171564.

  • 65 ADN, Tabellion 1994, acte de vente du 6 août 1692.

52Leurs avancées foncières se faisaient par petits pas : ici c’est Michel Bonte, laboureur de Fournes, qui fait l’acquisition d’un lopin de terre de 9 ares alors qu’ailleurs, Pierre-Antoine Casteau devenait le nouveau propriétaire de 4 ares à Fromelles. À multiplier les micro-acquisitions au fur et à mesure de la constitution de leur épargne, certains avaient capté une quantité non négligeable du sol : en six opérations, Philippe Pagnien, fermier à Cauroir près de Cambrai, accaparait environ 3 hectares entre mai 1701 et juin 1702. Le parcours de Pierre Lagache est symptomatique de la réussite sociale d’un laboureur d’Houplin-les-Seclin. Gros exploitant, il acquiert quelques parcelles de terre dans les années 1680 avant que le temps des chertés lui offre l’occasion d’assurer son ascension ; appelé fermier dès la décennie suivante, il multiplie alors les petites acquisitions à proximité de son exploitation et profite même des déboires du sieur Nicolas Imbert de Beaurepaire pour obtenir le petit fief de Cocquemplus pour 5200 florins65. Si tous n’eurent pas cette trajectoire, au moins est-on certain que les décennies précédant 1715 furent profitables à la paysannerie indépendante qui bénéficia largement du marché foncier pour augmenter son assise terrienne. En son sein, les laboureurs furent les plus dynamiques puisqu’en huit années, entre 1681 et 1712, plus de 400 hectares sont passés dans leur giron dans la Flandre wallonne.

  • 66 A. de Saint léger, « La rivalité industrielle entre la ville de Lille et le plat pays et l’arrêt du (...)

53Bourgeois et artisans ruraux n’étaient pas en reste. Les bourgeois d’Ancien Régime réalisèrent un effort qui ne connut pas de fléchissements ; achetant indifféremment terres et habitations, ils parvenaient à tracer un chemin dans le maquis du marché foncier qui leur permettait de renforcer dans les villages leur emprise sociale et économique. Moins constant était le positionnement des marchands et artisans. Jusqu’au début du XVIIIe siècle, ils faisaient preuve d’une belle opiniâtreté sur le marché foncier. Sans négliger les parcelles de terres, ils orientaient d’abord leurs investissements vers la pierre : ici, Pasquier Decottignies achetait une échoppe de la rue de la Cure à Roubaix ; après quelques réparations, elle pouvait être revendue ou louée à une pauvre population qui se pressait dans ce coin de la châtellenie de Lille pour y travailler dans la manufacture. Dans le Cambrésis, les mulquiniers se tournaient plutôt vers la terre. Plusieurs indices laissent en effet entendre que l’activité manufacturière reprit après 1680 dans les campagnes : dans la Flandre wallonne, la législation royale avait encouragé ce mouvement, grâce à l’arrêt du Conseil d’Etat du 28 août 1671 autorisant la vente à Lille et Tournai des pièces de damas fabriquées à Lannoy, Tourcoing et Roubaix66 ; dans le Cambrésis, le processus d’exurbanisation des activités textiles était aussi bien avancé à la fin du XVIIe siècle.

 

  • 67 G. Roupnel, La ville et la campagne au XVIIe siècle. Etude sur les populations du pays dijonnais, P (...)

54En définitive, le processus de « désexpropriation »67 des campagnes, si caractéristique du XVIIe siècle, ne dura pas au-delà de la crise du milieu du siècle et de la période de récession qui s’en suivit. Ce mouvement se fit surtout au profit des chefs-villes et de leur bourgeoisie rentière et d’office qui recherchait richesse et prestige dans la terre. Pourtant, dès que la conjoncture fut bouleversée, les citadins se détournèrent en partie des campagnes pour choisir des investissements plus sûrs et plus rémunérateurs. Dans ce mouvement de repli relatif, les villes capitales parvinrent mieux que les autres à garantir leur position foncière, grâce à la présence d’une élite moins touchée par les malheurs des temps. Dans les bourgs et les villages, riches paysans et marchands profitaient des déboires des plus humbles pour renforcer leur assise sociale. Ces restructurations, perceptibles sur le temps long, étaient également inhérentes aux périodes de crises qui laissent apercevoir les aspirations et les difficultés des acteurs sociaux. C’est pourquoi le temps court, celui de la crise de subsistances de 1693-4, devait se substituer provisoirement à la longue durée.

La crise de 1693-4, le marché foncier et les reclassements sociaux

1) Un marché bouleversé par la crise

  • 68 A. Lottin, op. cit., p. 112.

55Chertés des blés, crise démographique et malaise social, la crise 1693-4 fut l’une des plus grandes catastrophes enregistrées par les sociétés d’Ancien Régime. Ce fléau, perçu par Pierre-Ignace Chavatte, « thermomètre sensible » des crises68, est caractéristique d’une crise classique d’Ancien Régime dont les effets sur le fonctionnement du marché foncier ont valeur d’exemple.

  • 69 Cette corrélation entre crise cyclique et évolution des mutations foncières a fait l’objet de dével (...)
  • 70 A. Lottin, op. cit., p. 113.

56Parce que l’inflation céréalière grevait lourdement les budgets des familles dont la priorité était de se nourrir, parce qu’elle mettait nombre d’individus dans des tracas financiers, les mises en vente se sont multipliées, rendant compte de la conformité de tendance entre la hausse des prix et le nombre de ventes de terre69. En effet, dès que les prix ont gonflé en septembre - octobre 1692, franchissant le seuil de 20 livres parisis la rasière de blé à faire pain blanc70, le nombre des mutations s’est envolé. En Flandre wallonne, le talweg de septembre 1692, avec 31 actes, était largement dépassé dès décembre, la barre des cent transactions étant atteinte ; en avril 1693, avec presque 160 mutations, l’activité du marché foncier avait été multipliée par 5 en huit mois. Moins régulière, cette croissance n’en était pas moins certaine sur le marché cambrésien.

57Pourtant, si analogie de tendance il y a entre prix et activité du marché, on ne constate pas une stricte correspondance. Effectivement, alors même que les prix céréaliers étaient restés à un niveau élevé entre 1693 et 1694, le mouvement foncier avait enregistré un gonflement prononcé au début de l’année 1694 dans le Cambrésis et en Flandre wallonne. Sans doute, la poursuite de la cherté sur la seconde année avait imposé la mise en vente de biens-fonds par une population qui avait su, jusque-là, faire face à la période inflationniste en prélevant dans son épargne ou en s’endettant. Fragilisés par la montée des prix de l’automne 1692, de nombreux individus avaient donc été emportés dans le tourbillon des ventes l’année suivante. Ainsi, si la hausse des prix céréaliers a impulsé un gonflement du nombre des actes, le marché bénéficiait d’une relative autonomie en ce sens que la volonté, ou plutôt l’obligation, de vendre n’était pas simultanée avec l’inflation, les ventes pouvant être reportées après une période plus ou moins longue d’usure financière.

Graphique no 16 - L’activité du marché foncier du Cambrésis et de la Flandre wallonne pendant la crise de subsistances de 1693-4

Graphique no 16 - L’activité du marché foncier du Cambrésis et de la Flandre wallonne pendant la crise de subsistances de 1693-4

58La crise se mesure aussi par l’effondrement du prix moyen des transactions. Sur le marché flamand, la moyenne des prix fonciers, élevée à 562 florins par acte pendant la période creuse de juillet à novembre 1693, chutait à environ 323 florins entre décembre 1693 et juin 1694. Quoique moins prononcée, cette diminution n’en était pas moins certaine dans le Cambrésis, tout particulièrement au début de l’année 1693. Deux motifs peuvent expliquer cette situation. En premier lieu, il faut considérer l’inondation des petites transactions dans le jeu foncier. Les mutations portant sur une superficie inférieure à l’hectare se sont accrues dans l’activité totale du marché flamand pendant la période de crise depuis l’automne 1692 jusqu’à l’été 1694 : alors qu’avant et après cette période, les petits actes entraient seulement pour 85 à 86 % du total des transactions, ils étaient 89 % des biens-fonds en mouvement au coeur de la crise. La pénétration croissante du marché par les menues ventes rend en effet compte du malaise rencontré par les petits propriétaires fauchés par la cherté. En second lieu, parce que la crise sociale réduisait le nombre des acheteurs potentiels, parce que les vendeurs étaient souvent pressés de vendre pour obtenir quelque argent pour payer leur pain ou rembourser leurs dettes, les prix à l’unité de surface diminuaient. Les rapports de force avantageaient ainsi les acheteurs, imposant aux vendeurs les prix qu’ils leur consentaient. L’hectare des terres labourables de la châtellenie de Lille peut valoir d’exemple. Avant que le prix des céréales ne s’emballât à l’automne 1692, un hectare de champs se négociait environ 672 florins ; ce prix passait à 602 florins au plus fort de la crise. Pourtant, l’hectare ne connut pas de redressement de valeur à l’automne 1694 alors que le blé se vendait désormais moins cher. Nul doute que le malaise social ne pouvait pas s’estomper automatiquement, une phase de récupération étant indispensable pour que s’équilibrât à nouveau le rapport des forces entre les différents types de contractants du marché foncier.

2) Crise cyclique et bouleversements sociaux

  • 71 J. Garnier, op. cit., p. 131-133.
  • 72 G. Levi, Le pouvoir au village. Histoire d’un exorciste dans le Piémont du XVIIe siècle, Paris, Gal (...)

59L’endettement chronique dans les campagnes fut le premier moteur de la multiplication des aliénations, les créanciers exigeant d’être remboursés. Du reste, dans la région stéphanoise, en 1694, près de la moitié des transactions étaient forcées par le jeu de l’endettement71 ; sur le terroir de Santena, dans le Piémont italien, plus de 71 % des sommes engagées dans les biens vendus avaient déjà été obtenues par les vendeurs avant la mise en vente qui sanctionnait donc un processus d’endettement72. Les sources notariales de la France du Nord ne sont malheureusement pas assez riches pour cerner précisément ce phénomène, mais les rares mentions sont un bon marqueur chronologique de la dégradation financière des vendeurs. Les indications d’endettement se sont en effet multipliées entre novembre 1693 et mai 1694 au moment où le marché rencontrait un grand mouvement de biens-fonds. Les difficultés n’avaient pas manqué auparavant, mais elles ne présentaient ni cette gravité ni cette fréquence qui firent alors réagir les notaires.

60Même si tous, riches comme pauvres, eurent à supporter les conséquences économiques de la crise de subsistances, le malaise social fut assez sélectif. Encore fallait-il pour capter la sensibilité des populations à la crise être en mesure de l’appréhender par rapport à une année « normale », l’année 1691. Dès lors, le nombre de ventes contractées par chaque groupe de population, calculé par trimestre pour gommer les accidents, a été présenté sous forme indiciaire par rapport à l’activité passée à la même époque de l’année 1691 placée en base 100. Compte tenu des lacunes des sources cambrésiennes, la priorité a été donnée à l’étude des reclassements sociaux dans la région lilloise.

61Cambrésis et Flandre wallonne offraient des modèles différents. Si l’on postule qu’au-delà de l’indice 150, et surtout 200, s’installait véritablement la sensibilité à la crise, les campagnards se montraient, dans la région lilloise, très vendeurs lors de cinq trimestres, moins souvent dans le Cambrésis. Nul doute que la structure sociale différenciée des exploitants agricoles ne soit à l’origine de ce décalage. En effet, plus que dans la région lilloise, la société rurale cambrésienne était dominée par des censiers et laboureurs exploitant une part notable du sol, la hausse des prix céréaliers compensant en partie la baisse de la production. Ainsi, les fermiers demeurés solvables pouvaient bénéficier de prêts ou d’un moratoire des fermages par leurs propriétaires.

62La hausse de l’activité foncière fut aussi plus prononcée dans la région lilloise. Le menu peuple y faisait preuve d’une forte réactivité à la crise. Les journaliers payèrent en effet un lourd tribut à la crise, leurs transactions ayant été multipliées par 4 ou 5 entre l’automne 1693 et le printemps 1694. Leur dépossession était toutefois brève, les petits paysans ayant peu de propriétés à vendre sur le marché ; une fois la purge foncière passée, ils retrouvaient dans les échanges une place secondaire qui ne rendait pas assez compte de leur dramatique situation. Les artisans étaient plus solides pour ne pas être contraints d’abandonner des propriétés dès le premier mouvement d’inflation, mais tout de même trop fragiles pour éviter les conséquences de la crise de subsistances. Du coup, leurs mises en vente étaient plus étalées dans le temps. Les bourgeois de type ancien, dont le revenu dépendait pour une bonne part de la terre, subissant évidemment la chute des fermages réels, parvenaient grâce à leur épargne à retarder de quelques mois la vente qui s’imposait en fin de compte.

  • 73 En 1693, près de 13.000 personnes étaient inscrites à Lille sur les rôles de secours sur une popula (...)
  • 74 S. Dontenwill, loc. cit., Actes du 98e CNSS, p. 29-53.

63Même s’ils se sont montrés moins sensibles à la montée des prix, les citadins n’ont pas traversé la crise sans méfaits. À cette occasion, non seulement l’envolée de leurs ventes fut moins forte que pour les ruraux, mais en plus elle durait moins longtemps. Dans un contexte urbain marqué par une paupérisation accrue73, les plus humbles, ayant peu de biens à la campagne, étaient les moins actifs sur le marché foncier de crise ; leur faiblesse se lisait certainement plus sur le marché du crédit que dans les mouvements de biens-fonds. En revanche, la réactivité des artisans était remarquable, leur perte d’activité et de revenu se payant sur le marché foncier. C’est justement l’existence de cette épargne qui permit aux bourgeois et négociants d’éviter la multiplication des mises en vente. La noblesse parvenait aussi à maintenir un comportement conservateur, surtout dans le Cambrésis où, à l’image des circonstances foréziennes74, elle était quasiment absente, profitant de sa solvabilité gagée sur sa richesse foncière pour disposer de prêts leur évitant donc de vendre des parcelles trop liées à l’identité du groupe.

Tableau no 67 - Solde des différentes catégories de population sur le marché foncier du Cambrésis et de la Flandre wallonne lors de la crise de 1693-4

Tableau no 67 - Solde des différentes catégories de population sur le marché foncier du Cambrésis et de la Flandre wallonne lors de la crise de 1693-4
  • 75 P. Deyon, Amiens, capitale provinciale…, p. 239.

64Les crises mettent à l’épreuve la résistance des groupes sociaux. La plupart des enquêtes mettent l’accent sur les profits fonciers retirés par les citadins à l’occasion des crises de subsistances. Ainsi, les statistiques des mutations du plat pays amiénois enregistraient « une sorte de tourbillon qui arrache aux mains calleuses champs, prés et jardins » grâce à quoi « la part des messieurs de la ville s’est arrondie »75. Or, il n’y eut rien de tel dans le Cambrésis et la région lilloise. Au contraire, les ruraux enregistraient une accélération de leurs excédents fonciers. Près de 250.000 florins étaient arrachés aux mains des autres catégories de population dans la région lilloise ; par rapport à la période 1691-2, leurs soldes positifs mensuels moyens avaient doublé. Plus retenus, les campagnards cambrésiens n’en avaient pas moins multiplié par deux les valeurs foncières accumulées. C’est dire tout le profit que la campagne a tiré de cette crise de subsistances qui fut un formidable moyen de renforcement de son assise foncière.

65Du moins, l’attitude offensive des ruraux fut-elle le fait de quelques-uns. Les statistiques des mutations de la Flandre wallonne indiquent l’avantage retiré par la paysannerie indépendante dans la crise dont la cherté des prix fut une « divine surprise » pour tous ceux qui disposaient de stocks de blé commercialisables. Les gains qu’elle en retirait étaient en partie réinvestis dans la terre qui gardait toujours la même valeur pour un paysan, une valeur nourricière. Les meuniers n’ont pas été les derniers à s’exprimer sur ce champ d’opération, mais ce furent surtout les laboureurs qui multiplièrent les acquisitions dont la valeur moyenne mensuelle, élevée à près de 7700 florins, était plus du double de la période précédente. L’accentuation de leur solde positif ne tenait pas à l’accroissement des bénéfices individuels, mais à celle du nombre des laboureurs participant à l’encan. L’effondrement des prix unitaires de la terre était en effet une occasion qui n’allait peut-être pas se représenter de sitôt d’arrondir son patrimoine, quitte pour les laboureurs à s’endetter. Après tout, tous savaient que la crise n’était pas faite pour durer ; autant donc en profiter tant qu’elle était là. Dans ce formidable mouvement de biens-fonds vendus à vil prix, les fermiers n’avaient retiré qu’un avantage limité ; ils ne manquaient pas de garantie, mais le domaine qu’ils affermaient constituait un carcan qu’ils ont continué à respecter, préférant faire valoir leur bonne fortune auprès des propriétaires plutôt que sur le marché foncier.

  • 76 Le mécanisme d’appropriation mis en branle par le notaire limousin Terrade n’était guère différent (...)

66La position sociale des bourgeois de type ancien s’était également renforcée en 1693-4 puisque leurs excédents fonciers avaient été multipliés par 2,5. Nombreux étaient ceux qui, à l’image des notaires, soldaient à cette occasion les emprunts contractés auprès de médiocres paysans dans les années précédentes76. En revanche, les marchands n’enregistraient pas des soldes positifs très supérieurs à ce qu’ils réalisaient auparavant. Certes, les riches négociants de Tourcoing et de Roubaix se montraient très offensifs, mais la crise était implacable pour les boutiquiers, plus fragiles.

67En revanche, les plus modestes furent plus modestes encore après la crise. Sans épargne, les artisans, journaliers et personnes seules devinrent des proies faciles que la cherté céréalière avait épuisées. Si les artisans perdaient désormais pied sur le marché foncier, la situation des journaliers et personnes seules s’était détériorée de manière spectaculaire : les petits paysans, abandonnant 25 florins par mois en 1691-2, délaissaient ensuite 480 florins par mois. Ceux-ci allaient alors gonfler le lot des sans terre déjà nombreux dans les campagnes flamandes où la crise avait facilité la concentration des biens-fonds au profit des catégories aisées de la société rurale.

 

  • 77 AM. Lille, Affaires Générales 148, dossier 17.

68Les citadins faisaient preuve d’un recul manifeste sur le marché foncier. Alors que les Cambrésiens voyaient se dégrader leurs bilans, c’était un véritable retournement de situation dont faisaient preuve Lillois et habitants des petites villes de la châtellenie : les contractants de la capitale flamande enregistraient une franche reculade au rythme mensuel de 4100 florins de déficit. Les plus humbles étaient les principales victimes de la crise sociale, mais ils étaient désormais rejoints par des négociants dont le solde devenait négatif d’environ 12.000 florins. Les ventes multiples, contractées par un seul négociant, rendaient compte de situations de faillites qui exigeaient de trouver des liquidités dans l’abandon de biens-fonds : Pierre-Joseph Bostica, riche négociant lillois capité à 100 livres, faisait ainsi face à de graves problèmes de trésorerie puisqu’il abandonnait entre avril et juin 1694 pas moins de 10 propriétés d’une valeur supérieure à 18.000 florins. La crise n’avait en effet pas épargné le secteur marchand, le commerce étant alors « l’ombre de ce qu’il avait été autrefois »77. À l’inverse, le nombre d’acquisitions s’était effondré, son volume ayant été divisé par trois par rapport aux années 1691-2 ; moins de 85.000 florins de biens avaient été acquis par des marchands qui étaient de plus en plus nombreux à se détourner du sol devenu un investissement à risque. Les bourgeois de type ancien, s’ils continuaient à garder la tête hors de l’eau grâce à des soldes positifs d’environ 41.500 florins, n’étaient pas non plus épargnés, leurs excédents déclinant.

 

69En définitive, la crise qui fut un accident passager s’en prenant particulièrement aux pauvres plus exposés à l’inflation céréalière et aux aliénations foncières, demeure inscrite dans un contexte long dont elle ne remet pas en cause les tendances générales perceptibles depuis les années 1680 : en effet, la progression des ruraux, en fait les laboureurs, fermiers et « bourgeois ruraux », et le détournement des citadins de l’investissement foncier étaient programmés depuis quelques années. Si la crise ne casse pas les processus structurels de la société, elle n’en accentue pas moins les divergences de comportement. Au bout du compte, une fois le temps des chertés achevé, on mesure à quel point les plus pauvres se sont appauvris alors que la terre a continué de se concentrer au profit des plus riches de la société rurale. Quant aux bourgeois citadins, leur attitude, particulièrement celle des négociants, montre à quel point la terre est d’abord perçue comme un investissement dont le but premier est de rapporter un revenu.

Tirer avantage d’un marché languissant dans le premier XVIIIe siècle (1715-1750)

  • 78 G. Béaur, Histoire agraire de la France au XVIIIe siècle, Paris, SEDES, 2000, p. 31-33.
  • 79 G. Frêche, Toulouse et la région Midi-Pyrénées au siècle des Lumières vers 1670-1789, Paris, Ed. Cu (...)
  • 80 J-M. Moriceau, G. Postel-Vinay, Ferme, entreprise, famille. Grande exploitation et changements agri (...)

70La pulvérisation des possessions paysannes, encouragée par la croissance démographique du monde rural, modifia la structure des propriétés au 18e siècle78. Mais, si la démographie fut un moteur essentiel des bouleversements fonciers, il n’en faut pas négliger l’apport du marché des biens-fonds. Or, les travaux scientifiques existants ne s’accordent pas sur des orientations convergentes. Si la conquête du sol par les notables citadins était à l’oeuvre dans le Sud-Ouest toulousain79, le « temps des hardiesses »80 passait par l’accroissement de l’assise foncière des fermiers en Ile-de-France. Ces résultats contradictoires nous amènent donc à des nuances chronologiques d’autant que la conjoncture du marché foncier n’a pas présenté une trajectoire unique.

Le mouvement des biens-fonds dans le premier XVIIIe siècle

1) L’étiage du marché foncier

  • 81 G. Frêche, op. cit., p. 473.

71Toutes les statistiques s’accordent sur la langueur du mouvement des biens-fonds jusqu’au milieu du XVIIIe siècle. Dans la Flandre wallonne, l’activité du marché avait crû seulement de 18,8 % entre la fin du règne de Louis XIV et les années 1751-2 ; le rythme des mutations foncières était analogue dans la province cambrésienne, + 21,5 % sur la même période. Le volume nominal des affaires a partout crû à hauteur d’un doublement, voire un presque triplement dans le Cambrésis, mais cette croissance était assez médiocre par rapport à l’évolution des mutations rencontrée dans le Lauragais dont le volume avait crû en moyenne de 1,24 % par an entre 1737 et 175081. En outre, calculée en valeur réelle, l’activité du marché flamand plafonnait entre 200.000 et 300.000 hectolitres de grains, deux à trois fois moins qu’en 1691-2. C’est dire que l’accroissement des mises en vente fut souvent plus rapide que le total des biens-fonds mis en mouvement, du moins en valeur réelle.

  • 82 Cette corrélation entre les deux mouvements a été analysée précisément dans J. Garnier, op. cit., p (...)
  • 83 A-L. Defromont, L’Avesnois au 18e siècle. Contribution à l’étude des sociétés rurales, Université d (...)

72L’activité du marché foncier était assez étroitement dépendante des cycles des prix céréaliers. Dans la région lilloise, les tendances du mouvement des biens-fonds et du prix des blés étaient presque identiques, l’augmentation globale étant de l’ordre des deux tiers entre les décennies 1720 et 175082. En revanche, le nombre d’actes de vente dans le Cambrésis a crû moins rapidement que le prix du froment ; à l’instar de la région avesnoise voisine, la langueur des mutations foncières s’y expliquait par les faibles dispositions des provinciaux pour les échanges de biens-fonds83.

Tableau no 68 - Conjoncture céréalière et mouvement des biens-fonds dans le Cambrésis et la Flandre wallonne dans le premier XVIIIème siècle (1721-1752)

Tableau no 68 - Conjoncture céréalière et mouvement des biens-fonds dans le Cambrésis et la Flandre wallonne dans le premier XVIIIème siècle (1721-1752)
  • 84 Dans la Bourgogne du Nord, le marché foncier qui s’était redressé en 1718, au point de retrouver so (...)
  • 85 A. Contis, Graulhet au 18e siècle : familles, fortunes, mentalités, Université de Toulouse II, Doct (...)

73Toutefois, l’évolution générale du marché foncier a obéi à des cycles qu’on ne peut guère apercevoir à travers les échantillons que nous avons retenus. Dans le Cambrésis comme dans la région lilloise, les années 1721-2 ont marqué une remarquable dépression. Après la folle année 1720 où s’exprimait à son paroxysme la passion de la terre, la liquidation du Système de Law se caractérisait par l’effondrement de la circulation des biens-fonds, les propriétaires refusant de vendre par crainte du remboursement en billets, les rares à s’y risquer exigeant d’ailleurs d’être réglés en monnaies sonnantes84. Après ce profond talweg, les deux décennies suivantes semblèrent propices à l’activité des marchés fonciers qui suivait le mouvement général des affaires perçu dans la région de Graulhet où la progression du nombre des transactions s’était accélérée entre 1730 et 174985.

74Si l’activité se redressait timidement, était confirmée et même accentuée la parcellisation du marché foncier. Désormais, les propriétés inférieures à l’hectare formaient de 86 à 90 % de l’activité totale. Seules les premières années 1720 montraient dans le Cambrésis une structure marquée par une plus grande représentation des grandes ventes, les domaines de plus de 5 hectares occupant même une place moins marginale quoique réduite à 2,1 % des actes. Faut-il y voir une conséquence du Système qui avait mis dans l’embarras quelques gros propriétaires dont les créances avaient été ruinées par l’usage des billets de la Banque royale ? Toujours est-il que la parcellisation croissante du marché tenait à l’émiettement de la propriété foncière bousculée par la croissance démographique dans les campagnes et au rôle majeur des contractants ruraux dans la rotation des biens-fonds.

2) Mieux vaut être exploitant que rentier au sol

  • 86 Dans le village de Saint-Victor-de-la-Coste, l’eyminée de terre, soit moins d’un are, était demeuré (...)
  • 87 Alors que la rasière de champs valait 138 livres du Hainaut entre 1727 et 1740, elle passait à 218  (...)
  • 88 P. Vandewalle, op. cit., p. 152-153.
  • 89 Les dîmes du chapitre Saint-Géry, fortes de 163 muids de froment en moyenne entre 1720 et 1725, ava (...)
  • 90 M. Morineau, Les faux-semblants d’un démarrage économique : agriculture et démographie en France au (...)
  • 91 P. Vandewalle, op. cit., p. 261-268.
  • 92 Ibidem, p. 214-217.

75Quelle que fût la région considérée, le capital foncier avait franchi un palier par rapport au Grand Siècle. Le temps du Système avait permis l’élévation du prix de la terre grâce à l’accroissement de la demande des « profiteurs » cherchant à placer leurs bénéfices dans la campagne. Contrairement au modèle languedocien défini par la stabilisation du prix86, la valeur du capital foncier avait crû des deux tiers dans le Cambrésis, et même doublé dans la région lilloise entre 1711-2 et 1721-2. Passé les années 1720, le prix nominal des labours a connu une hausse modérée : seulement 11 % dans la région lilloise, environ 87 % dans la province cambrésienne, ce qui était un peu supérieur à l’évolution mesurée sur l’Avesnois87. Plus généralement, les parties méridionales de la France du Nord avaient connu une augmentation des prix nominaux des terres labourables plus importantes que dans les Flandres, comme en témoigne la médiocrité de la croissance, seulement 19 %, dans les campagnes de la châtellenie de Bergues88. En effet, la hausse de la production céréalière dans le Cambrésis au cours du premier XVIIIe siècle89, quoique plus réduite que dans les Taques d’Onnaing où les dîmes s’envolèrent de 41 % entre les années 1720 et 175090, encourageait l’envol des prix, les acteurs du marché acceptant de payer davantage un bienfonds qui produisait plus à l’hectare. À l’inverse, le temps des « gros épis » n’était pas encore à l’ordre du jour dans les Flandres, particulièrement entre 1735 et 1750 marqué par une stagnation des rendements du froment91. Toutefois, la relative morosité des prix des terres labourables dans la Flandre wallonne était niée par les autres biens-fonds : les prairies connurent une hausse spectaculaire de leur prix à l’hectare, soutenue par la croissance démographique de Lille, important moteur du développement de l’élevage, tout comme en Flandre maritime où le développement urbain avait suscité une montée remarquable des près artificiels jusqu’en 1755, atteignant alors plus de 3500 hectares92.

76Pourtant, la hausse globale des prix des terres n’était pas supérieure à celle des prix céréaliers. Dans ces conditions, les prix fonciers réels se sont, dans le meilleur des cas, stabilisés, et le plus souvent érodés au fil des ans. Ainsi, si l’on considère les terres labourables, les valeurs réelles diminuèrent régulièrement de 10,1 % dans le Cambrésis tandis que l’évolution sur le marché de la région lilloise témoignait d’une baisse plus sensible de 23,8 %. C’est dire que les propriétaires vendant à cette époque une parcelle de terre perdaient une partie de leur investissement de départ. Pourtant, par rapport aux années sombres du règne de Louis XIV, la conjoncture était bien meilleure pour les propriétaires fonciers moins sensibles à cette baisse des prix réels qu’à l’évolution des ressources qu’ils pouvaient tirer de la terre.

 

77La conjoncture favorisait les exploitants agricoles disposant de stocks importants de blé. La hausse de la production, pour modérée qu’elle fût, était en effet soutenue par l’augmentation des prix céréaliers à partir de la décennie 1730. Dans le Cambrésis, entre les décennies 1730 et 1740, la progression des prix fut d’environ 20 % ; elle était de 16,3 % dans la châtellenie de Lille où la rasière, évaluée à 11 florins dans les années 1730, s’élevait à 13 florins dans les décennies suivantes. C’est dire tout le profit que les gros producteurs agricoles ont pu tirer de cette période.

  • 93 C. Fleury, op. cit., p. 75.
  • 94 Cette croissance des fermages nominaux intervenait plus tardivement dans le Forez à partir des anné (...)
  • 95 L. Vardi, op. cit., p. 80.

78Dans le même temps, la rente foncière suivait un mouvement languissant qui n’accompagnait qu’avec retard la hausse nominale des prix de la terre. Cette stabilité était impressionnante dans les fermages perçus par le comte d’Avelin sur ses domaines de la Pévèle : d’une moyenne de 39,1 florins par bonnier entre 1721 et 1736, le loyer annuel des terres et fermes ne s’était élevé qu’à 39,8 florins jusqu’en 175093. La lenteur de la progression des loyers fonciers cache pourtant le franchissement d’un premier palier dans les années 1720-3094. À Montigny, le fermier de la Trappe, longtemps soumis à un loyer annuel de 162,5 florins, devait payer au chapitre métropolitain 200 florins à partir de 1735, puis 288 florins en 174595. La déflation des fermages en équivalent grain rend toutefois compte d’une situation relativement différente en ce sens que le véritable décollage datait plutôt des années 1730.

79Malgré l’amélioration des revenus agricoles à partir des années 1730-40, l’élévation des prix fonciers, mal accompagnée par celle des loyers, a miné considérablement la rentabilité des biens-fonds. Contrairement au XVIIe siècle au cours duquel un rentier pouvait escompter 5 à 6 % par an sur son investissement de départ, la rentabilité du capital foncier avait chuté dans la région lilloise aux alentours de 1,6 à 2,3 % par an si l’on considère les propriétés de l’Hôpital Comtesse ; seules les premières années de la décennie 1740 modifiaient temporairement la donne, mais l’intérêt situé entre 3 et 4 % par an demeurait tout de même inférieur au siècle précédent. Dans le Cambrésis, le rendement du capital devenait même misérable, de 0,7 à 0,8 % par an.

 

80Le premier XVIIIe siècle ne laissait donc guère augurer d’importants profits pour les rentiers déçus par des revenus fonciers demeurés modérés par rapport à l’envolée du coût de l’investissement. Au moins étaient-ils certains de disposer d’un capital dont la valeur nominale se maintenait, voire croissait.

La « belle époque » des campagnes dans les échanges fonciers

1) Un temps de répit pour la noblesse

  • 96 La noblesse représentait 0,8 à 2,5 % des investissements entre 1720 et 1750. P. Jarnoux, Les bourge (...)
  • 97 C. Fleury, op. cit., p. 114.
  • 98 ADN, 8559, Etat des biens et des revenus de Pierre-Louis-Joseph Jacobs, 1731.

81La crise de la fin du XVIIe siècle avait obligé la noblesse à se terrer. Sa discrétion s’est poursuivie après 1715 : sur le marché de la région lilloise, elle ne contractait pas plus de 4 % des actes96. Sans doute le commerce de l’argent était plus avantageux : Charles Hangouart d’Avelin n’avait-il pas placé en 1749 un capital de 70.000 florins dans les rentes97. Pourtant, le capital foncier demeure primordial comme source de revenus de la noblesse : si Pierre-Louis Jacobs d’Aigremont détenait six rentes établies principalement sur les Etats de Lille, le revenu qu’il en tirait ne constituait que 7,6 % de ses rentrées d’argent98.

Tableau no 69 - Solde des nobles sur le marché foncier du Cambrésis et de la Flandre wallonne dans le premier XVIIIe siècle (1721-1752)

Tableau no 69 - Solde des nobles sur le marché foncier du Cambrésis et de la Flandre wallonne dans le premier XVIIIe siècle (1721-1752)
  • 99 Dans la région narbonnaise, les pertes subies par la noblesse restaient modérées jusqu’en 1740-50. (...)
  • 100 P. Vandewalle, op. cit., p. 146-148.

82Dans le jeu foncier, la noblesse cédait encore du terrain, constant étant son usage du marché comme moyen d’obtenir des rentrées d’argent en liquidant des propriétés. Pourtant, ses ventes ne l’emportaient pas de beaucoup sur les achats99, ce qui tranchait avec son attitude sur le marché de la châtellenie de Bergues où elle enregistrait, entre 1735 et 1755, des pertes importantes100. Ainsi, sauf en 1741-2 où la crise frumentaire a provoqué un emballement des ventes, les nobles n’hésitaient pas à acheter puisqu’on comptait au moins trois achats pour quatre ventes ; on est donc loin du rapport un pour deux des décennies précédentes.

  • 101 P. de Saint-Jacob, op. cit., p. 235.
  • 102 À Amiens, les constitutions étaient conclues à des taux de plus en plus faibles, le denier 30 en ma (...)
  • 103 C. Fleury, op. cit., p. 41-70.

83Dans ce mouvement pluri-décennal, les années 1720 furent réparatrices, le Système et la stabilisation monétaire de 1726 offrant des conditions favorables au retour des capitaux à la terre101 d’autant que les taux d’intérêt pratiqués dans la constitution de rente tombaient fréquemment à des seuils de rentabilité particulièrement faibles102. Ainsi, le temps du Système avait réveillé l’appétit foncier de la maison Hangouart entre 1717 et 1720 : elle investissait plus de 55.000 florins à la campagne, tout particulièrement dans la seigneurie d’Attiches dont dépendaient trente-huit fiefs103. Du coup, les déficits fonciers de la noblesse étaient faibles au début de cette décennie : moins de 60 hectares.

84Cependant, le repli de la noblesse s’accroissait à nouveau à partir des années 1730 dans un marché locatif morose qui fragilisait les sources de revenu de la noblesse. Dans ces circonstances, l’irruption de la crise frumentaire en 1740-1 mettait à mal la capacité de résistance du second ordre : le rapport entre les achats et les ventes chutait alors à un pour deux. Si les déficits augmentaient, ils restaient mesurés en termes de superficie : comparé à ce qu’ils avaient été avant 1693, ils étaient moitié moindres dans la mesure où l’étendue des propriétés vendues, en moyenne 4,7 hectares, était en diminution.

2) Des citadins effacés sur le marché foncier…

85Des années 1720 à la fin de la décennie 1740, jamais la situation ne fut autant au désavantage des citadins sur le marché foncier. De fait, l’avantage qu’ils retiraient de leurs opérations fondait dans la Flandre wallonne, tombant toujours sous le seuil de 50 hectares par an. La situation était assez conforme dans le Cambrésis où les bilans déjà négatifs s’aggravaient. Ce retrait s’accompagne de la minoration des populations urbaines comme acheteurs fonciers. Dans la région lilloise, leur poids dans l’activité du marché ne retrouvait jamais les hauts niveaux précédant la décennie 1690 ; le déclin de la présence citadine dans le Cambrésis était frappant, passant sous le plancher de 10 % des mises en vente. Encore s’agissait-il de petites acquisitions qui tombaient en dessous de l’hectare dans le Cambrésis, à 1,6 hectares dans la région lilloise.

  • 104 ADN, 2 E 26-98, Répertoire du 10 février 1739.

86Moins d’achats, de plus petites quantités, c’est dire à quel point les citadins ont perdu du terrain. Evidemment, pour des populations recherchant dans la terre un placement rémunérateur, l’époque n’était pas très porteuse puisque la mollesse de l’ascension de la rente foncière était peu ou prou poursuivie par l’inflation céréalière et que les crises de subsistances, qui portaient de rudes coups au capital foncier, n’avaient pas définitivement abandonné la scène socio-économique. Sans doute, la rente était-elle préférable pour qui avait des économies à placer, surtout si les débirentiers offraient une solide solvabilité. Du reste, Jacques Soyez, marchand cambrésien, détenait, parmi ses papier personnels, cinq obligations et surtout une constitution de rente de 32.200 florins de capital due par la veuve Cottiau ; par-delà la bonne opération financière, il prenait ses marques pour l’avenir puisque la rente était hypothéquée sur une maison située dans le centre marchand de la ville104. Des propriétaires ont donc certainement été tentés de réinvestir une partie de leurs capitaux dans des placements financiers, quitte à désinvestir sur le marché foncier. Pourtant, l’attachement patrimonial constituait un important frein à la mise en vente de certains biens-fonds pourtant peu rémunérateurs.

Tableau no 70 - Solde des citadins sur le marché foncier du Cambrésis et de la Flandre wallonne dans le premier XVIIIe siècle (1721-1752)

Tableau no 70 - Solde des citadins sur le marché foncier du Cambrésis et de la Flandre wallonne dans le premier XVIIIe siècle (1721-1752)
  • 105 ADN, Tabellion 3224, acte de vente du 18 avril 1742.

87La patience fait également partie des qualités de tout propriétaire qui sait bien que les placements ne sont jamais d’un intérêt constant. C’est pourquoi, les citadins continuaient d’acheter des terres, soit qu’ils ne pussent éviter une bonne affaire, en particulier lors de la crise de 1740-1 qui a mis sur le marché des biens-fonds vendus à vil prix, soit que le but visé fût d’ordre social. Considérons l’exemple de Guillaume-François Beghein, dont la famille, tard venue à Lille, était issue d’un milieu négociant d’Estaires ; directeur de la Chambre de Commerce de Lille, Guillaume-François se lançait peu à peu dans la terre, achetant la seigneurie d’Aignerue dont il vêtit son nom, mais aussi divers fiefs et un château à Ennevelin105. En ce sens, si la rentabilité de la terre était une valeur fluctuante, le prestige qu’elle conférait était une donnée constante.

88Pourtant, la crise qui survint au début de la décennie 1740 fut durement ressentie. Les citadins contractèrent 526 actes de vente sur le marché flamand. Comme à chaque crise, le marché foncier enregistrait en effet le choc de la paupérisation par un afflux de ventes. L’impact sur les possessions citadines est d’autant plus certain que les villes, en particulier Lille, attiraient encore à cette époque de nombreux migrants des campagnes où ils avaient maintenu des propriétés qu’ils vendaient en cas de nécessités ; en ce sens, les flux migratoires, qui alimentaient le croît démographique des villes, étaient pour partie le moteur des mises en ventes commises par des ruraux devenus citadins.

 

  • 106 P. Jarnoux, op. cit., p. 316.
  • 107 S. Vigneron, « Elite urbaine et propriétés au XVIIIe siècle : Les Lallier de Cambrai », Histoire Ur (...)
  • 108 À Paris, le crédit privé connut une phase continue d’expansion de 1726 à 1789. P. T. Hoffman, G. Po (...)

89Dans ces circonstances, le monde urbain progressait au ralenti dans les campagnes, voire même désinvestissait alors que les « belles années » du XVIIIe siècle furent en Bretagne celles de la croissance de la propriété urbaine106. Dans le Cambrésis, par-delà l’activité des citadins étrangers à la province, dont le sort était marqué par l’abandon de possessions que l’éloignement rendait difficile à gérer, les acheteurs de Cambrai et du Cateau furent débordés par les vendeurs. Ainsi, ce désengagement foncier sur leur plat pays rendait-il compte de la décadence des cités cambrésiennes, entamée par l’exurbanisation des activités textiles, et confirmée, dans le cas de Cambrai, par l’échec de l’implantation du Parlement en 1713. Les plus humbles, dont les revenus ne croissaient pas au rythme des prix céréaliers, alimentèrent constamment ces déficits. Mais, le malaise fut profond dans la capitale archiépiscopale à cause de la trahison de la bourgeoisie au sein de laquelle se trouvaient de moins en moins d’acquéreurs de biens-fonds. Pour la bourgeoisie de l’Ancien Régime, les excédents d’antan étaient bien oubliés, même si les mises en vente ne ruinaient pas les patrimoines reçus en héritage. Le livre des biens, qu’a tenu l’avocat Jacques-François Lallier entre 1719 et 1743, éclaire la formation du patrimoine d’un robin de Cambrai107. Le marché foncier étant peu prometteur compte tenu des médiocres possibilités d’accumulation foncière liées au poids de la propriété mainmortable et de la faible rentabilité de la terre, Lallier a massivement investi dans les rentes qui composaient 42 % de sa fortune ; son intérêt s’inscrivait dans un mouvement d’accroissement de l’activité du marché du crédit108. Pourtant, la terre occupait une place croissante de son patrimoine : acquisitions et héritages augmentèrent ses biens fonciers de 10 à 18 % du total de ses propriétés. Son obstination à acquérir des parcelles et des fiefs était en effet symptomatique d’une famille consciente de la nécessité de transcrire sa réussite économique dans la terre pour garantir l’avenir de sa descendance et assurer sa promotion dans l’élite dirigeante de la ville de Cambrai.

  • 109 D. Doudelet, Démographie, société et économie à Lannoy au XVIIIe siècle, Université de Lille 3, mém (...)

90Le destin des sociétés urbaines était plus contrasté dans la Flandre wallonne. Trois cas de figure se présentaient. Les villes de Comines et Lannoy, dont le sort s’était dégradé sur le marché dès les premières années du XVIIIe siècle, n’avaient pas vu leur situation s’améliorer ensuite ; pire encore, pour les Lannoyens, la perte de vitesse s’accélérait au point de cumuler près de 19.000 florins de déficit, témoignant de la décadence d’une cité souffrant de la crise de la tapisserie de hautelisse109. Quant à Comines, son désinvestissement dans la campagne fut moindre grâce au dynamisme des fermiers et laboureurs, mais les professions spécifiquement urbaines y montraient une confiance émoussée pour la terre.

91La trajectoire lilloise n’était guère différente puisqu’on constate aussi une dégradation de son bilan et une structure d’activité déséquilibrée, faisant la part belle aux ventes, au nombre de six pour quatre acquisitions. Les Lillois continuèrent pourtant à présenter des soldes positifs, mais à un rythme moins rapide, en moyenne cinquante hectares par an. Ce mouvement rend compte de la concentration des excédents dans les mains de quelques-uns. Si tous les Lillois, propriétaires de biens-fonds, se sont mis à vendre dans la mesure de leurs moyens, les négociants, et dans une moindre mesure les artisans, ont été très actifs dans la spirale du désinvestissement : par rapport aux deux décennies précédentes, ils vendaient effectivement deux fois plus. De fait, leur fortune foncière était plus instable. En outre, la mentalité marchande, instruite par la recherche rapide du profit, était sensible aux aléas de la conjoncture de la rente foncière. Dès lors, seule la bourgeoisie d’Ancien Régime parvenait à tirer son épingle du jeu, non qu’elle fût plus acheteuse, mais elle vendait moins.

92Les destins d’Armentières et dans une moindre mesure de La Bassée et de Seclin indiquaient en revanche une amélioration des soldes sur le marché foncier. Le renversement de tendance était pour le moins spectaculaire en ce qui concerne les Armentiérois longtemps engloutis dans le mouvement de dépression ; désormais, ils investissaient plus de 22.000 florins dans les biens-fonds. Le bilan positif des affaires dépendait largement des riches paysans lancés à l’assaut des petites parcelles, mais le succès armentiérois tenait également à l’activité de quelques négociants enrichis dans l’industrie linière qui prenait le relais de la vieille manufacture drapière périclitante.

93Le monde des villes n’a donc guère profité du « beau XVIIIe siècle ». À une époque où les revenus de la terre étaient peu attractifs, la bourgeoisie citadine, en particulier celle liée aux activités marchandes, boudait l’investissement foncier. C’est dire que les ruraux, du moins une partie d’entre eux, surent tirer profit de ce retrait.

3)… ou conquête du sol par les ruraux ?

  • 110 G. Béaur, op. cit., p. 38-42.

94Le premier XVIIIe siècle marquait une situation plus favorable aux ruraux : sur le marché de la région lilloise, ils enregistraient une avancée de 70.000 hectolitres de blé ; dans le Cambrésis, sur un marché peu actif, c’étaient environ 47.000 florins qu’ils récupéraient. La croissance de la population rurale, tant dans la région lilloise que dans le Cambrésis, nécessitait alors d’augmenter la taille de l’exploitation ou le rendement de la production, pour subvenir aux besoins alimentaires des nouvelles bouches à nourrir, à moins que l’émigration vers la ville ne fût le fruit de la contrainte puisque tous n’avaient pas les disponibilités financières indispensables à l’achat des quelques parcelles en circulation. Pourtant, si ces résultats furent à l’avantage des populations rurales, il n’est pas certain qu’il s’agisse d’une offensive sur les biens-fonds en mouvement que la plupart des études régionales placent quelques décennies plus tard110.

95En fait, tout laisse à penser que les bénéfices des ruraux étaient davantage le fruit de la défaillance des citadins que celui de l’offensive de campagnards. En effet, leurs excédents ne portaient jamais que sur de médiocres superficies. En moyenne, les acteurs ruraux n’accaparaient annuellement jamais plus de 0,07 % du sol de la Flandre wallonne au cours du premier XVIIIe siècle ; les villageois cambrésiens progressaient à un rythme plus limité, moins de 80 hectares. En outre, sur un marché où les ruraux demeuraient prédominants parmi les contractants, leur activité ne témoignait pas d’un esprit particulièrement offensif. Certes, en Flandre wallonne, le nombre des acquéreurs a crû, mais cette augmentation a seulement accompagné la croissance de l’activité du marché ; dans le Cambrésis, les achats n’étaient généralement que 10 % plus nombreux que les ventes.

  • 111 A. Poitrineau, La vie rurale en Basse Auvergne au XVIIIe siècle (1726-1789), Paris, PUF, 1965, p. 4 (...)
  • 112 Dans le pays d’Auge, le processus de rachat des constitutions de rente s’est accéléré en octobre 17 (...)

96En tout état de cause, le premier XVIIIe siècle fut un temps de respiration pour les campagnes à défaut d’être une période d’importantes avancées sur le sol. Le désendettement du monde rural, grâce au remboursement des dettes par de la monnaie dévaluée lors de l’expérience de Law, constaté aussi bien en Auvergne111 qu’en Normandie112, permit en effet à de nombreux villageois d’éviter une mise en vente en soldant précédemment les comptes. Pourtant, si la paysannerie indépendante et certains notables ont continué de renforcer leur assise foncière, les catégories inférieures des campagnes végétaient toujours.

Tableau no 71 - Solde des ruraux sur le marché foncier du Cambrésis et de la Flandre wallonne dans le premier XVIIIe siècle (1721-1752)

Tableau no 71 - Solde des ruraux sur le marché foncier du Cambrésis et de la Flandre wallonne dans le premier XVIIIe siècle (1721-1752)
  • 113 Réduites à moins de 29 % du sol, les possessions paysannes se redressèrent dans la région proche de (...)
  • 114 À Isbergues, le temps de la conquête eut bien lieu de 1720 à 1730, les superficies détenues par la (...)
  • 115 ADN, C Registre 1529, Rôle du vingtième de Chemy, 1735.
  • 116 ADN, Tabellion 7189, acte de vente du 21 mars 1741.

97Fermiers et gros laboureurs demeuraient les tenants de l’avancée foncière paysanne confirmée dans le Béthunois113 et la Flandre flamingante114. Portés par la hausse des prix céréaliers, ils se lançaient à l’assaut des terres en circulation, dépossédant les autres catégories de population d’environ 68 hectares par an dans la région lilloise, de 18 hectares sur le marché cambrésien. Si certaine que fût l’accélération de la progression paysanne, elle demeurait toujours assise sur de petites parcelles. Valentin Winglet, laboureur de Chemy où il exploitait près de quinze hectares en 1735115, avait profité de cette bonne conjoncture céréalière pour prendre en propre quelques petites parcelles venues compléter son exploitation : acheteur de biens-fonds dès les premières années du XVIIIe siècle, il avait accéléré son rythme d’appropriation à partir des années 1720, se portant acquéreur de cinq lopins de terre supplémentaires jusqu’au début de la décennie 1740. Cette stratégie des petits pas s’avérait socialement payante pour qui savait patienter : laboureur à Tourcoing, Jacques Ducoulombier s’était constitué un patrimoine varié, des parcelles de labours et même un ouvroir pour artisan peigneur, avant de se porter acquéreur d’une petite ferme en 1741116.

  • 117 P. Jarnoux, op. cit., p. 245.
  • 118 A-L. Defromont, op. cit., p. 245.

98Robins et marchands ruraux ont aussi participé au mouvement de concentration foncière, du moins dans la région lilloise. Si les marchands furent les plus vigoureux à se lancer dans le jeu foncier, profitant d’un regain d’activité à mettre à l’actif de Law, ils furent aussi les premiers à s’en écarter au point d’enregistrer un bilan négatif en termes de superficie au début des années 1740. Toujours est-il qu’à l’image des observations en Bretagne117, leurs progrès étaient plutôt lents, concurrencés qu’ils étaient par les fermiers et les gros laboureurs sur le segment des micropropriétés et des petites exploitations. En revanche, dans le Cambrésis, cette lutte pour la terre n’avait pas lieu puisqu’à l’instar de la région avesnoise, seuls les laboureurs et les puissants fermiers étaient aux aguets118.

  • 119 À Isbergues, les superficies acquises par les manouvriers entre 1718 et 1730 étaient trois fois plu (...)
  • 120 ADN, E 964, acte de vente du 28 juin 1741.

99Plus que jamais, les journaliers étaient exclus de la terre. Certes, quelques-uns achetaient de petits lopins de labours ou des champs trop peu fertiles pour avoir passionné les laboureurs119, mais la crise de 1740-1 avait rappelé à beaucoup la précarité de leur condition : Etienne Dottigny, journalier dans le bourg de Catillon, privé de travail par la crise, fut ainsi amené à vendre une parcelle de pré pour se procurer 60 florins nécessaire à son quotidien120.

 

  • 121 A-L. Defromont, op. cit., p. 244.

100En définitive, les catégories supérieures du monde rural ont profité d’une conjoncture économique favorable pour marquer des points dans l’appropriation de la terre par rapport aux citadins qui s’en détournaient relativement pour s’intéresser, à l’instar de la bourgeoisie d’Avesnes121, aux placements financiers plus lucratifs. Mais, si cet avantage est réel en ce sens que les ruraux dégageaient désormais des soldes positifs supérieurs à ceux des acteurs des villes, il est surtout la conséquence du retrait urbain des campagnes. En effet, les villageois n’ont montré ni une capacité plus grande à acquérir, ni les moyens de se porter propriétaires de gros domaines. Quant aux citadins, ils ne mettaient souvent en vente que de petites parcelles, sauvegardant ainsi l’essentiel de leur patrimoine. En fin de compte, si les négociants des villes ont fait montre d’une instabilité plus grande, inhérente aux nécessités de leurs affaires, les citadins restèrent plutôt patients d’autant que la rente foncière montrait quelques signes de frémissement qui pouvaient bien laisser augurer de l’avenir.

« Les trente ans d’Arcadie »122 du marché foncier rompus par la crise finale de l’ANCIEN Régime (1760-1791)

Les nouvelles conditions du marché

1) Un marché très agité

  • 123 J. Garnier, op. cit., p. 106-107.
  • 124 D. Terrier, Les deux âges de la proto-industrie. Les tisserands du Cambrésis et du Saint-Quentinois (...)
  • 125 Enregistrant 54 ventes par an au milieu du siècle, les notaires de Graulhet paraphèrent 76 actes pa (...)
  • 126 D. Zumkeller, Le paysan et la terre. Agriculture et structure agraire à Genève au XVIIIe siècle, Ge (...)

101Le second versant du XVIIIe siècle fut marqué, comme dans la région stéphanoise123, par une agitation foncière accrue à laquelle l’élévation des prix du blé n’était pas étrangère. A l’instar du marché de Ribemont dont l’activité s’était accrue de 25 % entre les décennies 1750 et 1760124, l’agitation foncière était de mise dans le Cambrésis dès les années 1760 dont les échanges avaient globalement crû de 100 actes par an. Le démarrage du marché de la région lilloise était repoussé aux années 1770 : dépassant alors les 2000 actes, l’activité foncière était modérément croissante, + 11,5 % seulement, en comparaison du marché graulhetois dont le décollage après 1770 fut d’environ 40,7 %125. Une fois le décollage assuré, le nombre de mutations semblait peu ou prou stabilisé : le marché de la région lilloise était porté par environ 1000 actes par an, celui du Cambrésis par 300 à 325 actes. Enfin, au début de la période révolutionnaire, la Flandre wallonne et le Cambrésis connurent un essoufflement de leur activité foncière, à l’instar du modèle genevois126, les acteurs étant intimidés par la conjoncture politique tendue, ou attentistes par rapport aux promesses de dépeçage des patrimoines nobiliaires et ecclésiastiques. Dans la Flandre wallonne, l’activité du marché foncier avait diminué de 30 %, mais c’est dans le Cambrésis que l’essoufflement était le plus spectaculaire, le nombre des mutations chutant de 57,7 %.

Tableau no 72 - Conjoncture céréalière et mouvement des biens-fonds dans le Cambrésis et la Flandre wallonne dans le second XVIIIe siècle (1761-1791)

Tableau no 72 - Conjoncture céréalière et mouvement des biens-fonds dans le Cambrésis et la Flandre wallonne dans le second XVIIIe siècle (1761-1791)
  • 127 Dans le bureau de la Fère, le volume des transactions s’était fortement élevé dans la décennie 1770 (...)
  • 128 En dix années de 1760 à 1769, un tiers des terres de Montigny avait changé de mains tandis que le r (...)
  • 129 G. Béaur, op. cit., p. 105-108.

102Le marché, exprimé en valeur, faisait preuve d’une excitation plus grande que le simple dénombrement des transactions foncières. Le montant total des investissements sur le marché cambrésien au début des années 1780, plus de 444.000 florins, était le double de celui de 1761-2 alors que le nombre d’actes était stable ; même si l’amplitude était moins forte dans la châtellenie de Lille, elle n’en était pas moins certaine, le mouvement des fonds valant peu ou prou 1,5 millions de florins à partir des années 1770. L’usage de la déflation par le prix des céréales panifiables souligne l’importance fondamentale des années 1781-2 dans le mouvement des flux fonciers, en particulier dans le Cambrésis où le marché faisait mouvoir plus de 65.000 hectolitres de froment, soit le double de la décennie précédente. En ce sens, l’élévation des sommes engagées dans les années 1770 tenait essentiellement au processus inflationniste démarré en 1767127. C’est dire à quel point la rotation des terres s’était accélérée après 1760128. Certes, le marché cambrésien demeurait structurellement léthargique, y compris dans les années les plus actives qui ne faisaient mouvoir que 0,17 % des superficies par an, mais dans la région lilloise, la fin de l’Ancien Régime marquait une accélération de la vitesse de rotation des biens-fonds, au rythme de 1 % des superficies. En revanche, comme dans la Beauce129, la mobilité s’effondrait au début de la Révolution, crevant le plancher de 0,8 % dans la Flandre wallonne.

103L’agitation du marché n’a pas bouleversé la structure des échanges. La parcellisation du marché foncier demeura manifeste dans le Cambrésis, les micropropriétés inférieures à l’hectare étant prédominantes entre 88 et 92 % du nombre total des mutations. Sur le marché de la région lilloise, les petites propriétés constituaient toujours l’essentiel des terres vendues, à plus de 82 % de l’activité totale. Si cette structuration du marché tient compte de l’émiettement des propriétés foncières, causé par la croissance de la population rurale et aggravée par la coutume égalitaire, elle indique également l’attachement des propriétaires à leurs patrimoines dont ils n’acceptent de vendre, si nécessaire, qu’une petite parcelle.

  • 130 A. Jollet, Terre et société en Révolution. Approche du lien social dans la région d’Amboise, Paris, (...)

104En revanche, des grosses propriétés étaient mises en vente en 1790-1 : les domaines de plus de 5 hectares se montaient à 8 % du marché. Dans un mouvement où le poids des petites transactions témoignait toujours d’une relative démocratisation des échanges, les grosses propriétés faisaient désormais mouvoir pas moins de la moitié du volume global vendu. En ce sens, les premières années révolutionnaires marquaient une rupture avec le marché d’Ancien Régime : non seulement l’élévation de l’activité du marché était brisée, mais en plus la structure témoignait de la présence élargie des gros domaines cédés par les propriétaires inquiets de l’avenir. Pourtant, la mise en place d’un nouveau contexte juridique et économique n’avait pas encore excité le marché comme dans la région ligérienne130.

2) La hausse des prix de l’investissement foncier

  • 131 G. Béaur, op. cit. p. 252-257.
  • 132 P. Vandewalle, op. cit. p. 448.

105Le capital foncier devenait un placement plus sûr puisque sa valeur nominale croissante n’était plus minée par l’évolution des prix céréaliers qui augmentaient à un rythme inférieur. Cependant, si la croissance des prix de la terre était certaine dans la France du Nord, elle était loin de correspondre au doublement trentenaire constaté dans la Beauce131. Le prix de l’hectare de labours fixé à près de 1900 florins en 1790-1 dans la région lilloise, ne s’était accru que de 31,9 % en trente ans alors que l’augmentation n’était même pas du quart sur le marché de la province cambrésienne. La modération de l’augmentation des prix fonciers était propre à la France du Nord comme en témoigne l’évolution des prix des terres dans la Flandre maritime où le croît n’était que de 41,9 % entre 1755 et 1785132.

  • 133 Le prix d’une mencaudée de labours était passé de l’indice 242 en 1760-9 à 481 dans la dernière déc (...)
  • 134 D. Terrier, op. cit., p. 34-41.

106La déflation réduisait l’amplitude de la croissance du prix foncier dans le Cambrésis, et plus encore dans la Flandre wallonne où l’hectare de terre, non comprise l’inflation céréalière, ne coûtait que 5,2 % de plus au début de la Révolution. Tout laisse ainsi à penser que le niveau très élevé des prix dans la région lilloise, le double de ce qui était ordinairement pratiqué dans le Cambrésis, correspondait à un plafond au-delà duquel il n’était plus possible de risquer son pécule. Toutefois, les contrastes spatiaux étaient importants. Dans le Cambrésis mulquinier, l’hectare de labours avait enregistré un doublement de sa valeur d’après un échantillon restreint de quatre paroisses, Avesnes-les-Aubert, Clary et Montigny et Ligny133. La croissance de la production manufacturière y avait en effet des conséquences heureuses, l’élan des prix fonciers n’étant pas étranger au rythme de l’activité textile134, forte à partir de 1771-3.

  • 135 L’expérience physiocratique avait amené les labours à des prix de 15 à 20 % plus élevés qu’en 1767- (...)
  • 136 P. de Saint-Jacob, op. cit., p. 384.
  • 137 Démarré en 1771, l’élan des prix fonciers y avait été important puisque, de 150 livres, l’hectare d (...)
  • 138 Si l’on se réfère à l’enquête beauceronne, l’avantage tiré par le prix des terres correspondait sur (...)
  • 139 À Camembert, le prix de la vergée de terre baissa dans les années 1780 après l’inflation remarquabl (...)

107De fait, l’augmentation de la valeur négociée des terres, modérée et conforme à l’examen des prix fonciers de la Bourgogne du Nord135, ne fut pas régulière. Certes, l’hectare de terre labourable avait crû d’un quart dans le Cambrésis au cours des années 1760, mais cette croissance était uniquement portée par le prix des blés, comme en témoigne l’évolution des prix réels en chute de 12 % à 31 % au cours de cette décennie. Ainsi, c’est au cours des années 1770 que s’allumait véritablement la flambée des prix de la terre, considérée par P. de Saint-Jacob comme « le plus grand événement du siècle »136. À l’instar de l’envolée constatée dans le bureau de Ribemont137, cette décennie fut très profitable pour les biens fonciers dont les prix avaient crû de 42,5 % dans le Cambrésis, de 22,7 % dans la région lilloise138. Or, le cours des biens-fonds dépassait alors largement celui des blés puisque la hausse des valeurs réelles était forte au cours de la décennie, 8 à 9 % par an. C’était bel et bien l’âge d’or du propriétaire foncier assuré de réaliser des profits substantiels dans le jeu des achats et reventes. Cette époque fut de courte durée puisque la tendance, longtemps marquée par la hausse, montrait ensuite un déclin certain. Très marquée dans le Cambrésis où les prix avaient chuté de 30 % en retombant sous la barre de 900 florins par hectare, la baisse, pour moins fort qu’elle fût, n’en était pas moins certaine dans la région lilloise, la chute en valeur déflatée étant de 15 % entre 1781 et 1791139. La crise manufacturière de 1786-7, suivie de la mauvaise fortune agricole de l’année 1788, avait fini de retourner la tendance longue d’augmentation des prix de la terre.

  • 140 P. de Saint-Jacob, op. cit., p. 485.
  • 141 Dans la châtellenie de Bergues, le prix de la viande de vache était passé de 123 livres à presque 1 (...)
  • 142 Dans le Luxembourg, le prix des jardins avait doublé dans la seconde moitié du XVIIIe siècle. M. Do (...)

108Jardins et prés ont enregistré un souffle d’une plus grande amplitude que les labours. Ce sont les herbages de la région lilloise qui ont connu l’inflation la plus spectaculaire, l’hectare coûtant près de 70 % de plus en 1790-1 ; les prés ne furent pas touchés par la déflation des années 1780, la grande épizootie ayant, comme l’indique P. de Saint-Jacob, profité au mouvement spéculatif140, le prix de la viande s’étant élevé à partir de 1785-6141. En revanche, dans le Cambrésis, l’hectare de pré avait chuté de 57 % dans la dernière décennie de l’Ancien Régime. Sans doute, les visées spéculatives s’étaient d’abord portées sur les jardins essentiels dans une économie de subsistances142.

3) Des biens fonds plus rémunérateurs

  • 143 E. Le Roy Ladurie et J. Goy ont distingué trois catégories en fonction de l’intensité de la croissa (...)
  • 144 H. Neveux, loc. cit., dans J. Goy, E. Le Roy Ladurie éd., op. cit., p. 58-66.
  • 145 Limités à 1200 litres de froment par hectare au milieu du siècle, les rendements céréaliers se sont (...)
  • 146 La hausse était surtout sensible à l’Est de la ligne Rouen - Perpignan d’après David R. Weir, « Les (...)

109Si la hausse de la valeur de l’investissement foncier était de nature à attirer les acteurs vers les biens de la campagne, la croissance des revenus l’était également. Du point de vue des gros exploitants agricoles, tous les indicateurs économiques inclinent en faveur d’une hausse du revenu brut d’exploitation. Les données à notre disposition confirment l’essor important de la production dans la France du Nord, classée dans le groupe III des zones géographiques pour leur dynamisme économique143 : dans la province cambrésienne, les prélèvements décimaux rendent compte de la croissance de la production de blé dans le second versant du siècle144 ; la Flandre enregistrait aussi d’importants gains de rendement après 1769145. En outre, les prix étaient tendus vers le haut : appartenant à la France de l’Est consacrée par une vigoureuse croissance des prix du blé146, les provinces du Nord enregistraient, entre 1755 et 1791, une inflation de 43 %.

  • 147 L. Michel, « Quelques données sur le mouvement de la rente foncière en Anjou, du milieu du XVIIe si (...)
  • 148 G. Béaur, op. cit., p. 262-268 ; repris dans « Le mouvement annuel de la rente foncière chartraine, (...)
  • 149 L’enquête menée par E. Le Roy Ladurie et B. Veyrassat-Herren témoigne d’une augmentation de 52,9 % (...)
  • 150 G. Postel-Vinay, La rente foncière dans le capitalisme agricole, Paris, 1974, p. 89.
  • 151 F. Charlet, C. Lecompte, op. cit., p. 44-59.
  • 152 L. Vardi, op. cit., p. 80.

110Toutefois, les exploitants agricoles étaient inquiétés par la hausse de la rente foncière que les enquêtes existantes chiffrent de 40 à 100 % dans les trente dernières années de l’Ancien Régime. Si cet essor demeurait éloigné de l’envolée des fermages angevins portés par une augmentation comprise entre 100 et 200 % après 1750147, il était assez conforme au mouvement rencontré dans la Beauce où la rente foncière croissait entre 60 et 100 % entre les bureaux de Maintenon et de Janville148, ou autour de Paris149. Les gains de fermage semblèrent plus forts pour les petites exploitations150. Considérons celles de l’Hôpital Comtesse dans la région lilloise151. Ses plus petites exploitations de 3 ou 4 hectares avaient vu leur fermage croître de 44 à 66 % entre les années 1760 et la fin de l’Ancien Régime, mais les fermiers de la cense du Haut Ballot avaient enregistré un croît de 88 % de leur dû qui culminait à 1536 florins par an à partir de 1786. Dans le Cambrésis, la cense de La Trappe à Montigny avait enregistré une envolée spectaculaire de son loyer annuel passé, entre 1763 et 1787, de 109,3 à 240 mencauds, soit une augmentation de 120 %152. Les fermages, dont la croissance nominale fut longtemps étranglée dans le Cambrésis par la puissance de dynasties de censiers, semblaient se libérer à la fin de l’Ancien Régime de ces pesanteurs sociales et coutumières.

  • 153 D. Leclercq, op. cit., p. 60-65.
  • 154 G. Béaur, op. cit., p. 268-273.
  • 155 A. Houzé de l’Aulnoit, op. cit., p. 104.
  • 156 F. Charlet, C. Lecompte, op. cit., p. 44.

111Alors que les loyers nominaux étaient demeurés stables depuis longtemps, la décennie 1760 fut l’occasion des premiers frémissements lorsque s’est déclenchée la crise économique de 1767. Les baux conclus lors de cette année charnière ont enregistré cette nouvelle donne économique : les terres de Montreuil sur la baronnie de Cysoing furent soumises à un fermage révisé à la hausse, + 9,2 %153. La hausse était surtout reportée à la décennie 1770 : on enregistra une hausse de 10 à 20 % de la rente foncière, sans commune mesure avec le « grand bond en avant » de 30 % constaté dans les bureaux beaucerons154. C’est dire que dans la France du Nord, c’est l’emballement final qui porta la rente foncière nominale vers des sommets. Ainsi, le bail renégocié le 12 août 1780 par le sieur Le Comte du Bus avec son fermier à Tourcoing avait enregistré une augmentation de 37 %155. C’est du reste sur ce rythme de 30 à 40 % qu’augmentèrent les fermages : pour la cense du Haut Ballot, la reconduction du bail en 1786 s’accompagnait d’une forte croissance de 39,6 %, à hauteur de 44 florins à l’hectare156.

 

  • 157 G. Béaur, op. cit., p. 300-312.

112Dans ces conditions, le revenu des propriétaires s’était accru puisque les fermages ont augmenté plus vite que les prix céréaliers. Considérons l’évolution des loyers déflatés des exploitations de l’Hôpital Comtesse. D’après le calcul des moyennes quinquennales des fermages réels, le revenu du propriétaire avait crû de 13 à 24 % pendant cette période trentenaire. En fait, il fallut patienter jusqu’au milieu des années 1770 pour mesurer une hausse des revenus réels minée jusque là par l’inflation des mercuriales. Dans les années 1760, le pouvoir d’achat diminua en effet de 20 % dans la région lilloise, moins que dans la Beauce où la baisse était de 30 à 40 % entre les périodes 1761-5 et 1766-70157, mais tout de même assez pour influencer les choix des propriétaires. La situation ne s’améliora pas entre 1770 et 1774 puisque les loyers nominaux modérés, conclus au cours de la crise économique de 1767, étaient désormais minés par des prix céréaliers demeurés élevés. La perte du pouvoir d’achat se poursuivait donc : alors que les fermiers amassaient des récoltes redevenues satisfaisantes et en partie vendues à prix élevé, les propriétaires non exploitants voyaient leur revenu réel diminuer de 5 à 10 %.

  • 158 P. de Saint Jacob, op. cit., p. 389.

113La seconde moitié des années 1770 ouvrait en revanche une période heureuse pour les propriétaires fonciers, satisfaits de constater une incontestable hausse de leur pouvoir d’achat qui atteignait, voire dépassait, les niveaux précédant 1767. Le propriétaire voyait alors ses revenus croître d’au moins 5 % par an. Rarement, la terre avait été aussi rémunératrice. Passé « cet âge d’or du propriétaire »158, les résultats des années 1780 étaient plus chaotiques. Ainsi, les loyers réels perçus par l’Hôpital Comtesse sur la cense du Haut Ballot s’étaient peu ou prou stabilisés, leur croissance moyenne n’étant que de 0,3 % par an. En ce sens, l’inflation, survenue à partir de 1783, avait largement empiété sur l’élévation des loyers nominaux. En revanche, sur la petite exploitation de Verlinghem, l’institution hospitalière augmentait encore ses revenus réels grâce à la renégociation du bail en 1780 ; les trois années qui suivirent furent pour le propriétaire les plus rémunératrices. Pour la cense de Montigny dans le Cambrésis, la décennie 1780 marquait une exaspération exceptionnelle de la rente réelle : de 1780 à 1787, le chapitre métropolitain avait accru son revenu de 15,8 % par an.

  • 159 J. Nicolas, op. cit., p. 724-725.
  • 160 Alors que le marasme s’installait dans les campagnes pendant la guerre de Sept ans, la rentabilité (...)
  • 161 G. Béaur, op. cit., p. 312-318.

114Toujours est-il que les intérêts retirés par le propriétaire demeuraient bas. Comme en Savoie159, en l’absence d’un véritable triomphe de la rente foncière, le taux de capitalisation de la terre ne tenait pas la comparaison avec la Bourgogne160 et plus encore avec la Beauce où il oscillait entre 3,8 et 6 % par an161. Cependant, il connut un mouvement ascendant à la fin de l’Ancien Régime. Dans la province cambrésienne, l’explosion de la rente foncière des années 1780 a sorti la terre de la léthargie dans laquelle son capital était enfoncé depuis des décennies, aidé en cela par l’érosion de sa valeur au début de la période révolutionnaire. À ce moment, le capital investi rapportait 2,3 % par an ; en établissant nos calculs sur les fermages de la ferme de Cantimpré, à Montigny, le taux de capitalisation était plus modeste, 1,1 % par an en 1790, mais n’en confirme pas moins son ascension au cours de la décennie. Dans la région lilloise, les années 1780 ont aussi marqué un sursaut de la rentabilité de la terre grâce au divorce, déjà rencontré au début des années 1770, entre la montée du bail et la stagnation, voire l’érosion du capital : l’hectare de terre rapportait annuellement un intérêt de 2,3 à 3 % de la valeur du capital investi, alors qu’en 1761-2, la rentabilité était inférieure à 2 %.

 

115À la fin de l’Ancien Régime, les biens-fonds étaient un investissement plus rémunérateur que dans le premier XVIIIe siècle, mais le rapport revenu – montant de l’investissement était toujours assez bas. La terre coûtait donc cher eu égard à ce qu’elle rapportait.

Le Grand Dérangement du marché

1) Haro sur les propriétés nobiliaires ?

  • 162 Après les années 1760, la noblesse réalisait moins de 2 % des ventes contractées dans la châtelleni (...)

116Contrairement au Dunkerquois162, les dernières décennies de l’Ancien Régime furent celles d’une présence plus forte de la noblesse parmi les signataires des contrats de vente : elle contracta entre 5 et 6 % des actes dans la région lilloise, jusqu’à 3,1 % des mises en vente dans le Cambrésis. Son activité était plus que jamais dominée par les ventes : le nombre des achats passés dans la châtellenie de Lille ne couvrait que 17 à 33 % des mises en vente ; dans le Cambrésis, le déséquilibre des opérations était plus flagrant puisqu’on comptabilisait seulement un achat pour cinq ventes. C’est dire à quel point la dynamique des ventes était grande chez les nobles.

Tableau no 73 - Solde des nobles sur le marché foncier du Cambrésis et de la Flandre wallonne dans le second XVIIIe siècle (1761-1791)

Tableau no 73 - Solde des nobles sur le marché foncier du Cambrésis et de la Flandre wallonne dans le second XVIIIe siècle (1761-1791)
  • 163 E. Lambert, « Le marché foncier et la noblesse dans la région de Vassy (Normandie, 1760-1789) », Hi (...)
  • 164 Si le nombre de propriétés abandonnées à d’autres groupes sociaux avait au moins doublé en 1769-77 (...)
  • 165 G. Larguier, loc. cit., Annales du Midi, octobre - décembre 1989, p. 398-401.
  • 166 En 1769, la confrontation achat - vente faisait montre d’un bilan équilibré des opérations foncière (...)

117Sur la spirale de dépossession nobiliaire par le marché foncier, toutes les études s’accordent163. C’étaient 1045 hectares qui avaient été prélevés des patrimoines nobiliaires flamands en six années dans la seconde moitié du siècle, soit 84 % de plus que lors des trois décennies précédentes ; en valeur, le creux s’élevait à plus de 1.860.000 florins. Si dans le Cambrésis, le repli semble moins profond, le mouvement n’en est pas moins certain. Le volume des déficits n’était donc pas négligeable, comparé au Forez où la situation était moins catastrophique164. En outre, contrairement à la situation narbonnaise où l’hémorragie foncière de la noblesse datait surtout du milieu des années 1770165, ce que confirmait du reste l’exemple alsacien166, la dépossession débutait dès le milieu du siècle dans la France du Nord.

  • 167 D. Leclercq, op. cit., p. 81-87.

118Si la tendance à l’accentuation du désinvestissement ne soulève aucune contestation, il est plus difficile d’en dévoiler les raisons. Est-ce la conséquence de la crise des revenus seigneuriaux qui a frappé de nombreuses familles nobiliaires au XVIIIe siècle ? À considérer l’évolution des bilans financiers de la baronnie de Cysoing s’enfonçant dans les déficits après 1770, la détresse du monde seigneurial était réelle dans la France du Nord167. Du reste, en 1781, Charles de Rohan de Soubise, marquis de Roubaix et baron de Cysoing, se débarrassait de quatre seigneuries et deux fiefs pour 423.000 florins. Cette tendance à se dessaisir de terres nobles grossissait en effet dans les trois dernières décennies de l’Ancien Régime : furent mises en vente pas moins de quarante-deux fiefs et seigneuries. Dans le Cambrésis, des seigneuries avaient aussi pris le chemin des ventes, mais cette tendance demeurait marginale.

  • 168 L. Boucot, Une famille de gentilhommes lillois au XVIIIe siècle : la famille Hespel, Université de (...)
  • 169 H. Couvreur., M. Montagne, La noblesse de la châtellenie de Lille à la fin de l’Ancien Régime, Univ (...)

119Le désinvestissement nobiliaire se justifiait aussi par la faiblesse de la rentabilité des biens fonds. Ce prétexte était textuellement employé par le sieur Jean-Baptiste Galvin du Petit Queynoy quand il se dessaisissait de 17 habitations et 2 parcelles de labours à Roubaix ; alors que le contexte favorisait la croissance des revenus fonciers, il lui était inutile de conserver des possessions peu rémunératrices et de peu de prestige. L’immobilier urbain n’étant guère attractif, c’est en direction des placements financiers que les nobles se sont donc tournés, persuadés de profiter de taux d’intérêt alléchants. En effet, en 1741, Pierre-Clément Hespel, qui avait engagé en rentes héritières un capital de 30.749 florins, pouvait envisager un intérêt moyen de 4 % par an168. Pourtant, cet investissement était marginal dans la composition des fortunes nobiliaires, moins de 1 % de la fortune de François-Joseph-Clément du Bosquiel169.

  • 170 M. Figeac, op. cit., p. 23.
  • 171 C. Fleury, op. cit., p. 81.

120Considérons enfin le train de vie somptuaire de la noblesse. Quelques indices montraient que la fin de l’Ancien Régime fut le « temps de l’insouciance »170 des lignages nobles. En 1777, Louis-Marie Hangouart fit transformer à grand frais son château d’Avelin ; Michel Lequeux, architecte lillois réputé, était le maître d’oeuvre171. C’est pour disposer des liquidités nécessaires qu’il vendit en 1777-8 de nombreux biens brabançons parmi lesquels dominait la baronnie d’Oppuers qui était entrée dans le patrimoine familial en 1701 par une union heureuse ; cette opération lui permettait en outre de recomposer la disposition spatiale de son patrimoine en s’éloignant d’une région où il n’avait que faire. Ses mises en vente ne furent donc pas des « pertes » sèches, mais le fruit d’un réinvestissement.

 

  • 172 M. Vovelle, « Propriété et exploitation dans quelques communes beauceronnes à la fin du XVIIIe sièc (...)

121Dans ces conditions, le groupe nobiliaire n’était pas menacé dans son existence matérielle. En effet, le désinvestissement portait sur des étendues faibles dans le Cambrésis, moins de cent hectares alors que dans la région lilloise, par-delà l’ampleur des superficies cédées, seulement 0,75 % du total des patrimoines était abandonné par an. On ne peut donc qu’avaliser la conclusion de M. Vovelle selon qui « la propriété noble est encore considérable dans la majorité des cas considérés »172. On pourrait ajouter que la structure des ventes n’attaquait pas le cœur des patrimoines nobiliaires. En effet, jamais les domaines rejetés par la noblesse n’avaient été d’une taille aussi médiocre, moins de trois hectares dans la région lilloise, à peine plus d’un hectare sur le marché cambrésien. Pourtant, dans la région lilloise, sortaient quelques propriétés importantes des patrimoines nobles : près de deux propriétés de plus de 10.000 florins sur trois avaient échappé aux griffes des nobles, même si la tendance s’inversait à mesure que le prix des ventes augmentait. Pourtant, si les membres du second ordre se trouvaient dans la nécessité de vendre de grandes parcelles, voire des terres nobles, ils se gardaient toujours d’abandonner ce qui faisait le cœur de leur renommée, en l’occurrence la seigneurie éponyme. Si l’on examine la stratégie de repli d’Henri-Louis-Marie Jacobs d’Aigremont, ce souci était évident. Certes, sur quatorze mises en vente contractées au début des années 1770, il avait vendu quatre fiefs, mais ceux-ci étaient de médiocre valeur ; s’il se trouvait trois belles propriétés dont un château vendu 48.000 florins, aucune n’était située dans la proximité d’Aigremont, près d’Ennevelin, où les Jacobs avaient choisi d’ancrer leur nom. L’essentiel des propriétés ôtées aux patrimoines nobles était donc des parcelles de taille moyenne, mais en aucun cas de gros domaines maintenus à l’intérieur du cercle patrimonial.

  • 173 M. Figeac, op. cit., p. 109-114.

122Il faut en outre considérer le transfert interne de biens-fonds qui se faisait à l’avantage de la noblesse récente, comme le fait aussi remarquer M. Figeac173. La vente de la seigneurie de Crévecoeur en 1783 était symptomatique de cette prise de relais : alors que le vendeur, Maximilien-Joseph de Taufkirch, marquis de Wargnies, était le type même du gentilhomme campagnard, originaire de la Bavière où il résidait au château d’Eutburg, l’acquéreur, Charles-François Lemayeur de Simencourt, appartenait à la noblesse de robe entrée dans le second ordre en 1720. Pourtant, dans la région lilloise, les anoblis étaient aussi nombreux parmi les vendeurs : dans les premières années de la décennie 1780, l’un des plus grands vendeurs était Pierre-François-Albert Taverne de Burgault dont la famille avait été anoblie par l’achat d’une charge de conseiller secrétaire du roi en 1718. L’irruption de nombreux anoblis parmi les vendeurs de biens-fonds témoignait de la conception qu’ils se faisaient de la terre conçue d’abord comme une source de revenus.

 

  • 174 En 1791, l’un des principaux impacts du phénomène révolutionnaire fut le recul des ordres privilégi (...)

123Alors que les trente dernières années de l’Ancien Régime avaient accéléré le rythme de rotation des biens nobles, les premiers temps de la période révolutionnaire voyaient la noblesse se faire très discrète, comme dans la région d’Amboise174. Les nobles vendeurs étaient cinq fois moins nombreux sur le marché flamand tandis que, dans le Cambrésis, la chute était plus vertigineuse. Du coup, les opérations foncières étaient plus équilibrées entre achat et vente, la situation devenant même positive dans le Cambrésis. De fait, la noblesse se terrait dans un comportement conservateur, traduisant son inquiétude face aux dispositions de la nuit du 4 août et aux lois des 15-28 mars et 14-22 avril 1790 qui avaient sapé son autorité dans les campagnes et ses rentes seigneuriales si utiles pour ses dépenses du quotidien.

  • 175 P. Guignet, Le pouvoir dans la ville au 18e siècle. Pratiques politiques, notabilité et éthique soc (...)
  • 176 L. Boucot, op. cit., p. 102-109.

124Cette situation tient à plusieurs explications. Le contexte économique n’y est pas étranger. En effet, la baisse des prix nominaux de la terre incitait peu à vendre, sachant que les vendeurs faisaient une affaire peu avantageuse. Le maintien des fermages nominaux assurait en outre une bonne rentabilité aux biens-fonds. Dans ces conditions, vendre ne pouvait guère être lié qu’à des circonstances familiales particulières ou à des contraintes financières précises. Mais, le contexte révolutionnaire remettait en cause bien des habitudes anciennes. La mise en circulation des assignats créait peu d’enthousiasme auprès des nobles pour qui les espèces sonnantes avaient toujours la préférence dans le règlement des affaires. La remise en cause de l’identité sociale et politique du groupe nobiliaire encourageait en outre sa crispation sur ses domaines campagnards. Non seulement l’existence juridique du second ordre fut aboli par le décret du 23 juin 1790, mais en plus il fut évincé en partie des Magistrats urbains, en particulier à Lille où seul Arnould-Philippe-Joseph Vandercruysse de Waziers parvint à résister à l’irruption de Messieurs du commerce lors des élections municipales de janvier - février 1790175. Gageons enfin que l’émigration de certains, comme Clément-Henri-François Hespel176, facilitait le statu quo puisque le nombre de nobles présents sur place pour participer au mouvement des biens-fonds avait diminué. Ainsi, l’attitude des membres du second ordre témoignait d’un repli sur les propriétés foncières devenues plus que jamais symptomatiques de leur identité que la Révolution, d’abord libérale, attaquait de plus en plus avant que les biens des émigrés ne fussent mis aux enchères.

2) Des citadins à nouveau attirés par l’investissement foncier ?

  • 177 Alors que le poids des Amboisiens dans l’ensemble des mutations était très lourd en 1780, plus du t (...)
  • 178 Après la chute de la représentation des « bourgeois » dans l’activité du marché de la châtellenie d (...)
  • 179 A. Jollet, op. cit., p. 306.

125Le mouvement long de marginalisation des acteurs urbains dans la rotation des biens-fonds se vérifiait par-delà l’époque révolutionnaire si l’on en croit le processus ligérien177. C’est dans la châtellenie de Lille que ce processus, contredisant l’évolution mesurée dans le Dunkerquois178, était le plus remarquable : les citadins ne rassemblaient que 20 à 30 % des opérations de vente, et le plus souvent moins du quart, voire du cinquième, des achats. Les premières années de la Révolution étaient toutefois marquées par un « retour de la ville »179 sur un marché profondément ralenti. Ce retour en force se lisait surtout dans la région lilloise où les citadins retrouvaient une forte représentation, 28 % des actes d’achat.

  • 180 D. Zumbeller, op. cit., p. 150.
  • 181 J. Nicolas, op. cit., p. 742-748.
  • 182 Cette tendance était perceptible en Beauce, surtout dans la région janvilloise. G. Béaur, op. cit.,(...)

126Comme on le constatait dans le Genevois en 1779-81180, les villes vendaient plus souvent qu’elles achetaient même si les ventes l’emportaient moins sur le nombre des acquisitions qu’auparavant. Les années 1760 marquaient le point de départ d’une amélioration du sort des acteurs urbains : les taux de couverture progressaient de 11 à 13 points par rapport à la décennie précédente. Ensuite, les balisages temporels témoignent de trajectoires assez différentes entre les deux régions jusqu’aux années 1780. Sur le marché de la châtellenie de Lille, sauf lors de la cassure du début des années 1770, les taux de couverture sont demeurés élevés puisqu’on comptabilisait environ huit achats pour dix ventes. L’envolée de la rente foncière créait en effet chez les citadins un enthousiasme pour la terre, redevenue une source de revenu intéressante, même si le mouvement des mises en vente ne s’était pas beaucoup tari. Ainsi ont-ils suivi une évolution également dessinée dans la région de Chambéry, entre 1750 et 1780, à la différence près que les contractants urbains y achetaient plus souvent qu’ils vendaient en 1780181. En revanche, dans le Cambrésis, la tendance était inversée, le début des années 1780 marquant même une prééminence spectaculaire des ventes. Il est vrai que les bas prix du blé, après les chertés de l’époque physiocratique, favorisaient les visées des gros laboureurs sur le marché foncier dont ils étaient les maîtres. Quoiqu’il en fût, citadins flamands et cambrésiens se rejoignaient à la fin de l’Ancien Régime dans une même tendance favorable182, tout particulièrement dans la région lilloise où, pour la première fois depuis 1711-2, le taux de couverture dépassait la barre de 100. L’heure était alors à l’euphorie chez les acteurs urbains tournés vers la terre.

Tableau no 74 - Solde des citadins sur le marché foncier du Cambrésis et de la Flandre wallonne dans le second XVIIIe siècle (1761-1791)

Tableau no 74 - Solde des citadins sur le marché foncier du Cambrésis et de la Flandre wallonne dans le second XVIIIe siècle (1761-1791)
  • 183 P. Jarnoux, op. cit., p. 317.

127Les résultats globaux des villes confirmaient la partition entre la châtellenie de Lille où les citadins investissaient lourdement dans les campagnes environnantes, et le Cambrésis dont le plat pays voyait se désengager les gens des cités. En effet, dans la région lilloise, le rythme de progression était à nouveau à la hausse, là où les villes bretonnes piétinaient183 : les citadins avançaient au rythme moyen annuel de 12.500 hectolitres, alors que leur progression n’était que d’environ 2600 hectolitres par an dans le premier versant du XVIIIe siècle. Ce sont les Lillois qui attiraient à eux l’essentiel des excédents : leurs 1.470.000 florins amassés étaient en effet onze fois supérieurs aux profits enlevés par les petites villes qui sortaient enfin de la crise dans laquelle elles étaient plongées depuis la fin du XVIIe siècle. Seuls les citadins extra-régionaux vendaient plus qu’ils investissaient. En revanche, la capitale du Cambrésis était loin de profiter de la conjoncture, celle-ci poursuivant son désinvestissement au rythme moyen de 2000 hectolitres de grains par an.

 

128Après la crise de 1740-1, s’achevait lentement la bouderie des citadins pour la terre, quoique leur attitude passât véritablement à l’offensive seulement au cours des années 1750, voire au début des années 1760. En effet, les bas prix céréaliers de cette double décennie émoussaient moins la rente foncière qui enregistrait déjà quelques frémissements alors que le pic secondaire de cherté des blés en 1749 avait pu ébranler les catégories les plus fragiles de la population rurale. C’est pourquoi le véritable déclenchement du réinvestissement du sol par les citadins parcourait les années 1750. Les soldes positifs se sont alors accrus de 55 % pour les Lillois qui accaparaient 185 hectares alors que ceux des petites villes flamandes passaient de 11 à 41 hectares ; ce profil, très analogue pour les habitants de Cambrai qui parvenaient même à présenter au début des années 1760 un bilan positif en superficie, n’était pas reproduit par les Catésiens qui, après avoir profité des difficultés passagères des villageois lors de la crise de 1749-50, retrouvaient le chemin de leur habituel désengagement foncier.

  • 184 Ibidem, p. 317-318.
  • 185 ADN, Tabellion 4663, acte de vente du 2 octobre 1762.

129Les responsables de ce coup de semonce de la ville étaient les bourgeois. Comme en Bretagne184, le rôle moteur était de plus en plus partagé entre bourgeoisie d’Ancien Régime et marchands dans le Nord. Ainsi, l’élévation spectaculaire des excédents armentiérois tenait surtout à l’irruption des négociants dans les investissements fonciers puisque de cinq acheteurs au milieu du XVIIIe siècle, leur effectif était monté à 21. Stimulés par le succès du commerce textile et par l’orientation du marché foncier, les plus riches négociants de la place achetaient dans les villages environnants des domaines parfois importants : l’un d’eux, Nicolas-Druon Malinguié, riche marchand bonnetier, s’acharnait même à entourer sa personne d’un vernis de notabilité en acquérant un fief de 17 hectares185, étape majeure vers la direction des affaires de la ville qui advint à son fils, Pierre-François, premier maire élu d’Armentières en 1790.

  • 186 M-L. Legay, L’Etat royal et les provinces septentrionales : le pouvoir administratif et politique d (...)

130Pourtant, chez les Lillois, les négociants ralentissaient leur avancée dans les campagnes environnantes depuis les années 1740 : ils enregistraient même un recul de 19 hectares en 1761-2. Messieurs du Commerce de Lille n’avaient ainsi nulle volonté à stériliser leurs capitaux dans les biens-fonds d’autant que ceux-ci demeuraient assez peu rémunérateurs par rapport aux intérêts offerts par les Etats provinciaux dont les emprunts, établis souvent pour les travaux publics étaient régulièrement contractés au denier 20, voire au denier 18 ou 16186. La profession était d’autant plus inquiète qu’elle était bousculée par l’arrêt du Conseil de 1762 qui ébranlait un peu plus l’édifice manufacturier de la capitale régionale. Dans ces conditions, le destin des Lillois sur le marché foncier dépendait pour l’essentiel de l’action des bourgeois d’ancien type : ils interceptaient près de 250.000 florins de biens-fonds correspondant à 164 hectares.

 

  • 187 Le comportement des Orléanais et des Chartrains sur le marché foncier beauceron était comparable à (...)

131Le retour de la cherté à partir de 1767 déséquilibrait le marché foncier d’autant que les prix demeuraient à de hauts niveaux au début de la décennie 1770. Du coup, les années 1771-2 s’inscrivaient en creux dans le mouvement de progression des citadins. Dans la région lilloise, même si les superficies continuaient à croître, le solde, exprimé en valeur déflatée, s’était effondré des deux tiers à 8610,4 hectolitres ; la tendance était analogue sur le marché cambrésien dont le creux avait plus que doublé en équivalent grain par rapport à la décennie précédente, surtout à cause de l’attitude des citadins des villes étrangères aux provinces dont le désinvestissement était alarmant187. Toutes les villes eurent peu ou prou à souffrir de cette crise. Toutefois, les plus petites d’entre elles furent plus sensibles à la nouvelle conjoncture économique. En revanche, Cambrai comme Lille résistaient mieux à ce mouvement : si les Cambrésiens réduisaient leur désengagement foncier à moins de trois hectares, les Lillois maintenaient un haut niveau d’excédent, plus de 268.000 florins, malgré une baisse de 15 % de leur solde.

  • 188 À Assomption au Québec, le comportement des marchands était toujours à la réduction des achats quan (...)
  • 189 ADN, 7 G 952, acte de vente du 15 octobre 1772.
  • 190 G. Frêche, op. cit., p. 568-571.
  • 191 M-L. Legay, op. cit., p. 82-87.

132Les évolutions différenciées des capitales provinciales et des petites villes ne tenaient pas à l’attitude des marchands dont la sensibilité à la crise se faisait sentir partout188, mais à celle des robins et de la bourgeoisie en titres. En effet, la bourgeoisie d’Ancien Régime faisait montre d’une vitalité remarquable à Cambrai et Lille. Plus que jamais, elle était l’animatrice qui tenait entre ses mains le destin des villes dans les campagnes. La situation était spectaculaire dans le cas de Cambrai dont la bourgeoisie, longtemps cantonnée à une déperdition relative de ses possessions, réagissait très vivement à la crise en interceptant plus de 15 hectares, non qu’elle ait participé à la curée des biens des pauvres paysans, mais plutôt acheté des biens-fonds abandonnés par d'autres citadins : ainsi, un domaine de 16 hectares vendu par un propriétaire résidant à Landrecies était récupéré par Jean-François Santerre, rentier de la capitale archiépiscopale189. Ce mouvement a été facilité par les difficultés rencontrées par les rentiers dans les années 1760 puisque l’inflation diminuait fortement les taux d’intérêt des rentes constituées190 et que les Etats provinciaux, sur recommandation du ministre Laverdy, décidèrent de rembourser en 1766 les rentes anciennes en réduisant l’intérêt à 4 %191.

133Toutefois, le sort de certaines petites villes dépendait du poids de l’aristocratie paysanne. Profitant de la hausse des revenus consécutive à la cherté des blés, fermiers et gros laboureurs se montraient de plus en plus parmi les acquéreurs au point de composer le groupe professionnel le plus conquérant au sein des cités où ils étaient nombreux. C’est pourquoi leurs interventions parvinrent à limiter le désinvestissement des villes de Comines et du Cateau, voire à contenir la diminution des soldes positifs des Armentiérois et des Seclinois. Bref, pour les petites villes dotées d’un vaste terroir rural, le sésame ne venait pas des catégories spécifiquement urbaines, mais des paysans les plus fortunés qui profitaient de l’élan des prix céréaliers pour intercepter les parcelles vendues près de leurs exploitations.

 

  • 192 G. Béaur, op. cit., p. 206-217.
  • 193 « Les citadins accusent le coup du sort que représente pour eux une période de bonne santé économiq (...)

134Une nouvelle donne économique apparaît au milieu des années 1770 avec une période de bas prix jusqu’en 1782/3. À conjoncture analogue, les citadins n’ont pas réagi de la même façon entre les marchés cambrésien et flamand. Dans le Cambrésis, les bonnes dispositions des citadins depuis le milieu du XVIIIe siècle étaient rompues en 1781-2, suivant en cela une évolution qui rappelait l’exemple janvillois où l’érosion des possessions citadines, entamée avec la crise de 1767-8, n’avait cessé de s’aggraver pour atteindre son paroxysme au début de la décennie 1780192. En revanche, dans la région lilloise, les villes faisaient montre d’un état conquérant contredisant pour l’occasion le lien constaté dans les bureaux beaucerons entre les bas prix céréaliers et les difficultés des citadins dans le jeu foncier193.

  • 194 Ce profil est très comparable à celui de Narbonne dont les ventes l’emportaient presque notamment s (...)

135Par-delà ces résultats contradictoires, il est une donnée commune à toutes les cités, le désengagement absolu ou relatif de la bourgeoisie d’Ancien Régime. Si ce processus n’était qu’une confirmation en ce qui concerne les Catésiens, le renversement de la tendance était clair ailleurs, en particulier auprès des Cambrésiens qui se désengageaient de 28.000 florins194. À Lille, les robins n’ont pas échappé à ce mouvement même s’ils ont évité la dépossession absolue en maintenant un solde positif : amassant moins de 80 hectares, ils avaient vu leur avantage foncier fondre de 58 % par rapport à la décennie précédente. Cependant, pour certain que fût ce désengagement, il s’effectuait en bon ordre, les bourgeois délaissant des petites parcelles. C’est dire que si certains vendaient souvent, ils ne vendaient pas beaucoup.

  • 195 J. Garnier, op. cit., p. 106-120.
  • 196 AM. Le Cateau, FF52, acte de vente du 26 septembre 1782.

136En tout état de cause, les villes cambrésiennes ne disposaient pas en leur sein d’acteurs sociaux pour pallier la déficience de la bourgeoisie d’Ancien Régime. À l’image de Montbrison dans le Forez195, Cambrai souffrait de ne pas disposer d’une élite négociante suffisamment riche et étoffée pour prendre le relais des autres bourgeois quand ceux-ci se désengagèrent. Certes, dans la petite ville du Cateau, certains marchands étaient sortis de leur tanière, Louis-Charles Dupont investissant plus de 4000 florins pour un champ de 4 hectares196, mais cela n’avait pas été suffisant pour assurer à la petite ville un essor de ses possessions foncières. Tout compte fait, les difficultés traversées par le monde urbain avaient profité logiquement aux villageois, parmi lesquels les paysans indépendants tenaient la corde. C’est du reste grâce aux fermiers et laboureurs que les petites villes d’Armentières et de Comines parvinrent à hausser leur solde positif.

  • 197 Dans le Roannais, dès 1771, « les marchands sont à égalité avec les officiers et les hommes de loi  (...)
  • 198 Contrairement à la situation lilloise où les excédents étaient désormais partagés entre les deux bo (...)
  • 199 ADN, Tabellion 743, acte de vente du 20 septembre 1781.
  • 200 ADN, E 2294-33, Papiers de famille Hangouart.

137En revanche, à Lille, l’irruption des négociants était brutale197. A la faveur de la baisse des prix céréaliers qui donnait pleine mesure à l’élan des fermages, les marchands lillois n’hésitaient plus à placer leurs capitaux sur le plat pays d’autant que la valeur vénale des biens-fonds suivait une tendance ascendante198. Ainsi achetaient-ils pour 264.000 florins de plus que le montant total de leurs ventes. Leur appropriation foncière était d’autant plus spectaculaire qu’ils n’hésitaient pas à acheter de gros domaines, en particulier des fermes et même quelques seigneuries : plus de 9 % de leurs acquisitions, parmi lesquelles apparaissaient trois terres nobles, valaient plus de 10.000 florins, la mutation la plus spectaculaire, à mettre au profit de Pierre-Antoine Martel, riche négociant de la rue des Malades, consistant en la seigneurie du Breucq enlevée pour 151.000 florins199. Ainsi, le marché des seigneuries, longtemps chasse gardée de la noblesse et de quelques bourgeois de robe, était plus disputé, ce qui ne manquait pas d’alarmer certains nobles. Le 5 mars 1780, le sieur de Verquigneul rendait compte de la situation nouvelle auprès de son beau-frère, le comte d’Avelin : « C’est à vous, mon cher frère, à prendre votre résolution là-dessus, et le plus promptement qu’il sera possible parce que ces petites terres à clochée de peu de conséquence sont à la portée de tout le monde »200. Cependant, cette nouveauté dépendait trop d’une situation conjoncturelle très favorable pour pouvoir perdurer dès que les prix des céréales s’envolaient à nouveau à compter de 1783-4.

 

138Dans le climat révolutionnaire marqué par une cherté brutalement disparue en 1791, les citadins ont déclenché une offensive qui tranche avec leur attitude au début des années 1770. Sur le marché de la Flandre wallonne, les soldes positifs des citadins avaient crû de 57 % en superficie alors que les soldes en valeur déflatée étaient demeurés aux alentours de 39.000 hectolitres de blé. Dans le même temps, si les villes cambrésiennes n’échappaient pas à leur déficit structurel, elles bénéficiaient d’une situation améliorée, le creux ayant diminué d’un tiers en équivalent grain. Cependant, si la tendance générale était analogue, les circonstances étaient globalement différentes.

139Dans le Cambrésis, les milieux d’affaires semblaient mieux faire front au choc révolutionnaire que la bourgeoisie de type ancien qui ne parvenait plus qu’à ralentir le rythme de ses dépossessions. En effet, les marchands, à défaut de réaliser de grosses acquisitions, se présentaient plus fréquemment dans les bureaux des notaires et des greffes échevinaux. Dans les petites villes flamandes, ils avaient le vent en poupe, en particulier à Armentières et Comines où quelques riches fermiers parvenaient aussi à récupérer de menues parcelles abandonnées par d’autres paysans sur lesquels les séquelles de la crise frumentaire de 1788-9 n’avaient pas complètement disparu. En revanche, la bourgeoisie d’Ancien Régime ne parvenait pas à s’extraire des soldes négatifs. Son retrait s’accentuait pendant l’année 1791 alors que la rasière de froment avait diminué de 51 % par rapport à l’année précédente. Ainsi se trouvait confirmé le principe selon lequel une période de bas prix était un désavantage pour les robins.

140En revanche, les Lillois voyaient leur excédent s’émousser au début de la Révolution : les superficies amassées avaient diminué de 49 % par rapport à la décennie précédente. L’attitude des négociants, touchés par les dérèglements révolutionnaires et l’émission des assignats, était responsable de ce retrait relatif. La victime la plus remarquable fut Augustin-Joseph Lesage, riche négociant dont la faillite avait démembré le patrimoine de ses plus belles pièces pour plus de 160.000 florins : il cédait ainsi trois propriétés de plus de 20.000 florins parmi lesquelles dominaient les terres et ferme de la seigneurie de la Hermise étendues sur plus de 61 hectares, et divers fiefs faisant partie de la seigneurie du Withof et de Bourbourg, dont la valeur totale dépassait 100.000 florins. Pourtant, la marchandise n’avait pas arrêté son activité d’acquisition, enregistrant même davantage d’achats que de ventes. Ce sont pourtant les bourgeois en titres et les bourgeois d’office qui permettaient à la capitale flamande de ne pas sombrer davantage : même s’ils accumulaient des superficies inférieures à celles des années 1770, la valeur de leur progression dépassait 313.000 florins. Le désinvestissement des négociants leur restitua en outre leur position sur le marché le plus coûteux, au-delà de 10.000 florins, qui composait 11 % de leurs acquisitions quoiqu’ils aient dû compter sur ce segment avec la concurrence nouvelle de quelques bourgeois étrangers comme Louis-Désiré Deraismes, commissaire des guerres à Béthune, qui acheta une forêt de 38 hectares à Haubourdin. Cette brutale irruption de contractants non provinciaux dans le jeu foncier de la région lilloise était liée au contexte particulier de ventes des biens nationaux ; leur apparition se fit du reste en 1791 alors même que les mises en vente des biens de première origine avaient débuté en janvier 1791 dans le district de Lille. Les biens acquis sur le marché ordinaire ne provenaient pourtant pas du patrimoine ecclésiastique, mais ils profitèrent de cet appel d’air où le goût pour la spéculation n’était pas absent.

3) Les ruraux et le marché des biens-fonds : une faim de terre non démentie

  • 201 Ce processus d’accroissement de la place des ruraux dans le jeu foncier était également de mise dan (...)
  • 202 A. Jollet, op. cit., p. 307-301.

141En dépit d’un marché moins favorable, les mutations ne remettaient pas en question le rôle fondamental des campagnes dans la rotation des propriétés foncières. Plus que jamais, les ruraux assuraient une activité motrice sur le marché foncier : sur le marché cambrésien, ils accaparaient plus de 80 % des acquisitions et au moins 73 % des actes de vente ; leur position était moins prééminente en Flandre wallonne, mais leur part augmenta, en particulier dans le mouvement des achats qu’ils contrôlaient à hauteur de 70 à 80 % selon les années201. La majoration de la représentation du monde rural dans les échanges de biens-fonds ne s’accompagnait pas d’une amélioration de la fréquence sociale des mutations dans les communautés villageoises. Tous les indicateurs prouvent en effet une raréfaction des transactions dans les sociétés villageoises entre 1750 et 1780 : à Wattignies, seulement 3,1 % des habitants avaient signé un acte de vente au début des années 1780 alors que la proportion s’élevait à 4,5 % trente années auparavant ; dans le Cambrésis, la fréquence des actes à Clary, demeurée forte à 7,3 %, avait chuté de 5 points par rapport au milieu du siècle. En ce sens, on peut croire, à l’image du cas ligérien, que la démocratisation des interventions sur le marché foncier n’advint qu’à la période révolutionnaire202.

  • 203 J-M. Boehler, op. cit., 607.
  • 204 A. Montigny, le cadre familial était débordé dès les années 1760 dans les ventes. L. Vardi, op. cit (...)

142Qui dit accroissement de la fréquentation des ruraux dans le jeu foncier suppose l’existence d’un marché entre ruraux. Effectivement, comme en Alsace, la tendance est au rapprochement des relations sociales entre ruraux203. Certes, sur le marché de la région lilloise, la stabilité était de mise, mais dans le Cambrésis, l’effacement des citadins facilitait « l’entre soi » des ruraux qui se rencontraient dans 92 % des ventes conclues en 1781-2, soit une progression de 9 points par rapport à la situation trois décennies plus tôt. Toutefois, le renforcement des liens à l’intérieur du monde rural s’est effectué en parallèle avec une plus grande ouverture de la communauté villageoise. Certes, l’aire spatiale des relations entre vendeurs et acheteurs du plat pays ne s’est pas fortement distendue, les contractants demeurant souvent voisins, mais il appert qu’à Clary, Bantouzelle ou Inchy, la part des actes contractés entre habitants du même village avait diminué dans la seconde moitié du XVIIIe siècle204.

Tableau no 75 - Solde des ruraux sur le marché foncier du Cambrésis et de la Flandre wallonne dans le second XVIIIe siècle (1761-1791)

Tableau no 75 - Solde des ruraux sur le marché foncier du Cambrésis et de la Flandre wallonne dans le second XVIIIe siècle (1761-1791)
  • 205 En Alsace, « à l’intérieur du patrimoine immobilier se dessine une augmentation assez nette des bie (...)
  • 206 À Saint-Victor-de-la-Coste, dans le second XVIIIe siècle, le volume des ventes des bourgeois avait (...)

143Les campagnards continuaient à accroître leurs domaines grâce à la multiplication des petites interventions dans le jeu foncier. Les catégories aisées de la paysannerie accumulaient le plus de parcelles. Les laboureurs, plus nombreux, parvenaient ainsi à emporter pas moins de 512,5 hectares dans les trois dernières décennies de l’Ancien Régime sur le marché de la région lilloise. Pourtant, ce sont les fermiers qui avaient le vent en poupe : la période 1760-90 fut celle d’une accélération de leur rythme de progression dans l’appropriation des biens-fonds. Sans conteste, cette évolution, et plus généralement le primat évident de la riche paysannerie dans l’accaparement des terres, était de nature à renforcer le poids des biens fonciers dans la valeur totale des patrimoines paysans205. Plus que jamais, aucune catégorie socioprofessionnelle n’était en mesure de concurrencer l’aristocratie paysanne. Dans le Cambrésis, cette situation s’aggravait même en ce sens que l’avantage des marchands avait en moyenne diminué d’un quart par rapport aux trois décennies précédentes. Sur le marché flamand, en dépit de l’accroissement de 30,2 % de leur excédent, les marchands progressaient plus lentement que les fermiers et les laboureurs ; quant aux robins dont l’avantage foncier s’élevait à plus de 60 hectares, ils avaient fortement ralenti leur progression206 ; et s’il n’y avait rien à attendre des journaliers dont les difficultés transpiraient sur le marché foncier, les artisans flamands faisaient, quant à eux, montre d’une offensive remarquable.

 

  • 207 G. Béaur, op. cit., p. 206-213.

144Contrairement aux campagnes beauceronnes où le début des années 1760 sonnait un temps de difficultés pour les propriétaires fonciers207, les zones rurales de la France du Nord n’enregistrèrent aucun solde négatif à cette époque. Dans la région lilloise, les villageois, forts de plus de 257.000 florins d’accumulation foncière, avaient multiplié leurs excédents par 1,6 en dix années. Si croissance il y eut aussi dans les campagnes cambrésiennes, elle fut plus douce, prolongeant ainsi une évolution ascendante régulière des soldes fonciers : en valeur déflatée, elle était de 37,3 % par rapport au début des années 1750.

  • 208 Dans le bureau bourguignon de Renêve, l’accroissement du volume du marché était pour l’essentiel al (...)
  • 209 Pierre Bordier, laboureur de Lancé, dans le Vendômois, avait multiplié les acquisitions après 1750, (...)

145Cette divergence relative tenait surtout au comportement des laboureurs qui contrôlaient une partie importante du destin des campagnes dans le jeu foncier208. Dans la châtellenie de Lille, la période des bas prix leur fut profitable. Certes, les riches marchands laboureurs pouvaient s’impatienter de voir les mercuriales grimper, mais il est bien des paysans qui se sont satisfaits de cette période de tranquillité économique qui n’entamait pas leur pouvoir d’achat. Dans ces conditions, il se trouvait beaucoup de Pierre Bordier209 dans les villages flamands pour acheter les parcelles mises en vente par les paysans moins heureux en affaires. Contractant 540 actes d’achat, ils faisaient en effet preuve d’une structure d’activité très déséquilibrée puisque leurs acquisitions couvraient de 184 % leurs mises en vente. En outre, leur offensive était le fruit d’un fourmillement impressionnant d’investissements de quelques milliers de florins.

  • 210 Après un demi-siècle d’absence, les Chartier firent leur retour sur le marché foncier dans les anné (...)

146En revanche, les fermiers flamands marquaient le pas, leurs soldes positifs ayant diminué tant en valeur nominale qu’en superficie. Bien entendu, il se trouvait toujours parmi eux des investisseurs zélés, mais l’accroissement de 11 % du nombre de vendeurs par rapport à la décennie précédente témoigne d’un malaise qu’explique la hausse modérée des fermages alliée à des prix céréaliers qui n’invitaient pas les revenus à croître. Même si les propriétaires hésitaient souvent à se lancer dans un procès au risque de perdre leurs fermiers, les difficultés des exploitants, aperçues à travers des arrangements financiers, n’en étaient pas moins certaines : ainsi, Martin Gadenne, exploitant de la ferme du prieuré de Fives, dut signer en 1758 un accord de remboursement de 740 florins d’arrérages, équivalant à quatre années de loyer ; sa dette était échelonnée sur une durée de quinze années à raison de 50 florins par an alors que le propriétaire, pour plus de sûreté, avait obtenu l’hypothèque des biens propres de son fermier. Epargnés par l’augmentation des fermages, les fermiers cambrésiens, à l’instar d’un François Chartier210, démontraient en revanche une bonne forme par rapport à la décennie précédente. Leur retour sur le marché ne visait pas à couper les ponts avec le régime de l’exploitation au profit du faire-valoir direct qui leur semblait aventureux et inutile. C’est pourquoi les propriétés acquises consistaient toutes en parcelles de labours de taille modeste.

  • 211 A. de Saint-Léger, loc. cit., Annales de l’Est et du Nord, 1906, p. 481-500.
  • 212 Dans le Saint-Quentinois, après 1760, « les bas prix céréaliers et le niveau élevé de la production (...)

147Si aucune autre catégorie ne pouvait concurrencer l’aristocratie paysanne, surtout dans le Cambrésis où sa position était quasiment monopolistique, il est à noter la bonne attitude des milieux d’affaires, commerçants et artisanaux. Dans la région lilloise, les bas prix favorisaient les entreprises des marchands et fâchaient celles des bourgeois d’Ancien Régime. Mais, plus qu’une affaire de prix, cette offensive transpirait la bonne santé d’un secteur économique lié en partie à l’activité manufacturière. C’est ainsi que les négociants et artisans roubaisiens, après avoir essuyé un repli absolu au milieu du siècle, montraient un excédent de 16.000 florins alors que la production textile avait crû de 4000 pièces entre 1760 et 1762 dans le bourg211. Même si la marchandise n’était pas de taille à créer des soldes positifs sur le marché cambrésien, les mulquiniers n’en montraient pas moins quelques opportunités, arrachant aux paysans de menues parcelles212.

148Alors que les citadins ralentissaient leur progression foncière lors de la crise physiocratique déclenchée en 1766-7, les ruraux montraient une réelle capacité à aller de l’avant. Le phénomène prononcé en Flandre wallonne où le volume des soldes positifs avait été multiplié par 1,47, demeurait ralenti dans la province cambrésienne où le croît de 37,3 % était moindre que l’évolution du coût de la vie. En ce sens, la décennie 1760-70 a marqué un élan offensif des campagnards sur le marché des biens-fonds de la région lilloise tandis que ce processus n’avait pas encore débuté dans le Cambrésis.

  • 213 Dans la vallée rhénane, l’endettement moyen, évalué à 720 livres en 1760-89, avait progressé de 29  (...)
  • 214 ADN, E 4289, acte de vente du 24 avril 1772.
  • 215 Cité par P. de Saint-Jacob, « La question des prix en France à la fin de l’Ancien Régime d’après le (...)

149La cherté n’a épargné aucune catégorie socioprofessionnelle, mais les plus humbles, par leur précarité et leur endettement chronique213, en ont payé le plus lourd tribut. Leurs mises en vente furent plus nombreuses, appauvris, journaliers et personnes seules rejetant sur le marché foncier des parcelles minuscules : Catherine Théry, pauvre veuve du village d’Inchy-en-Cambrésis, confirme qu’en 1772, « la mauvaise conjoncture du temps présent l’a réduite dans un estat si déplorable dans la caducité de son âge qu’elle se trouve réduite à la mendicité avec un enfant (...) et n’ayant autres (...) pour s’empescher l’un l’autre de mourir de faim qu’en vendant » 23 ares de terres jardinages214. Il n’est alors pas étonnant qu’une réflexion se soit engagée vers 1770 sur la déplorable situation des manouvriers et la scandaleuse inégalité sociale. Linguet, dans sa Réponse aux docteurs modernes, écrivait du reste : « Le manouvrier reste suspendu entre le cultivateur qui double son gain et le reste des aisés qui s’obstine à laisser les salaires sur l’ancien pied : il périt nécessairement avant que la balance qui vous paroit infaillible soit établie »215.

  • 216 Dans le bureau de Ribemont, la liquidation de la petite propriété mulquinière, entamée dès 1766, at (...)

150Artisans et marchands ont également été de ceux que la cherté a amoindris. Les marchands des villages et bourgs de la châtellenie de Lille, enregistrant une chute de 74 % de leur excédent nominal, virent leur avantage brutalement remis en cause ; pire, en termes de superficie, ils vendaient désormais plus qu’ils achetaient. C’est dire à quel point le malaise était profond. Les Roubaisiens plongeaient à nouveau dans les soldes négatifs, près de 7700 florins : la manufacture, prospère jusqu’en 1766, voyait en effet sa production baisser à 33.000 pièces dans les années suivantes. Les mulquiniers cambrésiens n’étaient, eux aussi, plus en mesure de présenter des bilans positifs216 ; pourtant, si leurs soldes devenaient négatifs, ils demeuraient nombreux à acheter, et si les acquéreurs avaient la sagesse de ne dépenser que quelques centaines de florins, il se trouvait des individus dont la réussite était telle qu’elle ignorait les difficultés du temps, ou du moins ils en profitaient en se pourvoyant de parcelles et de maisons bradées par des propriétaires pressés par leurs créanciers.

151Parmi ceux qui ont bénéficié des difficultés rencontrées dans le monde rural par les plus fragiles, se pressaient les officiers et les rentiers, de la bourgeoisie d’Ancien Régime, du moins ceux de la Flandre wallonne : ceux que la cherté des blés revigorait participaient en effet activement au mouvement des acquisitions, enregistrant un solde positif de 115.000 florins correspondant à plus de 65 hectares. Certes, cette bourgeoisie participait rarement à des opérations de plus de 5000 florins, mais certains d’entre eux parvenaient à multiplier les interventions : Gabriel-Valentin Carpentier, notaire à Haubourdin, parvenait en sept contrats à dépouiller de leurs propriétés petits paysans et artisans en faillite.

  • 217 Les comptes des Chartier montraient que les recettes en 1780-9 avaient crû de 69,1 % par rapport à (...)
  • 218 ADN, Tabellion 7298, acte de vente du 14 janvier 1772.
  • 219 Cité par M-L. Legay, op. cit., p. 345-348.

152L’aristocratie paysanne profitait amplement de la nouvelle conjoncture économique217. Certes, fermiers et laboureurs cambrésiens profitèrent modérément de cette nouvelle donne, mais les riches paysans de la région lilloise furent moins discrets, amassant pas moins de 374 hectares. À vrai dire, les fermiers surent mieux que quiconque tirer leur épingle du jeu. Pourtant moins nombreux dans la société villageoise, ils parvenaient effectivement à soustraire au marché foncier des excédents presque équivalents à ceux des laboureurs. Toutefois, si le rythme de progression des fermiers s’était accéléré, elle n’avait pas changé de nature : si des exploitations agricoles furent achetées, aucune n’excédait dix hectares. Toujours est-il que des censiers n’hésitaient plus à acquérir des petites fermes : ainsi, Pierre-François Lepoutre, puissant censier des Wattines à Linselles, fut intéressé en 1772 par la moitié d’une ferme de 11 hectares218. Du reste, les Etats de Flandre wallonne, sensibles aux effets sociaux de la constitution des grandes propriétés, regrettaient cette tendance dans un courrier du 18 décembre 1775 : « On observe encore que les gros propriétaires sont moins attentifs et moins laborieux, ils se regardent à l’abri des besoins et comme ils sont effectivement plus à leur aise et plus tranquilles que les autres sur tous les événemens par l’abondance de leurs dépouilles, ils ne se pressent pas de vendre leur grain comme le font les fermiers médiocres que la nécessité oblige à porter successivement dans les marchés et ils attendent que les prix soient plus hauts »219.

 

  • 220 G. Béaur, op. cit., p. 215-217.

153Les bas prix des années 1770 furent diversement appréciés par le monde rural. Alors que les campagnes de la région lilloise se montraient moins bien placées dans les échanges, concurrencées qu’elles étaient par les citadins, les villageois du Cambrésis, à l’image de ceux du Janvillois220, montraient un esprit offensif jamais produit à ce niveau : ce n’étaient pas moins de 113 hectares qu’ils avaient ainsi confisqué aux citadins et nobles.

  • 221 Dans le bureau de Janville, le début des années 1780 avait été marqué par un pic remarquable des pr (...)

154Dans ce mouvement, les laboureurs tenaient la corde. En Flandre wallonne, face à l’envolée des excédents citadins, ils démontraient une capacité de résistance plus grande que les fermiers dépendants des fluctuations des prix céréaliers. Si l’aristocratie paysanne cambrésienne n’achetait aucune ferme, elle tirait grand profit de la conjoncture, en particulier les laboureurs dont les soldes positifs, en termes de superficie, avaient doublé par rapport au début des années 1770221. Comme à l'accoutumée, la marchandise profitait des bas prix pour investir davantage sur le marché foncier tandis que les officiers étaient en position de recul. Pourtant, si le mouvement ressemblait à ce qui avait été constaté dans les villes, les excédents réalisés par les marchands ruraux demeuraient timides, ne dépassant pas 26.000 florins. Ceux-ci se limitaient souvent à des opérations moyennes, à l’image de Mathieu-François Rohart, marchand du village flamand de Premesques qui, en cinq acquisitions, n’avait amassé que 6100 florins de biens.

 

155Le début de la période révolutionnaire, qui arrivait après une période de hausse des prix céréaliers brutalement accélérée en 1788-9, ébranla l’offensive rurale du Cambrésis et la bonne résistance des campagnes flamandes à la conquête du sol par les citadins. Dans la province cambrésienne, l’effondrement des soldes positifs en 1790-1 était spectaculaire puisqu’ils avaient chuté de 74,3 % en valeur déflatée. Pourtant se maintenaient des soldes positifs face à des citadins qui, il est vrai, n’ont jamais représenté une grande menace sur ce marché dominé par la paysannerie aisée. En revanche, la situation était difficile dans la région lilloise où la vive concurrence du monde urbain, alliée aux difficultés conjoncturelles, finissait de fragiliser les campagnes dont les bilans fonciers tombaient à-136 hectares. C’est dire à quel point les premières années de la Révolution furent un cataclysme pour les villageois.

  • 222 Dans le bureau d’Amboise, l’année 1791 marquait une réduction forte de la place de la paysannerie d (...)
  • 223 ADN, Tabellion 1570, acte de vente du 24 novembre 1791.
  • 224 Cité dans S. Lescure, La ferme Lepoutre de Linselles dans son terroir et son contexte économique à (...)
  • 225 G. Lefebvre, Les paysans du Nord pendant la Révolution française, Paris, A. Colin, 1972, p. 425-448

156Pour la paysannerie, le repli était sévère222. Les journaliers, les plus sensibles aux aléas conjoncturels, n’ont pas été épargnés par la montée des prix, le cercle vicieux de l’endettement et de la liquidation de la propriété foncière étant à nouveau mise en branle. Cependant, si profonde que fût la misère des manouvriers, elle n’occasionnait pas une grande déperdition compte tenu de la modestie de leurs possessions. C’est dire que leur comportement ne portait guère à conséquence sur le solde général des affaires réalisées par les ruraux. L’aristocratie paysanne n’était pas épargnée non plus par le malheur des temps. Dans la région lilloise, si les laboureurs, malgré un effondrement des deux tiers du volume nominal de leur solde foncier, réussissaient à maintenir une présence non négligeable parmi les acquéreurs, les fermiers faisaient face à une situation de crise rarement atteinte, enregistrant un solde négatif de 88 hectares. Le processus de dépossession était d’autant plus remarquable qu’il ne portait pas seulement sur le petit parcellaire, mais aussi sur de grandes parcelles et même des exploitations entières : à Ennetières-en-Weppes, Gaspard-François Brame abandonnait pour 25.600 florins une ferme de près de quinze hectares223. L’effondrement des prix en 1791 ne suffit pas expliquer ce « sauve-qui-peut », mais il est ressenti avec d’autant plus d’âpreté qu’il est conjugué avec des fermages situés à leur zénith et un capital foncier dont la valeur vénale s’est érodée. Les cas de faillites et les difficultés de paiement des loyers n’étaient dès lors plus rares : dans un courrier du 13 novembre 1789, Pierre-François Lepoutre, retenu à Paris pour y exercer son rôle de député du Tiers Etat, s’inquiétait auprès de son épouse, restée à la ferme des Wattines à Linselles, de l’empressement de M. Legrand, régisseur du propriétaire, M. de Forest de Carteville, à se faire payer les fermages et estimait qu’il ne pouvait pas croire que le propriétaire « seroit de mauvais humeur pour un surcy de paiement de quelques mois »224. Dans le Cambrésis, les difficultés n’ont pas non plus épargné les paysans les plus riches puisque fermiers et laboureurs ont subi une érosion de leurs avantages sur le marché foncier. Même si les censiers présentaient une situation plus avenante, ils n’en paraissaient pas moins fragilisés. Pourtant, la résistance dont témoignait l’aristocratie paysanne dans les premiers temps de la Révolution, justifiait assez bien leur capacité à intercepter une part notable des biens nationaux de première origine225.

  • 226 Entre 1787 et 1789, la production lainière de la manufacture de Roubaix s’était effondrée de 36 %. (...)

157Agressés par la crise manufacturière déclarée en 1787226, les artisans se montraient également sur la défensive, soit qu’ils révisassent leur avantage à la baisse, soit qu’ils subissent une aggravation de la liquidation de leurs possessions. Les officiers et rentiers étaient eux aussi en position de repli, la forte inflation mettant dans l’embarras ceux dont les revenus étaient entamés par la hausse des prix.

  • 227 Dans le Domfrontais, les grands bénéficiaires du commerce de la terre pendant la Révolution furent (...)

158En fait, seuls les marchands ruraux avaient, dans la région lilloise, augmenté leurs profits fonciers, multipliés par cinq par rapport au début de la décennie précédente227. Avec un avantage de 130.000 florins correspondant à 53 hectares, ils étaient même les plus entreprenants. Il est vrai que la diminution de la valeur vénale des terres suscitait logiquement une hausse du taux de rentabilité du capital investi. La captation des biens fonciers était aussi facilitée par le défaut des fermiers et des laboureurs qui offraient à l’ordinaire une vive concurrence sur les parcelles petites et moyennes d’autant que la bourgeoisie citadine contrôlait assez mal ce marché qui bénéficiait d’une publicité limitée. En ce sens, ils tiraient le bénéfice maximal de leur proximité géographique avec les petits biens mis en branle.

Notes

1 À Saint-Victor-de-la-Coste, dans le Languedoc, on comptait moins de cinq ventes par an entre 1661 et 1693, le nombre de transactions ayant même tendance à baisser à l’approche de l’année 1690. E. Pelaquier, De la maison du père à la maison commune. Saint-Victor-de-la-Coste (1661-1799), PU. Montpellier, 1996, p. 284.287 ; repris dans « Les mutations foncières à Saint-Victor-de-la-Coste à travers la pratique notariale (1661-1799) », dans J-L. Laffont éd., Le notaire, le paysan et la terre dans la France méridionale à l’époque moderne, PU. Mirail, 1999, p. 131-159.

2 ADN, E 953, Répertoire des embrefs passés durant l’échevinage de Catillon, 1648-1729.

3 D. Leclercq, Ville et baronnie de Cysoing au XVIIIe siècle, Université de Lille 3, mémoire de maîtrise, 1971, p. 48-51.

4 J-J. Crampon, Lille et son plat pays de 1708 à 1713, Université de Lille 3, DES, 1959, p. 72-286.

5 À partir de 1712, de nombreuses seigneuries et grosses propriétés changeaient aussi de mains dans l’Amiénois. P. Deyon, op. cit., p. 241.

6 À Saint-Victor-de-la-Coste, les prix restèrent stationnaires dès 1660 et ne dépassèrent jamais 20 livres l’eyminée (un eyminée équivaut environ à un are), jusqu’en 1715 au moins. E. Pelaquier, op. cit., p. 64-65.

7 À Montigny, les écarts de croissance étaient certes moins spectaculaires entre les prix moyens de la mencaudée de labour et de jardin, mais ils étaient bien présents : entre les décennies 1680 et 1700, l’inflation était de l’ordre de 5 % pour les jardins alors qu’elle était stabilisée autour d’1 % en ce qui concerne les champs. L. Vardi, The land and the loom. Peasants and profit in Northern France. 1680-1800, Duke University Press, 1993, p. 56.

8 Après une croissance forte entre 1675 et 1685, le prix de la terre se stabilisa jusqu’en 1715 entre 300 et 350 livres tournois pour un hectare. P. Vandewalle, « Le marché immobilier dans la région de Dunkerque, 1590-1900 », dans M. Dorban, P. Servais éd., Les mouvements longs des marchés immobiliers ruraux et urbains en Europe (XVIe – XIXe siècles), Louvain, Académia, 1994, p. 9-29.

9 Entre 1681 et 1699, l’hectare de terre passait de 165 à 289 livres tournois. J-M. Constant, Nobles et paysans en Beauce aux XVIe et XVIIe siècles, Service de Reproduction des Thèses, 1981, p. 114-120.

10 En Picardie, il s’est passé entre 9 et 10 années entre la baisse des mercuriales après la crise de 1661-2 et la stabilisation ou le recul de la rente foncière perçue par l’Hôtel-dieu d’Amiens. P Deyon, Contribution à l’étude des revenus fonciers en Picardie. Les fermages de l’Hôtel-dieu d’Amiens et leurs variations de 1515 à 1789, Lille, Librairie René Girard, 1967, p. 72-76.

11 J. Garnier, Bourgeoisie et propriété immobilière en Forez aux XVIIe et XVIIIe siècles, Saint-Etienne, Centre d’Etudes Foréziennes, 1982, p. 446-449.

12 L. Vardi, op. cit., p. 65-86.

13 Le rendement très élevé en 1675, de l’ordre de 7,7 % du capital investi, s’effondrait sous la barre de 5,8 % après la décennie 1680. P. Vandewalle, loc. cit, dans M. Dordan, P. Servais éd., op. cit., p. 9-29.

14 Dans la Bourgogne du Nord, la conjoncture était encore favorable au milieu des années 1680. En effet, à cette date, l’hectare qui coûtait une cinquantaine de livres en moyenne, était encore d’un rapport de 6 à 7 %. P. de Saint-Jacob, Les paysans de la Bourgogne du Nord au dernier siècle de l’Ancien Régime, Paris, Belles Lettres, 1960, rééd. 1995, p. 167.

15 Au cours de la décennie 1690, la rentabilité d’une ferme beauceronne de 71 hectares s’élevait globalement à 5,9 %, J-M. Constant, op. cit., p 120-123.

16 L. Vardi, op. cit., p. 65-86.

17 F. Charlet, C. Lecompte, Revenus, salaires, profits dans les Flandres sous l’Ancien Régime d’après les revenus de l’Hôpital Comtesse, Université de Lille 3, mémoire de maîtrise, 1969, p. 59.

18 H. Neveux, « La production céréalière dans une région frontalière : le Cambrésis du XVe au XVIIIe siècle. Bilan Provisoire », Les fluctuations du produit de la dîme. Conjoncture décennale et domaniale de la fin du moyen âge au XVIIIe siècle, 1972, p. 58-66.

19 Le capital foncier des Hangouart, d’une valeur de 800.000 florins, s’étendait sur 400 hectares dispersés dans toute la province de Flandre wallonne, l’Artois, le Hainaut et le Brabant. C. Fleury, Les Hangouart, une famille noble lilloise aux XVIIe et XVIIIe siècle, Université de Lille 3, mémoire de maîtrise, 1999, p. 57-58 ; repris dans « Les Hangouart, une famille noble lilloise et ses propriétés rurales aux XVIIe et XVIIIe siècles », Revue du Nord, janvier – mars 2004, p. 59-97.

20 Dans la châtellenie de Bergues, la noblesse vendait de façon massive entre 1685 et 1695, les superficies délaissées atteignant 20 % du total échangé. P. Vandewalle, loc. cit., dans M. Dorban, P. Servais éd., op. cit., p. 9-29, repris dans Quatre siècles d’agriculture dans la région de Dunkerque (1590-1990). Une étude statistique, Gand, Centre belge d’Histoire Rurale, no 110, 1994, p. 146-152.

21 D. Leclercq, op. cit., p. 81-87.

22 C. Fleury, op. cit., p. 54-56.

23 S. Vigneron, « Propriété espagnole et frontière franco-belge : l’exemple de la châtellenie de Lille de 1668 à 1697 », Revue du Nord, no 330, avril - juin 1999, p. 247-265.

24 ADN, Tabellion 3624, acte de vente du 21 avril 1672.

25 ADN, Tabellion 1971, acte de vente du 23 décembre 1671.

26 ADN, Tabellion 987, acte de vente du 4 décembre 1691.

27 ADN, Tabellion 3911, acte de vente du 13 mai 1692.

28 ADN, Tabellion 2522, acte de vente du 20 mars 1694.

29 A. Houzé de l’Aulnoit, La finance d’un bourgeois de Lille au XVIIe siècle. Livre de raison de François-Daniel le Comte, escuyer, conseiller, secrétaire du Roi, maison et couronne de France (1664-1717), Lille, imp. L. Danel, 1889, p. 51-68.

30 En 1665, la population urbaine représentait 38,5 % des participants du jeu foncier ; elle n’était déjà plus que 32,8 %, dix années plus tard. P. Vandewalle, op. cit., p. 444.

31 J. Garnier, op. cit., p. 106-107.

32 Alors que la bourgeoisie d’office était en position de repli entre 1641 et 1662, les marchands, réalisant 37 acquisitions de plus que de ventes, enregistraient un solde positif de près de 20.000 livres. Ibidem, p. 110-120.

33 ADN, Tabellion 192, acte de vente du 1er juillet 1681.

34 J. Garnier, op. cit., p. 275.

35 Ibidem, p. 229.

36 Issu de la bourgeoise marchande, Jacques Le Brun multiplia les achats de domaines nobles, avant de se porter acquéreur d’un office anoblissant en 1676. A. Soulabaille, Guingamp sous l’Ancien Régime, PU. Rennes, 1999, p. 221-302.

37 ADN, Tabellion 3901, acte de vente du 7 février 1682.

38 Entre 1641 et 1662, le groupe hétéroclite des métiers stéphanois enregistrait une « perte » de plus de 6000 livres. J. Garnier, op. cit., p. 121-123.

39 ADN, 3 G 803, acte de vente du 29 août 1692.

40 M. Knockaert, La Draperie d’Armentières des origines au XVIIe siècle, Université de Lille III, DES, 1955, p. 24-32.

41 ADN, Tabellion 7021, acte de vente du 8 mai 1681.

42 J. Jacquart, op. cit., p. 1005-1007.

43 P. Vandewalle, op. cit., p. 444.

44 Entre 1690 et 1715, les négociants malouins ont profité de leur enrichissement pour investir dans la terre, construisant notamment de nombreuses « malouinières ». A. Lespagnol, Messieurs de Saint-Malo. Une élite négociante au temps de Louis XIV, Saint-Malo, Editions L’Ancre de Marine, 1990, p. 744-754.

45 Entre 1683 et 1698, les excédents des bourgeois de Saint-Etienne, consécutifs à un surplus de quatre achats sur les ventes, se chiffraient seulement à 4486 livres. J. Garnier, op. cit., p. 106-107.

46 ADN, Tabellion 681, acte de vente du 11 juin 1701.

47 Alors qu’en 1665, les ruraux comprenaient 53 % des acteurs, ils étaient bien moins représentés en 1715, puisque trois contractants sur quatre résidaient alors en dehors des villes. P. Vandewalle, op. cit., p. 146-152.

48 Les affaires signées entre ruraux représentaient rarement plus de 70 % de l’activité. J-M. Boehler, Une société rurale en milieu rhénan : la paysannerie de la plaine d’Alsace (1648-1789), PU. Strasbourg, 1995, p. 607.

49 En 1649, la confrontation achat - vente laissait entrevoir un solde négatif de 2148 livres tournois jamais atteint par la suite. Ibidem, p. 2276-2277.

50 Dans le Béthunois, la situation fut même catastrophique, la paysannerie forte de la moitié du sol au milieu du XVIe siècle, n’en détenant plus que 36 % en 1663 ; le déclin se poursuivait encore jusqu’au début du XVIIIe siècle puisqu’en 1722, elle n’était plus à la tête que de 28,9 % des terres. D. Rosselle, op. cit., p. 263-269.

51 J. Jacquart, op. cit, p. 955-966.

52 Ibidem, p. 966.

53 Ibidem, p. 966-976.

54 ADN, Tabellion 968, acte de vente du 7 janvier 1672.

55 J. Jacquart, op. cit., p. 978.

56 J-M. Moriceau, Les fermiers de l’Ile-de-France (XVe - XVIIIe siècle), Paris, Fayard, 1994, p. 587-589.

57 J-M. Moriceau, op. cit., p. 587-589.

58 J-M. Boehler, op. cit., p. 2276-2277.

59 Cité par J. Bruniau, L’abbaye de Saint-Aubert au XVIIIe siècle, Université de Lille 3, mémoire de maîtrise, 1983, p. 85.

60 ADN, 7 G 748, acte de vente du 5 février 1712.

61 P. De Saint-Jacob, op. cit., p. 186.

62 A. Houzé de l’Aulnoit, op. cit., p. 97.

63 AN, G 7-259, 1699. Cité par A. Lottin, Vie et mentalité d’un Lillois sous Louis XIV, Lille, E. Raoust, p. 114.

64 J-M. Moriceau, op. cit., p. 589-592.

65 ADN, Tabellion 1994, acte de vente du 6 août 1692.

66 A. de Saint léger, « La rivalité industrielle entre la ville de Lille et le plat pays et l’arrêt du conseil de 1762 relatif au droit de fabriquer dans les campagnes », Annales de l’Est et du Nord, 1906, p. 382-386.

67 G. Roupnel, La ville et la campagne au XVIIe siècle. Etude sur les populations du pays dijonnais, Paris, A. Colin, 1955, p. 248.

68 A. Lottin, op. cit., p. 112.

69 Cette corrélation entre crise cyclique et évolution des mutations foncières a fait l’objet de développements dans S. Dontenwill, « Mutations foncières lors des crises de 1652 et 1709 dans l’élection de Roanne. Un exemple d’utilisation des sources notariales dans l’analyse d’une crise sociale », Actes du 98e CNSS (Saint-Etienne, 1973). Histoire moderne et contemporaine, tome 2, Paris, 1975, p. 29-53.

70 A. Lottin, op. cit., p. 113.

71 J. Garnier, op. cit., p. 131-133.

72 G. Levi, Le pouvoir au village. Histoire d’un exorciste dans le Piémont du XVIIe siècle, Paris, Gallimard, 1989, p. 174-178.

73 En 1693, près de 13.000 personnes étaient inscrites à Lille sur les rôles de secours sur une population de 55.000 habitants. D. Quaegebeur, Paupérisme et assistance à Lille au XVIIe siècle, Université de Lille III, mémoire de maîtrise, 1969, p. 32.

74 S. Dontenwill, loc. cit., Actes du 98e CNSS, p. 29-53.

75 P. Deyon, Amiens, capitale provinciale…, p. 239.

76 Le mécanisme d’appropriation mis en branle par le notaire limousin Terrade n’était guère différent pendant les années pénibles de la fin du XVIe siècle. N. Lemaitre, Le scribe et le mage. Notaires et société rurale en Bas-Limousin aux XVIe et XVIIe siècles, Paris, 2000, p. 33-55.

77 AM. Lille, Affaires Générales 148, dossier 17.

78 G. Béaur, Histoire agraire de la France au XVIIIe siècle, Paris, SEDES, 2000, p. 31-33.

79 G. Frêche, Toulouse et la région Midi-Pyrénées au siècle des Lumières vers 1670-1789, Paris, Ed. Cujas, 1974, p. 473-476.

80 J-M. Moriceau, G. Postel-Vinay, Ferme, entreprise, famille. Grande exploitation et changements agricoles (XVIIe -XIXe siècles), Paris, EHESS, 1994, p. 37.

81 G. Frêche, op. cit., p. 473.

82 Cette corrélation entre les deux mouvements a été analysée précisément dans J. Garnier, op. cit., p. 104-106.

83 A-L. Defromont, L’Avesnois au 18e siècle. Contribution à l’étude des sociétés rurales, Université de Lille 3, Doctorat inédit, 1972, p. 252.

84 Dans la Bourgogne du Nord, le marché foncier qui s’était redressé en 1718, au point de retrouver son niveau des premières années du XVIIIe siècle, s’était tassé en 1721 et 1722. P. de Saint-Jacob, op. cit., p. 220-227.

85 A. Contis, Graulhet au 18e siècle : familles, fortunes, mentalités, Université de Toulouse II, Doctorat inédit, 1985, p. 479.

86 Dans le village de Saint-Victor-de-la-Coste, l’eyminée de terre, soit moins d’un are, était demeurée environ à 20 livres. E. Pelaquier, op. cit., p. 64-65.

87 Alors que la rasière de champs valait 138 livres du Hainaut entre 1727 et 1740, elle passait à 218 livres en 1750-7. A.-L. Defromont, op. cit., p. 707.

88 P. Vandewalle, op. cit., p. 152-153.

89 Les dîmes du chapitre Saint-Géry, fortes de 163 muids de froment en moyenne entre 1720 et 1725, avaient cru de 4,8 % en 1752-7. H. Neveux, loc. cit., Les fluctuations du produit de la dîme, p. 58-66.

90 M. Morineau, Les faux-semblants d’un démarrage économique : agriculture et démographie en France au XVIIIe siècle, Paris, A. Colin, 1970, p. 97-106.

91 P. Vandewalle, op. cit., p. 261-268.

92 Ibidem, p. 214-217.

93 C. Fleury, op. cit., p. 75.

94 Cette croissance des fermages nominaux intervenait plus tardivement dans le Forez à partir des années 1740. J. Garnier, op. cit., p. 449-451.

95 L. Vardi, op. cit., p. 80.

96 La noblesse représentait 0,8 à 2,5 % des investissements entre 1720 et 1750. P. Jarnoux, Les bourgeois et la terre. Activités, fortunes, stratégies foncières à Rennes au XVIIIe siècle, PU. Rennes, 1996, p. 313.

97 C. Fleury, op. cit., p. 114.

98 ADN, 8559, Etat des biens et des revenus de Pierre-Louis-Joseph Jacobs, 1731.

99 Dans la région narbonnaise, les pertes subies par la noblesse restaient modérées jusqu’en 1740-50. G. Larguier, « Le marché immobilier et foncier narbonnais en 1789 : atonie d’une ville, difficulté de la noblesse », Annales du Midi, no 188, octobre - décembre 1989, p. 398.

100 P. Vandewalle, op. cit., p. 146-148.

101 P. de Saint-Jacob, op. cit., p. 235.

102 À Amiens, les constitutions étaient conclues à des taux de plus en plus faibles, le denier 30 en mars 1720, le denier 75 en octobre. P. Deyon, op. cit., p. 231-232

103 C. Fleury, op. cit., p. 41-70.

104 ADN, 2 E 26-98, Répertoire du 10 février 1739.

105 ADN, Tabellion 3224, acte de vente du 18 avril 1742.

106 P. Jarnoux, op. cit., p. 316.

107 S. Vigneron, « Elite urbaine et propriétés au XVIIIe siècle : Les Lallier de Cambrai », Histoire Urbaine, no 15, mars 2006, p. 115-136.

108 À Paris, le crédit privé connut une phase continue d’expansion de 1726 à 1789. P. T. Hoffman, G. Postel-Vinay, J-L. Rosenthal, Des marchés sans prix. Une économie politique du crédit à Paris, 1660-1870, Paris, EHESS, 2001, p. 127-145. Dans la région de Maubeuge, le marché du crédit progressait au rythme moyen de 2 % par an au cours du XVIIIe siècle. G. Postel-Vinay, La terre et l’argent. L’agriculture et le crédit en France du XVIIIe siècle au début du XXe siècle, Paris, Albin Michel, 1998, p. 132-136.

109 D. Doudelet, Démographie, société et économie à Lannoy au XVIIIe siècle, Université de Lille 3, mémoire de maîtrise, 1999, p. 97-106.

110 G. Béaur, op. cit., p. 38-42.

111 A. Poitrineau, La vie rurale en Basse Auvergne au XVIIIe siècle (1726-1789), Paris, PUF, 1965, p. 486-496.

112 Dans le pays d’Auge, le processus de rachat des constitutions de rente s’est accéléré en octobre 1720. J. Jambre, « Le système de Law dans les campagnes. L’exemple du pays d’Auge », Annales de Normandie, no 2 : À travers les campagnes normandes mai 2000, p. 297-320.

113 Réduites à moins de 29 % du sol, les possessions paysannes se redressèrent dans la région proche de Béthune au point de couvrir 35,3 % des terres en 1777. D. Rosselle, op. cit., p. 263-270.

114 À Isbergues, le temps de la conquête eut bien lieu de 1720 à 1730, les superficies détenues par la paysannerie passant de 19 à 30 % du sol. C. Pouyez, Une communauté rurale d’Artois. Isbergues (1598-1826), Université de Lille 3, Doctorat inédit, 1972, p. 409-412.

115 ADN, C Registre 1529, Rôle du vingtième de Chemy, 1735.

116 ADN, Tabellion 7189, acte de vente du 21 mars 1741.

117 P. Jarnoux, op. cit., p. 245.

118 A-L. Defromont, op. cit., p. 245.

119 À Isbergues, les superficies acquises par les manouvriers entre 1718 et 1730 étaient trois fois plus petites que celles des fermiers. C. Pouyez, op. cit., p. 418.

120 ADN, E 964, acte de vente du 28 juin 1741.

121 A-L. Defromont, op. cit., p. 244.

122 A. Fillon, Louis Simon, Villageois de l’ancienne France, Rennes, Ed. Ouest-France, 1996, p. 237.

123 J. Garnier, op. cit., p. 106-107.

124 D. Terrier, Les deux âges de la proto-industrie. Les tisserands du Cambrésis et du Saint-Quentinois. 1730-1880, Paris, EHESS, 1996, p. 125-126.

125 Enregistrant 54 ventes par an au milieu du siècle, les notaires de Graulhet paraphèrent 76 actes par an après 1770. A. Contis, « Graulhet au XVIIIe siècle : les fortunes foncières », dans R. Plessix, J-P. Poussou éd., Les petites villes françaises du XVIIIe siècle au début du XXe siècle, Mamers, 1998, p. 66 – 67.

126 D. Zumkeller, Le paysan et la terre. Agriculture et structure agraire à Genève au XVIIIe siècle, Genève, Editions du Passé Présent, 1992, p. 145-148.

127 Dans le bureau de la Fère, le volume des transactions s’était fortement élevé dans la décennie 1770. M. Hamon, D. Perrin, Au cœur du XVIIIe siècle industriel. Condition ouvrière et tradition villageoise à Saint-Gobain, éd. PAU, 1993, p. 515-516.

128 En dix années de 1760 à 1769, un tiers des terres de Montigny avait changé de mains tandis que le rythme de la mobilité n’était que de 5 % dans les années 1730. L. Vardi, op. cit. p. 55-64.

129 G. Béaur, op. cit., p. 105-108.

130 A. Jollet, Terre et société en Révolution. Approche du lien social dans la région d’Amboise, Paris, CTHS, 2000, p. 258.

131 G. Béaur, op. cit. p. 252-257.

132 P. Vandewalle, op. cit. p. 448.

133 Le prix d’une mencaudée de labours était passé de l’indice 242 en 1760-9 à 481 dans la dernière décennie de l’Ancien Régime, sachant que la base 100 avait été établie dans les premières années du XVIIIe siècle. L. Vardi, op. cit., p. 57.

134 D. Terrier, op. cit., p. 34-41.

135 L’expérience physiocratique avait amené les labours à des prix de 15 à 20 % plus élevés qu’en 1767-8. P. de Saint Jacob, op. cit., p. 393.

136 P. de Saint-Jacob, op. cit., p. 384.

137 Démarré en 1771, l’élan des prix fonciers y avait été important puisque, de 150 livres, l’hectare de labours y était passé à 280 livres à l’aube des années 1780. D. Terrier, op. cit., p. 127-128.

138 Si l’on se réfère à l’enquête beauceronne, l’avantage tiré par le prix des terres correspondait surtout à la période 1771-5. G. Béaur, op. cit., p. 257-261.

139 À Camembert, le prix de la vergée de terre baissa dans les années 1780 après l’inflation remarquable de la décennie précédente. S. Weil, « Le marché foncier à Camembert (1752-1790) », Annales de Normandie, septembre 2001, p. 331-355.

140 P. de Saint-Jacob, op. cit., p. 485.

141 Dans la châtellenie de Bergues, le prix de la viande de vache était passé de 123 livres à presque 153 livres par tête en 1786. P. Vandewalle, op. cit., p. 522-525.

142 Dans le Luxembourg, le prix des jardins avait doublé dans la seconde moitié du XVIIIe siècle. M. Dorban, « Marché immobilier luxembourgeois au » XVIIIe siècle : indice des prix et paysannerie en mutation », dans M. Dorban, P. Servais éd., op. cit., p. 31-46.

143 E. Le Roy Ladurie et J. Goy ont distingué trois catégories en fonction de l’intensité de la croissance régionale. Le groupe I correspond aux régions non concernées par l’essor du XVIIIe siècle alors que les zones moyennes présentant 20 % à 25 % de croissance étaient regroupées dans la seconde catégorie. E. Le Roy Ladurie, J. Goy, « Première esquisse d’une conjoncture du produit décimal et domanial. Fin du Moyen Age – XVIIIe siècle », dans J. Goy, E. Le Roy Ladurie éd., Les fluctuations du produit de la dîme, Paris, Mouton, 1972, p. 369.

144 H. Neveux, loc. cit., dans J. Goy, E. Le Roy Ladurie éd., op. cit., p. 58-66.

145 Limités à 1200 litres de froment par hectare au milieu du siècle, les rendements céréaliers se sont élevés dans la Flandre maritime jusqu'à atteindre 2000 litres en 1795. P. Vandewalle, op. cit., p. 261-268.

146 La hausse était surtout sensible à l’Est de la ligne Rouen - Perpignan d’après David R. Weir, « Les crises économiques et les origines de la Révolution française », AESC, 1991, p. 917-947.

147 L. Michel, « Quelques données sur le mouvement de la rente foncière en Anjou, du milieu du XVIIe siècle à la Révolution », dans Prestations paysannes, dîmes, rente foncière et mouvement de la production agricole à l’époque préindustrielle, 1977, p. 607-624.

148 G. Béaur, op. cit., p. 262-268 ; repris dans « Le mouvement annuel de la rente foncière chartraine, 1760-1780 », dans Prestations paysannes…, p. 491-501.

149 L’enquête menée par E. Le Roy Ladurie et B. Veyrassat-Herren témoigne d’une augmentation de 52,9 % des fermages des terres entre 1760 et 1790. E. Le Roy Ladurie, B. Veyrassat-Herren, « La rente foncière autour de Paris au XVIIe siècle », AESC, mai - juin 1968, p. 541-555.

150 G. Postel-Vinay, La rente foncière dans le capitalisme agricole, Paris, 1974, p. 89.

151 F. Charlet, C. Lecompte, op. cit., p. 44-59.

152 L. Vardi, op. cit., p. 80.

153 D. Leclercq, op. cit., p. 60-65.

154 G. Béaur, op. cit., p. 268-273.

155 A. Houzé de l’Aulnoit, op. cit., p. 104.

156 F. Charlet, C. Lecompte, op. cit., p. 44.

157 G. Béaur, op. cit., p. 300-312.

158 P. de Saint Jacob, op. cit., p. 389.

159 J. Nicolas, op. cit., p. 724-725.

160 Alors que le marasme s’installait dans les campagnes pendant la guerre de Sept ans, la rentabilité des fonds, pour déclinante qu’elle fût, restait à 3 % par an. P. de Saint Jacob, op. cit., p. 316-317.

161 G. Béaur, op. cit., p. 312-318.

162 Après les années 1760, la noblesse réalisait moins de 2 % des ventes contractées dans la châtellenie de Bergues. P. Vandewalle, op. cit., p. 444.

163 E. Lambert, « Le marché foncier et la noblesse dans la région de Vassy (Normandie, 1760-1789) », Histoire & Mesure, 2002, p. 163-199.

164 Si le nombre de propriétés abandonnées à d’autres groupes sociaux avait au moins doublé en 1769-77 par rapport au milieu du siècle dans la région stéphanoise, son volume s’était stabilisé autour de 250 livres. Dans la région de Montbrison, la noblesse achetait même plus qu’elle vendait, mais des plus petites parcelles. J. Garnier, op. cit., p. 122-123.

165 G. Larguier, loc. cit., Annales du Midi, octobre - décembre 1989, p. 398-401.

166 En 1769, la confrontation achat - vente faisait montre d’un bilan équilibré des opérations foncières de la noblesse. En revanche, dix années plus tard, le renversement de tendance était impressionnant, le groupe privilégié enregistrant un solde négatif de 61.800 livres tournois. J-M. Boehler, op. cit., p. 2276-2277.

167 D. Leclercq, op. cit., p. 81-87.

168 L. Boucot, Une famille de gentilhommes lillois au XVIIIe siècle : la famille Hespel, Université de Lille III, DES, 1954, p. 70.

169 H. Couvreur., M. Montagne, La noblesse de la châtellenie de Lille à la fin de l’Ancien Régime, Université de Lille 3, mémoire de maîtrise, 1970, p. 213.

170 M. Figeac, op. cit., p. 23.

171 C. Fleury, op. cit., p. 81.

172 M. Vovelle, « Propriété et exploitation dans quelques communes beauceronnes à la fin du XVIIIe siècle et au début du XIXe siècle », Mémoires de Société Archéologique d’Eure-et-Loire, Chartres, 1961

173 M. Figeac, op. cit., p. 109-114.

174 En 1791, l’un des principaux impacts du phénomène révolutionnaire fut le recul des ordres privilégiés. A. Jollet, op. cit., p. 265-266.

175 P. Guignet, Le pouvoir dans la ville au 18e siècle. Pratiques politiques, notabilité et éthique sociale de part et d’autre de la frontière franco-belge, Paris, EHESS, 1990, p. 470-475.

176 L. Boucot, op. cit., p. 102-109.

177 Alors que le poids des Amboisiens dans l’ensemble des mutations était très lourd en 1780, plus du tiers des vendeurs et 42 % des acheteurs, il s’était fortement réduit en 1811 puisque les citadins n’y occupaient plus qu’un quart des vendeurs et un cinquième des acteurs. A. Jollet, op. cit., p. 304-307.

178 Après la chute de la représentation des « bourgeois » dans l’activité du marché de la châtellenie de Bergues dans le premier XVIIIe siècle, les citadins retrouvèrent par la suite une position plus importante, voire majoritaire, dans les échanges au point d’égaler, et même parfois dépasser, les niveaux du milieu du XVIIe siècle. P. Vandewalle, op. cit., p. 444.

179 A. Jollet, op. cit., p. 306.

180 D. Zumbeller, op. cit., p. 150.

181 J. Nicolas, op. cit., p. 742-748.

182 Cette tendance était perceptible en Beauce, surtout dans la région janvilloise. G. Béaur, op. cit., p. 206-217.

183 P. Jarnoux, op. cit., p. 317.

184 Ibidem, p. 317-318.

185 ADN, Tabellion 4663, acte de vente du 2 octobre 1762.

186 M-L. Legay, L’Etat royal et les provinces septentrionales : le pouvoir administratif et politique des Etats provinciaux de Louis XIV à la Révolution (Artois, Cambrésis, Flandre Wallonne. 1690 - 1790), p. 82-87.

187 Le comportement des Orléanais et des Chartrains sur le marché foncier beauceron était comparable à un désengagement quand s’ouvrit la crise de 1767-8. G. Béaur, op. cit., p. 206-217.

188 À Assomption au Québec, le comportement des marchands était toujours à la réduction des achats quand la conjoncture était mauvaise. L. Saint Georges, « Marché foncier et crédit dans l’espace micro-régional de l’Assomption au XVIIIe et XIXe siècle », dans M. Dorban, P. Servais éd., op. cit., p. 95-108.

189 ADN, 7 G 952, acte de vente du 15 octobre 1772.

190 G. Frêche, op. cit., p. 568-571.

191 M-L. Legay, op. cit., p. 82-87.

192 G. Béaur, op. cit., p. 206-217.

193 « Les citadins accusent le coup du sort que représente pour eux une période de bonne santé économique ». Ibidem, p. 214-215.

194 Ce profil est très comparable à celui de Narbonne dont les ventes l’emportaient presque notamment sur les achats après 1779. G. Larguier, loc. cit., Annales du Midi, octobre - décembre 1989, p. 375-409.

195 J. Garnier, op. cit., p. 106-120.

196 AM. Le Cateau, FF52, acte de vente du 26 septembre 1782.

197 Dans le Roannais, dès 1771, « les marchands sont à égalité avec les officiers et les hommes de loi ». S. Dontenwill, Du terroir au pays et à la région. Les espaces sociaux en Roannais à l’époque préindustrielle (milieu du XVIIe – fin du XVIIIe siècle), PU. Saint-Etienne, 1997, p. 351.

198 Contrairement à la situation lilloise où les excédents étaient désormais partagés entre les deux bourgeoisies, seuls les négociants stéphanois se montraient conquérants à la campagne. J. Garnier, op. cit., p. 110-125.

199 ADN, Tabellion 743, acte de vente du 20 septembre 1781.

200 ADN, E 2294-33, Papiers de famille Hangouart.

201 Ce processus d’accroissement de la place des ruraux dans le jeu foncier était également de mise dans la vallée rhénane. J-M. Boehler, op. cit., p. 2276-2277.

202 A. Jollet, op. cit., p. 307-301.

203 J-M. Boehler, op. cit., 607.

204 A. Montigny, le cadre familial était débordé dès les années 1760 dans les ventes. L. Vardi, op. cit., p. 55-64.

205 En Alsace, « à l’intérieur du patrimoine immobilier se dessine une augmentation assez nette des biens fonciers tenus en propriété ». J-M. Boehler, op. cit., p. 1014-1016.

206 À Saint-Victor-de-la-Coste, dans le second XVIIIe siècle, le volume des ventes des bourgeois avait triplé tandis que leurs acquisitions avaient diminué dans le même temps. E. Pélaquier, op. cit., p. 284-287.

207 G. Béaur, op. cit., p. 206-213.

208 Dans le bureau bourguignon de Renêve, l’accroissement du volume du marché était pour l’essentiel alimenté par les laboureurs entre 1755 et 1762. P. de Saint Jacob, « Le mouvement de la propriété dans un village bourguignon à la fin de l’Ancien Régime », RHES, 1948, p. 47-52.

209 Pierre Bordier, laboureur de Lancé, dans le Vendômois, avait multiplié les acquisitions après 1750, et surtout entre 1755 et 1763. J. Vassort, Les papiers d’un laboureur au siècle des Lumières. Pierre Bordier : une culture paysanne, Champ Vallon, 1999, p. 62-69.

210 Après un demi-siècle d’absence, les Chartier firent leur retour sur le marché foncier dans les années 1750. J-M. Moriceau, G. Postel-Vinay, op. cit., p. 146-149.

211 A. de Saint-Léger, loc. cit., Annales de l’Est et du Nord, 1906, p. 481-500.

212 Dans le Saint-Quentinois, après 1760, « les bas prix céréaliers et le niveau élevé de la production manufacturière avaient des effets heureux ». D. Terrier, op. cit., p. 129.

213 Dans la vallée rhénane, l’endettement moyen, évalué à 720 livres en 1760-89, avait progressé de 29 % par rapport aux trois décennies précédentes. J-M. Boehler, op. cit., p. 1180-1183.

214 ADN, E 4289, acte de vente du 24 avril 1772.

215 Cité par P. de Saint-Jacob, « La question des prix en France à la fin de l’Ancien Régime d’après les contemporains », RHES, 1952, p. 133-146.

216 Dans le bureau de Ribemont, la liquidation de la petite propriété mulquinière, entamée dès 1766, atteignait son paroxysme entre 1772 et 1774. D. Terrier, op. cit., p. 129-131.

217 Les comptes des Chartier montraient que les recettes en 1780-9 avaient crû de 69,1 % par rapport à la période 1740-9. L’augmentation du prix des céréales avait alors joué à plein dans cette amélioration de la situation financière de l’exploitation. J-M. Moriceau, G. Postel-Vinay, op. cit., p. 286-289.

218 ADN, Tabellion 7298, acte de vente du 14 janvier 1772.

219 Cité par M-L. Legay, op. cit., p. 345-348.

220 G. Béaur, op. cit., p. 215-217.

221 Dans le bureau de Janville, le début des années 1780 avait été marqué par un pic remarquable des profits fonciers réalisés par les laboureurs. Ibidem, p. 217-222.

222 Dans le bureau d’Amboise, l’année 1791 marquait une réduction forte de la place de la paysannerie dans les échanges. A. Jollet, op. cit., p. 265-266.

223 ADN, Tabellion 1570, acte de vente du 24 novembre 1791.

224 Cité dans S. Lescure, La ferme Lepoutre de Linselles dans son terroir et son contexte économique à la fin du XVIIIe siècle, Université de Lille 3, mémoire de maîtrise, 1997, p. 50.

225 G. Lefebvre, Les paysans du Nord pendant la Révolution française, Paris, A. Colin, 1972, p. 425-448.

226 Entre 1787 et 1789, la production lainière de la manufacture de Roubaix s’était effondrée de 36 %. C. Pétillon, La population de Roubaix. 1740-1889 : une croissance exceptionnelle, Université de Lille 3, Doctorat nouveau régime, 1996, p. 56-59.

227 Dans le Domfrontais, les grands bénéficiaires du commerce de la terre pendant la Révolution furent les marchands. J-C. Martin, « La terre en Révolution », Le Pays Bas-Normand, no 194-196, 1989, p. 241.

Table des illustrations

Titre Tableau no 62 - Conjoncture céréalière et mouvement des biens-fonds dans le Cambrésis et la Flandre wallonne à l’époque de Louis XIV (1671-1712)
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Titre Tableau no 63 - Evolution de la valeur de la terre (en florins) sur le marché foncier du Cambrésis et de la Flandre wallonne à l’époque de Louis XIV (1671-1712)
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Titre Tableau no 64 - Soldes de la noblesse sur le marché foncier du Cambrésis et de la Flandre wallonne à l’époque de Louis XIV (1671-1712)
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Titre Tableau no 65 - Solde des citadins sur le marché foncier du Cambrésis et de la Flandre wallonne à l’époque de Louis XIV (1671-1712)
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Titre Tableau no 66 - Solde des ruraux sur le marché foncier du Cambrésis et de la Flandre wallonne à l’époque de Louis XIV (1671-1712)
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Titre Graphique no 16 - L’activité du marché foncier du Cambrésis et de la Flandre wallonne pendant la crise de subsistances de 1693-4
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Titre Tableau no 67 - Solde des différentes catégories de population sur le marché foncier du Cambrésis et de la Flandre wallonne lors de la crise de 1693-4
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Titre Tableau no 68 - Conjoncture céréalière et mouvement des biens-fonds dans le Cambrésis et la Flandre wallonne dans le premier XVIIIème siècle (1721-1752)
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Titre Tableau no 69 - Solde des nobles sur le marché foncier du Cambrésis et de la Flandre wallonne dans le premier XVIIIe siècle (1721-1752)
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Titre Tableau no 70 - Solde des citadins sur le marché foncier du Cambrésis et de la Flandre wallonne dans le premier XVIIIe siècle (1721-1752)
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Titre Tableau no 71 - Solde des ruraux sur le marché foncier du Cambrésis et de la Flandre wallonne dans le premier XVIIIe siècle (1721-1752)
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Titre Tableau no 72 - Conjoncture céréalière et mouvement des biens-fonds dans le Cambrésis et la Flandre wallonne dans le second XVIIIe siècle (1761-1791)
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Titre Tableau no 73 - Solde des nobles sur le marché foncier du Cambrésis et de la Flandre wallonne dans le second XVIIIe siècle (1761-1791)
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Titre Tableau no 74 - Solde des citadins sur le marché foncier du Cambrésis et de la Flandre wallonne dans le second XVIIIe siècle (1761-1791)
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Titre Tableau no 75 - Solde des ruraux sur le marché foncier du Cambrésis et de la Flandre wallonne dans le second XVIIIe siècle (1761-1791)
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