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La pierre et la terre

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Sylvain Vigneron

Troisième partie. Le marché des biens fonciers de Louis XIV à la Révolution

Chapitre VII. Les acteurs du marché foncier dans la France du Nord au milieu du XVIIIe siècle

Texte intégral

  • 1 Cité par M. Bloch, Les caractères originaux de l’histoire rurale française, Paris, A. Colin, 1999, (...)

1Au siècle des Lumières, la terre a mobilisé l’attention d’une opinion publique naissante, devenant un sujet de discussion à la mode dans les coteries philosophiques, un thème de réflexion et de recherche pour la « secte » physiocratique. Cet intérêt s’appuyait sur une conjoncture favorable qui portait la valeur de la terre à la hausse et lui assignait un rôle essentiel pour accroître le bien-être et le bonheur des contemporains. L’affirmation de Colbert selon laquelle « les familles ne peuvent se maintenir que par des établissements solides en fonds de terre »1 gardait ainsi toute sa valeur dans la société du XVIIIe siècle.

2Tous les individus n’étaient pourtant pas à même de se manifester sur le marché de la terre. L’ancienne noblesse qui possédait souvent ses domaines depuis plusieurs générations n’avait sans doute pas une volonté équivalente à celle de la bourgeoisie d’acheter des terres et des seigneuries dont la détention grandissait le prestige d’une famille, désireuse d’abandonner définitivement l’habit du marchand pour celui plus considéré de noble. Afin de dégager les comportements des ruraux et des citadins, il paraît donc utile d’extraire les privilégiés du manège foncier et de préciser leurs orientations.

Les privilégiés : une place marginale sur les marchés fonciers ?

3La puissance foncière des ordres privilégiés était indéniable, particulièrement dans le Cambrésis où les domaines ecclésiastiques occupaient une place notoire du sol. Leurs propriétés étaient souvent anciennement constituées. C’est dire que le besoin de participer au jeu foncier ne s’imposait pas eux.

Des acteurs discrets...

  • 2 Dans le Consulat de Graulhet, le clergé représentait 1,71 % des acheteurs en 1783. A. Contis, Graul (...)
  • 3 Ces chiffres confirment les données laissées par le marché breton où la noblesse ne représentait qu (...)
  • 4 Dans le bureau d’Amboise, la situation n’était pas très différente à la fin de l’Ancien Régime puis (...)

4Les privilégiés occupaient une place marginale dans le mouvement des ventes : seulement 3,7 à 4,6 % des contractants, respectivement dans le Cambrésis et la Flandre wallonne. Les membres du clergé étaient presque absents des transactions, 1,1 % des acquéreurs dans le Cambrésis et 1,4 % en Flandre wallonne2. Les nobles étaient à peine plus nombreux à s’activer sur le jeu foncier, seulement 2 à 3 % des opérateurs3. Dans le Cambrésis, leurs interventions consistaient essentiellement en abandons de biens-fonds4 ; leurs positions étaient plus équilibrées dans la région lilloise où on comptabilisait même trois acquéreurs supplémentaires par rapport aux effectifs des nobles vendeurs.

5Traditionnellement, le clergé intervenait rarement sur le marché foncier, son patrimoine constitué lentement à partir des donations et legs étant très stable. Les institutions ecclésiastiques préféraient gérer leurs domaines qui leur fournissaient des revenus indispensables aux dépenses du quotidien et aux frais somptuaires. La promulgation de l’édit d’août 1749 sur les biens de mainmorte réduisait en outre le champ d’action du clergé sur le marché, mais son essor foncier était achevé depuis quelques décennies. La noblesse n’avait pas plus de raisons d’apparaître souvent sur le marché foncier. Les privilégiés forts d’une position héritée n’étaient donc pas dans la nécessité d’intervenir sur le marché de la terre.

6Discrets, les privilégiés n’étaient pas pour autant isolés dans le mouvement des échanges, leur participation témoignant d’une ouverture vers d’autres groupes sociaux. Le clergé était par la force des choses contraint de contracter du lien social avec des individus étrangers à son univers : sur le marché flamand, les ecclésiastiques achetaient des propriétés aux bourgeois, en particulier des négociants, mais avec plus de 30 % des actes, le monde de la paysannerie et de l’artisanat n’était pas non plus négligé. Dès lors qu’on considérait l’Eglise comme vendeuse, plus de 48 % des contrats la mettaient en relation avec des paysans, les bourgeois demeurant présents sur 31,5 % des échanges.

  • 5 La noblesse de la France du Nord paraissait toutefois nettement plus ouverte aux autres groupes soc (...)
  • 6 En Savoie, le second ordre restait attaché au monde des campagnes. L’analyse des transactions de bi (...)

7En ce qui concerne la noblesse, l’existence du lien social avec d’autres groupes sociaux était aussi forte, mais le second ordre avait une plus grande propension que le clergé à organiser ses échanges entre soi. Près de 21 % des actes de vente passés dans la châtellenie de Lille mettaient ainsi aux prises des contractants issus de la noblesse pour les deux parties, la tendance au repliement s’accentuant dans le Cambrésis avec près de 30 % des échanges de la noblesse5. La noblesse flamande, souvent d’extraction urbaine, était donc plus intégrée à la société provinciale. Cette différence régionale se reproduit dans la nature des contacts extranobiliaires pris par les vendeurs et acheteurs nobles. Chez les nobles cambrésiens, le lien avec le monde rural était évident puisque onze des vingt-trois acheteurs de biens-fonds qu’ils abandonnaient sur le marché résidaient à la campagne6. Les relations tissées par les nobles étaient plus mêlées dans la région lilloise, les citadins, essentiellement issus de la bourgeoisie, occupant plus de 31 % de leurs contrats.

 

  • 7 P. Denis du Péage, Notes généalogiques sur quelques familles d’Artois et de Flandre, Lille, SILIC, (...)

8À la différence des acheteurs, les nobles abandonnant des biens-fonds sur le marché présentaient un visage assez contrarié. Une partie assez importante des vendeurs n’était pas originaire de la région considérée. Dans le Cambrésis, près de 29 % d’entre eux ne résidaient pas dans la province, mais la dispersion géographique des vendeurs nobles était plus remarquable encore dans la châtellenie de Lille. Ils résidaient dans les provinces voisines comme le Douaisis, l’Artois, dans les Pays-Bas autrichiens avec lesquels les relations s’étaient maintenues en dépit de la frontière fortifiée, ou à Paris où résidait la grande noblesse détentrice de domaines importants dans la France du Nord. En cas de besoin, les nobles étrangers vendaient donc les biens les plus éloignés de leurs bases seigneuriales et patrimoniales : Claude-Joseph de Fariaux, chevalier, sieur de Troisvilles abandonnait ainsi une partie de ses biens cambrésiens après son mariage avec Marie-Louise-Etienne-Françoise David de Landifay qui l’invita dans son château près de Guise en Picardie7.

9Les acquéreurs étaient en revanche représentatifs de la noblesse provinciale de résidence urbaine. La situation était nette dans le Cambrésis : Gaspard-Joseph de Bourchault et Jean-Baptiste Mairesse de Neuvilly résidaient dans la cité archiépiscopale, le premier dans la rue des Scachebeuvons, le second en face du cimetière de Saint-Martin. Dans la Flandre wallonne, les nobles non lillois restaient rares comme acquéreurs. La noblesse de la France du Nord était traversée par un inégal dynamisme de ses membres face au marché foncier. La résidence dans la ville capitale concernait surtout la noblesse provinciale la plus assurée dans ses fondements économiques tandis que la vie continue dans la demeure seigneuriale était signe d’une marginalisation sociale. La présence plus forte des nobles ruraux parmi les vendeurs témoigne donc de la fragilité de certaines familles.

10Quelle que fût la région considérée, la noblesse la plus récente était surreprésentée parmi les acquéreurs : 68,1 % sur le marché lillois, et même la seule en course dans le Cambrésis. La noblesse ancienne était en revanche très minoritaire sur le jeu foncier ; la terre n’était pas dévalorisée à ses yeux, mais ses patrimoines étaient souvent constitués depuis plusieurs générations. Sauf à se porter acquéreurs de terres qui renforceraient une position existante, elle s’attachait donc plutôt à gérer sa fortune foncière.

  • 8 P. Denis du Péage, Recueils de généalogies lilloises, tome 1, 1906, p. 7-13.
  • 9 P. Denis du Péage, Mélanges généalogiques, 3e série, p. 150-157.

11Tel n’était pas le souci des familles les plus récentes, en particulier celles dont l’anoblissement obtenu par l’achat d’une charge de conseiller secrétaire du Roi ou l’exercice d’une fonction au sein du Bureau des Finances de Lille, ne remontait pas au-delà de 1700. Pour ces nouveaux venus, le besoin de reconnaissance sociale était important puisqu’il fallait faire oublier des origines roturières. Le négoce qui avait souvent fait la fortune de certaines familles, avait été progressivement abandonné au profit d’activités moins vilaines au sein des Magistrats et des administrations royales, mais « l’ennoblissement » par la terre demeurait tout de même le complément indispensable à l’anoblissement qui fabriquait un noble que d’aucuns jugeaient imparfait. Il n’est du reste pas rare que les deux opérations se suivent rapidement : Pierre Bady, originaire de l’Avesnois où il bâtit sa fortune dans l’entreprise des fortifications de Maubeuge de 1679 à 1689, avait acheté en 1693 la terre d’Aymeries à Jeanne-Claude de Rocca8, quelques semaines seulement après avoir fait l’acquisition de la charge de conseiller secrétaire du Roi. L’appel de la terre se poursuivait sur plusieurs décennies, et dans cette entreprise, grands domaines et petites parcelles étaient bien venus pour peu qu’ils accroissent la puissance d’une maison. Le 26 août 1751, Jean-Baptiste Mairesse de Neuvilly enlevait pour la somme de 30.400 florins le château d’Eswars des biens de Claude-Joseph de Fariaux de Troisvilles. Cet acte est symptomatique des dissensions au sein du second ordre : le vendeur représentatif de la noblesse rurale élevée par l’épée, le titre de chevalier ayant été obtenu en 1660 par Nicolas-Ignace, seigneur de Troisvilles, colonel d’un régiment haut allemand et membre du Conseil de guerre de Sa Majesté Catholique, se délaissait d’un domaine important au profit de la famille Mairesse dont la noblesse récente de robe s’est forgée au sein de l’échevinage de Cambrai avant que l’achat d’une « savonnette à vilain » en juin 1713 apportât l’apothéose9.

... des opérations qui le sont moins ?

  • 10 Dans le village bourguignon de Renêve, la faible présence des nobles qui ne contractaient que 3,9 % (...)
  • 11 J. Nicolas, op. cit., p. 742-748.
  • 12 P. Jarnoux, op. cit., p. 313.

12Avec plus de 500 hectares échangés, la noblesse participait au transfert de 19,02 % des superficies dans la châtellenie de Lille, et 13,21 % sur le marché cambrésien. Examinées en valeur, les mutations opérées confirmaient son rôle non marginal : avec 688.627,75 florins échangés, elle représentait 16,6 % de la valeur du marché flamand. Peu nombreux à intervenir, les nobles faisaient donc mouvoir une quantité non négligeable du sol. Leurs transactions avaient plus d’effets sur la structure de la propriété foncière que la multitude de petites ventes auxquelles participait nombre de ruraux10. La force motrice de la noblesse demeurait toutefois mesurée par rapport aux opérations réalisées dans la région de Chambéry où elle déplaçait 28 à 32 % des valeurs échangées11, et a fortiori dans le bassin rennais dont 34 % des mutations relevaient de la seule noblesse12. Mais, cette capacité à mouvoir une proportion importante du sol était très variable d’une année sur l’autre puisqu’elle dépendait d’un petit nombre de transactions exceptionnelles.

  • 13 Sur le marché de la région de Vassy, la noblesse intervenait fortement sur le segment des microprop (...)
  • 14 On constatait le même dédain de la noblesse pour les transactions de moins de 500 livres dans la Be (...)
  • 15 M. Figeac, op. cit., p. 107-109.
  • 16 Pendant la période révolutionnaire, la noblesse toulousaine réalisait près de 21 % de ventes de moi (...)

13Avec une moyenne de 6040 florins par transaction, les nobles flamands déboursaient au moins cinq fois ce qui était régulièrement dépensé ; sur le marché cambrésien, leurs opérations étaient d’un montant huit fois supérieur à la moyenne générale. À la différence du marché vasséen, la structure de leurs propriétés les portait en effet peu sur le marché des petites ventes13. Sur ce segment, le second ordre était plus vendeur qu’acheteur : si 8 % de leurs acquisitions valaient moins de 400 florins sur le marché flamand, on n’en enregistrait même aucune dans le Cambrésis14. Les nobles de la France du Nord se distinguaient ainsi des Bordelais dont le besoin de rationalisation des seigneuries passait par de nombreux petits achats15. Les ventes sur ce segment étaient en revanche plus fréquentes. On peut arguer que ces mises en vente témoignaient de difficultés de trésorerie que l’abandon d’une médiocre parcelle permettait de surmonter16.

14Au-delà de 400 florins, la noblesse se retrouvait sur deux secteurs du marché foncier, celui des transactions moyennes de 400 à 3000 florins et celui du haut de gamme. La majorité de son activité foncière se pressait sur la gamme intermédiaire : sur le marché flamand, elle y réalisait 53 % de ses ventes et 58 % de ses achats. Sur ce segment, ses transactions portaient surtout sur les parcelles isolées de superficies médiocres. La noblesse n’y recherchait donc pas le prestige social, mais se comportait plutôt en propriétaire avisé de ses propres intérêts. Pourtant, aussi important fût-il dans l’activité foncière de la noblesse, le segment intermédiaire du marché restait très concurrentiel ; aussi, la noblesse n’y avait-elle pas un rôle moteur.

15Les membres de « sang bleu » ne réalisaient qu’une minorité de leurs opérations foncières sur le segment de plus de 4000 florins : seulement 13 % de leurs actes sur le marché cambrésien, entre 26 et 30 % en Flandre wallonne. Le haut de gamme constituait toutefois 82 à 87 % des valeurs échangées. C’est dire la place primordiale qu’occupaient les grosses ventes dans les volumes transférés par la noblesse. Sur le marché de la région lilloise, la position de la noblesse était moins prééminente même si elle se renforçait à mesure que le prix de vente augmentait : elle ne concentrait ainsi pas plus du quart des ventes onéreuses, moins de 16 % pour les achats, mais plus de 26 % pour les acquisitions de plus de 10.000 florins. Loin de bénéficier d’une place monopolistique comme dans le Cambrésis, la noblesse occupait donc une position forte mais placée sous la concurrence de la bourgeoisie.

  • 17 Dans le bureau de Bazièges, la noblesse effectuait 12 % des achats de terres roturières, mais 20 % (...)
  • 18 ADN, Tabellion 498, acte de vente du 14 août 1751.

16Cette compétition était pourtant inégale suivant la nature des grosses transactions. Sur le marché des parcelles libres et des exploitations agricoles, la concurrence était vive, la noblesse ne contrôlant pas la majorité des opérations : elle n’était présente que sept fois pour vendre des exploitations de plus de 4000 florins alors que cinquante-sept d’entre elles étaient mises sur le marché. Le marché des fiefs et seigneuries était en revanche presque réservé à la noblesse : sur dix intervenants intéressés à l’achat ou à la vente d’une terre noble, sept démontraient effectivement une origine nobiliaire17. Ces biens dont l’intérêt était moins économique que social, étaient particulièrement convoités par la plus récente noblesse qui cherchait ainsi une consécration magistrale. Pour ce faire, Catherine Thérèse du Chambge, fille d’un auditeur de la Chambre des Comptes de Lille anobli à la fin du XVIIe siècle, n’hésitait pas à débourser 47.000 florins pour acquérir une seigneurie abandonnée par Philippe Marie Dubois de Hove18. Assurément, ces transferts fonciers, pour rares qu’ils fussent, n’en étaient pas moins structurants puisque les superficies et les valeurs en jeu étaient importantes. Les conséquences n’étaient sans doute pas neutres non plus pour tous ceux qui allaient être soumis à un nouveau seigneur. La noblesse, peu active sur le marché foncier, savait ainsi frapper les esprits par quelques transactions spectaculaires.

  • 19 J. Sentou, op. cit., p. 102-103.

17Déjà très peu présents dans les échanges fonciers, les membres du clergé ne faisaient rouler que 2 à 3 % des biens-fonds mus par le marché. C’est un peu plus que dans le Toulousain où le clergé toulousain contrôlait 1,02 % de la valeur totale des achats et 1,61 % de celle des ventes, mais il est vrai que l’enquête porte sur l’époque révolutionnaire qui avait obligé un grand nombre de prêtres à une discrétion plus grande qu’à l’ordinaire19. C’est sur le marché intermédiaire de 500 à 2000 florins que les ecclésiastiques faisaient la majorité de leurs opérations foncières : 55 % de leurs ventes et 50 % de leurs acquisitions sur le marché flamand. Ce segment du marché correspondait à de petites parcelles de terres constituées de champs, mais aussi de quelques jardins ; y entraient également des habitations, de petites exploitations agricoles bien entendu, mais aussi des cabarets assez éloignés de la vocation des contractants qui agissaient dans ce domaine plutôt comme vendeurs. Rien que de très médiocre donc. Les propriétés qu’ils mettaient sur le marché ne valaient pas plus de 10.000 florins, une limite financière qui reflète bien la médiocrité de nombreux ecclésiastiques. Faibles en moyens dans un ordre pourtant riche de terres, les membres du clergé étaient à l’image des ruraux qu’ils côtoyaient quotidiennement.

Le marché foncier, révélateur d’un repli des privilégiés ?

  • 20 G. Larguier, « Le marché immobilier et foncier narbonnais en 1789 : atonie d’une ville, difficultés (...)
  • 21 J. Nicolas, op. cit., p. 746-747.
  • 22 Au cours de la période 1772-1789, la noblesse se débarrassait de 124.335 livres de biens-fonds et n (...)

18La noblesse et le clergé sont déficitaires sur le marché foncier. Le fait est que la noblesse avait les déficits les plus creusés : plus de 182.000 florins pour 148 hectares de biens-fonds en Flandre wallonne, 20.500 florins sur le marché cambrésien. Pour la noblesse cambrésienne, les acquisitions couvraient 68 % de la valeur totale des ventes alors que le taux de couverture n’excédait pas 58 % sur le marché de la Flandre wallonne. Toutefois, le second ordre a mieux résisté dans la France du Nord qu’ailleurs. Il était en effet en très grande difficulté dans la région narbonnaise où son solde négatif s’élevait à 195.000 livres, rien que pour l’année 178920 alors que le déficit moyen annuel de la noblesse flamande se chiffre à 113.000 livres au milieu du XVIIIe siècle ; les déficits étaient aussi très creusés dans la région savoyarde de Rumilly où les ventes ne couvraient les acquisitions qu’à hauteur de 36 %21, ou dans le Vannetais où la valeur des ventes des nobles dépassait de 69 % celui des achats22. L’arrivée de nouveaux venus dans les rangs de la noblesse de la France du Nord freinait manifestement ses ventes dans la mesure où ses besoins d’ennoblissement par la terre maintenaient une forte activité d’achats.

  • 23 P. Goubert, L’Ancien Régime, Paris, tome 1, 1969, p. 151.
  • 24 J. Sentou, op. cit., p. 44-46.
  • 25 P. Denis du Péage, Mélanges généalogiques, 5e série, p. 74-84.
  • 26 ADN, VIII B 1re série 1469, Procès entre Henri-Philippe-François Le Gillon, écuyer, seigneur d’Hagr (...)
  • 27 ADN, Tabellion 499, acte de vente du 13 septembre 1752.

19Malgré leurs déficits, on ne peut pas considérer que « les nobles s’éloignent de la terre et que la terre s’éloigne d’eux »23, encore moins que leur distanciation à l’égard des biens fonciers témoigne de l’appauvrissement de l’ordre comme le suggère Jean Sentou24. De nombreuses ventes rendaient bien entendu compte de difficultés de trésorerie. Henri-Philippe-François Le Gillon se débattait ainsi dans de graves difficultés au point d’être incarcéré aux Bons Fils de Saint-Venant25 ; son épouse, Elisabeth, lui réclamait la séparation en 1749 « disans qu’ayant eû le malheur de tomber malade et successivement deux de ses enfans pendant les mois de juin juillet et aoust dernier (...), elle se trouve malgré la grande économie dans un état d’indigence extreme ayant peine à se procurer les alimens les plus simples et a ses sept enfans, ce qui les expose d’autant plus à manquer du necessaire à leur subsistance, c’est qu’elle ne peut toucher cette année les quatre cens florins de rente düe par l’hotel de ville de paris (...), ce qui fait sa capitale », une extrémité qui la poussait à demander au Parlement de Douai l’autorisation de prélever la somme de 800 florins sur les fonds immeubles de la communauté de biens qui n’était pas encore divisée26 ; dans ce contexte, la vente de la seigneurie d’Hagrinsart, trois ans après cette requête, sonnait comme une victoire pour l’épouse délaissée27.

  • 28 ADN, Tabellion 498, acte de vente du 20 décembre 1751.
  • 29 ADN, 3 G 851, acte de vente du 23 mars 1752.
  • 30 ADN, 3 G 739, acte de vente du 26 août 1751.

20Les problèmes de trésorerie n’étaient pas le seul moteur des ventes qui étaient aussi créés par des événements familiaux et successoraux : en décembre 1751, Gilbert-François-Joseph Percourt de le Becq vendait une petite ferme échue de la succession de son épouse, Elisabeth-Thérèse Lefebvre de Schoonevelde décédée un an auparavant28. Certaines opérations cachaient aussi un réinvestissement qu’il serait alors faux d’assimiler à un signe de difficultés de trésorerie : Jean-Baptiste Mairesse de Neuvilly vendait pour 4000 florins de parcelles de champs en mars 175229, mais il participait ainsi au financement de l’acquisition du château d’Eswars emporté en août de l’année précédente30.

  • 31 M. Figeac, op. cit., p. 100-104.

21La vente est pourtant dans l’ordre des choses compte tenu de la structure des fortunes nobiliaires. Convenons en effet, comme Michel Figeac, que l’endettement chronique de la noblesse était inévitable dès lors que sa richesse, essentiellement immobile, se composait d’assez peu d’argent liquide facile à réunir rapidement. Les contrats de vente venaient alors entériner des pratiques habituelles qui ne remettaient pas fondamentalement en cause la fortune nobiliaire31.

 

22Si les nobles étaient en position de recul sur le marché foncier, il faut se garder d’en exagérer l’importance, les déficits enregistrés ne mordant que de façon infime sur leurs patrimoines. Dans le Cambrésis, leur déficit ne portait que sur 18 hectares en deux années alors que son patrimoine total était d’environ 7130 hectares ; seulement 0,13 % de leurs possessions avaient ainsi été transférées vers d’autres groupes sociaux. Il faut donc rejeter l’idée d’une érosion massive des patrimoines privilégiés par le jeu des ventes.

Tableau no 48 - Structure des déficits fonciers de la noblesse dans le Cambrésis et la Flandre wallonne (1751-2)

Tableau no 48 - Structure des déficits fonciers de la noblesse dans le Cambrésis et la Flandre wallonne (1751-2)

23Les biens les moins coûteux étaient les plus facilement abandonnés par la noblesse. Sur le marché flamand, les valeurs inférieures à 5000 florins correspondant à des parcelles isolées et de petites exploitations agricoles s’avéraient même sans intérêt pour les nobles qui abandonnaient le terrain sans même chercher à faire face à l’adversité. Au-delà de 2000 florins, les membres du second ordre montraient déjà dans le Cambrésis une résistance face aux opérations roturières, à moins que les capacités d’intervention des bourgeois montrassent déjà leurs limites.

  • 32 B. Maillard, Les campagnes de Touraine au XVIIIe siècle. Structures agraires et économie rurale, PU (...)

24En revanche, au-delà de 5000 florins, les déficits fonciers diminuaient en termes relatifs sur le marché flamand, disparaissant même dans le Cambrésis. À l’étroitesse du cercle des acheteurs s’ajoutait un souci plus grand des nobles de ne pas laisser échapper ces biens-fonds qui constituaient le cœur de leurs domaines, de leurs revenus fonciers et de leur prestige. Dans la région lilloise, la bourgeoisie fortunée parvenait à s’immiscer sur ce marché aristocratique, y compris celui des seigneuries. Parmi cinq terres fiefs mises en vente pour plus de 10.000 florins par les nobles, deux avaient été récupérées par des non nobles. En revanche, dans le Cambrésis, comme dans la Touraine, le marché des seigneuries demeurait fermé aux nouveaux venus, les terres fiefs étant redistribuées à l’intérieur du groupe nobiliaire32. Les déficits de la noblesse étaient donc sélectifs : elle abandonnait surtout des biens-fonds de valeur modeste et moyenne, et exceptionnellement des domaines importants.

  • 33 P. Denis du Péage, Recueil de généalogies lilloises, p. 37-42.

25Capable de résister pour défendre ses domaines les plus importants, la noblesse parvenait aussi à sauvegarder, voire à renforcer ses positions géographiques les plus éminentes. Les choix effectués par Hippolyte-Joseph-Ignace Deliot des Roblets étaient symptomatiques du comportement spatial de la noblesse : il vendait moins d’un hectare alors que quatre de ses six acquisitions se concentraient non loin d’Armentières où sa famille s’était installée depuis le mariage de son père avec Albertine-Françoise Obert, un cinquième achat à Phalempin accentuant une position offerte par son union avec Marie-Joseph-Colette Petitpas, dame de Carnin, en 173633. À ce titre, le seigneur, par sa position privilégiée en qualité de maître de la seigneurie et grand propriétaire foncier, pouvait tirer avantage du mouvement des biens-fonds pour s’emparer des parcelles libérées et finalement accroître son autorité sur un secteur géographique. À l’inverse, les dépossessions ne découvraient presque jamais les domaines les plus importants, les nobles acceptant de vendre là où ils ne détenaient que quelques parcelles de terre. Même Claude-Joseph de Fariaux de Troisvilles, qui vendait pourtant son château d’Eswars devenu inutile à cause de son déménagement en Picardie, semblait assez conscient de ses intérêts économiques dans la mesure où il conservait dans cette paroisse une belle ferme de quarante hectares.

 

26En définitive, les nobles, s’ils réunissaient peu d’acteurs sur le marché foncier, n’y jouaient pas un rôle marginal en ce sens qu’ils opéraient sur toutes les gammes des biens-fonds et qu’ils offraient à d’autres groupes sociaux des dépouilles foncières. Si la noblesse vendait plus qu’elle achetait, ses déficits ne remettaient pas en cause le coeur de ses possessions et frappaient en outre les vieilles familles plus que les anoblis pour qui les vertus ennoblissantes de la terre demeuraient fondamentales. En fin de compte, les nobles abandonnaient plutôt des biens de valeur médiocre dont pouvaient se satisfaire les roturiers, rarement en mesure d’intervenir sur le segment haut de gamme.

Les ruraux, les véritables animateurs du marché foncier

27La valeur du capital foncier n’a jamais échappé aux ruraux trop conscients de l’importance de la terre pour leur subsistance. Pour autant, les gros fermiers avaient su établir leur domination économique et sociale sur les campagnes sans disposer de vastes domaines en propre. La prise en compte de la diversité rurale doit donc accompagner ce développement pour appréhender au mieux la place des ruraux dans les échanges fonciers.

Un marché dominé par l’activité des ruraux

1) Le marché foncier, un marché entre ruraux

  • 34 R. Favier, Les villes du Dauphiné aux XVIIe et XVIIIe siècles, PU. Grenoble, 1993, p. 198-199.
  • 35 R. Favier, « Les petites villes dauphinoises face à leur environnement rural au 18e siècle : empris (...)

28Réunissant 2460 actes, les ruraux concentraient pas moins de 69,1 % des mutations en Flandre wallonne ; sur le marché cambrésien, la présence des campagnards était aussi forte avec les deux tiers de l’activité. Les ruraux formaient ainsi le premier moteur du marché foncier. Leur capacité à maintenir grosso modo leur représentativité sur le marché foncier dans un contexte marqué par une forte urbanisation donne assurément plus de portée aux conclusions de René Favier dont le plaidoyer sur l’autonomie relative du plat pays ne manquait déjà pas de force de persuasion34. Dans le Dauphiné, le dynamisme des ruraux était en effet flagrant : réunissant 69,5 % de la population provinciale, les ruraux apparaissaient dans 80 % des mutations foncières35. Dans un contexte urbain très pressant, il est ainsi remarquable que le marché foncier demeure principalement activé par des contractants issus du monde des campagnes.

  • 36 J-M. Boehler, Une société rurale en milieu rhénan : la paysannerie de la plaine d’Alsace (1648-1789 (...)

29L’impression d’autonomie du monde rural est renforcée par ses relations foncières. La grande majorité des ruraux effectuait en effet leurs opérations entre eux. Dans le Cambrésis, la fermeture aux intervenants extérieurs était évidente, plus de 84 % des actes mettant aux prises deux ruraux. Cette situation rend compte de l’étroitesse des relations foncières dans une province écartelée entre plusieurs microrégions que la capitale, Cambrai, ne parvenait pas à rassembler à l’intérieur d’un seul cadre géographique polarisé. La Flandre wallonne n’était guère plus ouverte, près de 80 % des contrats étant signés entre habitants des campagnes. Certes, ce fort cloisonnement s’inscrivait dans un contexte de renforcement des relations au sein du monde rural, ce dont témoigne l’exemple alsacien où les transactions intrarurales, qui concernaient 56 à 63 % des actes en 1649-1699, s’élevaient à 85 % de l’activité foncière pendant la seconde moitié du XVIIIe siècle36. Mais, force est de constater la relative médiocrité de l’impact lillois sur l’ouverture du marché foncier régional puisqu’en dépit de l’existence d’une métropole provinciale puissante, le marché fonctionnait en vase clos.

  • 37 Sur le marché de Camembert, 82 % des acheteurs étaient résidents ; c’était le cas de 44 % des vende (...)

30Le cloisonnement relationnel grandissait dès que les villageois vendaient37. Dans le Cambrésis, près de 97 % des ventes contractées par les villageois profitaient à d’autres villageois. Nul doute que l’accès rapide à l’information, en l’occurrence la connaissance d’une mise en vente, ne facilitât les ruraux plus prompts à réagir que les citadins. La nature des biens vendus avantageait aussi les campagnards, les acheteurs potentiels des villes se réservant pour des actes plus onéreux sur lesquels la concurrence rurale était moins vive. Quand ils achetaient, les villageois s’adressaient en priorité à des individus venant des mêmes horizons, mais l’offre s’élargissait en direction du monde urbain qui apparaissait dans 20 % des contrats.

31La proximité de la ville réduisait la part que les ruraux occupaient dans l’activité du marché foncier. Sur le terroir des villes, ils étaient mis en position minoritaire, voire même exclus. Au-delà, la zone de relative résistance aux interventions des ruraux s’étendait aux paroisses les plus proches : le pourtour des villes capitales était assez réfractaire aux opérations des ruraux qui y réalisaient moins de 50 % des affaires. Les campagnards parvenaient pourtant à dominer le marché de quelques paroisses proches de la ville capitale : à Faches-Thumesnil, au Sud de Lille, parmi les dix contractants, sept résidaient à la campagne.

32Au-delà de ces poches où les investissements ruraux étaient gênés par les ambitions urbaines, les campagnards contrôlaient largement le jeu foncier. Dans le Cambrésis, au-delà d’une dizaine de kilomètres autour de la cité archiépiscopale, se multipliaient les villages dont les échanges fonciers dépendaient massivement des interventions rurales. On distingue même des môles de résistance aux interventions extérieures. Le Sud de la châtellenie de Lille offrait aux villageois une véritable chasse gardée, particulièrement dans les Weppes où les bas niveaux d’indigence constituaient un atout pour les ruraux mieux armés pour accaparer les biens mis en vente. Le Ferrain oriental dans la région lilloise et le Grand Cambrésis, marqués pourtant par une forte prolétarisation, étaient aussi réfractaires aux interventions étrangères. On peut croire que les densités élevées de ces zones géographiques rendaient la terre plus précieuse pour subvenir à la subsistance de tous, mais la soif de terre était aussi le fait des artisans proto-industriels. En définitive, en dehors des aires d’influence urbaine, une véritable autonomie foncière des campagnes était possible dès lors que les conditions sociales s’amélioraient.

2) Les ruraux du marché foncier : une masse paysanne, des marchands et quelques autres

33Tous les ruraux ne participaient pas au mouvement des biens-fonds, soit qu’ils n’y fussent pas contraints, soit qu’ils ne le souhaitassent pas, soit qu’ils ne disposassent pas des moyens d’entrer dans ce jeu foncier. Le fait est que le marché flamand était mu par 919 vendeurs et 1096 acheteurs ruraux ; dans le Cambrésis, les acteurs villageois étaient au nombre de 234 vendeurs et 273 acheteurs. En l’absence de recensement de population, il est difficile de mesurer le poids des acteurs du marché dans le monde rural, mais les indications parcellaires dont nous disposons, confirment leur part minoritaire. Avec neuf contractants dans le village cambrésien d’Abancourt, 18 % des chefs de famille participaient aux échanges fonciers ; ils étaient 12 % à Linselles alors que les 83 Roubaisiens participant au marché ne réunissaient pas plus de 8 % des feux. Même si les données étaient fragmentaires, on ne peut donc douter que l’activité des échanges de biens-fonds dépendît toujours d’une minorité de la population, en l’occurrence moins d’un cinquième des ménages sur une période de deux années. Cette proportion n’est toutefois pas négligeable puisque, statistiquement parlant, tous les ménages d’une paroisse pouvaient être concernés, sur une période de dix années, par la circulation des biens-fonds dans le seul cadre du marché foncier.

 

  • 38 J-M. Boehler, op. cit., p. 606.

34Les paysans venaient largement en tête des acteurs du marché foncier : 63 % des intervenants sur le marché de la région lilloise, 72 à 80 % dans le Cambrésis. Tout concourait à les rendre incontournable : le poids qu’ils occupaient dans la structure sociale du monde rural, l’exploitation de la terre et la proximité géographique avec les biens-fonds mis en vente. L’élévation de la part paysanne dans la province cambrésienne rend en outre compte de la ruralité plus prononcée de sa société villageoise puisque les localités rurales présentaient une moindre diversification de leurs structures socioprofessionnelles. Elle était assez comparable à ce qu’elle était en Alsace où les paysans participant au jeu foncier représentaient pas moins de 76,1 % des vendeurs ruraux, et 65,1 % des acheteurs en 1759-178938.

  • 39 Cette prééminence était à peine plus faible dans la plaine d’Alsace où 86 à 90 % des paysans partic (...)

35Parmi les paysans, laboureurs et fermiers étaient les plus actifs, surtout dans la châtellenie de Lille où ils réunissaient 90 à 95 % des interventions paysannes39. Certains d’entre eux n’hésitaient pas à multiplier les opérations : Jacques-François Chombart, laboureur de Bondues au Nord de Lille, apparaissait cinq fois pour acheter de menues parcelles. Les sommes accumulées étaient souvent médiocres, mais la multiplication des apparitions chez le notaire royal témoignait d’une soif de terre qu’il est bien difficile de nier. La prééminence échue à la paysannerie indépendante reproduisait ainsi sa position sociale au sein de la société rurale.

Tableau no 49 - Vendeurs et acheteurs ruraux sur le marché foncier du Cambrésis et de la Flandre wallonne (1751-2)

Tableau no 49 - Vendeurs et acheteurs ruraux sur le marché foncier du Cambrésis et de la Flandre wallonne (1751-2)
  • 40 B. Mailliard, op. cit., p. 138-141.
  • 41 A. Jollet, op. cit., p. 260-263 ; et « Des journaliers en pays vigneron. Les journaliers de la régi (...)

36Les catégories paysannes les plus démunies étaient en revanche sous-représentées sur le marché foncier. Les journaliers avaient ainsi peu à vendre, et guère les moyens d’acheter. Leur minoration sur le marché de la France du Nord infirme le modèle de la Touraine où les paysans dépendants, pour sous-représentés qu’ils fussent, n’en étaient pas moins aussi nombreux, ou peu s’en fallait, que les laboureurs : dans le bureau de Loches, ils étaient mieux représentés que les laboureurs parmi les vendeurs, même si la situation s’inversait chez les acheteurs40 ; dans celui d’Amboise, les laboureurs n’étaient guère plus nombreux que les journaliers41.

  • 42 Dans les vallées alpines, le collecteur des tailles réalisait une vente sur trois grâce à l’importa (...)

37Les catégories artisanales et de services jouaient un rôle inégal dans le mouvement des biens-fonds : elles étaient actives dans la région lilloise, très minorées dans le Cambrésis. Les marchands étaient les plus habitués à intervenir sur le marché foncier ; déjà nombreux parmi les vendeurs, ils apparaissaient avec plus de fréquence comme acheteurs. Profitant de leur position avantageuse dans le circuit de l’information, les hommes de loi s’activaient aussi ; à l’occasion, ils tiraient profit des conséquences successorales qui ne manquaient pas de parvenir à leur connaissance dès lors qu’un testament, un partage ou un inventaire après décès avait été passé42.

  • 43 Les mulquiniers n’étaient pas plus nombreux à intervenir sur le marché foncier du bureau de Ribemon (...)

38L’artisanat ne montrait pas le même dynamisme, notamment sur le marché de la région lilloise. Les mulquiniers jouaient toutefois un rôle non marginal sur le marché cambrésien, représentant plus de 6 % des acheteurs ruraux43. Localement, leur apport au mouvement des biens-fonds était important : dans le village de Clary où prédominait le travail textile, parmi les dix-neuf résidents qui ont participé au jeu foncier, onze étaient mulquiniers. Signalons enfin le rôle des personnes seules, surtout parmi les vendeurs. Une fois de plus, on peut mesurer à quel point le marché foncier se nourrissait des dépouilles successorales.

39L’impression laissée par la connaissance des acteurs du marché est que toutes les catégories sociales étaient représentées dans le jeu foncier. Les populations les plus notables du village, en l’occurrence les fermiers et les laboureurs, ainsi que les travailleurs textiles, représentants de la « classe moyenne » (D. Terrier) y avaient toutefois plus facilement leurs entrées.

 

  • 44 AM. Roubaix, CC 97, Rôle de capitation, 1750.

40Cette représentation des acteurs du jeu foncier est confirmée par le critère fiscal. L’exemple roubaisien confirme que la société des intervenants fonciers ne reproduisait pas strictement la pyramide sociale44. Toutes les catégories de capités étaient représentées parmi les contractants, mais les individus les moins imposés étaient minorés parmi les vendeurs et les acheteurs par rapport à leur représentation sociale : composant plus de 59 % des occupants de biens-fonds, les capités à 1 et 2 livres n’étaient que 46 % des contractants du marché foncier. Au-delà de 4 livres, les populations étaient surreprésentées dans le jeu foncier. Parmi les Roubaisiens payant plus de 10 livres de capitation, 3 sur 4 participaient ainsi aux échanges de biens-fonds.

  • 45 ADN, C 20945, C Supplément 478, Rôle du vingtième royal et déclarations des propriétaires de Cagnon (...)

41Dans les paroisses cambrésiennes, le relevé des exploitants, à partir des rôles du vingtième royal, ne fournit pas un profil différent de la situation. Dans le village de Cagnoncles45, les laboureurs, exploitant de cinq à dix hectares, étaient les plus actifs, leur participation au mouvement des biens fonciers étant analogue à celle des petits paysans alors même qu’ils ne composaient que 13,4 % des exploitants. En haut de la pyramide sociale, les plus fortunés ne prenaient pas une très grande part à l’activité du marché : parmi les neuf principaux exploitants agricoles, un seul, Philippe Lefebvre, à la tête d’une ferme de 14 hectares, intervenait sur le jeu foncier. Les censiers dont la domination socio-économique reposait sur l’exploitation de la ferme sur laquelle ils maintenaient longuement leurs noms, n’avaient en effet guère besoin d’intervenir sur le marché foncier, soit qu’ils n’eussent aucune parcelle à vendre, soit qu’un achat ne leur offrît aucun surplus de notabilité. On mesure ici à quel point les stratégies foncières pouvaient diverger au sein même du monde rural. Le critère financier conditionnait largement la capacité de chacun à participer au jeu foncier, mais il est entendu que cette participation naissait aussi d’une volonté, très présente chez les laboureurs placés à la tête d’exploitations agricoles mêlant faire-valoir direct et indirect, moins affichée pour les gros fermiers dont le statut social était d’abord lié à l’exploitation d’un domaine.

  • 46 Dans le Domfrontais dominé par une micropropriété foncière, la plupart des transactions, près de 60 (...)

42Les intervenants fonciers se recrutaient ainsi en priorité parmi les petits propriétaires46. Dans le bourg cambrésien de Catillon et le village flamand de Linselles, les nano-propriétaires étaient massivement représentés au sein de la société des détenteurs fonciers, mais minoritaires parmi les contractants du marché sur lequel ils réalisaient 40 % des actes. Encore apparaissaient-ils surtout comme vendeurs, les accidents de la vie les épargnant moins que les autres. Les contractants présentaient donc souvent des possessions comprises entre 1 et 5 hectares. Les plus gros propriétaires ne paraissaient en revanche pas pressés d’agir sur le marché.

 

  • 47 A. Jollet, op. cit., p. 261.
  • 48 J-M. Boehler, op. cit., p. 609.

43En définitive, le groupe des contractants fonciers n’offrait pas une image fidèle de la pyramide sociale. Le marché foncier dans la France du Nord ne rejoint ainsi pas celui de la Touraine où le remuement de la terre était « l’affaire de tous »47. Les journaliers étaient peu présents sur le marché qui paraissait peu démocratique dans le Cambrésis comme dans la Flandre wallonne où les laboureurs étaient les fers de lance de l’activité foncière. On ne peut pas non plus prétendre que le marché de la terre était, à l’image du modèle alsacien, « la grande affaire de certains campagnards »48 puisqu’on ne comptait pas de réels exclus du jeu foncier parmi les ruraux, les journaliers étant seulement sous-représentés par rapport à leur force numérique réelle. Si tous avaient peu ou prou la chance d’intervenir dans le mouvement des biens-fonds, tous n’étaient donc pas placés à égalité pour les investissements réalisés.

Des transactions marquées par une assez grande médiocrité

1) Des opérations foncières nombreuses, mais modestes

44Les ruraux étaient de médiocres opérateurs puisque, dans plus de 85 % des cas, ils ne se montraient sur le marché foncier qu’à une seule reprise. La période d’étude est trop brève pour pouvoir identifier des stratégies d’intervention à long terme, mais tout porte à croire que l’essentiel des contractants n’était pas des habitués des échanges. Quand ils achetaient, les villageois étaient plus nombreux à intervenir à plusieurs reprises puisque 12 à 14 % d’entre eux opéraient au moins une double acquisition, mais au-delà de cinq actes, ces récidivistes demeuraient très peu nombreux, et même absents sur le marché cambrésien. Il n’y avait en effet pas lieu de repérer parmi les ruraux des acteurs multiples, soit que leurs propriétés trop modestes les amenassent peu à vendre, soit que la médiocrité de leurs moyens financiers les engageât peu à accumuler des achats de biens-fonds.

45Parmi les ruraux, les professions de service étaient mieux à même d’intervenir plusieurs fois sur le marché foncier : dans la châtellenie de Lille, elles constituaient 26 % des vendeurs et plus de 31 % des acheteurs récidivistes. Les marchands et les hommes de loi étaient les plus actifs. Les autres catégories étaient en revanche très réduites parmi les acteurs multiples. Les journaliers perdaient le plus pied ; qui s’en étonnera compte tenu de la modestie de leur moyen d’intervention qui les rend absents en tant qu’acheteurs et rarissimes parmi les vendeurs ? Quant aux veuves et célibataires, ils n’étaient que 8,6 % des vendeurs récidivistes. C’est dire que dans ce groupe paupérisé par l’isolement familial, les interventions sur le marché foncier, pour l’essentiel des ventes, n’étaient pas multipliées, soit que ces individus fussent de trop petits propriétaires pour abandonner plus de biens-fonds, soit que la volonté de maintenir au mieux le capital foncier comme épargne retraite ne les autorisât qu’à une seule vente venant effacer provisoirement les difficultés quotidiennes.

 

  • 49 Dans le bureau ligérien d’Amboise, les trois quarts de leurs opérations portaient sur des parcelles (...)
  • 50 Dans l’arrondissement de Lille, ils étaient ainsi 773 sur les 1098 intervenants recensés de 1789 à (...)

46Les paysans se singularisaient par une grande propension à intervenir sur les transactions de terre, le parcellaire intéressant 73,9 % de leurs interventions dans la région lilloise, 78,3 % sur le marché cambrésien49. Le bâti revêtait moins d’intérêt, sauf chez les journaliers pour lesquels l’appropriation du toit était la garantie d’échapper aux attentes pressantes du propriétaire qui pouvait imposer à l’occasion la saisie immobilière. Les fermiers, laboureurs et meuniers se préoccupaient aussi des moulins dont le marché n’était pas monopolisé par les sociétés capitalistes d’exploitation50.

  • 51 Au XIXe siècle, 18,6 % des contractants intervenant au sujet d’un moulin dans l’arrondissement de L (...)

47Singulier était aussi le comportement des professions de services chez qui le bâti occupait une place importante : 43,5 % des transactions sur le marché de la région lilloise, une sur trois dans le Cambrésis. Les bâtiments achetés ou vendus étaient assez divers, des exploitations agricoles, des habitations particulières et des bâtiments à usage commercial et manufacturier, notamment des cabarets, des boutiques et des moulins51. À côté des labours sur lesquels se portait la majorité de leurs transactions, les autres types de terre, surtout les jardins, prenaient une place accrue, plus de 19 % des terres sur le marché flamand, trois opérations sur huit dans la région cambrésienne.

48Quant aux autres catégories sociales, leur attitude divergeait de la Flandre wallonne au Cambrésis. Sur le marché flamand, elles présentaient des orientations proches de celles des professions de service en ce sens que la part dévolue au bâti était relativement forte, oscillant entre 41,8 % chez les personnes seules et 46,4 % au sein du menu peuple. La priorité était plutôt la terre chez les artisans et les personnes seules agissant sur le marché cambrésien : c’est ainsi que parmi les artisans présents sur 29 contrats de vente et d’achat, seulement quatre s’étaient tournés vers le bâti dont le circuit normal d’échange n’était pas le marché, mais la voie successorale.

 

49Pour le monde rural, la participation au mouvement des biens-fonds s’effondrait dès qu’on prenait en compte les superficies et les valeurs échangées. Sur le marché de la région lilloise, les ruraux faisaient mouvoir 986,73 hectares, soit 37,56 % des superficies déplacées ; en valeur, la proportion était de 41 % des sommes engagées. Dans le Cambrésis, les 168.377 florins qu’ils versaient ou recevaient correspondaient à 40,7 % du marché ; leur part s’élevait à 50,03 % en termes de superficie. Le monde rural avait pourtant réalisé entre 67 et 69 % des transactions foncières. Si les ruraux offraient, par le nombre de leurs interventions, la première force motrice au marché foncier, la portée de leurs actions sur la structure de la propriété était ainsi minorée, leurs opérations étant plutôt médiocres.

Graphique no 15 - Structure des transactions des ruraux sur le marché foncier du Cambrésis et de la Flandre wallonne (1751-2)

Graphique no 15 - Structure des transactions des ruraux sur le marché foncier du Cambrésis et de la Flandre wallonne (1751-2)
  • 52 Dans le Piémont de la fin du XVIIe siècle, plus de 80 % des transactions des ruraux portaient sur d (...)

50Les ruraux se tournaient en priorité vers les transactions de moins de 400 florins, soit 500 livres : sur le marché de la région lilloise, ce segment accueillait 48 % des transactions ; entre 74,2 % pour les achats et 81,5 % pour les ventes dans le Cambrésis. Tous participaient à ces échanges de micropropriétés : Henri François, mulquinier de Beauvois en Cambrésis, vendait trois parcelles de jardins et une petite demeure, et jamais il ne perçut plus de 140 florins. Les petites parcelles constituaient en effet le marché naturel des ruraux qui n’avaient pas à craindre la concurrence des citadins peu au fait de leur circulation52.

51C’est sur le marché des grosses transactions de plus de 2000 florins que les limites pécuniaires des ruraux étaient les plus perceptibles. Dans le Cambrésis, les populations rurales s’en trouvaient quasiment écartées ; sur le marché flamand, ces gros contrats représentaient seulement 5 à 6 % de leurs transactions. Quelques ruraux étaient capables de gros investissements, mais ces transactions étaient exceptionnellement rares et stagnaient presque toujours aux alentours de 10 à 15.000 florins. Ne pouvant intégrer le marché onéreux, les ruraux se repliaient donc sur les transactions inférieures à 2000 florins. Toujours est-il que la capacité de certains à s’immiscer sur les grosses opérations foncières témoigne de l’existence de hiérarchies internes. C’est en tout état de cause ce que montre le tableau ci-dessous qui égrène les petites, moyennes et grosses transactions de chaque catégorie sociale.

Tableau no 50 - Structure des transactions des différentes catégories sociales du monde rural sur le marché foncier de la Flandre wallonne (1751-2)

Tableau no 50 - Structure des transactions des différentes catégories sociales du monde rural sur le marché foncier de la Flandre wallonne (1751-2)

52Seules trois catégories sociales, les fermiers, les professions de service et les personnes seules, étaient en mesure de réaliser de gros investissements. Au sein de la paysannerie tournée surtout vers de petites transactions, les fermiers appartenaient à une véritable aristocratie. Ils étaient présents sur tout l’éventail du marché même si le segment intermédiaire accueillait la première partie, sinon la majorité de leurs interventions. Leur capacité à réaliser des transactions de plus de 2000 florins rendait compte de leur aisance. Certains investissaient même à plusieurs reprises dans des biens coûteux : Ignace Vandermersch, fermier de Deûlemont, achetait ainsi deux belles parcelles pour un montant cumulé de 10.150 florins.

53La bourgeoisie rurale se positionnait aussi sur tous les segments du marché foncier. Elle privilégiait les valeurs intermédiaires, mais les sommes engagées atteignaient parfois des niveaux élevés proche de 20.000 florins. Les hommes de loi témoignaient d’un comportement très contrasté : vendant surtout des biens de petite valeur, ils achetaient préférentiellement sur le segment intermédiaire, et dans une proportion non négligeable sur des biens coûteux. Leur orientation rendait ainsi compte d’une stratégie foncière entreprenante. Quant aux personnes seules, elles faisaient aussi preuve de larges possibilités même si leurs opérations sur les valeurs supérieures à 2000 florins étaient moins affirmées que chez les fermiers et la bourgeoisie rurale. Le fait est que l’élargissement de l’éventail de leurs opérations foncières rendait compte de l’incertitude de ce groupe socialement mal différencié.

  • 53 G. Béaur, op. cit., p. 177.
  • 54 Cette modestie est d’autant plus sûre que dans la région d’Amboise, la moyenne des transactions des (...)

54Au rang inférieur, laboureurs et artisans intervenaient sur des transactions dont la moyenne s’établissait environ à 500 florins. Les laboureurs se différenciaient des fermiers en ce sens que la majorité de leurs actes valait moins de 400 florins ; rares étaient ceux à s’aventurer sur le segment supérieur du marché. Du coup, la plupart des laboureurs se trouvaient réduits à investir les échanges de moins de 2000 florins. À la différence du cas beauceron, les laboureurs n’étaient donc pas les rivaux des bourgeois sur le marché foncier de la France du Nord53, leurs orientations se rapprochant plutôt de celles des artisans54.

  • 55 Dans le pays de Foix, avec seulement 71 livres, la moyenne des prix d’achat et de vente des brassie (...)

55Ecartées du marché le plus coûteux, rarement présentes sur le segment intermédiaire, les catégories les plus modestes, les journaliers et les gens de petite besogne, déjà peu actives sur le marché foncier, ne s’y intégraient que pour des valeurs modiques. Les ouvriers agricoles n’étaient pas capables de rassembler des sommes supérieures à 275 florins en moyenne, près de la moitié de la valeur moyenne des transactions des laboureurs55. Au bas de l’échelle sociale, le marché foncier reproduisait ainsi les difficultés rencontrées par les individus dont les interventions rares étaient de modeste envergure. Pour autant, le reflet pouvait être biaisé, surtout à la tête de la pyramide sociale. Certes, les plus aisés étaient les seuls à se présenter sur les valeurs les plus chères, mais on les retrouvait également sur le segment inférieur du marché qui rassemblait toutes les catégories sociales.

2) Des interventions de proximité

  • 56 S. Vigneron, « La sphère des relations foncières des ruraux. L’exemple du Cambrésis (1681-1791) », (...)
  • 57 P. Goubert, « Une richesse historique en cours d’exploitation : les registres paroissiaux », AESC, (...)
  • 58 A. Croix, « L’ouverture des villages vers l’extérieur fut un fait éclatant dans l’ancienne France. (...)

56L’appréciation des distances séparant l’acteur du marché et le bien mis en vente permet d’appréhender les horizons des ruraux et le fonctionnement de leurs relations spatiales56. Elle définit un territoire, c’est-à-dire le cadre de vie et d’activité des habitants. D’après la forte tradition historiographique issue de l’Histoire démographique, les populations rurales étaient principalement marquées par « l’enracinement au village natal »57. Des études récentes ont pourtant remis en cause cette vision habituelle des sociétés rurales58. Tout en admettant que les transactions foncières demeurent un acte ponctuel qui ne peut traduire à lui seul le quotidien des relations villageoises, l’analyse des résidences des vendeurs et des acheteurs relativise cette conception.

  • 59 Cette proportion était assez identique dans les bureaux de Janville et de Maintenon où la part des (...)
  • 60 À Paris, “plus le notaire s’affirme, plus les liens personnels tendent à perdre l’importance qu’ils (...)

57Le repliement des ruraux sur leur village était assez médiocre dans la région lilloise où seulement 53,9 % des contractants ruraux étaient intervenus pour des biens-fonds se situant dans leur propre paroisse59. Le marché cambrésien témoigne d’un cloisonnement plus grand, près de 70 % des vendeurs et acheteurs contractant pour des biens de leur village. L’organisation originale de l’authentification des actes de vente n’est pas étrangère au cloisonnement remarquable des paroisses cambrésiennes : le Cambrésis a en effet échappé à la dilatation des liens fonciers apportée par l’affirmation du rôle des notaires royaux dans la mesure où la publicité de la vente dépendait des juridictions seigneuriales locales, et non d’agents publics investis par le pouvoir central60. Le cloisonnement était plus fort chez les acheteurs : dans la Flandre wallonne, près de 70 % d’entre eux profitaient d’une proximité immédiate avec le bâtiment ou la parcelle de terre acquise ; dans le Cambrésis, cette proportion montait jusqu’à 81,9 %. À l’évidence, l’attrait que représentait un bien foncier grandissait pour les ruraux à mesure que celui-ci se trouvait proche d’eux. À l’inverse, 55 % des vendeurs ruraux habitaient effectivement sur place dans le Cambrésis ; sur le marché flamand, avec un taux de seulement 35,3 %, la majorité même n’était pas du village où était vendu le bien-fonds. L’éloignement du vendeur vis-à-vis du bien déclenchait ainsi un processus de mise en vente.

  • 61 A. Jollet, op. cit., p. 280-281.

58Reste à déterminer l’origine géographique des contractants non indigènes. Pour ce faire, la méthode proposée par Anne Jollet nous a paru assez précise pour être reproduite au cas de la France du Nord61 : elle distingue quatre cercles d’éloignement, celui de la proximité immédiate pour les paroisses strictement limitrophes, celui de la proximité pour les villages bordant immédiatement le premier cercle, l’aire des autres paroisses de la province, et enfin les localités extrarégionales.

Tableau no 51 - Résidence des contractants non indigènes par rapport au bien vendu sur le marché foncier du Cambrésis et de la Flandre wallonne (1751-2)

Tableau no 51 - Résidence des contractants non indigènes par rapport au bien vendu sur le marché foncier du Cambrésis et de la Flandre wallonne (1751-2)

59L’analyse de la distanciation entre les horsains et les biens-fonds mis en vente confirme toute l’importance des phénomènes de proximité. En ce qui concerne les ventes, environ un tiers des horsains habitait dans une paroisse limitrophe. Si l’on ajoute la part des vendeurs résidant dans le second cercle, on mesure à quel point l’espace de proximité, non compris les indigènes stricto sensu, accueillait une proportion notable des acteurs du marché, environ la moitié d’entre eux. Dans la région lilloise, la distance augmentait entre les vendeurs et les biens fonciers, plus de 50 % des propriétaires non indigènes habitant au-delà du cercle de proximité immédiate. Cela témoignait d’une plus grande mobilité de la population dont les déplacements causaient un éloignement à l’égard d’une propriété dont il fallait alors mieux se défaire. Plus grande encore était la proximité entre les biens et les acheteurs, la majorité des horsains résidant dans le premier cercle des paroisses strictement limitrophes. Ce resserrement spatial rend compte du rapport très étroit que les ruraux entretenaient avec la terre travaillée quotidiennement.

  • 62 Cette proportion est très comparable dans le bureau d’Amboise où ce phénomène d’interconnaissance e (...)
  • 63 J-P. Jessenne, Pouvoir au village et Révolution. Artois (1760-1848), PU. Lille, 1987, p. 214.
  • 64 En Bretagne, la distance moyenne qui sépare prêteurs et emprunteurs n’était que de 2,6 kilomètres à (...)

60Par conséquent, les villageois n’allaient souvent pas loin pour rencontrer leur interlocuteur sur le marché foncier. L’impression d’étroitesse des horizons était forte dans le Cambrésis où, dans 68,2 % des cas, acheteurs et vendeurs habitaient la même paroisse ; en ajoutant les intervenants situés dans l’espace de proximité immédiate, on peut considérer que 85 % des acteurs étaient des voisins62. Dans la région lilloise, les relations de voisinage, pour majoritaires qu’elles fussent, n’en étaient pas moins réduites à 56,3 % des cas. Plus que le Cambrésis, la Flandre wallonne échappait ainsi relativement à « la pesanteur de l’humaine autarcie villageoise »63. Les relations lointaines y étaient pourtant rares, moins de 3 % des actes concernant un acteur étranger à l’espace provincial. Les réseaux relationnels découverts par le marché foncier étaient donc limités dans un cadre spatial très étroit dans le Cambrésis, plus lâche dans la région lilloise. L’étroitesse de ces horizons était du reste assez proche des contraintes spatiales du crédit informel pour lequel la règle de voisinage l’emportait64. C’était là les bornes habituelles de la vie quotidienne, celles à l’intérieur desquelles on allait chercher sa promise ou on faisait le petit commerce de proximité. Toujours est-il que cette organisation moléculaire de l’espace social facilitait la maîtrise de l’information par les ruraux. Il s’agissait là d’un atout majeur qui leur permettait de peser sur le marché foncier pour arracher en définitive la parcelle de terre convoitée.

  • 65 G. Levi, op. cit., p. 123-132.
  • 66 Voir la mise au point sur la relation entre les prix fonciers, la résidence et les groupes sociaux (...)
  • 67 Sur le marché de Montigny, dans les années 1760, quand un résident vendait une parcelle de terre, l (...)

61Or, les phénomènes de proximité n’étaient pas neutres en ce sens qu’ils influaient sur la formation des prix, le souci du plus grand nombre de détenir une terre à proximité de sa résidence imprimant sur les biens en mouvement des effets inflationnistes comme l’avait remarqué G. Levi65. Logiquement, les prix unitaires diminuaient à mesure que la distance par rapport au bien vendu augmentait66. L’écart était assez sensible dans le Cambrésis : alors que le prix moyen de l’hectare s’élevait à 853 florins quand coïncidait la résidence des acheteurs et des biens-fonds, il diminuait à 588 florins lorsque l’acheteur n’était pas indigène67. Le marché de la région lilloise ne contredisait pas cette règle. La stricte proximité, parce qu’elle suscitait la convoitise des locaux désireux de rassembler leurs possessions au plus près de leur exploitation, faisait ainsi gonfler les prix fonciers. L’éloignement consacrait à l’inverse une baisse du prix unitaire car il imposait au propriétaire des frais de déplacement qui grevaient la rentabilité de la terre.

Des ruraux tirant avantage du mouvement des biens-fonds

1) Des ruraux plus acheteurs que vendeurs

  • 68 Dans le bureau de Maintenon, les achats ne dépassaient les ventes que de 9 %. G. Béaur, op. cit., p (...)

62Maîtres du marché foncier, les ruraux profitaient du mouvement des biens-fonds pour améliorer leur assise terrienne. Le bilan des opérations des campagnards du Cambrésis fait ressortir un solde positif modeste de 61 hectares qui cache mal l’effort réalisé. Le fait est que, dans la région lilloise, le solde n’était excédentaire que de 59 hectares, deux hectares de moins que dans la région cambrésienne alors même que le volume des affaires y était nettement plus élevé. En tout état de cause, ces inégales performances des campagnards ne sont pas sans rappeler les différences sensibles qui distinguaient le plateau janvillois où les ruraux s’employaient à devenir les maîtres du sol et la vallée de l’Eure où ils se maintenaient difficilement68.

  • 69 Ce niveau exceptionnel était supérieur à celui de Valensole en Provence où 73,2 % des transactions (...)

63Cette activité reposait sur un recours limité au crédit. Les ruraux étaient souvent en mesure de placer leurs liquidités dans l’investissement foncier en évitant toute opération de crédit : si dans le Cambrésis, près de 87 % des mutations étaient supportées au comptant69, tel était le cas de 54 % du marché dans la Flandre wallonne. Le paiement au comptant concernait surtout les petites mutations, 54 transactions sur 65 reposant sur un montant inférieur à 300 florins sur le marché cambrésien. Dès que les sommes engagées devenaient plus importantes, l’obligation de passer le crédit s’imposait. Lorsque l’opération prévoyait un mode de règlement mixte, la somme avancée était souvent modique, moins de 5 % du montant total. Pourtant, même quand les contractants recouraient au crédit, non seulement les sommes dues n’étaient jamais très importantes, mais en plus l’endettement était de courte durée, l’échéance courant souvent quelques jours après la signature du contrat.

  • 70 Voir l’analyse des relations entre le foncier et le crédit par G. Béaur, « Foncier et crédit dans l (...)
  • 71 P. Bois, Paysans de l’Ouest. Des structures économiques et sociales aux options politiques depuis l (...)

64Les ruraux n’étaient pas dans la France du Nord des gibiers de potence dont les citadins se repaissaient pour augmenter leurs domaines dans les campagnes. Si l’endettement du monde rural demeurait à l’état chronique, il n’était plus un facteur primordial de l’activité du marché foncier, mais seulement un outil hypothécaire classique70. Ils profitaient au contraire du travail de la terre et de la proximité géographique avec les biens-fonds pour affirmer leurs ambitions sur le marché foncier. Sans doute, faut-il admettre que la capacité des ruraux à disposer de soldes positifs dépendait pour une large mesure de l’intrusion massive des citadins. Comme le faisait remarquer P. Bois, « pour le paysan, un seul espoir d’accéder à la propriété : c’est qu’il n’y ait pas de bourgeois au voisinage »71.

Tableau no 52 - Nature des biens-fonds et solde (en florins) des transactions des ruraux sur le marché foncier du Cambrésis et de la Flandre wallonne (1751-2)

Tableau no 52 - Nature des biens-fonds et solde (en florins) des transactions des ruraux sur le marché foncier du Cambrésis et de la Flandre wallonne (1751-2)

65Le parcellaire composait le premier excédent foncier des ruraux, jusqu’à 91 % des bénéfices dans le Cambrésis. Les labours étaient les plus recherchés d’autant que la médiocrité de leur prix unitaire s’accommodait assez bien des moyens financiers des acheteurs ruraux. Jardins et prés ne faisaient en revanche pas l’objet d’avancées substantielles, surtout dans la Flandre wallonne où les hauts niveaux de leurs prix perturbaient les ambitions des populations rurales. Quant au bâti qui ne constituait pas un objet de grande convoitise, il faut en fait distinguer plusieurs cas de figure. Les petites exploitations suscitaient la curiosité des villageois qui se montraient à leur avantage sur ce marché. Dès qu’elles étaient assises sur une base foncière plus large, les exploitations agricoles, qui se rapprochaient de la ferme, devenaient plus un objet de vente qu’une marchandise à accaparer.

66Les parcelles excédant cinq hectares ne représentaient pas l’origine des excédents fonciers des contractants ruraux. Dans le Cambrésis, le solde était positif sur ce segment du marché, mais ne représentait que 3,6 % du total des excédents ; le creux était assez net dans la région lilloise, même si les ruraux y contractaient plus d’achats que de ventes. Les ruraux frayaient donc peu sur ce marché coûteux où ils étaient devancés par les intervenants plus fortunés de la noblesse et de la bourgeoisie citadine. Leurs soldes positifs provenaient ainsi des petites transactions, et notamment des nano-propriétés inférieures à un hectare. Ainsi, 57,7 % des excédents dépendaient des mutations de moins de deux hectares sur le marché cambrésien ; dans la région lilloise, la proportion s’élevait même à 95 % des soldes. Les taux de couverture étaient pourtant relativement bas. La rotation des biens-fonds était donc très forte sur ce segment du marché, aussi bien pour vendre que pour acheter. Compte tenu du volume important des transactions, ce médiocre déséquilibre créait tout de même des soldes élevés en valeurs absolues.

Tableau no 53 - Superficie des biens-fonds et solde (en florins) des transactions des ruraux sur le marché foncier du Cambrésis et de la Flandre wallonne (1751-2)

Tableau no 53 - Superficie des biens-fonds et solde (en florins) des transactions des ruraux sur le marché foncier du Cambrésis et de la Flandre wallonne (1751-2)

67Les actes de deux à cinq hectares étaient en revanche très déséquilibrés, surtout dans le Cambrésis où les opérateurs ruraux achetaient quatre fois plus qu’ils vendaient. Les excédents n’étaient donc pas négligeables, près de 40.000 florins dans la Flandre wallonne, plus de 12.000 florins dans le Cambrésis, c’est-à-dire le premier poste positif du marché, alors même que le volume total des échanges était peu important eu égard aux plus petites transactions. C’est dire que le dynamisme remarquable des quelques acteurs intéressés à ces échanges fonciers influait notoirement sur l’ampleur globale du solde positif : sur le marché cambrésien, 38,6 % du montant final des excédents dépendait de ce poste sur lequel quinze individus seulement, soit 2,4 % des acteurs, s’activaient.

68En définitive, les bénéfices réalisés par les ruraux dépendaient d’abord d’une multiplication de petits pas qui apparaissent d’une grande modestie quand ils sont appréciés isolément, mais dont l’importance est remarquable parce qu’ils s’accumulent. Mais, il ne faudrait pas négliger les soldes positifs réalisés dans les tranches supérieures du marché : ils sont moins nombreux, mais d’une ampleur individuelle notoire. De ce point de vue, les ruraux cambrésiens présentaient une force cumulative exceptionnelle sur tous les types d’échanges tandis que les Flamands tiraient la majeure partie de leurs excédents des plus petites transactions.

2) Des inégalités remarquables au sein du monde rural

69Convenons que toutes les communautés rurales n’étaient pas à même de présenter des soldes fonciers positifs. Les localités étrangères à la province présentaient les plus importants déficits : leur repli s’élevait à 67.540 florins sur le marché de la région lilloise et à près de 8300 florins dans le Cambrésis. Les communautés rurales allogènes lançaient ainsi sur le marché une quantité importante de biens-fonds. Les localités indigènes n’étaient pourtant pas toutes à même de profiter de leur proximité vis-à-vis des biens mis en vente. Un tiers d’entre elles ne présentait pas un bilan positif. Pour certaines, le déficit était volumineux, en particulier dans la région lilloise où l’ampleur des échanges créait des écarts importants : quatre localités, Lomme, Phalempin, Tourcoing et Roubaix présentaient un déficit supérieur à 10.000 florins.

70Apparemment, la proximité de la ville portait largement les soldes ruraux vers les déficits : parmi les paroisses limitrophes de Cambrai, celles de Cauroir, Escaudoeuvres ou Rumilly ne parvenaient pas à dégager des soldes positifs, la situation étant comparable pour Lambersart, Wazemmes ou Faches-Thumesnil à proximité de Lille. Dans la banlieue lilloise, les Esquermois achetaient pourtant pour 11.000 florins de plus que leurs ventes. La ville ne paraissait donc pas avoir toujours des effets discriminants pour les villages les plus proches dont les ressortissants savaient agir en autonomie sur le marché foncier.

71La dissémination rurale des activités proto-industrielles était souvent un handicap. Des villages mulquiniers du Cambrésis, la plupart vendaient plus qu’ils achetaient, en particulier Avesnes-les-Aubert, Inchy, Bertry, Caullery ou Boussières. Dans ces localités où l’implantation de la proto-industrie avait profité d’un terrain social favorable marqué par une petite paysannerie nombreuse, les bilans plutôt négatifs rendaient compte de situations sociales dégradées que la présence de belles fortunes établies dans le négoce et la manufacture ne pouvait pas contrebalancer.

  • 72 En 1780, dans le bureau d’Amboise, les paysans ne grignotaient que 9000 livres sur les autres group (...)
  • 73 Dans la région de Rumilly, les paysans, qui vendaient pour plus de 290.000 livres de Piémont entre (...)

72Quelle que fût la région considérée, la paysannerie se taillait la part du lion en dégageant des soldes positifs importants. Elle faisait preuve d’un dynamisme très remarquable dans le Cambrésis où le montant total de ses achats était près du quadruple de celui de ses ventes, mais paraissait moins entreprenante en Flandre wallonne où le montant de ses acquisitions ne couvrait celui des ventes que de 71 %, ce qui était malgré tout supérieur à la situation ligérienne72 et surtout savoyarde où les achats dépassaient de 16 % seulement les montants vendus73.

Tableau no 54 - Catégories socioprofessionnelles et soldes (en florins) des transactions sur le marché foncier du Cambrésis et de la Flandre wallonne (1751-2)

Tableau no 54 - Catégories socioprofessionnelles et soldes (en florins) des transactions sur le marché foncier du Cambrésis et de la Flandre wallonne (1751-2)

73Cette boulimie était surtout le fait des fermiers et des laboureurs qui avaient emporté plus de 141 hectares de biens fonciers dans la châtellenie de Lille. Ces bénéfices étaient le fait de quelques grosses transactions, mais l’impression générale était surtout celle d’un grignotage sans cesse renouvelé. Les fermiers gagnaient proportionnellement plus de terrain que les laboureurs. Seule une partie de cette paysannerie indépendante participait au mouvement des biens-fonds, mais elle semblait en passe de renforcer sur le marché foncier une prédominance socioéconomique fondée principalement sur l’exploitation de domaines fonciers ; il ne suffisait plus de travailler la terre, il fallait aussi la posséder.

  • 74 Dans la région de Montgailhard, les brassiers étaient les grands « perdants » du marché foncier, le (...)

74Plus surprenants étaient les résultats des journaliers. Bien entendu, la faiblesse de leurs possessions et la modestie de leurs moyens ne leur offraient qu’un rôle marginal dans les transferts sociaux de la propriété. Mais, compte tenu de la fragilité économique de ce groupe, il n’était pas illogique d’attendre une forte déperdition de biens-fonds74. Il n’en est rien. En Flandre wallonne, leurs ventes étaient deux fois plus nombreuses que leurs acquisitions, mais le repli était modéré, environ 4600 florins. Dans le Cambrésis, leurs achats étaient même en avance, les journaliers ne vendant pas. Les quelques biens lâchés étaient en partie compensés par de modestes acquisitions.

 

75Toutefois, le groupe des paysans était-il le seul maître du marché foncier parmi les ruraux ? Non, surtout dans la région lilloise où la bourgeoisie rurale accumulait les excédents de plus de 138.000 florins. Ce bilan positif est d’autant plus spectaculaire qu’il est le fait d’opérateurs peu nombreux, en tout cas près de trois fois moins nombreux que les paysans, qui effectuaient plus d’acquisitions que de ventes : avec plus de 290.000 florins, le montant total des achats était près de deux fois supérieur à celui des biens vendus. Bien ancrée dans la campagne flamande, cette catégorie était donc en mesure de concurrencer les fermiers et les laboureurs dans le jeu foncier. Elle se recrutait d’abord au sein des professions non marchandes. Remarquable était la force de pénétration des hommes de loi qui, vendant très peu, achetant beaucoup, dégageaient un solde positif de plus de 81.000 florins. Ils n’étaient pourtant que 51 à se lancer à la « conquête du sol », mais il est vrai que certains se montraient très entreprenants : flamboyante était la figure de Pierre-François Delahaye, sergent à Tourcoing dont les investissements pour 18.425 florins montraient une nette préférence pour l’immobilier dans ce bourg où l’augmentation forte de la population proto-industrielle offrait des espérances spéculatives. En revanche, les marchands, dont le volume total des affaires était plus important, ne présentaient pas une égale force d’accumulation, leur excédent étant même moitié moindre que celui des autres bourgeois. Pire, dans les bourgs où émergeait une bonne marchandise, ils reculaient. Sans doute, les nécessités marchandes s’arrangeaient assez mal avec l’immobilisation du capital dans la terre ou la pierre, le marchand ayant besoin de liquidités faciles à rassembler dans un délai court.

  • 75 Dans le Saint-Quentinois, les mulquiniers dégageaient presque chaque année des soldes positifs entr (...)

76Dans le Cambrésis, les artisans montraient un réel dynamisme foncier. Ils ne concurrençaient pourtant pas la paysannerie dans la maîtrise des transferts sociaux de la propriété foncière, leurs excédents correspondant seulement au cinquième de ceux des paysans. Leur bénéfice provenait surtout de l’action des mulquiniers qui présentaient un solde positif de 2614 florins. En effet, le travail proto-industriel offrait au mulquinier l’occasion de renforcer leur position sociale au sein des villages en s’intégrant au groupe des petits propriétaires75. En revanche, dans la région lilloise, les artisans, en dépit d’un excédent de 27.000 florins, ne parvenaient pas à talonner les paysans et la bourgeoisie rurale. Leurs ambitions foncières étaient non seulement freinées par leurs médiocres capacités financières, mais aussi dépendantes des évolutions conjoncturelles qui leur autorisaient ou non de disperser leurs orientations vers l’investissement foncier.

77Quant aux métiers du petit peuple et les personnes seules, ils accumulaient les déficits fonciers. En ce qui concerne les membres du menu peuple, les soldes étaient certes négatifs, mais ils l’étaient dans de modestes proportions. Leur bilan était le signe de leur fragilité socioéconomique, mais, compte tenu de la faiblesse quantitative de leurs possessions, ils avaient en fin de compte peu à perdre sur le marché foncier. On ne peut donc pas mesurer l’ampleur de la détresse sociale de cette catégorie à travers l’importance de leurs déficits fonciers. Pour ce qui est des personnes seules, veuves et orphelins, les réalités étaient simples : elles participaient largement à alimenter le marché foncier en biens à vendre.

 

  • 76 G. Béaur, op. cit., p. 198.

78En définitive, à l’image de la vallée de l’Eure, la région lilloise, marquée par une petite propriété prédominante, accordait sa chance à la bonne paysannerie, mais aussi à la bourgeoisie locale qui lui faisait vivement concurrence pour accaparer les biens mis en vente sur le marché, du moins ceux qu’elle avait les moyens d’acheter. En revanche, dans la plaine cambrésienne, cette compétition était menée par les fermiers et les laboureurs qui étaient les seuls dans le monde rural à disposer à la fois des capacités financières, de l’usage et de l’envie d’acheter des terres. Le Cambrésis se distingue toutefois de la région janvilloise à cause de l’intrusion des mulquiniers dans le jeu foncier d’où ils dégageaient des soldes positifs leur permettant de renforcer leur position de « classe moyenne » villageoise en s’intégrant aux petits propriétaires76.

Les citadins sur les marchés fonciers de la France du Nord

79Si les citadins bénéficiaient souvent d’avantages économiques certains par rapport aux ruraux, ils s’aventuraient à la campagne dans un monde qui leur était étranger. Pour autant, le prestige social et l’intérêt économique conféré par la terre étaient des arguments suffisants pour disposer une partie de leur capital au-delà des portes de la ville.

Les acteurs de « la conquête du sol »

1) Une population assez restreinte d’intervenants

80Au cours des années 1751 et 1752, 687 citadins ont participé au mouvement des biens-fonds de la région lilloise alors même que les ruraux étaient presque trois fois plus nombreux. Dans le Cambrésis, l’impression de faiblesse numérique était plus criante : les gens de la ville étaient cinq fois moins que les campagnards. Les citadins ne prenaient ainsi qu’une part minoritaire dans les transactions : 23 % des contractants étaient des citadins dans la châtellenie de Lille, moins de 13 % sur le marché foncier cambrésien.

  • 77 G. Béaur, op. cit., p. 152

81Dans le Cambrésis, l’existence d’une ville forte de 16.000 habitants ne paraissait pas bouleversante par rapport aux bureaux de Maintenon et de Janville où les citadins, surtout allogènes, représentaient 11,6 % des contractants77. Alors que l’écart d’urbanisation entre la Flandre wallonne et le Cambrésis était de 3,5 à la fin du 18e siècle, les citadins contractant dans la région lilloise étaient sept fois plus nombreux que leurs homologues cambrésiens. Le marché foncier accentuait donc les différences d’urbanisation, rendant compte qu’à niveau de population égale, les comportements des populations urbaines divergeaient par rapport à l’investissement foncier. Pourtant, dans la Flandre wallonne, la proportion des citadins était aussi plus faible que la part de la population urbaine évaluée à 32,6 % de la population totale. Cette situation exprime ainsi une sous-estimation générale des citadins sur le marché, mais dans ce contexte, l’effacement était plus spectaculaire dans le Cambrésis.

  • 78 Entre 1775 et 1780, un Rennais sur sept intervenait dans le jeu foncier, soit 2,4 % des imposés par (...)

82Du coup, au sein de la population urbaine, le groupe des contractants était très réduit, pas plus de 2,5 % des capités lillois, au même niveau de participation que les Rennais78. Evalués par rapport au nombre de chefs de famille de chaque ville, les Lillois dont 3,6 % des chefs de famille avaient vendu ou acheté un bien, étaient plus actifs que les Cambrésiens dont 1,7 % d’entre eux avaient été participants. Les habitants de Lille étaient donc, toute proportion gardée, plus attirés par l’investissement foncier que les Cambrésiens. Les citadins des petites villes l’étaient plus encore. Des six petites villes du Cambrésis et de la châtellenie de Lille, quatre faisaient intervenir une proportion de contractants supérieure à leur capitale régionale respective : à Comines, Lannoy et Seclin, 5 à 5,5 % des chefs de famille avaient signé au moins un acte de vente en deux années. Plus que les capitales régionales, les petites villes avaient lié leur destin à celui des villages environnants.

83Les citadins étaient donc ouverts à toutes les catégories de vendeurs et d’acheteurs dans la mesure où un groupe minoritaire avait de grandes probabilités de passer un contrat avec des catégories sociales qui lui étaient étrangères. Dans la majorité des cas, les citadins liaient des contacts avec des ruraux et des privilégiés. Pourtant, sur le marché cambrésien, un tiers des actes signés par un citadin l’était avec un homologue, cette proportion s'élevant à 42,6 % dans la région lilloise ; cette propension augmentait même lorsque l'opération était une acquisition. Cette situation était facilitée par les circuits de l’information passant par le voisinage des contractants ou le rôle de relais que jouait le notaire.

2) De l'inégalité des chances de participer au jeu foncier

84Quelle que fût la région considérée, 88 à 89 % des citadins acteurs du marché résidaient dans une ville située dans l'espace provincial étudié. Les faits de proximité étaient aussi une réalité pour les propriétaires des villes. En leur sein, ceux qui résidaient dans une des chefs-villes étaient les plus nombreux. Dans la Flandre wallonne, les Lillois rassemblaient deux contractants sur trois ; leur nombre était huit fois plus élevé que les Cominois, trente-huit fois plus que les Lannoyens. Sur le marché cambrésien, la prédominance des habitants de la capitale était moins nette : avec six opérateurs sur dix, leur représentation numérique n'était pas à négliger, mais l'écart avec les Catésiens dépassait seulement le double alors que Cambrai était 3,5 fois plus peuplée que la petite ville du Cateau. Le positionnement des Cambrésiens tenait donc moins à une forte activité des habitants de la petite ville qu’à leur désintérêt pour la terre.

85Quant aux citadins étrangers à la province, ils étaient nombreux sur le marché de la région lilloise. Nombre d'entre eux résidaient dans des villes assez proches : Bailleul, Béthune, Menin ou Orchies. Mais, les grandes et moyennes villes détenaient la majorité des intervenants. Du reste, plus on s'éloignait de Lille, plus les acheteurs et vendeurs étrangers résidaient dans une cité de taille au moins moyenne : la plupart provenaient de Douai ou d'Arras, mais certains étaient aussi originaires d'une ville non française comme La Haye et même Séville. Toutefois, si ces intervenants étrangers témoignaient de l’ampleur de l’aire relationnelle des chefs-villes, ils n’avaient qu’un rôle marginal dans la rotation des biens fonciers. Pour l’essentiel, l’activité motrice était détenue par les capitales régionales et, dans une moindre mesure, par les petites villes. Or, à l’intérieur de ces villes, les éléments dynamiques n'appartenaient pas de façon égale aux mêmes groupes sociaux.

86Force est de constater que les citadins intervenant sur le marché foncier appartenaient d'abord à la bourgeoisie. Il n'est que dans les petites villes flamandes où cette population apparaissait assez discrète, environ 35 % des opérateurs fonciers. Toujours est-il que le signalement social de cette catégorie variait d’une région à une autre.

Tableau no 55 - Catégories socioprofessionnelles et citadins acteurs du marché foncier du Cambrésis et de la Flandre wallonne (1751-2)

Tableau no 55 - Catégories socioprofessionnelles et citadins acteurs du marché foncier du Cambrésis et de la Flandre wallonne (1751-2)
  • 79 Dans le Vannetais, l’invasion du sol par la bourgeoisie tenait aussi d’abord à l’activité des négoc (...)
  • 80 La remarque était identique pour les négociants de Saint-Quentin qui n’étaient pas plus de 0,3 à 0, (...)

87Les gens d’affaires formaient l'élément principal du groupe des bourgeois dans les villes de la région lilloise79. La participation des Lillois au mouvement des biens-fonds était notable puisqu’ils formaient plus de six contractants sur dix. Parmi ceux-ci se trouvaient bien représentés des négociants réputés comme Philippe-Noël Goudeman. Les marchands étaient proportionnellement plus nombreux parmi les citadins des petites villes en action sur le marché foncier, mais il s’agissait surtout de boutiquiers. En revanche, dans le Cambrésis, négociants et marchands faisaient montre d’une remarquable discrétion80, leur représentation tombant à moins de 50 % des bourgeois participant au marché. Faut-il considérer cette timidité comme une marque de désintérêt pour la terre ? Sans doute en partie d’autant que la gestion de l’exurbanisation des activités textiles portait peu à se passionner pour les biens-fonds dont le rapport financier était médiocre.

  • 81 En 1775-80, 77 % des bourgeois de la capitale bretonne présents dans les échanges de biens-fonds ne (...)
  • 82 Dans le Roannais, l’appropriation foncière citadine sur la campagne environnante dépendait aussi pr (...)
  • 83 ADN, C 21027-2, Déclarations des propriétaires du Cateau, 1753.
  • 84 A. Radeff, « Propriété foncière et pouvoir en 17e siècle », dans Villes et campagnes (15e -20e sièc (...)

88Sur le marché cambrésien, les bourgeois les plus actifs préféraient porter la robe ou vivre de la rente. Moins omniprésents que sur le marché de la région rennaise81, les membres de la bourgeoisie d’Ancien Régime y formaient en effet 60 à 67 % des bourgeois. Ils y constituaient donc l’élément moteur de la présence citadine dans les campagnes82. La figure d’Alexandre Jesquy, échevin du Cateau, était assez symptomatique : acheteur à quatre reprises, il s’appropriait, entre septembre 1751 et octobre 1752, des parcelles de champs situées dans le terroir de la petite ville pour une étendue de 10 hectares ; en 1753, il déclarait au greffier du vingtième royal près de 38 hectares de biens-fonds dans le seul terroir catésien83. Cette relation entre la propriété de la terre et le pouvoir municipal n’est pas chose nouvelle, le pouvoir scabinal revenant d’abord à une élite de propriétaires fonciers conscients de l’intérêt et du prestige qu’il y avait à agir dans le jeu foncier84. Dans la région lilloise, cette bourgeoisie n’ignorait certes pas ce lien fondamental, mais elle y était mise en minorité, avec 12 à 15 % des effectifs.

89En dehors de la bourgeoisie, seuls les paysans vivant sur le terroir des petites villes flamandes étaient en mesure de jouer un rôle moteur dans le mouvement des biens fonds : rassemblant près de 43 % des contractants, ils y constituaient la principale force dynamisante du marché. Ceci dit, les situations divergeaient en fonction de la vocation manufacturière de la petite ville et de la superficie de son terroir qui déterminait le nombre d’exploitants du sol. Seclin, Comines et Armentières accordaient ainsi aux paysans une place notable dans le mouvement des biens-fonds.

  • 85 Leur participation au marché foncier était moindre que dans le Genevois où un intervenant sur quatr (...)

90Quant aux autres groupes socioprofessionnels, ils ne trouvaient pas sur le marché une représentation équivalente à leur poids réel dans la société urbaine. La chose était flagrante chez les artisans présents à hauteur de 10 à 18 % des contractants85. Apparemment, leur choix d’investissement dépassait assez peu les limites des villes. Ainsi, le marché foncier accentuait les contrastes sociaux par rapport au marché de la pierre où les catégories intermédiaires avaient relativement leur chance d’opérer des transactions même médiocres. Le sort du menu peuple demeurait, quant à lui, inchangé, les rares propriétés dont il disposait à la campagne leur étant souvent parvenues par les hasards successoraux. Si les circonstances le permettaient, il s’y attachait ; mais il suffisait d’un contexte moins favorable pour que ces ouvriers et journaliers lâchent ces parcelles. Du coup, leur participation au mouvement des biens-fonds demeurait marginale, 1 à 3 % des actes. Quant aux personnes seules qui rassemblaient 10 à 20 % des contractants, leur participation dépassait celle des veuves et célibataires résidant à la campagne. Cette distinction rend compte de la plus grande fragilité des personnes seules des villes. Elle stigmatise aussi un certain comportement : en cas de besoin, le choix de vendre une propriété allait aux biens situés à la campagne afin de se replier sur un capital immobilier urbain plus facile à gérer.

 

91En définitive, les citadins occupaient une position de retrait sur le marché foncier par rapport à la participation dominante des ruraux. Certes, les habitants des chefs-villes composaient une forte majorité des acteurs, mais, proportionnellement à leur taille, les petites villes faisaient montre d’un plus grand dynamisme, témoignant du maintien d’un lien étroit avec la campagne. Enfin, la corrélation avec les niveaux de richesse était flagrante sur le marché foncier qui, loin de refléter fidèlement les sociétés urbaines, agrandissait les contrastes sociaux.

Ampleur et limites des transactions foncières des citadins

1) Quelques grosses opérations qui masquent une masse d’interventions médiocres

  • 86 La dispersion de l’activité foncière est supérieure à ce qu’elle était dans la région rennaise où s (...)

92Il s’en fallait de beaucoup que les citadins fussent des acteurs réguliers du marché foncier : dans la région lilloise, 80 à 90 % d’entre eux n’apparaissaient qu’une seule fois en deux années86. Eu égard aux ruraux, les acteurs occasionnels étaient pourtant moins nombreux parmi les citadins.

93La confrontation avec le type de résidence des acteurs offre des résultats contradictoires. Sur le marché de la région lilloise, on peut distinguer la capitale et les petites villes dont les intervenants présentaient une activité plus dispersée, près de neuf d’entre eux sur dix ne se présentant qu’une seule fois. Des Lillois, 77 d’entre eux, 17 % seulement, opéraient deux fois et plus, mais ils contrôlaient un tiers des actes. Ainsi, une part non négligeable de la participation des Lillois au mouvement des biens-fonds dépendait de quelques dizaines d’individus fréquentant régulièrement les études notariales. Cette capacité augmentait encore parmi les citadins étrangers à la châtellenie de Lille, certains d’entre eux multipliant les ventes de biens trop éloignés : Jean-Edouard Lhoste, avocat arrageois, se débarrassait en six fois de parcelles de champs et de deux petites exploitations situées dans les Weppes.

Tableau no 56 - Activité des citadins intervenant sur le marché foncier du Cambrésis et de la Flandre wallonne (1751-2)

Tableau no 56 - Activité des citadins intervenant sur le marché foncier du Cambrésis et de la Flandre wallonne (1751-2)

94Dans le contexte cambrésien, les comportements des citadins de Cambrai et du Cateau divergeaient nettement : alors que la participation de la petite ville au mouvement des biens-fonds dépendait d’abord de l’action de quelques-uns, elle reposait plus sur une multiplication d’initiatives individuelles pour la cité archiépiscopale.

95De prime abord, plus on descendait vers les catégories populaires, plus l’activité sur le marché dépendait d’intervenants occasionnels. Au sein du menu peuple, le constat ne souffrait aucune contestation possible. L’émiettement de l’activité était moins prononcé chez les paysans et les artisans, mais restait à un niveau élevé. Dans les petites villes de la châtellenie de Lille, le mouvement des biens-fonds paraissait moins étranger aux artisans dont 38,5 % des intervenants achetaient ou vendaient au moins deux fois. En fait, seule la bourgeoisie d’Ancien Régime s’éloignait du modèle général en présentant une structure d’activité qui faisait une part plus belle à ceux qui échangeaient souvent. Motivés par le jeu foncier, certains robins tiraient profit de leur position pour traquer les bonnes affaires en opérant dans de multiples directions. La bourgeoise marchande se montrait moins entreprenante.

 

  • 87 Ibidem, p. 284-285.

96Dans la Flandre wallonne, la dénivellation des valeurs moyennes des transactions coïncidait avec la hiérarchie des villes. Les opérations foncières des Lillois, qui n’hésitaient pas à engager plus de 2100 florins en moyenne, valaient le double de celles signées par les habitants des petites villes. Au-delà de 2000 florins, les Lillois, rassemblant presque trois acteurs sur dix, étaient nettement mieux représentés que les autres citadins ; leur comportement est d’autant plus remarquable qu’en comparaison les Rennais se tournaient en majorité vers les petites ventes87. Sur ce segment, la concurrence provenait non pas des petites villes, mais des citadins résidant en dehors de la châtellenie de Lille.

97Sur le marché foncier du Cambrésis, la hiérarchie urbaine était étouffée par le volume financier engagé par les différents citadins. Certes, avec près de 39.000 florins échangés, les habitants de Cambrai étaient les premiers citadins sur le marché, mais leur participation financière était peu supérieure à celle des Catésiens. Il est vrai que la moyenne des transactions opérées par les citadins du Cateau s’élevait à 1050 florins, là où elle n’atteignait pas 600 florins pour les Cambrésiens tournés surtout vers les petites mutations.

98En fait, la dénivellation des valeurs des actes reproduit grosso modo la dénivellation des fortunes des différentes catégories socioprofessionnelles. Déjà peu présent sur le marché, le menu peuple faisait figure de déshérité par les sommes modiques qu’il engageait puisque au-delà de quelques centaines de florins, il disparaissait du circuit des échanges. Du coup, il ne fallait pas compter sur lui pour peser sur le marché : au mieux, participait-il à la rotation de 0,3 % du volume des valeurs échangées par les Lillois.

Tableau no 57 - Structure des transactions réalisées par les citadins sur le marché foncier du Cambrésis et de la Flandre wallonne (1751-2)

Tableau no 57 - Structure des transactions réalisées par les citadins sur le marché foncier du Cambrésis et de la Flandre wallonne (1751-2)

99Artisans et paysans traitaient des affaires globalement moins modestes. Sur la tranche des actes de 400 à 2000 florins, les artisans étaient les plus nombreux ; rares étaient ceux à intervenir sur les transactions de plus de 2000 florins pour lesquelles ils ne disposaient pas des capitaux suffisants. Non dépourvus de moyens adaptés au marché intermédiaire, paysans et artisans n’en négligeaient pas pourtant les petites opérations foncières.

100S’ils ne délaissaient pas la partie inférieure du marché, les bourgeois ne lui consacraient qu’une partie minoritaire de leurs opérations foncières, tout particulièrement parmi les Lillois qui s’y impliquaient seulement à hauteur de 17 % de leur activité. Toutefois, les habitants de Cambrai y faisaient montre d’un réel intérêt, en particulier parmi les robins largement tournés vers les mutations de moins de 400 florins. Comment comprendre cette attitude sans équivalent dans les autres villes ? Elle ne semble pas être le résultat d’un dédain pour la terre quand on sait la valeur symbolique qu’elle revêtait auprès de cette population. Ce résultat était plutôt le reflet d’un clivage interne : les officiers et hommes de loi, déjà richement possessionnés dans la campagne, ne se sentaient plus obligés d’entrer en scène sur le marché, un immobilisme dont profitaient les petits robins, non dépourvus d’ambition, mais butant sur la dure réalité financière.

  • 88 Dans la Beauce, la bourgeoisie préférait les transactions comprises entre 1000 et 10.000 livres. G. (...)

101De fait, les bourgeois participaient plutôt au mouvement des biens-fonds de valeur intermédiaire et supérieure88. Au-delà de 2000 florins, ils n’étaient guère concurrencés par d’autres citadins : parmi les Lillois, ils rassemblaient deux de ces opérateurs sur trois, la proportion s’élevant même à 76 % parmi les citadins des petites villes de la châtellenie. Même s’ils y étaient moins nombreux, les robins s’orientaient avec plus d’aisance sur ce segment que les marchands qui participaient souvent à des transactions moins coûteuses. C’est ainsi que parmi les 14 bourgeois lillois présents sur le terrain des actes de plus de 10000 florins, neuf appartenaient à la bourgeoisie d’Ancien Régime. Dans les petites villes, la marchandise paraissait plus entreprenante sur ce secteur. Ainsi, la bourgeoisie renforçait sa position dans le jeu foncier : elle faisait mouvoir plus de 65 % du volume financier total déplacé par les Lillois. En revanche, elle perdait pied dans le Cambrésis, surtout dans sa capitale où sa représentation chutait à un quart.

2) Des bassins fonciers à géométrie variable

102L’étude des aires d’appropriation foncière des villes de la France du Nord a permis de constater à quel point la principale explication de la présence des citadins dans les campagnes environnantes tenait au phénomène de proximité seulement modulé par les facilités d’accessibilité et la rentabilité des sols cultivés. En fonction du potentiel démographique et social des centres urbains, la zone d’influence se dilatait ou à l’inverse se comprimait.

  • 89 S. Dontenwill, op. cit., p. 265-271.

103Quelle que fût la petite ville, l’espace relationnel dessiné par les participations des citadins au marché foncier dépassait rarement un rayon de 6 à 8 kilomètres que ne contredisait pas à la même époque la microrégion économique de Charlieu89. À l’intérieur de cette zone d’influence, la densité des interventions urbaines était inégale. Les terroirs des petites villes accueillaient toujours une proportion forte de transactions émanant surtout des populations citadines et des nobles. Au-delà du pôle central, seules les paroisses limitrophes recevaient des petites villes une quantité non marginale de leur activité : les engagements financiers des Lannoyens à Lys-les-Lannoy s’élevaient à près de 49 % des sommes déplacées. Au-delà, la participation des petites villes devenaient presque négligeables, souvent inférieures à 10 % du volume total, y compris dans les villages voisins.

Carte no 22 - Aire d’intervention foncière des petites villes du Cambrésis et de la Flandre wallonne (1751-2)

Carte no 22 - Aire d’intervention foncière des petites villes du Cambrésis et de la Flandre wallonne (1751-2)
  • 90 La Lys était l’axe majeur du commerce de Siméon Vanoye, négociant armentiérois de toiles, dont l’ac (...)

104L’aire foncière des petites villes était rarement circulaire. Elle butait sur les zones d’influence concurrentes avec lesquelles les chevauchements étaient rares. Certes, la petite ville d’Armentières était représentée sur le terroir même de Comines, mais il s’agissait là d’une opération marginale n’excédant pas 210 florins. La capacité d’intervention des citadins des petites villes, qui s’étiolait progressivement à mesure que grandissait l’éloignement, chutait ainsi brusquement dès qu’elle rencontrait une concurrence exercée par des bourgs et d’autres villes. Les voies de communication guidaient aussi les espaces relationnels des petites villes comme en témoigne la propension des citadins armentiérois et cominois à orienter leurs transactions suivant l’axe de la Lys qui canalisait du reste une grande partie des échanges économiques et humains90.

105Si chaque petite ville défendait donc un système analogue de polarisation de l’espace rural environnant où la densité des engagements des citadins déclinait grosso modo du centre vers la périphérie du bassin foncier, elle se différenciait par l’étendue de leur sphère géographique. En l’occurrence, le critère d’explication déterminant était la puissance démographique des petites villes. Ainsi, en Flandre wallonne, seules les paroisses urbaines les plus peuplées, Comines et surtout Armentières, faisaient montre d’une activité d’échange dans les localités situées à plus de dix kilomètres. Le plus souvent, le principal motif qui poussait les citadins à procéder à des opérations foncières dans un finage éloigné tenait à l’existence de relations personnelles dans un village. Pour autant, cette présence diffuse sur des horizons lointains demeurait peu fréquente.

 

106L’emprise foncière des Cambrésiens et des Lillois est sans commune mesure avec celle des petites villes. Présents dans 22 paroisses, les Cambrésiens dispersaient leur participation foncière bien plus que les Catésiens aperçus dans trois localités seulement. Quant aux Lillois, leurs interventions étaient près de seize fois plus fortes que celles des Cominois ; ils multipliaient même les opérations dans toute la châtellenie au point que seulement un quart des paroisses les ignorait. À la différence des petites villes, les deux chefs-villes présentaient ainsi une aire d’intervention foncière plus étendue débordant largement l’espace des paroisses voisines. Par sa puissance, Lille était influente sur un espace plus dilaté que celui de la ville de Cambrai.

Carte no 23 - Aire foncière de Lille et de Cambrai (1751-2)

Carte no 23 - Aire foncière de Lille et de Cambrai (1751-2)
  • 91 S. Dontenwill, op. cit., p. 351-353.

107Cambrai était au centre d’un espace relationnel dont le rayon ne dépassait guère dix kilomètres. En ce sens, bien qu’elle fût deux fois plus peuplée, la ville de Cambrai ne se distinguait pas de l’aire foncière de Roanne, ville moyenne de 7000 habitants dont les interventions des citadins étaient concentrées dans un cercle de vingt-quatre kilomètres de diamètre91. Ainsi, la ville de Cambrai, loin de polariser l’ensemble de l’espace provincial, ne maintenait une réelle influence que sur un bassin qui débordait les paroisses voisines vers les horizons septentrionaux où la qualité des sols laissait augurer de bons rendements céréaliers. Les Cambrésiens butaient en revanche à l’Est sur la résistance exercée par les ruraux mulquiniers et au Sud où les terres à vendre étaient rares.

  • 92 Dans le cas rennais, la concentration à proximité de la ville était bien plus affirmée, la seule ba (...)

108Les Lillois étaient en revanche peu ou prou représentés dans toute la châtellenie. Certes, une part notable de leurs opérations était accueillie par les paroisses limitrophes : près de 15 % de leurs investissements se concentraient en effet dans la zone rurale de Lille et la première couronne des paroisses environnantes92. Mais, les Lillois étaient aussi fortement installés au-delà de ce bassin de strict voisinage. Toutefois, l’affaiblissement des opérations citadines grandissait nettement dans la partie méridionale de la Flandre wallonne où le niveau élevé des revenus moyens, notamment dans les Weppes, laissait une partie des ruraux à l’abri de nombreuses mises en vente ; les terres, souvent humides et marécageuses dans la vallée de la haute Deûle, n’y étaient en outre pas d’un grand intérêt. Les Lillois se heurtaient aussi à une forte résistance dans la zone proto-industrielle de Roubaix, Tourcoing et Wattrelos où les fortunes nées de la manufacture s’investissaient dans la terre.

  • 93 R. Favier, loc. cit., dans J-P Poussou, P. Loupès éd., op. cit., p. 323-334.

109Les aires d’intervention foncière des Lillois et des Cambrésiens témoignaient d’une organisation différente de l’espace régional : là où Cambrai ne polarisait qu’une partie de la province, Lille irriguait amplement les campagnes environnantes. Cette divergence se lisait aussi à travers l’influence que ces deux cités exerçaient sur l’emprise foncière des petites villes. Dans le Cambrésis, la différence démographique et économique entre les deux villes ne se traduisait pas par une véritable subordination dans la mesure où l’espace foncier de Cambrai ne venait pas couvrir le Cateau et son pays. En ce sens, cette juxtaposition d’aires foncières différentes rendait compte d’un cloisonnement régional déjà aperçu dans le Dauphiné où les grandes et moyennes villes venaient rarement intervenir dans la zone d’influence des petites villes93. Au contraire, la hiérarchie était nette dans la Flandre wallonne où les Lillois parvenaient à s’immiscer dans les zones d’influence des petites villes. Du coup, les bassins fonciers de ces petites cités étaient intégrés dans un ensemble régional plus vaste polarisé par Lille.

110Au-delà des stratégies individuelles, les bassins fonciers présentaient une élasticité selon les catégories socioprofessionnelles. Considérons l’exemple de Lille dont les opérations de chaque catégorie ont été ventilées dans trois ensembles géographiques déterminés en fonction de l’éloignement par rapport à la capitale régionale : la zone de proximité immédiate regroupant le terroir lillois et celui des paroisses rurales limitrophes, la seconde couronne périphérique et les paroisses éloignées. Ainsi, l’extension de l’influence foncière de Lille tenait essentiellement à l’activité de la bourgeoisie dont l’aire d’intervention débordait largement l’espace proche de la chef-ville : en effet, dans le troisième cercle, plus de trois mutations sur quatre étaient contractées par des bourgeois. Si les négociants étaient les plus nombreux, la bourgeoisie d’Ancien Régime montrait aussi une forte propension à agir loin de Lille : 73,5 % de son activité était réalisée au-delà de la deuxième couronne. En revanche, le repliement spatial était clair parmi les autres catégories, en particulier pour les paysans dont la majorité des interventions se limitait à l’aire de proximité immédiate. Quant aux salariés urbains, ils n’agissaient que loin de l’aire de proximité lilloise : la valeur vénale unitaire trop élevée à l’approche de Lille constituait en effet un obstacle à leurs ambitions, mais ce rapport à l’espace rendait aussi compte des phénomènes migratoires, cette population prolétarisée étant souvent déracinée du monde rural où elle avait gardé quelques parcelles dont elle se délaissait quand les circonstances l’exigeaient.

Les bilans contrastés des opérations foncières des citadins

1) L’image inversée de deux comportements urbains

111La confrontation des résultats des citadins sur les marchés fonciers du Cambrésis et de la Flandre wallonne témoigne d’attitudes très différentes. L’ensemble des interventions citadines en 1751-2 sur le marché de la région lilloise présentait un solde positif élevé de 120.604,05 florins, correspondant à près de 125 hectares. Quoique moins nombreux dans les échanges que les ruraux, les acteurs des villes y affichaient donc un bilan global un peu supérieur. Franchement différente était la situation dans le Cambrésis où les villes étaient en position défensive : le solde négatif de 9615 florins était le fruit d’un déséquilibre assez marqué, le volume des ventes couvrant celui des acquisitions de 27 %.

112Quelle que fût la région considérée, les échanges se faisaient au détriment des citadins allogènes. Dans la châtellenie de Lille, ils étaient amputés de près de 33.000 florins, mais grâce à deux belles acquisitions, ils échappaient au naufrage sur le marché cambrésien. Ainsi, les ventes devenaient plus nombreuses dès lors que l’éloignement augmentait vis-à-vis du bien à gérer : les Douaisiens, qui ne firent que vendre, abandonnaient même plus de 35.000 florins dans la région lilloise.

  • 94 A. Jollet, op. cit., p. 352-359.
  • 95 P. Jarnoux, op. cit., p. 268-269.

113En revanche, les petites villes profitaient du mouvement des biens-fonds, ce qu’on ne retrouvait ni pour Amboise dont les ventes en 1780 dépassaient les achats de 10.000 livres94 ni pour les petites villes bretonnes largement responsables du déficit de 397.046 livres des citadins95. Toutefois, compte tenu de la relative médiocrité de leurs interventions, les petites villes n’affichaient pas des bilans très positifs. L’appréciation de leurs bilans fonciers rend en outre compte de résultats contrastés, les excédents s’imposant surtout pour les cités les moins médiocres comme Armentières, Comines et Le Cateau.

  • 96 Ibidem, p. 285-286.

114Les contrastes augmentaient de façon spectaculaire dans les comportements des citadins des deux chefs-villes. Côté lillois, le solde nettement positif s’élevait à 132.321 florins ; la ville de Lille, particulièrement entreprenante sur le marché foncier, se montrait même mieux disposée que la capitale bretonne dont les possessions foncières n’avaient cru que de 51.759 livres en six années96. À l’inverse, le repli des Cambrésiens était important : le recul de 18.473 florins tirait son origine de ventes nombreuses dont le montant était presque trois fois supérieur à celui des acquisitions. C’est donc une véritable débandade à laquelle les contractants de Cambrai nous font assister.

Tableau no 58 - Bilan des transferts fonciers des différentes villes sur le marché foncier du Cambrésis et de la Flandre wallonne (1751-2)

Vente

Achat

Solde

Taux de couverture

Citadins dans la Flandre wallonne

734.737,35 fl
449,9 ha
469 actes

855.341,4 fl
574,9 ha
331 actes

120604,05 fl
125 ha
-138 actes

116,4
127,8

Lillois

521.131,2 fl
303,9 ha
289 actes

653.453,05 fl
423,03 ha
238 actes

132.321,85 fl
119,13 ha
-51 actes

125,4
139,2

Petites villes

81.389,1 fl
54 ha
95 actes

102.618,35 fl
65,3 ha
84 actes

21.229,25 fl
11,3 ha
-11 actes

126,1 120,9

Villes étrangères à la Flandre wallonne

132.217,05 fl
95 ha
85 actes

99.270 fl
86,6 ha
9 actes

-32.947,05 fl
-5,4 ha
-76 actes

75,1
94,1

Citadins dans le Cambrésis

45.415,05 fl
46,24 ha
70actes

35.799,55 fl
40,24 ha
34 actes

-9615,5 fl
-6 ha-36 actes

78,8
87

Cambrésiens

28.712,55 fl
30,76 ha
51 actes

10.239,05 fl
13,33 ha
15 actes

-18.473,5 fl
-17,43 ha
-36 actes

35,7 43,3

Catésiens

14.103,7 fl
11,62 ha
10 actes

20.550,5 fl
20,74 ha
17 actes

6446,8 fl
9,12 ha
7 actes

145,7
178,5

Villes étrangères au Cambrésis

2698,8 fl
3,86 ha
9 actes

5010 fl
6,17 ha
2 actes

2311,2 fl
2,31 ha
-7 actes

185,6 159,8

115Pourtant, les deux capitales régionales vendaient plus souvent qu’elles achetaient. Le nombre de ventes était proportionnellement supérieur dans le cas cambrésien : les Cambrésiens vendaient en moyenne trois fois plus qu’ils achetaient ; les opérations des Lillois étaient plus équilibrées, leurs ventes concentrant 54,8 % de leurs activités. Mais ceci ne peut expliquer seul le contraste entre Cambrai et Lille. Il faut donc envisager la structure des actes de ventes et d’achats pour apprécier la différenciation de leurs comportements.

Tableau no 59 -Structure des actes de ventes et d’achats des Lillois et des Cambrésiens sur le marché foncier (1751-2)

Tableau no 59 -Structure des actes de ventes et d’achats des Lillois et des Cambrésiens sur le marché foncier (1751-2)
  • 97 Ibidem, p. 285-286.

116La ventilation des actes contractés par les Lillois montre une attitude contradictoire. À l’image des Rennais97, ils délaissaient surtout les biens les plus modestes. A contrario, au-delà de 1000 florins, ils enregistraient un solde positif des actes. Bref, la diminution du nombre de possessions lilloises à la campagne consistait surtout en petites parcelles alors que l’acquisition de quelques gros domaines permettait d’accroître leur position en termes de superficie. En revanche, les Cambrésiens perdaient pied sur le marché quelle que fût la valeur des biens considérés.

Tableau no 60 - Bilans sociaux des transports de propriétés (exprimés en florin) des citadins sur le marché foncier du Cambrésis et de la Flandre wallonne (1751-2)

Tableau no 60 - Bilans sociaux des transports de propriétés (exprimés en florin) des citadins sur le marché foncier du Cambrésis et de la Flandre wallonne (1751-2)
  • 98 Parmi les capités à moins de dix livres, on vendait trois fois plus qu’on achetait. P. Jarnoux, op. (...)

117Les personnes seules étaient systématiquement en situation de déficit sur le marché foncier, sauf à Armentières grâce à une seule acquisition. Ce bilan s’expliquait surtout par le nombre supérieur des ventes : à Lille, ce groupe était présent à 66 reprises parmi les vendeurs alors qu’on enregistrait seulement 15 actes d’achat. À la différence des personnes seules qui participaient amplement à la rotation des biens-fonds, les catégories populaires du salariat et de l’artisanat n’influaient guère sur le résultat final de chaque cité ; contrairement au cas rennais98, elles maintenaient globalement leur position au travers du jeu foncier. A priori, les comportements affichés par les paysans ne se différenciaient guère de ceux des artisans avec lesquels on reconnaît une certaine coïncidence.

  • 99 P. Bois, op. cit., p. 366.
  • 100 Ce contraste n’est pas sans rappeler l’image inversée de la bourgeoisie montbrisonnaise dont l’esso (...)

118Toujours est-il que pour l’essentiel, le destin des villes sur le marché foncier dépendait de l’attitude affichée par la bourgeoisie. En l’occurrence, les trois villes où ils semblaient fragilisés, en l’occurrence à La Bassée, Seclin et Cambrai, étaient celles dont les soldes globaux étaient ou négatifs ou de peu positifs. Les déficits fonciers de la bourgeoisie peuvent-ils être appréciés comme « l’indice d’une société urbaine en difficulté »99 ? Difficile de le croire dans la mesure où Le Cateau, marqué comme Cambrai par une forte prolétarisation de sa société, présentait des soldes positifs dont la bourgeoisie était largement responsable. À Cambrai, c’est donc plutôt l’attentisme qui prévalait chez les bourgeois. Du coup, il suffisait de quelques ventes pour que les bilans bourgeois ne devinssent déficitaires. En revanche, Lille et les autres petites villes, portées par l’activité manufacturière et négociante, trouvaient en leur sein des bourgeois entreprenants100. Pour autant, mis à part l’exemple lillois, c’est un petit nombre d’intervenants qui faisait balancer la bourgeoisie vers les soldes positifs. Du coup, l’intensité des bénéfices était très variable : avec 215.680,75 florins, les bourgeois lillois se montraient plus entreprenants que tous les autres, reléguant les Armentiérois à plus de treize longueurs.

  • 101 ADN, Tabellion 2124, acte de vente du 12 mai 1751.

119Au sein de la bourgeoisie, les comportements divergeaient. La bourgeoisie d’Ancien Régime se montrait la plus entreprenante. À Lille où elle présentait une participation totale inférieure aux marchands, elle affichait un solde positif plus de deux fois supérieur. Ces bourgeois de type ancien étaient bel et bien des « rassembleurs de terre », leurs acquisitions dépassant le volume de leurs ventes de 135 %. Ils n’hésitaient pas à investir de fortes sommes pour s’emparer de gros domaines délaissés par d’autres bourgeois et quelques nobles : Jean Monmessin acquit ainsi une ferme de huit hectares à Tourcoing provenant des biens délaissés par Louis-François de Dion, baron de Riquebourg101.

  • 102 P. Jarnoux, op. cit., p. 302-304.

120En revanche, les négociants, nombreux à acheter, se montraient aussi très vendeurs, le taux de couverture de leurs affaires n’étant que + 38,5 %. Bien entendu, cette tendance forte peut être le fruit d’un revers de fortune pour une profession soumise aux aléas de la conjoncture, mais elle dénote surtout une perception particulière de la terre conçue d’abord comme un investissement. Dès lors, la propriété foncière des marchands se caractérisait par sa fluidité, son détenteur recourant à la vente pour disposer de liquidités. Du coup, contrairement aux Rennais, les marchands lillois ne se débarrassaient guère des gros domaines102.

121Toujours est-il que la bourgeoisie, de part le volume des affaires qu’elle brassait, détenait seule ou presque la capacité de la ville à rayonner sur son plat pays. Qu’elle demeure attentiste, et le centre urbain rencontrait des difficultés à faire face aux appétits des ruraux. À l’inverse, une ville se montrait conquérante dès lors que sa bourgeoisie faisait montre d’un tempérament offensif. Pour autant, ce mouvement s’inscrivait presque systématiquement dans un contexte de diminution du nombre des possessions foncières des citadins à la campagne, même quand le solde des opérations était positif. Une telle contradiction cachait en fait un processus de concentration des propriétés.

2) Restructuration des possessions foncières ?

122Les citadins délaissaient de nombreuses parcelles, surtout de petite quantité, mais se portaient acquéreurs de quelques biens plus étendus. Cette concentration était-elle accompagnée d’un goût pour un type de biens en particulier ?

Tableau no 61 - Solde en nombre des biens vendus et achetés par les citadins sur le marché foncier du Cambrésis et de la Flandre wallonne (1751-2)

Lille

Petites villes flamandes

Cambrai

Le Cateau

Labours

65922,3

-7688,9

-9293,8

1599,9

Jardins

-3395,5

2292

-377,6

-323,2

Prés

-3393

9076,25

-3150

0

Bois

-2312,5

363

Fiefs

28390

Parcelles seules

73508,65

7752,35

-14221,4

1276,8

Moulins

-3800

0

Maisons

62613,2

14476,9

-3412,1

5170

  • 103 Ibidem, p. 287-288.
  • 104 A. Antoine, Les comptes ordinaires de Pierre Duchemin du Tertre, marchand de toile et seigneur dans (...)

123Le bâti résistait mieux à l’effritement des propriétés que le parcellaire. Les parcelles plus fluides étaient plus faciles à vendre d’autant qu’un petit lopin pouvait suffire à satisfaire le vendeur contraint de vendre pour rembourser quelques dettes. La plus grande volatilité des terres était remarquable chez les Cambrésiens dont près de 84 % des déficits fonciers émanaient de ces biens. Les Lillois témoignaient d’une attitude différente suivant la nature des biens bâtis. En effet, derrière la forte érosion en bâti se cachait des bénéfices sur les exploitations agricoles de plus de cinq hectares ; à l’image du comportement des Rennais, les Lillois se débarrassaient plutôt des petites exploitations, mais portaient leurs efforts sur les grandes, plus solides et plus prestigieuses103. L’attitude dont ils faisaient montre à l’égard des fiefs témoigne aussi d’une recherche du prestige. En effet, aucun citadin n’abandonnait de tels biens, non qu’ils n’en possèdent pas, mais plutôt, une fois un fief acquis, ils le conservaient pour le transmettre à leurs enfants. Toute possession noble était alors prétexte à la bourgeoisie pour tenter de rehausser son prestige en glorifiant son nom. Ce besoin, à l’instar de Pierre Duchemin du Tertre, marchand de toile lavallois104, s’exprimait davantage dans la marchandise sensible à l’opprobre qui touchait l’argent dans les conceptions chrétiennes traditionnelles.

124On est surpris par la nature des interventions lilloises peu tournées vers les près et les jardins. Certes, dans une région où les talents de l’agriculture flamande rendaient les champs très productifs, l’écart de rentabilité entre les différentes catégories de biens-fonds était réduit, mais le comportement lillois était aussi commandé par la proximité. Les prés les plus convoités, ceux de la vallée de la Lys, étaient éloignés de près de quinze kilomètres. Les Armentiérois et les Cominois étaient ainsi mieux placés pour les accaparer.

 

125Les transferts de propriétés créaient aussi un processus de concentration spatiale. Pour Cambrai, les bilans fonciers étaient positifs dans cinq paroisses seulement, soit une sur cinq ; les villes d’Armentières et de Lille montraient une situation plus équilibrée, la moitié des localités où elles intervenaient dans les échanges étant à leur avantage. Globalement, la disposition spatiale de ces terres de conquête répond à la même logique. Première règle : c’est autour du centre urbain que se trouvait le plat pays le plus investi par les opérations foncières citadines. Ainsi, les cinq localités dans lesquelles la ville de Cambrai progressait, étaient strictement limitrophes. De même, 26 des 54 paroisses où Lille était en situation positive, se trouvaient à moins de 10 kilomètres de la capitale flamande ; dans cette zone, les Lillois, en progrès de 71.146 florins, y achetaient 32 % de plus que le montant vendu. Ainsi, les principaux soldes positifs ne souffraient guère la dispersion spatiale : près de 79 % des bénéfices armentiérois étaient concentrés sur la partie rurale de la petite ville et sur le terroir d’Erquinghem-sur-la-Lys.

Carte no 24 - Solde des opérations des citadins du Cambrésis et de la Flandre wallonne sur le marché foncier (1751-2)

Carte no 24 - Solde des opérations des citadins du Cambrésis et de la Flandre wallonne sur le marché foncier (1751-2)

126Deuxièmement, sur le terroir des chefs-villes, les citadins étaient fragilisés, soit que leurs bénéfices fussent précaires comme à Cambrai, soit qu’ils vendissent plus qu’ils achetassent. À cet égard, ils souffraient du dynamisme des localités suburbaines peuplées d’une bourgeoisie et d’une paysannerie enrichies dans le trafic avec la métropole provinciale ; l’avidité des nobles qui y avaient trouvé refuge n’y était pas non plus étrangère.

127Troisième évidence : au-delà de cet espace étroit, le processus s’inverse. L’éloignement incitait alors les citadins à vendre plus qu’à investir. Certes, les Lillois présentaient encore des soldes positifs au-delà d’une aire de dix kilomètres de rayon, mais, dans cette zone, 32 des 54 paroisses ne leur étaient plus favorables ; le solde était même abaissé à 57.924 florins à cause du nombre accru des ventes couvertes à 23 % seulement par les acquisitions. En effet, parmi les sept localités situées à moins de dix kilomètres de la capitale flamande où elle réalisait des soldes positifs supérieurs à 5000 florins, cinq d’entre elles se trouvaient dans le Ferrain, en particulier Marcq-en-Baroeul et Wasquehal. Bref, si les Lillois n’ignoraient aucune zone géographique, leurs investissements se portaient plus aisément vers les terres spéculatives du Ferrain où les techniques flamandes étaient appliquées mieux qu’ailleurs.

 

128En définitive, à trop parler de conquête urbaine de la terre, on en oublie que les citadins doivent composer avec les ruraux sur le marché foncier. En effet, les ruraux dont les éléments les plus dynamiques se trouvaient parmi la paysannerie aisée et la bourgeoisie des bourgs et gros villages, se montraient à leur avantage dans les échanges de petite valeur. La multiplication de petits pas leur permettait de progresser sur la propriété foncière au jeu des échanges. Toutefois, les soldes positifs des ruraux s’étiolaient à mesure qu’on se rapprochait des centres urbains.

129En effet, les villes, quelle que fussent leur taille, dominaient la campagne environnante même si cette aire foncière ne s’élargissait guère au-delà de 10 à 15 kilomètres. Par-delà cette capacité à mettre la main sur les terres passant à leur portée immédiate, les villes n’étaient pourtant pas toutes à même de tirer profit du jeu foncier. Il est vrai que leur destin dépendait largement du comportement de la bourgeoisie. Qu’elle se montre attentiste préférant conserver son patrimoine plutôt que participer au marché, et la situation foncière de la cité s’en trouve atteinte. Toutefois, la conjoncture pouvait remettre en cause cet équilibre d’autant que la capacité des ruraux à se montrer offensif sur le jeu foncier dépendait des cycles céréaliers.

Notes

1 Cité par M. Bloch, Les caractères originaux de l’histoire rurale française, Paris, A. Colin, 1999, p. 171.

2 Dans le Consulat de Graulhet, le clergé représentait 1,71 % des acheteurs en 1783. A. Contis, Graulhet au 18e siècle : familles, fortunes, mentalités, Université de Toulouse II, Thèse de Doctorat, 1985, p. 489.

3 Ces chiffres confirment les données laissées par le marché breton où la noblesse ne représentait que 2,5 % des intervenants en 1750. P. Jarnoux, Les bourgeois et la terre. Activités, fortunes, stratégies foncières à Rennes au XVIIIe siècle, PU. Rennes, 1996, p. 313.

4 Dans le bureau d’Amboise, la situation n’était pas très différente à la fin de l’Ancien Régime puisque la noblesse, regroupant 2,8 % des vendeurs, disparaissait presque des achats où elle se présentait à hauteur de 0,4 % des contractants. A. Jollet, Terre et société en Révolution. Approche du lien social dans la région d’Amboise, Paris, CTHS, 2000, p. 269.

5 La noblesse de la France du Nord paraissait toutefois nettement plus ouverte aux autres groupes sociaux que dans le Bordelais : parmi les 350 actes contractés entre 1770 et 1789 par au moins un noble, comme vendeur ou comme acheteur, 171, soit 48,9 % de l’ensemble, mettaient en relation deux aristocrates. M. Figeac, Destins de la noblesse bordelaise (1770-1830), Bordeaux, Fédération Historique du Sud-Ouest, 1996, p. 104-114.

6 En Savoie, le second ordre restait attaché au monde des campagnes. L’analyse des transactions de biens-fonds passées dans la région de Rumilly entre 1786 et 1789 démontre que 68 % des acquéreurs de terres nobles étaient paysans ; quand ils achetaient, les nobles le faisaient dans 81 % des cas avec des paysans. J. Nicolas, La Savoie au 18e siècle. Noblesse et bourgeoisie, Paris, Maloine, 1978, p. 742-748.

7 P. Denis du Péage, Notes généalogiques sur quelques familles d’Artois et de Flandre, Lille, SILIC, 1951, p. 41-44.

8 P. Denis du Péage, Recueils de généalogies lilloises, tome 1, 1906, p. 7-13.

9 P. Denis du Péage, Mélanges généalogiques, 3e série, p. 150-157.

10 Dans le village bourguignon de Renêve, la faible présence des nobles qui ne contractaient que 3,9 % des ventes réalisées entre 1748 et 1789, n’empêchait nullement une grande capacité motrice puisque c’était pas moins de 17,6 % de la valeur du marché qu’ils contrôlaient. P. de Saint-Jacob, « Le mouvement de la propriété dans un village bourguignon à la fin de l’Ancien Régime », RHES, 1948, p. 47-52.

11 J. Nicolas, op. cit., p. 742-748.

12 P. Jarnoux, op. cit., p. 313.

13 Sur le marché de la région de Vassy, la noblesse intervenait fortement sur le segment des micropropriétés : 55 % de leurs achats et 33 % de leurs ventes coûtaient moins de 500 livres. E. Lambert, « Le marché foncier et la noblesse dans la région de Vassy (Normandie, 1760-1789) », Histoire & Mesure, 2002, p. 163-199.

14 On constatait le même dédain de la noblesse pour les transactions de moins de 500 livres dans la Beauce. G. Béaur, Le marché foncier à la veille de la Révolution. Les mouvements de propriété beaucerons dans les régions de Maintenon et de Janville de 1761 à 1790, Paris, EHESS, 1984, p. 174-176.

15 M. Figeac, op. cit., p. 107-109.

16 Pendant la période révolutionnaire, la noblesse toulousaine réalisait près de 21 % de ventes de moins de 3981 francs alors que sur ce segment, ses achats n’étaient que de 8 %. J. Sentou, La fortune immobilière des Toulousains et la Révolution française, Paris, Bibliothèque Nationale, 1970, p. 40-44.

17 Dans le bureau de Bazièges, la noblesse effectuait 12 % des achats de terres roturières, mais 20 % des terres nobles entre 1735 et 1750. G. Frêche, Toulouse et la région Midi-Pyrénées au siècle des Lumières vers 1670-1789, Paris, Editions Cujas, 1974, p. 473-476.

18 ADN, Tabellion 498, acte de vente du 14 août 1751.

19 J. Sentou, op. cit., p. 102-103.

20 G. Larguier, « Le marché immobilier et foncier narbonnais en 1789 : atonie d’une ville, difficultés de la noblesse », Annales du Midi, octobre - décembre 1989, p. 391-393.

21 J. Nicolas, op. cit., p. 746-747.

22 Au cours de la période 1772-1789, la noblesse se débarrassait de 124.335 livres de biens-fonds et n’en achetait que pour un total de 39.314 livres. T. Le Goff, Vannes et sa région. Ville et campagne dans la France du XVIIIe siècle, Loudéac, Y. Salmon éd., 1989, p. 271-272.

23 P. Goubert, L’Ancien Régime, Paris, tome 1, 1969, p. 151.

24 J. Sentou, op. cit., p. 44-46.

25 P. Denis du Péage, Mélanges généalogiques, 5e série, p. 74-84.

26 ADN, VIII B 1re série 1469, Procès entre Henri-Philippe-François Le Gillon, écuyer, seigneur d’Hagrinsart contre son épouse, octobre 1749.

27 ADN, Tabellion 499, acte de vente du 13 septembre 1752.

28 ADN, Tabellion 498, acte de vente du 20 décembre 1751.

29 ADN, 3 G 851, acte de vente du 23 mars 1752.

30 ADN, 3 G 739, acte de vente du 26 août 1751.

31 M. Figeac, op. cit., p. 100-104.

32 B. Maillard, Les campagnes de Touraine au XVIIIe siècle. Structures agraires et économie rurale, PU. Rennes, 1998, p. 76-79.

33 P. Denis du Péage, Recueil de généalogies lilloises, p. 37-42.

34 R. Favier, Les villes du Dauphiné aux XVIIe et XVIIIe siècles, PU. Grenoble, 1993, p. 198-199.

35 R. Favier, « Les petites villes dauphinoises face à leur environnement rural au 18e siècle : emprise foncière, financière, humaine », dans J-P. Poussou, P. Loupès éd., Les petites villes du Moyen Age à nos jours, Paris, CNRS, 1987, p. 329-330.

36 J-M. Boehler, Une société rurale en milieu rhénan : la paysannerie de la plaine d’Alsace (1648-1789), Strasbourg, P.U. Strasbourg, 1995, p. 604-609.

37 Sur le marché de Camembert, 82 % des acheteurs étaient résidents ; c’était le cas de 44 % des vendeurs. S. Weil, « Le marché foncier à Camembert (1752-1790) », Annales de Normandie, 2001, no 4, p. 331-355.

38 J-M. Boehler, op. cit., p. 606.

39 Cette prééminence était à peine plus faible dans la plaine d’Alsace où 86 à 90 % des paysans participant aux échanges fonciers dans la seconde moitié du XVIIIe siècle étaient laboureurs. Ibidem, p. 606.

40 B. Mailliard, op. cit., p. 138-141.

41 A. Jollet, op. cit., p. 260-263 ; et « Des journaliers en pays vigneron. Les journaliers de la région d’Amboise et le marché immobilier de la fin de l’Ancien Régime à l’Empire », dans Mélanges offerts à Claude Petitfrère. Regards sur les sociétés modernes (XVIe-XVIIIe siècles), Tours, CEHVI, 1997, p. 383-393.

42 Dans les vallées alpines, le collecteur des tailles réalisait une vente sur trois grâce à l’importante ramification de son réseau de créances. L. Fontaine, Pouvoir, identités et migrations dans les hautes vallées des Alpes occidentales (XVIIe -XVIIIe siècle), PU. Grenoble, 2003, p. 53-54.

43 Les mulquiniers n’étaient pas plus nombreux à intervenir sur le marché foncier du bureau de Ribemont puisqu’ils représentaient 5,69 % des acheteurs ayant domicile dans les campagnes. D. Terrier, Les deux âges de la proto-industrie. Les tisserands du Cambrésis et du Saint-Quentinois. 1730-1880, Paris, EHESS, 1996, p. 121.

44 AM. Roubaix, CC 97, Rôle de capitation, 1750.

45 ADN, C 20945, C Supplément 478, Rôle du vingtième royal et déclarations des propriétaires de Cagnoncles, 1750.

46 Dans le Domfrontais dominé par une micropropriété foncière, la plupart des transactions, près de 60 % exactement, étaient assurées par des petits propriétaires ruraux. G. Béaur, « Le fonctionnement du marché-père : la circulation des propriétés dans le bocage normand au XVIIIe siècle », dans R. Bonnain, G. Bouchard, J. Goy éd., Transmettre, hériter, succéder. La reproduction familiale en milieu rural. France - Québec (XVIIIe -XXe siècles), Lyon, P.U. Lyon, 1992, p. 77-90.

47 A. Jollet, op. cit., p. 261.

48 J-M. Boehler, op. cit., p. 609.

49 Dans le bureau ligérien d’Amboise, les trois quarts de leurs opérations portaient sur des parcelles de terre, et 15 % seulement sur du bâti seul. A. Jollet, op. cit., p. 326-329 ; repris dans « Approche de la proximité et de la différenciation sociale des différents groupes paysans à travers les transactions immobilières (région d’Amboise en Touraine, année 1780) », dans A. Antoine éd., Campagnes de l’Ouest. Stratigraphie et relations sociales dans l’histoire, Colloque de Rennes (24-26 mars 1999), Rennes, P.U. Rennes, 1999, p. 465-478.

50 Dans l’arrondissement de Lille, ils étaient ainsi 773 sur les 1098 intervenants recensés de 1789 à 1860. G. Grabette, Le marché des moulins de la Révolution de 1860 à la Révolution dans le département du Nord, Université de Valenciennes, mémoire de maîtrise, 1997, p. 59-66.

51 Au XIXe siècle, 18,6 % des contractants intervenant au sujet d’un moulin dans l’arrondissement de Lille faisaient profession de marchand ou de négociant. Ibidem, p. 66-79.

52 Dans le Piémont de la fin du XVIIe siècle, plus de 80 % des transactions des ruraux portaient sur des lots inférieurs à un tiers d’hectare. G. Levi, Le pouvoir au village. Histoire d’un exorciste dans le Piémont au XVIIe siècle, Paris, Gallimard, 1989, p. 114.

53 G. Béaur, op. cit., p. 177.

54 Cette modestie est d’autant plus sûre que dans la région d’Amboise, la moyenne des transactions des paysans était globalement d’un quart inférieure à celle des artisans. A. Jollet, op. cit., p. 341-344.

55 Dans le pays de Foix, avec seulement 71 livres, la moyenne des prix d’achat et de vente des brassiers était 2,3 fois inférieure à celle des ménagers. P. Poujade, « Les paysans et la terre dans le pays de Foix et la vallée de l’Ariège au XVIIIe siècle », dans J-L. Laffont éd., Le notaire, le paysan et la terre dans la France méridionale à l’époque moderne, p. 65-99.

56 S. Vigneron, « La sphère des relations foncières des ruraux. L’exemple du Cambrésis (1681-1791) », HSR, no 20, 2003, p. 53-77.

57 P. Goubert, « Une richesse historique en cours d’exploitation : les registres paroissiaux », AESC, 1954-1, p. 83-93.

58 A. Croix, « L’ouverture des villages vers l’extérieur fut un fait éclatant dans l’ancienne France. Position de thèse », HSR, no 11, 1999, p. 109-146.

59 Cette proportion était assez identique dans les bureaux de Janville et de Maintenon où la part des indigènes oscillait entre 54 et 57 %. G. Béaur, op. cit., p. 130-135.

60 À Paris, “plus le notaire s’affirme, plus les liens personnels tendent à perdre l’importance qu’ils avaient eue dans le passé”. P. T. Hoffman, G. Postel-Vinay, J-L. Rosenthal, Des marchés sans prix. Une économie du crédit à Paris, 1660-1870, Paris, EHESS, 2001, p. 147.

61 A. Jollet, op. cit., p. 280-281.

62 Cette proportion est très comparable dans le bureau d’Amboise où ce phénomène d’interconnaissance et de voisinage concernait environ 90 % des vendeurs et acheteurs. Ibidem, p. 281-286.

63 J-P. Jessenne, Pouvoir au village et Révolution. Artois (1760-1848), PU. Lille, 1987, p. 214.

64 En Bretagne, la distance moyenne qui sépare prêteurs et emprunteurs n’était que de 2,6 kilomètres à la fin de l’Ancien Régime. G. Postel-Vinay, La terre et l’argent. L’agriculture et le crédit en France du XVIIIe au début du XXe siècle, Paris, Albin Michel, 1998, p. 183-188.

65 G. Levi, op. cit., p. 123-132.

66 Voir la mise au point sur la relation entre les prix fonciers, la résidence et les groupes sociaux dans G. Béaur, « Prezzo della terrea, congiuntura e societa alla fine del XVIII secolo : l’esempio di un mercato della Beauce », Quaderni Storici, 65, 1987, p. 523-548.

67 Sur le marché de Montigny, dans les années 1760, quand un résident vendait une parcelle de terre, le prix moyen qu’il pouvait escompter oscillait entre 194 et 236 florins par mencaudée suivant le lieu d’habitation de l’acquéreur. L. Vardi, The land and the loom. Peasants and profit in Northern France (1680-1800), Duke University Press, 1993, p. 60.

68 Dans le bureau de Maintenon, les achats ne dépassaient les ventes que de 9 %. G. Béaur, op. cit., p. 190-194.

69 Ce niveau exceptionnel était supérieur à celui de Valensole en Provence où 73,2 % des transactions consistaient en un mode de paiement intégralement tourné vers le comptant seul. F-X. Emmanuelli, « Ville et campagne en Provence aux XVIIe et XVIIIe siècle. Trois sondages. Prélude à une recherche », dans G. Livet, B. Vogler éd., Pouvoir, ville et société (1650-1750), Colloque Internationale du CNRS, 1983, p. 531-551.

70 Voir l’analyse des relations entre le foncier et le crédit par G. Béaur, « Foncier et crédit dans les sociétés préindustrielles. Des liens solides ou des chaînes fragiles ? », Annales H.S.S., novembre - décembre 1994, no 6, p. 1411-1428.

71 P. Bois, Paysans de l’Ouest. Des structures économiques et sociales aux options politiques depuis l’époque révolutionnaire, Le Mans, 1960, p. 355.

72 En 1780, dans le bureau d’Amboise, les paysans ne grignotaient que 9000 livres sur les autres groupes sociaux, correspondant à un taux de couverture de 30 % seulement. A. Jollet, op. cit., p. 342.

73 Dans la région de Rumilly, les paysans, qui vendaient pour plus de 290.000 livres de Piémont entre 1786 et 1789, achetaient au total 336.448 livres de biens-fonds. J. Nicolas, op. cit., p. 746.

74 Dans la région de Montgailhard, les brassiers étaient les grands « perdants » du marché foncier, leur dépossession frisant les 30.000 livres entre 1731 et 1786. P. Poujade, loc. cit., dans J-L. Laffont éd., op. cit., p. 65-99.

75 Dans le Saint-Quentinois, les mulquiniers dégageaient presque chaque année des soldes positifs entre 1750 et 1765. D. Terrier, op. cit., p. 128-136.

76 G. Béaur, op. cit., p. 198.

77 G. Béaur, op. cit., p. 152

78 Entre 1775 et 1780, un Rennais sur sept intervenait dans le jeu foncier, soit 2,4 % des imposés par an. P. Jarnoux, op. cit., p. 283.

79 Dans le Vannetais, l’invasion du sol par la bourgeoisie tenait aussi d’abord à l’activité des négociants et marchands. T. Le Goff, op. cit., p. 271-279.

80 La remarque était identique pour les négociants de Saint-Quentin qui n’étaient pas plus de 0,3 à 0,4 % des contractants du marché de la région de Ribemont dans le second XVIIIe siècle. D. Terrier, op. cit., p. 121.

81 En 1775-80, 77 % des bourgeois de la capitale bretonne présents dans les échanges de biens-fonds ne faisaient montre d’aucune activité marchande. P. Jarnoux, op. cit., p. 302-304.

82 Dans le Roannais, l’appropriation foncière citadine sur la campagne environnante dépendait aussi principalement de ce type de bourgeoisie présente dans les échanges dans des proportions comparables au modèle cambrésien, à savoir 58 % des bourgeois. S. Dontenwill, Du terroir au pays et à la région. Les espaces sociaux en Roannais à l’époque préindutrielle (milieu du XVIIe - fin du XVIIIe siècle), PU Saint-Etienne, 1997, p. 351-352.

83 ADN, C 21027-2, Déclarations des propriétaires du Cateau, 1753.

84 A. Radeff, « Propriété foncière et pouvoir en 17e siècle », dans Villes et campagnes (15e -20e siècle), Lyon, P.U. Lyon, 1977, p. 91-103.

85 Leur participation au marché foncier était moindre que dans le Genevois où un intervenant sur quatre oeuvrait dans l’artisanat. D. Zumkeller, Le paysan et la terre. Agriculture et structure agraire à Genève au XVIIIe siècle, Genève, Editions du Passé Présent, 1992, p. 150.

86 La dispersion de l’activité foncière est supérieure à ce qu’elle était dans la région rennaise où seulement 76 % des habitants de Rennes étaient présents une fois. Mais, il est sûr que la prise en compte de six années d’échanges a encouragé le repérage des acteurs récidivistes. P. Jarnoux, op. cit., p. 283.

87 Ibidem, p. 284-285.

88 Dans la Beauce, la bourgeoisie préférait les transactions comprises entre 1000 et 10.000 livres. G. Béaur, op. cit., p. 176.

89 S. Dontenwill, op. cit., p. 265-271.

90 La Lys était l’axe majeur du commerce de Siméon Vanoye, négociant armentiérois de toiles, dont l’activité se poursuivait jusqu’à Comines et même Courtrai. S. Lestienne, La société armentiéroise. Modes de vie et mutation à la fin de l’Ancien Régime, Université de Lille 3, mémoire de maîtrise, 1998, p. 54-62

91 S. Dontenwill, op. cit., p. 351-353.

92 Dans le cas rennais, la concentration à proximité de la ville était bien plus affirmée, la seule banlieue rennaise accueillant déjà 14,2 % des investissements fonciers. P. Jarnoux, op. cit., p. 267-268.

93 R. Favier, loc. cit., dans J-P Poussou, P. Loupès éd., op. cit., p. 323-334.

94 A. Jollet, op. cit., p. 352-359.

95 P. Jarnoux, op. cit., p. 268-269.

96 Ibidem, p. 285-286.

97 Ibidem, p. 285-286.

98 Parmi les capités à moins de dix livres, on vendait trois fois plus qu’on achetait. P. Jarnoux, op. cit., p. 289-290.

99 P. Bois, op. cit., p. 366.

100 Ce contraste n’est pas sans rappeler l’image inversée de la bourgeoisie montbrisonnaise dont l’essoufflement sur le marché foncier enregistrait le déclin progressif de la capitale du Forez, et celle de Saint-Etienne qui suivait l’explosion marchande de cette localité en cours de transformation rapide. J. Garnier, Bourgeoisie et propriété immobilière en Forez aux 17e et 18e siècles, Saint-Etienne, Centre d’études foréziennes, 1982, p. 106-110.

101 ADN, Tabellion 2124, acte de vente du 12 mai 1751.

102 P. Jarnoux, op. cit., p. 302-304.

103 Ibidem, p. 287-288.

104 A. Antoine, Les comptes ordinaires de Pierre Duchemin du Tertre, marchand de toile et seigneur dans la première moitié du XVIIIe siècle, Laval, Société d’Archéologie et d’Histoire de la Mayenne, 1998, p. 139-208.

Table des illustrations

Titre Tableau no 48 - Structure des déficits fonciers de la noblesse dans le Cambrésis et la Flandre wallonne (1751-2)
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Titre Tableau no 49 - Vendeurs et acheteurs ruraux sur le marché foncier du Cambrésis et de la Flandre wallonne (1751-2)
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Titre Graphique no 15 - Structure des transactions des ruraux sur le marché foncier du Cambrésis et de la Flandre wallonne (1751-2)
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Titre Tableau no 50 - Structure des transactions des différentes catégories sociales du monde rural sur le marché foncier de la Flandre wallonne (1751-2)
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Titre Tableau no 51 - Résidence des contractants non indigènes par rapport au bien vendu sur le marché foncier du Cambrésis et de la Flandre wallonne (1751-2)
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Titre Tableau no 52 - Nature des biens-fonds et solde (en florins) des transactions des ruraux sur le marché foncier du Cambrésis et de la Flandre wallonne (1751-2)
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Titre Tableau no 53 - Superficie des biens-fonds et solde (en florins) des transactions des ruraux sur le marché foncier du Cambrésis et de la Flandre wallonne (1751-2)
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Titre Tableau no 54 - Catégories socioprofessionnelles et soldes (en florins) des transactions sur le marché foncier du Cambrésis et de la Flandre wallonne (1751-2)
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Titre Tableau no 55 - Catégories socioprofessionnelles et citadins acteurs du marché foncier du Cambrésis et de la Flandre wallonne (1751-2)
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Titre Tableau no 56 - Activité des citadins intervenant sur le marché foncier du Cambrésis et de la Flandre wallonne (1751-2)
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Titre Tableau no 57 - Structure des transactions réalisées par les citadins sur le marché foncier du Cambrésis et de la Flandre wallonne (1751-2)
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Titre Carte no 22 - Aire d’intervention foncière des petites villes du Cambrésis et de la Flandre wallonne (1751-2)
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Titre Carte no 23 - Aire foncière de Lille et de Cambrai (1751-2)
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Titre Tableau no 59 -Structure des actes de ventes et d’achats des Lillois et des Cambrésiens sur le marché foncier (1751-2)
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Titre Tableau no 60 - Bilans sociaux des transports de propriétés (exprimés en florin) des citadins sur le marché foncier du Cambrésis et de la Flandre wallonne (1751-2)
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Titre Carte no 24 - Solde des opérations des citadins du Cambrésis et de la Flandre wallonne sur le marché foncier (1751-2)
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