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Société, économie, administration dans le Code Théodosien

 | 
Sylvie Crogiez-Pétrequin
, 
Pierre Jaillette

III – Regards sur l'économie et la société

Suilla pecora ad Vrbem iter facivnt

Pierre Jaillette

Résumé

À l’époque tardive, le peuple de Rome bénéficiait de distributions régulières de viande de porc, une pratique introduite par l’empereur Aurélien au iiie s. Plusieurs constitutions conservées au titre 4 du Livre XIV du Code Théodosien, sous la rubrique De suariis, pecuariis et susceptoribus uini ceterisque corporatis nous informent des responsabilités de la corporation des suarii – les marchands de cochons – en matière d’approvisionnement de la capitale, et des difficultés diverses auxquelles elle est confrontée. Certains de ces textes contiennent des données chiffrées. Celles-ci ont été surtout utilisées par les modernes pour tenter d’évaluer le nombre d’habitants de Rome aux ive et ve s. Mais elles permettent aussi de donner une image vivante des réalités de l’approvisionnement de Rome en bêtes sur pied et d’estimer le nombre d’animaux cheminant quotidiennement vers la capitale, des aspects qui n’ont pas vraiment retenu jusqu’à présent l’attention des savants.

Texte intégral

  • 1 On estime en effet maintenant qu’il y aurait eu très tôt différenciation entre le sanglier et ses d (...)

1Le corps massif, la robe rose, sombre ou noire quand elle n’est pas tachetée, les soies dures et raides, les yeux petits, de fortes canines, un groin lui permettant aisément de fouiller le sol, les pattes terminées par quatre onglons, la queue mince et torse : voilà Sus scrofa domesticus. Domestiqué bien après les ovins, les caprins et les bovins, ce compagnon relativement tardif de l’homme, aux ancêtres immédiats méconnus – la systématique récente du genre sus a en effet mis en doute la généalogie établie par Buffon, Cuvier et Geoffroy Saint Hilaire, pour qui le cochon descendait du sanglier1 –, véhicule une image ambivalente.

  • 2 « Graecae siliquae… cornus, arbutus », selon Columelle, Res Rusticae VII, IX, 6, évoquant les forêt (...)
  • 3 « La fange, la boue, les excréments de l’homme sont les aliments que ce quadrupède dévore de préfér (...)
  • 4 Hérodote, Histoires II, 47, éd. et trad. Ph.-E. Legrand, Paris, 1963, CUF. Et l’auteur de poursuivr (...)
  • 5 Pline l’Ancien, Histoire Naturelle VIII, LXXVII (51), § 207, éd. et trad. A. Ernoult, Paris, 1952, (...)

2Une image négative d’abord, eu égard, notamment, à sa goinfrerie. Ce mammifère non ruminant, omnivore, à la gueule toujours entrouverte, passe en effet une partie de son temps à chercher à manger, avalant à peu près tout ce qui lui tombe sous le groin. C’est un glouton, un vorace, non content de se satisfaire de noble nourriture – herbe, racines, « caroubes, cornouilles et arbouses »2 et, au pacage en forêt, glands, faînes et châtaignes –, n’hésite pas à fouiner dans les déjections, à ingurgiter des immondices ou à ronger des charognes3. Cette indéniable qualité d’éboueur ne le sert guère : elle lui vaut plutôt d’être associé à la souillure – « les Égyptiens tiennent le pourceau pour une bête impure », note Hérodote4 –, et l’expose par là, dès la plus haute antiquité, à l’exécration. Insatiable, sale et impudique, c’est aussi, écrit Pline l’Ancien, « le plus stupide des animaux : et l’on a dit, non sans esprit, que l’âme leur avait été donnée en guise de sel pour conserver la chair »5.

  • 6 Tel qu’il est évoqué par Virgile au Livre VIII de l’Énéide, v. 36-45. À Énée qui vient de débarquer (...)
  • 7 Ovide, Fastes I, v. 671-672 : Placentur frugum matres, Tellusque Ceresque, Farre suo grauidae uisce (...)
  • 8 Caton, De l’agriculture CXLIII, 1, éd. et trad. R. Goujard, Paris, 1975, CUF. L’auteur signale en o (...)
  • 9 Varron, Économie rurale II, 4, 9-10 : « C’est en effet avec le bétail porcin que la coutume du sacr (...)
  • 10 Pline, Histoire naturelle VIII, LXXVII (51), § 205, signale que les portées peuvent aller jusqu’à v (...)
  • 11 La fertilité de la truie, dont les premières chaleurs se manifestent entre six et huit mois, a touj (...)
  • 12 Varron, Économie rurale II, 4, 10, éd. et trad. Ch. Guiraud, Paris, 1985, CUF.
  • 13 S’ils sont également consommés, les ovins servent en priorité à fournir de la laine et les caprins (...)
  • 14 L’atteste ainsi une loi adressée par Constance II à Taurus le 6 avril 355, CTh VII, 4, 2 : elle sti (...)
  • 15 Plaute, Les Ménechmes, v. 208-213 : « Fais donc apprêter chez toi un dîner pour nous trois, et pren (...)
  • 16 Décrit ainsi par Macrobe, Saturnales III, 13 : « Titius, dans son discours en faveur de la loi Fann (...)
  • 17 Apicius, L’art culinaire, éd. et trad. J. André, Paris, 1987, CUF : I, VII, 2 : « Pour conserver la (...)
  • 18 Vie d’Aurélien XXXV, 2 : « il [Aurélien] fit également distribuer au peuple romain de la viande de (...)
  • 19 Vie d’Aurélien XXXV, 2, trad. A. Chastagnol.
  • 20 Sur Lucius Turcius Apronianus, signo Asterius, PLRE I, p. 88-89, n ° 10 et S. Panciera, « Un protet (...)
  • 21 Deux lois ont été émises par Constantin : le 8 mars 334, adressée au préfet du prétoire Pacatianus (...)
  • 22 Mazzarino 1951, p. 220-242 ; Chastagnol 1953 ; Chastagnol 1960, p. 58-59 et 325-330 ; Jones 19732, (...)

3Mais également une image positive. Elle est liée, à Rome, au rôle que joue, à des titres divers, l’animal dans la vie de la cité. Il est partie prenante de ses origines mythologiques, comme en témoigne le prodige de la gésine miraculeuse6. Il est aussi bête de sacrifice : dans le rituel des Feriae sementivae, célébré dans le Latium en janvier7, c’est une truie pleine que l’on sacrifie ; « avant de faire la moisson, avant la récolte des produits que voici : blé amidonnier, triticum, orge, fèves, graine de chourave », écrit Caton8, c’est la truie précidanée que l’on immole ; c’est un porc que l’on tue lors des noces des rois et des nobles étrusques, une coutume qui se transmettra dans le Latium primitif et que pratiquent les Grecs établis en Italie, si l’on en croit Varron, pour qui c’est avec les porcins qu’est apparue la pratique du sacrifice9. Cette image positive de l’animal tient vraisemblablement à son exceptionnelle fécondité, à nulle autre égale : en effet, après une gestation de trois mois, trois semaines et trois jours exactement, la truie met bas en moyenne douze porcelets10 et cela deux fois l’an11. Le porc est enfin bête de consommation : comme l’écrit Varron, « les porcins nous ont été donnés par la nature pour festoyer »12. Il est, en réalité, le seul animal élevé exclusivement pour la boucherie13. Un animal à la chair estimée, dont on ne laisse perdre aucun morceau : de la tête aux pieds, tout se consomme14. Déjà apprécié au iiie s. av. J.-C., comme le révèle le théâtre de Suilla pecora ad Vrbem iter faciunt 409 Plaute15, apprêté farci de chair de saucisse, de poulet rôti, d’œufs et de légumes au iie s. av. J.-C. – c’est le fameux porc troyen16 –, il est l’objet de plus trente recettes chez Apicius, alors que le fameux gourmet du début de notre ère n’en donne que deux pour le bœuf et trois pour le veau17. Deux siècles plus tard, la caro porcina fera son apparition dans les distributions alimentaires au peuple de Rome : une initiative que l’auteur de l’Histoire Auguste attribue à Aurélien18, tout en précisant que cette viande est « aujourd’hui encore allouée au peuple »19. C’est l’indice que la pratique se poursuit au ive s., ce qu’atteste d’ailleurs une loi de Julien adressée le 9 décembre 363/362(S) à Turcius Apronianus, préfet de la Ville de 362 à 36420 : elle rappelle la nécessité de veiller à ce que le peuple dispose de porc en abondance, « populo porcinae species adfatim praebeatur » (CTh XIV, 4, 3). Les compilateurs du Code Théodosien qui ont retenu ce texte l’ont placé au titre 4 du Livre XIV, sous la rubrique De suariis, pecuariis et susceptoribus uini ceterisque corporatis – « Des marchands de cochons, des marchands de bestiaux, des receveurs de vin et de tous les membres des corporations » –, dont la presque totalité des lois intéresse les modalités du ravitaillement de Rome en viande porcine21. Ces constitutions ont depuis longtemps retenu l’attention des commentateurs modernes22 : ils les ont analysées dans le cadre dans le cadre de recherches relatives d’une part aux distributions alimentaires, d’autre part au nombre d’habitants de Rome au ve s., mais ne se sont guère préoccupés d’une question concrète : celle de l’acheminement des animaux. C’est cet aspect des choses que je me propose ici d’examiner, après avoir rappelé, dans ses grandes lignes, les difficultés rencontrées par les marchands de cochons.

1. Coup d’œil sur une corporation dans l’embarras

  • 23 Pour reprendre l’expression utilisée par Sénèque dans son traité sur la Brièveté de la vie XVIII, 5 (...)

4Le moment venu, les suarii quittaient Rome pour se rendre en Italie du Sud chez les propriétaires-éleveurs de porcs : ils y prélevaient, au titre de l’impôt, les animaux sur pied et les faisaient acheminer vers ce « ventre de l’humanité » qu’était l’Urbs23, où ils étaient abattus, débités et distribués aux ayants droit.

  • 24 Cassiodore, Variae XI, 39 : erat quidem illis gloriosum Romam pascere.

5Une démarche simple en apparence, mais en réalité complexe : comme le révèlent les constitutions, les problèmes semblent nombreux. Ils affectent d’abord la corporation elle-même, confrontée à la baisse de ses effectifs. Face à la lourdeur réelle de la noble tâche – Cassiodore ne la qualifie-t-il pas, en effet, de « glorieux service »24 – qui leur incombe, certains de ses membres cherchent en effet, par des voies diverses, à se dérober à leur mission : « la corporation des marchands de cochons s’est réduite à peu de membres, suariorum corpus ad paucos deuenit » constate ainsi Constantin Ier dans une loi adressée le 8 mars 334 au préfet du prétoire Pacatianus (CTh XIV, 4, 1). Parmi les subterfuges auxquels recourent les marchands pour fuir leurs obligations, le transfert à autrui de leurs propriétés. Ce biais leur permet de se désengager de facto de leurs devoirs, puisque le service est adossé à la détention de biens. S’adressant le 18 août 389 au préfet de la Ville Albinus, Théodose Ier doit reconnaître que :

  • 25 Suariorum uires ea concidisse occasione comperimus, quod fundi eorum adque alia praedia in extranea (...)

« les ressources des marchands de porcs se sont écroulées, en raison du fait que leurs biens-fonds et les autres domaines sont passés, par jeu d’écriture, à telle ou telle personne étrangère, à la suite de divers types de donations25 ».

  • 26 CTh XIV, 4, 5 : Quae sublimis eminentia tua aut ad memoratorum iura reuocabit, aut si eorum detenta (...)
  • 27 CTh XIV, 4, 8 : Quicumque de suariorum corpore originariam functionem sub cuiuslibet desiderio auxi (...)

6L’empereur ordonne alors que les biens soient restitués à leurs propriétaires d’origine et précise qu’en cas de refus des nouveaux détenteurs, ceux-ci seront contraints d’assumer les charges attachées aux patrimoines26. Autres astuces condamnées avec force par Honorius le 15 janvier 408 : l’accès au service impérial par le biais d’appuis divers ou grâce à des documents – rescrits, annotations – obtenus frauduleusement, ainsi que l’entrée dans le clergé27.

  • 28 CTh XIV, 4, 10 : Suariis pecuarii iungantur : sub hac tamen condicione decreti corpora uolumus misc (...)
  • 29 NVal XXXVI, pr. :… et iam iamque occidui corporis functionem ita salubri dispositione constituti, u (...)

7Les mesures prises par le pouvoir semblent cependant avoir eu peu d’effets, puisque, confronté aux difficultés persistantes de la corporation, Honorius décidera, le 29 juillet 419, de regrouper les corporations des marchands de cochons et de bœufs, de supprimer les privilèges acquis et d’obliger les membres à assumer par alternance les tâches qui leur incombent28. On peut cependant douter de l’efficacité de cette disposition à la lecture d’une novelle de Valentinien III adressée le 29 juin 452 au préfet du prétoire Firminus : elle laisse entendre que la fusion a été éphémère et qu’il a fallu restaurer une corporation – celle des suarii – qui menaçait de s’effondrer, en rétablissant notamment sa situation financière29.

  • 30 La disposition prise par Apronianus nous est connue par une inscription, CIL VI, 1770 : Ex auctorit (...)

8Les tentatives de fuite de la corporation sont liées à des problèmes spécifiques, clairement évoqués dans les lois. Ils concernent d’abord l’estimation du poids des bêtes et l’appréciation de leur état, qui se faisaient au jugé et au toucher. C’était une source potentielle de conflits entre les deux parties : l’éleveur-contribuable, soupçonnant le marchand de cochons de vouloir le tromper, recourait à des ruses diverses, comme celle consistant à donner belle prestance à des animaux plutôt chétifs en brossant leurs soies avec de l’huile, ou à faire manger les bêtes la veille de la transaction. Aussi Turcius Apronianus imposa-t-il, lors de l’exercice de sa préfecture urbaine, une pesée à la balance, censée réduire les fraudes30. C’est cette décision qu’évoque une loi de Valentinien Ier adressée au successeur d’Apronianus, Praetextatus, le 8 octobre 367, stipulant par ailleurs que les cochons devront être à jeun avant la pesée :

  • 31 CTh XIV, 4, 4 : Quibus in rebus illud quoque a decessore tuo salubriter institutum est, quo suariis (...)

« une autre mesure salutaire fut prise par ton prédécesseur : elle refuse aux marchands de porcs toute liberté d’évaluation et détermine le poids des porcs grâce au fléau de la balance et non sur un simple coup d’œil, afin, bien entendu, qu’il ne soit pas permis à un possesseur de livrer même volontairement un animal dont le marchand de porcs n’a pas au préalable décidé du poids selon des mesures assurées. D’autre part, l’animal qui doit être livré par un possesseur sera d’abord vidé, sa digestion faite, par le jeûne d’une seule nuit31 ».

  • 32 Qui remplacera définitivement, semble-t-il, au milieu du ve s., la livraison de cheptel vif, NVal X (...)
  • 33 Selon Frayn 1993, p. 151-152, des marchés aux porcs se tenaient, dans la partie méridionale de la p (...)
  • 34 CTh XIV, 4, 2 du 11 avril 326/324(S) : Et quoniam non semper nec in omnibus locis una est forma pre (...)
  • 35 NVal XXXVI, § 1.

9Un autre problème est celui de la nummaria exactio, la levée en espèces. Dès 326/324(S) Constantin Ier autorise en effet les producteurs à substituer aux livraisons de bêtes sur pied un équivalent en espèces qu’ils verseraient aux marchands, à charge pour ces derniers d’acheter des animaux. Cette adération32, qui témoigne de la réalité de la circulation monétaire dans les campagnes, fut à l’origine de nouveaux problèmes, dus aux fluctuations des cours de la viande de porc sur les marchés33, clairement signalées dans la loi, lorsqu’elle indique qu’il « n’y a uniformité de prix ni dans le temps, ni dans l’espace » et que les prix sont « fonction de la diversité des lieux et des saisons »34. En 363, Julien ordonne que les prix de la Campanie soient désormais payés aux marchands (CTh XIV, 4, 3), mais en 367, Valentinien Ier décide que le prix de référence sera celui du marché de Rome (CTh XIV, 4, 4). Julien stipula également que l’adération ne relèverait plus des marchands ni des fonctionnaires de la préfecture du prétoire, responsables de fraudes diverses, mais du personnel administratif placé sous l’autorité des gouverneurs de province et des curiales. La mesure semble avoir été ensuite rapportée, puisque sous Valentinien Ier, l’ordo délivre l’argent aux marchands ; ultérieurement, ceux-ci finirent par récupérer la charge de la levée, comme l’atteste la novelle de Valentinien III du 29 juin 45235. Si les autorités ont tâtonné pour mettre en place cette exactio, elles n’ont par contre jamais retiré aux suarii la charge de la perception en nature des animaux.

2. De l’Italie du Sud à Rome : la longue marche des porcs

  • 36 D’où le titre forgé pour cette contribution.

10Au ive s., les animaux arrivaient à Rome à pattes36. Voici comment se déroulait, selon toute vraisemblance, l’acheminement.

  • 37 CTh IX, 30, 3 : IDEM AA. RVFINO P(RAEFECTO) P(RAETORI)O. Cum omnifariam urbicarias regiones ab omni (...)
  • 38 Les friches de la province, qui font l’objet de dégrèvements fiscaux en 395, pourraient être terres (...)
  • 39 Sur l’élevage des cochons dans le Samnium, Iasiello 2006, p. 463-467.
  • 40 Sur l’élevage porcin et les pacages forestiers de l’Apulie, Volpe 1996, p. 297-306 ; voir aussi Bug (...)
  • 41 Selon l’auteur de l’Expositio totius mundi et gentium, LIII, « la Lucanie, qui est elle aussi un tr (...)
  • 42 Strabon, Géographie V, 1, 12 : « En effet, non seulement la terre mise en culture livre des produit (...)
  • 43 Se profile ici en arrière-plan la question des caractères de l’économie de la péninsule à l’époque (...)
  • 44 Les plus courantes sont la ladrerie et la trichinose ; elles sont transmises à l’homme par une cuis (...)
  • 45 Sur l’élevage des porcins, on se reportera à Varron, Économie Rurale II, 4 (c’est le propos de Scro (...)

11Les marchands de porcs, qui effectuaient leur tournée à cheval, comme l’indique une loi de Valentinien Ier de 365 leur accordant de nouveau cette latitude – sans doute à la suite des protestations qu’ils émirent après que l’autorisation de chevaucher eut été restreinte aux seuls fonctionnaires37 – se rendaient dans les provinces méridionales de la péninsule – Campanie38, Samnium39, Apulie-Calabre40 et Lucanie-Bruttium41 –, dont les secteurs montagneux et boisés ont détrôné, pour la production de porcs, la Cisalpine, jadis pourvoyeuse presqu’exclusive, aux dires de Strabon, de caro porcina pour la capitale42. Le Sud de l’Italie se serait ainsi progressivement spécialisé dans la production de viande porcine43, une activité moins aisée cependant à développer qu’il n’y paraît : ce n’est pas parce que ce territoire abonde en forêts et que les porcs mangent de tout, qu’il est facile de les nourrir : élever correctement ces animaux impose, pour les prémunir autant que faire se peut des parasitoses44, de combiner nourrissage à la ferme, mise au pacage et conduite au paisson forestier, lequel s’avère plus favorable à la portée née l’été, puisqu’elle peut dès son plus jeune âge gagner les forêts à l’automne, alors que celle née l’hiver doit attendre l’automne suivant45. Tous les animaux ne bénéficiaient sans doute pas de ces soins : certains étaient plus ou moins bien nourris et leur viande offrait alors un goût relativement sauvage.

  • 46 Les constitutions ne disent cependant mot du marquage des bêtes.
  • 47 La glose des Summaria Codicis Theodosiani à CTh IX, 30, 3 (SCTh 9, 30, c. 3, Sirks 1996) laisse ent (...)
  • 48 Environ 400 kilomètres pour les animaux venant du Bruttium méridional.
  • 49 L’animal se déplace au pas alterné, au trop, voire, sur de courtes distances, au galop ; il est cap (...)
  • 50 Parfois mortels, les animaux pouvant être renversés ou écrasés en chemin : voir la stèle du cochon (...)

12Une fois les porcs sélectionnés, rassemblés et vraisemblablement marqués – précaution nécessaire pour les reconnaître à l’arrivée et les retrouver en cas de vol46 –, ils se mettaient en route sous la houlette de conducteurs47, pour un voyage de quelques dizaines à plusieurs centaines de kilomètres selon la province d’origine48, une distance qui n’est pas un obstacle infranchissable pour un animal qui est bon marcheur49. Sachant qu’il se déplace à une vitesse légèrement inférieure à celle d’un homme au pas, comptons 4 km/h., que la progression ne sera que diurne, il lui faudra théoriquement, à raison de 6 h. de marche par jour, de quelques jours à deux semaines pour gagner Rome. En réalité, le voyage durait sans doute plus longtemps : on se déplaçait à petites journées, pour préserver les forces des bêtes, prévenir un gonflement des pattes et éviter les blessures et les accidents50, quand on ne faisait pas une pause d’une ou deux journées pour les déplacements les plus longs.

  • 51 Comme le signale Polybe, Histoire XII, 3, 4, qui met en avant la discipline régnant dans les troupe (...)
  • 52 Sur le réseau viaire de l’Italie méridionale, Chevallier 1997, p. 174-182.

13S’ils sont d’instinct moins grégaires que les moutons, les porcs suivent néanmoins volontiers le porcher, qui les conduit, libres ou attachés par les oreilles, au son de sa trompe51. Le trajet s’effectue notamment, et selon toute vraisemblance, par les axes directeurs que sont les viae Popilia, Latina, Trajana et Appia – pour n’évoquer que les plus notables – et les voies côtières, ce qui n’exclut pas un trajet par d’autres routes et des chemins de traverse dont la qualité moindre accentue peut-être les difficultés du voyage52.

14En fin de journée, on s’arrête. Il faut alors parquer les animaux, dans des zones de repos comparables à celles se trouvant sur les chemins de transhumance, à moins que les porchers ne passent la nuit dans des auberges disposant d’enclos à proximité, ce qui suppose que soit réglée la question de leur entretien au cours du trajet, un point sur lequel nous ne disposons pas d’information.

  • 53 Voir Chioffi 1999, p. 128-129.
  • 54 Le forum suarium se trouve dans la région VII, à l’Est de la via Lata, non loin du temple du Soleil (...)

15Au terme d’un voyage dont la durée pouvait donc atteindre trois semaines pour parcourir les distances les plus longues, les animaux arrivaient enfin à Rome : sans doute étaient-ils parqués en deçà des portes Capène et Esquiline53, là où ils étaient vraisemblablement abattus, plutôt qu’au forum suarium, où se déroulaient distributions et transactions54.

3. Propositions pour une estimation du nombre de têtes

  • 55 Per quinque autem menses quinas in obsoniis libras carnis possessor accipiat, « mais que le possess (...)
  • 56 Quattuor milia sane obsoniorum, amputatis superfluis ac domus nostrae perceptionibus, diurna sublim (...)

16Il reste maintenant à nous demander combien d’animaux étaient acheminés. Une question à laquelle deux constitutions, d’interprétation délicate, permettent d’apporter des éléments de réponse. La première est celle adressée le 29 juillet 419 par Honorius au préfet du prétoire Palladius (CTh XIV, 4, 10). Un passage indique que les bénéficiaires des distributions recevraient, chacun, 5 livres de viande par mois pendant 5 mois, soit, à raison de 327, 45 g. la livre, une ration totale de 8,186 kg55. La fin du texte précise que 4 000 rations seront distribuées quotidiennement, et que cette abondante quantité réconfortera le peuple56. Ces données permettent donc d’estimer le nombre théorique des bénéficiaires à 4 000 x 30 jours = 120 000 individus. Le poids total de viande qu’ils reçoivent s’élève donc à 120 000 x 8,186 = 982 320 kg.

  • 57 NVal XXXVI, § 1 : La Lucanie contribue pour 6 400 sous, le Samnium pour 5 400, la Campanie pour 1 9 (...)
  • 58 NVal XXXVI, § 2 : de boariorum etiam uel pecuariorum praestatione nongentos quinquaginta solidos ex (...)
  • 59 NVal XXXVI, § 2 : Centum milia aequi ponderis porcinae de interpretiis iuxta priora constituta prae (...)
  • 60 À effectif de 120 000 bénéficiaires. « According to the Theodosian Code and Cassiodorus, these regi (...)

17Le second texte – la novelle XXXVI de Valentinien III du 29 juin 452 – conforte ces données. À cette époque, la nummaria exactio étant devenue la règle, les marchands de cochons reçoivent des producteurs de Lucanie, du Samnium et de la Campanie une contribution s’élevant à 13 750 sous57, à laquelle s’ajoutent 950 sous venant des marchands de bœufs et de moutons58, soit 14 700 sous, avec lesquels ils pourront acheter, à raison d’un sou pour 240 livres de viande, 14 700 x 240 = 3 528 000 livres. Les profits qu’ils retirent de leur activité leur permettront d’acheter 100 000 livres supplémentaires : le total s’élève donc à 3 628 000 livres. Par ailleurs, l’empereur précise que les marchands sont tenus de fournir trente-six fois 129 000 livres, soit 4 644 000 livres, desquels seront néanmoins retirés, vraisemblablement pour couvrir leurs frais, 20 %59. Il restera donc 3 715 200 livres, soit 1 216,54 tonnes, à distribuer en 150 jours, ce qui suppose une légère augmentation de la quantité de viande offerte à chacun des bénéficiaires, qui passerait à 6 livres par mois60.

  • 61 Columelle, Économie rurale VII, 9, 2. Voir aussi Varron, Économie rurale II, 4, 3-4. Illustrations (...)
  • 62 Whitehouse et al. 1982, p. 87-89 ; Mac Kinnon 2004, p. 154.
  • 63 Mac Kinnon 2004, p. 190 ; Lassère 1991, p. 309 et note 10. On est loin du poids de la truie d’Arcad (...)

18À combien de bêtes peuvent correspondre ces tonnages respectifs ? Pour répondre à cette question, il faut maintenant se pencher sur le poids de l’animal. Columelle fait état de deux races de porcs : l’une à peau glabre ou à soies blanches, l’autre à soies dures, épaisses et noires61. Au témoignage de l’archéozoologie, il semblerait que ce soit cette dernière race qui peuplait largement les territoires d’Italie méridionale62. Le poids de ces animaux de petite taille – 60/75 cm au garrot – tués à l’âge de 15/18 ou 27/30 mois, peut être estimé entre 50 et 60 kg. Mac Kinnon l’évalue 62,5 kg, Lassère à « une soixantaine de kg »63.

  • 64 Lassère 1991, p. 309, note 10, l’estime à 80 % : c’est un peu généreux. Selon la qualification que (...)
  • 65 Ne nous focalisons cependant pas sur la précision unitaire de ces nombres : ils ne sont que des ord (...)
  • 66 Varron, Économie Rurale II, 4, 22, considère que l’effectif raisonnable d’un troupeau est de cent t (...)

19Si l’on considère que le rendement à l’abattage, déduction faite du squelette et du cinquième quartier, est de l’ordre de 70 % du poids vif de l’animal à jeun64, les tonnages distribués en 419 et 452 pourraient représenter respectivement 1 403,31 et 1 737,91 tonnes de porc sur pied arrondis à 1 403 et 1 738 tonnes. Soit, en se fondant sur un poids vif moyen de 56,25 kg par animal (50 + 62,5 kg : 2) arrondi à 56 kg, entre 25 053 et 31 035 têtes65. En divisant par le nombre de mois concernés par les distributions, soit cinq, ce sont donc, arithmétiquement, entre 5 010 et un 6 207 porcs qui se présentent tous les mois aux portes de la capitale, ce qui correspond à une arrivée quotidienne moyenne de oscillant entre 167 et 206 bêtes66. Pour simplifier les calculs, avançons une moyenne mensuelle de 5 600 animaux, soit 186 par jour.

20Cependant le nombre réel des bêtes était en réalité différent, pour plusieurs raisons. D’abord parce que les calculs ici effectués sont fondés sur un poids moyen supposé des animaux : or il y avait vraisembablement de réelles fluctuations pondérales selon la nature des élevages : il est cependant impossible de les connaître, les auteurs de traités relatifs aux res rusticae ne disant mot du poids des bêtes. Maintenant, si l’on s’appuie sur un poids vif de 50, 60 ou 62,5 kg, le nombre théorique d’animaux s’inscrit, en fonction des tonnages indiqués plus haut (1 403 et 1 738 t.), dans des écarts respectifs de : 28 060-34 760 ; 23 383-28 996 ; 22 448-27 808, ce qui correspond à des arrivages mensuels de l’ordre de : 5 612-6 952 ; 4 676-5 799 ; 4 489-5 561 têtes, soit des moyennes respectives de 6 282, 5 237 et 5 025. Avec un rendement à l’abattage de 80 %, les effectifs oscilleraient, pour un poids de 56 kg, entre 21 926 et 27 154 têtes, soit une moyenne mensuelle de 4 908 arrivées, arrondie à 4 900.

  • 67 CIL VI, 1771, mesure de Turcius Apronianus prise entre 362 et 364 : cum suarios damnis uideremus ad (...)
  • 68 Le poids moyen de l’animal à l’arrivée passe de ce fait de 56 à 47, 6 kg ; 1 403 et 1 738 t. nécess (...)

21Ensuite parce les suarii devaient faire face, on l’a vu, à la fonte pondérale des bêtes, un préjudice qu’ils ne manquent d’ailleurs pas de mettre en avant. Ainsi, à force de réclamations, ils finirent par obtenir, à l’époque de Julien, une indemnité annuelle de 17 000 amphores de vin, que leur allouera la caisse du vin ; le principe en fut confirmé par Valentinien Ier en octobre 36767. En évaluant la fonte, lors du trajet, à 15 % du poids de l’animal, c’est en réalité un apport mensuel supplémentaire d’environ mille têtes qu’il faut envisager68. On ne négligera pas non plus les pertes sur le trajet : certains animaux se blessent et ne peuvent poursuivre la route, d’autres meurent.

  • 69 D’Amelia 1975, p. 500-502. Les porcs comptent pour 15 000 entrées en moyenne. À Paris, à la fin du (...)
  • 70 La population passe de 133 985 h. dans la décennie 1690 à 163 336 h. dans la décennie 1780, D’Ameli (...)

22En outre, rien n’interdisait aux marchands de commercialiser des têtes pour leur propre compte. De même nous ignorons tout de la concurrence éventuelle d’éleveurs nourriciers vivant dans la proximité de Rome. Compte tenu du fait que l’alimentation carnée des Romains est essentiellement représentée par le porc, que tous les habitants ne bénéficient pas des distributions et que, dès lors, un certain nombre d’entre eux achètent de la viande ou en consomment, on pourrait affecter, avec prudence, un coefficient multiplicateur de 1, 5 aux données avancés plus haut. Sur la base d’une moyenne mensuelle de 5 600 arrivées, le nombre annuel s’élève alors à 5 600 x 1, 5 x 12 = 108 000 bêtes. Il ne relève pas, en réalité, de la pure extrapolation : au xviiie s. entre 100 000 et 140 000 animaux de boucherie69 étaient convoyés chaque année, en moyenne, sur le marché de Rome, une ville alors peuplée d’environ 150 000 habitants70.

Conclusion

  • 71 En 204 ap. J.-C., les marchands de bestiaux, associés aux argentarii, les banquiers – argentarii et (...)
  • 72 Sur sa localisation, Lega 1993, p. 225 et Chioffi 1999, p. 41. Mention des trois corporations par S (...)

23À cette époque, les ovins ont largement supplanté les porcins dans les arrivages : ils représentent alors plus de 60 % des entrées. Indice vraisemblable de pratiques alimentaires carnées différentes de celles des anciens Romains, qui ne consommaient guère de bœuf et de mouton : il n’y a d’ailleurs jamais eu, dans l’Antiquité, de distribution officielle de viande bovine ou ovine dans la capitale. Cela ne signifie cependant pas que cette viande ne se trouvât point sur le marché de l’Urbs : la viande de bœuf y était commercialisée par les boarii, vraisemblablement au forum boarium71, celle de mouton par les pecuarii, qui la vendaient au campus pecuarius72. On ignore cependant tout des quantités mises sur le marché, aucun texte comparable à ceux qui ont été analysés ici ne nous étant parvenu, tout comme nous ignorons d’ailleurs le devenir des animaux invendus.

  • 73 Capite, pedibus, et seuo lactante et subgulari lanio cedentibus…, CIL VI, 1770, sur lequel on verra (...)

24Seule une inscription nous renseigne sur les modalités de la vente des ovins : il s’agit de l’édit par lequel, en 362-363, Turcius Apronianus ordonne, au nom de la raison, de peser les animaux à la balance, avant que le tueur ne les exécute et ne reçoive, en guise de salaire, la tête, les pieds ainsi que la graisse des mamelles et du cou73, un mode de rémunération qui perdurera en Europe occidentale jusqu’à l’après seconde guerre mondiale et qui se pratique, de nos jours encore, en Haïti et dans certains pays d’Afrique noire francophone.

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Notes

1 On estime en effet maintenant qu’il y aurait eu très tôt différenciation entre le sanglier et ses descendants d’une part, le cochon et ses ancêtres inconnus de l’autre : voir Poplin 1976. Sur le sanglier et le porc domestique, Grzimek 1972, p. 73-78 et 88-90 ; Rognon 2006 ; Groves 2007, p. 21-22 et 24-26.

2 « Graecae siliquae… cornus, arbutus », selon Columelle, Res Rusticae VII, IX, 6, évoquant les forêts où les troupeaux peuvent aisément se rassasier. Les traductions sans mention d’auteur sont miennes.

3 « La fange, la boue, les excréments de l’homme sont les aliments que ce quadrupède dévore de préférence ; mais quoiqu’il se nourrisse de choses infectes et dégoûtantes, il ne fournit pas moins à l’homme une nourriture succulente et délicate », écrit l’abbé Rozier dans l’introduction de son article consacré au cochon, Rozier 1785, p. 414. Viborg et Young signalent que l’on peut nourrir le porc d’une préparation composée de « fumier frais de cheval, de son, de balle de seigle, de grains vides, de rinçures et d’eau chaude », à mélanger dans un tonneau et à laisser fermenter (Viborg, Young 1823, p. 59). Coup d’œil sur l’alimentation du porc dans Laurans 1976.

4 Hérodote, Histoires II, 47, éd. et trad. Ph.-E. Legrand, Paris, 1963, CUF. Et l’auteur de poursuivre : « si quelqu’un en frôle un en passant, il va se plonger dans le fleuve avec ses vêtements ». Sur l’impureté du porc dans la religion, on consultera Pastoureau 1989, p. 252-262, Benkheira 2006 et Vassas 2006.

5 Pline l’Ancien, Histoire Naturelle VIII, LXXVII (51), § 207, éd. et trad. A. Ernoult, Paris, 1952, CUF. Bien plus tard, Buffon conclut le développement qu’il consacre au cochon par un propos très dur sur l’animal : « De tous les quadrupèdes, le cochon paroît être l’animal le plus brut ; les imperfections de la forme semblent influer sur le naturel, toutes ses habitudes sont grossières, tous ses goûts sont immondes, toutes ses sensations se réduisent à une luxure furieuse et à une gourmandise brutale, qui lui fait dévorer indistinctement tout ce qui se présente, et même sa progéniture au moment qu’elle vient de naître. Sa voracité dépend apparemment du besoin continuel qu’il a de remplir la grande capacité de son estomac ; et la grossièreté de ses appétits, de l’hébétation du sens du goût et du toucher.… Ces animaux… ont le toucher fort obtus, et le goût aussi grossier que le toucher… Cette imperfection dans les sens du goût et du toucher, est encore augmentée par une maladie qui les rend ladres, c’est-à-dire, presque absolument insensibles, et de laquelle il faut peut-être moins chercher la première origine dans la texture de la chair ou de la peau de cet animal, que dans sa mal-propreté naturelle, et dans la corruption qui doit résulter des nourritures infectes dont il se remplit quelquefois… », Buffon 1749, p. 111-112. Le mépris exprimé par le naturaliste – « la tête grosse et le groin long et épais du cochon lui donnent un air d’imbécillité que la direction des oreilles rend encore plus apparent dans le cochon domestique, qui les laisse tomber en avant, que dans le cochon de Siam et le sanglier qui les tiennent droites », Buffon 1749, p. 133 – est cependant loin d’être partagé par tous : voir les témoignages rassemblés par Molénat, Molénat 2005.

6 Tel qu’il est évoqué par Virgile au Livre VIII de l’Énéide, v. 36-45. À Énée qui vient de débarquer avec ses compagnons dans le Latium, le Tibre annonce qu’il est enfin au terme de son voyage comme le prouvera, lui dit-il, un signe indiscutable : « Ô fils des dieux, qui nous ramènes la ville de Troie sauvée de ses ennemis et qui nous conserves l’éternelle Pergame, toi qui étais attendu sur le sol des Laurentes et dans les champs latins, c’est bien ici ta demeure fixe, ne t’éloigne plus ; ce sont tes fixes pénates. Toute la haine et la colère des dieux sont tombées. Pour que tu ne te croies pas le jouet d’un vain songe, sous les chênes de la rive, tu trouveras étendue une énorme truie avec trente nouveaux-nés, toute blanche, couchée sur le sol, et ses petits tout blancs autour de ses mamelles : là sera l’emplacement de la ville ; là le terme certain de tes épreuves », éd. et trad. A. Bellesort, Paris, 1964, CUF. Le lendemain, la petite troupe se met en route vers Pallantée et, « prodige subit et merveilleux à voir, voici qu’à travers la forêt [Énée] aperçoit une laie toute blanche avec sa portée blanche comme elle, qui s’est couchée sur la verte rive », id., v. 82-84.

7 Ovide, Fastes I, v. 671-672 : Placentur frugum matres, Tellusque Ceresque, Farre suo grauidae uisceribusque suis, « que soient gagnées les faveurs des mères des moissons – la Terre et Cérès – par un don d’épeautre et d’entrailles d’une truie pleine ».

8 Caton, De l’agriculture CXLIII, 1, éd. et trad. R. Goujard, Paris, 1975, CUF. L’auteur signale en outre que la lustration des champs s’effectue en recourant au suovétaurile : le rite consiste à faire accomplir le tour du domaine par des animaux encore à la mamelle (suouetorila lactentia), en l’occurrence un porcelet, un agneau et un veau (Caton, De l’agriculture CL), alors que le suovétaurile clôturant la purification du peuple se fait, lui, avec un verrat, un bélier et un taureau (Varron, Économie rurale II, 1, 10).

9 Varron, Économie rurale II, 4, 9-10 : « C’est en effet avec le bétail porcin que la coutume du sacrifice a, semble-t-il, pris naissance et il en reste des traces dans le fait que, dans les rites d’initiation de Cérès, ce sont des porcs que l’on sacrifie et que, dans le rituel qui introduit à la paix, lorsqu’un traité est conclu, c’est un porc que l’on tue ; on en trouve des vestiges aussi dans le fait qu’au début des rites nuptiaux les anciens rois et les grands personnages d’Étrurie, pour consacrer l’union nuptiale commencent, en tant que nouvelle épouse et nouveau mari, par sacrifier un porc. Les premiers Latins eux aussi, et même les Grecs d’Italie, semblent avoir eu la même coutume… », éd. et trad. Ch. Guiraud, Paris, 1985, CUF. L’ensemble du ch. 4 est consacré aux porcins.

10 Pline, Histoire naturelle VIII, LXXVII (51), § 205, signale que les portées peuvent aller jusqu’à vingt petits.

11 La fertilité de la truie, dont les premières chaleurs se manifestent entre six et huit mois, a toujours marqué les esprits : ainsi Vauban, frappé par le nombre important de cochons qu’il aperçoit en parcourant la France, rédige un opuscule intitulé La cochonnerie ou calcul estimatif pour connaître jusqu’où peut aller la production d’une truie pendant dix années de temps (éd. Michèle Virol, Les oisivetés de Monsieur de Vauban ou ramas de plusieurs mémoires de sa façon sur différents sujets, Seyssel, 2007, p. 631-636) : suivant ses calculs, une truie finit par avoir, au terme de dix ans, 6 434 838 descendants. À la seizième génération, la terre serait dès lors, selon lui, abondamment peuplée de cet animal. Convaincu que tout paysan pourrait aisément en élever un par an, Vauban pense que l’espèce porcine sauverait ainsi les ruraux de la famine. Assertion rassurante mais illusoire : somme toute, un porc ne fournit que deux jambons. Voir J.-J. Hémardinquer, « Faut-il démystifier le porc d’Ancien Régime ? », Actes du 93e Congrès National des Sociétés Savantes (Tours, 1968), Section d’histoire moderne et contemporaine, T. I, L’alimentation et ses problèmes, Paris, 1971, p. 9-37. Buffon, lui, estime que « pour peu qu’on ait habité la campagne, on n’ignore pas les profits qu’on tire du cochon » (Buffon 1749, p. 122).

12 Varron, Économie rurale II, 4, 10, éd. et trad. Ch. Guiraud, Paris, 1985, CUF.

13 S’ils sont également consommés, les ovins servent en priorité à fournir de la laine et les caprins du lait ; quant aux bovins, ce sont d’abord des animaux de trait. Sur la consommation de viande à Rome (et notamment de porc) : André 1981, p. 134-148 ; Whitehouse et al. 1982, p. 81-91 et 96-99 (contribution de G. Barker) ; Corbier 1989, notamment p. 116-118 et 121-124.

14 L’atteste ainsi une loi adressée par Constance II à Taurus le 6 avril 355, CTh VII, 4, 2 : elle stipule que lors de la distribution de viande fraîche aux soldats stationnés en Afrique, on veillera à ce que la totalité de l’animal soit distribuée, à l’exclusion des sabots et de l’extrémité du groin : ungulas orisque tantummodo summitatem praecidi amputarique praecipimus. L’animal apparaît en réalité comme une extraordinaire réserve de viande, et, dès lors, de protéines. Une autre loi de Constance II de 360, CTh VII, 4, 6, précise que les militaires en campagne recevront du lard un jour sur trois. Sur la place du lard dans l’alimentation romaine ainsi que sur sa valeur nutritive et thérapeutique, Paolucci 2005, p. 435-440. Dans son Histoire Lausiaque parue en 408, Palladius signale que les moines du monastère de Panopolis « engraissent des porcs ». Et de poursuivre : « Comme je blâmais la chose, ils me dirent : ‘ Nous avons reçu de la tradition qu’il faut en engraisser pour que les rebuts, les épluchures de légumes, les restes que l’on jette ne soient pas perdus. Il faut aussi sacrifier les porcs et vendre la viande, à l’exception des extrémités qui sont consommées par les malades ou les vieillards, car le pays est peu étendu et très populeux’ », Palladius d’Hélénopolis, Histoire Lausiaque 21, 10 : Pachôme et les Tabenésiotes, trad. N. Molinier, Abbaye de Bellefontaine, 1999 (coll. Spiritualité orientale, 75).

15 Plaute, Les Ménechmes, v. 208-213 : « Fais donc apprêter chez toi un dîner pour nous trois, et prendre au marché quelques fins morceaux : un ris de porc, un jambon salé, des têtes de cochon, ou quelque chose de la sorte. Enfin que tous les plats bien mijotés, bien servis, me donnent une faim de vautour. Et tout de suite. », éd. et trad. A. Ernout, Paris, 1952, CUF. Voir également Le soldat fanfaron, v. 759-760 : mention d’un jambon et d’un quartier de porc. Sur l’installation des bouchers au macellum de Rome à cette époque, De Ruyt 1983, p. 345.

16 Décrit ainsi par Macrobe, Saturnales III, 13 : « Titius, dans son discours en faveur de la loi Fannia [161 av. J.-C.], reproche à ses contemporains de servir à table le porc troyen, ainsi nommé parce qu’on remplissait son ventre en y enfermant d’autres animaux, comme le fameux cheval de Troie se trouvait rempli de guerriers », trad. Ch. Guittard, Paris, 1997. C’est un estomac de porc farci de saucisses et de boudins qui est servi au banquet de Trimalcion, Pétrone, Satiricon XLIX, 10.

17 Apicius, L’art culinaire, éd. et trad. J. André, Paris, 1987, CUF : I, VII, 2 : « Pour conserver la couenne de porc ou de bœuf et les pieds cuits » ; II, III : « Vulves, boudins » ; II, IV : « Saucisses de Lucanie » (de porc ou de bœuf) ; II, V : « Saucisses » ; VII, I : « Vulves de truie, vulves de truies stériles, couenne, museau, queue et pieds de porc » ; VII, II : « Tétines » ; VII, VII, 1 : « Estomac de porc » ; VII, IX : « Jambon » ; VII, X : « Épaules de porc avec des petits pains au moût » ; VIII, VII : « Pour le porcelet ». Les Extraits d’Apicius par l’illustre Vinidarius – un texte de l’époque tardive fondé sur une tradition manuscrite différente de celle du corpus principal de l’ouvrage d’Apicius, comprennent sept recettes de porcelet (XX-XXVI). Recettes de bœuf chez Apicius : I, IX ; VIII, V, 2 ; et de veau : VIII, V, 1 ; 3 ; 4. Sur le porc comme animal de boucherie, André 1981, p. 136-138. Selon Pline, Histoire naturelle VIII, LXXVII (51), § 209 : « Aucun autre animal ne fournit plus d’aliments à la gourmandise : sa viande présente environ cinquante saveurs, tandis que celle des autres n’en a qu’une », éd. et trad. A. Ernout, Paris, 1952, CUF.

18 Vie d’Aurélien XXXV, 2 : « il [Aurélien] fit également distribuer au peuple romain de la viande de porc » ; XLVIII, 1 : « il avait aussi décidé de fournir gratuitement en vin le peuple romain qui, de même qu’il bénéficiait de distributions gratuites d’huile, de pain et de viande de porc, recevrait ainsi également du vin », trad. A. Chastagnol, Histoire Auguste, Paris, 1994. Voir aussi Aurelius Victor, Livres des Césars 35, 7 : « Aurélien veilla également à introduire la consommation de la viande de porc, pour céder largement aux demandes de la plèbe romaine », éd. et trad. P. Dufraigne, Paris, 1975, CUF et Pseudo Aurelius Victor, Epit. XXXXV, 6 : « il institua l’usage de la viande de porc pour le peuple ». À cette distribution, Aurélien ajouta celle du vin : « il avait aussi décidé de fournir gratuitement en vin le peuple romain qui, de même qu’il bénéficiait de distributions gratuites d’huile, de pain et de viande de porc, recevrait ainsi également du vin : et il avait prévu que cette mesure se perpétuerait grâce aux dispositions suivantes… », Vie d’Aurélien XLVIII, 1, trad. A. Chastagnol. La distribution de viande porcine pourrait déjà avoir été pratiquée sous Septime Sévère et Caracalla. Sur ce point, Herz 1988, p. 162-169 ; Sirks 1991, p. 363-365. Selon les Fragments du Vatican (FIRA II, Auctores, 1940, éd. J. Baviera), les marchands de cochons contribuaient alors à l’annone (§ 236 et 237).

19 Vie d’Aurélien XXXV, 2, trad. A. Chastagnol.

20 Sur Lucius Turcius Apronianus, signo Asterius, PLRE I, p. 88-89, n ° 10 et S. Panciera, « Un protettore di Spoleto », Spoletium, 34-35, 1990, p. 11-20. Depuis les Sévères, la police du marché aux cochons relève du préfet de la Ville, selon le témoignage d’Ulpien conservé en Dig I, 12, 1, 11 : forum suarium sub ipsius [le préfet] cura est.

21 Deux lois ont été émises par Constantin : le 8 mars 334, adressée au préfet du prétoire Pacatianus (XIV, 4, 1) et le 11 avril 326/324(S) à Lucrius Verinus (XIV, 4, 2) ; une par Julien, le 9 décembre 363/362(S), envoyée à Apronianus (XIV, 4, 3) ; une par Valentinien Ier, le 8 octobre 367, destinée au préfet de la Ville Praetextatus (XIV, 4, 4) ; deux par Théodose Ier : les 18 et 25 août 389, à l’intention d’Albinus, préfet de la Ville de Rome (XIV, 4, 5 et 6) ; trois par Honorius : le 15 février 397, au préfet de la Ville Florentinus (XIV, 4, 7) ; le 15 janvier 408, au préfet de la Ville Hilarius (XIV, 4, 8) ; le 29 juillet 419, au préfet du prétoire Palladius (XIV, 4, 10). Sur les collèges chargés de l’approvisionnement en viande, Waltzing 1895, T. II, p. 89-96.

22 Mazzarino 1951, p. 220-242 ; Chastagnol 1953 ; Chastagnol 1960, p. 58-59 et 325-330 ; Jones 19732, II, p. 702-704 ; Barnish 1987, p. 162-168 ; Herz 1988, p. 277-294 ; Sirks 1991, p. 363-375 ; Frayn 1993, p. 148-157 ; Cizek 1994, p. 164-166 ; Lo Cascio 1999, p. 172-179.

23 Pour reprendre l’expression utilisée par Sénèque dans son traité sur la Brièveté de la vie XVIII, 5, dédié à son beau-père Pompeius Paulinus, alors préfet de l’annone.

24 Cassiodore, Variae XI, 39 : erat quidem illis gloriosum Romam pascere.

25 Suariorum uires ea concidisse occasione comperimus, quod fundi eorum adque alia praedia in extraneas quasque personas multimoda donatione transcribta sunt, CTh XIV, 4, 5. Sur les biens-fonds des suarii, Sirks 1991, p. 385-387.

26 CTh XIV, 4, 5 : Quae sublimis eminentia tua aut ad memoratorum iura reuocabit, aut si eorum detentatores putauerint abnuendum, subeant cum his communem sarcinam, quorum incubuere corporibus.

27 CTh XIV, 4, 8 : Quicumque de suariorum corpore originariam functionem sub cuiuslibet desiderio auxilii uel honore declinasse noscuntur uel ad diuersa se officia contulisse aut adnotationibus uel rescribtis nostrae serenitatis elicitis… ; eos etiam, qui ad clericatus se priuilegia contulerunt…

28 CTh XIV, 4, 10 : Suariis pecuarii iungantur : sub hac tamen condicione decreti corpora uolumus miscere ut rescissis priuilegiis, quae impetrasse dicuntur, mixtae corporum uices alternis fungantur officiis.

29 NVal XXXVI, pr. :… et iam iamque occidui corporis functionem ita salubri dispositione constituti, ut remotis dispendiis numquam defectum uirium deuotio seruientis incurrat…

30 La disposition prise par Apronianus nous est connue par une inscription, CIL VI, 1770 : Ex auctoritate / Turci Aproniani, u(iri)c (larissimi), / praefecti urbis. / Ratio docuit, utilitate sua/ dente… sub exagio/ potius pecora uendere, quam/digitibus conludentibus trade/re… Dans la classification de Varron, Économie Rurale I, 12, le pecus ou petit bétail comprend ovins, caprins et porcins : de minoribus pecudis, cuius genera tria, oues, capra, sus…

31 CTh XIV, 4, 4 : Quibus in rebus illud quoque a decessore tuo salubriter institutum est, quo suariis aestimandi licentia denegetur pondusque porcorum trutinae examine, non oculorum libertate quaeratur, ita uidelicet, ut ne uolenti quidem possessori tradere animal liceat, cuius modum non prius ponderatione certa deciderit suarius. Animal uero a possessore tradendum ob digeriem prius unius noctis tantum ieiunitate uacuetur. Les constitutions ne font pas allusion à l’état de santé des bêtes lors de la transaction, bien qu’il existât, si l’on en croit Varron, Économie Rurale II, 4, 5, une formule d’achat d’une truie : « est-ce que tu promets que ces truies sont en bonne santé, qu’il est permis d’en être dûment propriétaire, que tu répondras de leurs dommages et qu’elles ne proviennent pas d’un troupeau contaminé ? Certains ajoutent : qu’elles en ont terminé avec la fièvre et la diarrhée », éd. et trad. Ch. Guiraud, Paris, 1985, CUF.

32 Qui remplacera définitivement, semble-t-il, au milieu du ve s., la livraison de cheptel vif, NVal XXXVI, § 1 et 2.

33 Selon Frayn 1993, p. 151-152, des marchés aux porcs se tenaient, dans la partie méridionale de la péninsule, à Aeclanum, près de Bénévent, à Atina dans le Samnium, à Heraclea et, vraisemblablement, à Puteoli et à Larinum. Voir également Chioffi 1999, p. 132-134.

34 CTh XIV, 4, 2 du 11 avril 326/324(S) : Et quoniam non semper nec in omnibus locis una est forma pretiorum, pro diuersitate locorum et temporum in specie pretia danda sunt…

35 NVal XXXVI, § 1.

36 D’où le titre forgé pour cette contribution.

37 CTh IX, 30, 3 : IDEM AA. RVFINO P(RAEFECTO) P(RAETORI)O. Cum omnifariam urbicarias regiones ab omni crimine et adsiduis abactorum rapinis quietas esse cuperemus, eo usque intentio nostra prospexit, ut istis in locis equo uehi his tantummodo liceret, quos ab huius modi sceleris suspicione locus aut dignitas uindicauit. Sed postea sanximus, ut suarii equis quidem uterentur, uerum ad periculum suum pertinene cognoscerent, si quid in his regionibus sceleris esset admissum. Nunc quia aduertimus, a suariis, qui propriis officiis occupantur, hanc necessitatem alienam esse debere, excellentia tua ita his sedendorum equorum potestatem datam esse cognoscat, ut nullo prioris sanctionis timore teneantur per ea sane loca, quae neque abactoribus neque aliis criminationibus infamata sunt. DAT. XI KAL. IVL. MED(IOLANO) VAL(ENTINI)ANO ET VALENTE AA CONSS., « LES MÊMES AUGUSTES À RUFINUS, PRÉFET DU PRÉTOIRE. Comme nous désirions que les régions urbicaires, en tout lieu, connaissent la tranquillité et n’aient pas à subir les crimes et les rapines continuelles des voleurs de bétail, nous nous sommes efforcés de veiller à n’autoriser à aller à cheval dans ces endroits-là que ceux que la situation ou la dignité a dégagés du soupçon d’un crime de cette nature. Mais ensuite nous avons prescrit que les marchands de porcs pourraient certes utiliser des chevaux à condition de savoir que ce serait à leurs risques et périls si quelque crime était commis dans ces régions. À présent, comme nous avons remarqué que cette contrainte ne devait pas concerner les marchands de porcs occupés par leurs propres fonctions, que Ton Excellence apprenne que nous leur avons octroyé le droit de monter à cheval, pour qu’ils ne soient retenus par quelque crainte de la sanction précédente dans ces endroits assurément connus ni pour les vols de bétail ni pour d’autres accusations. DONNÉ À MILAN LE 11 DES CALENDES DE JUILLET SOUS LE CONSULAT DE VALENTINIEN ET DE VALENS AUGUSTES ». Sur cette loi, Jaillette 2000, p. 192-193. À la date du texte, le vicariat d’Italie suburbicaire comprend neuf provinces : Tuscie-Ombrie, Picénum-Flaminie, Campanie, Samnium, Apulie-Calabre, Lucanie-Bruttium, Corse, Sardaigne, Sicile ; des transformations administratives se sont produites ultérieurement : glissement vers le Sud de la limite avec le vicariat annonaire (à la fin du siècle, elle court, d’Ouest en Est, du Caecina à l’Aesis), partition de la Tuscie-Ombrie et du Picénum-Flaminie, dont les parties septentrionales rejoignent le vicariat annonaire, création de la Valérie, détachée du Picenum. Fin ive s., le vicariat compte alors dix provinces, dont sept péninsulaires.

38 Les friches de la province, qui font l’objet de dégrèvements fiscaux en 395, pourraient être terres de pacage pour les porcins (CTh XI, 28, 2 du 24 mars 395). Sur les structures agraires de la Campanie, Savino 2006, p. 536, qui évoque l’élevage porcin. Voir également Savino 2005, p. 61-64.

39 Sur l’élevage des cochons dans le Samnium, Iasiello 2006, p. 463-467.

40 Sur l’élevage porcin et les pacages forestiers de l’Apulie, Volpe 1996, p. 297-306 ; voir aussi Buglione 2007, p. 2-3.

41 Selon l’auteur de l’Expositio totius mundi et gentium, LIII, « la Lucanie, qui est elle aussi un très bon pays ayant de tout en abondance, exporte au loin beaucoup de lard, parce qu’elle possède dans ses montagnes diverses pâtures bonnes pour les animaux », éd. et trad. J. Rougé, Paris, 1966, SC, 124. Les fouilles de S. Vincenzo al Volturno dans le Samnium et celles de S. Giovanni di Ruoti, près de Potenza, en Lucanie, ont confirmé l’existence d’un élevage porcin à l’époque tardive, dont l’histoire est liée à l’approvisionnement de la capitale et à ses vicissitudes : voir Barnish 1987, p. 157-160. Sur le site de S. Giovanni : Small, Freed 1986, p. 98-113 et Mac Kinnon 2002, p. 50-69. L’idéal serait bien sûr de pouvoir établir une cartographie de cet élevage.

42 Strabon, Géographie V, 1, 12 : « En effet, non seulement la terre mise en culture livre des produits abondants et variés, mais encore les bois fournissent tellement de glands que le cheptel porcin de ces régions [les différents espaces de la Cisalpine] pourvoit presque à lui seul à l’alimentation de la ville de Rome », éd. et trad. F. Lasserre, Paris, 1967, CUF. Voir aussi le propos de Polybe, Histoire II, 15 : « alors que le nombre des porcs abattus en Italie pour la consommation des particuliers et pour le ravitaillement des forces armées est exceptionnellement élevé, la quasi-totalité de ces bêtes est fournie par cette région », trad. D. Roussel, Paris, 1970.

43 Se profile ici en arrière-plan la question des caractères de l’économie de la péninsule à l’époque tardive – et de la dichotomie future entre un Sud moins développé et un Nord plus dynamique –, sur laquelle on se reportera à Giardina 1986. En dépit de son titre, l’article de Lewit 2009 n’évoque que ponctuellement l’élevage porcin en Italie du Sud, p. 80, note 7. Seuls sont nommément cités, dans la législation, la Campanie (CTh XIV, 4, 3 ; NVal XXXVI, § 1), le Bruttium et la Lucanie (CTh XIV, 4, 4 ; NVal XXXVI, § 1), le Samnium (NVal XXXVI, § 1).

44 Les plus courantes sont la ladrerie et la trichinose ; elles sont transmises à l’homme par une cuisson insuffisante de la viande.

45 Sur l’élevage des porcins, on se reportera à Varron, Économie Rurale II, 4 (c’est le propos de Scrofa le bien nommé – même si, comme le personnage le signale, sa « famille ne porte pas un surnom porcin » et qu’« Eumée n’est pas son ancêtre », id., II, 4, 1) et Columelle, De l’agriculture VII, IX, 6, des auteurs que j’ai la plus grande réticence à qualifier d’agronomes, ce qu’ils ne sont pas vraiment : sur ce point, Jaillette 2002. Le propos de Varron a largement inspiré le développement qu’Olivier de Serres (De Serres 1996) consacre aux pourceaux et aux truies, ch. XV du quatrième lieu de son Théâtre d’Agriculture initialement paru en 1600. Voir aussi White 1970, p. 316-321.

46 Les constitutions ne disent cependant mot du marquage des bêtes.

47 La glose des Summaria Codicis Theodosiani à CTh IX, 30, 3 (SCTh 9, 30, c. 3, Sirks 1996) laisse entendre en effet que ce sont les pastores porcorum, les porchers, qui utilisent les chevaux : superiori contraria nam hic praecipit, ut pastores porcorum equis insidunt..., et qui donc acheminent les bêtes.

48 Environ 400 kilomètres pour les animaux venant du Bruttium méridional.

49 L’animal se déplace au pas alterné, au trop, voire, sur de courtes distances, au galop ; il est capable, lorsqu’il est au pacage libre, de longues randonnées. Voir Lassère 1991, p. 306-307.

50 Parfois mortels, les animaux pouvant être renversés ou écrasés en chemin : voir la stèle du cochon d’Édesse, Petsas 1969, p. 190.

51 Comme le signale Polybe, Histoire XII, 3, 4, qui met en avant la discipline régnant dans les troupeaux italiens : « En Italie, aussi, les éleveurs de porcs en [il s’agit de la trompe] usent de la même manière avec leurs troupeaux au pâturage. Les porchers ne suivent pas leurs troupeaux pas à pas, comme on fait en Grèce. Il marchent devant et sonnent de la corne de temps en temps. Les bêtes avancent derrière eux et accourent au son », trad. D. Roussel, Paris, 1970. Polybe se désole d’ailleurs de la pagaille qui règne dans la conduite des troupeaux en Grèce. Pline l’Ancien, Histoire Naturelle VIII, § 208, lui, précise qu’on apprend « aux chefs du troupeau à guider les autres au marché ou à la maison », éd. et trad. A. Ernout, Paris, 1952, CUF. Barnish 1987 affirme, p. 173, note 130, que les porcs sont des animaux maladroits à conduire, ce qui est en réalité discutable. En réalité, un bon porcher peut conduire un troupeau de 50 têtes.

52 Sur le réseau viaire de l’Italie méridionale, Chevallier 1997, p. 174-182.

53 Voir Chioffi 1999, p. 128-129.

54 Le forum suarium se trouve dans la région VII, à l’Est de la via Lata, non loin du temple du Soleil inauguré par Aurélien en 274, et du casernement des cohortes urbaines : voir Chioffi 1995, p. 346-347 ; Chioffi 1999, p. 42-43 et p. 130. Le maintien de l’ordre y relève du tribunus fori suarii, placé sous la responsabilité du Préfet de la Ville (Not. Dign. Occ. IV, 2).

55 Per quinque autem menses quinas in obsoniis libras carnis possessor accipiat, « mais que le possesseur reçoive, pendant cinq mois, cinq livres par mois à titre de ration » : Godefroy proposait de lire a possessore et accipiant, « qu’ils reçoivent du possesseur », ou de comprendre : possessor appendat, « que le possesseur verse » (Gothofredus 1736, V (1741), p. 202, notes i et k). Compte tenu du contexte, il semble bien qu’il faille comprendre que le bénéficiaire des rations est le peuple de Rome ; Chastagnol 1953, p. 18, note 1 propose de lire populus plutôt que possessor ; voir également Mazzarino 1951, p. 414-415 ; Jones 19732, p. 702.

56 Quattuor milia sane obsoniorum, amputatis superfluis ac domus nostrae perceptionibus, diurna sublimitas tua decernat, quibus copiis populus animetur, « que ta Sublimité décide de la distribution quotidienne de 4 000 rations, compte non tenu du superflu et de ce que perçoit notre Maison : ainsi le peuple sera réconforté par cette abondance ». On notera que la ration quotidienne distribuée s’avère somme toute n’être qu’une micro-ration, puisqu’elle correspond à 54 g. de viande.

57 NVal XXXVI, § 1 : La Lucanie contribue pour 6 400 sous, le Samnium pour 5 400, la Campanie pour 1 950 : de Lucania sex milia quadringentorum, Samnio quinque milia quadringentorum, Campania mille nongentorum quinquaginta solidorum… Le Sammium pourrait alors fournir annuellement 11 800 porcs, selon Iasiello 2006, p. 464.

58 NVal XXXVI, § 2 : de boariorum etiam uel pecuariorum praestatione nongentos quinquaginta solidos exactos…

59 NVal XXXVI, § 2 : Centum milia aequi ponderis porcinae de interpretiis iuxta priora constituta praebeant, ducena quadragena pondo ad solidos secundum promissionem suam inlaturi, quoniam certa emolumenta amota solita dubitatione percipiunt, ita ut centum quinquaginta diebus obsoniorum praebitionem sine ulla causatione singulis annis a se nouerint procurandam, quae quantitas in tricies sexies centenis uiginti nouem milibus libris cum duarum decimarum ratione colligitur. Je n’aborde pas ici la question de la différence entre les deux nombres, 87 200 livres, soit 28,5 tonnes, à propos de laquelle Jones 19732, p. 703 se contente de noter : « the arithmetic is not quite correct ».

60 À effectif de 120 000 bénéficiaires. « According to the Theodosian Code and Cassiodorus, these regions [l’Italie du Sud] (especially Lucania) were heavily taxed in kind for pigs and pork – over 3 000 tons’worth per year », écrit Mac Kinnon 2004, p. 153, reprenant textuellement Mac Kinnon 2001, p. 659. Je ne comprends pas comment il établit ce tonnage.

61 Columelle, Économie rurale VII, 9, 2. Voir aussi Varron, Économie rurale II, 4, 3-4. Illustrations dans Mac Kinnon 2001, p. 660-669.

62 Whitehouse et al. 1982, p. 87-89 ; Mac Kinnon 2004, p. 154.

63 Mac Kinnon 2004, p. 190 ; Lassère 1991, p. 309 et note 10. On est loin du poids de la truie d’Arcadie, laquelle, « à cause de son embonpoint, ne pouvait se dresser sur ses pattes, mais c’était au point qu’une souris, ayant rongé sa chair, y avait fait son nid et y avait mis au monde ses petits », Varron, Économie Rurale II, 4, 12, éd. et trad. Ch. Guiraud, Paris, 1985, CUF ; Pline, Histoire Naturelle XI, LXXXV, § 213, rapporte une anecdote similaire, avec des rats qui rongent la chair des truies. Incapables de se mouvoir, ces énormes truies sont transportées sur des charrettes (Varron, Économie rurale II, 4, 11). Sur la taille des porcs, Mac Kinnon 2001, p. 657.

64 Lassère 1991, p. 309, note 10, l’estime à 80 % : c’est un peu généreux. Selon la qualification que lui donne la boucherie, le cinquième quartier comprend des parties non comestibles – les issues (cuir, suif, vessie, sang, ongles, poils) – et des parties qui le sont : abats blancs – panse, intestins, pieds, mamelles – et abats rouges – foie, cœur, poumons, langue, rognons. Pour un poids vif à jeun de 50, 60 et 62,5 kg, le poids théorique de viande est respectivement de 35, 42 et 43,7 kg. Pour M. Montanari, au haut Moyen Âge, « on ne pouvait pas obtenir plus de 45 ou 50 kg de viande d’un bon cochon », Flandrin, Montanari 1996, p. 285.

65 Ne nous focalisons cependant pas sur la précision unitaire de ces nombres : ils ne sont que des ordres de grandeur, puisqu’aucun registre comptable, officiel ou non, ne nous est parvenu. Raison pour laquelle j’ai arrondi les données. D. Whitehouse, cité par Barnish 1987, p. 160, estime le nombre d’animaux à 25 000 en 419 et presque 30 000 en 452.

66 Varron, Économie Rurale II, 4, 22, considère que l’effectif raisonnable d’un troupeau est de cent têtes, mais il signale que certains éleveurs ont des troupeaux atteignant 150 têtes, voire plus. Sur la taille des troupeaux dans les exploitations, Mac Kinnon 2004, p. 155, fondé sur Varron.

67 CIL VI, 1771, mesure de Turcius Apronianus prise entre 362 et 364 : cum suarios damnis uideremus adfectos et eos etiam ordines, qui suariam faciunt, prouidimus his leuamen ex titulo canonico uinario ut uiginti quinque milia amforum (sic) annua consequantur, sub ea diuisione, ut duae partes suariis, tertia uero his ordinibus proficiat ; deux tiers de 25 000 amphores correspondent précisément à 16 666 amphores ; CTh XIV, 4, 4 (8 octobre 367) : damnum, quod inter susceptionem et erogationem necessario euenit, uini, hoc est septem et decem milium amphorarum perceptione releuetur.

68 Le poids moyen de l’animal à l’arrivée passe de ce fait de 56 à 47, 6 kg ; 1 403 et 1 738 t. nécessitent dès lors un approvisionnement de l’ordre de 29 474 à 36 512 animaux ; par mois : 5 894 et 7 302 porcs, soit une moyenne de 6 598 ; 6 598 – 5 600 = 998, arrondis à 1 000.

69 D’Amelia 1975, p. 500-502. Les porcs comptent pour 15 000 entrées en moyenne. À Paris, à la fin du xive siècle se seraient vendus, selon l’auteur du Ménagier de Paris (Paris, 1846), plus de 30 000 porcs l’an (voir l’Introduction, T. 1, p. XLIII).

70 La population passe de 133 985 h. dans la décennie 1690 à 163 336 h. dans la décennie 1780, D’Amelia 1975, p. 514.

71 En 204 ap. J.-C., les marchands de bestiaux, associés aux argentarii, les banquiers – argentarii et negotiantes boarii huius loci – avaient érigé un arc de triomphe sur le forum boarium en l’honneur de Septime Sévère et de sa famille, CIL VI, 1035 = ILS 426. Sur ce forum, situé dans la zone portuaire entre le Vélabre et le circus Maximus, voir Coarelli, 1995, p. 296-297.

72 Sur sa localisation, Lega 1993, p. 225 et Chioffi 1999, p. 41. Mention des trois corporations par Symmaque, au § 3 de sa Relatio XIV à Valentinien Ier : nouerat horum corporum ministerio tantae urbis onera sustineri. Hic lanati pecoris inuector est, ille ad uictum populi cogit armentum, hos suillae carnis tenet functio, « Il [le père de Valentinien Ier] savait en effet que l’assistance de ces corporations soutient le fardeau d’une si grande cité. Telle amène les troupeaux à laine, telle rassemble le gros bétail en vue de ravitailler la population ; telle encore est assujettie au service de la viande de porc », Symmaque, Discours – Rapports, T. V, éd. et trad. J.-P. Callu, Paris, 2009, CUF. Les corporations sont également évoquées dans la NVal XXXVI, § 8 : obnoxias sane suario, boario et pecuario corpori personas…

73 Capite, pedibus, et seuo lactante et subgulari lanio cedentibus…, CIL VI, 1770, sur lequel on verra Chioffi 1999, p. 117-118. C’est le cinquième quartier, voir supra, note 64.

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