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La fédération de l’Éducation nationale (1928-1992)

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Françoise Bosman
, 
Jean-François Chanet
, 
Laurent Frajerman
, 
et al.

Quatrième partie : Quelle spécificité du syndicalisme enseignant ?

Chapitre 11. Les rapports UNEF/FEN 1945-1986 : le syndicalisme enseignant comme modèle et référence ou simple partenaire intersyndical pour les étudiants ?

Robi Morder

Texte intégral

1Quelle représentation (au sens mental et sociologique) ont les syndicalistes étudiants du (des) syndicalisme (s) enseignant (s) ? S’agit-il de modèles auxquels se subordonner, ou à adopter et adapter dans la mesure où le combat syndical est mené dans la même arène : celle de l’enseignement supérieur ? S’agit-il d’alliés dans le cadre d’une politique « d’inter syndicalisme » ou alors de supports, sortes de grands tuteurs expérimentés et dotés de moyens face aux interlocuteurs institutionnels ?

  • 1 En 1925, des étudiants proches de l’Union syndicale des techniciens de l’industrie et du commerce (...)

2Pour répondre, nous avons choisi de ne pas traiter des questions relatives aux réformes, et laissé de côté ainsi la période passionnante de l’élaboration de la loi Savary (1982-1984) qui mériterait une contribution spécifique. En effet, il ne s’agit pas ici de dresser le tableau des relations entre la FEN et le syndicalisme étudiant qui demeure un chantier à peine entamé. Nous esquissons notre réflexion à partir de quelques moments repères, en nous limitant à l’UNEF. En effet, dans des contextes différents, la question des rapports syndicalismes étudiant/enseignant s’est posée autrement1.

À l’époque du « syndicat unique de la classe étudiante »

À la refondation du syndicalisme étudiant

  • 2 Robi Morder (dir.), Naissance d’un syndicalisme étudiant, 1946, la Charte de Grenoble, Paris, Syll (...)
  • 3 L’Association générale des étudiants (AGE) est la structure de base de l’UNEF, il y en a une par v (...)
  • 4 Témoignage Paul Bouchet, in Naissance d’un syndicalisme étudiant, op. cit.

3À la Libération, une nouvelle équipe investit l’appareil de la vieille UNEF d’une mission explicitement syndicale2, ce que matérialise l’adoption au congrès d’avril 1946 de la déclaration dite « Charte de Grenoble ». Il n’est pas alors fait référence au syndicalisme enseignant. Les dirigeants étudiants ont hésité : faut-il un syndicat étudiant affilié à la CGT ? Il est vrai qu’à ce moment, la CGT n’a pas encore connu la séparation avec la CGT-FO ni en conséquence vécu le choix de l’autonomie fait par la FEN. Néanmoins, les courants chrétiens sont influents chez les étudiants, comme la Jeunesse étudiante chrétienne (JEC), ou ceux issus de Témoignage chrétien, qui sont en même temps membres des AGE3 de l’UNEF. Cela amène l’organisation étudiante au choix de l’autonomie qui est aussi un choix d’unité, puisque dans le monde du travail, la CFTC existe, même réduite4. La Fédération française des étudiants chrétiens (FFEC) qui, un temps, tente d’occuper la place d’une CFTC étudiante, décide finalement à son tour de reconnaître en 1950 le « monopole de l’action corporative » à l’UNEF.

  • 5 Compte rendu du congrès de Nice, Archives UNEF, BDIC, 4e delta 1151/1, 1948.

4Néanmoins, œuvrant dans le même secteur – l’enseignement supérieur – le syndicalisme étudiant n’ignore pas l’existence d’un syndicalisme enseignant. Mais, si l’on se réfère au discours du président de l’UNEF au congrès de Nice5, en 1948, il ne s’agit ni d’un modèle, ni même d’un allié durable mais d’un « alibi ».

  • 6 Vice-président chargé de la vie matérielle des étudiants, et qu’on considère comme le « père » de (...)
  • 7 « C’étaient des communistes », donc Lebert n’était pas sûr que leur mot d’ordre de grève soit suiv (...)

5En effet, au moment des grèves de novembre et décembre 1947, aux dires de Charles Lebert6, le secrétaire général du syndicat de l’enseignement supérieur7 l’aurait appelé car « pour faire faire grève aux professeurs, il n’y a qu’à demander aux étudiants de ne pas venir en cours ». L’UNEF explique qu’elle n’appellera pas à la grève, mais cela restait confidentiel entre les deux dirigeants. Une conférence de presse commune a lieu et le président de l’UNEF, Pierre Trouvat a laissé planer le doute pendant deux heures : « les étudiants vont-ils faire grève, ne vont-ils pas faire grève ? ». Il ne restait plus qu’à « exploiter la situation » : le ministère prend rendez-vous immédiatement et l’UNEF insiste « on nous propose de faire grève […] mais vous avez tout avantage à ce qu’il n’y ait pas de grève dans l’enseignement supérieur ».

  • 8 84 000 F pour les bourses, et 95 000 F pour les « bourses du quatre août » destinées aux ex-prison (...)

6En réalité l’UNEF a utilisé la « menace » de l’appel à la grève le même jour que celle du SNESR pour tenter (avec succès) d’effrayer le ministère et l’amener à exaucer une revendication relative aux bourses. Satisfaction a été obtenue8. Mais, le vice-président de l’UNEF l’explique, il n’a jamais été dans son intention d’appeler à cette grève.

  • 9 Didier Fischer, « Entre secret et mémoire, les étudiants gaullistes et leur prise du pouvoir dans (...)

7Épisode significatif des relations UNEF/SNESR. Celles-ci demeurent à un niveau de distance d’autant plus aggravée qu’avec la guerre froide et le changement de génération dans l’UNEF, c’est un changement de cap qui s’annonce avec la conquête par les conservateurs et le Rassemblement du peuple français (RPF) gaulliste de la direction nationale de l’organisation étudiante9.

D’une République à l’autre

  • 10 Jean Yves Sabot, Le syndicalisme étudiant et la guerre d’Algérie, Paris, L’Harmattan, 1995.

8La guerre d’Algérie modifie la donne dans l’UNEF10 et, évidemment, dans la société, avec le passage de la IVe à la Ve République.

  • 11 Pour « minoritaire », face à la « majo ». Le terme de minos et majos demeure même après le retourn (...)

9Les équipes dirigeantes « mino »11 qui se succèdent après 1956, veulent renouer avec l’insertion de l’UNEF dans le mouvement syndical global pour sortir d’un certain « corporatisme ».

10Sur trois questions, l’UNEF et la FEN vont néanmoins être, sinon toujours séparées, du moins distantes au cours de cette période.

  • Alors que la tendance générale à la direction de l’UNEF est l’opposition à la guerre d’Algérie, c’est l’évolution de la CFTC qui semble plus proche de l’organisation étudiante, qu’une FEN qui apparaît aux yeux des dirigeants étudiants trop marquée SFIO. « C’était une CFTC en évolution progressiste, partenaire qui jouait le jeu par rapport à une situation difficile avec une FEN encore proche de la SFIO et une CGT du PCF »12. Cet intérêt pour la CFTC peut aussi être d’autant plus « naturel » que la nouvelle équipe dirigeante de l’UNEF est marquée par le « christianisme de gauche », et participe de la crise de l’Association catholique de la jeunesse française (ACJF) et de la JEC en 1956. Les dirigeants jeunes, et surtout étudiants, se montrent en désaccord avec ce qu’ils jugent être (pour le moins) un attentisme de la hiérarchie ecclésiastique sur la question algérienne, « prudence » qu’elle essaie d’imposer à l’équipe de direction, conflit qui aboutit à la démission collective de la direction de la JEC. Robert Chapuis, président de l’UNEF en 1955-1956 est un des « démissionnaires » de cette équipe nationale de la JEC13. En février 1961 l’UNEF signe un texte avec l’Union générale des étudiants musulmans d’Algérie (UGEMA) et l’Union générale des travailleurs algériens (UGTA)14, texte signé par FO, la CGT, la CFTC mais pas par la FEN. Évidemment, l’assimilation de la FEN à la SFIO est éloignée de la réalité, bien plus nuancée15, mais c’est l’image que s’en font ces dirigeants étudiants.
  • Sur la laïcité, l’UNEF – plus proche, comme on vient de le voir, des courants partisans de la déconfessionnalisation dans la CFTC, et comportant en son sein nombre de militants chrétiens – a une attitude plus prudente que la FEN. Non qu’elle soutienne l’école privée et l’enseignement catholique, elle s’affirme elle-même laïque, mais elle demeure plutôt réservée dans la campagne contre la loi Debré, en 1959-1960. La lutte contre la guerre d’Algérie, et particulièrement contre la suppression des sursis l’occupe suffisamment.
  • Enfin, face à l’instauration de la V République, et à la prise du pouvoir par De Gaulle, l’UNEF demeure sur une prudente réserve. Non qu’elle adhère au mythe de « l’homme providentiel », mais elle a été suffisamment critique de l’aventure coloniale de la IVe République pour percevoir en De Gaulle une possibilité de sortie de la guerre. De plus, l’UNEF n’entend pas rompre les ponts avec un gouvernement, des ministères dont dépend en partie sa vie matérielle et sa légitimité représentative. Cette prudence en 1958, qui l’amène à ne pas participer à la manifestation organisée par la FEN « pour la défense de la République », ne l’empêche pas de continuer à prôner avec courage sa propre politique, quitte à perdre les subventions gouvernementales et à connaître une scission encouragée et soutenue par le Premier ministre Michel Debré16.
  • 17 L’autre grand exemple du même type dans le mouvement syndical français est la fédération du livre, (...)

11Ainsi, à l’époque où l’UNEF va jusqu’à syndiquer un étudiant sur deux, elle demeure – comme la FEN – une exception dans un paysage syndical français divisé et minoritaire. Comme la FEN, l’UNEF dans son milieu articule fonctions représentative, revendicative, co-gestionnaire (dans les œuvres pour les étudiants) et même gestionnaire (mutuelle étudiante), contribuant à forger une identité collective du groupe social17.

  • 18 Alain Monchablon, Robi Morder, « Apolitisme, autonomie et indépendance », in Jean-Philippe Legois, (...)

12Elle peut rechercher des alliés dans ce mouvement syndical sur des revendications, des actions, par exemple organiser en commun le meeting du 27 octobre 1960 à la salle de la Mutualité, mais s’estime majeure. Même quand le gouvernement Debré supprime sa subvention, elle lance une souscription et se permet de demander à la CGT de réduire le montant de la somme qu’elle voulait verser, afin de ne pas apparaître comme dépendant d’une confédération18.

À la recherche de légitimations

Une scission et deux UNEF

  • 19 Robi Morder, « La scission de l’UNEF », Revue de l’Université, no 9, 1997.

13La scission de 197119 clôt dans une certaine mesure la période d’une décennie de désyndicalisation quantitative et qualitative du mouvement étudiant, qu’avait ouverte la scission FNEF. Quand survient son éclatement, l’UNEF qui n’était déjà plus le « syndicat unique de la classe étudiante », a cessé même d’être le syndicat de toute la gauche étudiante. Certes, en mai 1968, son sigle était encore populaire, et demeurait fédérateur, de surcroît reliée au SNESup dont la majorité lui est plutôt proche, relation symbolisée médiatiquement par Jacques Sauvageot et Alain Geismar. Mais l’UNEF est délaissée après le congrès de décembre 1968 par l’extrême gauche, pourtant force incontestable dans le milieu. Dans le même temps, la direction du SNESup caractérisée comme « gauchiste » par ses adversaires est renversée à la rentrée 1968.

14Alors que la loi Faure semble répondre aux revendications du mouvement de 1968 et à la vieille revendication de l’UNEF de participation étudiante aux conseils de faculté, le syndicat étudiant décide majoritairement de boycoter les élections. De plus en plus isolé de son milieu, divisé, ce qui demeure du syndicat étudiant est devenu le théâtre où se confrontent les courants « unité syndicale » animé par les trotskystes de l’Alliance des jeunes pour le socialisme, et « renouveau » qui regroupe les AGE dirigées par les étudiants communistes, le bureau national homogène PSU servant de ciment. Quand le bureau PSU démissionne au collectif national du 10 janvier 1971, les deux courants deviennent des UNEF séparées. L’une, dite « UNEF-Soulot » car elle se maintient dans le local historique de la rue Soulot – elle devient ensuite « UNEF-Unité syndicale » (UNEF-US) –, tient son congrès à Dijon en février 1971. L’autre issue du courant « Renouveau » de l’UNEF, réunit aussi un congrès à Paris, salle de la Mutualité, en mars de la même année.

15Il devient dès lors nécessaire pour chacune des organisations désormais séparées d’obtenir des signes de reconnaissance par les syndicats et organisations des autres secteurs sociaux. Cela demeure à leurs yeux un des éléments de la représentativité vis-à-vis de leurs propres mandants, de légitimité vis-à-vis de la base étudiante. La recherche de soutiens, de reconnaissance institutionnelle comme interlocuteur légitime, devient un enjeu. Chacune des deux UNEF demande à être reçue par le ministère de tutelle.

16Au congrès de Dijon, sont présents la CGT-FO et la FEN. L’UNEF-US confirme son appel au boycot des élections dans les conseils d’UER (Unité d’enseignement et de recherche) et d’Université au nom de la lutte contre « l’intégration » et pour l’indépendance syndicale.

  • 20 Voir dossier sur le « syndicalisme alternatif » dans La Revue de l’Université, no 19, 1999, avec l (...)

17La CFDT, présente en observatrice à Dijon, ne choisit aucune des deux UNEF, et s’oriente vers le soutien à des organisations qui lui sont proches, tels le Mouvement d’action et de recherche critique (MARC) qui existe déjà comme groupe de réflexion en 1968, puis vers des organisations « syndicales autogestionnaires » dont elle appuie la fondation comme le Mouvement d’action syndicale (MAS) en 1976 ou Pour un syndicalisme autogestionnaire (PSA) en 198220.

  • 21 L’Union nationale des CAL a été fondée sur l’initiative des jeunes communistes qui, partisans d’un (...)

18Au congrès de Paris, sont présents la CGT, le SNESup, l’UNCAL21. C’est un véritable axe d’organisations syndicales plus ou moins influencées par les militants communistes qui apparaît. Dans les universités, lors des élections universitaires, les listes, puis les élus UNEF, SNESup, CGT fonctionnent ensemble. Chez Renault un meeting commun CGT/UNEF/UNCAL a lieu en 1972.

  • 22 Le CERES quant à lui choisit de s’investir dans l’UNEF-ID en 1987, après l’adhésion de la directio (...)
  • 23 Cette argumentation est forgée dès les années 1950 par les syndicalistes enseignants membres de la (...)

19La FEN va dès lors, dans ce contexte, devenir une référence. Elle est prise comme modèle, ou « contre-modèle ». Pour l’UNEF-US, le modèle enseignant du « droit de tendance » garantit l’unité qu’elle proclame rechercher. Cette influence devient concrète lorsque l’UNEF unité et syndicale et le MAS fusionnent en 1980 pour créer l’UNEF-ID (UNEF indépendante et démocratique, référence significative au courant UID de la FEN), structurée en tendances à l’instar de la FEN. Dans cette « réunification », outre les tendances OCI et LCR, les courants « rocardiens » et « mitterrandistes » s’unissent en une seule tendance, marquant le réinvestissement des socialistes dans le syndicalisme étudiant, et également celui de la mutuelle étudiante, MNEF qu’ils contrôlent22. À l’inverse, l’UNEF dite « Renouveau » voit le fonctionnement en tendances comme un contre-exemple, ce système étant accusé de figer les positions et d’empêcher l’expression démocratique de la base23.

20Néanmoins, la FEN – qui veille à ne pas trop soutenir une UNEF renouveau proche du courant de pensée « Unité et Action », favorisant plutôt l’UNEF-US, puis de manière plus évidente l’UNEF-ID – doit tenir une position de relative neutralité. Ses propres équilibres internes l’y contraignent évidemment, mais aussi le fait que l’UNEF-US a beau être une sorte de rempart contre le parti communiste à l’Université, elle n’en demeure pas moins adepte de positions syndicales étrangères à la tradition FEN, comme par exemple le boycott des élections universitaires, le refus affirmé de toute forme de cogestion. En 1981, la situation créée par la victoire de la gauche modifie la donne. La tendance socialiste de l’UNEF-ID ayant des liens étroits tant avec la nouvelle majorité qu’avec la direction de la FEN pèse pour que l’UNEF-ID décide de se présenter aux élections universitaires. Le rapport de forces nouveau et le changement institutionnel introduit par la réforme Savary (les conseils d’université sont élus au suffrage direct et plus par les « grands électeurs », membres des conseils d’UER) avantagent l’UNEF-ID, ce qui permet d’opposer de façon crédible à l’axe UNEF-Renouveau/SNESup/CGT, un contrepoids UNEF-ID/FEN/FO.

Dans l’arène mutualiste

  • 24 Voir Robi Morder, « La Mutuelle nationale des étudiants de France, un exemple de gestion étudiante (...)
  • 25 Rapport moral de Gérard Jacot au congrès de la MNEF de Marseille, 28-29 juin 1973. BDIC, fonds MNE (...)
  • 26 Voir le procès-verbal du congrès de la MNEF, BDIC, 4° delta 1183/1 1973.
  • 27 École émancipée pour le Front unique ouvrier, tendance de la FEN animée – comme la direction de l’ (...)
  • 28 Imbert représente la MGEN à ce congrès de la MNEF.
  • 29 Confirmé par Louis Astre lors du colloque de Roubaix, qui m’a communiqué copie du texte de l’accor (...)

21Un exemple de la situation d’affaiblissement du mouvement étudiant provient dans la période qui suit la scission de 1971, de l’appel à la FEN comme « garant » ou « arbitre » dans les conflits opposant ces différentes tendances au sein de la MNEF. La mutuelle étudiante demeure le seul cadre « unitaire » et un enjeu matériel non négligeable24. Dans le contexte des attaques subies par la mutuelle étudiante de la part des pouvoirs publics, la MGEN constitue son principal soutien, même si le président de la MNEF évoque des « liens sentimentaux »25. L’appui de la MGEN et de la FEN est élargi en octobre 1972 à la CFDT, la CGT et même la FNMF avec qui les liens sont renoués en 1975. En 1973, la direction de la MNEF est passée des mains des étudiants du PSU à celles des étudiants socialistes du CERES. La préparation du congrès de Marseille (juin 1973) est marquée par de violents incidents entre les listes AJS, UEC et bureau national26. À l’ordre du jour du congrès, un point est prévu relatif à une demande d’exclusion de Pierre Nesterenko, dirigeant de l’UNEF-US et d’autres militants qui se seraient rendus coupables de violences à l’encontre de militants mutualistes. Il semble que le service d’ordre chargé de « protéger » le congrès soit constitué par des employés municipaux marseillais, des chauffeurs de taxi et autres « appariteurs » recrutés par la direction de la mutuelle. « Apprends congrès MNEF placé sous surveillance service d’ordre non étudiant » écrit (de Paris) Jean-Jacques Marie, de la tendance trotskyste FUO27 de la FEN, dans un message lu en séance ; Louis Astre, représentant la FEN au congrès, prend la parole expliquant « ce télégramme me place dans une situation difficile […] si je reste ici je cautionne au nom de la FEN un service d’ordre non étudiant et une pression physique sur le congrès […] Le camarade Imbert28, de la MGEN, éprouve les mêmes sentiments que moi ». Astre, sans savoir s’il « sera approuvé au plan de la FEN » propose d’organiser une rencontre avec les différents courants pour se mettre d’accord sur des « conditions acceptables pour tous » de tenue du congrès. Certains délégués ont beau se montrer réticents face à ce qu’ils considèrent être une « ingérence extérieure » à la mutuelle étudiante, la séance est suspendue. Louis Astre réunit le président et quelques dirigeants de la mutuelle avec les dirigeants de l’UNEF-US pour aboutir à un accord29. Celui-ci est contraire aux attentes de l’UNEF-Renouveau. Les exclusions des militants UNEF-US et AJS ne sont plus à l’ordre du jour. À une majorité CERES appuyée par l’UNEF-Renouveau et UEC qui semblait se dessiner à l’entrée du congrès, succède une politique qui verra en quelques années l’UEC, puis le CERES évincés de la tête de la MNEF au profit d’une direction plus « miterrandiste » et « rocardienne » bénéficiant sinon de l’appui officiel, au moins d’une bienveillance de la direction de l’UNEF-US dont le nombre d’administrateurs augmente au fur et à mesure.

22La « représentation » de la FEN à ce moment-là n’est plus celle d’un modèle, d’un allié, mais d’un puissant « protecteur ».

Conclusion d’étape

23Bien que leur domaine recouvre le même champ, celui de l’enseignement supérieur, les relations entre syndicalismes étudiants et enseignants connaissent un certain nombre de difficultés, voire d’obstacles.

24Outre l’obstacle juridique (étudier n’est pas un métier, il n’y a pas de droit syndical étudiant), relevons l’obstacle sociologique.

25L’étudiant n’est pas confronté à un employeur (privé ou État) dans l’exercice de son syndicalisme, et l’enseignant n’est ni un « adversaire », ni un contremaître (sauf quand il est directeur ou président et qu’il représente l’institution universitaire). Toutefois, l’enseignant n’est pas le « collègue » de l’étudiant et le rapport est, par nature, inégalitaire.

  • 30 Alain Monchablon, Histoire de l’UNEF, op. cit.

26Or, les revendications étudiantes quant elles touchent à la présence au sein des conseils de l’université ou à la « pédagogie » peuvent susciter des réactions plutôt négatives dans le corps enseignant. Ainsi, quant à la Libération les « Délégués Capitant » sont instaurés, les enseignants ne deviennent des alliés de l’UNEF que quand il s’agit de vider cette représentation élue de tout contenu. Mais si pour l’UNEF il s’agit de défendre son monopole de représentation étudiante, pour les enseignants – notamment professeurs – il s’agit d’éviter la présence au sein des conseils de facultés de leurs étudiants, considérés parfois comme de simples élèves30.

  • 31 À l’UNEF, puis dans les deux UNEF beaucoup de dirigeants locaux et nationaux sont boursiers, ou do (...)
  • 32 Cf. l’intervention de Louis Astre durant le colloque et Laurent Frajerman, L’interaction entre la (...)

27Toutefois, les collaborations plus « professionnelles » et concrètes se situent dans les champs à double syndicalisation possible : étudiante et enseignante. Dans les Écoles normales supérieures, comme dans le pionnicat31, l’étudiant est en même temps salarié de l’Éducation nationale et peut être syndiqué à une organisation professionnelle32. C’est un phénomène similaire d’ailleurs qui touche d’autres secteurs professionnalisant, comme les liens entre étudiants en IUT et fédérations syndicales autour de la revendication de reconnaissance des diplômes dans les conventions collectives.

  • 33 Bertrand Geay, « Espace social » et « coordinations », Actes de la recherche en sciences sociales, (...)

28Les transformations qui ont touché l’enseignement supérieur ne se résument pas à la massification des effectifs étudiants. Il y a aussi augmentation des effectifs enseignants – de toutes catégories – et renouvellement. Beaucoup de syndicalistes enseignants du supérieur ont été des syndicalistes étudiants, et par capillarité il y a eu au fur et à mesure intégration par le syndicalisme enseignant d’éléments du répertoire d’action étudiant. Les coordinations d’instituteurs en 1987-1988 doivent quelque chose aux coordinations étudiantes des années 1970 et 198033.

29Mais les spécificités du syndicalisme étudiant de l’UNEF jusqu’à sa scission, à la fois syndicalisme « corporatif », mais aussi mouvement de jeunesse, posant des questions plus souvent directement politiques, l’ont amené à se préoccuper plus de sa place dans l’ensemble du mouvement syndical ouvrier global, qu’en référence (autre que conjoncturelle) à telle ou telle de ses composantes. L’éclatement organisationnel du mouvement étudiant, comme le retour de la question universitaire comme question centrale ont modifié ultérieurement cette vision.

Notes

1 En 1925, des étudiants proches de l’Union syndicale des techniciens de l’industrie et du commerce et de l’agriculture (USTICA) membre de la CGTU, ont fondé une union générale d’étudiants, l’UGETICA. Jacques Varin (Cahiers du Germe spécial no 3, 1998) note dans les années 1930 la création par des étudiants socialistes d’un « syndicat étudiant confédéré » dans la CGT (p. 45). Plus près de nous, voir les relations nouées entre la CFDT et le Mouvement d’action syndicale (MAS) dans les années 1970, puis Pour un syndicalisme autogestionnaire (PSA) dans les années 1980, évoqués plus bas ou aujourd’hui l’intégration de Sud-étudiants dans l’Union syndicale SUD-solidaires.

2 Robi Morder (dir.), Naissance d’un syndicalisme étudiant, 1946, la Charte de Grenoble, Paris, Syllepse, 2006.

3 L’Association générale des étudiants (AGE) est la structure de base de l’UNEF, il y en a une par ville et – pour Paris – une par faculté. Les AGE sont composées de « corpos » ou de « sections », puis après 1968 de « comités d’action » par discipline.

4 Témoignage Paul Bouchet, in Naissance d’un syndicalisme étudiant, op. cit.

5 Compte rendu du congrès de Nice, Archives UNEF, BDIC, 4e delta 1151/1, 1948.

6 Vice-président chargé de la vie matérielle des étudiants, et qu’on considère comme le « père » de la sécurité sociale étudiant.

7 « C’étaient des communistes », donc Lebert n’était pas sûr que leur mot d’ordre de grève soit suivi.

8 84 000 F pour les bourses, et 95 000 F pour les « bourses du quatre août » destinées aux ex-prisonniers et déportés.

9 Didier Fischer, « Entre secret et mémoire, les étudiants gaullistes et leur prise du pouvoir dans l’UNEF à la fin des années 1940 », Matériaux pour l’histoire de notre temps, no 58, avril-juin 2000.

10 Jean Yves Sabot, Le syndicalisme étudiant et la guerre d’Algérie, Paris, L’Harmattan, 1995.

11 Pour « minoritaire », face à la « majo ». Le terme de minos et majos demeure même après le retournement de majorité de 1956.

12 Dominique Wallon, président de l’UNEF en 1961-1962, témoignage in Naissance d’un syndicalisme étudiant, op. cit., p. 168.

13 Robert Chapuis décrit la crise dans Les chrétiens et le socialisme, Paris, Calmann-Lévy, 1976.

14 Respectivement syndicat étudiant et syndicat de travailleurs algériens. L’UGEMA avait été dissoute dès 1956 par le gouvernement français.

15 René Mouriaux, Le syndicalisme en France, Paris, PUF, coll. « Que sais-je ? », 1993, 5e éd., 2005.

16 L’UNEF perd alors son monopole de représentation au sein du Centre National des Œuvres, le gouvernement lui retirant deux de ses sept sièges qu’il s’empresse d’attribuer à la FNEF scissionniste.

17 L’autre grand exemple du même type dans le mouvement syndical français est la fédération du livre, FFTL-CGT.

18 Alain Monchablon, Robi Morder, « Apolitisme, autonomie et indépendance », in Jean-Philippe Legois, Alain Monchablon, Robi Morder (éd.), Cent ans de mouvements étudiants, préface d’Antoine Prost, Paris, Syllepse, 2007.

19 Robi Morder, « La scission de l’UNEF », Revue de l’Université, no 9, 1997.

20 Voir dossier sur le « syndicalisme alternatif » dans La Revue de l’Université, no 19, 1999, avec les articles sur le MARC et le MAS de Robi Morder et sur PSA de Jean-Philippe Legois.

21 L’Union nationale des CAL a été fondée sur l’initiative des jeunes communistes qui, partisans d’un « syndicalisme lycéen », quittent la salle du premier congrès des Comités d’action lycéens dominés par les « gauchistes » en juin 1968 à la Sorbonne.

22 Le CERES quant à lui choisit de s’investir dans l’UNEF-ID en 1987, après l’adhésion de la direction de ce syndicat au parti socialiste, alors qu’auparavant ses membres militaient à l’UNEF-Renouveau.

23 Cette argumentation est forgée dès les années 1950 par les syndicalistes enseignants membres de la minorité Unité et Action. Cf. le chapitre de Laurent Frajerman.

24 Voir Robi Morder, « La Mutuelle nationale des étudiants de France, un exemple de gestion étudiante expropriée », in Cent ans de mouvements étudiants, op. cit., et de manière plus développée, « Éléments pour une histoire politique de la mutuelle nationale des étudiants de France », Cahiers du Germe, spécial no 4, 2003/2004. Consultable aussi sur le site germe.info.

25 Rapport moral de Gérard Jacot au congrès de la MNEF de Marseille, 28-29 juin 1973. BDIC, fonds MNEF, 4° delta 1183/1 1973 (1). Voir aussi BDIC, fonds MNEF 4° 1183/1 1973 (3) : Élections MNEF 1973 – Affaire Nesterenko.

26 Voir le procès-verbal du congrès de la MNEF, BDIC, 4° delta 1183/1 1973.

27 École émancipée pour le Front unique ouvrier, tendance de la FEN animée – comme la direction de l’UNEF-US – par les militants de l’OCI.

28 Imbert représente la MGEN à ce congrès de la MNEF.

29 Confirmé par Louis Astre lors du colloque de Roubaix, qui m’a communiqué copie du texte de l’accord.

30 Alain Monchablon, Histoire de l’UNEF, op. cit.

31 À l’UNEF, puis dans les deux UNEF beaucoup de dirigeants locaux et nationaux sont boursiers, ou doivent travailler. On retrouve souvent trace de cette double appartenance.

32 Cf. l’intervention de Louis Astre durant le colloque et Laurent Frajerman, L’interaction entre la Fédération de l’Éducation nationale et sa principale minorité…, op. cit., p. 331-332.

33 Bertrand Geay, « Espace social » et « coordinations », Actes de la recherche en sciences sociales, no 86-87, 1988, p. 2-24.

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