Tatouages d’Océanie
|Tatouage et logiques sociales
Texte intégral
1Polynésie occidentale et Micronésie se démarquent par la présence de tatouages standardisés, très peu variables, initiatiques et, dans certains cas, parties intégrantes de réseaux d’échanges inter-insulaires.
2À Samoa (fig. 10) et à Pohnpei (fig. 11), il s’agit d’un tatouage recouvrant le corps du milieu du dos (ou du haut des fesses) jusqu’aux genoux (voire aux chevilles), tandis qu’à Yap, le tatouage masculin yol occupait le haut du corps (fig. 7). Pratiqué au cours d’un rite collectif, préalable à l’entrée dans l’âge adulte et aux événements et activités qui le caractérisent (alliance matrimoniale, activité guerrière, participation aux échanges cérémoniels), ces tatouages se présentaient comme une validation d’acquis et de compétences sociales (oratoires, techniques, militaires, etc.) et signalaient le courage des porteurs.
3La comparaison entre Samoa et Pohnpei est intéressante car les contextes respectifs semblent inversés. À Pohnpei, dans cette société hiérarchisée selon des principes semblables à ceux qui président à Samoa (existence d’un langage des chefs, présence d’une chefferie duelle – un chef sacré et un chef séculaire –, rituel de kava), l’initiation était réalisée par des femmes (katin intin) sur des femmes. Les hommes recevaient des marques moins soignées et de faible valeur. Ce tatouage masculin était situé sur les jambes et prenait la forme de larges bandes verticales (fig. 8). D’autres marques, supplémentaires et vraisemblablement à caractère moins initiatique mais toujours très standardisées pouvaient être ajoutées sur les avant-bras des hommes comme des femmes (fig. 9).
4En Polynésie occidentale (fig. 12-13), le tatouage initiatique masculin faisait vraisemblablement l’objet de transactions par le biais des contacts fréquents entre Samoa, Tonga, Wallis (Uvea) et Futuna. Une première période d’échanges inter-îles attestée par la tradition orale de Tonga et du reste de la région nous ramène bien avant les premiers contacts avec les Européens. Entre les xe et xviiie siècles après J.-C., l’est des Fidji, Uvea, Futuna et Samoa, se sont progressivement trouvés sous la dépendance des îles Tonga et de leurs souverains d’essence divine, les Tui Tonga. Cette domination tongienne est parfois qualifiée d’« empire maritime », de relation tributaire ou d’influence culturelle. Du fait de leur vassalité, l’est des Fidji, Samoa, Uvea ou Futuna se trouvaient impliqués dans la participation aux grands rituels liés au pouvoir de fertilité et de régénération de la société qu’incarnait le Tui Tonga comme autorité politique et religieuse. Ces contacts avaient notamment lieu à l’occasion des rites de présentation des premiers fruits ainsi que pendant les alliances matrimoniales et la présentation de nattes particulièrement prestigieuses (les kie hingoa – littéralement « nattes-nom ») dont elles étaient accompagnées. C’est précisément l’existence de ces nattes cérémonielles qui offre une prise à l’histoire de la circulation du tatouage dans cette aire culturelle. En effet, la tradition orale tongienne rapporte que le Tu’i Tonga Fatafehi (le trentième porteur du titre) avait effectué deux voyages à Samoa pour se faire tatouer. La dangerosité liée à son essence divine était telle qu’aucun praticien tongien n’était en mesure de réaliser l’opération. Aussi, Fatafehi se serait tourné vers des spécialistes samoans qui étaient traditionnellement chargés d’effectuer certaines tâches rituelles. Les habitants de Wallis-et-Futuna, où l’existence d’un tatouage semblable est attestée par les missionnaires, ont pu avoir recours aux experts samoans encore en activité au milieu du xixe siècle.
5En Micronésie occidentale, dans le groupe d’îles compris entre Yap, ses îles externes (Fais notamment) et Palau ainsi que les îles méridionales de Merir, Polu Ana, Tobi et Sonsorol, le tatouage masculin présentait des caractéristiques très similaires au yol. Celui-ci couvrait la partie supérieure du corps comprenant le torse, l’abdomen, le dos et les fesses (fig. 14-15). Cette présence d’une même forme s’explique en partie par l’existence d’un système de tributs entre le district de Gagil à Yap et un ensemble d’îles vassales à l’Est (Ulithi, Fais, Woleai, Ifalik, Lamotrek, Satawal, Puliwat). Jusqu’à l’interdiction des voyages à longue distance par l’administration japonaise dans les années 1920, les chefs de Yap, répartis en plusieurs villages hiérarchisés, entretenaient des rapports d’échange et de dépendance avec les représentants de ces îles externes. Une fois par an, différents types de biens (fibres de noix de coco, textiles, colliers de perles) circulaient d’atoll en atoll avant d’être présentés aux chefs des districts les plus influents de l’île de Yap. En retour, les représentants des atolls recevaient nourriture et protection lors de leurs séjours à Yap. Les relations commerciales de Yap s’étendaient jusqu’à Palau, où les habitants puisaient notamment les ressources minérales pour la fabrication de leurs fameuses monnaies de pierre. Le statut des habitants des districts de Yap reposait en partie sur une crainte du pouvoir de leurs sorciers, ainsi que de leurs ressources plus importantes que dans les atolls en raison du caractère volcanique de leur île. La supériorité hiérarchique des habitants des districts les plus puissants de l’île de Yap était quant à elle rendue visible par un tatouage particulier, une série d’aplats noirs placés entre la cheville et le haut des genoux (fig. 16). La présence de ce type de tatouage dans les îles méridionales de Palau est plus problématique et semble pouvoir trouver une explication au regard de la tradition orale qui atteste de contacts anciens et de liens généalogiques avec les habitants de l’atoll d’Ulithi et de Woleai qui le pratiquaient.
6Aux Marquises (fig. 18-19), le tatouage était utilisé au service d’une logique d’exclusion et de gradation du tapu de la personne. Le terme tapu désignait un état de sacralité contagieuse qui faisait l’objet de divers traitements pour en réguler les flux. Le tatouage, notamment celui des pieds des chefs et celui des mains des femmes avaient pour effet de créer une barrière visible entre ces personnes et leur environnement et limiter ainsi la contagion par transfert de tapu sur des objets, des aliments ou des êtres humains. Les chefs régnaient sur des régions qui se limitaient à un ensemble de villages ou à une vallée ; le maintien de leur position était en relation étroite avec leurs faits de guerre et leur capacité à établir des alliances militaires et à sauvegarder les réserves de nourriture du groupe (en particulier les sites où était conservée la purée fermentée de fruits de l’arbre à pain). Certaines marques tatouées indiquaient l’appartenance à des groupes de commensalité ou « sociétés à banquet ». Certains tatouages avaient un rôle de marqueur d’appartenance à un même grade tapu et incidemment à un groupe de partage de la nourriture.
Figure 20. Uchulibung, homme de l’île de Fais, tatoué par Uwelpaluy de l’atoll voisin d’Ulithi
(cliché L. Brereton)
7À Palau, hommes et femmes faisaient leur éducation au sein d’organisations traditionnelles (cheldebechel). Leurs principales occupations étaient la mise en œuvre des décisions de la chefferie, la pêche, l’agriculture, le culte des ancêtres déifiés et l’acquisition de monnaie indigène. Le tatouage y était pratiqué avant le mariage et un même tatouage pouvait être réalisé sur tous les membres d’un de ces groupes (fig. 17).
Table des illustrations
Titre | Figure 7. Tatouage masculin yol, Yap |
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Crédits | (Muller, 1917) |
URL | http://books.openedition.org/sdo/docannexe/image/1193/img-1.png |
Fichier | image/png, 390k |
Titre | Figure 8. Tatouage masculin, Pohnpei |
Crédits | (Kubary, 1875) |
URL | http://books.openedition.org/sdo/docannexe/image/1193/img-2.png |
Fichier | image/png, 526k |
Titre | Figure 9. Tatouage mixte, Pohnpei |
Crédits | (Hambruch, 1936) |
URL | http://books.openedition.org/sdo/docannexe/image/1193/img-3.png |
Fichier | image/png, 1,6M |
Titre | Figure 10. Tatouage masculin pe’a, Samoa |
Crédits | (von Luschan, 1896) |
URL | http://books.openedition.org/sdo/docannexe/image/1193/img-4.png |
Fichier | image/png, 2,6M |
Titre | Figure 11. Tatouage féminin, Pohnpei |
Crédits | (Hambruch, 1936) |
URL | http://books.openedition.org/sdo/docannexe/image/1193/img-5.png |
Fichier | image/png, 2,6M |
Titre | Figure 12. Tatouage masculin, Tonga |
Crédits | (De Sainson, 1833) |
URL | http://books.openedition.org/sdo/docannexe/image/1193/img-6.png |
Fichier | image/png, 1,3M |
Titre | Figure 13. Tatouage masculin, Samoa |
Crédits | (Wilkes, 1844) |
URL | http://books.openedition.org/sdo/docannexe/image/1193/img-7.png |
Fichier | image/png, 3,1M |
Titre | Figure 14. Tatouage masculin, Sonsorol |
Crédits | (Hasebe, 1928) |
URL | http://books.openedition.org/sdo/docannexe/image/1193/img-8.png |
Fichier | image/png, 679k |
Titre | Figure 15. Tatouage masculin, Fais |
Crédits | (cliché L. Brereton) |
URL | http://books.openedition.org/sdo/docannexe/image/1193/img-9.png |
Fichier | image/png, 850k |
Titre | Figure 16. Tatouage masculin zalbachag, Yap |
Crédits | (Muller, 1917) |
URL | http://books.openedition.org/sdo/docannexe/image/1193/img-10.png |
Fichier | image/png, 443k |
Titre | Figure 17. Tatouages masculins et féminins, Palau |
Crédits | (Hasebe,1928) |
URL | http://books.openedition.org/sdo/docannexe/image/1193/img-11.png |
Fichier | image/png, 411k |
Titre | Figure 18. Tatouage masculin, Marquises |
Crédits | (Von den Steinen, 1925) |
URL | http://books.openedition.org/sdo/docannexe/image/1193/img-12.png |
Fichier | image/png, 665k |
Titre | Figure 19. Tatouage féminin, Marquises |
Crédits | (Von den Steinen, 1925) |
URL | http://books.openedition.org/sdo/docannexe/image/1193/img-13.png |
Fichier | image/png, 636k |
Titre | Figure 20. Uchulibung, homme de l’île de Fais, tatoué par Uwelpaluy de l’atoll voisin d’Ulithi |
Crédits | (cliché L. Brereton) |
URL | http://books.openedition.org/sdo/docannexe/image/1193/img-14.png |
Fichier | image/png, 746k |
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