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Les rivières urbaines et leur pollution

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Laurence Lestel
, 
Catherine Carré

Chapitre 2 - Paris et la Seine : l’impossible équipement d’une agglomération

Laurence Lestel, Catherine Carré, Jean-Marie Mouchel, Michel Meybeck, Laurence Lestel, Cyrielle Briand, Pierre Servais, Jean-Paul Haghe et Agathe Euzen

Texte intégral

La Seine au service de Paris et de sa banlieue

Laurence Lestel, Catherine Carré, Jean-Marie Mouchel

1Cette première étude de la relation d’une métropole avec sa rivière va nous permettre de retracer l’instrumentalisation qu’ont subie tous les cours d’eau des grandes villes européennes au cours des xixe et xxsiècles en analysant les évolutions du cycle de l’eau. L’artificialisation des cours d’eau pour développer le transport fluvial a été montrée à Paris dès le milieu du xviiisiècle (Backouche, 2000), la lente disparition des usages riverains de la Seine accompagnant la spécialisation des berges pour la réserver à la seule navigation. Par la volonté de l’État napoléonien, le transport va dominer tous les autres usages : les berges pavées pour faciliter le transport de fret et leur accès restreint ; les quais rehaussés et équipés de grues pour le déchargement (Guillerme, 1990) ; et une partie des activités industrielles reportée sur les canaux ou sur les petites rivières, comme la Bièvre au sud de Paris ou le Croult au nord.

2Le propos de ce chapitre est de montrer les contributions du cycle de l’eau à la dégradation de la qualité de l’ensemble des eaux de Paris et de sa banlieue, eaux des rivières et des nappes souterraines. Ce cycle comporte les circuits d’approvisionnement en eau des communes ainsi que les circuits de collecte des eaux usées jusqu’à leur retour dans le milieu naturel. Il a connu des changements majeurs au cours des xixe et xxsiècles. D’abord local (l’eau prélevée dans la nappe superficielle grâce aux multiples puits de Paris est rejetée dans les égouts parisiens), il a été élargi au fur et à mesure des captages de sources éloignées, acheminés jusqu’à Paris par des aqueducs, et des rejets de plus en plus en aval par la construction de nouveaux égouts et le développement des champs d’épandage. Pour autant cet élargissement régional des bassins de collecte et de rejet ne va pas s’accompagner d’une intégration des services urbains d’eau et d’assainissement des communes de Paris et de banlieue. Les effets des choix techniques sont encore très prégnants pour expliquer les limites de la qualité des cours d’eau et de leurs milieux.

L’externalisation de l’approvisionnement en eau de Paris et de son assainissement au xixsiècle

3Il convenait de répondre à l’accroissement de la population parisienne en augmentant la quantité d’eau disponible et en fournissant une eau de meilleure qualité. Les études se multiplient pour trouver de nouvelles sources d’eau de bonne qualité, mais le manque d’implication de l’État ne favorise pas l’aboutissement des projets envisagés. La situation change à Paris en 1802 lorsque le Premier consul, qui souhaite faire de Paris la plus belle capitale du monde, s’intéresse au projet du canal de l’Ourcq que deux entrepreneurs, Solages et Bossu, cherchaient à promouvoir depuis 1799. Non seulement ce canal promettait une augmentation significative la quantité d’eau distribuée à Paris mais, en outre, il offrait des perspectives de développement commercial de la ville en intégrant comme deuxième fonction celle de la navigation. Le canal, situé au nord-est de Paris, est construit entre 1802 et 1839. Il est alimenté par l’Ourcq, un affluent de la Marne, et assure un approvisionnement de 80 000 m3/jour contre 8 000 m3/jour pour les sources traditionnelles d’eau de Paris. En parallèle se met en place une véritable administration des eaux de Paris, régie à partir de 1807 par le préfet de la Seine, sous la surveillance du directeur général des Ponts et Chaussées et l’autorité du ministère de l’Intérieur. Pendant la monarchie de Juillet, les différents services municipaux de la ville (eaux, égouts et assainissement, gaz) se structurent et commencent à coordonner leurs actions sous les directions d’Henri-Charles Emmery puis de Louis-Charles Mary. Le projet de mise en concession des eaux de la ville de Paris, selon le modèle anglais, est alors définitivement abandonné, l’administration municipale prenant en charge par ses propres moyens la distribution des eaux de l’Ourcq. Cette époque est donc marquée par une emprise croissante des services techniques sur la ville (Cebron de Lisle, 1991 ; Chatzis, 2008). En parallèle, le réseau d’égouts de Paris se développe légèrement, il passe de 26 kilomètres au début du siècle à 150 kilomètres en 1850. La structure de ce réseau reste celle des anciens fossés du Paris moyenâgeux, partiellement couverts au xviisiècle : l’ossature en est le Grand Égout chargé d’évacuer les eaux de la partie septentrionale de la rive droite de la Seine, réputé malsain et qui est particulièrement saturé (Mouchel, 2004).

4C’est sous le second Empire qu’est véritablement élaboré le schéma d’organisation du réseau de distribution et d’assainissement de l’eau à Paris. Dès son arrivée à la tête de la préfecture de la Seine en juin 1853, Georges Haussmann confie à l’ingénieur Eugène Belgrand, directeur du service municipal des travaux de Paris, la tâche de réaliser un réseau moderne qui puisse répondre aux nouveaux besoins de la ville du xixsiècle : d’une part une alimentation en eau indépendante des sources locales (rivières, puits) souvent contaminées ; d’autre part une alimentation qui puisse répondre à un accroissement de la demande domestique en eau et aux prélèvements croissants d’industries en expansion qui exigent des eaux de qualité constante et contrôlée. Le contrôle de cette qualité est confié à l’observatoire de Montsouris dès 1876, conduisant à l’analyse d’eaux de différentes natures (puits, pluies, rivières), à différents points de mesures sur l’ensemble de la Seine (figure 2-2 et article suivant).

Figure 2-1. Schéma général du bassin de la Seine avec indication de l’approvisionnement en eau de Paris, des barrages-réservoirs pour le soutien d’étiage et du point de prélèvement de la carotte sédimentaire (voir chapitre Intercomparaison).

Figure 2-1.           Schéma général du bassin de la Seine avec indication de           l’approvisionnement en eau de Paris, des barrages-réservoirs pour le           soutien d’étiage et du point de prélèvement de la carotte           sédimentaire (voir chapitre Intercomparaison).

© Michel Meybeck, Laurence Lestel et Aurélien Baro

5Si Napoléon III est à l’origine des plans de transformation de Paris, c’est l’implication d’Haussmann qui a été déterminante (Carmona, 2000). Il impose son projet contre l’avis des techniciens de l’État qui, pendant longtemps encore, ont cru en la bonne qualité des eaux de la Seine (Cébron de Lisle, 1991). En 1860 commencent les travaux d’adduction de la Dhuis et de la Vanne. Les premiers sont achevés en 1865, les seconds en 1874. La quantité d’eau disponible est ainsi décuplée depuis le début du siècle. Une grande partie de cette eau (environ 60 %) étant réservée aux usages publics (comme l’arrosage des rues), seule une fraction sert en fait pour les usages privés (alimentation en eau potable, prélèvements d’eau pour l’industrie), soit environ 35 litres par habitant et par jour. Cependant Paris manque toujours d’eau. À la fin du xixsiècle, les prises d’eau de Joinville et d’Ivry (réalisées en 1859 pour l’alimentation des communes annexées par Paris en 1860) sont rachetées par la ville de Paris qui va peu à peu introduire les techniques de filtration, coagulation (procédé Anderson), chloration (verdunisation), ozonation. La troisième usine d’approvisionnement en eau potable de Paris à partir des eaux de surface sera inaugurée en 1969 à Orly (figure 2-1). En 1900, les deux usines de Joinville et Ivry fournissent 460 000 m3/j contre 135 000 par l’Ourcq et 265 000 pour les quatre autres dérivations d’eau de source. En 1930, Paris dispose de 900 000 m3/j d’eau potable dont la moitié provient des eaux de surface filtrées, proportion que l’on observe encore aujourd’hui. Cet apport d’eau de rivière dans le cycle de l’eau parisien est donc non négligeable (Abron et Gaillard, 1995).

6En parallèle, à partir de 1856, le premier plan d’ensemble du réseau d’assainissement de Paris est mis en place par Belgrand (Barles, 1999). Il consiste à réunir les eaux de Paris dans des collecteurs profonds qui conduisent les eaux dans la Seine au niveau de Clichy. Ce réseau n’accueille à ses débuts que les eaux de surface (pluviales) et les eaux ménagères. L’accroissement de la disponibilité en eau dans les habitations, et donc de la liquidité des excréments, conduit à installer des appareils diviseurs au pied des tuyaux d’évacuation des lieux d’aisances : ces cylindres percés de trous séparent les liquides des matières solides récupérées par les vidangeurs pour être généralement transformées en engrais (Guérrand, 1997). L’écoulement direct et continu des eaux-vannes, contenant les urines et les excréments, dans les égouts est accepté à partir de l’arrêté préfectoral du 2 juillet 1867. En novembre 1868, le plan des réseaux de Belgrand est complété par la mise en service d’un émissaire en siphon sous la Seine qui permet aux eaux de la rive gauche de la Seine de rejoindre les eaux de la rive droite. Le conseil municipal de Paris adopte en 1884 le tout-à-l’égout, c’est-à-dire le rejet direct de toutes les matières fécales à l’égout, qui ne sera définitivement imposé que le 10 juillet 1894 après des années de débats acharnés entre tenants et opposants à ce système, scientifiques, hygiénistes, médecins, politiciens, vidangeurs ou propriétaires (Jacquemet, 1979).

7Pour bénéficier de ce nouveau service introduit par le service des eaux et égouts, une des trois branches du service municipal des travaux de Paris, il faut être abonné au service de distribution des eaux, s’équiper selon les normes établies par la ville et payer une redevance par tuyau de chute. Ainsi, la mise en place des réseaux de distribution de l’eau et d’assainissement de Paris est-elle présentée comme un succès indéniable des services techniques de la ville, qui désormais ont la charge de toute la gestion de l’eau. Cependant, la circulation accrue de l’eau dans la ville s’accompagne d’une dégradation plus élevée de la qualité des eaux : jamais l’eau de la Seine n’a inspiré autant d’inquiétude (Graber, 2008). D’après les analyses réalisées depuis le début du siècle, au gré de commissions souvent composées de chimistes, le tournant a lieu à la fin des années 1840 : l’eau de la Seine, jusque-là distinguée pour sa pureté, subit une dégradation marquée sous l’effet conjugué de la montée en puissance de l’industrie parisienne, dont les rejets ont déjà condamné la Bièvre, et de la réalisation du réseau d’égouts. Les eaux de l’Ourcq, qui servent à la fois au trafic fluvial et à l’alimentation en eau potable, n’ont pas meilleure réputation. Ainsi, l’amélioration de la distribution d’eau s’accompagne d’une pollution, à une échelle inconnue jusqu’alors, du fleuve où l’on s’approvisionne : « L’altération des eaux courantes est due invariablement à la même cause : les égouts qui viennent y déverser les eaux industrielles et ménagères » (Gérardin, 1874). Ces constats précèdent de beaucoup le moment où les matières fécales solides seront effectivement écoulées vers la rivière. Ils conduisent à la mise en place de commissions pour l’assainissement de la Seine dont la première, constituée en 1865, aboutit à la création en 1867 par la ville de Paris d’un service d’étude et de travaux des égouts et d’assainissements, placé sous la direction d’Adolphe Mille, assisté d’Alfred Durand-Claye.

Figure 2-2. L’agglomération parisienne et ses eaux au tournant des xixe et xxsiècles (1875-1915).

Figure 2-2.           L’agglomération parisienne et ses eaux au tournant des xixe et xxe siècles           (1875-1915).

© Michel Meybeck et Aurélien Baro

8Pour diminuer l’impact écologique de la circulation accrue de l’eau dans la ville, et donc des rejets de matières organiques à la rivière, diverses solutions sont proposées : création d’un canal-collecteur-déversoir entre Paris et la Manche, traitement et épuration des eaux, ou bien irrigation de terres agricoles par épandage des eaux usées. Mille est l’ardent défenseur de cette dernière proposition depuis un voyage d’étude qu’il a effectué en Angleterre en 1854. C’est donc l’ensemble tout-à-l’égout et champ d’épandage qu’il lui revient de défendre (Barles, 2005). Trois cercles de pouvoir seront à convaincre : la ville qui, après la présentation de 17 rapports, adopte le projet en juin 1880 ; les scientifiques et médecins qui s’emparent de la discussion après l’été de la Grande Puanteur (août 1880) où l’impact des égouts est questionné ; l’État confronté à la résistance du département de Seine-et-Oise qui accepte difficilement d’être le lieu de décharge des égouts de Paris. Après de nombreuses expérimentations à Clichy puis Gennevilliers, les champs d’épandage sont institués en 1889, soit cinq ans avant que le tout-à-l’égout ne soit imposé (Védry et al., 2001). Cette même année, une loi votée le 4 avril au Sénat permet le démarrage des travaux de construction de l’aqueduc d’Achères et l’épuration agricole des eaux usées (figure 2-2). Ce système rencontrera également l’opposition des vidangeurs (pour qui le tout-à-l’égout représente la perte de leur source de revenus) et des propriétaires qui mèneront une longue bataille juridique entre 1894 et les années 1900 pour s’opposer à l’installation du tout-à-l’égout, essentiellement pour des raisons financières. Ils s’y plieront cependant sous la pression sociale des locataires qui s’installent de préférence dans les immeubles pourvus de cette commodité (Jacquemet, 1979). Ces champs d’épandage, dont les surfaces ne suffisent pas à recevoir tous les effluents de Paris, joueront leur rôle jusqu’à la mise en place du programme d’assainissement de Paris et du département de la Seine de 1929, qui prévoit la construction de la station d’épuration d’Achères dont la première tranche sera mise en service en 1940. Leur surface diminuera petit à petit, au fur et à mesure du développement d’Achères qui conforte un traitement d’épuration en totalité en aval de Paris.

L’équipement de la banlieue ou les limites d’un Grand Paris de l’eau

9La banlieue parisienne est caractérisée par la diversité des situations tant pour l’approvisionnement en eau potable que pour l’assainissement des eaux usées. Cette complexité ne facilite pas l’analyse globale d’un territoire en pleine expansion depuis la fin du xixsiècle. Si cet article couvre dans la mesure du possible les communes de l’actuelle agglomération parisienne, les données quantitatives et les types de rejets utilisés dans l’article « Assainir la banlieue de Paris » pour alimenter un modèle de pression de l’espace urbain sur la Seine ont essentiellement été recueillis pour les communes qui formaient l’ancien département de la Seine, soit 79 communes en plus de Paris (figure 2-2).

L’approvisionnement en eau : des communes laissées à leurs propres moyens

10Jusqu’au début du xxsiècle, l’offre d’approvisionnement en eau est restée peu structurée. Chaque ville cherche ses propres solutions. Une grande partie de la banlieue parisienne continue de s’approvisionner à ses puits privés ou auprès de sources locales gérées par des petits opérateurs privés. La Compagnie générale des eaux (CGE), fondée en 1853, prend peu à peu le contrôle de la distribution de l’eau en banlieue : en 1900, 60 communes du département de la Seine, hors Paris, ont des contrats de concession avec la CGE (Claude, 2006). Pour approvisionner la banlieue, la compagnie prélève de l’eau en rivière et dispose de plusieurs usines de traitement. Les prises d’eau en aval de Paris (Boulogne-sur-Seine, Épinay, Saint-Denis et Neuilly-sur-Seine) doivent fermer en 1894, suite à la convention signée entre le préfet de la Seine, Eugène-René Poubelle, et la CGE. Cette dernière va donc développer ses usines en amont de Paris à Choisy-le-Roi, Nogent-sur-Marne et Neuilly-sur-Marne. Mais la Compagnie des eaux de la banlieue (CEB) qui approvisionne la presqu’île de Gennevilliers continue à tirer l’eau dans la Seine, en aval du point de rejet des égouts.

11Après les alertes sanitaires de la fin du xixsiècle, l’inondation de 1910, puis la Première Guerre mondiale, les municipalités de banlieue cherchent à organiser leur réseau de distribution d’eau potable, en même temps que leur réseau électrique, celui du gaz et des déchets. Une première tentative conduit à l’organisation d’une conférence intercommunale des eaux de Seine et Seine-et-Oise en 1907. Les discussions menées permettront de formuler plus clairement les problèmes, de développer la solidarité interbanlieue, jusqu’à la création en 1923 du syndicat des communes de la banlieue de Paris pour les eaux (regroupant 138 communes de trois départements). Le syndicat organisera durablement la relation contractuelle entre la CGE et ces villes (Claude, 2006). Il devient propriétaire des usines de traitement de l’eau tout en en confiant l’exploitation à la CGE (Jacquot, 2002). Ces usines traitent l’eau de la Seine, de la Marne puis, à partir de 1912, l’eau de l’Oise avec la construction de l’usine de Méry-sur-Oise. Ainsi, contrairement à Paris, la banlieue parisienne sera majoritairement approvisionnée par de l’eau de rivière.

12Les grands travaux d’amenées d’eau et d’assainissement de la fin du xixsiècle n’ont pas conduit à une situation satisfaisante. Le début du xxsiècle est marqué par les grandes inondations de 1910, puis de 1924, et chaque été, le très faible débit de la Seine en période d’étiage compromet l’approvisionnement en eau de la banlieue ainsi que la dilution des effluents de Paris (figure 2-3).

Figure 2-3. Débit moyen de la Seine à Paris (station d’Austerlitz) au mois de juillet.

Figure 2-3.             Débit moyen de la Seine à Paris (station d’Austerlitz) au mois de             juillet.

Source : Banque Hydro (www.hydro.eaufrance.fr )

13Différents projets se succèdent jusqu’à l’approbation en 1926 par le ministère des Travaux publics d’un projet de construction de barrages, dits barrages-réservoirs, en amont de Paris, dont le rôle est de se remplir en hiver pour soutenir le débit d’étiage en été. Les grandes inondations de 1945 et 1955 conduisent à une seconde phase du projet où des lacs de retenue, beaucoup plus grands, vont permettre non seulement le soutien du débit d’étiage, mais aussi le stockage de volumes d’eau plus importants pour lutter contre les crues hivernales (Barles, 2012). L’ensemble de ces réservoirs permet actuellement un soutien à l’étiage pouvant aller jusqu’aux trois quarts du débit de la Seine à Paris. Il est de plus estimé que les quatre grands lacs réservoirs permettraient une diminution de 70 centimètres de la hauteur d’eau à Paris, en cas d’une crue équivalente à celle de 1910.

L’assainissement : une solidarité parisienne limitée

14Au début du xxsiècle, on peut dresser un premier état de l’équipement des communes du département à partir de l’état des communes effectué entre 1896 et 1903 pour 51 des 80 communes du département de la Seine par la Direction des affaires départementales du département de la Seine. Les linéaires indiqués dans les états des communes font apparaître autour de l’année 1900 un linéaire de conduite d’assainissement réduit et un kilométrage très inégal, de 100 mètres à 10 kilomètres selon les communes. De nombreux facteurs sont à mobiliser pour expliquer ce petit linéaire et d’abord des critères de moyens : rien n’est prévu par la réglementation en matière de financement ; or les communes n’ont pas les moyens de réaliser seules les travaux et font face à des priorités autres, comme la construction d’écoles publiques rendue obligatoire par la loi Ferry de 1882. Alors que la ville de Paris a obtenu les moyens de financement dans la loi de 1894 (taxe d’écoulement à l’égout), les autres communes vont devoir attendre la loi Niveaux du 13 août 1926 pour obtenir le recouvrement de cette taxe, ou devoir passer par le montage de dossier de subvention pour bénéficier du fonds mis en place par l’État en 1907. Le rapport de 1929 identifie seulement 24 communes levant cette taxe pour 38 communes sans aucun budget d’assainissement (Lemarchand et al., 1929).

15A contrario, les communes ne subissent aucune obligation réglementaire d’équipement. Avec la charte sanitaire du 15 février 1902, toutes les communes sont obligées d’édicter un règlement communal en vue de déterminer dans le domaine de l’assainissement « les prescriptions destinées à assurer la salubrité des maisons et de leurs dépendances, les voies privées… notamment les prescriptions relatives à l’alimentation en eau potable ou à l’évacuation des matières usées » (Journal officiel, 19 février 1902). Cependant le texte de 1902 n’oblige à rien de précis en matière d’égout. Il faut attendre la circulaire ministérielle du 19 avril 1905 pour que les instructions soient données sur la réalisation des réseaux d’égouts. Les communes ayant le linéaire le plus important sont des communes de la proche banlieue. Pour celles du nord de Paris, leurs territoires sont aussi traversés par une voirie départementale importante, avec les conduites d’eau pluviales qui les accompagnent. À ces critères s’ajoute l’implication de certains élus, à l’image du docteur Paul Hellet, maire de Clichy, qui obtient en échange des nuisances que la capitale fait subir à sa commune une collaboration du service ordinaire et vicinal du département de la Seine pour mettre en place et améliorer le réseau d’égouts communal.

16Si la coopération intercommunale est interdite jusqu’en 1932 entre Paris et les communes de banlieue, en revanche une départementalisation est possible, rendue d’autant plus nécessaire lorsque les équipements techniques dépassent les moyens d’une commune, comme pour les déchets et l’assainissement. Les accords avec la ville de Paris sont complétés par ceux établis avec le conseil général de la Seine. À partir des années 1880, celui-ci décide non plus d’aider mais de suppléer l’incapacité des communes en élaborant un réseau d’assainissement commun. Il représente « l’outil de solidarité qui fait défaut à la banlieue (car il) repose sur une véritable péréquation fiscale, financée aux trois-quarts par les contribuables parisiens qui assurent l’essentiel des ressources budgétaires du conseil général de la Seine » (Bellanger, 2013). En 1914, le réseau départemental comprend 500 kilomètres de conduites (égouts et canalisations). Après guerre, en 1927, le département de la Seine et la ville de Paris lancent l’étude d’un programme général d’assainissement de la région parisienne qui couvre également une partie de la Seine-et-Oise.

17Contrairement à l’approvisionnement en eau, l’assainissement de la banlieue était de grande importance pour Paris : il convenait de contrôler les rejets en amont de la ville pour ne pas dégrader la qualité des eaux servant à son alimentation. L’importance du rôle de la ville dans la gestion de ses réseaux techniques ainsi que la forte représentativité de ses conseillers au sein du conseil général du département de la Seine permettront de définir le fonctionnement de l’assainissement des autres communes du département de la Seine : les eaux usées des communes de banlieue seront progressivement raccordées aux émissaires parisiens et départementaux et traitées à l’aval, d’abord en épandage (loi de 1891) puis en station d’épuration dans l’entre-deux-guerres (voir « Assainir la banlieue de Paris »). Le système d’assainissement est donc centralisé, les communes n’ayant pas le droit de traiter leurs eaux usées sur leur territoire, et les services de l’État cherchant à protéger les petits cours d’eau de tout déversement autre que les eaux pluviales (Bellanger et Pineau, 2011).

18Se dessine alors une banlieue à deux visages : les communes de proche banlieue et à proximité des émissaires parisiens se retrouvent raccordées au réseau unitaire parisien dont les eaux sont déversées dans les champs d’épandage, en aval de Paris.

19Les autres communes construisent, quand elles le peuvent, un réseau pour évacuer leurs eaux, mais elles ne disposent pas de moyen pour traiter ces eaux usées (à part la presqu’île d’Alfortville raccordée à la petite surface de champs d’épandage de Créteil). Le préfet de la Seine leur interdit donc d’y rejeter leurs eaux-vannes. Théoriquement, ces communes ne rejettent en rivière que des eaux pluviales ou ménagères. Elles doivent veiller à l’équipement des maisons en fosses septiques. En pratique, la situation est plus complexe car, anticipant une possible épuration des eaux rejetées, il est toléré que les communes proches des collecteurs départementaux y déversent l’ensemble de leurs eaux usées. Et il arrive aussi que, faute d’exutoire, le débouché de certains égouts d’eau pluviale se fasse dans des collecteurs d’eaux usées (Carré, 2013). Cette situation va perdurer jusqu’après la Seconde Guerre mondiale. Les communes de banlieue s’équipent alors de réseaux séparatifs au fur et à mesure de la suppression des fosses septiques, les eaux pluviales devant théoriquement être rejetées en rivière et les eaux usées gagner les grands émissaires pour être traitées dans la station d’épuration d’Achères. La mise en route des stations d’épuration de Noisy-le-Grand en 1976 et de Valenton à partir de 1987 permet un premier rééquilibrage du transport et du traitement des eaux usées vers l’amont de l’agglomération parisienne. Pour autant, il reste les défauts de conformité des réseaux communaux déjà existants (eaux usées se rejetant dans les collecteurs d’eaux pluviales et inversement), auxquels s’ajoutent les défauts de conformité des réseaux nouvellement construits.

Conclusions

20En dépit des nombreuses tentatives pour associer les services d’eau et d’assainissement de Paris et des communes de banlieue, aucune intégration intercommunale ne sera finalement possible à l’échelle de l’agglomération, alors qu’elle se réalisera pour d’autres services comme les déchets en 1933 ou l’électricité en 1934. La rationalisation des services, la mutualisation des moyens a échoué pour la production et la distribution d’eau potable. Elle a été en partie réalisée mais limitée à une entente départementale pour l’assainissement et pour la gestion des barrages réservoirs.

21L’assainissement de Paris et de sa banlieue a été longtemps marqué par la volonté de rejeter le plus en aval possible les eaux les plus polluées. Par temps sec, les eaux usées ne seront correctement traitées par les stations d’épuration qu’à partir des années 1990. La complexité à la fois spatiale et temporelle de la mise en place de ces réseaux en banlieue a conduit à un certain nombre de branchements non-conformes. Le fonctionnement du réseau unitaire n’est toujours pas maîtrisé par temps de pluie aujourd’hui, une partie des eaux usées étant déversée directement en rivière durant les orages pour soulager les réseaux et les stations d’épuration. C’est à ces défauts de conformité des canalisations, à ces rejets d’eaux usées par temps de pluie que se heurtent les gestionnaires et les élus désireux de redonner aux Parisiens et aux banlieusards la possibilité de se baigner dans la Seine ou la Marne.

La Seine sous surveillance : les analyses des impacts de l’agglomération parisienne par l’observatoire de Montsouris de 1876 à 1937

Michel Meybeck, Laurence Lestel, Cyrielle Briand

22En 1871, l’observatoire astronomique de Montsouris, situé dans le parc éponyme en rive gauche de la Seine, est transformé en observatoire de Montsouris, une institution d’État à qui le chimiste et homme politique Jean-Baptiste Dumas confie une mission de « recherche sur l’influence des variations météorologiques et de la composition chimique de l’air sur les récoltes et la santé publique ». Cette nouvelle institution va progressivement développer trois laboratoires distincts en météo-physique, chimie et micrographie, qui vont se livrer pendant plus d’un demi-siècle à une recherche, très poussée pour l’époque, de la composition chimique de l’air et des eaux. En 1876, l’observatoire aura une mission plus précise : « étudier l’atmosphère et ses variations, les sols et les eaux, du point de vue de la science pure ou de ses applications à l’hygiène et à l’agriculture ». Dès lors, il poussera l’analyse chimique et micrographique — bactériologique, dirait-on aujourd’hui — des eaux autour de Paris, sur la Seine et ses affluents, des prises d’eau pour l’alimentation de la ville et des eaux usées avant et après traitement par champs d’épandage. L’observatoire publiera régulièrement ses travaux à partir de 1876 dans ses Annuaires, puis ses Annales, nouveau nom de la revue en 1900.

23Les résultats présentés dans les Annuaires de Montsouris étant très détaillés et les protocoles d’analyses rigoureux, ces analyses ont déjà été considérées comme suffisamment fiables pour être comparées avec des données contemporaines. Cela a été le cas pour les analyses de l’air à Paris effectuées de manière régulière depuis 1876 (Lestel, 2013), et particulièrement pour celles de l’ozone (Volz et Kley, 1988 ; Anfossi et Sandroni, 1997). La constance des résultats d’analyses des eaux de nappes souterraines profondes nous a confortés dans cette appréciation et nous a conduits à les utiliser pour reconstituer l’impact de Paris sur les eaux de surface, la Seine et ses affluents. Nous présentons ici les analyses effectuées sur les paramètres de qualité les plus sensibles aux impacts dont la surveillance s’est poursuivie jusqu’à aujourd’hui : oxygène dissous, composés de l’azote, chlorures, sulfates, bactéries totales et matière organique.

24L’interprétation de ces résultats utilise notre connaissance des milieux aquatiques de 2015, particulièrement celle acquise depuis 1990 par le programme Piren-Seine, et nos techniques de représentation graphique, géographique ou statistique, appliquées aux résultats des Annuaires, qu’ils soient bruts (profils en long, par exemple) ou déjà traités (moyennes). Enfin nous appliquons des grilles de lecture différentes basées sur les échelles de qualité des eaux publiées à la fin du xixsiècle, et celles publiées un siècle plus tard par la directive-cadre sur l’Eau (DCE, 2000).

Les eaux de Paris sous surveillance

25Lorsque l’observatoire commence ses mesures sur la Seine en 1877, l’agglomération parisienne, qui comprend environ 2,3 millions d’habitants (sur 210 km2) dont 1,8 à Paris même (sur 75 km2), s’étend essentiellement à l’aval de la confluence de la Marne et de la Seine. Seules quelques communes déjà peuplées ou industrialisées, telle Choisy-le-Roi, peuvent être considérées comme ayant un impact potentiel en amont d’Ivry-sur-Seine ou en amont de Joinville/Saint-Maur sur la Marne, où se trouvent les principales prises d’eau en rivière pour alimenter Paris. En 1884, Albert Lévy, le chef du laboratoire de chimie à l’observatoire, effectue un premier profil en long du fleuve en amont et en aval de Paris, une méthodologie déjà développée par Auguste Gérardin en 1874 (Gérardin, 1874 ; Lestel et Meybeck, 2009). Ces profils, repris par Frédéric Dienert à partir de 1907, seront répétés très souvent mais sans avoir une régularité définie. Pierre Miquel, chef du laboratoire de micrographie, effectuera à son tour des profils de « bactéries totales » à partir de 1886.

Figure 2-4. Types d’eaux surveillées par l’observatoire de Montsouris (1872-1915).

Figure 2-4.           Types d’eaux surveillées par l’observatoire de Montsouris           (1872-1915).

Sources : Annuaires et Annales - © Cyrielle Briand, Michel Meybeck

26Jusqu’au milieu du xixsiècle, les Parisiens s’approvisionnent encore beaucoup par des centaines de puits, progressivement abandonnés dans le demi-siècle suivant. Ces puits sont creusés dans des aquifères variés, principalement dans la nappe alluviale de la Seine très étendue au niveau du fleuve et de ses confluences, ainsi que dans des aquifères locaux situés sur les collines de Paris (Ménilmontant, Butte-aux-Cailles, Montmartre). Après la municipalisation de l’observatoire en 1886, Albert Lévy puis Frédéric Dienert entreprennent une analyse poussée des puits de la ville de Paris, d’abord en 1886, puis de 1891 à 1905. À partir de 1894, l’observatoire va contrôler le fonctionnement des usines de traitement d’eau potable qui puisent l’eau en Seine et en Marne, et la qualité des sources lointaines qui alimentent la capitale par des aqueducs (figure 2-1). Plusieurs puits artésiens très profonds (550 m) sont forés sous Paris. Ils atteignent un aquifère sableux, les sables de l’Albien, dont les eaux seront repérées un siècle plus tard comme étant subfossiles, ce qui implique une grande stabilité chimique. L’observatoire en suivra plusieurs (Butte-aux-Cailles, Grenelle).

27Dans son passage dans Paris, la Seine reçoit en rive gauche la Bièvre, une petite rivière non naviguée (bassin de 203 km2), très industrialisée dans sa partie aval, et en rive droite le Croult qui draine la plaine de Saint-Denis au nord de Paris et qui rejoint la Seine à Saint-Denis. En 1875, les canaux sont très limités autour de Paris : l’unique voie d’eau artificielle est le canal de l’Ourcq qui approvisionne Paris en eau médiocre, utilisée entre autres pour le nettoyage urbain. Les petites rivières urbaines, comme la Bièvre, ne sont pas utilisées pour l’approvisionnement de Paris et ne font donc pas partie des analyses régulières, mais la Bièvre sera analysée en 1884 et en 1896-1897.

28En 1875, le système des eaux d’égouts est en plein développement avec la construction de deux grands collecteurs se déversant dans la Seine au nord de Paris entre Asnières et Saint-Ouen. Même si une partie des égouts collectés est progressivement envoyée sur des champs d’épandage (figure 2-2), plus de la moitié de ces effluents continueront par temps sec d’être rejetés directement en Seine, sans compter les surverses d’orages. L’extension de la banlieue, qui ne s’accompagne pas au même rythme d’une extension de son réseau d’égouts, contribue également à une dégradation de l’état de la Seine dès l’amont de Paris. Ceci justifie que le laboratoire de l’observatoire effectue des analyses des eaux d’égouts et intensifie le suivi de la qualité des eaux de la Seine.

29Deux types de milieux aquatiques ont retenu notre attention :

  • la Seine dans sa traversée parisienne avec ses affluents, Marne et Oise, et son cours inférieur, par des profils en long et/ou des variations saisonnières à des stations fixes ;

  • les milieux extrêmes, avec la Bièvre, cours d’eau urbain très industrialisé. Nous avons en général conservé les unités d’origine des analyses, comme pour les sulfates, exprimés en SO3.

L’impact de Paris sur la Seine : analyse de profils en long

30Les profils sont comparés les uns aux autres en fonction de leur distance au pont de la Tournelle choisi par l’observatoire de Montsouris comme référence des points kilométriques (PK). Les points amont sont comptés en PK négatifs et positifs à l’aval (figure 2-5).

Figure 2-5. Sélection de profils d’oxygène dissous estivaux, de l’amont à l’aval de Paris (PK 0) (1882-1906) réalisés par l’observatoire de Montsouris sur la base de relevés mensuels.

Figure 2-5.           Sélection de profils d’oxygène dissous estivaux, de l’amont à l’aval           de Paris (PK 0) (1882-1906) réalisés par l’observatoire de           Montsouris sur la base de relevés mensuels.

Sources : Annuaires et Annales - © Cyrielle Briand, Michel Meybeck

Oxygène dissous O2

31La mesure de l’oxygène dissous en rivière peut être considérée comme marquant le début de la quantification du fonctionnement écologique des milieux aquatiques. Dans une rivière en bon fonctionnement, le bilan moyen journalier d’oxygène est équilibré : les gains d’oxygène (production végétale, ré-aération mécanique) sont proches des pertes par respiration des bactéries dégradant la matière organique et les teneurs en oxygène sont proches de la saturation. Elle reste donc aujourd’hui un indicateur de premier ordre de la qualité de ces milieux. La mesure d’oxygène dissous a été mise au point pour la première fois par Gérardin (Gérardin, 1874 ; Lestel et Meybeck, 2009) et appliquée sur la Seine pendant un an (1874-1875) sur des profils mensuels d’une quinzaine de stations allant de 40 kilomètres en amont à 100 kilomètres à l’aval de Paris, soit 140 kilomètres au total (Conseil de salubrité de la Seine, 1872-1877 ; Gérardin, 1875). Lévy va effectuer d’autres profils, par une méthode au sulfate de fer ammoniacal qu’il a mise au point lui-même (Annuaire, 1884), surtout en été en 1882, 1892, 1897, 1903, 1904, 1906 (figures 2-5 et 2-6).

32Les profils de l’observatoire auront des longueurs variables, jusqu’à 320 kilomètres en août 1897, ce qui est sans doute unique à cette époque. Tous les profils montrent une chute marquée dans la traversée parisienne puis un rétablissement en aval : c’est « la courbe en sac d’oxygène » classiquement observée en rivière à l’aval d’un rejet important de matière organique. La dégradation de la matière organique des effluents urbains est observée en premier puis le rétablissement progressif de l’oxygène par ré-aération, production algale et apports des affluents comme l’Oise. La chute des teneurs en oxygène dissous peut être différente d’un profil à l’autre suivant la saison, les débits fluviaux. Elle commence généralement à 10 kilomètres à l’aval de Paris après la réception du collecteur d’eaux usées à Asnières. Le minimum d’oxygène est toujours noté vers 40 kilomètres à l’aval entre Épinay et Bezons. La remontée en oxygène est variable, en général vers les PK 60 (Maisons-Laffitte) ou à la confluence Seine-Oise (PK 74). L’allure de ces profils est similaire à ceux trouvés par Gérardin en 1874, malgré la différence des méthodes d’analyse utilisées.

33La longueur totale du segment fluvial en déficit d’oxygène est de 70 kilomètres au printemps 1882 et de 150 kilomètres environ de 1892 à 1897. Il définit l’impact général, à cette époque, des effluents multiples de l’agglomération parisienne, surtout ceux de la ville de Paris. La remontée des niveaux d’oxygène est attribuable à la ré-aération naturelle des eaux et aux apports de l’Oise à Conflans (PK 70,5 km).

34L’effet de la ré-aération de la Seine liée aux barrages de Suresnes et de Bougival a été étudié par l’observatoire en 1893. Il reste très modéré pour l’oxygène dissous : + 1,6 mg/L en mai et + 2,1 en juin à Suresnes, et quasi nul pour la matière organique (MO) sur eau brute (– 0,5 mg/L et – 0,1 mg/L), telle que mesurée par « le poids d’oxygène emprunté au permanganate après filtration » (exprimé en mg O2/L), méthode mise au point par Lévy (Annuaire, 1885) et recommandée par le Conseil supérieur d’hygiène publique de France en 1888. L’interprétation de ces profils n’était pas faite dans les Annuaires de Montsouris.

35En utilisant les grilles d’oxygène dissous contemporaines, on peut affirmer qu’en été, à 35 kilomètres à l’aval de Paris, la Seine était la plupart des années en dessous du seuil de 3 mg/L, celui de l’altération marquée de la survie piscicole (MEDD, 2003), sur environ 10 kilomètres et en dessous du seuil des 4 mg/L sur un segment de 30 à 50 kilomètres.

Formes de l’azote N : nitrates, nitrites, ammoniaque

36Les profils de février et août 1903 sont les plus complets — nitrates NO3, nitrites NO2, ammoniaque NH4 — et portent sur 200 kilomètres (figure 2-6). Ils ne correspondent cependant pas au maximum de déficit estival en oxygène. Les teneurs en ammoniaque de la Seine amont, avant la confluence Marne-Seine, sont très faibles (< 0,05 mgN/L). Elles sont multipliées par plus de deux ordres de grandeur dans la traversée de Paris et il en est de même pour les nitrites. Les nitrates, en revanche, sont beaucoup moins affectés. Cette élévation est liée à l’apport des effluents parisiens, très riches en nitrites (0,3 mgN/L) et en ammoniaque (> 20 mgN/L), mais pauvres en nitrates (0,4 mgN/L), d’après les analyses de l’observatoire sur le collecteur de Clichy.

Figure 2-6. Profils des formes d’azote en février et août 1903 (teneur en mgN/L) et de la concentration en oxygène dissous (mgO2/L).

Figure 2-6.             Profils des formes d’azote en février et août 1903 (teneur en             mgN/L) et de la concentration en oxygène dissous (mgO2/L).

Sources : Annuaires et Annale - © Cyrielle Briand, Michel Meybeck

37Le contraste entre les deux saisons de hautes eaux (février) et d’étiage (août) nous informe sur la sensibilité du fleuve aux effluents de Paris. En hiver, l’élévation en ammoniaque (N-NH4) est très brutale mais reste modérée, à 0,7 mgN/L après le PK 27, c’est-à-dire au droit du collecteur de Clichy. Cette valeur se maintient à 0,5 mgN/L jusqu’à Mantes (PK 108,5). Elle s’accompagne d’une chute des nitrates (N-NO3) de 1,4 à 1,0 mgN/L, et d’une chute limitée d’O2 de 12,2 à 9 mgN/L et d’une élévation faible des nitrites (N-NO2) de 0,016 à 0,036 mgN/L. Ces variations sont surtout expliquées par les rapports de dilution des effluents urbains par la Seine.

38En revanche, l’été la dilution est plus faible et les contrôles biogéochimiques plus importants. L’augmentation en ammoniaque est plus graduelle ; elle se produit sur 50 kilomètres environ à partir des collecteurs et atteint un maximum de 1 mgN/L à Conflans (PK 70,5). Elle provient de la dégradation de l’azote organique des effluents bruts. Le profil de nitrites est très différent du précédent : l’augmentation est très forte, à 0,25 mgN/L, sur 80 kilomètres au moins, une indication de la nitrification progressive de l’ammoniaque conduisant à une légère augmentation des nitrates.

Profils de bactéries totales

39L’observatoire a pratiqué dès 1886 des comptages de « bactéries totales » par la méthode mise au point en 1879 par Miquel (Annuaire, 1880) et modifiée en 1885. Les premiers profils sont réalisés dès 1886 et publiés en 1888 (Annuaire, 1888). Miquel développe une bouteille stérile à col cassable dite « bouteille de Miquel » et un dispositif de transport des échantillons réfrigéré. L’analyse au laboratoire s’effectue soit par plaque de gélatine soit par fractionnement par bouillon de peptone artificiel, comptant donc ce que l’on appelle aujourd’hui les bactéries totales cultivables (Miquel, 1891). De 1901 à 1903 sera développée l’analyse des Bacterium coli communis sur boîte de Pétri et peptone, cultivées avec le paradiméthylamidobenzaldéhyde (réaction d’Ehrlich) (Dienert, 1912). Ces méthodes de prélèvement et d’analyses seront utilisées pendant des décennies (Imbeaux, 1935).

40Les ordres de grandeurs sont de 5 000 à 50 000 par millilitre dans les eaux de la Seine amont mais peuvent atteindre quelques millions en été dans la Seine près d’Argenteuil, une valeur semblable à celle des égouts de Clichy (10 à 25 millions par millilitre) dont les eaux sont rejetées directement en Seine ou partiellement traitées par les champs d’épandage de Gennevilliers : « À Gennevilliers, les eaux rendues à la Seine ont 1 600 bact/mL contre 23 millions de bact/mL à l’entrée, l’épuration micrographique [due au champ d’épandage] est de 15 000 fois », dit Miquel dans son étude pionnière de 1888 sur les rendements d’épuration. Ces mesures poursuivies dans les années suivantes montrent une augmentation du nombre total de bactéries à la fois vers l’aval et dans le temps, au fur et à mesure de l’extension de la collecte des eaux usées de Paris, insuffisamment traitées dans les champs d’épandage (tableau 2-1).

Tableau 2-1. Moyenne annuelle des bactéries totales en Seine en 1909, exprimée en milliers de bactéries par millilitre.

Rivière

Marne

Amont

Seine

Aval

Localité

Saint-Maur

Choisy

Ivry

Austerlitz

Auteuil

Suresnes

Argenteuil

PK

– 6

– 16

– 8

– 2

10

20

39

Année 1909

9,4

60

65

1 300

469

101

5 480

41L’accroissement très marqué de l’abondance bactérienne, sur trois ordres de grandeur lors de la traversée de la Seine dans l’agglomération parisienne, montre l’impact de ses effluents. Il a perduré pendant un siècle, jusque dans les années 1990 où la collecte et le traitement des eaux usées ont enfin été à la hauteur du développement de l’agglomération.

42Miquel effectue par ailleurs quelques mesures de Bacterium coli communis dans la Seine et dans les effluents urbains non traités. Leur comparaison avec les « bactéries totales » montre que les premières sont de deux à trois ordres de grandeur plus faibles que les dernières. Toutefois les méthodes de dénombrement bactérien de cette époque sont très différentes de celles d’aujourd’hui : il est donc difficile ici de faire des comparaisons, contrairement aux analyses chimiques, même si la contamination fécale des eaux de la Seine ne fait aucun doute (Duhau, 2007).

Variation spatio-temporelle de l’oxygène dissous

43Certaines années la surveillance de la Seine par des profils en long devient mensuelle. On peut alors visualiser où et quand se produit exactement le minimum d’oxygène dissous. Les teneurs à saturation dépendent de la température : en hiver elles correspondent à 12 mg/L, en été elles descendent vers 9 mg/L. À Ivry, la saturation à 100 % est atteinte toute l’année, ce qui indique que la pollution organique consommatrice d’oxygène est très limitée. De novembre à mars, période de hautes eaux, le profil ne montre guère de chute d’oxygène pendant la traversée de l’agglomération parisienne ; celle-ci se développe d’avril à octobre avec un minimum d’oxygène de juillet à septembre. Le secteur le plus hypoxique s’étend sur 55 kilomètres, de Suresnes à Conflans, avec des teneurs inférieures à 2,5 mg/L. Après la confluence de l’Oise, le fleuve se rétablit un peu par l’apport d’eaux bien oxygénées, mais un deuxième secteur hypoxique (O< 4 mg/L) est noté à l’aval de Poissy jusqu’à Mantes au moins, où les profils s’arrêtent. L’impact du Grand Paris est donc toujours considérable. Il s’exerce sur 100 kilomètres, d’avril jusqu’en octobre : le traitement des effluents urbains reste très insuffisant par rapport à la capacité de dilution et d’autoépuration du fleuve.

44L’observatoire et ses laboratoires de chimie et de micrographie ne formulent jamais de diagnostic précis de ces profils ; au contraire ce sont souvent des moyennes annuelles qui sont considérées, masquant les segments fluviaux et les périodes les plus critiques. La description spatio-temporelle fine de l’état de la Seine, reconstituée ici à partir de la surveillance et des études de l’observatoire, aurait dû permettre à ce dernier d’établir un constat alarmant, dont les autorités auraient pu se prévaloir pour réagir. Mais la chaîne décisionnelle était autre : le Conseil de salubrité de la Seine ou le conseil supérieur d’hygiène publique de France étaient saisis d’une question ministérielle quant à l’état ou la pollution de la Seine. Ces conseils demandaient alors des analyses à l’observatoire de Montsouris et rendaient un rapport s’appuyant sur ces analyses réalisées à leur demande. C’est donc dans ces rapports que l’on retrouve des diagnostics quant à l’état de la Seine (Annuaires, 1876-1899 ; Annales, 1900-1935 ; Recueil des travaux du comité consultatif d’hygiène publique de France, 1872-1910). Lorsque la surveillance réglementaire de la qualité de la Seine a été rétablie en 1971 par l’État, au travers de l’agence financière de l’eau du bassin Seine-Normandie, l’état de la Seine n’avait guère évolué depuis 1920 (Inventaire, 1981). Cette très forte dégradation du milieu aquatique, presque ignorée jusqu’à présent, est largement confirmée par l’examen des eaux souterraines.

Les petites rivières urbaines : le cas de la Bièvre

45Lorsque l’observatoire commence ses relevés après 1870, la région parisienne comprend encore plusieurs petites rivières urbaines, le Croult au nord et la Bièvre au sud. Cette dernière prend sa source à Guyancourt, puis rejoint les communes du sud de Paris déjà très industrialisées. Elle y reçoit des effluents de nombreuses industries et artisanats (tanneries, textiles, teintureries). Certaines activités sont implantées depuis plusieurs siècles. Au fil du temps, la qualité des eaux, tant pour les activités industrielles que pour l’usage des populations riveraines, s’est largement dégradée. À plusieurs reprises en 1884, 1886 et 1887, l’observatoire conduit des analyses poussées du cours d’eau, en général des suivis mensuels sur une station à l’entrée de Paris (poterne des Peupliers) et à sa confluence avec la Seine (rue Geoffroy-Saint-Hilaire). Nous sélectionnons ici les relevés de février et août 1897 (tableau 2-2).

46D’une façon générale, la qualité est nettement plus dégradée en été, lorsque les eaux sont basses et le facteur de dilution des rejets limités, qu’en hautes eaux d’hiver. On note que les eaux ont une qualité très dégradée dès l’entrée de Paris où la Bièvre a déjà tout d’un égout. En août, les chlorures atteignent 459 mg/L, le SO3 399 mg/L, la matière organique 162 mg/L, et l’ammoniaque 38,5 mgN/L, le résidu sec à 180 °C atteint 2,3 g/L. Au cours de son passage dans Paris, la Bièvre reçoit d’autres effluents industriels et urbains, notamment les eaux des nombreuses tanneries (Gagneux et al., 2002). Les sels minéraux et la matière organique augmentent fortement. En comparant la Bièvre aval avec l’effluent très urbain de Clichy (tableau 2-2), on remarque que la Bièvre est plus concentrée en sels et plus riche en matière organique que les effluents de Clichy. À la suite de nombreuses plaintes, la couverture de la Bièvre, considérée comme un égout, est décidée. La couverture totale sera terminée dans Paris en 1902 et le cours de la Bièvre détourné pour rejoindre le réseau des égouts collecteurs de la rive gauche de Paris, situation qui perdure jusqu’à aujourd’hui (Conseil de salubrité de la Seine, 1890-1894 ; Gagneux et al., 2002).

Tableau 2-2. Analyses de l’eau de la Bièvre. Comparaison avec l’eau des égouts parisiens du collecteur de Clichy (1896-1897 pour les bactéries, 1901-1902 pour les analyses chimiques).

Résidu sec à 180 °C (mg/L)

Cl (mg/L)

SO3 (mg/L)

Matière organique (mg/L)

N‑NH4 (mg/L)

N org (mg/L)

N‑NO3 (mg/L)

Total bact (million/mL)

Bièvre à l’entrée de Paris. Moyenne 1896-1897

970

67

302

37,8

4,2

6,4

2,25

0,83

Bièvre à l’entrée de Paris en août 1897

2 300

459

399

162

38,5

-

-

-

Bièvre

à sa confluence. Moyenne 1896-1897

1 280

194

329

75,7

10,5

13,6

2,1

5,5

Bièvre à sa confluence en août 1897

1 580

311

306

94,8

16,9

16,3

2,2

81

Égouts de Paris à Clichy 1896-1897

-

-

-

-

-

-

-

8,75

Égouts de Paris à Clichy 1901-1902

570

47

98

32

14

7,65

2

-

47Les analyses de l’observatoire sur la Bièvre sont extrêmement précieuses : elles nous renseignent sur la composition exacte de ces rivières « sacrifiées », dédiées un peu partout à cette époque aux activités industrielles (Weigelt, 1903 ; Garcier, 2007), comme la Panke à Berlin et la Senne à Bruxelles.

Conclusions

48L’observatoire pose, dès sa création, les bases scientifiques et techniques de la surveillance et de la recherche environnementale. Après la période de développement des laboratoires et à la suite de la municipalisation de l’observatoire, les analyses d’eau se sont multipliées à partir de 1886, non seulement pour surveiller la qualité des approvisionnements en eau de Paris, mais aussi sur l’ensemble du milieu aquatique, fluvial et souterrain.

  • 1 Ces maillons de la chaîne sont aujourd’hui effectués dans trois ou quatre institutions di (...)

49Les suivis des prises d’eau de Paris sont mensuels pour certaines analyses et plus fréquents pour d’autres relevés (température et transparence de la Seine quotidiennement). Les profils en long du fleuve sont serrés avec un nombre de stations suffisant pour décrire des phénomènes. Ces profils sont d’abord annuels, puis trimestriels, enfin mensuels. L’inventaire de la contamination des puits parisiens, poursuivi sur plusieurs années, serait mené aujourd’hui de la même façon. L’observatoire intègre aussi toute la chaîne de surveillance de la qualité des eaux : il met au point les méthodes d’échantillonnage et d’analyse, et est souvent à l’avant-garde internationale sur ce domaine. Il fait le choix des problèmes à prendre en compte, définit les stratégies de surveillance du milieu, mène les opérations de prélèvements et d’observations de terrain, réalise les analyses dans ses laboratoires dédiés, édite régulièrement ses résultats et donne parfois un commentaire sur ceux-ci1.

50Pour le fleuve, la fréquence des analyses est variable mais largement suffisante pour décrire l’état de ces milieux, en comprendre le fonctionnement, et nous permettre de mettre en évidence les lieux et les périodes de plus forte dégradation de la qualité : des objectifs rencontrés dès la mise en place de l’inventaire national de la pollution (Inventaire, 1981). Cependant l’observatoire ne développe pas systématiquement un diagnostic sur la qualité de la ressource en eau qu’il surveille, encore moins sur celle du milieu naturel. Pourtant, il analyse régulièrement une extraordinaire gamme d’eaux, depuis la pluie parisienne jusqu’aux égouts, qui lui permettrait d’étalonner ce que l’on appellerait aujourd’hui un diagnostic environnemental. L’approche de l’observatoire combine donc des critères du xixsiècle de qualité des eaux pour divers usages (lavage du linge, cuisine) basés sur la dureté de l’eau, sur le résidu sec, la chaux, les sulfates et les chlorures, avec de nouveaux paramètres qu’il contribue à développer, comme la matière organique et sa dégradation, et enfin la contamination bactérienne. Ces analyses sont effectuées au sein de trois laboratoires de météo-physique, de chimie et de micrographie dirigés par d’éminents spécialistes, comme Albert Lévy un polytechnicien chimiste et Pierre Miquel un microbiologiste. Cependant ces équipes ne travaillent pas de concert : elles publient dans des chapitres différents sans donner l’impression de croiser leurs résultats et ne portent que très rarement un jugement sur l’état des eaux qu’ils analysent. L’observatoire ne peut donc pas valoriser ses analyses (en général aussi fiables et aussi bien rapportées que la plupart des suivis réglementaires actuels), ni conceptualiser un fonctionnement écologique du milieu aquatique, en particulier du fleuve. Le diagnostic qui suit ces analyses est le fait des organismes qui les ont souvent demandées : le Conseil national supérieur d’hygiène publique de France ou le conseil de salubrité de la Seine pour Paris.

51En réinterprétant ces centaines de tableaux d’analyses, précis, ordonnés qui permettent, avec nos critères actuels, de décrire l’impact de l’agglomération parisienne sur la qualité des eaux il y a plus d’un siècle, on peut porter un diagnostic contemporain sur l’état du milieu aquatique du tournant des xixe et xxsiècles.

521. Malgré les efforts de Belgrand et de ses successeurs pour collecter et traiter les eaux usées de Paris, la Seine souffre chaque été d’un déficit en oxygène marqué, avec des concentrations nettement inférieures à 3 mg/L (le critère actuel des eaux très dégradées) pendant plusieurs mois et portant sur plusieurs dizaines de kilomètres. Ce déficit est accompagné de fortes teneurs en ammoniaque, en nitrites et en bactéries totales. Les communes situées à l’aval de Paris qui utilisaient la Seine pour s’approvisionner en eau potable disposaient donc d’une eau de mauvaise à très mauvaise qualité, voire impossible à traiter selon nos critères actuels. La qualité de la Seine ne sera améliorée que vers 1980-1990 ; cette dégradation aura donc perduré plus d’un siècle.

532. Les puits de Paris en cette fin du xixsiècle sont extrêmement contaminés par des décennies de mauvaises pratiques, voire des siècles si on considère qu’ils sont pollués aussi par la percolation des eaux au travers du sol urbain. Les teneurs en sels dissous sont très fortes mais, plus encore, ce sont les nitrates et les nitrites qui présentent des valeurs extrêmes (très rarement trouvées dans la littérature, par exemple dans certaines banlieues de mégapoles actuelles). La pollution bactérienne peut également être très élevée. Les risques sanitaires courus par la population parisienne utilisant ces puits sans traitement des eaux étaient donc extrêmes.

543. La Bièvre est déjà très impactée par des usages industriels à son arrivée dans Paris. Cette petite rivière urbaine, qui reçoit ensuite d’autres effluents industriels, était alors caractérisée par une composition chimique particulière, très riche en ammoniaque, matière organique, chlorures, sulfates et résidu sec. Sa composition estivale excède largement la moyenne des effluents parisiens avant épandage, illustrant des pressions industrielles multiples en plus de la pression domestique.

55Il est difficile d’effectuer une analyse précise sur la persistance de l’ensemble de ces dégradations au xxsiècle. La Bièvre a disparu, transformée dans Paris en égout urbain comme beaucoup d’autres rivières, telle la Senne à Bruxelles. Les puits de Paris n’ont pas fait, semble-t-il, l’objet d’autres inventaires. Il est probable que ces eaux soient encore très dégradées, considérant les faibles vitesses de renouvellement des eaux souterraines sous un Paris très imperméabilisé. Enfin, la dégradation estivale de la Seine à l’aval de Paris (oxygénation, contamination bactérienne) s’est poursuivie largement jusqu’à la fin des années 1980 (Billen et al., 2001, 2007b).

56Remerciements : cet article a bénéficié des réflexions menées dans le programme de recherches MAKARA, ANR 12-SENV-009.

Assainir la banlieue de Paris : des fosses septiques au tout-à-l’égout, quels effets sur la qualité de l’eau de la Seine ?

Catherine Carré, Jean-Marie Mouchel, Pierre Servais

57À la fin du xixsiècle, les très grandes villes européennes doivent penser de façon concomitante la desserte en eau domestique des habitations et l’évacuation de leurs eaux usées, mélange d’eaux ménagères et d’eaux-vannes contenant les urines et excrétas. L’interdiction des puisards ou puits noirs pour se débarrasser des matières de vidange est établie pour éviter la contamination des eaux de la nappe dans laquelle les habitants viennent puiser leur eau. La ville de Paris va être la première en France à imposer le raccordement des fosses d’aisances à des égouts avec la loi du 10 juillet 1894, dite du « tout-à-l’égout ». Toutefois, les contemporains s’interrogent sur le bien-fondé de cette solution.

« Ce réseau d’égouts, lorsqu’il recevra les eaux ménagères et les déjections alvines de 90 000 maisons, ne formera-t-il pas une fosse unique et gigantesque, régnant sur la superficie entière de la capitale et répandant l’infection par des milliers de bouches ? Sous prétexte de diluer les vidanges et de les rendre inoffensives, n’aboutira-t-on pas au résultat de salir inutilement toute l’eau qui circulera dans Paris ? Ce fleuve nauséabond, il faudra le relever ensuite à grands frais pour assurer l’épandage dans des terrains choisis dans le voisinage de la ville et au milieu des campagnes d’agrément afin d’en effectuer l’épuration. » (Badois, 1898)

58Dans les autres communes du département de la Seine (figure 2-2), les égouts servent alors exclusivement à évacuer les eaux de pluie et une partie des eaux ménagères vers la Seine ou la Marne. Les habitants doivent faire vidanger leur fosse, fosse que les édiles réglementent progressivement, interdisant les fosses fixes pour imposer des fosses septiques étanches. Les déversements sans traitement sont interdits aussi bien dans les cours d’eau que dans des puisards absorbants (ordonnance du préfet de police de Paris du 10 juin 1910). Cependant, même si la fosse septique semble répondre aux exigences de l’épuration moderne, pour les contemporains elle ne pouvait répondre aux besoins des villes modernes.

« Pour ce qui concerne les villes, il ne saurait être question de fosses septiques ; elles doivent réaliser leur assainissement par le tout-à-l’égout, de préférence séparatif, aboutissant à une station d’épuration biologique. On n’ignore pas que les fosses septiques produisent une grande quantité d’hydrogène sulfureux et autres gaz malodorants […] l’effluent est loin de constituer un liquide inodore et bactériologiquement inactif. En l’envoyant tel quel sans traitement, les eaux seraient vite polluées et la santé des habitants compromise. […] Chaque fosse septique ou fixe que l’on construit est un clou dans le cercueil du système d’égout […] En les autorisant, on fournit aux municipalités des prétextes pour écarter ou retarder la construction toujours très onéreuse d’un réseau complet d’égouts avec terrain d’épandage ou lit bactérien. » (Souèges, 1914)

59Et, en dépit des oppositions au tout-à-l’égout, c’est cette solution qui va être choisie pour les habitants de Paris et pour ceux des communes de sa banlieue. Il reste que le réseau complet d’égouts attendu par R. Souèges ne va pas pouvoir être construit, ni les traitements effectués à l’exutoire des canalisations. Le raccordement des eaux usées des communes de banlieue va se faire par tronçons, tolérant les rejets directs en Seine et l’absence ou l’insuffisance de traitement pendant presque un siècle. L’objet de notre recherche est de reprendre les interrogations de la fin du xixsiècle sur le bien-fondé de la suppression des fosses des Parisiens et des banlieusards, ainsi que du raccordement de leurs eaux-vannes dans les égouts parisiens, afin d’essayer d’en mesurer les effets sur la qualité sanitaire de la Seine. Nous commencerons par expliquer les raisons du passage au tout-à-l’égout et les modalités de sa gestion dans la première moitié du xxsiècle. Cependant, pour reconstituer les effets sanitaires des rejets directs en Seine, il faudrait pouvoir disposer des données de raccordement des habitations aux égouts et des points de rejets directs en Seine. Ces rejets sont dus à l’absence de collecteurs pour transporter les eaux usées vers les champs d’épandage, l’effluent aboutissant provisoirement en rivière. Malheureusement nous ne disposons pas de ces données, ce qui suppose d’estimer ces rejets à partir d’hypothèses. Nous présenterons le modèle utilisé dans une deuxième partie pour discuter les résultats dans une dernière partie.

Le raccordement des eaux usées des communes de banlieue aux collecteurs parisiens au début du xxsiècle : velléités et freins

60La préoccupation des pouvoirs publics vis-à-vis de la pollution apportée par les fosses d’aisances n’est pas récente : un décret du 10 mars 1809 concernant les fosses d’aisances dans Paris, abrogé pour être généralisé à l’ensemble du territoire français par une ordonnance du 24 septembre 1819, s’efforce d’en garantir l’étanchéité. Cependant, la construction des premiers égouts n’est pas été faite pour collecter les eaux-vannes et éviter la contamination bactériologique de l’eau de la Seine (directement par les rejets des matières de vidange en Seine, indirectement par les fuites des fosses vers les nappes), mais pour les eaux de pluie. Le décret-loi de 1852 impose à Paris que les eaux de pluies soient collectées avec les eaux ménagères et celles de voirie dans chaque rue : ces eaux sont ensuite évacuées par un réseau centralisé à l’aval de Paris soit directement en Seine — principalement au déversoir de Clichy — soit conduites en épandage dans les champs de la boucle de Gennevilliers, à partir de 1869. Le décret-loi de 1852 prévoit que les dispositions rendues obligatoires pour la ville de Paris soient étendues à toutes les villes de banlieue qui en feraient la demande.

61Le baron Haussmann est hostile au raccordement des eaux-vannes dans les égouts, le volume d’eau étant insuffisant pour évacuer les excréments ; cet avis est partagé par des scientifiques dont Pasteur. Les épidémies de fièvre typhoïde en 1868-1869 à Londres, Bruxelles — villes équipées du tout-à-l’égout — ont été mises en relation avec des égouts non étanches et la contamination des eaux. Le raccordement des eaux-vannes dans Paris aux égouts se fait progressivement à partir des années 1890. Enfin par la loi du 10 juillet 1894, la ville de Paris oblige les propriétaires des immeubles parisiens au raccordement des eaux-vannes. L’augmentation des volumes d’eau utilisés par les particuliers est un des arguments pour imposer la suppression des fosses et le raccordement aux égouts. Le traitement des vidanges, de plus en plus diluées par les eaux grises avec l’augmentation des consommations d’eau, est devenu plus difficile. Plus nombreuses, elles motivent un trafic gênant et insalubre dans une ville déjà congestionnée par l’essor de la circulation.

62Le raccordement des eaux-vannes et leur déversement directement en Seine concernent alors les habitations parisiennes, les communes de banlieue étant peu équipées, essentiellement de canalisation pour les eaux ménagères et les eaux de voirie, les eaux-vannes étant principalement vidangées. En s’appuyant sur les données des notices communales, on peut considérer qu’en 1891 le linéaire d’égouts de chaque commune de banlieue est réduit à quelques kilomètres de tuyaux, les communes ne disposant jusqu’en 1928 d’aucun moyen financier spécifique pour faire construire les canalisations, quand la ville de Paris a obtenu dans la loi de 1894 l’instauration d’une taxe d’écoulement à l’égout (Carré, 2013).

Pourquoi les eaux-vannes en banlieue ont-elles été (mal) raccordées aux égouts parisiens ?

63Les déversements d’eaux usées à l’aval de Paris modifient la perception qu’ont les édiles de la qualité de l’eau. Ces rejets sont d’abord les eaux de voirie et ménagères collectées depuis 1852, sur lesquelles se rajoutent progressivement des eaux-vannes. Alors que dans son rapport de 1851 la commission municipale des eaux de Paris célèbre l’eau du fleuve « l’une des meilleures que l’on connaisse, et celle de l’Ourcq, presque comparable à celle de la Seine » (cité dans Cébron de Lisle, 1994), le conseil d’hygiène et de salubrité de la Seine, dans son rapport général de 1872-1877, déplore quant à lui l’altération du fleuve. Il incrimine les matières organiques, les odeurs infectes, la formation de bancs d’atterrissement à l’embouchure des collecteurs (l’île aux poils sur la rive droite de Saint-Ouen), la disparition des poissons. En même temps, il constate la progression des cas de typhoïde : le rapport indique 7 000 décès entre 1872 et 1877. Les déversements des collecteurs parisiens et leur concentration en quelques points de la Seine à l’aval de Paris remontent à 1859, avec l’adduction à Clichy des eaux des collecteurs de la rive droite et de la rive gauche. En 1880 le volume déversé est de 350 000 m3/jour par les deux émissaires principaux, à deux kilomètres de la prise d’eau qui alimente les communes de rive droite (Saint-Ouen, Argenteuil, Épinay-sur-Seine et Saint-Denis).

64La dénonciation de la pollution va se déplacer de la pollution parisienne vers la pollution des communes de banlieue, les rejets des effluents à l’amont de la ville pouvant impacter l’alimentation en eau potable des Parisiens. Des études sont commandées par le ministre des Travaux publics pour évaluer l’importance de ces rejets (Rapport des rejets des communes par M. Lavollée, du 7 juillet 1906 et du 8 juillet 1907). Le choix à la fin du xixsiècle d’utiliser l’eau de la Seine et de la Marne pour la production d’eau potable avec un traitement par filtration, l’essor des pratiques de baignade et de canoë à l’amont de Paris vont inciter les élus parisiens à financer le raccordement des eaux usées des communes de banlieue sur le réseau parisien.

65Pour comprendre la modélisation qui va être proposée ci-dessous, il faut d’abord expliquer les péripéties et les vicissitudes qui vont être celles de l’assainissement des communes de l’agglomération parisienne, soit les 79 communes qui, avec Paris, constituent le département de la Seine. L’objectif poursuivi est leur raccordement au réseau parisien et départemental, et ce, dès le début du xxsiècle, avec en 1911 le programme d’épandage et l’essor du réseau de collecte et de transport.

66Les conseillers de la ville de Paris sont majoritaires au sein du conseil général et, depuis 1871, le service de l’assainissement de la Seine — au sein de la Direction des travaux de Paris — est chargé de l’utilisation et de l’épuration des eaux d’égout. Cette situation permet aux élus et aux ingénieurs de la ville de Paris d’intervenir dans la définition et le fonctionnement de l’assainissement des autres communes du département de la Seine. Bellanger (2011) rappelle la décision du conseil général de la Seine non plus d’aider mais de suppléer l’incapacité des communes de banlieue en élaborant un réseau d’assainissement commun, et ce dès les années 1880. Mais le service d’assainissement ne gère que le réseau départemental et il ne s’occupera jamais des réseaux communaux (ce qui reste encore le cas au sein du SIAAP, au sigle très explicite de syndicat interdépartemental pour l’assainissement de l’agglomération parisienne), situation qui conduira à ce que les eaux usées des communes ne soient jamais totalement raccordées aux stations d’épuration interdépartementales avant les années 2000.

Le mouvement de balancier entre tolérance/interdiction/autorisation du tout-à-l’égout dans les communes de banlieue

67Les volontés des élus et des services techniques de la ville de Paris vont osciller entre volontarisme et renoncement. Avec la loi de 1891, les eaux usées des communes de banlieue sont progressivement raccordées aux émissaires parisiens et départementaux et traitées à l’aval, en épandage. Cependant ce raccordement est établi en fonction des capacités des canalisations parisiennes. Les rapports des ingénieurs nous montrent un ajustement pragmatique des programmes d’assainissement parisien, selon le retard d’équipement des communes de banlieue et du réseau parisien et départemental. En 1902, le conseil général adopte une délibération prônant l’interdiction de tout déversement d’immondices dans la Seine. La préfecture interdit alors le passage au tout-à-l’égout dans les communes dont les égouts se rejettent dans les cours d’eau ; il est toutefois toléré dans les communes rattachées au réseau parisien en aval de Paris. Le rapport du 3 mai 1902 de l’ingénieur en chef des Ponts et Chaussées indique qu’entre 1884 et 1902 le raccordement des eaux-vannes aux égouts est autorisé dans les seules communes raccordées au réseau parisien (Clichy, Levallois et Neuilly) et interdit dans celles en amont de Paris, pour protéger les prises d’eau destinée à l’alimentation domestique. Les communes de banlieue sont priées de conserver leurs fosses, en attendant que les travaux de construction d’émissaires parisiens et de capacité d’épuration soient menés. Plusieurs projets de station d’épuration sont examinés puis abandonnés : La Courneuve en 1909, Saint-Denis et Stains en 1911, le projet d’Achères en 1913 sous la pression du département de la Seine-et-Oise. En dépit de sa position majoritaire au sein du conseil général, la ville de Paris n’aura pas les moyens d’imposer aux communes de banlieue un schéma décentralisé.

68En 1908, le rapport du 4 février du bureau des travaux publics de la préfecture de la Seine rappelle l’interdiction du tout-à-l’égout pour les communes dont les égouts seraient tributaires de la Seine et de la Marne. Cependant il précise que cette interdiction n’a pas été complètement appliquée, par anticipation des programmes d’assainissement qui devaient être réalisés. Le 12 juillet 1900, le conseil municipal de Paris avait en effet signé avec le conseil général une convention d’épuration des eaux usées : le département de la Seine prévoyait d’envoyer vers Colombes les eaux usées des communes de banlieue situées entre les fortifications et Clichy pour que les eaux soient ensuite épandues à Achères. Sont ainsi autorisées en 1907 à passer au tout-à-l’égout et à se raccorder sur le collecteur d’Achères une partie des maisons des rues d’Asnières, Bois-Colombes, Clichy et Colombes traversées par ledit collecteur. Sont autorisées de la même façon à se raccorder sur le collecteur latéral de la Bièvre les communes d’Arcueil, de Bourg-la-Reine et de Gentilly. L’autorisation du passage au tout-à-l’égout sans mention de raccordement à un collecteur parisien est accordée aux communes d’Alfortville, Bagnolet, Châtillon, Fontenay-sous-Bois, Fontenay-aux-Roses, Les Lilas, Le Pré-Saint-Gervais, Malakoff, Montrouge, Montreuil, Pantin, Saint-Mandé, Saint-Ouen, Sceaux, Villejuif, Villemomble et Vincennes.

69En 1929, le rapport général sur l’assainissement général du département de la Seine indique que le raccordement des canalisations des communes du département de la Seine au réseau unitaire parisien est encore limité à 30 communes, pendant que 6 communes déversent leurs eaux d’égouts directement en Seine à l’amont de Paris, 10 en Marne, et 36 en Seine à l’aval de Paris. La situation de l’assainissement de l’agglomération combine alors une succession de points de rejets d’eaux non traités directement en Seine et en Marne, tout le long de leur linéaire.

70Pour autant le principal déversoir demeure celui de Clichy. En prenant appui sur les données fournies dans les bilans annuels de fonctionnement du service d’assainissement établis par le conseil général de la Seine, on constate que pour le volume d’eau transitant dans les égouts appartenant à la ville de Paris, une partie est envoyée sur les champs d’épandage, le reste étant directement déversé dans la Seine, soit à Clichy, soit à Saint-Denis. Faute de place dans des installations déjà insuffisantes pour les eaux parisiennes, la ville de Paris n’a pas pu accueillir dans ses collecteurs les eaux usées de toutes les communes de banlieue qui le demandaient : jusqu’en 1992, une partie de ses eaux et de celles des égouts de banlieue se déversaient encore en Seine.

La construction d’un modèle pour estimer la contamination des cours d’eau par les rejets directs des eaux-vannes domestiques

71Pour dresser un état du niveau de contamination de la Seine et de ses affluents, nous utiliserons comme principaux descripteurs les concentrations en bactéries indicatrices de contamination fécales, fortement liées en zones urbaines aux apports d’excréments humains, et pour lesquelles nous disposons de quelques données anciennes, ainsi que les teneurs en ammonium qui sont également de très bons indicateurs d’une contamination organique. Les premières mesures de bactéries indicatrices de contamination fécale (les coliformes) dans les eaux de rivière remontent à environ 1910. Cet indicateur sera suivi durant près d’un siècle avant d’être remplacé de nos jours par la mesure d’Escherichia coli, plus spécifique de la contamination fécale. Nous disposons de données sur la population communale, aux dates des recensements nationaux, et sur les débits de la Seine, connus au niveau du pont d’Austerlitz depuis la fin du xixsiècle, pour estimer la dilution des effluents en Seine. Nous disposons aussi, grâce aux dossiers de la préfecture de la Seine retrouvés dans les archives nationale et départementale, d’informations sur les communes du département de la Seine autorisées après 1907 à déverser leurs eaux-vannes dans leurs égouts d’eau pluviale ainsi que la liste des communes non raccordées aux égouts parisiens et déversant leurs eaux d’égouts, soit en Seine soit dans la Marne. Enfin, grâce aux données de la ville de Paris, nous connaissons les volumes des collecteurs parisiens à l’aval de Paris qui finissent directement en Seine. En revanche, nous ne disposons pas, dans ces communes, du nombre de maisons dont les eaux-vannes étaient raccordées à une canalisation, ni de la part des canalisations communales raccordées au réseau d’égouts parisien.

Le modèle Seneque

72Les travaux menés depuis 1990 dans le cadre du programme Piren-Seine (Billen et al., 2007a) ont permis de développer des modèles de qualité d’eau dans les rivières du bassin, validés sur de nombreuses campagnes de mesure. Ils ont été utilisés pour des simulations prospectives et rétrospectives à grande échelle (Servais et al., 2007, Billen et al., 2007b) et pour simuler, en détail, des événements particuliers comme des déversements en période d’orage en milieu urbain (Even et al., 2007). Des formulations empiriques, validées sur des expériences de laboratoire, et le suivi de profils en long de la qualité de l’eau permettent de rendre compte des deux phénomènes majeurs qui font diminuer la charge bactérienne de la colonne d’eau : la sédimentation et le broutage par des protozoaires. Ces formulations ont été positivement évaluées dans de nombreux cours d’eau (Servais et al., 2007).

73Pour cette étude, nous avons utilisé les capacités du modèle Seneque à simuler différentes bactéries indicatrices fécales (coliformes fécaux en particulier) pour évaluer rétrospectivement la qualité sanitaire des milieux dans le territoire de l’actuelle région Île-de-France. Le modèle Seneque (figure 2-7) simule l’écoulement des eaux dans les différentes rivières par pas de temps de dix jours, mélange en chaque point de rejet ou confluence la charge polluante apportée dans l’eau de la rivière et simule le transport et les transformations des contaminants au cours de leur transit vers l’aval. Le modèle permet donc de calculer les fluctuations temporelles et spatiales des contaminants dans le réseau hydrographique. L’utilisation du modèle nécessite de renseigner les flux de contamination par point d’apport ponctuel dans la Seine, dans le cas présent par les apports des égouts communaux non traités. Le modèle Seneque simule également les principales variables caractérisant la qualité de l’eau (carbone, azote, phosphore, etc.).

Figure 2-7. Schéma explicatif des simulations effectuées par le modèle Seneque.

Figure 2-7.             Schéma explicatif des simulations effectuées par le modèle             Seneque.

© Catherine Carré et Jean-Marie Mouchel

74Le linéaire de cours d’eau simulé pour cette application de Seneque comprend la Seine sur 40 kilomètres à l’amont du centre de Paris et 130 kilomètres à l’aval, les derniers 50 kilomètres de la Marne à l’amont de sa confluence avec la Seine et les derniers 40 kilomètres de l’Oise à l’amont de la confluence. Sur ce linéaire, le bassin versant de chacune des plus petites rivières affluentes est simulé ainsi que les cours de la Seine, de la Marne et de l’Oise. À l’amont, les bassins de la Seine, de la Marne et de l’Oise sont représentés de manière synthétique, en simulant de manière homogène tous les cours d’eau d’un même ordre hydrographique (ici celui de Strahler). Cette simplification permet de limiter le temps de calcul au sein de chaque bassin versant, tout en préservant la distribution amont-aval de ses caractéristiques hydrologiques (débit, profondeur…) et des charges polluantes apportées par les habitants. Ce mode d’intégration est cohérent avec la configuration concentrique du bassin de la Seine.

75Pour représenter l’évolution de la contamination fécale depuis 1891 jusqu’en 1936, nous avons choisi de procéder à une simulation tous les cinq ans. Les débits de tous les cours du bassin de la Seine indispensables à la modélisation ne sont pas tous connus pour cette période. Les seules données disponibles sont les relevés du pont d’Austerlitz, au centre de Paris, stockées dans la banque hydrologique nationale (www.hydro.eaufrance.fr ) depuis la fin du xixsiècle. Nous avons donc reconstruit une distribution spatiale plausible des débits à partir des données spatialement distribuées actuelles qui soit cohérente avec les débits connus à Austerlitz pour chacune des années simulées. La figure 2-3 montre l’évolution des débits moyens du mois de juillet à Paris, considérés comme représentatifs des situations estivales qui sont les plus critiques en matière de pollution. Cette figure montre notamment que les débits estivaux ont été particulièrement faibles au cours des premières années du siècle, ce qui a diminué la capacité de dilution des rejets par la rivière.

76Les populations communales sont connues depuis le début du xixsiècle grâce aux synthèses réalisées par l’EHESS. La pollution émise par un équivalent habitant est une quantité bien connue en valeur moyenne, qui n’a probablement pas évolué significativement au cours du dernier siècle et que nous estimons à 50 109 coliformes fécaux (Georges et al., 2002) et 13 grammes d’azote par jour. Cette dernière valeur est cohérente avec les estimations de Sabine Barles (2007) établies pour l’année 1913 et basées sur un bilan complet de l’azote dans Paris, y compris les consommations de nourriture et les émissions par les hommes et les chevaux, et avec des bilans beaucoup plus récents réalisés dans les réseaux d’assainissement de l’agglomération parisienne (Servais et al., 1999). Par ailleurs, les quantités de coliformes contenues dans les déjections équines sont beaucoup plus faibles que dans les déjections humaines, presque 1 000 fois plus faibles à masse corporelle égale (ASAE, 2003), ce qui justifie de négliger cette source de contamination pour la Seine, et d’utiliser un facteur d’émission ne tenant compte que des déjections humaines. Il reste à évaluer quelle fraction de ces émissions atteint la rivière.

77On établit alors une typologie des communes en fonction du type d’équipement des habitants (fosses septiques, raccordement des eaux-vannes à un égout), des déversements dans une canalisation d’eau usée allant directement dans le cours d’eau le plus proche, et de leur évolution entre 1891 et 1936. Cette typologie nous permet d’affecter un pourcentage de déversement d’eaux-vannes dans le cours d’eau. Le tableau 2-3 récapitule les différents types de communes traités par le modèle.

La construction des valeurs utilisées par le modèle

78Plusieurs éléments ont été considérés à l’appui du choix des valeurs utilisées dans le tableau. Le seuil de 5 000 habitants a été choisi à partir de la description des équipements communaux dans l’Annuaire des distributions d’eau de 1904. Ce seuil différencie, pour la majorité des communes du bassin parisien, celles équipées de canalisation d’assainissement de celles qui en sont dépourvues. Paris constitue le cas le plus abouti avec des habitations raccordées à des canalisations unitaires depuis 1894, au rythme de 2 000 immeubles équipés par an en moyenne : en 1894, 5 444 immeubles sont raccordés ; en 1930, c’est le cas de 90 % des immeubles parisiens. Les notes à l’appui du compte du service d’assainissement du département de la Seine montrent que le développement des connexions a suivi une évolution sigmoïde (Mouchel et al., 1998) dont le temps caractéristique est d’environ cinq ans et centrée sur l’année 1907.

79Pour la catégorie A, la valeur d’1 % de matière fécale déversée dans la rivière est fondée sur un rapport du service de l’assainissement du département de la Seine du 21 octobre 1892, signé de l’inspecteur L. Masson. Celui-ci estime, suite au recensement sur les opérations de vidange, qu’une partie des matières de vidange va en dépotoir, une autre en épandage, mais que les entreprises de vidange en déversent une partie directement dans les égouts et les cours d’eau : « quelques-uns des entrepreneurs de la banlieue n’ayant pas de dépotoirs particuliers, il faut bien qu’ils se débarrassent d’une manière ou d’une autre de leurs vidanges, et le moyen le plus économique et le plus simple est évidemment le déversement clandestin dans les égouts et dans les rivières. »

80La catégorie B correspond à un raccordement des logements au tout-à-l’égout, au fur et à mesure que les habitations sont raccordées au réseau d’eau potable, condition pour obtenir un volume rejeté suffisant pour obtenir un effet de chasse dans les égouts. Nous pouvons, en nous appuyant sur des autorisations de passage au tout-à-l’égout fournies aux communes par la préfecture de la Seine en 1907, considérer que les communes autorisées ont connu une augmentation du nombre d’habitations raccordées progressive. Pour l’ensemble du bassin de la Seine sauf Paris, nous avons fait l’hypothèse qu’à partir de 1900, les communes de plus de 5 000 habitants sont passées au tout-à-l’égout selon une courbe sigmoïde comme Paris, mais moins rapidement (avec un temps caractéristique de 10 ans). Sous ces hypothèses, une commune ayant déjà 5 000 habitants en 1900 atteindra un taux de raccordement d’environ 40 % des habitants en 1939.

Tableau 2-3. Situations communales et estimations des rejets directs dans le cours d’eau.

Type de commune

Pourcentage de déversement direct dans le cours d’eau le plus proche

Trajectoire d’équipement entre 1891 et 1936

Type A - Commune équipée en fosse septique vidangée, sans égout

1 % dû aux déversements des matières de vidange par les entreprises

Petite commune < 5 000 habitants Ne s’équipe pas jusqu’en 1936

Type B - Commune de plus de 5 000 habitants, avec des égouts dans lesquels se déversent les eaux-vannes

1 % de rejet direct dans la rivière la plus proche, en augmentation : passe de 1 % en 1890 à 40 % en 1939

Passe du type A au type B en franchissant la barre de 5 000 habitants

Une augmentation sigmoïde du pourcentage à partir de l’année où la commune dépasse 5 000 habitants et pas avant 1900

Type C - Commune du département de la Seine intégrée au réseau parisien équipée en totalité en réseau unitaire en 1929

5 %, correspond à des déversements directs dans le cours d’eau en raison d’une mauvaise conception de certains points du réseau

Passe de type A ou B à C à une certaine date : dès 1907 pour celles autorisées par la préfecture, à partir de 1920 pour celles indiquées comme possédant déjà un réseau unitaire en 1929

Type D - Commune du département de la Seine dont une partie seulement du réseau est unitaire

La proportion des habitants a été arbitrairement répartie pour moitié entre les deux types de réseaux (unitaire et eau pluviale)

Passage en 1920 pour celles indiquées comme possédant un réseau mixte en 1929

Type E - Commune du département de la Seine équipée en réseau unitaire en 1929, non connecté au réseau parisien

La totalité des égouts va directement en Seine

Asnières, Boulogne, Colombes, Courbevoie, Gennevilliers, Maisons-Alfort, Nanterre, Puteaux, Suresnes

81La catégorie C renvoie aux communes raccordées au réseau parisien (figure 2-8), souvent à proximité de la Seine, avec malgré tout des rejets directs des habitations ou des rues en bordure du fleuve. Après une série de plaintes des habitants de l’aval de Paris, le ministère des Travaux publics a demandé une enquête sur les rejets en Seine aux ingénieurs en charge du service de navigation de la Seine. La synthèse de 1907 de l’enquête sur les causes de l’infection de la Seine fait état des rejets d’eaux insalubres en Marne et en Seine. Dans ce rapport, les ingénieurs estiment que les déversements non contrôlés au sein de la ville de Paris sont au minimum de 2 % des volumes totaux, auxquels doivent être ajoutés les rejets de temps de pluie qui compteraient pour près de 5 % à eux seuls. Les estimations réalisées à l’époque sont peu précises, mais il demeure nécessaire pour le réalisme des simulations de déverser à l’amont une partie des eaux supposées transiter dans le réseau unitaire vers les exutoires de Clichy et avoisinants. Un ratio de 5 % a été choisi pour les simulations.

Figure 2-8. Le raccordement partiel des communes de banlieue sur le réseau d’égouts parisien à la fin des années 1920.

Figure 2-8. Le             raccordement partiel des communes de banlieue sur le réseau             d’égouts parisien à la fin des années 1920.

Sources : données INSEE, 1931 ; Rapport général d’assainissement, 1929 - © Catherine Carré et Aurélien Baro

82La catégorie D correspond au maintien de fosses septiques dans une partie des communes de la petite couronne, permise par l’ordonnance préfectorale du 1er juin 1910. Cette autorisation a été retirée de la réglementation en 1925 pour réapparaître en 1953. C’est ainsi que se met en place, dans les communes non raccordées au réseau parisien, un réseau dit « pseudo-séparatif » constitué de fosses septiques dont les liquides sont raccordés aux conduites d’eaux de voirie et d’eaux ménagères. Pour permettre l’évacuation des eaux pluviales, leur raccordement est toléré dans les canalisations unitaires existantes, en attendant… La connaissance des communes où les eaux-vannes sont déversées dans les égouts est fournie dans le rapport de 1929. Cette situation d’eaux pluviales raccordées au réseau unitaire sera conservée dans les années 1960 et mentionnée dans la Monographie de la région parisienne relative au problème de l’eau de 1968 : « Dans le reste de l’agglomération (hors Paris) le système n’est séparatif qu’en théorie. En effet on constate que faute d’exutoire, le débouché de certains égouts d’eau pluviale se fait dans les collecteurs d’eau usée ». Ce réseau — « par défaut » d’un réseau unitaire raccordé au réseau centralisé — va se maintenir dans certaines communes de la proche banlieue jusqu’aux années 1980 (comme à Saint-Maur-des-Fossés dans le Val-de-Marne).

Les effets du passage d’un assainissement individuel à un assainissement collectif et centralisé

83L’évolution amont-aval des concentrations simulées en coliformes fécaux dans la Seine est présentée pour l’ensemble de la période, entre 1891 et 1931, pour le mois de juillet qui est représentatif de la situation d’étiage estival (figure 2-9). Les débits d’étiage sont extrêmement variables selon les années : ceux de l’année 1901 sont exceptionnellement bas à l’échelle du siècle mais correspondent à une situation hydrologique qui semble avoir été fréquente au début du xxsiècle. On notera que de tels débits ne sont plus possibles aujourd’hui, car les trois grands barrages-réservoirs construits après 1960 dans la partie amont des bassins de la Marne et de la Seine réalimentent les rivières en été pour un débit cumulé qui atteint 70 m3/s à la traversée de Paris durant la période d’étiage.

Figure 2-9. Les simulations de l’impact des rejets en juillet : une augmentation des pressions à l’amont et un pic de pollution à l’aval de Clichy entre 1891 et 1931.

Figure 2-9. Les           simulations de l’impact des rejets en juillet : une augmentation des           pressions à l’amont et un pic de pollution à l’aval de Clichy           entre 1891 et 1931.

© Jean-Marie Mouchel

84La faiblesse des débits du mois de juillet au cours de 1901 provoque une surconcentration des coliformes en Seine au niveau du rejet de Clichy. Le rapport du taux de dilution entre juillet 1901 et juillet 1911 est un peu supérieur à 3, ce qui se traduit par un décalage d’environ 0,5 sur les résultats représentés en échelle logarithmique. En d’autres termes, la faiblesse des débits de 1901 masque le fait qu’une augmentation considérable des apports a eu lieu entre 1901 et 1911. À l’inverse, les débits de 1921 et de 1931 étant en légère croissance par rapport à ceux de 1911, l’effet de l’augmentation des flux rejetés est légèrement tamponné.

85En plus de l’effet de dilution, les faibles débits ont aussi pour conséquence le ralentissement de la vitesse de l’eau dans une rivière dont le niveau à l’étiage est contrôlé par la présence de barrages de navigation. Le ralentissement de l’eau augmente son temps de séjour dans chaque tronçon de rivière, ce qui permet une mortalité et une sédimentation plus importantes des coliformes. Cette incidence est tout à fait considérable et compense largement l’effet de dilution. Pour l’année 1901, ceci se traduit par une pente de diminution des concentrations en coliformes beaucoup plus forte ; après une dizaine de kilomètres, l’excédent de concentration dû à la faible dilution est déjà compensé. Cent kilomètres à l’aval, l’effet est encore plus considérable puisque la qualité sanitaire de l’eau telle que mesurée par les coliformes apparaît meilleure qu’à l’amont de l’agglomération parisienne.

86Quelques jeux de données permettent de confronter ces résultats à une certaine réalité de terrain. Cependant, le niveau de comparaison reste qualitatif, d’abord parce que les techniques de mesure ont évolué, en particulier pour la bactériologie et la caractérisation des matières organiques, ensuite parce que les mesures sont en nombre limité avec une variabilité parfois forte, et enfin parce que la logique de l’échantillonnage de l’époque ne permet pas aisément de mettre en évidence les évolutions spatiales et temporelles que le modèle peut simuler.

  • 2 Guillerd était sous-chef du service de surveillance des eaux d'alimentation de Paris, son (...)

87Les coliformes, désignés sous le nom de Bacterium coli à l’époque (Guillerd, 1923)2, étaient mesurés par la méthode du nombre le plus probable en répartissant dans 10 tubes 50 mL de l’échantillon additionné d’un bouillon de peptone phéniqué, après une dilution éventuelle à choisir d’expérience en fonction du type d’échantillon. Après incubation à 42 °C, on dénombrait les tubes porteurs d’une coloration caractéristique de la présence des Bacterium coli, dite au rouge d’indole. Le comptage des tubes positif permettait de calculer le nombre le plus probable des bactéries dans l’échantillon initial. De telles méthodes de dénombrement après dilution sont toujours utilisées aujourd’hui mais avec des techniques de détection plus spécifiques et une procédure de dilution plus systématique.

  • 3 Les laboratoires d'Eau de Paris, établissement public chargé de l'alimentation en eau de (...)

88Les données de coliformes qui nous ont été communiquées par Eau de Paris3, pour la période 1910-1939, sont exprimées en puissances de 10 (10, 100, 1 000, 10 000) pour 100 mL d’eau, sauf pour quelques rares échantillons en début de période pour lesquels sont données des valeurs inférieures à 10 (2 ou 3 par exemple). Cette forme prise par les données suggère que les services d’analyse ont procédé par dilutions successives d’un facteur 10, mais n’ont procédé qu’à un seul test de détection de présence de coliformes pour chaque dilution. Une valeur de 1 000 signifie alors que la mesure suivante, faite après dilution d’un facteur 10, a donné un résultat négatif, et qu’en réalité la valeur probable est supérieure à 1 000 mais inférieure à 10 000. Sous cette hypothèse, en utilisant les techniques d’évaluation statistique qui n’étaient pas disponibles à l’époque (Cochran, 1950 ; Jarvis et al., 2010), on peut estimer que le nombre le plus probable de coliformes, exprimé en logarithme, n’est pas 3 — soit log (1 000) — mais 3,4 et avec un écart-type important égal à 0,54.

89Au niveau de la prise d’eau d’Ivry, située en Seine un kilomètre avant sa confluence avec la Marne, les données d’archives mises à disposition par Eau de Paris montrent une tendance à l’augmentation d’un peu moins de 3 à un peu plus de 4, de 1910 à 1935 (en logarithme du nombre de colonies de coliformes pour 100 mL, figure 2-10). On notera que certaines valeurs mesurées sont extrêmement faibles, notamment en 1911 et 1912, années des premières données. La confrontation avec la figure 2-9 indique même que certaines valeurs sont inférieures de plus d’un ordre de grandeur aux concentrations simulées à l’amont du domaine simulé, soit 50 kilomètres à l’amont de Paris, même pour les années 1891 et 1901, alors que pour ces années l’hypothèse faite est que seulement 1 % des rejets des habitants rejoint le cours d’eau. Ces très faibles valeurs posent donc question. On rappelle ici que Servais et al. (2007) ont estimé qu’en moyenne, les teneurs en coliformes fécaux à l’aval de petits bassins versants pâturés actuels sont de l’ordre de 103 pour 100 mL et seulement 102 pour des bassins uniquement cultivés ou forestiers et pratiquement sans habitations. Or, le système agricole du début du siècle combinait étroitement cultures et élevage et contribuait donc pour une valeur comprise entre 102 et 103 coliformes pour 100 mL à la contamination de l’amont, à laquelle viennent s’ajouter les coliformes d’origine humaine.

Figure 2-10. Concentrations en coliformes fécaux en période estivale au droit de la prise d’eau d’Ivry.

Figure 2-10.           Concentrations en coliformes fécaux en période estivale au droit de           la prise d’eau d’Ivry.

Les barres grisées représentent l’enveloppe des résultats obtenus par le modèle Seneque au cours de la période estivale. Les variations observées sont essentiellement dues aux fluctuations du débit. Les cercles blancs sont les résultats des mesures instantanées réalisées à l’époque, mais corrigés du facteur 0,4 en log décimaux (voir texte). Les cercles noirs sont les moyennes des mesures estivales.

© Jean-Marie Mouchel

90La législation française actuelle (Arrêté du 11 janvier 2007 relatif aux limites et références de qualité des eaux brutes et des eaux destinées à la consommation humaine) indique qu’un traitement par filtration simple (filtre à sable) et désinfection n’est possible que pour des eaux ayant des teneurs en Escherichia coli inférieures à une valeur guide de 20 pour 100 mL (ou 50 coliformes totaux), que des traitements physico-chimiques (coagulation-floculation typiquement) sont nécessaires au-delà, des traitements plus poussés encore pour des eaux dépassant 2 000 Escherichia coli pour 100 mL (ou 5 000 coliformes totaux), alors qu’aucune eau de distribution ne peut être produite à partir d’une eau de rivière qui dépasserait 20 000 Escherichia coli pour 100 mL (ou 50 000 coliformes totaux). D’autres niveaux usuels avaient déjà été proposés dans la première partie du xxsiècle. Imbeaux (1935) rappelle l’échelle de souillure ou barème de Vincent qui comprenait six niveaux. Au-delà de 100 coliformes par 100 mL, l’eau était considérée comme mauvaise pour la boisson. On admettait ainsi en France qu’au-delà de 100 coliformes une filtration suivie d’une désinfection n’était pas suffisante. Les niveaux de contamination en coliformes fécaux, mesurés et simulés à l’amont de Paris dépassaient donc même les niveaux conseillés par ces experts au droit des usines de production d’eau potable par filtration sur sable qui alimentaient Paris.

91D’autres analyses effectuées à l’époque, mais non comparables avec les analyses actuelles, permettent d’évaluer la contamination de la Seine entre 1910 et 1935. Il s’agit des mesures de matières organiques, évaluées par oxydation au permanganate de potassium, et des bactéries totales, estimées par une mise en culture non sélective sur gélose peptonée à 20 °C, puis du dénombrement des colonies sur la plaque de gélose pour une durée maximale de 15 jours. Les profils en long (figure 2-11) montrent pour les stations Ivry (PK = – 8) et Auteuil (PK = 10) des concentrations déjà largement supérieures aux concentrations mesurées plus à l’amont, ce qui témoigne que ces stations sont déjà sous influence urbaine. Les résultats des simulations font bien apparaître l’effet de l’équipement de la banlieue à l’amont de Paris et la contamination des eaux de la Seine et de la Marne par les rejets des égouts, y compris dans la traversée de Paris. Ils questionnent en outre l’état des eaux brutes prélevées à Ivry et Joinville pour produire de l’eau potable. Nous voyons aussi l’importance du rejet de Clichy sur les communes à l’aval, avec la concentration des rejets d’eaux non traitées de Paris auxquels s’ajoutent ceux des communes de banlieue (amont et aval) raccordées au réseau parisien.

Figure 2-11. Valeurs moyennes, toutes données confondues, année après année, pour la matière organique (mesurée par oxydation au permanganate de potassium) et les bactéries.

Figure 2-11.           Valeurs moyennes, toutes données confondues, année après année, pour           la matière organique (mesurée par oxydation au permanganate de           potassium) et les bactéries.

En blanc, les valeurs antérieures à 1910, en noir les valeurs postérieures (1910-1935).

© Jean-Marie Mouchel

92Nous concluons que, malgré toutes les incertitudes liées aux hypothèses fortes qui ont dû être faites sur les apports, les résultats des simulations réalisées grâce au modèle Seneque peuvent fournir une cartographie plausible des niveaux de contamination des cours d’eau et des apports aux cours d’eau. Les apports peuvent être relativisés, en mettant en évidence le rôle de la banlieue en regard du rôle de la ville de Paris (figure 2-12).

Figure 2-12. La part de la banlieue dans la contamination du milieu, exprimée en nombre d’habitants déversant leurs eaux usées en rivière.

Figure 2-12. La           part de la banlieue dans la contamination du milieu, exprimée en           nombre d’habitants déversant leurs eaux usées en rivière.

À gauche, la part des rejets de la banlieue dans différents tronçons des grands cours d’eau de l’agglomération. À droite, les rejets en Seine des émissaires de la ville de Paris en regard du nombre d’habitants de banlieue dont les effluents (apports) alimentent le réseau parisien et du nombre d’habitants de banlieue dont les rejets vont directement en Seine.

© Jean-Marie Mouchel

  • 4 Une seule station aura été installée, au Mont-Mesly, pour traiter les effluents de Maison (...)

93Il est très clair que les apports de la banlieue en Seine à l’aval de Paris et dans le secteur de Paris sont beaucoup plus importants que les apports de la banlieue en amont de Paris. On entend par secteur de Paris la zone dans laquelle se produisent les rejets de la ville, c’est-à-dire celle qui va de l’entrée de la Seine dans Paris au dernier rejet des émissaires de la ville de Paris dans la commune de Saint-Denis. Ceci résulte très probablement d’un certain nombre d’efforts réalisés pour limiter les rejets en Seine à l’amont des prises d’eau parisiennes mais aussi d’une population moindre à l’amont. À l’aval et dans la zone parisienne, il est clair que la mise en œuvre de la politique de raccordement des habitations aux réseaux, puis des réseaux aux capacités de traitement, a été défaillante. Au voisinage du réseau parisien, de ses émissaires vers les champs d’épandage, nombre de communes ont rapidement développé leurs réseaux unitaires dès le début du xxsiècle, dans la perspective de se connecter au réseau parisien. Mais en raison d’un sous-dimensionnement croissant des capacités d’épandage, les connexions n’ont pas été autorisées jusqu’au nouveau schéma directeur de 1929, alors que les systèmes de traitement par lits bactériens attendus pour les communes de banlieue n’ont jamais été mis en place4. Il faudra attendre encore plusieurs décennies pour que les nouvelles capacités épuratoires décidées par le schéma directeur pour traiter à la fois les eaux parisiennes et les eaux de banlieues atteignent les capacités nécessaires.

94En comparaison de la quantité de contamination apportée au milieu par le réseau parisien, celle due à la banlieue se révèle cependant bien faible sur la période étudiée et contribue donc peu à l’insuffisance des installations d’épandage parisiennes ; une insuffisance qui s’avère essentiellement due à la forte augmentation des volumes d’eau distribués à Paris (Mouchel et al., 1998). Alors que la population croissait plus lentement entre 1890 et 1936 (passant de 2,5 à près de 3 millions d’habitants), les volumes d’eau distribués sont passés de 150 à 500 millions de m3 par an. En 1936, la population de la banlieue parisienne n’est encore que de deux millions d’habitants, dont un quart environ déverse ses eaux usées dans le réseau parisien, un autre quart directement en Seine. La moitié restante est encore équipée de fosses d’aisances dont une petite quantité de liquide part dans les cours d’eau. Or, cette population de la banlieue ne fera que croître après 1945, l’essentiel des efforts de traitement portant toujours sur le gros des effluents de la capitale. Cet entêtement ne prendra fin qu’en 1968 quand les services de l’État, la toute jeune agence de l’eau Seine-Normandie et les élus régionaux imposeront la révision du schéma interdépartemental d’assainissement et la création des stations d’épuration à l’amont de Paris (1976 Noisy, 1987 Valenton, 2014 La Morée) pour traiter les eaux des communes de banlieue raccordées au réseau parisien (Seine-Saint-Denis, Val-de-Marne, une partie de la Seine-et-Marne et de l’Essonne).

Conclusions

95Le recours à un outil de simulation, alimenté par des informations issues des archives, nous a permis de retracer le passage d’un assainissement individuel à collectif et d’essayer d’estimer les effets d’une pollution désormais concentrée, aux points de rejets directs dans une rivière au débit limité. Nous avons replacé ce choix d’équipement au moment où édiles et techniciens doivent gérer les attentes d’amélioration de santé et de fonctionnement d’une ville moderne dense, autour de la propreté des rues et des facilités de circulation, via la qualité d’un service en réseau collectif plutôt que les contraintes de vidange des fosses. Si le cas parisien ne présente pas la plus forte pression d’une ville sur son cours d’eau (le ratio habitant/débit moyen annuel étant plus petit que celui de Berlin, Bruxelles et Milan), il se révèle néanmoins exceptionnel par l’imposition d’une solution centralisée des rejets et des traitements des communes de l’agglomération à l’aval de Paris et la gestion des dysfonctionnements permanents : le rythme d’équipement en égouts et en solutions de traitement n’arrivant jamais à suivre celui de l’urbanisation.

96On peut enfin proposer, à partir de l’exemple de Paris (et des assainissements centralisés des grandes villes européennes), des précautions pour des villes en rapide urbanisation confrontées à la protection de leur ressource en eau et aux contraintes de l’assainissement. Au-delà de la situation propre à Paris — la saturation des champs d’épandage et l’absence de solution alternative au tout aval pendant un long laps de temps — il reste la question du coût des stations et des réseaux. Les champs d’épandage, une station d’épuration sont souvent construits sans cohérence avec les réseaux (cela se retrouvera dans toutes les régions françaises après 1945). Les défauts de conformité sur les réseaux séparatifs concernent généralement la moitié du réseau. Quant au réseau unitaire, il fonctionne avec des déversoirs d’orage pour soulager les canalisations et les stations. Enfin, il faut insister sur la difficulté d’intégrer les solutions techniques à l’échelle de l’agglomération, pour accompagner les besoins croissants des métropoles.

Baignade urbaine dans la Seine et la Marne : un indicateur de qualité des cours d’eau ?

Jean-Paul Haghe, Agathe Euzen, Pierre Servais

97« Peut-on se baigner dans la Seine ? » telle est une question fréquemment posée, tant par des Parisiens, se souvenant peut-être de la promesse en 1988 de Jacques Chirac alors maire de Paris, que par les gens de passage. Derrière cette question se cache non seulement cette envie profonde d’aller s’immerger, la recherche du plaisir d’être dans l’eau, mais aussi de savoir si la qualité de l’eau le permet, si cela est autorisé. Il s’agit, dans cet article, de s’interroger sur la question de la qualité de l’eau de la Seine et de la Marne à Paris et ses environs et, plus particulièrement, d’identifier et d’analyser les relations entre l’évolution de la qualité intrinsèque des milieux aquatiques et leurs qualités perçues par les usagers à travers leurs pratiques. En se centrant sur la pratique de la baignade en eau vive, cela conduit à se demander dans quelles mesures les usages sont, ou non, des indicateurs marqueurs de l’évolution de la qualité des milieux aquatiques dans une mégapole telle que le sont devenus Paris et son agglomération.

98La collecte, puis l’analyse de sources documentaires variées, comme les cartes postales, photos anciennes, récits de voyage, guides touristiques, cadastres, plans municipaux, arrêtés préfectoraux, rapports sanitaires ou encore récits de vie ou peintures, nous a permis de mettre en évidence l’évolution de l’aménagement des rives et le développement des usages sur la Seine et la Marne, à Paris et dans sa proche banlieue. Plusieurs stéréotypes se sont dégagés grâce à chacune des sources documentaires originales et aux nombreux travaux de recherche offrant différents points de vue entre perception, mesure et description, usages quotidiens et manifestations occasionnelles. La concentration d’usages variés ou d’événements particuliers, racontés et/ou représentés par des iconographies et des écrits, a mis en lumière des lieux singuliers où des activités liées à la baignade côtoyaient des activités portuaires, artisanales, industrielles. Ainsi, le site de Port à l’Anglais à Vitry-sur-Seine, celui de Joinville-le-Pont sur la Marne, ou encore la Seine pour elle-même dans sa traversée de Paris sont emblématiques.

99La qualité de l’eau de la Seine à Paris permet-elle que l’on s’y baigne ? Telle est la première question que nous posons avant d’étudier l’évolution du développement des usages du bain et de la baignade le long de la Seine et de la Marne, non seulement à travers l’exemple des lieux singuliers mais également à travers des pratiques sociales et des événements particuliers, comme la traversée de Paris à la nage.

Quelles qualités des eaux de la Seine et de la Marne entre Paris et sa banlieue ?

100Les connaissances acquises jusqu’à aujourd’hui permettent de comprendre que parmi les nombreux micro-organismes qui peuplent les systèmes aquatiques naturels, la plupart jouent un rôle essentiel dans leur fonctionnement écologique là où d’autres, dont le milieu aquatique n’est pas l’habitat primaire, ne prennent pas part à ce fonctionnement et ne font qu’être véhiculés par l’eau des rivières. Ces derniers proviennent essentiellement du tube digestif des hommes et des animaux : la plupart d’entre eux sont inoffensifs et ne font que témoigner de l’existence d’une contamination des eaux par des excréments humains ou animaux, mais d’autres sont pathogènes pour l’homme. Les principaux agents pathogènes d’origine fécale (bactéries, virus, protozoaires) atteignent le milieu aquatique par les rejets d’eaux contaminées et par le lessivage et le ruissellement superficiel des sols agricoles ou urbains. Lors d’activités de baignade, les baigneurs peuvent être contaminés par ces micro-organismes pathogènes. La voie de contamination la plus courante est l’ingestion d’eau contaminée mais il en existe d’autres, comme les voies cutanées, conjonctivales et respiratoires. Ces pathogènes, d’abord utilisés comme critères de qualité de l’eau progressivement normalisés, ont ensuite été intégrés dans des indicateurs spécifiques à différents usages, selon les enjeux sanitaires associés.

Évaluer la qualité microbiologique des eaux

101Dans les milieux aquatiques, la détection de tous les pathogènes potentiels est très difficile et incertaine en raison de : (i) la très grande variété et diversité des micro-organismes pathogènes qui peuvent être présents dans l’eau ; (ii) la faible concentration de chaque espèce de pathogènes qui oblige à concentrer de très grands volumes d’eau pour les détecter ; (iii) l’inexistence de méthodes standardisées et rapides pour la détection de tous ces micro-organismes pathogènes.

102L’évaluation de la qualité microbiologique des eaux est, par conséquent, basée sur le concept de bactéries indicatrices de contamination fécale (BIF). Ces bactéries n’ont pas nécessairement par elles-mêmes un caractère pathogène mais leur présence indique l’existence d’une contamination par des matières fécales. Leur concentration est une indication du niveau de risque de présence de micro-organismes pathogènes. Différents groupes de bactéries sont utilisés comme indicateurs de contamination fécale dans différents pays et sous différentes juridictions. Les coliformes totaux et fécaux ont été très longtemps les principaux indicateurs de contamination fécale, mais aujourd’hui, Escherichia coli (E. coli) et les entérocoques intestinaux sont reconnus comme plus appropriés pour évaluer le risque sanitaire associé aux diverses utilisations de l’eau et notamment la baignade (Fewtrell et Bartram, 2001).

Entre qualité mesurée et qualité perçue de l’eau pour la baignade

103Tout comme pour l’eau de boisson, pour l’eau de baignade chacun fait appel à ses perceptions sensorielles pour évaluer sa qualité, certains critères variant d’un usage à l’autre. C’est le plus généralement dans une eau de rivière claire et propre, sans déchets et sans odeurs, sans trop d’algues et de poissons que les baigneurs aiment s’immerger, nager ou barboter. Tout comme pour l’eau destinée à la consommation humaine, d’autres paramètres sont cependant à prendre en considération pour éviter tout risque sanitaire, qu’ils soient cutanés, liés à l’inhalation ou à l’ingestion, car toute pollution n’est pas toujours perceptible lors de la pratique de la baignade. Ainsi, les effets des précipitations et des variations de température, les pollutions (chimiques, microbiologiques…) et autres déversements d’eaux usées ou effluents dans les cours d’eau ne sont pas toujours perceptibles ni connus alors qu’ils ont un impact direct sur l’évolution de la qualité du milieu aquatique à court, moyen et long terme.

104Par exemple, l’intense activité industrielle à Ivry-sur-Seine à la fin du xixsiècle laisse imaginer que la qualité de la Seine ne pouvait pas être des meilleures, à en croire la description qu’en fait le médecin Léon Colin en 1885 : « Ivry compte 141 établissements classés dangereux, insalubres ou incommodes selon la législation en vigueur, venant en troisième position de la région ». Il faut attendre la fin du siècle pour que l’État interdise le rejet direct des eaux d’égout. À partir de cette époque, le réseau reçoit également les matières excrémentielles, auparavant collectées dans les fosses d’aisances (dont les vidanges étaient transportées puis transformées en engrais dans des usines unanimement dénoncées pour leur insalubrité, comme celle de Maisons-Alfort/Alfortville). L’évolution est rendue possible par le tout-à-l’égout. Notons que c’est aussi à Port à l’Anglais que de l’eau est prélevée pour l’alimentation en eau de la capitale et que des activités de baignade se perpétuent au fil des années avant d’être plus encadrées.

105Le suivi de la qualité microbiologique de la Seine a été réalisé par l’observatoire de Montsouris depuis 1889 jusqu’en 1970 (voir article « La Seine sous surveillance ») puis par le laboratoire de surveillance des eaux de la ville de Paris. Des normes ont été édictées, fixant des niveaux de concentration en bactéries fécales (coliformes totaux et coliformes fécaux) à ne pas excéder. En 1973, les normes françaises pour les coliformes fécaux indiquaient une limite impérative de 2000 pour 100 mL (Ministère de la Protection de la Nature et de l’Environnement, 1973). À l’échelle européenne, la première norme sur la qualité des eaux de baignade a été édictée en décembre 1975 (Directive 76/160/CEE) ; elle indique que le percentile 95 des concentrations en coliformes fécaux mesurées durant une saison balnéaire en une station ne doit pas excéder une valeur de 2 000 par 100 mL pour que la zone puisse être considérée comme compatible avec la baignade. Dans la nouvelle directive adoptée par l’Union européenne en 2006 applicable avant 2015 (tableau 2-4), ce sont les E. coli et entérocoques intestinaux qui sont considérés comme paramètres normatifs de la qualité microbiologique. Les résultats d’études épidémiologiques ont montré que ces deux paramètres étaient les mieux corrélés aux risques sanitaires. Cette norme s’applique « à toute partie des eaux de surface dans laquelle l’autorité compétente s’attend à ce qu’un grand nombre de personnes se baignent et dans laquelle elle n’a pas interdit ou déconseillé la baignade de façon permanente ». Les niveaux de qualité microbiologique fixés par cette norme sont issus de la compilation d’une série d’études épidémiologiques qui permettent de faire le lien entre l’exposition à un facteur donné (dans le cas de la baignade, il s’agit des concentrations en BIF dans la zone concernée) et l’incidence d’infections dues à cette exposition.

Tableau 2-4. Qualité des eaux de baignade en eaux douces (Directive 2006/7/CE du Parlement européen et du Conseil du 15 février 2006).

Excellente qualité

Bonne qualité

Qualité suffisante

Escherichia coli (E. coli)

500/100 mL (a)

1 000/100 mL (a)

900/100 mL (b)

Entérocoques intestinaux (EI)

200/100 mL (a)

400/100 mL (a)

330/100 mL (b)

(a) Évaluation au percentile 95 ; (b) évaluation au percentile 90. Les percentiles sont calculés sur les résultats analytiques de quatre saisons balnéaires.

Qualité microbiologique de la Seine en région parisienne

106La qualité microbiologique de la Seine en région parisienne est suivie depuis la fin du xixsiècle. La figure 2-13 présente l’évolution de l’abondance en BIF dans la Seine en amont de Paris. Même s’il convient d’être prudent dans la comparaison de mesures effectuées sur une période d’un siècle avec des méthodes qui ont évolué au cours du temps, on constate une dégradation de la qualité microbiologique du début du siècle jusqu’à la moitié des années 1980. La période où la qualité se dégrade le plus est celle comprise entre les années 1950 et 1980. Ceci est à mettre en relation avec, d’une part, une augmentation importante de la population urbaine à l’amont de Paris et, d’autre part des stations d’épuration des eaux usées domestiques qui tardent à se mettre en place (Servais et al., 2007). Au tournant des années 1980, on constate une amélioration très significative de la qualité microbiologique puisque les teneurs moyennes annuelles en coliformes fécaux ont diminué d’un facteur 100 entre 1985 et aujourd’hui à la prise d’eau de l’usine de production d’eau potable de Choisy-le-Roi. Cette amélioration est à mettre en relation avec l’installation de plus en plus généralisée de stations d’épuration gérées par le SIAAP, puis l’amélioration de leur niveau de traitement. Cette amélioration de la qualité microbiologique en Seine au cours des vingt dernières années à l’amont de Paris est également constatée à l’aval de Paris pour les mêmes raisons.

Figure 2-13. Moyennes annuelles de l’abondance en coliformes fécaux dans la Seine en amont de Paris.

Figure 2-13.             Moyennes annuelles de l’abondance en coliformes fécaux dans la             Seine en amont de Paris.

En ronds gris : mesures effectuées à Ivry-sur-Seine (données Eau de Paris), soit à 2,5 kilomètres en amont de l’entrée de la Seine dans Paris. En triangles noirs : mesures effectuées à Choisy-le-Roi (données Sedif), soit quelques kilomètres en amont d’Ivry-sur-Seine.

© Pierre Servais

107Afin d’évaluer si la qualité microbiologique des eaux de la Seine et de la Marne en amont de Paris était compatible avec la baignade, nous avons calculé les valeurs des percentiles 90 des énumérations de E. coli réalisées en période de baignade (de début juin à fin septembre) sur quatre années (2008 à 2011) par le Sedif aux prises d’eau potable de Choisy-le-Roi et Neuilly-sur-Marne. Ces calculs réalisés, tels que prescrits par la norme reprise au tableau 2-4, donnent des valeurs de percentile 90 de 1 633 E. coli/100 mL et de 2 667 E. coli/100 mL. Ces valeurs sont supérieures à celles maximales acceptables pour une qualité microbiologique suffisante pour que la zone puisse être considérée comme compatible à des activités de baignade. En fait, l’analyse des données montre que dans de nombreuses situations échantillonnées la qualité en ces deux stations est bonne, mais la fréquence où une qualité dégradée est observée est trop importante pour atteindre le niveau exigé par la norme 2006 de qualité des eaux de baignade. Ces situations de qualité microbiologique dégradée résultent plus que vraisemblablement de l’impact par temps de pluie des surverses de réseaux unitaires localisées en amont des stations analysées. Diverses études, menées plus en aval sur la Seine, ont clairement mis en évidence l’importance de la dégradation de la qualité microbiologique des eaux de la rivière à la suite de ces surverses de réseaux unitaires (Goncalvez et al., 2009 ; Passerat et al., 2011 ; Servais et al., 2011).

Reconquérir la qualité de l’eau pour pratiquer la baignade en Marne

108Soucieux de reconquérir les eaux de rivières et de réhabiliter des usages comme la baignade, interdite à cause de la mauvaise qualité de « leur » cours d’eau, des citoyens s’impliquent, sensibilisent et manifestent lors d’événements festifs. Par exemple, le syndicat Marne vive est particulièrement impliqué dans cette démarche et associé depuis 2005 à l’événement Big Jump organisé dans toute l’Europe par l’association River Network. À l’occasion de la journée européenne de la baignade en rivières et en lacs, les citoyens sont invités à plonger le même jour et à la même heure dans leurs fleuves et rivières. Ce n’est que de façon symbolique que les amis de Marne vive font ce plongeon, la qualité des eaux de la Marne, à hauteur de la ville de Saint-Maur-des-Fossés sur le site du Beach au pont de Chennevières, ne le permettant pas, non seulement car la baignade dans la Marne est interdite depuis 1970 par arrêté préfectoral, mais surtout parce que les résultats d’analyse au regard de la réglementation de 2006 sont insuffisants. Ce déclassement est dû, comme pour la Seine, aux déversements d’eaux usées par temps de pluie.

109Les perceptions de la qualité de l’eau du fleuve et de ses rives se différencient selon les lieux et l’attractivité qu’ils suscitent. La renommée de certains lieux est construite sur des activités attrayantes et populaires. L’appropriation et l’occupation des rives par différents groupes sociaux, adeptes de la promenade sur le bord de l’eau, du canotage, de la pêche et encore de la baignade, favorisent une affectation utilitaire des rives, confortée par des aménagements et le développement d’une organisation sociale caractéristique. Les singularités hydromorphologiques de la Seine et de la Marne, notamment dans la partie amont de la capitale, la nature des formations végétales (ripisylves), tout comme le degré d’occupation des berges, participent à la construction des perceptions de la qualité du milieu et de l’envie de s’y plonger ou non.

Se baigner en eau vive entre nature, barges et usines

110À partir du xviisiècle, les Parisiens sont nombreux à se baigner dans la Seine, les canaux ou la Marne, mêlant un souci d’hygiène au plaisir rafraîchissant de l’eau pendant les périodes de canicule (Duhau, 2011). Le développement de la batellerie et l’installation sur les berges d’entrepôts ou d’usines au xixsiècle ne semblent pas modifier ces comportements de « baignade sauvage » qui font si peur aux autorités, comme dans les espaces très industrialisés des faubourgs du nord de la capitale, le long du bassin de la Villette. En 1822, un rapport du gestionnaire du canal signale la présence de 150 baigneurs qui ont menacé et insulté les gardes (Backouche, 2010). En 1877, Durand-Claye note que « Tous les ans depuis un temps immémorial, cette partie des canaux (le bassin) est pendant la saison d’été envahie par la foule des ouvriers du voisinage et dont le nombre s’élève parfois à 500 ou 600 même plus encore » (cité dans Backouche, 2010).

Figures 2-14 et 2-15. À gauche, baignade sauvage dans la Marne à Champigny en 1909. À droite, plage de Port à l’Anglais à Vitry-sur-Seine en 1902.

Figures 2-14 et           2-15. À gauche, baignade sauvage dans la Marne à Champigny en 1909.           À droite, plage de Port à l’Anglais à Vitry-sur-Seine en 1902.

© Collection Jean-Paul Haghe (à gauche) - Source : musée de l’Île-de-France, Sceaux (à droite)

111Toutefois, le cadre de vie urbain et industriel devient insupportable pour certains et, à partir du milieu du xixsiècle, les habitants de Paris qui veulent se ressourcer ou faire la fête s’offrent des « parties de campagne » sur les bords de Seine et de Marne, notamment dans la banlieue parisienne (Csergo, 2004). Au xixsiècle, les tramways et autres trains de banlieues facilitent l’accès aux environs de la capitale et aux espaces récréatifs pour les classes populaires tout comme les familles bourgeoises qui apprécient un déjeuner sur l’herbe, une promenade, une partie de pêche, un peu de canotage. Le plaisir de la baignade, qui s’est toujours pratiqué dans l’une ou l’autre rivière, prend alors tout son sens dans ces espaces improvisés et appropriés par les baigneurs, entre crique naturelle et banc de sable, comme à Joinville-le-Pont ou Champigny (figure 2-14). Plus tard, les communes franciliennes aménagent progressivement les berges jusqu’à créer des plages et les infrastructures permettant d’accueillir, non seulement les baigneurs, mais également des canotiers, des promeneurs… souvent venus de la capitale pour une « partie de campagne » dominicale (Duhau, 2011).

Joinville-le-Pont, de la partie de campagne à la partie de baignade

112Durant la seconde moitié du xixsiècle, Joinville-le-Pont devient un haut lieu des activités aquatiques sportives. La reconnaissance de la natation au rang des sports doit beaucoup aux militaires qui ne ménagent pas leurs efforts tout au long de ce siècle pour la doter de méthodes et de normes. Sous la Restauration et la monarchie de Juillet, la hiérarchie militaire et les responsables de l’instruction publique s’intéressent à plusieurs reprises à la natation ; l’enseignement de la natation à l’armée doit se faire en rivière, faute d’équipement. En 1852, Laisné et le colonel d’Argy créent l’École normale militaire de gymnastique de Joinville où l’on pratique la natation dans la Marne à partir d’un ponton. Elle assurera pendant 80 ans la formation de moniteurs pour les écoles militaires, puis civiles.

113Outre le yachting, les berges de la Marne à Joinville vont devenir le cadre d’organisation des premières compétitions de natation et de plongeons de niveau national et international. Au début des années 1900, la fête des Ondines est celle qui attire le plus de participants et de spectateurs. Dès lors, les établissements au bord de la Marne se multiplient afin de répondre à la demande d’une pratique sportive naissante : écoles de natation, tremplins et bassins aménagés. Ainsi en 1880, la baignade du Banc de Sable de Joinville-le-Pont n’est d’abord qu’une petite crique naturelle qui sera peu à peu aménagée par ses propriétaires : gradins en arc de cercle du côté du rivage, fermeture du bassin par une digue du côté de la rivière, délimitation des bains par des bouées (Duhau, 2007). À la belle saison, tous les dimanches, des milliers de Parisiens et de banlieusards vont s’immerger sans aucune appréhension dans les eaux de la Marne. Toutes les formes de baignades coexistent même les plus « sauvages » comme le raconte François Cavanna, dans ses souvenirs (Les Ritals, 1979) :

« En semaine, le jeudi ou pendant les vacances, la Marne est à nous, les nez sales. On plonge dès qu’on voit une péniche qui se pointe au tournant, on nage à fond de train pour agripper le petit canot de sauvetage qui est accroché derrière […] ou des fois on se faufile à l’USM, le club sportif où les mecs barbotent dans leurs trente-trois mètres sous surveillance, pas le droit de s’éloigner, sifflet. On se glisse parmi ces cons branques, c’est le tremplin qui nous intéresse, on se paie des périlleux avant, des sauts de l’ange, pas spécialement impec mais on se marre ».

114Ces pratiques sont interdites à la fin de l’été 1970 par l’arrêté préfectoral d’interdiction de baignade en Marne du 31 juillet 1970, en raison de la mauvaise qualité de l’eau.

Baignade populaire à Port à l’Anglais

115Au Port à l’Anglais, la baignade en eau vive est pratiquée dès le xviisiècle comme l’illustre une gravure représentant des baigneurs au milieu d’une nature luxuriante. Plus tard, à partir de l’entre-deux-guerres, dans la région francilienne notamment, les rivages sont peu à peu aménagés intégrant des plages et des lieux de baignades afin de satisfaire le besoin récréatif des populations locales. Dans les années 1930, les maires de Vitry-sur-Seine et d’Ivry-sur-Seine décident d’aménager « La Baignade » alors considérée comme une grande innovation (Association du quartier de Port à l’Anglais, 2010). Aménagée avec une plage de sable et des cabines, une buvette, La Baignade dont l’accès est payant offre un nouvel espace récréatif organisé pour accueillir des baigneurs jusqu’en 1967, date à laquelle un incendie brûle les installations. La Baignade était reconnue comme un lieu privilégié de sociabilité et de détente pour les travailleurs d’une des premières zones industrielles de la région. Cette plage a aussi fait la joie des Parisiens cherchant à s’évader de la vie de la capitale en empruntant le train construit dans les années 1920. À l’époque, la gare de Vitry-sur-Seine était particulièrement animée par le flux de marchandises et de voyageurs qu’elle drainait.

116Le petit écrin de nature qui faisait de Port à l’Anglais un lieu idyllique pour les baigneurs au xviie a progressivement été remplacé par une forêt de cheminées au panache abondant (figure 2-15). Une forte activité industrielle s’est développée sur les communes de Vitry-sur-Seine, Ivry et Alfortville dès la moitié du xixsiècle. Un gazomètre est construit sur la rive gauche de la Seine à hauteur d’Ivry (1837) puis les hautes cheminées de nouvelles usines s’élèvent, bénéficiant du développement de l’activité portuaire. Ainsi, on compte Rhône-Poulenc (1864), une briqueterie (1868) deux usines thermiques, deux centrales qui fournissent l’électricité pour le tramway (1890 et 1907), une centrale électrique à charbon (1931), une brasserie transformée ensuite en papeterie, une usine de toile cirée, une fabrique parisienne de cotons, la papeterie Leconte. Sur l’autre rive, du côté de la commune d’Alfortville, l’activité industrielle se développe aussi, avec la construction d’un gazomètre (Usine d’Alfortville, 1863), une centrale gazière (1951-1954) reconnaissables à leurs grandes cheminées qui créent la verticalité sur les rives de la Seine (Association du quartier de Port à l’Anglais, 2010). La Seine devient alors le réceptacle de nombreux effluents qui contribuent à la pollution des eaux du fleuve, notamment l’écoulement des eaux des usines, la construction de collecteurs et de canalisations dans l’agglomération étant encore insuffisante.

117Pour Léon Colin, les analyses de la qualité de l’eau ne sont pas toujours réjouissantes. Ce qu’il l’explique en 1885 dans le chapitre III de son ouvrage, Eaux consacrées aux services publics et privés, en s’appuyant entre autres sur la synthèse des analyses de Poggiale réalisées de 1852 à 1855 au pont d’Ivry :

« Ce qui est vrai, au moins actuellement, c’est que l’infection commence à partir de Choisy, surtout à cause de l’usine à engrais de Maisons-Alfort. Plusieurs communes, Choisy, Port à l’Anglais, Alfortville, se peuplent et se remplissent de plus en plus de maisons et d’ateliers qui inondent la Seine de leurs déjections de 50 égouts ; et cependant il y a là deux prises d’eau de première importance : Choisy pour la distribution de la banlieue, Ivry pour la nouvelle distribution dans Paris. »

118En ce début de xxisiècle, le déclin des activités industrielles conduit à des projets de réhabilitation de la baignade du Port à l’Anglais. Dans l’enquête publique du plan d’urbanisme de Vitry-sur-Seine, des élus du mouvement des verts insistent sur la nécessité de favoriser un accès à la Seine : « Le réaménagement de la plage du Port à l’Anglais est ainsi souhaitable avec un libre accès à tous, de même que le ponton de l’ancienne centrale permettant l’amarrage de bateau bus, de péniche restaurant. » Si la baignade n’est pas encore d’actualité, elle est toujours dans la mémoire des habitants et désigne même le nom d’une rue « rue de la Baignade » au droit de l’ancien site de la plage.

Une politique d’interdiction du libre accès aux eaux vives à Paris

119La baignade en rivière est une activité aquatique vieille comme le monde qui n’est pas spécifiquement urbaine. Elle est pratiquée tant pour des raisons hygiéniques que ludiques et symboliques, et évolue progressivement à travers les âges au rythme de la modernité, selon les organisations sociales et l’évolution de la morale.

La baignade sauvage dans la Seine à Paris

120À partir du début du xviiisiècle les édiles municipaux parisiens mettent en place un contrôle administratif strict des baignades en eau vive dans la capitale. En effet les baignades sauvages qui se développent le long des berges paraissent être attentatoires à l’ordre public. Pourtant ces pratiques aquatiques semblent satisfaire les classes les plus populaires qui, surtout au moment des canicules d’été, voient dans les eaux de la Seine un élément de leur bien-être pour se laver et se rafraîchir. Ainsi, en amont de Paris, à la porte Saint-Bernard où « Les hommes s’y baignent au pied pendant les chaleurs de la canicule ; on les voit de fort près se jeter dans l’eau, on les en voit sortir, c’est un amusement » comme l’indique La Bruyère dans Les Caractères.

Figures 2-16 et 2-17. À gauche, baignade sauvage dans la Seine, quai d’Austerlitz en 1902. À droite, « File… file… Mœllon ! Vla le municipal ! Hue donc en vla encore des chauds ! Faute de quatre sous, on ne peut pas se laver… le nez… c’est gentil, c’est du propre ! (...) », Honorée Daumier, « Les Baigneurs », Le Charivari, 23 juin 1839.

Figures 2-16             et 2-17. À gauche, baignade sauvage dans la Seine, quai             d’Austerlitz en 1902. À droite, « File… file… Mœllon ! Vla le             municipal ! Hue donc en vla encore des chauds ! Faute de quatre             sous, on ne peut pas se laver… le nez… c’est gentil, c’est du             propre ! (...) », Honorée Daumier, « Les Baigneurs », Le Charivari,             23 juin 1839.

© Collection Jean-Paul Haghe

121La baignade sauvage dans la Seine demeurera la règle pour les classes populaires, malgré la réglementation et les procès-verbaux, et ce jusqu’aux années 1930, qui voient le développement d’une alternative avec les bains et piscines municipaux. Nulle suspicion en ce qui concerne la qualité des eaux n’apparaît chez ces baigneurs qui semblent goûter avec délectation à la fois l’interdit et les sensations aquatiques. Il semble même paradoxal que la Conquête de l’eau (Goubert, 1986), c’est-à-dire le désir croissant qui se développe à la fin du xixsiècle d’utiliser l’eau pour l’hygiène du corps, pousse une partie d’entre eux, qui n’ont pas les moyens de fréquenter les « bains à quatre sous », à s’immerger dans une eau de Seine intrinsèquement très polluée, voire dangereuse pour leur santé.

Des bateaux à bains alimentés en eau brute de Seine

122À la fin du xviiisiècle, un nombre croissant de bateaux à bains s’amarrent aux rives de la Seine, permettant à chacun de prendre un bain dans une baignoire percée installée loin des regards indiscrets (Duhau, 2011). Cette initiative est un bon moyen de normalisation et de contrôle de l’usage des eaux vives de la Seine pour la baignade, qui passera par la privatisation et la mise en place de dispositifs d’accès spécifiques. Ils doivent permettent de s’ébattre à l’abri des regards et d’éviter toute promiscuité sociale ou sexuelle. Ils sont gérés par des entrepreneurs privés et la séparation entre classes sociales est la règle (Lombardo, 2011). Les moins chers, les bains dits « à quatre sous », étaient les plus sommairement aménagés. Selon Eugène Briffault, le spectacle y est peu ragoûtant : « imaginez une bande de démons, noirs de charbon et de fumée plongeant dans un bain qu’un seul instant rend épais et fangeux » (Briffault, 1844). Dans cette description, la critique ne porte pas sur la qualité de l’eau brute de la Seine qui alimente sans filtration l’établissement, mais sur la présence de certaines personnes peu scrupuleuses ; le regard du chroniqueur attribue la mauvaise qualité de l’eau à son contact avec des individus d’une autre appartenance sociale.

123Les plus sophistiqués des bateaux à bains proposaient de nombreux services comme une cabine privée ou de l’eau chaude et des services divers : restaurant, salon de massage, coiffeur… À partir des années 1820 certains d’entre eux aménageront des bassins de natation et proposeront des cours. Tous s’approvisionnent en eau directement dans la Seine sans dispositifs de filtration. Comparant le bateau de natation de l’école Petit, située à la pointe de l’île Saint-Louis en amont de la capitale et l’école de Deligny (beaucoup plus luxueuse) située quai d’Orsay, Briffault constate que l’eau de l’île Saint-Louis est « pure, claire et salubre car elle n’a pas encore traversé le cloaque parisien » alors que l’eau d’Orsay est « sale, trouble, souvent fétide et malsaine car elle a déjà roulé les immondices de la grande ville ». Mais cette situation ne porte pas préjudice à la notoriété des bains Deligny qui sont « opulents et majestueux ». Le chroniqueur note toutefois que les jours de fortes pluies, les bassins de Deligny deviennent vaseux et « qu’il est alors difficile de nager longtemps dans ces eaux sans avoir la poitrine souillée d’un dépôt boueux et les oreilles embarrassées » (Briffault, 1844).

Un contrôle social plus qu’une question de salubrité publique…

124Dès le début du xviiisiècle, l’occupation des berges et les usages de la Seine sont régulés. Une sentence du 5 juin 1711 portait ainsi « défenses à toute personne de se baigner dans le bras d’eau de la rivière de Seine depuis le pont de l’Hôtel-Dieu, jusqu’à celui appelé le Petit Pont, à peine de 20 L. d’amende. » La même interdiction fut réitérée en 1724, 1737, 1738 (Pardailhe-Galabrun, 1983). C’est essentiellement pour des raisons de morale que sont posées ces interdictions suite aux comportements excessifs de certains baigneurs s’exposant nus sans aucune pudeur sur les quais, ou même à proximité de l’Hôtel-Dieu où des religieuses développaient des activités de lavage sur les bords de Seine. En plus du souci de préserver les mœurs, d’autres raisons motivent les interdictions de se baigner dans la Seine. Une ordonnance de police datant du 28 juin 1726 précise : « il est interdit aux porteurs d’eau de puiser l’eau pendant l’été depuis les Grands degrés jusqu’au pont Neuf et depuis le port Saint-Paul jusqu’au quai de l’École (…) et à toutes personnes de se baigner dans cette étendue de la rivière, à peine de quatre cents Livres d’amende ».. Isabelle Backouche considère que c’est à partir de cette époque jusqu’à la première moitié du xixsiècle que la ville tend à rejeter à sa périphérie toutes les activités susceptibles d’encombrer les berges et de nuire au trafic fluvial (Backouche, 2000). Ainsi, les bateaux bains tout comme la baignade sauvage sont proscrits au cœur de la Cité.

125Selon Teysseire et al. (2013), la réglementation de la baignade en Seine peut être divisée chronologiquement en trois périodes. La première correspond au xviiisiècle. La baignade est autorisée à Paris, mais se voit cantonnée à certains lieux choisis dans l’intention principale de veiller au respect des bonnes mœurs. Les périodes de baignades sont également réglementées dans un souci sanitaire, pour protéger l’alimentation en eau brute de boisson des Parisiens (pendant l’été), par d’autres textes de la même époque. La seconde période constitue une période de transition durant laquelle la baignade devient strictement interdite à Paris en 1867, mais continue à être tolérée dans la banlieue. Le non-respect des bonnes mœurs ainsi que les conflits d’usage avec la navigation entraînent l’interdiction de se baigner dans l’ensemble du département de la Seine dès 1923, à l’exception toutefois de certains lieux autorisés par la Préfecture de police. La dernière période débute au milieu du xxsiècle. On observe alors des fermetures répétées des espaces de baignade du fait des épisodes de pollution. La baignade est complètement interdite dans la Marne en 1970 par arrêté préfectoral. Il faudra cependant atteindre 2003 pour qu’elle le soit également dans la Seine dans les limites du département du Val-de-Marne.

126Cette régulation juridique et administrative ne semble pas toujours respectée, la pratique de la baignade sauvage dans la Seine et la Marne persistera jusqu’à la fin des années 1960, période qui constitue un basculement dans la perception populaire du risque sanitaire lié à la baignade en eau vive. Par exemple, malgré l’interdiction de se baigner dans la Seine à Paris (1923), des centaines de personnes continuent de s’y aventurer, par méconnaissance ou par bravade de l’interdiction, comme l’illustre une photo datée d’août 1945 montrant les berges couvertes de monde et de nageurs se baignant au niveau du pont d’Iéna.

127Ainsi, la régulation de la baignade commence par le contrôle des « bonnes mœurs », de la moralité publique et des pratiques sociales liées aux activités et là la fréquentation des berges. Ce n’est qu’à partir du xxsiècle que le risque sanitaire est pris en considération, à la suite de la mise en évidence de nombreuses pollutions des eaux de la Marne et de la Seine, accentuée par l’intensification des activités industrielles et urbaines, vers Port à l’Anglais à la fin du xixsiècle et au début du xxsiècle notamment. Cela conduit à la régulation progressive des pratiques de baignade, par ailleurs peu compatibles avec les activités portuaires et la densité du trafic fluvial qui, aujourd’hui, s’accentue.

Les avatars de la traversée de Paris à la nage

128Nager en eau libre dans la Seine a attiré de nombreux champions dès le début du xxsiècle. Avec ou sans palmes, la « traversée de Paris » a attiré des sportifs de plus en plus nombreux, qu’ils soient champions ou amateurs, à l’occasion de la célèbre course mythique, ou pour faire un exploit et défendre une cause particulière.

129Une expérience de nage en eau vive entre deux péniches dans le canal Saint-Martin en 1903 a donné naissance à la première édition de la traversée de Paris à la nage qui a eu lieu le 10 septembre 1905. Année après année, la traversée de Paris à la nage, l’épreuve reine de la Fédération française de natation, devient une institution de renommée internationale, organisée tous les ans, et parfois deux fois par an, jusqu’en 1936 sous le patronage du journal Le Petit Parisien. L’enthousiasme des années folles a mobilisé parfois près d’un million de spectateurs autour de cette fête devenue « fête de la Seine ». La dernière course aurait eu lieu en 1944 avant de ne revoir le jour que lors de sa dernière édition en 2000. Le spectacle offert par les jeux aquatiques qui accompagnaient la traversée de Paris à la nage, et l’épreuve sportive elle-même, a exercé un rôle non négligeable dans la perception positive de la qualité des eaux du fleuve pour les milliers de Parisiens amassés sur les quais.

130Si la traversée à la nage s’est interrompue à l’après-guerre, la traversée de Paris en nage avec palmes a été inaugurée en 1966, renouvelée tous les ans jusqu’en 1992. Se déroulant le plus souvent au 1er mai, elle menait les nageurs du pont d’Austerlitz au pont d’Iéna sur 7 400 mètres. Il est cependant intéressant de noter qu’en période de crues, en 1983 et en 1986, elle a eu lieu dans le bassin de l’Arsenal, et que pour des raisons de mauvaise qualité d’eau de 1975 à 1978 et de 1990 à 1992, elle a été organisée sur le plan d’eau de Choisy-le-Roi. La dernière édition de la traversée de Paris à la palme a eu lieu mi-septembre 2011. Une participante à l’une de ces courses raconte, « L’eau est propre, sur le bord il y a près de deux mètres de visibilité. Comparé aux courses que j’ai pu faire avant, ça s’est beaucoup amélioré. Je pense que les stations d’épuration et l’amélioration des lessives y sont pour beaucoup. »

  • 5 http://www.unmondedaventures.fr/la-traversee-de-paris-a-la-nage/#.T6TGb8cBL2g.facebook

131Plus récemment, c’est pour l’épreuve de nage du triathlon de Paris que les derniers nageurs se sont jetés dans la Seine début juillet, de 2010 à 2012, pour un parcours les menant symboliquement jusqu’au pied de la tour Eiffel. Ces événements sportifs de haut niveau sont un moyen pour les partenaires qui s’y associent, la ville de Paris, le SIAAP, Eau de Paris ou encore la Lyonnaise des eaux, de contribuer à la revalorisation de la qualité des eaux de la Seine. La course élite du 7 juillet 2012 étant dénommée Élite du grand prix Lyonnaise des eaux. Cependant, il semble que cela ne suffise pas. En effet, le 2 septembre 2012, l’épreuve de natation en eau vive, organisée par la Fédération française de natation qui devait renouer avec cette course mythique du xxsiècle, qui n’avait pas eu lieu depuis plus de 60 ans, a été annulée par la préfecture de Paris, tout comme celle organisée deux semaines plus tard par la Fédération française de sports sous-marins pour une traversée de Paris à la palme. « Au-delà d’être un événement sportif historique, pour les athlètes et les nageurs du monde entier, l’objectif de cette manifestation est que les Parisiens puissent se rapproprier leur fleuve, et faire prendre conscience au plus grand nombre que d’énormes progrès ont été réalisés depuis plus de 30 ans pour améliorer la qualité de l’eau de la Seine. Grâce à une politique environnementale entreprise par la ville de Paris, aujourd’hui la Seine est propre. Il en tient à chacun de nous de la conserver et d’améliorer la qualité de son eau. »5 L’incompréhension et la déception de nombreux candidats à cet événement exceptionnel sont avivées par des résultats d’analyses de la qualité de l’eau de la Seine qui assurent la non-contre-indication de la baignade « Baignade de qualité conforme aux valeurs guide du décret 2008-990 du 18 septembre 2008 pour les paramètres recherchés » selon le rapport d’essai du 14 août 2012. La raison principale qui a motivé cette décision de la préfecture semble être l’insuffisance des mesures de sécurité prévue par l’association organisatrice, la préfecture s’étant appuyée sur l’avis de l’agence régionale de santé pour interdire la manifestation, « l’eau de la Seine, malgré une nette amélioration, restait manifestement de qualité insuffisante pour la pratique de la baignade ».

  • 6 La non autorisation de se baigner, de nager dans la Seine semble être une position de p (...)
  • 7 « La position de la préfecture concernant « Paris à la nage » doit désormais être consi (...)

132En plus des mesures de précautions liées à des questions sanitaires, l’interdiction de se baigner dans la Seine à Paris intra-muros semble reposer sur plusieurs autres raisons : des questions de sécurité, compte tenu d’un trafic fluvial particulièrement important sur le fleuve — on dénombre chaque jour 500 rotations de péniches, bateaux-mouches, Batobus ou embarcations privées — ; des questions économiques — l’interdiction de naviguer sur la Seine pendant de trop longues périodes durant la journée risque de nuire aux activités touristiques, la pratique de la baignade n’est pas compatible avec cet usage du fleuve — ; des questions de logistique et de gestion des activités de la Brigade fluviale. La multiplication des demandes6 d’organisations d’activités aquatiques sur la Seine à Paris conduit probablement aussi les autorités à la prudence du fait de leurs responsabilités7.

Conclusions

133Durant les xixe et xxsiècles, nombreuses sont les personnes qui se sont baignées dans la Seine en s’adonnant à de multiples plaisirs, des plus ludiques et rafraîchissants à l’apprentissage de la nage jusqu’à la compétition, sans pour autant être inquiétées par la qualité de l’eau. Aujourd’hui, nombreux sont ceux qui aimeraient s’y plonger, mais qui se soumettent à la décision des autorités publiques interdisant cette pratique en milieu urbain, et ce pour de multiples raisons. La qualité bactériologique de l’eau est devenue une des raisons principales de cette interdiction. Finalement, l’analyse de l’évolution de la qualité de l’eau de la Seine et de la question de sa compatibilité avec la pratique de la baignade en eau libre semble mettre en évidence la prédominance de la valeur sociale de l’eau sur sa qualité. N’est-elle pas l’expression d’une cristallisation du lien entre la puissance symbolique d’un fleuve, ici la Seine, et les processus de normalisation de la société ?

Bibliographie

Références

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Annales de l’observatoire municipal de Paris dit observatoire de Montsouris (1900‑1935).

Annuaires de l’observatoire municipal de Paris dit observatoire de Montsouris (1876‑1899).

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Notes

1 Ces maillons de la chaîne sont aujourd’hui effectués dans trois ou quatre institutions différentes, mêlant les secteurs publics et privés et l’accessibilité aux résultats se révèle beaucoup difficile qu’il y a un siècle malgré l’informatisation des bases de données.

2 Guillerd était sous-chef du service de surveillance des eaux d'alimentation de Paris, son ouvrage est donc une référence particulièrement pertinente.

3 Les laboratoires d'Eau de Paris, établissement public chargé de l'alimentation en eau de la Ville de Paris, sont les héritiers d'une partie des différents laboratoires municipaux de la Ville de Paris.

4 Une seule station aura été installée, au Mont-Mesly, pour traiter les effluents de Maisons-Alfort et Alfortville.

5 http://www.unmondedaventures.fr/la-traversee-de-paris-a-la-nage/#.T6TGb8cBL2g.facebook

6 La non autorisation de se baigner, de nager dans la Seine semble être une position de principe pour faire face à la demande croissante d’autorisations à la Préfecture de Police ces derniers temps, selon Le Figaro La Seine ne sera pas un bassin de natation, par Aude Seres, le 24 aout 2012.

7 « La position de la préfecture concernant « Paris à la nage » doit désormais être considérée comme la position de principe pour les événements prévoyant des baignades en Seine » est-il précisé dans le communiqué de presse : Manifestation sportive « Paris à la nage », du 2 septembre 2012. Préfecture de Police, cabinet du préfet, Paris le 6 août 2012.

Table des illustrations

Titre Figure 2-1. Schéma général du bassin de la Seine avec indication de l’approvisionnement en eau de Paris, des barrages-réservoirs pour le soutien d’étiage et du point de prélèvement de la carotte sédimentaire (voir chapitre Intercomparaison).
Crédits © Michel Meybeck, Laurence Lestel et Aurélien Baro
URL http://books.openedition.org/quae/docannexe/image/27772/img-1.jpg
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Titre Figure 2-2. L’agglomération parisienne et ses eaux au tournant des xixe et xxsiècles (1875-1915).
Crédits © Michel Meybeck et Aurélien Baro
URL http://books.openedition.org/quae/docannexe/image/27772/img-2.jpg
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Titre Figure 2-3. Débit moyen de la Seine à Paris (station d’Austerlitz) au mois de juillet.
Crédits Source : Banque Hydro (www.hydro.eaufrance.fr )
URL http://books.openedition.org/quae/docannexe/image/27772/img-3.jpg
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Titre Figure 2-4. Types d’eaux surveillées par l’observatoire de Montsouris (1872-1915).
Crédits Sources : Annuaires et Annales - © Cyrielle Briand, Michel Meybeck
URL http://books.openedition.org/quae/docannexe/image/27772/img-4.jpg
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Titre Figure 2-5. Sélection de profils d’oxygène dissous estivaux, de l’amont à l’aval de Paris (PK 0) (1882-1906) réalisés par l’observatoire de Montsouris sur la base de relevés mensuels.
Crédits Sources : Annuaires et Annales - © Cyrielle Briand, Michel Meybeck
URL http://books.openedition.org/quae/docannexe/image/27772/img-5.jpg
Fichier image/jpeg, 75k
Titre Figure 2-6. Profils des formes d’azote en février et août 1903 (teneur en mgN/L) et de la concentration en oxygène dissous (mgO2/L).
Crédits Sources : Annuaires et Annale - © Cyrielle Briand, Michel Meybeck
URL http://books.openedition.org/quae/docannexe/image/27772/img-6.jpg
Fichier image/jpeg, 89k
Titre Figure 2-7. Schéma explicatif des simulations effectuées par le modèle Seneque.
Crédits © Catherine Carré et Jean-Marie Mouchel
URL http://books.openedition.org/quae/docannexe/image/27772/img-7.jpg
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Titre Figure 2-8. Le raccordement partiel des communes de banlieue sur le réseau d’égouts parisien à la fin des années 1920.
Crédits Sources : données INSEE, 1931 ; Rapport général d’assainissement, 1929 - © Catherine Carré et Aurélien Baro
URL http://books.openedition.org/quae/docannexe/image/27772/img-8.jpg
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Titre Figure 2-9. Les simulations de l’impact des rejets en juillet : une augmentation des pressions à l’amont et un pic de pollution à l’aval de Clichy entre 1891 et 1931.
Crédits © Jean-Marie Mouchel
URL http://books.openedition.org/quae/docannexe/image/27772/img-9.jpg
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Titre Figure 2-10. Concentrations en coliformes fécaux en période estivale au droit de la prise d’eau d’Ivry.
Légende Les barres grisées représentent l’enveloppe des résultats obtenus par le modèle Seneque au cours de la période estivale. Les variations observées sont essentiellement dues aux fluctuations du débit. Les cercles blancs sont les résultats des mesures instantanées réalisées à l’époque, mais corrigés du facteur 0,4 en log décimaux (voir texte). Les cercles noirs sont les moyennes des mesures estivales.
Crédits © Jean-Marie Mouchel
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Titre Figure 2-11. Valeurs moyennes, toutes données confondues, année après année, pour la matière organique (mesurée par oxydation au permanganate de potassium) et les bactéries.
Légende En blanc, les valeurs antérieures à 1910, en noir les valeurs postérieures (1910-1935).
Crédits © Jean-Marie Mouchel
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Titre Figure 2-12. La part de la banlieue dans la contamination du milieu, exprimée en nombre d’habitants déversant leurs eaux usées en rivière.
Légende À gauche, la part des rejets de la banlieue dans différents tronçons des grands cours d’eau de l’agglomération. À droite, les rejets en Seine des émissaires de la ville de Paris en regard du nombre d’habitants de banlieue dont les effluents (apports) alimentent le réseau parisien et du nombre d’habitants de banlieue dont les rejets vont directement en Seine.
Crédits © Jean-Marie Mouchel
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Titre Figure 2-13. Moyennes annuelles de l’abondance en coliformes fécaux dans la Seine en amont de Paris.
Légende En ronds gris : mesures effectuées à Ivry-sur-Seine (données Eau de Paris), soit à 2,5 kilomètres en amont de l’entrée de la Seine dans Paris. En triangles noirs : mesures effectuées à Choisy-le-Roi (données Sedif), soit quelques kilomètres en amont d’Ivry-sur-Seine.
Crédits © Pierre Servais
URL http://books.openedition.org/quae/docannexe/image/27772/img-13.jpg
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Titre Figures 2-14 et 2-15. À gauche, baignade sauvage dans la Marne à Champigny en 1909. À droite, plage de Port à l’Anglais à Vitry-sur-Seine en 1902.
Crédits © Collection Jean-Paul Haghe (à gauche) - Source : musée de l’Île-de-France, Sceaux (à droite)
URL http://books.openedition.org/quae/docannexe/image/27772/img-14.jpg
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Titre Figures 2-16 et 2-17. À gauche, baignade sauvage dans la Seine, quai d’Austerlitz en 1902. À droite, « File… file… Mœllon ! Vla le municipal ! Hue donc en vla encore des chauds ! Faute de quatre sous, on ne peut pas se laver… le nez… c’est gentil, c’est du propre ! (...) », Honorée Daumier, « Les Baigneurs », Le Charivari, 23 juin 1839.
Crédits © Collection Jean-Paul Haghe
URL http://books.openedition.org/quae/docannexe/image/27772/img-15.jpg
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