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L'arrestation

 | 
Pierre Prétou
, 
Frédéric Chauvaud

Troisième partie. Pratiquer l'arrestation

L’arrestation de Charles de Navarre à Rouen (5 avril 1356)

Xavier Pindard

Texte intégral

1L’arrestation de Charles de Navarre et de certains de ses proches par Jean le Bon lors du banquet de Rouen constitue un des temps forts du règne de ce roi (1350-1364). Cet événement qui frappe les contemporains ranime en effet la crise ouverte entre le roi de France et le parti navarrais, quelques semaines avant la défaite de Poitiers, et ouvre ainsi une période de grandes difficultés pour les Valois, culminant au cours de la terrible année 1358.

2Revenons d’abord sur les circonstances de l’événement. Depuis son avènement en 1350, Jean II le Bon doit composer avec Charles II, que la postérité appellera le Mauvais, roi de Navarre mais aussi comte d’Évreux. De plus, par sa mère, ce puissant prince est descendant des Capétiens directs et de Philippe le Bel, à la différence du Valois Jean II. La tension monte très rapidement entre les frères de Navarre, Charles, Philippe et Louis, d’un côté et Charles d’Espagne, connétable de France et favori du roi, de l’autre, au point que Charles de Navarre fait éliminer le connétable par ses hommes en janvier 1354 à l’Aigle. Malgré un pardon et une paix entre Jean II et Charles II, le Navarrais se rapproche du dauphin Charles et fomente un nouveau complot. Le dauphin devait quitter le royaume et se rendre chez l’empereur sans l’autorisation de son père : il se serait agi ni plus ni moins que de renverser le roi de France et de le remplacer par son fils. Mais Charles s’en ouvre à son père, le projet est éventé en décembre 1355 et les conjurés sont pardonnés. Pour rassurer son fils sur ses intentions à son égard, Jean le nomme alors duc de Normandie en janvier 1356. C’est dans ce contexte lourd de menaces que survient le banquet de Rouen.

  • 1 Pour un compte rendu précis des événements, se reporter aux deux biographies de référence de Charl (...)

3Ce jour-là, le 5 avril 1356, le nouveau duc a invité les plus grands seigneurs normands à sa table, dans la grande salle du château de Rouen. Sont présents certains des plus farouches opposants au roi, notamment Charles de Navarre et Louis d’Harcourt. C’est alors que le roi de France surgit en armes au beau milieu du repas, accompagné d’une troupe. Il fait arrêter les deux seigneurs et un certain nombre de leurs acolytes. On parle de trahison, sans donner plus de détails. Quatre hommes, dont Louis d’Harcourt, sont exécutés quasiment sur-le-champ, à la nuit tombée, par un bourreau improvisé. Le roi de Navarre en réchappe, mais reste tout de même en captivité de longs mois1.

  • 2 Nous nous référerons par la suite aux extraits suivants : Viard Jules et Déprez Eugène (éd.), Chro (...)

4Les nombreuses chroniques du temps ont toutes fait mention de cette arrestation, dans des descriptions plus ou moins riches. Les plus importantes sont les suivantes : d’abord, la chronique du chanoine liégeois Jean le Bel, et celle de Jean Froissart, qui s’inspire de Jean le Bel, tout en étoffant la narration par des détails de son cru. Ensuite, les Grandes Chroniques, attribuées au chancelier Pierre d’Orgemont, et qui émanent donc de l’entourage royal. La chronique latine attribuée au carme parisien Jean de Venette, contemporain des faits, est elle aussi d’un apport précieux. Enfin, mentionnons trois chroniques normandes : la Chronique des Quatre Premiers Valois, écrite vraisemblablement par un clerc normand de la fin du XIVe siècle, qui fournit de nombreuses informations inédites, une chronique anonyme du XIVe siècle et celle de Pierre Cochon, écrite plus tard au XVe siècle. Si elles fournissent des informations différentes et d’inégale valeur, elles prouvent aussi le retentissement et la mémoire de l’événement en Normandie2.

Un coup de filet parfaitement mené

  • 3 Chronique dite de Jean de Venette, op. cit., p. 135.
  • 4 Chronique des Quatre Premiers Valois, op. cit., p. 37.

5L’examen de ce dossier montre tout d’abord que l’arrestation de Charles de Navarre à Rouen apparaît comme un événement choquant, et à bien des égards inexplicables. Toutes les chroniques décrivent de la même manière l’intervention du roi de France : une incursion inattendue et brutale dans la grande salle du château de Rouen, où les seigneurs normands sont attablés avec son fils le duc, accompagné d’une forte troupe de gens en armes. L’effet de surprise est complet et les convives ne peuvent rien faire d’autre que de tenter de s’enfuir pour certains : Jean de Venette par exemple évoque ainsi l’entrée subite et inattendue (« inopinate et subito ») du roi, la stupeur des convives (« omnes in stuporem ») et la fuite de certains d’entre eux3. De même, dans la Chronique des Quatre Premiers Valois, le chancelier de Navarre qui a fui le banquet à temps rapporte comment « le roy Jehan estoit soudainement venu et entré eu chastel de Rouen4 ».

  • 5 Chronique normande de Pierre Cochon, op. cit., p. 83 ; Froissart Jean, Chroniques…, op. cit., p. 1 (...)

6Si Jean de Venette est celui qui dépeint le mieux la surprise et la peur qui s’emparent des convives, les autres chroniques relèvent quant à elles le caractère précipité de l’action du roi de France, qui accourt à Rouen dès qu’il apprend la présence de Charles de Navarre. Pierre Cochon indique que le roi partit « soudainement » vers Rouen, quand Froissart indique qu’il chevauche deux jours d’affilée5.

  • 6 Chronique des Quatre Premiers Valois, op. cit., p. 36. Jean de Venette évoque également la porte d (...)
  • 7 Chronique des règnes de Jean II et Charles V, op. cit., p. 63.

7Pour ajouter à l’effet de surprise, Jean II approche du château de Rouen dans la plus grande discrétion. En effet, il ne passe pas par la ville elle-même, pour ne pas attirer l’attention, mais se rend directement au château de Rouen accolé à la muraille. Il « entra au chastel par la porte des champs6 », « sanz entrer en la ville7 ». À ce titre, l’opération de police de Jean le Bon est une réussite, qui prend de court les convives.

  • 8 Chronique de Jean le Bel, op. cit., p. 224.
  • 9 Chronique des règnes de Jean II et Charles V, op. cit., p. 63 ; Chronique des Quatre Premiers Valo (...)

8Un autre point relevé par les chroniqueurs est la puissance de la force armée déployée par le roi de France, et cette démonstration de force submerge totalement les nobles attablés dans la grande salle du château de Rouen. Jean le Bel évoque la présence d’une compagnie d’une centaine d’hommes, quand les convives sont un peu plus de trente8. Les autres chroniqueurs ne sont pas aussi précis sur les chiffres, mais les Grandes Chroniques mentionnent également ce chiffre de cent hommes du roi, alors que Jean de Venette ou la Chronique des Quatre Premiers Valois se contentent d’indiquer une forte présence armée, sans données précises9.

  • 10 Chronique de Jean le Bel, op. cit., p. 224, la formule devient : « Nulz ne se mueve pour cose qu’i (...)

9Les hommes du roi de France ne sont pas seulement plus nombreux, ils sont également fortement armés, ce qui là encore leur donne un avantage notable sur les seigneurs normands, et la mise en scène renforce cette impression de déploiement militaire. Le maréchal d’Audrehem ouvre la marche, armé d’une épée, et crie en entrant dans la grande salle : « Or y perira qui se mouvera10 ! » Les chroniques signalent que le roi lui-même est lourdement armé.

  • 11 Chronique normande de Pierre Cochon, op. cit., p. 84.

10Dès lors, que peuvent les hommes du roi de Navarre pour protéger leur maître ? En vérité, bien peu de chose, comme l’illustre le geste dérisoire de l’écuyer Colin Doublet : ce dernier attrape une dague et se rue sur Jean le Bon. Comme le note Pierre Cochon, il « prist bonne dague en bon poing, et assist sur le roy Jean, et le cuida tuer ; mais il estoit si fort armé qu’i ne lui put mal faire11 ». La dague de l’écuyer navarrais contre les lourdes armures des hommes du roi : le combat était perdu d’avance.

  • 12 Chronique des Quatre Premiers Valois, op. cit., p. 36 ; Chronique dite de Jean de Venette, op. cit (...)

11Se dessine donc l’impression d’un coup de filet d’une efficacité redoutable mené par Jean II, parfaitement conçu et mené. Charles de Navarre et certains de ses plus fidèles soutiens normands, comme le comte d’Harcourt, le sire de Graville ou Friquet de Fricamps, sont désormais à la merci du roi de France. Pourtant le constat est à nuancer. En effet, les mailles du filet ne sont pas assez étroites pour empêcher certains convives de s’échapper. La chronique de Jean de Venette mentionne, nous l’avons dit, la fuite d’un certain nombre de convives au moment où les hommes du roi font irruption dans la grande salle, et la Chronique des Quatre Premiers Valois cite le chancelier de Navarre parmi ceux qui ont réussi à fuir. Elle indique également que Godefroy, l’oncle du comte Louis d’Harcourt a envoyé un écuyer pour le persuader de quitter les lieux, mais que son neveu a préféré rester pour le dîner12. L’effet de surprise n’est donc pas absolu, même si l’opération est une incontestable réussite au regard des personnalités arrêtées.

Une arrestation brutale et illégitime

12Une fois entré dans la salle, Jean le Bon s’empare de la personne de plusieurs individus attablés. Sur ce point-là, les chroniques divergent sur les détails et il est difficile de déterminer les circonstances précises de l’arrestation. Mais ce qui est certain, c’est que celle-ci est théâtralisée et que le roi de France se signale par une gestuelle agressive.

  • 13 Ibid.

13Ce dernier s’empare en effet personnellement d’une des personnalités présentes. Laquelle ? La Chronique des Quatre Premiers Valois, qui livre un compte rendu souvent très précis des événements, indique qu’il s’agit du comte d’Harcourt : le roi « prinst de sa main le conte de Harecourt, et le roy de Navarre fist prendre et mettre en prison13 ». Cette version est reprise par une autre chronique normande, celle, postérieure, de Pierre Cochon, dans lequel le geste du roi pour arrêter le comte normand est un geste beaucoup plus ouvertement agressif, et nettement moins digne :

  • 14 Chronique normande de Pierre Cochon, op. cit., p. 84.

« Par-dessus la table prist le compte de Harecourt par son corsset de blanchet, en droit la poiterine, et lui deschira ledit corset en lui disant : “Or, te tien-ge, fauz traite. Aujourd’ui feray de toy faire justice, que saches que ta vie definera aujourd’ui14.” »

  • 15 Chronique dite de Jean de Venette, op. cit., p. 135.
  • 16 Chronique de Jean le Bel, op. cit., p. 224.

14Mais pour d’autres chroniques, c’est le roi de Navarre Charles II qui est la cible privilégiée du roi de France. Si Jean de Venette met en scène le roi posant la main sur Charles de Navarre (« manus apponens ad regem Navarriæ15 »), Jean le Bel dépeint une altercation plus qu’une réelle arrestation : « Le roy Jehan se lancha au roy de Navarre et le prist par le col et le tira par la table et luy dist : “Certes, mauvaiz traitre, or vous convient il morir16 !” », que Jean Froissart, suivant le chanoine liégeois, enrichit de la façon suivante :

  • 17 Froissart Jean, Chroniques…, op. cit., p. 178.

« Ançois s’avança parmi la table et lança son brach dessus le roy de Navare et le prist par le kevèce, et le tira moult roit contre lui, en disant : “Or sus, traittres, tu n’i es pas dignes de seoir à la table mon fil. Par l’ame à mon père, je ne pense jamais à boire ne à mengier tant comme tu vives17.” »

15Au-delà des divergences, les chroniques mettent donc en avant l’intervention personnelle du roi de France, qui se charge lui-même de mettre la main sur le comte d’Harcourt ou sur le roi de Navarre, selon les versions. Et plusieurs mettent en exergue l’attitude agressive du roi, qui se perd en invectives.

  • 18 Chronique des règnes de Jean II et Charles V, op. cit., p. 63.
  • 19 Chronique dite de Jean de Venette, op. cit., p. 135.

16En effet, l’attitude de Jean II, aux premières loges et arrêtant directement ses ennemis, pose un problème certain. D’ailleurs, les Grandes Chroniques, les seules écrites directement pour les Valois, taisent le fait : « Et là fist le roy de France Jehan prendre les diz roy de Navarre, le conte de Harecourt, les seigneurs de Preaux, de Graville et de Clere, etc.18. » Pour ne pas donner une image trop négative du roi, dans ce que Jean de Venette qualifie de « lamentable » événement19, il était nécessaire de le rétablir à sa place, celle d’un prince qui donne les ordres et se fait obéir. Mais au contraire, le banquet de Rouen est l’occasion, dans les autres chroniques, de signaler le caractère emporté et passablement instable du roi de France, dont l’attitude apparaît incohérente.

  • 20 Chronique de Jean le Bel, op. cit., p. 224.
  • 21 Froissart Jean, Chroniques…, op. cit., p. 179.

17Les chroniqueurs multiplient les petites touches qui achèvent de faire passer Jean pour un déséquilibré : Jean le Bel, puis naturellement Froissart à sa suite, rapportent une altercation entre le roi et son fils, le duc de Normandie, qui s’indigne de voir son père arrêter des hommes qu’il reçoit, au détriment de son honneur. Irrité, le roi « Jehan luy commanda qu’il se souffrit, et le fery de son pyé par grand irour20 ». Chez Froissart, peu favorable à Jean II, le portrait est encore plus à charge. Jean le Bon répond vertement à son fils, mais au lieu de lui asséner un violent coup de pied, il « prist une mace de sergant et s’en vint sus le conte de Harcourt, et li donna un grant horion entre les espaules ». Le chroniqueur valenciennois signale d’ailleurs que « li dis rois estoit enflamés de si grant aïr qu’il ne voloit à riens entendre21 ».

  • 22 Voir Raynaud Christiane, « Le courroux et la haine dans les Chroniques de Jean Froissart », Bullet (...)
  • 23 Chronique normande de Pierre Cochon, op. cit., p. 84.

18Et que penser des serments, mentionnés plus haut, que le chroniqueur place dans la bouche du roi, de ne plus se nourrir tant que Charles de Navarre vivra ? Quand on sait que le roi de Navarre survivra trente ans au banquet de Rouen, et plus de vingt-deux à celui qui profère de tels discours, le propos ridiculise son auteur22. Surtout quand Pierre Cochon nous raconte qu’après son coup d’éclat, le roi de France va dîner, peut-être même des plats laissés sur la table par les hommes arrêtés23.

  • 24 Voir en particulier Cazelles Raymond, « Jean II le Bon : quel homme ? Quel roi ? », Revue historiq (...)

19Difficile de savoir quelles sont les anecdotes inventées dans les chroniques, mais toutes, à l’exception des très officielles Grandes Chroniques, pointent le comportement déréglé du roi de France. De toute évidence, tous ces récits ont largement contribué à forger une image désastreuse de Jean le Bon, roi impulsif, irréfléchi, violent, image que les travaux de Raymond Cazelles ne sont pas parvenus complètement à redresser24. Si le roi apparaît ainsi, incapable de se contenir, et invectivant ses ennemis avant de les empoigner, c’est aussi que l’arrestation est illégitime aux yeux des contemporains. Le roi de France semble poursuivre une vengeance personnelle plus qu’accomplir son rôle de justicier.

  • 25 Jean le Bel dit même que le peuple « avoit grande merveille, et ne sçavoit on adeviner pourquoy le (...)

20Tout d’abord, la structure des récits est particulièrement révélatrice de la désapprobation, ou au moins du malaise, des chroniqueurs : chez Jean le Bel, dans la Chronique des Quatre Premiers Valois et même, plus surprenant, dans les Grandes Chroniques, le récit du banquet de Rouen débute soit par l’arrestation, soit par la description d’une fête interrompue par l’entrée du roi. La cause qui a motivé l’action de Jean n’intervient qu’ensuite, quand elle intervient, ce qui n’est pas le cas dans la Chronique des Quatre Premiers Valois. L’arrestation est donc première. Dans la construction logique du récit, l’événement majeur est cette irruption inattendue du roi de France dans la grande salle de Rouen et cette prise de corps brutale. Les explications viennent ensuite, comme prétexte, ou pour tenter de justifier une arrestation qui en a découlé25.

  • 26 « De rege autem Navarræ supradicto, et de comite de Haricuria et aliquibus aliis in convivio illo (...)
  • 27 Froissart Jean, Chroniques…, op. cit., p. 176 : le même extrait évoque aussi la volonté des seigne (...)
  • 28 Chronique normande de Pierre Cochon, op. cit., p. 82-83.

21D’autres chroniqueurs construisent leur récit différemment ; pour autant, il est difficile de considérer que ceci constitue une approbation de l’attitude de Jean le Bon. Jean de Venette évoque simplement le fait que le roi de France aurait apporté du crédit à des rumeurs sur le roi de Navarre et le comte d’Harcourt26. Jean Froissart, lui, évoque une opposition des seigneurs normands à la gabelle sur le sel qui aurait enflammé la colère du roi : « Li rois Jehans, qui estoit legiers à enfourmer et durs d’oster d’une oppinion, puis qu’il y estoit arrestés, prist les dessu dis en si grant hayne que jamais n’aroit parfaite joie tant que il fuissent en vie27. » Quant à Pierre Cochon, il met en scène un coup monté délibérément entre le père et le fils, le duc de Normandie convoquant les ennemis de son père, avant que ce dernier ne vienne les saisir28. Les raisons invoquées à l’arrestation sont donc vagues, discordantes, et ne grandissent pas l’action de Jean le Bon. La logique qui procède au coup de force du 5 avril 1356 est loin d’être évidente.

22De plus, revenons aux propos du roi de France. S’il accable d’injures le roi de Navarre et Louis d’Harcourt, il ne semble pas en mesure de leur signifier précisément les raisons de leur arrestation. Les accusations restent floues, les hommes présents à Rouen se voient qualifiés de traîtres mais sans qu’on en sache tellement plus. Le roi lui-même paraît bien en peine de dire ce qui motive son intrusion belliqueuse au milieu d’un banquet. Mais les propos attribués aux protagonistes montrent bien la permanence de rancœurs anciennes jamais réellement soldées.

  • 29 Froissart Jean, Chroniques…, op. cit., p. 178.

23En effet, les spectres de deux illustres disparus récents planent autour de la table du banquet. D’abord, celui du connétable et favori du roi Charles de la Cerda, celui que Charles de Navarre a fait mettre à mort à l’Aigle en janvier 1354. Charles de Navarre avait obtenu un pardon pour cela, mais le connétable disparu deux ans plus tôt est dans tous les esprits quand Jean II fait irruption furieusement au milieu du banquet. Froissart d’ailleurs mentionne ouvertement le connétable, quand il montre Charles de Navarre plaidant sa cause : « Voirs est que je fis occire Charle d’Espagne, qui estoit mon adversaire ; mais pais en est, et s’en ay fait la penitance29. » Le mot est lâché, le roi de France n’est pas venu rendre justice, mais venger un acte qu’il a pourtant pardonné. Les autres chroniques ne sont pas aussi explicites, mais le fait est que, deux ans après l’Aigle, l’absence de motif donné à l’arrestation ne peut que conforter cette idée.

  • 30 Les raisons de l’exécution du connétable ont été tenues secrètes et ont suscité des spéculations. (...)
  • 31 Froissart Jean, Chroniques…, op. cit., p. 179.

24L’autre absent omniprésent n’est autre que le prédécesseur de Charles d’Espagne dans l’office de connétable, Raoul de Brienne, comte d’Eu et de Guînes. Quelques semaines après son avènement, et alors que Raoul venait d’être libéré d’une longue captivité en Angleterre, Jean II l’a reçu dans son hôtel parisien de la tour de Nesle, et l’a fait arrêter puis décapiter, sans qu’aucune explication ne soit donnée publiquement. Les raisons du geste de Jean II sont restées obscures jusqu’à aujourd’hui30. Or, selon Froissart, juste après avoir asséné un coup de masses d’armes au comte d’Harcourt, le roi lui promet un sort funeste, en le justifiant ainsi : « Vous estes dou linage le conte de Ghines : vo fourfait et vos trahisons se descouvreront temprement31. »

  • 32 Chronique de Jean le Bel, op. cit., p. 225-226.

25Si le roi de France a vraiment prononcé ces paroles, elles sont particulièrement mal venues, puisqu’elles placent l’arrestation de Rouen sous le même signe de l’arbitraire que l’exécution du connétable Raoul de Brienne. Mais même s’il ne l’a pas dit aussi explicitement, les contemporains ont tout de suite fait le parallèle entre les deux arrestations. Jean le Bel par exemple, l’exprime trois fois : il dit deux fois « ainsy qu’il avoit fait au conte de Ghynes », et une troisième « ainsy que avoit sur le gentil conte de Ghynes et sur messire Olivier de Clichon32 ». Les autres chroniques ne sont jamais aussi explicites, mais le fait est là : à Rouen, Jean recourt à nouveau aux méthodes brutales et expéditives qui ont suscité l’incompréhension de la société politique. Plus qu’un roi justicier, c’est un roi vengeur que l’on voit, utilisant la justice pour assouvir ses rancunes personnelles.

Une arrestation déshonorante pour le roi

26Bien plus, au-delà des motifs de l’arrestation rouennaise, c’est l’intervention du roi elle-même qui pose problème. Un esprit machiavélique pourrait saluer l’habileté manœuvrière du roi, qui a su s’emparer d’une bonne partie de ses ennemis rassemblés et désarmés, mais la méthode bafoue les règles élémentaires de l’honneur, et à ce titre, choque profondément.

27Certes, ce n’est pas Jean II qui a invité les seigneurs normands à Rouen, mais son fils, le duc de Normandie. Il n’empêche qu’arrêter Charles de Navarre, Louis d’Harcourt et consorts en cette occasion suscite un malaise très fort dans la société politique du temps. Nous avons mentionné plus haut le fait que certains des convives sont parvenus à s’enfuir, alors même que le roi de France a déployé une force armée considérable : doit-on y voir une absence d’excès de zèle de la part des hommes du roi ? C’est fort possible.

28Nous avons évoqué le vif échange entre le roi et le duc de Normandie, qui d’après Jean le Bel se termine par un violent coup de pied du père au fils. Dans le dialogue entre les deux Valois, le duc reproche à son père de s’emparer illégitimement d’hommes placés sous sa protection. Jean Froissart, en conteur talentueux, place un discours plus long, qui résume bien ce qu’a pu ressentir le fils aîné du roi de France, et ce que ce sont assurément dit bien des gens présents à Rouen lors de ce fameux banquet :

  • 33 Froissart Jean, Chroniques…, op. cit., p. 179.

« Ha ! monsigneur, pour Dieu merci, vous me deshonnourés. Que pora on dire ne recorder de moy, quant j’avoie le roy et ces barons priiés de disner dalés moy, et vous les trettiés ensi ? On dira que je les arai trahis. Et si ne vi oncques en eulz que tout bien et toute courtoisie33. »

  • 34 À ce sujet, voir Gauvard Claude, « Cuisine et paix en France à la fin du Moyen Âge », in Collectif (...)

29Par son action, Jean le Bon jette l’opprobre sur son fils, mais aussi sur lui-même. Saisir des hôtes au cours d’un repas constitue en effet une trahison. Partager le pain et mettre les mains aux mêmes plats crée des relations affectives entre les individus : une arrestation dans ces conditions est donc particulièrement choquante34. L’habileté du coup de filet rouennais se retourne contre son auteur, et l’on n’y voit plus que la tromperie. D’autant plus que le roi Jean est un récidiviste : le connétable Raoul de Brienne avait déjà été exécuté après avoir dîné avec lui.

30Et c’est de cette accusation de trahison que le jeune Charles entend se défendre en présence de son père et des seigneurs normands. Cette entreprise n’est sans doute qu’une réussite partielle : comme nous l’avons dit plus haut, le chroniqueur normand Pierre Cochon, qui écrit bien plus tardivement, décrit une embuscade planifiée par le roi de France avec la connivence de son fils. En Normandie, l’image d’un futur Charles V fourbe et trompeur s’est donc maintenue, au moins dans certains milieux.

  • 35 Froissart Jean, Chroniques…, op. cit., p. 180.
  • 36 Ibid.

31Dans l’entourage royal, les chroniques ne font entendre d’autre voix que celle du jeune Charles, mais la désapprobation peut se lire à certains signes. Jean Froissart écrit certes que « nulz n’osoit aller au devant ne dire au roy : “Sire, vous faites mal d’ensi trettier ces vaillans hommes35” ». À voir. Si le roi de France apparaît bien comme possédé et furieux lors du banquet de Rouen, et si nul ne semble en mesure de lui faire entendre raison, il a tout de même dû changer son projet initial. Ils seront quatre à payer de leur tête la colère du roi : le comte d’Harcourt, le sire de Graville, Maubue de Mainesmares et l’écuyer Colin Doublet. Jean le Bon a donc pu aller au bout de son entreprise de « haute justice », comme le dit ironiquement Froissart36. Mais manque tout de même un nom, et pas des moindres : celui de Charles de Navarre, dont le roi de France avait pourtant juré la perte.

32Si personne n’a pu sauver la tête du malheureux comte d’Harcourt, des voix se sont sans doute élevées dans l’entourage de Jean II, pour lui faire entendre qu’éliminer sans raison évidente un prince de sang, descendant direct de Philippe le Bel, et paré lui aussi du titre royal, constituerait un scandale par trop considérable. Le dîner que Pierre Cochon mentionne, entre l’arrestation et les exécutions, a-t-il permis de raisonner, au moins en partie, le roi de France ? On ne peut que l’imaginer. En tout cas, l’attitude de Charles, la fuite de certains convives et les hésitations autour du sort de Charles de Navarre révèlent les réticences d’une partie de l’entourage royal.

  • 37 Pour Raymond Cazelles, cette exécution est d’ailleurs le signe d’une défiance du roi envers la jus (...)

33Froissart, nous l’avons dit, évoquait la « haute justice » faite à Rouen. Les hommes arrêtés étaient accusés de trahison, ce qui relève de la haute justice du duc de Normandie. En l’occurrence, nous sommes dans un cas de justice retenue. Et nul ne conteste le droit du roi à rendre la justice directement. Cependant, à une époque où la justice déléguée des cours souveraines est en plein essor, cette intervention directe et brutale du roi, ces exécutions expéditives sans procès et l’absence de justification donnée à l’opinion constituent des fautes politiques majeures du roi. Elles ne peuvent que conduire à l’idée d’une vengeance accomplie contre le droit et contre les règles de l’honneur37.

  • 38 Cazelles Raymond, « Le parti navarrais jusqu’à la mort d’Étienne Marcel », Bulletin philologique e (...)
  • 39 La question des ambitions réelles du roi de Navarre dans la crise des années 1350 est encore débat (...)

34Si l’opération de police menée par Jean le Bon peut apparaître comme un succès, puisqu’il s’empare de plusieurs de ses ennemis, le banquet de Rouen reste globalement une manœuvre désastreuse, accomplie au cours d’une des pires années du règne de Jean II. La brutalité des méthodes employées par le roi de France et l’apparence d’arbitraire suscitent une large désapprobation dans le royaume. Et la menace navarraise n’en est pas réduite pour autant. En effet, le 19 septembre de la même année, la bataille de Poitiers et la capture du roi plongent le royaume de France dans la crise. Le parti navarrais est alors à son apogée38, et au plus fort de la crise politique, Charles de Navarre s’enfuit de sa prison. Après avoir fait enterrer les corps encore exposés à Rouen de ses acolytes, il s’emploiera à renforcer sa position dans un royaume privé de roi, et il faudra toute l’habileté politique du dauphin pour sauver la dynastie vacillante. Ce sont seulement la mort d’Étienne Marcel le 31 juillet 1358, puis la défaite navarraise de Cocherel le 16 mai 1364, juste après l’avènement de Charles V, qui mettront un coup d’arrêt aux ambitions, sans doute immenses, du roi de Navarre39.

  • 40 Honoré-Duvergé Suzanne, « L’origine du surnom Charles le Mauvais », in Collectif, Mélanges d’Histo (...)
  • 41 France, Paris, Archives nationales de France, J 618, 9 ; Secousse François-Denis, Recueil de pièce (...)

35De plus, l’image du roi de France sort très dégradée de cet épisode, bien plus que celle de son ennemi juré navarrais. En effet, c’est seulement de manière très indirecte que le banquet de Rouen a concouru à la légende noire de celui qu’à partir du XVIe siècle, on appellera, d’abord en Espagne puis en France, Charles « le Mauvais40 ». Après cette arrestation, Charles de Navarre et ses acolytes ont été interrogés. Mais les interrogatoires du roi de Navarre ont été envoyés à l’empereur par le dauphin Charles pendant la captivité de son père et sont aujourd’hui perdus. Quant aux confessions de Friquet de Fricamps, un de ses plus proches fidèles, seul subsiste un fragment, qui ne sera exhumé qu’en 1385, quand l’idée d’un procès du roi de Navarre devant le Parlement de Paris est conçue41. En revanche, l’arrestation rouennaise fait partie des épisodes qui ont durablement forgé une mauvaise image de Jean le Bon, roi incapable, incontrôlable et violent.

  • 42 Sur Richard II, voir par exemple sa biographie classique : Saul Nigel, Richard II, Londres/New Hav (...)

36À ce titre, le banquet de Rouen est un fiasco complet, qui peut se comparer, toutes proportions gardées, aux arrestations effectuées par Richard II, en 1397, de trois grands seigneurs qui s’étaient opposés à lui dix ans plus tôt : le comte de Warwick, banni, le comte d’Arundel, exécuté, et le duc de Gloucester, oncle du roi, mis à mort dans sa prison à Calais. Si Richard II, comme Jean le Bon à Rouen, paraît triompher de ses ennemis sur le moment, il vient en réalité de semer les germes de la révolution qui l’emportera deux ans plus tard et verra l’avènement du lancastrien Henri IV42. Le banquet de Rouen comme les arrestations de Richard II illustrent bien au Moyen Âge le caractère dangereux et imprévisible de l’arrestation : même effectuée par un roi arguant de motifs aussi graves que la trahison, elle doit être maniée avec la plus grande précaution, en ménageant la société politique et en obtenant son approbation, faute de quoi elle se retourne contre son auteur.

37Certes, le règne de Jean le Bon, quelques décennies plus tôt, n’a pas connu le même épilogue dramatique que celui du Richard II. Mais il n’en reste pas moins que l’arrestation du 5 avril 1356 constitue une erreur politique lourde de la part du roi de France, qui accélère la crise dans laquelle le destin de la dynastie des Valois a parfois semblé bien fragile.

Arrestation de Charles le Mauvais, Journal des artistes, 1839, II, p. 112. L’arrestation de Charles de Navarre lors du Banquet de Rouen a très largement participé à la mise en images d’un roman historique défavorable au roi Jean II le Bon. Dans cette gravure d’histoire du XIXe siècle, le déploiement d’une force inopinée lâchée au milieu des convives renforce une sensation de chaos liée à la domesticité heurtée. Logés dans les deux bordures de l’image, le roi et son fils encadrent la scène, mais la mise au premier plan du fils dépité, ou médusé, invite à suivre son regard et, partant, disqualifie toute la scène

Notes

1 Pour un compte rendu précis des événements, se reporter aux deux biographies de référence de Charles V : Delachenal Roland, Histoire de Charles V, t. I, Paris, A. Picard, 1909 ; Autrand Françoise, Charles V, Paris, Fayard, 1994, ainsi qu’à Cazelles Raymond, Société politique, noblesse et couronne sous Jean le Bon et Charles V, Genève, Droz, 1982.

2 Nous nous référerons par la suite aux extraits suivants : Viard Jules et Déprez Eugène (éd.), Chronique de Jean le Bel, t. II, Paris, Société de l’Histoire de France, p. 224-225 ; Delachenal Roland (éd.), Chronique des règnes de Jean II et Charles V, t. I, Paris, Société de l’Histoire de France, 1910, p. 62-65 ; Froissart Jean, Chroniques, t. IV, Paris, Société de l’Histoire de France, 1894, p. 176-181 ; Luce Siméon (éd.), Chronique des quatre premiers Valois, Paris, Société de l’Histoire de France, 1862, p. 34-37 ; Beaune Colette (éd.), Chronique dite de Jean de Venette, Paris, Gallimard, coll. « Le Livre de Poche », 2011, p. 134-137 ; Robillard de Beaurepaire Charles de (éd.), Chronique normande de Pierre Cochon, Rouen, A. Péron, 1870, p. 82-87 ; Molinier Auguste et Molinier Émile (éd.), Chronique normande du XIVe siècle, Paris Société de l’Histoire de France, 1882, p. 109-110.

3 Chronique dite de Jean de Venette, op. cit., p. 135.

4 Chronique des Quatre Premiers Valois, op. cit., p. 37.

5 Chronique normande de Pierre Cochon, op. cit., p. 83 ; Froissart Jean, Chroniques…, op. cit., p. 177.

6 Chronique des Quatre Premiers Valois, op. cit., p. 36. Jean de Venette évoque également la porte donnant sur les champs (le roi passe « per parvam portam castri, quæ ad campos tendit », ibid., p. 135), de même chez Froissart qui indique qu’ils entrèrent « par les camps ou chastiel » (Froissart Jean, Chroniques…, op. cit., p. 177), etc.

7 Chronique des règnes de Jean II et Charles V, op. cit., p. 63.

8 Chronique de Jean le Bel, op. cit., p. 224.

9 Chronique des règnes de Jean II et Charles V, op. cit., p. 63 ; Chronique des Quatre Premiers Valois, op. cit., p. 36 ; Chronique dite de Jean de Venette, op. cit., p. 135.

10 Chronique de Jean le Bel, op. cit., p. 224, la formule devient : « Nulz ne se mueve pour cose qu’il voie, se il ne volet estre mors de celle espée ! » chez Froissart Jean, Chroniques…, op. cit., p. 177.

11 Chronique normande de Pierre Cochon, op. cit., p. 84.

12 Chronique des Quatre Premiers Valois, op. cit., p. 36 ; Chronique dite de Jean de Venette, op. cit., p. 135.

13 Ibid.

14 Chronique normande de Pierre Cochon, op. cit., p. 84.

15 Chronique dite de Jean de Venette, op. cit., p. 135.

16 Chronique de Jean le Bel, op. cit., p. 224.

17 Froissart Jean, Chroniques…, op. cit., p. 178.

18 Chronique des règnes de Jean II et Charles V, op. cit., p. 63.

19 Chronique dite de Jean de Venette, op. cit., p. 135.

20 Chronique de Jean le Bel, op. cit., p. 224.

21 Froissart Jean, Chroniques…, op. cit., p. 179.

22 Voir Raynaud Christiane, « Le courroux et la haine dans les Chroniques de Jean Froissart », Bulletin du CRISIMA, no 2, 2001, p. 113-234 : elle montre cette importance du thème de la colère chez Froissart, et notamment de la colère royale : cette ire royale peut rappeler celle de Dieu, mais elle ridiculise au contraire son auteur quand elle s’accompagne de menaces vides comme le fait Jean le Bon (voir spécialement p. 144-148).

23 Chronique normande de Pierre Cochon, op. cit., p. 84.

24 Voir en particulier Cazelles Raymond, « Jean II le Bon : quel homme ? Quel roi ? », Revue historique, tome CCLI, Paris, 1974, p. 5-26, qui cherche à donner une autre image de la personnalité de ce roi controversé. On notera qu’à l’inverse, un romancier comme Maurice Druon, dans le dernier volume de la fameuse série des Rois maudits, s’en donne à cœur joie pour faire passer le roi pour un imbécile inconséquent en reprenant les anecdotes évoquées plus haut, tirées de chroniques contemporaines.

25 Jean le Bel dit même que le peuple « avoit grande merveille, et ne sçavoit on adeviner pourquoy le roy Jehan avoit ce fait » (Chronique de Jean le Bel, op. cit., p. 225).

26 « De rege autem Navarræ supradicto, et de comite de Haricuria et aliquibus aliis in convivio illo prædentibus fuerant aliqua sinistra regi Franciæ Johanni relata, ut creditur, propter quæ statim ea quæ facta fuerunt evenerunt. » Chronique dite de Jean de Venette, op. cit., p. 135.

27 Froissart Jean, Chroniques…, op. cit., p. 176 : le même extrait évoque aussi la volonté des seigneurs normands de s’allier au roi d’Angleterre, mais curieusement, c’est la question de la gabelle qui semble décider Jean à frapper contre eux.

28 Chronique normande de Pierre Cochon, op. cit., p. 82-83.

29 Froissart Jean, Chroniques…, op. cit., p. 178.

30 Les raisons de l’exécution du connétable ont été tenues secrètes et ont suscité des spéculations. Jean le Bel par exemple écrit : « Et ne sceut on pour quoy ce fut fait fors que les plus privés du roy, mais aucunes gens adevinoient que le roy avoit esté infourmé d’aucunes amours, lesquelles avoient esté ou debvoient estre entre madame Bonne et le gentil connestable. Je ne sçay se oncues en fust rien à la vérité, mais la manière du fait en fit pluseurs gens souspeçonner. » (Chronique de Jean le Bel, op. cit., p. 200.) Raymond Cazelles a proposé une explication en tentant de prouver la culpabilité du connétable, mais la question reste ouverte (Cazelles Raymond, La société politique et la crise de la royauté sous Philippe de Valois, Paris, Libraire d’Argences, 1958, p. 247 et suiv.).

31 Froissart Jean, Chroniques…, op. cit., p. 179.

32 Chronique de Jean le Bel, op. cit., p. 225-226.

33 Froissart Jean, Chroniques…, op. cit., p. 179.

34 À ce sujet, voir Gauvard Claude, « Cuisine et paix en France à la fin du Moyen Âge », in Collectif, La sociabilité à table. Commensalité et convivialité à travers les âges, 3e colloque sur la sociabilité, Rouen novembre 1990, Rouen, Publications de l’université de Rouen, 1992, p. 325-334.

35 Froissart Jean, Chroniques…, op. cit., p. 180.

36 Ibid.

37 Pour Raymond Cazelles, cette exécution est d’ailleurs le signe d’une défiance du roi envers la justice déléguée. En effet, à propos du meurtre des maréchaux par Étienne Marcel en 1358, il écrit : « Cet assassinat, exécuté sous les yeux du dauphin, produit un effet d’horreur. Pourquoi Étienne Marcel n’a-t-il pas fait saisir et emprisonner les deux maréchaux, puis ouvert leur procès, au lieu de les faire tuer ? C’est qu’il y a alors une désaffection visible pour la Justice, lente à mouvoir et quasiment irréversible. Le meurtre présente, aux yeux de ceux qui l’ordonnent, l’avantage d’être une solution simple par l’élimination de l’adversaire. On peut regretter qu’Étienne Marcel l’ait ordonné. Mais il n’est pas le premier. Charles de Navarre a-t-il procédé autrement quand il a voulu se débarrasser de Charles d’Espagne ? Et le roi Jean, lui-même, quand il condamne le connétable d’Eu en 1350, ou quand il fait tuer le comte d’Harcourt en avril 1356 ? On entre dans une période où l’assassinat politique est tenu pour le correctif d’une justice trop lente, ou trop indulgente, ou trop soumise. Cela aboutira aux assassinats des ducs d’Orléans et de Bourgogne. » (Cazelles Raymond, Étienne Marcel : champion de l’unité française, Paris, Tallandier, 1984, p. 270.)

38 Cazelles Raymond, « Le parti navarrais jusqu’à la mort d’Étienne Marcel », Bulletin philologique et historique, t. II, année 1960, Paris, 1961, p. 839-869.

39 La question des ambitions réelles du roi de Navarre dans la crise des années 1350 est encore débattue. Si Philippe Charon se montre très prudent et ne tranche pas (Charon Philippe, Princes et principautés au Moyen Âge : l’exemple de la principauté d’Évreux, 1298-1412, thèse sous la direction de Claude Gauvard, université Paris 1, 2006, p. 218-225), nous suivrons Françoise Autrand qui considère que le projet du Navarrais était bien de s’emparer de la couronne de France (Charles V…, op. cit., p. 331-332).

40 Honoré-Duvergé Suzanne, « L’origine du surnom Charles le Mauvais », in Collectif, Mélanges d’Histoire du Moyen Age dédiés à la mémoire de Louis Halphen, Paris, PUF, 1951, p. 345-350.

41 France, Paris, Archives nationales de France, J 618, 9 ; Secousse François-Denis, Recueil de pièces servant de preuves aux Mémoires sur les troubles excités en France par Charles II, dit le Mauvais, roi de Navarre et comte d’Évreux, Paris, Durand, 1755, p. 49-60.

42 Sur Richard II, voir par exemple sa biographie classique : Saul Nigel, Richard II, Londres/New Haven, Yale University Press, 1997.

Table des illustrations

Légende Arrestation de Charles le Mauvais, Journal des artistes, 1839, II, p. 112. L’arrestation de Charles de Navarre lors du Banquet de Rouen a très largement participé à la mise en images d’un roman historique défavorable au roi Jean II le Bon. Dans cette gravure d’histoire du XIXe siècle, le déploiement d’une force inopinée lâchée au milieu des convives renforce une sensation de chaos liée à la domesticité heurtée. Logés dans les deux bordures de l’image, le roi et son fils encadrent la scène, mais la mise au premier plan du fils dépité, ou médusé, invite à suivre son regard et, partant, disqualifie toute la scène
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Auteur

Doctorant en histoire du Moyen Âge, université de Paris 1. Laboratoire de médiévistique occidentale de Paris, UMR 8589.

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