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Des savants pour protéger la nature

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Rémi Luglia

Troisième partie. L'affirmation de la protection (1920-1950)

Chapitre XI. La protection de la nature : le temps de l’action

Texte intégral

  • 1 La section de Colonisation est supprimée, faute d’activité, en 1932 (Procès verbal du Conseil d’adm (...)

1Le peu de réussite en matière de protection de la nature avant la Première guerre mondiale, qu’interrogent la fondation de la LPO et la création de la réserve des Sept-Îles, conduit progressivement la Société d’acclimatation à envisager différemment son action dans ce domaine. Sans pour autant abandonner toute velléité utilitariste, notamment en direction des colonies même si cette position est déclinante1, l’association poursuit sa mue, sous l’impulsion d’un nouveau président, Louis Mangin.

Le rôle déterminant mais discret de Louis Mangin

2Élu à la tête de la Société d’acclimatation au décès d’Edmond Perrier en 1921, Louis Mangin représente un désir de continuité pour les sociétaires car, comme son prédécesseur, il dirige le MNHN. Mais Louis Mangin partage-t-il le point de vue favorable à la protection de la nature d’Edmond Perrier ?

  • 2 Le Bulletin de la SBF témoigne également de l’apparent désintérêt des botanistes français pour ces (...)

3Louis Mangin naît le 8 septembre 1852 à Paris et meurt le 27 janvier 1937 à Grignon. Agrégé de sciences naturelles en 1881, il soutient en 1882 sa thèse de doctorat ès sciences et devient le 30 juin 1904 le premier titulaire de la nouvelle chaire de botanique dans un MNHN qu’il dirige de 1920 à 1931. Élu membre de l’académie des Sciences le 25 janvier 1909 (section de botanique), il préside cette institution à partir de 1929. Membre de l’académie d’Agriculture de France et de l’académie des Sciences coloniales, il participe à un certain nombre de sociétés savantes : président de la Société botanique de France et de la Société mycologique de France, vice-président de la Société de biologie, président de la Société de pathologie végétale et d’entomologie agricole de France (qu’il crée au MNHN en 1914 et qui cesse d’être active après sa mort). Alors qu’Edmond Perrier était zoologiste, voici donc qu’un botaniste préside la Société, alors même que jusqu’alors ces savants étaient restés apparemment très en retrait sur les questions touchant à la protection de la nature et plus fidèles à l’utilitarisme2.

Fig. 46. – Louis Mangin dans son bureau au MNHN en 1919 (gallica.bnf.fr).

Des discours plus conformes à la réalité des travaux de la Société

4Or le premier discours public du président Mangin paraît dénoter un retour aux conceptions du XIXe siècle, aussi bien sur la forme que sur le fond quand il rappelle le « but assigné par ses fondateurs » :

  • 3 Mangin Louis, « Discours prononcé à la séance publique annuelle de distribution des récompenses », (...)

« Concourir à l’introduction, à l’acclimatation et à la domestication des espèces d’animaux utiles ou d’ornement, au perfectionnement et à la multiplication des races nouvellement introduites ou domestiquées, à l’introduction et à la propagation des végétaux utiles ou d’ornement3. »

5La protection de la nature disparaît totalement des préoccupations affichées par le président.

6Cependant, dès l’année suivante, Louis Mangin se rapproche de la ligne définie par Perrier en 1906 :

  • 4 Mangin Louis, « Discours prononcé à la séance publique annuelle de distribution des récompenses », (...)

« Par l’union des naturalistes et des praticiens, elle [la Société d’acclimatation] s’efforce d’acclimater des espèces intéressantes ou utiles, de conserver les espèces en voie d’extinction et de protéger nos auxiliaires dans la lutte contre les ravageurs de nos champs4. »

7Le progrès est notable par rapport à 1922 mais Louis Mangin réactive le paradigme utilitariste qui s’était nettement affaibli et restreint considérablement le champ de la protection en la limitant aux espèces menacées et en oubliant les paysages, les habitats et la notion d’équilibre naturel. La protection de la nature, si vivement mise en lumière par Edmond Perrier, ne s’est pas encore imposée à l’ensemble de la Société, même si elle devient une des préoccupations majeures ainsi qu’une référence obligée vis-à-vis de l’extérieur. Ainsi, l’intégralité du discours de 1923 d’Henry Chéron, ministre de l’Agriculture, est consacré à la protection des oiseaux :

  • 5 Chéron Henry, « Discours prononcé à la séance publique annuelle de distribution des récompenses », (...)

« Comme ministre de l’Agriculture, je vous promets simplement de défendre, demain comme hier, notre belle terre de France, avec ses infinies variétés de richesses et de beautés, au premier rang desquelles vous me permettrez de placer aujourd’hui la parure incomparable de nos forêts profondes, où nos chers amis, les Oiseaux, nous convient, du haut des cimes, à un plus juste sentiment de ce que nous devons à la nature, envers laquelle nous sommes si souvent ingrats et cruels (vifs applaudissements répétés)5. »

  • 6 Mangin Louis, « Discours prononcé à la séance publique annuelle de distribution des récompenses », (...)

8Ce jeu de miroir en apparence discordant illustre bien la diversité interne de l’association : Mangin focalise ses propos sur l’acclimatation, sujet principal des travaux de l’association y compris dans les années 1920 ; Chéron insiste sur les « nouvelles » préoccupations. En définitive, l’un et l’autre ne montrent qu’une partie de la réalité. En 1924, pour son 70e anniversaire, cette ambivalence demeure : Louis Mangin définit les objectifs comme « conserver, améliorer, acclimater » mais demande à Charles Debreuil, organisateur du déjeuner amical, de « faire déguster la chair des Lamantins et des Dugongs avant que ces animaux ne disparaissent6 ».

9Louis Mangin confère cependant une place grandissante à la protection de la nature dans ses discours. En 1929 notamment il retrouve les accents du président Perrier et prononce un véritable plaidoyer :

  • 7 Mangin Louis, « Discours prononcé à la séance publique annuelle de distribution des récompenses », (...)

« Parmi les buts que vise la Société nationale d’Acclimatation, il en est un, vous le savez, qui occupe le premier rang de nos préoccupations, c’est la conservation des espèces botaniques ou zoologiques menacées d’extinction7. »

10Il affirme alors la primauté des problématiques de protection et ses inquiétudes portent autant sur la situation métropolitaine que sur celle des colonies. La solution « idéale » consiste selon lui en la constitution de réserves dont le modèle est explicitement pris à l’étranger car « en France, nous sommes, vous le savez, assez en retard dans l’organisation de la protection de la nature ».

11En tant que président, Louis Mangin donne à voir une certaine ambivalence : il s’exprime régulièrement en faveur d’une protection de la nature en métropole et dans les colonies face aux ravages de la « modernité », mais, souvent, il témoigne simplement des travaux utilitaristes qui ont cours au sein de l’association. De plus, en matière de protection, ses propos publics attestent d’une vision assez superficielle. Si le président Perrier choisit de tenir des discours engagés, militants, au service de ce qu’il estime être une cause majeure qui nécessite une réorientation résolue de la Société d’acclimatation, le président Mangin décide de se mettre bien plus en retrait : le premier entend peser sur les orientations comme un leader, un précurseur ; le second est un rassembleur consensuel qui refuse de prendre parti.

Des convictions personnelles discrètes mais fermes

  • 8 « Procès-verbal de la séance générale du 19 novembre 1924 », Bull. SNAF, 1924, p. 27-28.

12Les discours de Louis Mangin en tant que président masquent de fait son opinion personnelle. En revanche d’autres parties du Bulletin sont beaucoup plus explicites et permettent de la mettre en évidence. Ainsi, lors de la séance générale du 19 novembre 1924, devant une assistance exclusivement composée de membres, Louis Mangin prononce une conférence intitulée « les Réserves d’oiseaux en Hollande » et il affirme « qu’une action efficace doit être menée pour faire aboutir en général ces tentatives de protection8 ». Autre exemple, en 1930, lors de son discours d’ouverture de la séance publique annuelle de l’académie des Sciences, qu’il préside, il dresse « un tableau des efforts faits dans le monde entier pour essayer de sauvegarder les espèces animales et végétales menacées de disparition ». En 1933, à l’occasion de son élévation à la dignité de grand officier de la Légion d’Honneur, la Société d’acclimatation fait frapper une médaille spéciale et la lui remet en grande pompe. Dans son allocution, le secrétaire général Clément Bressou brosse à grand trait l’ensemble des mérites de Louis Mangin parmi lesquels figurent en très bonne place son investissement en faveur de la protection de la nature :

  • 9 Bressou Clément, « Allocution », Bull. SNAF, 1933, p. 44.

« À votre tour, vous mettez les questions de protection de la Nature au premier rang de nos préoccupations. Dès 1923, vous présidez effectivement à Paris le premier et si brillant Congrès international pour la Protection de la Nature. [...] Champion de la cause des Réserves et des Parcs nationaux vous ne manquez pas d’attirer en tous lieux l’attention des savants et du public sur cette importante question ; vous en faites le sujet de votre discours à la présidence de l’Académie des Sciences. [...] Passant à l’action directe vous dirigez personnellement les destinées de notre Réserve de Camargue que vous vous astreignez à inspecter tous les ans. Lorsque de criminels projets la menacèrent vous avez pris vigoureusement sa défense auprès de l’Académie d’Agriculture et des pouvoirs publics9... »

13Lors de l’éloge funèbre qu’il prononce en 1937, Clément Bressou rappelle que Louis Mangin « eut une réelle prédilection pour tous les problèmes posés par la Protection de la Nature » et complète ce propos par un regret :

  • 10 Bressou Clément, « Louis Mangin (1852-1937) », Bull. SNAF, 1937, p. 67.

« Il est surprenant – mais combien significatif – que pas un des éloges de Louis Mangin publiés à l’occasion de son décès par la plupart des sociétés ou des revues savantes n’ait cru devoir rappeler ce trait pourtant si affirmé de sa carrière scientifique ; cette omission regrettable mesure, hélas ! la place qu’occupe la Protection de la Nature dans les préoccupations de l’élite scientifique de notre pays10... »

14Ainsi, si Louis Mangin, dans ses discours officiels, laisse bien peu transparaître ses convictions en matière de protection, celles-ci sont pourtant si évidentes aux yeux de ceux qui le fréquentent qu’ils en font un trait marquant du personnage. Toutefois, il ne laisse pas cette conviction personnelle transparaître plus que ce qu’il estime nécessaire – et qui est bien peu – quand il représente publiquement la Société. Cette réserve s’applique à l’ensemble de sa parole publique et contraste avec la présidence plus flamboyante d’Edmond Perrier. La personnalité différente des deux présidents a sans doute joué mais sur le fond, c’est tout de même sous la présidence Mangin que le premier Congrès international de Protection de la nature se tient, que la Société d’acclimatation se dote d’une section de protection de la nature et que la réserve de Camargue est créée et organisée.

L’opinion d’Edmond Labbé, successeur du président Mangin

  • 11 Georges Thibout sera élu président en 1939. Ses convictions en faveur de la protection de la nature (...)
  • 12 AN, LH/1414/10.

15Edmond Labbé succède à Louis Mangin et est le dernier président avant le bouleversement engendré par la Seconde Guerre mondiale11. Alors que ses deux prédécesseurs étaient des scientifiques de renom, qui plus est directeurs successifs du MNHN, Edmond Labbé (1868-1944), malgré des études scientifiques, est avant tout un haut-fonctionnaire qui a eu en charge, et à cœur, de développer en France l’enseignement technique. Ce sont ces services là qui lui valent les grades de Grand Officier (1924) et de Grand Croix (1931) de la Légion d’Honneur12. Seul son discours prononcé en 1935 lors de la séance publique annuelle de distribution des récompenses exprime des considérations favorables à la protection de la nature, mais il renseigne davantage sur les idées communes partagées par les sociétaires que sur son opinion personnelle. Après avoir défini l’action de la Société comme « la conservation d’espèces animales et végétales qui couraient le risque de disparaître », il énonce une vision globale des rapports homme-nature :

  • 13 Labbé Edmond, op. cit., 1935, p. 210.

« Votre principal titre de gloire, c’est, avant tout, en effet, de faire aimer la nature et la vie. [...] N’y a-t-il pas une fraternité de la vie ? Et l’homme, être vivant, n’est-il point tenu, puisqu’il veut régner, puisqu’il a la responsabilité de son pouvoir, de se faire l’instrument actif de cette fraternité ? [...] J’assiste enfin aujourd’hui, ou je crois assister, grâce surtout au magnifique épanouissement des sciences naturelles, à une réconciliation, que je voudrais définitive, de l’homme et de la nature vivante. [...] Nous avons des besoins, et grandissants, mais ne pouvons-nous les satisfaire autrement qu’en barbares et sans mutiler le reste du monde ? (Longs applaudissements)13. »

16Le résultat de la lente émergence de la protection de la nature au sein de la Société d’acclimatation depuis le milieu du XIXe siècle est ici résumé : les différentes thématiques de protection de la nature se fondent dans une révision générale des rapports entre l’homme et la nature autour des sentiments « d’amour » et de « fraternité », avec une idée de « réconciliation ». À contrario, on identifie le fondement culturel des destructions : l’idée d’une domination sans conteste et sans partage de l’homme sur la nature. Le chemin parcouru en matière de protection de la nature depuis Isidore Geoffroy Saint-Hilaire se mesure aisément.

Une continuité thématique

17Au cours de l’entre-deux-guerres, les forêts, le dépeuplement des cours d’eau et la chasse, thèmes centraux dans l’éveil des sensibilités naturalistes à la protection de la nature au XIXe siècle, continuent de susciter l’intérêt des sociétaires, sans pour autant témoigner d’avancées conceptuelles ou concrètes significatives.

Fin de la question forestière et absence de protection des plantes

  • 14 Les forestiers français n’ont pas attendu la Société d’acclimatation pour se saisir de cette questi (...)
  • 15 Gromier docteur, « la protection de la faune africaine », Bull. SNAF, 1933, p. 202.
  • 16 Bergeret Anne, « Les forestiers coloniaux français. Une doctrine et des politiques qui n’ont cessé (...)
  • 17 Respectivement président et vice-président de la section de protection de la nature.
  • 18 « Procès-verbal de la séance du 4 mars 1936 de la section de protection de la nature », Bull. SNAF,(...)

18Au XIXe siècle, les interrogations en matière de protection des végétaux portaient essentiellement sur la conservation des forêts. Or, au moment où la notion d’équilibre s’impose parmi les naturalistes, et avec elle la question des habitats, les « forêts » semblent disparaître des préoccupations de la Société d’acclimatation, qui se concentre alors sur les animaux. Il est vrai que l’État a mené des actions énergiques et que les menaces sur les forêts se sont éloignées ainsi que les conséquences dommageables pour l’homme qui en résultaient14. Les forêts ne sont plus évoquées que quand des sociétaires signalent des abus ou des menaces comme quand en 1933 le docteur Gromier dénonce « la façon dont on exploite les forêts à essences commerciales, [...] et la dévastation inouïe qu’on tolère de toute végétation arborescente par les peuplades de pasteurs15 ». Ce faisant, il réanime la vision infantilisante et autoritaire développée par certains forestiers aux belles heures du « Reboisement des terrains de montagne16 ». Autre exemple, en 1936, Raoul de Clermont et A. Granger17 présentent les menaces qui pèsent sur les « réserves boisées de la région parisienne » (« lotissements anarchiques » d’abord mais surtout « autostrades », « chaussées autodromes », « rocades ») et demandent le « respect de la nature et de l’esthétique18 ».

  • 19 « Les botanistes en particulier, ceux-là même qui pratiquent une forme de géographie botanique écol (...)

19L’absence de prise en compte de la nécessité de protéger certaines espèces de plantes en voie de disparition reste néanmoins frappante. Les membres botanistes paraissent davantage préoccupés par leurs essais d’acclimatation, position héritée des origines, ou des questions très techniques que par d’éventuelles disparitions, contrairement aux zoologistes19. Ce constat oblige à remettre en question la conception que les membres favorables à la protection de la nature peuvent avoir de ce qu’ils ne nomment pas encore « écosystèmes ». S’ils ont bien compris l’importance des interactions au sein de la faune, peu d’entre eux évoquent une vision plus complète prenant également en compte l’ensemble de la biocénose, sans parler du biotope. Cependant, en ce qui concerne la protection de la nature, cette limite conceptuelle est aisément dépassée au début du XXe siècle car les protecteurs cherchent à conserver les espèces animales à l’endroit où elles vivent et donc veulent protéger les milieux. C’est ce principe qui est à l’origine même de l’idée de réserve et c’est ce qui fait la spécificité et l’intérêt de cette proposition d’action.

Une réflexion sur le dépeuplement des cours d’eau qui ne progresse plus

20Dès le milieu du XIXe siècle, la question du dépeuplement des cours d’eau a permis aux sociétaires de dresser le constat d’une nature perturbée par les activités humaines et de définir une opinion commune et raisonnée. Les causes de ce dépeuplement général sont bien identifiées qu’elles soient directes (surpêche, braconnage, méthodes d’exploitation destructrices, curage et dragage destructeurs d’alevins) et surtout indirectes (pollutions diverses, destructions des frayères, modification des milieux, barrages). L’acclimatation et le ré-empoissonnement ne peuvent être suffisants pour rétablir ou restaurer les populations en déclin ou disparues. Des solutions ont été définies : répression accrue des abus, adaptation des activités humaines pour réduire les perturbations, création systématique d’échelles à poissons pour permettre le maintien des voies migratoires, réserves pour sanctuariser notamment les lieux de reproduction. Le mode d’action de la Société reste en revanche identique, et largement inefficace dans les faits : elle en appelle aux pouvoirs publics pour définir de nouvelles lois et de nouveaux règlements ainsi que pour les appliquer.

  • 20 Rollinat Raymond, « Sur la destruction du Saumon dans le bassin de la Loire », Bull. SNAF, 1913, p. (...)
  • 21 Malange, op. cit.

21Or, dans la première moitié du XXe siècle, on assiste à une stagnation de la réflexion : les destructions constatées, les causes identifiées, les solutions proposées sont identiques. De plus, le sujet est de moins en moins évoqué en séance. Non pas que la situation des cours d’eau en France se soit améliorée au point de ne plus nécessiter d’intervention mais au contraire parce que la dégradation se poursuit malgré l’action des naturalistes. Ainsi, en 1913, Raymond Rollinat dénonce une fragmentation du cours de la Creuse par des barrages, fragmentation hautement préjudiciable à la remonte des saumons (Salmo salar) jusqu’à leurs lieux habituels de reproduction20. Il préconise alors la mise en place d’échelles à saumon sur les trois barrages qui empêchent la migration. Mais la mise en service du barrage d’Éguzon dans les années 1920, d’une hauteur de 61 mètres, rend illusoire toute restauration du parcours des poissons migrateurs pour la Creuse. De nombreux membres, comme Raymond Rollinat, cherchent ainsi à concilier protection et développement industriel mais le progrès de ce dernier dépasse la mesure d’un consensus réalisable. Face à un tel décalage entre leurs aspirations et la réalité, prenant conscience d’une certaine inéluctabilité destructrice du « progrès », nombre de protecteurs, et peut-être la Société elle-même, délaissent, au moins en apparence, un combat estimé perdu d’avance, d’autant que les pêcheurs à la ligne s’avèrent alors bien plus actifs sur le terrain21.

  • 22 Kreitmann L., « L’état actuel du Saumon en France », Bull. SNAF, 1938, p. 365-384.

22Néanmoins la Société d’acclimatation conserve son rôle d’expert. Ainsi en 1938, le Bulletin publie un travail de L. Kreitmann, conservateur des Eaux et Forêts et chef de la commission de la pêche au ministère de l’Agriculture, qui présente « l’état actuel du saumon en France » et les actions du ministère22. Ce texte dénote que les pouvoirs publics ont parfaitement conscience de la nécessité d’un « libre parcours de la mer à la tête des bassins, parcours sans pêches excessives, parcours sans obstacles infranchissables ». La politique du ministère consiste à restaurer l’accès du saumon « ligne d’eau par ligne d’eau », tout en protégeant totalement certaines rivières des activités industrielles en réalisant un partage des usages. Enfin, il restreint l’utilisation du repeuplement au « cas d’une rivière d’où un barrage infranchissable a éliminé le saumon et dans laquelle la construction d’une passe lui aurait rendu la liberté du parcours » et sollicite le concours de la Société pour cette œuvre de « réacclimatation du saumon dans les eaux de France ». Ainsi L. Kreitmann témoigne d’un certain aboutissement de la réflexion entamée dès les années 1850 sur le thème du dépeuplement des cours d’eau et de la perméabilité entre ministère et Société d’acclimatation.

La chasse ou l’art de l’éternel recommencement

23La chasse est le second thème qui apparaît peu évolutif dans la première moitié du XXe siècle. Même si elle l’a depuis longtemps identifiée comme un facteur important de destruction des espèces, particulièrement de l’avifaune migratrice, la Société ne remet pas en cause, sauf exception, la chasse en tant que telle (loisir, alimentation) mais elle distingue des pratiques « raisonnables » et d’autres qui conduisent à des « prélèvements » excessifs sur la faune. Elle insiste donc sur la nécessité d’une régulation et elle se tourne naturellement vers la puissance publique afin d’édicter les lois et règlements idoines, et les faire appliquer. Mais, tout au long du XIXe siècle, les sociétaires constatent l’inefficacité de ces actions. Parallèlement, ils débattent de la nécessité de protéger telle ou telle espèce utile ou au contraire de favoriser la destruction des nuisibles. À partir des années 1890, la situation évolue peu, malgré les très nombreuses références à ce thème.

24Néanmoins, un certain nombre d’éléments apparaissent comme originaux et viennent nuancer le constat d’une permanence des idées. Tout d’abord, la notion d’utilité/nuisibilité s’efface progressivement au profit de celle favorable à la préservation d’un équilibre :

  • 23 « Chronique », Bull. SNAF, 1921, p. 12.

« Il y a bien longtemps que nous sommes fixés sur l’utilité des animaux dits “nuisibles”, plume ou poil, qui rendent plus de services à l’agriculture que la plupart des gibiers protégés23. »

25En second lieu, l’idée de constituer des réserves pour protéger les espèces se diffuse et accompagne une certaine internationalisation des débats sur la chasse par le biais de conférences internationales, particulièrement à propos des oiseaux migrateurs. Ces évolutions vont de pair avec l’intérêt grandissant que suscitent les colonies, intérêt motivé par l’exploration de vastes territoires, mais aussi avec le constat de la rapidité de la destruction de la faune et du retard de la France par rapport aux autres puissances coloniales qui constituent l’une après l’autre de grandes zones protégées.

1933 : création de la section « Protection de la nature »

  • 24 « Procès-verbal de la séance du 4 janvier 1933 de la 7e section (Protection de la Nature) », Bull. (...)
  • 25 Pour une biographie de Raoul de Clermont, cf. Larabi-Godinot Yamina, « Raoul de Clermont. Un pionni (...)
  • 26 Par exemple, le 7 décembre 1938, M. Texier propose un vœu demandant à ce que les sociétés de protec (...)

26La création de la section de protection de la nature en 1933 représente une sorte d’aboutissement pour le processus interne d’émergence des idées de protection de la nature. La première réunion de cette 7e section a lieu le 4 janvier 193324 sous la présidence de Raoul de Clermont25. Après avoir rapidement critiqué l’application des lois françaises, qu’il juge par ailleurs insuffisantes, il passe la parole à un conférencier qui traite de la protection de la nature en Bulgarie. La seconde réunion, le 1er février, est consacrée exclusivement au projet de parc national dans les Pyrénées. La 3e séance se réunit le 1er mars pour entendre la conférence du Dr Gromier sur la destruction de la faune de l’Afrique occidentale et équatoriale française (conférence qui sera ensuite publiée dans le Bulletin). Le 5 avril, c’est le conservateur des Eaux et Forêts Granger qui présente les séries artistiques dans les forêts françaises et les difficultés à concilier exploitation avec esthétisme. Enfin, dernière séance pour la session de 1932-1933, le 3 mai, un conférencier résume les efforts faits en Italie pour la protection de la nature. Cette année 1933 est symptomatique de ce qu’est la 7e section : un lieu de débats, d’échanges, au sein duquel les sociétaires viennent présenter leurs travaux ou leurs communications avant une éventuelle publication dans le Bulletin. Des vœux, des recommandations peuvent être émis en direction des autorités françaises ou étrangères26.

27Les sujets traités sont variés (parcs nationaux, chasse, lois, destruction) ainsi que les espaces géographiques (France métropolitaine, colonies, pays d’Europe ou d’autres continents) et les disciplines sollicitées (zoologie, botanique). Contrairement à la LPO, dont on a vu le caractère à la fois spécialisé, militant, plus profane et de plus en plus autonome, la section de protection de la nature est partie intégrante de l’association et en conserve toutes les caractéristiques : scientifique, cercle d’échange, pas d’action directe, appel aux pouvoirs publics. La mise en œuvre de la protection de la nature se fait au sein d’autres structures comme la Commission des réserves ou le conseil d’administration.

  • 27 « Procès-verbal de la séance du 5 décembre 1934 de la 7e section (protection de la nature) », Bull. (...)

28La grande question des années 1930 est celle des espaces protégés, souvent rassemblés sous le titre générique de « parc national ». À cet égard est particulièrement intéressant l’exposé réalisé le 5 décembre 1934 par Georges Petit, sous-directeur de laboratoire au Muséum, intitulé « Pour la Protection de la Nature » qui constate d’abord les « dégradations, ruptures d’équilibre, destructions, imputables à l’Homme seul27 ». Il affirme ensuite que l’objectif n’est pas « un régime d’abstention et de renoncement [...] mais une économie plus prévoyante ». Il expose ensuite les deux solutions possibles : une réglementation meilleure et mieux appliquée ; la création de réserves. L’essentiel de l’action de la Société d’acclimatation depuis 1854 est ainsi résumé. Georges Petit différencie ensuite les type de réserves : « Parcs nationaux, dont les États-Unis ont été les initiateurs et qui comportent des aménagements touristiques » ; « Réserves naturelles où la nature est plus intégralement abandonnée à elle-même, où toute chasse, pêche, cueillette sont prohibées, et l’admission des visiteurs non scientifiques restreinte » ; « Réserves botaniques » ; « Réserves zoologiques » ; « Réserves d’acclimatement » ; « Réserves géologiques » ; « Sites classés à cause de leur intérêt artistique, scientifique, historique ou même légendaire ».

29Une partie de l’historiographie française, qui a de la peine à tenir compte du Parc national de la Bérarde fondé en 1913 ainsi que des réserves du Néouvielle et du Lauzanier, considère que le véritable mouvement de mise en réserve d’espaces naturels français débute dans les années 1960, faisant des Sept-Îles et de la Camargue des exceptions dans une France très en retard sur ce sujet. Les séances de la section de protection de la nature infirment cette vision car la question des « parcs nationaux » est très vive dans les années 1900-1910, mais également dans les années 1930. Gavarnie, Landes de Gascogne, réserves forestières, Afrique, Vercors, classement de sites au titre de la loi de 1930 : les projets ne manquent pas, même si peu se réalisent. La Société pour la protection des paysages de France, le Touring-club de France, le Club alpin français d’un côté, les forestiers de l’autre, les chasseurs par ailleurs sont très prolixes en intentions et sollicitent fréquemment les conseils et le soutien de la Société d’acclimatation. Loin d’être une exception en France, elle apparaît ainsi comme faisant partie d’un mouvement plus large dont elle représente, avec la LPO, la composante naturaliste. Si les réalisations effectives sont peu nombreuses, et peu connues, ces questionnements et tentatives de l’entre-deux-guerres participent pleinement au mouvement de constitution d’espaces protégés en France métropolitaine.

Date

Intervenant

Thème

4 janvier 1933

Clément-Marot André

La protection de la nature en Bulgarie

1er février 1933

Gaussen Henri

Projet de parc national dans les Pyrénées

1er mars 1933

Dr Gromier

La protection de la faune africaine

5 avril 1933

Granger André

Les séries artistiques dans les forêts françaises

3 mai 1933

Frigerio Celestino

Projet de parc national dans les Alpes du Stelvio

8 novembre 1933

Granger André

La restauration du « Vieux Marly »

6 décembre 1933

Bertier

L’éducation de la jeunesse et la protection de la nature

Idem

Petit Georges

La conférence internationale pour la Protection de la Nature de Londres du 31 octobre au 8 novembre 1933

3 janvier 1934

Chouard Pierre

Projet de la réserve de Néouvielle

7 février 1934

Sargos Jacques

Projet de parc national et de réserves dans les Landes de Gascogne

7 mars 1934

Marié Pierre

Les parcs nationaux et réserves dans le monde

11 avril 1934

Prof. Pellegrin

La question des barrages et la protection de la faune aquatique

9 mai 1934

Pichon Jules

La protection de la nature en Tchécoslovaquie

7 novembre 1934

Granger André

La chasse et la protection de la nature

5 décembre 1934

Petit Georges

Pour la Protection de la Nature

16 janvier 1935

Heid Maurice

La question du parc franco-espagnol Ordesa-Gavarnie

6 février 1935

Hettier de Boislambert C.

La protection de la grande faune africaine

6 mars 1935

Dr Marceron

Le rôle de l’alpinisme dans la prospection scientifique et la protection des richesses naturelles

3 avril 1935

Holub

Projet de voyage dans les Carpathes à la découverte des parcs nationaux et réserves d’Europe centrale

8 mai 1935

Clermont Raoul de

La loi de 1930 sur la protection des sites et monuments naturels

6 novembre 1935

Granger André

La conférence internationale pour la protection des oiseaux migrateurs

4 décembre 1935

Dr Rochon-Duvigneaud

Visite au parc national d’Ordesa

8 janvier 1936

Valois Charles et Cusin

La réserve de Molines-en-Champsaur

5 février 1936

Prof. Bressou

La réserve de Néouvielle

4 mars 1936

Valois Charles

Le parc de Chambord

Idem

Clermont Raoul de

La conservation des réserves boisées de la région parisienne

29 avril 1936

Clermont Raoul de

Chasse et protection de la nature

6 mai 1936

Durand

Protection de la nature en forêt de Fontainebleau et lutte contre les incendies

Idem

Duche Jacques

La lutte contre la pollution des rivières

4 novembre 1936

Valois Charles

La question du Ragondin

2 décembre 1936

Thibout Marc

Décret réglementant la chasse dans les colonies africaines

6 janvier 1937

Chouard Pierre

La réserve de Néouvielle

3 février 1937

Collectif

Divers sujets sont abordés sans conférence.

3 mars 1937

Granger André

Les séries artistiques

7 avril 1937

Andrieux Alfred

L’observation et la photographie des animaux sauvages en liberté

19 mai 1937

Valois Charles

La lutte contre les maladies du gibier en montagne. Quelques écueils à éviter dans les aménagements touristiques en forêt

10 novembre 1937

Maitre Joseph

Le déboisement dans le sud-marocain

2 décembre 1937

Clermont Raoul de

Les parcs nationaux et les réserves naturelles en Europe

19 janvier 1938

Granger André

Impressions d’Allemagne

2 février 1938

Andruejol

Les travaux de restauration forestière dans le parc de Saint-Cloud

23 mars 1938

Andrieux Alfred

La chasse au Grand-Duc

9 novembre 1938

Rive

Le tourisme dans la forêt de Chambord

7 décembre 1938

Texier

La route côtière de Bretagne

25 janvier 1939

Rochere colonel de la

Les forêts de l’Afrique occidentale française

15 février 1939

Dr Marceron

Aux confins sud du parc national de la Bérarde

15 mars 1939

Boissiere

Un parc national à créer dans le Vercors

Tableau 4. – Thèmes abordés par la section de protection de la nature (1933-1939).

Les réserves de la Société d’acclimatation

  • 28 Il est probable que la Société d’acclimatation s’appuie également sur les expériences coloniales de (...)

30Ainsi, la période de l’entre-deux-guerres ne se distingue du XIXe siècle pas seulement par des discours mais également par des actions concrètes de protection. Sur l’exemple revendiqué des Sept-Îles28, la Société d’acclimatation crée plusieurs réserves, en commençant par la Camargue en 1927. Exprimée dès 1856, régulièrement présente ensuite, l’idée de réserve s’impose à partir des années 1880 comme la solution privilégiée à la destruction de la nature. Le fait de passer à la réalisation, d’abord en 1912 pour la LPO et de façon partielle, puis véritablement en 1927, illustre un profond changement interne. L’existence de ces espaces protégés et leur nécessaire gestion conduisent la Société d’acclimatation à poursuivre en retour sa propre transformation. La création des réserves du Néouvielle et du Lauzanier en 1935 et 1936 s’inscrit dans ce processus.

Camargue 1927 : une opportunité déterminante

  • 29 « Séance générale du 21 février 1927 », Bull. SNAF, 1927, p. 133-134.
  • 30 Cf. Le Courrier de la Nature. Spécial SNPN 150e anniversaire, 213, juin 2004, p. 58-60 (d’après Jac (...)
  • 31 Le marquis de Foresta consent un tarif très préférentiel (Procès verbal du Conseil d’administration (...)
  • 32 Actes de la Réserve de Camargue, 7, octobre 1931, p. 49.

31En octobre 1926, une commission composée du secrétaire général Maurice Loyer, de Mme et M. Paul Murat, du docteur Arnault et d’Albert Chappellier, se rend en Camargue sur l’invitation de la compagnie Alais, Froges et Camargue (AFC)29 qui souhaite confier gracieusement à la Société d’acclimatation environ 10 000 ha pour y organiser une vaste réserve zoologique et botanique30. Elle conclut que l’offre de la société AFC doit être acceptée, ce à quoi le conseil souscrit. Le 4 février 1927 est signé un « Contrat général de surveillance » qui prévoit une première mise à disposition de douze ans. Le soutien des félibres et particulièrement celle du marquis de Baroncelli, grand défenseur de la Camargue et des gardians, est obtenu, sur des motifs esthétiques et identitaires. À son tour la compagnie des Salins du Midi confie des terres à la Société, venant ainsi compléter le territoire de la réserve par les salins de Badon et de la Vignolle. En 1931, la Société d’acclimatation loue les 700 ha du marais de chasse de la Tourvieille (bras mort du Rhône) à un de ses sociétaires31 pour les inclure dans sa réserve32.

  • 33 Tallon Gabriel, La réserve zoologique et botanique de Camargue, Paris, SNAF, s.d., ca 1934, p. 11.

32Corsetée depuis le milieu du XIXe siècle dans des digues le long aussi bien des deux Rhône que de la mer, livrée au nord à l’agriculture spéculative (céréales, vignes) et au sud à l’industrie salinière, la Camargue reste au début du XXe siècle un espace jugé « sauvage » et original par la planéité de ses paysages, une flore essentiellement halophile (salicorne, saladelle, etc.) et les traditions des gardians à cheval encadrant les manades de taureaux. Pour les naturalistes, elle est surtout une zone humide spécifique et de très grande importance particulièrement pour une avifaune « remarquable tant par la variété des espèces que par le nombre des individus33 ». C’est pour mettre hors « des dangers que lui faisaient courir les destructions sans cesse croissantes » cette avifaune et cette flore que la Société d’acclimatation décide de « mettre le territoire en Réserve intégrale » afin de les patrimonialiser.

33Les naturalistes-protecteurs bénéficient d’un contexte éminemment favorable car la dévolution de ce territoire est d’abord une façon de résoudre le profond conflit opposant les saliniers aux agriculteurs : les uns voulant une eau salée et exempte d’effluents agricoles, les autres souhaitant pouvoir mener leur irrigation et leurs rejets d’eaux douces comme ils l’entendent. Mais le Vaccarès perd après la Première Guerre mondiale de son importance car les saliniers ont les moyens techniques de pomper l’eau salée directement à la mer et les agriculteurs de rejeter leurs eaux dans le Rhône. Les protecteurs de la nature en général et la Société d’acclimatation en particulier apparaissent comme des acteurs neutres dans ce conflit car voués à ne pas intervenir dans la réserve « naturelle » et « intégrale » ainsi créée. À ce contexte particulier vient s’ajouter l’amitié personnelle de M. Debreuil avec un administrateur d’AFC et le fait qu’un autre administrateur de la compagnie appartienne à la Société d’acclimatation. Volontés individuelles, intérêts bien compris de toutes les parties, l’occasion est trop belle pour les protecteurs. La gestion de l’eau reste cependant une difficulté récurrente et à plusieurs reprises des actes de dégradation ou de malveillance sur des vannes de la digue à la mer seront déplorés. Des projets d’assèchement du Vaccarès à des fins agricoles ressurgiront aussi périodiquement.

Fig. 47. – Bécassines (Gallinago gallinago) en 1935 (Actes de la réserve de Camargue, 1936, p. 12).

  • 34 « Réserve zoologique et botanique de Camargue », Bull. SNAF, 1928, p. 25.
  • 35 Gabriel Tallon est un botaniste de renommée européenne et occupe initialement un poste d’ingénieur (...)

34Une fois le contrat signé, le plus difficile reste à faire : prendre possession du territoire, l’aménager, en assurer la surveillance et permettre les travaux scientifiques. Le premier conservateur de la réserve, A. Gibert34, est chargé des tous premiers aménagements mais, dès 1929, c’est Gabriel Tallon35 qui devient directeur et le restera pendant 38 ans. Première difficulté, récurrente, les coûts d’aménagement, d’entretien, de gestion et surtout de surveillance sont élevés. Malgré une subvention de 70 000 francs versée par l’État à la fin de 1927, l’aménagement de la réserve progresse lentement car les besoins sont très importants : la protection contre le braconnage nécessite trois gardes permanents avec chacun un logement doté d’une réserve d’eau potable et des chevaux pour se déplacer aisément et rapidement. Le mas de la Capelière est la priorité et si la citerne pour recueillir l’eau douce est terminée en 1928, le site ne dispose alors que d’une chambre. Outre l’aide de l’État, la réserve de Camargue peut compter sur l’appui de la Société des Salins du Midi, qui finance notamment la restauration du bâtiment du Salin de Badon. En 1931, Charles Valois annonce que les mas de la Capelière et du Salin de Badon offrent huit à dix chambres aux visiteurs. En 1936, une subvention de 40 000 francs est versée par le ministère de l’Agriculture complétée par une subvention de 30 000 francs du Comité national de la chasse. L’équilibre financier de la réserve, et de la Société d’acclimatation, dépendra du versement de ces subventions publiques.

Fig. 48. – Salin de Badon (Tallon Gabriel [s.d., ca 1934]), La réserve zoologique et botanique de Camargue, Paris, SNAF, pl. 1).

  • 36 Actes de la Réserve de Camargue, 1, mars 1930, p. 1. Cette commission est composée de L. Mangin, C. (...)
  • 37 Valois Charles, « Rapport au nom de la commission de la Camargue », Bull. SNAF, 1931, p. 179-181.
  • 38 Actes de la Réserve de Camargue, 3, octobre 1930, p. 24.
  • 39 Tallon Gabriel, « Rapport d’ensemble du 15 mars au 1er mai 1929 », Bull. SNAF, 1929, p. 143-149.
  • 40 Bressou Clément, « Rapport sur les réserves », Bull. SNAF, 1939, p. 1-3.

35Une Commission de la Réserve de Camargue est instituée en 1930 et a pour fonction d’étudier les projets, de préparer un budget distinct de celui de la Société et de présenter régulièrement des rapports notamment au conseil d’administration qui demeure le décideur en dernier recours36. La Société décide alors d’appliquer une « conservation intégrale, le respect absolu de la faune et de la flore37 » constitutive d’une « réserve intégrale », c’est-à-dire qui place la zone hors de toute activité humaine et qui entend limiter au maximum les interventions pour laisser la nature évoluer seule. Le professeur Bourdelle utilise à ce sujet le terme de « sanctuaire de la nature38 ». Ainsi, par exemple, quand en 1929 Gabriel Tallon envisage d’envoyer davantage d’eau douce en un point précis de la réserve afin de permettre la reconstitution d’une forêt d’Orme champêtre (Ulmus campestris) en partie déracinée par une tempête, il s’empresse de signaler que ce n’est en aucun cas une création de conditions artificielles mais au contraire le remplacement des inondations périodiques du Rhône supprimées par l’endiguement39. Quelques années plus tard, la Commission des réserves refusera la proposition d’un sociétaire d’introduire en Camargue des buffles de Roumanie40, proposition qui aurait été très appréciée au XIXe siècle. Avec l’idée de réserve intégrale, on observe le triomphe sur le terrain de la notion d’équilibre naturel :

  • 41 Tallon Gabriel, La réserve zoologique et botanique de Camargue, Paris, SNAF, s.d., ca 1934.
  • 42 Bourdelle Professeur, « Rapport sur le Parc National de Camargue », Actes de la Réserve de Camargue (...)

« La Réserve sauvegarde une portion importante de [la Camargue], où non seulement seront conservées les formations actuelles en équilibre avec le milieu, mais où pourront, dans une certaine mesure, se reconstituer les formations anciennes41. »
« Ainsi faune et flore peuvent évoluer suivant les lois naturelles, se multiplier et s’accroître, en un juste équilibre biologique, en conservant au pays son caractère d’originalité. Ainsi doivent être, non seulement protégées, mais encore rigoureusement maintenues dans leur état primitif, à l’abri de tout croisement et de toute acclimatation, les races animales ou les espèces végétales qui sont la caractéristique de la Camargue42. »

36Le gestionnaire choisit de laisser la nature camarguaise se reconstituer en la protégeant de ce que l’on identifie alors comme des perturbations anthropiques et en interdisant la chasse et toute capture animale, la coupe de bois même mort, toute coupe ou ramassage de végétal, toute introduction ou acclimatation d’animaux et de végétaux.

  • 43 Actes de la Réserve de Camargue, 22, 1938, p. 7.

37La réserve a pour second objectif « l’étude de la nature », dimension rapidement développée aussitôt les aménagements de la Capelière et du Salin de Badon effectués. De nombreux professeurs du MNHN mais aussi des sociétaires et d’autres scientifiques y compris étrangers visitent la réserve chaque année et leurs études sont mentionnées dans des « Actes » publiés très régulièrement entre 1930 et 1961. Un important effort de baguage est par exemple entrepris en relation avec d’autres grandes stations ornithologiques européennes. La renommée internationale de la réserve ne cesse de se développer et elle reçoit la visite les 16 et 17 mai 1938 d’une centaine de participants au IXe Congrès ornithologique international qui vient de se tenir à Rouen43.

Fig. 49. – Actes de la réserve de Camargue (mars 1930).

  • 44 Picon Bernard, op. cit., p. 104.
  • 45 Actes de la Réserve de Camargue, 24, 1941, p. 44.
  • 46 Procès verbal du Conseil d’administration du 11 mars 1931, Archives SNPN.
  • 47 Bressou C., « Allocution », Bull. SNAF, 1933, p. 44.
  • 48 « Procès-verbal de la séance publique annuelle de distribution des récompenses du 10 mai 1931 », Bu (...)
  • 49 Procès verbal du Conseil d’administration du 15 avril 1931, Archives SNPN.

38Cependant, outre les difficultés financières, un certain nombre de menaces pèsent sur la réserve dès son origine. La question de la délimitation des terrains est de longue haleine, en raison de l’absence de tout bornage, de la confusion entretenue entre « droits » existants et « propriété », d’habitudes locales. La définition d’objectifs largement étrangers aux Camarguais engendre une vraie incompréhension44. Ainsi, alors qu’il fait visiter en juin 1931 la réserve à un aréopage de personnalités éminentes, Louis Mangin a la surprise de se faire verbaliser par deux gardes d’un propriétaire voisin contestant une limite foncière. En 1941, un accord amiable à ce litige territorial portant sur 5 000 ha est trouvé entre la société AFC et les héritiers de Noilly-Prat : la réserve y gagne notamment les bois des Rièges45. D’autres menaces sont mortelles : Louis Mangin doit intervenir en 1928 auprès du ministre de la Guerre pour obtenir l’abandon d’un projet de champ de tir pour avion sur des étangs contigus à la réserve, avec succès, même si la Seconde Guerre mondiale voit ce projet ressusciter pour un temps. D’autre part, à plusieurs reprises des avions volant à basse altitude occasionnent involontairement mais aussi délibérément d’importants dégâts dans l’avifaune et particulièrement dans la colonie de flamants roses (Phoenicopterus roseus). Les interventions de Louis Mangin auprès du ministère de l’Air y mettent bon ordre. Encore plus grave est le projet consistant en l’assèchement du Vaccarès (50 000 ha) afin de dessaler le sol et de le mettre en culture, tout en luttant « contre les inondations46 ». La Société et une partie de la population locale (Société des chasseurs d’Arles et saliniers notamment) s’y opposent, contre l’avis d’élus, d’ingénieurs du Génie rural, du Conseil général (qui demande l’expropriation) et des chambres de commerce et finissent par obtenir gain de cause après des interventions auprès des pouvoirs publics et de l’académie d’Agriculture et « une âpre polémique de presse dans les grands quotidiens de Paris et de province47 ». La Société consacre sa séance solennelle de 1931 « à la défense de la Camargue, afin d’exposer à ses invités les raisons pour lesquelles elle s’opposait énergiquement à l’assèchement de la Basse-Camargue et défendait au contraire la thèse de sa conservation48 ». Outre l’appui du Saint-Hubert Club de France, de la Société des agriculteurs de France et du Touring Club de France, elle sait se concilier des soutiens au plus haut niveau en organisant le 3 juin 1931 un « voyage d’étude » regroupant de nombreuses personnalités. La demande provient de la Compagnie AFC, qui en assume tous les frais, alors que les invitations sont faites par la Société d’acclimatation49.

  • 50 Édouard Herriot visitera la réserve de Camargue le 3 octobre 1931.
  • 51 Actes de la Réserve de Camargue, 6, juillet 1931, p. 35-36.

« Sous la direction de M. Louis Mangin, membre de l’Institut, directeur du Muséum, président de la Société, assisté de M. Bressou, professeur à l’École d’Alfort, secrétaire général de la Société, et M. Tallon, directeur de la Réserve, ont assisté à cette excursion : M. Level, administrateur de la Société Alais, Froges et Camargue, entouré de ses principaux collaborateurs MM. Masselin, secrétaire général, de Vitry, adjoint à l’administrateur délégué, Hochet, directeur des Usines Chimiques, de Prévoisin, directeur du Contentieux de la Société Alais, Forges et Camargue ; J. Bosc, sénateur du Gard ; Legros, député du Loir-et-Cher ; Coulet, recteur de l’Académie de Montpellier ; Chaplain, inspecteur général des Eaux-et-Forêts, délégué par le Touring-club de France ; Roger Guérin, président du Comité national de la Chasse ; Mermier, inspecteur principal à la Compagnie P.-L.-M. ; Verhille, secrétaire général et David, directeur administratif de la Compagnie des Salins du Midi ; Beauquier, président de l’Académie de Nîmes ; Magnien, conservateur des Eaux et Forêts ; Sion, professeur à la Faculté des Sciences de Montpellier, et de nos collègues MM. les professeurs Roule et Bourdelle, du Muséum d’Histoire Naturelle ; Mérite, Loyer, Duvau, de Sambucy de Sorgue, Hugues. M. le président Herriot50, M. Honnorat, sénateur et M. Cazals, questeur de la Chambre des Députés devaient être également de l’excursion, mais ils durent s’excuser aux derniers moments de n’avoir pu quitter Paris à temps51. »

Un second groupe de visiteurs (de gauche à droite) : M. Tallon, Bressou, Duvau, Beauquier, Mermier, R. Guérin, Bourdelle, Loyer, de Prévoisin, Legros, de Sambucy de Sorgue.
Fig. 50. – Excursion du 3 juin 1931 (Actes de la réserve de Camargue, 1931, p. 40).

39Les visiteurs découvrent l’ensemble des richesses de la réserve en carrioles légères tirées par des chevaux de race Camargue et escortées par des gardians avant de profiter d’un déjeuner organisé sur la digue à la mer par le directeur de l’usine de Salins-de-Giraud et dont le clou remarqué fut une bouillabaisse accompagnée de sa rouille. M. Level, administrateur de la société AFC, prend alors la parole pour « souligner l’intérêt de la réserve et la nécessité de conserver cette œuvre d’utilité publique ». Ce à quoi tous les participants souscrivent. Le projet d’assèchement sera abandonné. La Société d’acclimatation obtient le 8 juin 1942 le classement de la réserve au titre de la loi du 2 mai 1930 sur la protection des monuments naturels.

40Avec la Camargue, la Société d’acclimatation mène pour la première fois directement sur le terrain une action de protection de la nature, et sans passer par une sous-section. Avec son président Mangin, elle s’implique très fortement dans cette nouvelle responsabilité et utilise tous les atouts dont elle dispose pour faire fonctionner la réserve de façon satisfaisante : savants renommés ; réseaux scientifiques, mondains et politiques ; programmes d’étude. Ce faisant elle s’initie à la gestion d’une réserve naturelle qu’elle conçoit comme intégrale. Quelques années plus tard elle saura réutiliser l’expérience acquise.

Néouvielle, un laboratoire-conservatoire de la nature en montagne

  • 52 « Procès-verbal de la Section de protection de la nature », Bull. SNAF, 1er février 1933, p. 159-16 (...)
  • 53 Ces motifs sont cités dans Chouard Pierre, « Un site d’une exceptionnelle beauté : la réserve natur (...)

41Le Néouvielle, situé dans le département des Hautes-Pyrénées, est cité pour la première fois dans le Bulletin en 1933 quand la section de protection de la nature étudie un projet de parc national, sur un périmètre allant du cirque de Gavarnie au massif du Néouvielle, présenté par le professeur Henri Gaussen, de Toulouse52, afin de protéger un espace que l’on estime riche mais gravement menacé par le surpâturage des troupeaux espagnols anéantissant les arbres, détruisant la flore et provoquant une forte érosion53.

42Blottie au pied du massif éponyme (3 091 m), bénéficiant d’une orientation sud qui lui confère un microclimat plus chaud et plus sec, parsemée de nombreux lacs et étangs, Néouvielle est constituée majoritairement d’une forêt de pins à crochets (Pinus mugo ; présent jusqu’à 2 600 m d’altitude, un record européen) entrecoupée de landes et de pelouses dues au pastoralisme. Ce territoire varié abrite entre autres près de 1 250 plantes, 571 espèces d’algues et une faune très riche, endémique comme le desman (Galemys pyrenaicus, petit mammifère aquatique proche de la taupe), l’euprocte (Calotrition asper) et l’isard (Rupicapra pyrenaica ; figure 51) ou qui établit des records comme le crapaud accoucheur (Alytes obstetricans ; reproduction à 2 400 m).

  • 54 Pierre Chouard (29 octobre 1903 à Paris – 11 décembre 1983 à Paris) est un botaniste, agrégé de sci (...)

43Pour les participants à la réunion de la section de protection de la nature, l’intérêt de protéger ces richesses biologiques ne fait aucunement débat et tous tombent d’accord sur plusieurs points : le périmètre envisagé est retenu ; le mode opératoire doit consister en la location de concessions auprès des communes qui ne devraient pas faire de difficulté au vu du « déclin de l’exploitation pastorale aux grandes altitudes » et si tant est que l’on préserve leurs « droits » ; il est impératif de se concilier les bonnes grâces des « hydrauliques » au premier rang desquels la Compagnie des chemins de fer du Midi. Enfin Pierre Chouard54 propose de définir deux ensembles dans le futur parc : un premier peu étendu qualifié de « réserve totale » d’où toutes les activités humaines seraient proscrites ; un autre plus vaste qualifié de» réserve artistique » où chasse et pacage seraient autorisés mais pas les nouvelles constructions. Ce projet a pour avantage de faire le lien avec le Parc national d’Ordesa qui existe en Espagne depuis le 16 août 1918.

Carte 4. – Réserve du Néouvieille (Bull. SNAF, 1936, p. 20).

  • 55 « Procès-verbal de la Section de protection de la nature », Bull. SNAF, 3 janvier 1934, p. 146-149.
  • 56 Clément Bressou (1887-1979), vétérinaire de formation, dirige l’école d’Alfort de 1934 à 1957. Memb (...)

44Presque un an plus tard, le 3 janvier 1934, Pierre Chouard vient devant la section présenter un nouveau projet55, qui diffère sensiblement de celui de M. Gaussen. Le périmètre est considérablement revu à la baisse et l’idée de parc national est abandonnée au profit de celui d’une réserve de la Société d’acclimatation. En effet, manifestement, les conditions ne sont pas réunies pour un projet plus vaste à la fois parce que les autorités administratives sont peu enclines à le mettre en œuvre et parce que les oppositions locales semblent importantes et peu susceptibles de converger à court terme. De plus, les communes ne loueraient leurs pacages qu’à des « prix exhorbitants [sic] ». L’action des protecteurs ne peut ainsi se développer selon Chouard que de quatre façons : louer pour un prix modique les mauvais pâturages, louer des espaces très réduits pour protéger des plantes rares très localisées, s’associer avec les chasseurs pour organiser des réserves de chasse, ou obtenir un classement au titre de la loi de 1930. Le projet se concentre alors sur le massif du Néouvielle où des terrains peuvent être pris à bail pour un coût de 3 000 francs par an auxquels s’ajoutent 2 à 3 000 francs de gardiennage. Pierre Chouard égrène les intérêts de cette zone : végétaux, faune, morphologie glaciaire, tourisme, laboratoire de biologie d’Orédon mis en place en 1922 par le professeur Jammes de Toulouse, stations météorologiques déjà installées par ses soins. Le Pr Bressou56, secrétaire général de la Société, conclut la séance en proposant, avec l’assentiment de la section, un vœu de soutien à ce projet et indique qu’il considère M. Chouard comme la personne la plus apte à le mener à bien notamment par les contacts qu’il entretient avec M. le docteur Salles, maire de la commune de Vielle-Aure, avec les professeurs Jammes et Gaussen de Toulouse ainsi qu’avec les représentants des Eaux et Forêts et du Génie Rural.

  • 57 Procès verbal du Conseil d’administration du 10 janvier 1934, Archives SNPN.
  • 58 Chouard Pierre, « Actes administratifs et scientifiques de la réserve de Néouvielle », Bull. SNAF, (...)

45Le 10 janvier 1934 le Conseil d’administration décide la création de la réserve57. Le 30 juillet 1935, le bail conclu entre la Société d’acclimatation et la commune de Vielle-Aure prend effet, la réserve du Néouvielle naît58. Auparavant, le 24 mars 1935, le Comité scientifique provisoire s’est réuni à Toulouse pour discuter du règlement (adopté par la commission des réserves de la Société le 29 novembre 1935) et du programme de travail :

  • 59 « Règlement de la Réserve du Néouvielle », Bull. SNAF, 1936, p. 18.

« La Réserve naturelle du Néouvielle est établie par la Société Nationale d’Acclimatation dans le but de conserver intacte une portion de montagne pyrénéenne, de développer le goût et le respect de la nature, et de faciliter les recherches scientifiques, surtout celles qui peuvent améliorer les pratiques de l’économie montagnarde59. »

  • 60 Raymond Justin Marie Despax (1886-1950) est un entomologiste français, professeur à Toulouse.
  • 61 Louis Roule (20 décembre 1861-30 juillet 1942) est titulaire de la chaire de Zoologie (Reptiles et (...)
  • 62 René Gabriel Jeannel, né le 22 mars 1879 à Paris et mort le 20 février 1965 à Paris : est un natura (...)
  • 63 Étienne Antoine Prosper Jules Rabaud est un zoologiste français, né le 12 septembre 1868 à Saint-Af (...)

46Si la science et la protection sont toutes deux présentes, les activités humaines sont loin d’être rejetées. Le fait que le Néouvielle soit utilisé par les montagnards explique sans doute cette évolution de l’idée de réserve pourtant pensée comme devant exclure l’homme pour être véritablement « naturelle ». Suit une énumération d’interdictions (chasse, pêche, bruit, pacage, abattage de bois, camping, etc.) assortie de l’exception du pâturage pour l’aumaille de Vielle-Aure. Enfin, l’article douze prévoit la constitution d’un « Comité directeur scientifique composé de six membres au moins nommés par le conseil de la SNAF parmi les membres de la Société et comptant au moins trois membres des Facultés de l’Université de Toulouse parmi lesquels figurera le Directeur du Laboratoire d’Orédon ». Le premier Comité comprend sans surprise les chercheurs qui ont été moteurs dans cette mise en réserve : Jammes (professeur de zoologie, directeur du laboratoire d’Orédon et président du Comité) et Gaussen (professeur de botanique) auxquels vient s’ajouter Despax60 (professeur de zoologie), tous trois de Toulouse ; Chouard est nommé directeur de la réserve ; Roule61 et Jeannel62 du Muséum et Rabaud63 (professeur à la Sorbonne) complètent le Comité.

Fig. 51. – Actes de la réserve du Néouvieille (Bull. SNAF, 1936, p. 18).

47Rapidement, la réserve du Néouvielle se met à fonctionner autour de ses deux vocations : forte protection assurée aux espèces et aux milieux par des interdictions et un gardiennage ; recherches scientifiques. Tous les ans sont publiés dans le Bulletin des « Actes administratifs et scientifiques » qui rendent compte de tous les événements de l’année. Divers faits matériels sont signalés (embauche d’un garde supplémentaire, panneaux de signalisation, enclos, etc.). Ils témoignent d’un suivi précis de la gestion de la réserve par la Société et sa Commission générale des réserves. Mais surtout un vaste programme scientifique se réalise, particulièrement sous l’action des professeurs de Toulouse, très majoritairement botanistes et entomologistes. Il illustre le lien étroit qui unit désormais la réserve et le laboratoire d’Orédon et qui ne cessera d’exister sur la période étudiée. Il faut insister sur le fait que ce sont des botanistes et des entomologistes qui ont projeté, réalisé et géré cette réserve. Au sein de la Société, les sections qui s’intéressent à la botanique et aux insectes et les membres spécialisés dans ces domaines apparaissaient jusqu’à présent très en retrait (en retard ?) par rapport aux « pisciculteurs », aux mammalogistes et aux ornithologues, et ce sur l’ensemble de la période. Le Néouvielle est l’occasion de nuancer cette vision. On s’aperçoit également que la Société est capable de confier des responsabilités de recherche et de gestion importantes aux scientifiques « provinciaux », certes professionnels, en ne conservant finalement qu’un rôle de supervision : le caractère centralisateur de l’association apparaît davantage comme une image issue d’un état de fait (Paris comme centre de la science française) que comme une volonté de domination de Paris sur la province.

  • 64 En 1968 sera créée par arrêté ministériel l’actuelle réserve naturelle, dont la gestion sera confié (...)

48En définitive, la réserve du Néouvielle est une belle réussite à mettre au crédit de la Société d’acclimatation, qui s’avère capable de soutenir une initiative locale, et qui est décidée à le faire. Elle assure ainsi, avec le relais du Parc national des Pyrénées64, 80 ans de protection sans discontinuer à un espace et des espèces très spécifiques et emblématiques des Pyrénées tout en favorisant de nombreuses recherches scientifiques. La réserve du Néouvielle, en devenant un laboratoire-conservatoire de la montagne pyrénéenne, fruit d’un équilibre entre la nature et son usage par l’homme, remplit parfaitement les objectifs fixés en 1935.

Le Lauzanier, la tentation de la réserve intégrale

49Une seconde réserve de montagne est créée au même moment dans les Alpes de Haute-Provence. Partie du massif de l’Ubaye, entouré par des sommets qui frôlent les 3 000 m, frontalier avec l’Italie, parcourue par les troupeaux du village de Larche, la vallée du Lauzanier et son lac intéressent la Société d’acclimatation aussi bien par le caractère esthétique de ses paysages (une nature montagnarde « sauvage » préservée) que par sa richesse biologique. On y trouve en effet des animaux emblématiques comme la marmotte (Marmota marmota) et le tétras-lyre (Tetrao tetrix) (figure 52) ou le chamois (Rupicapra rupicapra) mais c’est surtout sa flore qui a retenu l’attention des naturalistes (chardon de Bérard (Berardia subacaulis), chardon bleu des Alpes (Eryngium alpinum), saxifrage à nombreuses fleurs (Saxifraga florulenta).

Carte 5. – Réserve du Lauzanier (Bull. SNAF, 1936, p. 31).

  • 65 Procès verbal du Conseil d’administration du 8 mars 1933, Archives SNPN.
  • 66 Notons que Pierre Marié, entomologiste, président de la Société entomologique de France en 1929, es (...)
  • 67 Procès verbal du Conseil d’administration du 10 janvier 1934, Archives SNPN.
  • 68 « Règlement de la réserve du Lauzanier », Bull. SNAF, 29 novembre 1935, p. 28.
  • 69 « La nature doit être protégée de la manière la plus stricte qui soit, non pour être appréciée par (...)
  • 70 Marié Pierre, « Actes administratifs et scientifiques », Bull. SNAF, 1936, p. 32-37.

50Étudiée depuis 193365 sur proposition de Pierre Marié qui en deviendra le premier directeur66, la réserve du Lauzanier est créée le 10 janvier 1934 par décision du Conseil67 et la Commission des Réserves en adopte le 29 novembre 1935 un règlement très largement inspiré de celui du Néouvielle : « Conserver intact l’aspect d’une portion de la montagne alpine, protéger sa faune et sa flore, développer le goût et le respect de la nature, et faciliter les recherches scientifiques et pratiques se rapportant à la nature68. » Une mise en réserve totale est préconisée et même ardemment souhaitée. C’est une vision classique des savants qui est ici à l’œuvre, celle du « paysage fermé69 ». Les interventions humaines sont très limitées, sous la surveillance d’un garde permanent : interdiction de la chasse et de la pêche et particulièrement du déterrage des marmottes, du pâturage, de l’abattage des arbres, de la cueillette de plantes, du ramassage de pierres, du camping, du ski et de toute activité pouvant déranger la faune ou nuire à la flore. Pierre Marié obtient également la fin des exercices militaires dans cette zone. La réserve est divisée en deux ensembles : la partie basse est libre d’accès aux visiteurs ; la partie haute est mise en « défense totale ». La visite de cette seconde partie est payante sauf pour les sociétaires. Afin d’avoir un contrôle complet des activités, la Société a souscrit auprès de la commune de Larche des baux de location de « longue durée », qui débutent le 1er janvier 193670.

Fig. 52. – Actes de la réserve du Lauzanier (Bull. SNAF, 1936, p. 28).

51Pierre Marié considère qu’en supprimant toute activité humaine, la nature « reprendra ses droits » et rétablira seule son état « initial » considéré ici comme idéal. Tout est ainsi fait, au moins dans les discours, pour exclure l’Homme de cet espace de montagne. Sauf que ni Pierre Marié, ni la Commission générale des réserves ne s’interrogent jamais sur cet « idéal », ni sur l’origine d’un milieu présenté comme remarquable. L’idée de réserve intégrale, omniprésente dans les discours, ne résiste pas longtemps aux impératifs de la gestion. Le manque de moyens financiers n’a jamais permis à Pierre Marié de supprimer le pâturage. La multiplication des salmonidés introduits dans le lac du Lauzanier avant la Première Guerre mondiale par les Eaux et Forêts le conduit à organiser des pêches au filet au cours de l’année 1937 pour en diminuer le nombre, sans succès. Bel exemple une nouvelle fois des problèmes posés par l’introduction d’espèces allochtones, que préconisait la Société au XIXe siècle. Le niveau du lac est rehaussé par une digue et des saules bouturés sur ses berges parce qu’on y a trouvé d’anciennes souches et que Pierre Marié estime améliorer ainsi « l’esthétique » du site. Les touristes sont également encouragés à venir visiter la réserve. Pour le Lauzanier, l’idée d’un retour à une nature sauvage n’est qu’un mythe mais un mythe efficace car générateur d’actions contribuant de fait à une meilleure protection des espèces et du milieu.

  • 71 Georges Huisman (1889-1957) est un haut-fonctionnaire français, directeur général des Beaux-Arts en (...)
  • 72 « Arrêté du 30 octobre 1939 », Bull. SNAF, 1939, p. 98.

52Si l’on s’essaye à une comparaison entre les réserves du Néouvielle et du Lauzanier, une différence importante apparaît. Elle tient au caractère éminemment scientifique de la mise en réserve du Néouvielle. Rien de tel au Lauzanier, aucune université, aucun laboratoire, aucun savant professionnel n’est à l’origine de la réserve, ne participe directement à sa gestion, ne mène un programme de recherche sur le site. Pierre Marié est le seul, avec l’aide des gardes, à fournir des éléments pour composer la synthèse scientifique annuelle qu’il présente à la Commission générale des réserves. De ce fait, la mise en réserve du Lauzanier semble davantage en appeler d’une démarche individuelle, militante, esthétique et idéaliste par bien des aspects que d’un projet scientifique même si la légitimité « écologique » de la protection effectivement réalisée demeure incontestable. Le classement de la réserve du Lauzanier en atteste si besoin est : le 30 octobre 1939, le directeur général des Beaux-Arts Georges Huisman71, au nom du ministre, arrête l’inscription de la réserve du Lauzanier à l’inventaire des sites dont la conservation présente un intérêt général, en application de l’article 4 de la loi du 2 mai 1930. L’État reconnaît et conforte de ce fait l’action de la Société désignée nommément comme locataire de cet espace et chargée de l’application de l’arrêté avec la préfecture et le maire de Larche72. Le Lauzanier devient un « monument naturel ». Actuellement il est situé dans la zone centrale du parc national du Mercantour créé en 1979.

Des réserves qui témoignent d’une profonde évolution interne de la Société d’acclimatation

53De ces créations successives de réserves, plusieurs remarques et conclusions émergent. Ni réserve de chasse, ni réserve de pêche, ce sont des réserves naturelles qui sont créées : elles ne se fondent plus sur un utilitarisme direct et anthropisé. C’est la nature « gratuite », non forcément utile, qui est mise en valeur, pour une richesse qui lui est propre et déconnectée des activités humaines. Le choix est donc fait de placer ces espaces en dehors des activités humaines, même traditionnelles. C’est le concept de réserve intégrale qui est ici mis en œuvre, ce qui marque aussi le terme d’une évolution de longue durée : la Société d’acclimatation abandonne de facto l’introduction d’espèces allochtones ; la protection de la nature supplante l’utilitarisme. Ces réserves et leur gestion traduisent également le triomphe de l’idée d’équilibre naturel qui énonce que, sans l’homme, la nature atteint un état de stabilité dynamique, sorte de fin de l’histoire naturelle. Cet état représente alors un idéal, mythique, mais qui légitime pour les protecteurs l’exclusion de l’homme de certains espaces. Les réserves dénotent aussi une certaine évolution de la Société de la « conservation » (protection d’une nature où l’homme est présent ; on concilie alors la protection et les activités humaines) vers la « préservation » (protection intégrale et sans compromis d’une nature d’où l’homme est exclu). En 1937, Clément Bressou résume parfaitement cela : « La “réserve naturelle intégrale”, dont la conception sévère a toute la rigueur qui convient à une véritable méthode scientifique, est d’une exécution difficile et ne pourra être réalisée qu’exceptionnellement. Qu’on le veuille ou non, l’influence de l’homme et l’action perturbatrice de la civilisation se font presque toujours sentir, à des degrés divers et souvent à une très grande distance. [...] Cependant, si [...] on veut ne retenir que le

  • 73 Bressou C., « Conduite et organisation des réserves », Contribution à l’étude des réserves naturell (...)

principe de sa conduite, celui du libre jeu des facteurs biotiques mis rigoureusement à l’abri des interventions de l’homme, on conviendra que cette conception est la seule qui assure l’évolution naturelle du milieu biologique, qui permette d’en suivre et d’en observer le comportement à partir des formations actuelles, quelles que soient d’ailleurs les biocœnoses extrêmes auxquelles peuvent aboutir cette évolution. C’est la seule qui soit susceptible, sinon de “stabiliser” un équilibre des forces vivantes difficile à concevoir, du moins de “protéger” quelques lambeaux de nature primitive d’une destruction prochaine ou d’une évolution faussée par l’homme73. »

54Les entomologistes mais surtout les botanistes sont omniprésents à la fois dans la dynamique de création, dans la gestion et dans les études réalisées. Au contraire, les mammalogistes, très en pointe en ce qui concerne les réserves de chasse et celles à créer dans les colonies, et les ornithologues, virulents sur le sujet de la chasse et des oiseaux migrateurs, sont étonnamment absents sauf en Camargue. Gabriel Tallon et Pierre Chouard, botanistes, Pierre Marié, entomologiste, témoignent de l’existence d’idées de protection de la nature fortes et abouties dans ces disciplines.

  • 74 Bourdelle Professeur, « Rapport sur le Parc National de Camargue », op. cit., p. 28.
  • 75 La position de la Société d’acclimatation est modérée sur le niveau de protection : certes la prote (...)
  • 76 Contribution à l’étude des réserves naturelles..., op. cit., 1937.

55Les réserves de la Société d’acclimatation ne sont pas des avatars des parcs nationaux, même si elles peuvent en représenter une certaine origine. Initiatives privées malgré le soutien fréquent de l’État, elles dénotent une mutation de l’association qui, de société savante, acquiert une étonnante dimension militante, originale dans le contexte de la première moitié du XXe siècle. Le professeur Bourdelle illustre bien cette nouvelle vision de l’action en 1930 : « N’attendons pas des décisions d’une autorité supérieure la création spontanée d’un grand Parc national de Camargue. Au contraire, petit à petit, patiemment, ajoutons de nouvelles pierres à l’édifice dont les fondations sont déjà bien établies, agrandissons progressivement la zone protégée et renforçons de mieux en mieux les moyens de protection74. » Devant le manque de résultats probants de ses autres modes d’action, et la réussite de la réserve des Sept-Îles, la Société d’acclimatation se décide à agir directement pour protéger des espaces exceptionnels d’un point de vue scientifique et naturaliste. Elle prend ainsi en charge la Camargue, Néouvielle et le Lauzanier en instaurant une protection souhaitée intégrale75 et en développant des programmes d’étude et de gestion. Ce faisant, elle devient le principal gestionnaire français d’espaces naturels protégés comme en témoigne la publication de la Société de biogéographie consacrée aux réserves naturelles et aux parcs nationaux76. Elle s’impose ainsi aux yeux de tous, y compris dans ses propres rangs, comme une véritable association de protection de la nature, qui n’en porte toujours pas le nom.

  • 77 Selmi Adel, op. cit., p. 13-29. Pour les associations à caractère touristique, la « protection des (...)
  • 78 Procès verbal du conseil d’administration du 19 avril 1939, Archives SNPN.

56Ayant certes toutes dans leurs objectifs une certaine ouverture au grand public, les réserves de la Société d’acclimatation se distinguent néanmoins de la conception du Touring-club de France et du Club alpin français77. D’ambitieux programmes scientifiques, un accueil bien organisé pour les savants, des laboratoires de recherche mis à disposition, la publication de nombreuses études, l’intérêt scientifique des entités constituées est un élément fondamental. Les critères paysagers, esthétiques, bien que présents, ne sont pas au cœur des projets. En définitive, avec les réserves de la Société d’acclimatation, c’est un courant spécifique de protection de la nature, avec des caractéristiques marquées, qui se révèle au grand jour. Après les chas-seurs, les forestiers et les esthètes, les naturalistes développent une vision différente et fondent la protection de la nature sur des considérations d’abord scientifiques, écologiques. Pour autant, les liens entre ces différents courants demeurent très importants comme en témoignent le 1er Congrès international pour la protection de la nature et les procès verbaux du conseil d’administration de la Société qui, dans les années 1930 signalent, et souvent appuient, tous les projets ou tentatives de constituer des « parcs nationaux », des « séries artistiques » ou autres « réserves ». En 1939, le conseil d’administration décide même de créer une nouvelle réserve dans le Vercors en louant des terrains aux Papeteries de France ainsi qu’à la commune de La Chapelle-en-Vercors78 et en allouant à cette opération un budget de 20 000 francs. Le déclenchement de la guerre interrompra cette tentative. D’autres projets sont initiés par la Société d’acclimatation mais ne connaissent qu’une réussite partielle : Cadarache (1936 ; Bouches-du-Rhône ; avec introduction du mouflon de Corse), Chartreuse de Valbonne (1934 ; Gard), classement des sapinières d’Espazel (1935 ; Aude) et de la forêt de Gardanne (1935 ; Bouches-du-Rhône), Corse (1925), réserve pour le castor sur la Cèze (1929 ; Gard).

Le souci des colonies et de leur faune

57Si les réserves créées par la Société sont métropolitaines, la situation de la nature dans les colonies demeure un sujet majeur de préoccupation des savants, particulièrement par la crainte des disparitions d’espèces dues à une surexploitation par l’homme. Cette approche concernant ces espaces extra-européens n’est pas nouvelle même si, jusqu’à la fin du XIXe siècle, la Société d’acclimatation a surtout vu dans les colonies, et l’étranger, un réservoir d’espèces à acclimater en Europe.

  • 79 Bonneuil et Kleiche, op. cit.

58À partir de cette date, la gestion des espaces nouvellement conquis par la France conduit la Société à s’occuper, toujours dans un but utilitariste, de l’acclimatation des espèces qui pourraient y être utiles, qu’elles proviennent d’Europe ou d’ailleurs : elle y applique l’idéologie de l’acclimatation, par ailleurs de plus en plus contestée en métropole79. Mais, très rapidement, un constat des destructions en cours est dressé, notamment pour le grand gibier africain. Mis à part le fait qu’elle concerne un espace extérieur à la France européenne, la question de la protection de la faune africaine n’entraîne, au sein de la Société, aucune considération nouvelle, ni avancée conceptuelle ou concrète. On retrouve le même schéma logique d’exposition du problème et les mêmes solutions que pour les espèces présentes en métropole : on dénonce la disparition d’espèces et on désigne des responsables ; on demande à l’État d’agir... et on vilipende son inefficacité ; on compare avec ce qui est fait à l’étranger... et ce n’est jamais à l’avantage de la France ; on propose des réserves... et on juge celles finalement réalisées insuffisantes.

Comment protéger la faune africaine ?

  • 80 Sournia Gérard, Des éléphants, des hommes... et de l’ivoire. Un patrimoine universel, symbole de l’ (...)
  • 81 Pfeffer Pierre, Vie et mort d’un géant. L’éléphant d’Afrique, Paris, Flammarion, 1989, p. 146.
  • 82 Ibidem., p. 147.

59Les massacres réalisés par les chasseurs européens mais aussi indigènes révoltent les sociétaires, et rien ne peut les justifier à leurs yeux : plaisir, trophées, alimentation carnée, etc. Même les besoins de la science et de l’acclimatation sont critiqués. Ces destructions sont assez bien documentées pour l’éléphant d’Afrique en raison du commerce de l’ivoire, commerce qui laisse des traces notamment douanières. Gérard Sournia estime entre 800 et 1 100 tonnes l’exportation annuelle d’ivoire africain entre 1850 et 191480. Pierre Pfeffer indique « qu’entre 1840 et 1910, [...] entre 3,5 millions et 4,4 millions d’éléphants ont été tués uniquement pour approvisionner l’Occident81 ». La conséquence d’un tel besoin d’ivoire est évidente : les populations s’effondrent. Pour l’Afrique occidentale française (AOF) et l’Afrique équatoriale française (AEF), les chronologies de la destruction de l’éléphant sont différentes : en AOF, l’exportation d’ivoire passe d’une tonne en 1891 à 37 tonnes en 1908, pour s’effondrer à une tonne en 1922 ; en AEF, elle passe de 32 tonnes en 1891 à 170 tonnes en 1909 puis 20 tonnes en 1930. L’effondrement du commerce de l’ivoire ne correspond ni à une loi protectrice, ni à la mise en place d’une réserve, mais tout simplement à l’anéantissement quasi complet d’une population donnée d’éléphants. La chasse est bien le cœur de la question de la protection de la faune dans les colonies, qu’elle soit « sportive » ou commerciale. Selon Pierre Pfeffer, « depuis des années, en effet – depuis un demi-siècle même – des voix s’élevaient dans l’opinion publique et parmi les naturalistes pour que les puissances coloniales mettent fin à ces monstrueuses destructions82 ».

  • 83 Le docteur Édouard Trouessart est membre du conseil de la Société d’acclimatation et préside sa 1re(...)
  • 84 La communication du docteur Trouessart porte sur l’Afrique australe. Il fait alors ici référence à (...)
  • 85 « Procès-verbal », Bull. SNAF, 1905, p. 125.
  • 86 Alluaud Charles, « La protection du gros gibier en Afrique orientale anglaise », Bull. SNAF, 1905, (...)

60Ces considérations favorables à une protection sont dans l’air du temps car le 19 mai 1900, à Londres, « les puissances européennes ayant des intérêts dans l’Afrique équatoriale s’engagent à protéger un certain nombre de Mammifères », dont l’éléphant, et le Bulletin rend compte de la mise en œuvre de certaines de ces mesures. Il est vrai que cet accord a débouché sur bien peu de résultats sur le terrain. En 1905, Édouard Trouessart83 signale les dispositions prises en « Afrique allemande84 » pour « préserver les espèces qui tendent à disparaître85 » : « permis de chasse » au prix « très élevé » ; « droit de sortie de 10 % » sur l’ivoire exporté. La même année, Charles Alluaud, du ministère de l’Instruction publique, évoque « la protection du gros gibier en Afrique orientale anglaise86 » qui prend la forme de deux mesures : permis de chasse qui comportent des « droits à tuer » limitatifs ; « territoires réservés » où la chasse est prohibée.

Les mesures françaises

  • 87 Jouanin Christian, « L’histoire de la SNPN », op. cit., p. 15.
  • 88 Pfeffer Pierre, op. cit., p. 148.

61Quelles sont les mesures prises pour les possessions françaises ? Pas grand chose si l’on en croit la Société d’acclimatation qui inspire en 1906 la création d’une Société des amis de l’éléphant87. Ce retard français est confirmé par Pierre Pfeffer qui signale que « seules l’Allemagne et l’Angleterre respectèrent les accords de Londres et les appliquèrent tant bien que mal dans leurs possessions88 ». Néanmoins, au milieu des années 1910, les protestations de la Société semblent sur le point d’aboutir : É. Trouessart signale ainsi la publication au Journal Officiel du décret du 4 avril 1914 portant réglementation de la chasse dans l’Afrique occidentale française :

  • 89 « Procès-verbal de la séance du 4 mai 1914 », Bull. SNAF, 1914, p. 429.

« Ce règlement est, en réalité, issu des délibérations de la Société d’acclimatation, reprises et discutées à nouveau par la Commission permanente pour la réglementation de la chasse aux colonies, instituée au ministère des Colonies en 191289. »

62Quelques jours auparavant, le 26 mars 1914, Albert Lebrun, ministre des Colonies, avait laissé entendre, lors de son discours à l’occasion de la séance publique annuelle, que cette demande de la Société aboutirait prochainement :

  • 90 Lebrun Albert, « Discours », Bull. SNAF, 1914, p. 230.

« C’est votre Société qui, la première, a réclamé que soient créées en France des réserves de gibier comme il en existe dans d’autres pays. [...] Vous n’ignorez pas que le département des Colonies est entré depuis deux ans dans cette voie et que des mesures vont être prises pour réglementer la chasse dans nos colonies d’Afrique, afin d’éviter la disparition d’un certain nombre d’espèces essentielles90. »

  • 91 Neveu-Lemaire, « Exposé des travaux de la Commission de protection de la faune coloniale », Bull. S (...)

63Quatorze ans après la Convention de Londres sur la protection des mammifères d’Afrique, la France adopte ainsi, sous la pression des naturalistes, des dispositions imitant ce que les Britanniques ont mis en place depuis une dizaine d’années. Mais le sujet de la protection à assurer à la faune africaine ressurgit dans l’entre-deux-guerres, avec les mêmes constats. Ainsi, en 1925, certains membres importants de la Société participent à une « Commission de protection de la faune coloniale » que le ministère des Colonies a chargé Abel Gruvel, professeur au MNHN, de réunir91.

Quelle réussite ?

  • 92 Gromier docteur, « La protection de la faune africaine », Bull. SNAF, 1933, p. 201-211, 259-268 et (...)

64Quelques années plus tard, le major Gromier, médecin-commandant de retour d’Afrique, informe la Société de la persistance des destructions en insistant « sur le terrible appauvrissement zoologique des colonies françaises ». Il les compare systématiquement aux possessions anglaises, qu’il prend comme modèle d’efficacité, et reproche à l’administration coloniale française d’être intéressée par le maintien d’une logique de destruction de la faune et de ne pas appliquer les lois et règlements édictés à Paris92. Cette image est à nuancer car, selon Pierre Pfeffer, le peu de réussite de la protection n’est pas limité aux possessions françaises :

  • 93 Pfeffer Pierre, op. cit., p. 151.

« En Angleterre et en Allemagne, des hommes de science et des associations de protection des animaux s’élevaient aussi contre ce massacre sans davantage obtenir l’arrêt du commerce de l’ivoire, ni celui de la chasse à l’éléphant93 ».

  • 94 « Conférence internationale pour la protection de la faune et de la flore en Afrique. Londres, 1933 (...)

65Il indique également, en se fondant sur des statistiques douanières, qu’après la Première Guerre mondiale les exportations d’ivoire représentent environ 600 tonnes par an à destination de l’Europe soit la mort de 30 000 à 35 000 éléphants. L’activité internationale déployée par les puissances européennes corrobore cela. En effet, le Bulletin publie en 1934 la « Convention relative à la conservation de la faune et de la flore à l’état naturel » adoptée lors de la « Conférence internationale pour la protection de la faune et de la flore en Afrique » qui s’est tenue à Londres en 193394 et précise que la faune et la flore naturelle de l’Afrique sont « en danger d’extinction ou de préjudice permanent » et que la meilleure façon de les conserver est de constituer des « parcs nationaux », de réglementer et de limiter la chasse et le commerce, ce qui semble indiquer que la question de la destruction de la faune en Afrique n’est toujours pas résolue, ni pour les territoires français, ni même pour les colonies britanniques pourtant érigées en modèles.

Un retard français dans les colonies ?

  • 95 « Procès-verbal », Bull. SNAF, 1935, p. 134-136.

66Il est en fait très difficile d’apporter la preuve que les uns protègent efficacement et les autres pas du tout, en l’absence de dénombrements systématiques et sur des espaces bien définis. Les impressions de voyageurs ou de « coloniaux », pour précieuses qu’elles soient, sont bien évidemment sujettes à caution, d’autant que dans le Bulletin, elles sont employées à l’appui d’une double thèse admise par tous sans aucune contestation : la grande faune africaine disparaît à cause des massacres commis par les chasseurs ; la protection française est totalement inefficace contrairement à celle des britanniques. Quelle est la réalité de telles affirmations ? Certes, elles peuvent apparaître vraisemblables ne serait-ce que par le nombre et la qualité (y compris scientifique) des personnes qui tiennent ces propos, mais certains discours s’avèrent pour le moins ambivalents. Ainsi, C. Hettier de Boislambert intervient le 6 février 1935 devant la section de protection de la nature pour évoquer la « protection de la grande faune africaine95 ». Bien évidemment, il loue la réussite anglaise et dénonce les échecs français. Mais, ne résistant pas au plaisir de l’anecdote pour illustrer l’ampleur des massacres, il raconte avoir lui-même rencontré « dans une des parties les mieux gardées de l’Afrique orientale anglaise, un braconnier italien qui, en armant des noirs, avouait avoir réussi à faire tirer près de 600 Rhinocéros en dix ans ». L’efficacité britannique semble quelque peu mise à mal. Pierre Pfeffer ne dit d’ailleurs pas autre chose :

  • 96 Pfeffer Pierre, op. cit., p. 150.

« Dans les possessions des autres puissances coloniales [que la France], la situation n’était guère meilleure. Du côté anglais malgré la création de quelques réserves qui furent à l’origine des célèbres parcs nationaux d’Afrique, le massacre allait bon train96. »

67Il rapporte aussi les propos d’un certain Stigand, administrateur du Soudan anglo-égyptien : « Il n’est pas compatible pour l’éléphant, la civilisation et le progrès de vivre côte à côte. » Néanmoins, il signale également un retard de quinze ans de la France dans l’interdiction de la chasse commerciale et la mise en place de permis restrictifs pour la chasse « sportive ».

68Ce cas de la faune africaine et plus particulièrement de l’éléphant d’Afrique permet de mesurer l’hypothétique retard français en matière de protection de la nature, même s’il ne l’explique pas. D’abord, la prise de conscience des protecteurs français se réalise simultanément aux autres puissances coloniales à partir des massacres constatés. En revanche, la mise en œuvre de mesures concrètes par le gouvernement accuse un retard d’une quinzaine d’années. Enfin, il ne semble pas que les résultats des britanniques soient suffisamment importants pour que l’on puisse dès cette époque les ériger en modèle de protection de la nature. Estienne Rodary, en s’intéressant aux parcs nationaux africains, confirme ces conclusions :

  • 97 Rodary Estienne, « Les parcs nationaux africains, une crise durable », Laslaz et Héritier (dir.), o (...)

« La conservation de la nature sur le continent africain a été en premier lieu une conséquence directe des très grands prélèvements faits à l’occasion de l’exploration des terres par les colons européens. Face aux destructions qui ont lieu dans différentes régions du continent, les premières mesures de protection sont prises entre les années 1880 et les années 1920. D’une part pour limiter les massacres perpétrés sur la grande faune et, d’autre part, pour protéger les zones forestières les plus intéressantes. La conférence de Londres de 1900, qui réunit les différentes puissances coloniales, marque le début des politiques concertées de protection, principalement centrées sur la mise en place de réserves de chasse et de réserves forestières. [...] D’un point de vue cynégétique, ces mesures restèrent néanmoins de faible portée97. »

  • 98 Mahrane, Thomas et Bonneuil, op. cit.

69Si la Société d’acclimatation concentre ses réflexions sur la protection de la faune des colonies, nombre de naturalistes qui la composent, et notamment ceux du MNHN, s’engagent pour obtenir des mesures de protection de la flore et des forêts de ces espaces jugés menacés par l’exploitation coloniale98. Ainsi dix réserves naturelles sont créées en 1927 à Madagascar et se veulent des sanctuaires pour une nature « vierge », quitte à spolier les populations locales et leurs usages traditionnels. Mais la Société d’acclimatation ne participe pas directement à ces créations.

La participation au mouvement international de protection de la nature

70Par son rayonnement scientifique, son objet initial et ses réseaux, la Société est très active sur le plan international. Son recrutement géographique en témoigne ainsi que ses protecteurs et son influence sur la création de sociétés d’acclimatation dans d’autres pays. S’il ne faut pas attendre l’entre-deux-guerres pour que la Société se préoccupe de protection de la nature en France et dans les colonies, son implication internationale dans ce domaine ne date pas non plus de 1923, date du 1er Congrès international de protection de la nature. Au contraire, le fait que la Société soit la coorganisatrice et l’éditrice des actes de cette manifestation sanctionne son implication dans ce mouvement amorcé dès la fin du XIXe siècle.

D’importants échanges scientifiques

  • 99 Par exemple le 1er Congrès ornithologique de Vienne en 1884 ; le 2e à Budapest en 1891 ; le 3e à Pa (...)
  • 100 Par exemple, le Congrès ornithologique de Berlin (1909), où Louis Ternier représentant du ministre (...)
  • 101 Ternier Louis, « Le Congrès international de la chasse », Bull. SNAF, 1908, p. 84-87.

71Deux thèmes mobilisent à cette époque les naturalistes et les gouvernements : il s’agit de la plumasserie et de la chasse aux oiseaux migrateurs. Sur ces deux sujets, les savants-protecteurs ont bien conscience de l’inanité d’une protection des espèces limitée à un seul pays et s’intéressent donc à une protection internationale de la nature par le biais des Congrès ornithologiques99 dans lesquels la Société est représentée100. Mais les résultats ne sont manifestement pas au rendez-vous tout simplement parce que, d’un congrès l’autre, les vœux émis restent lettre morte ou, dans le meilleur des cas, se traduisent par des lois qui ne modifient en rien la situation de destruction. Sur le même thème, la Société participe également en 1908 au 1er Congrès international de la chasse (Paris) à l’invitation du ministre de l’Agriculture101. Dans le « Comité d’organisation » de ce congrès figurent trois sociétaires : Trouessart (administrateur), Debreuil (secrétaire des séances) et Ternier.

  • 102 Dannin E., « Le congrès forestier international et les parcs nationaux », Bull. SNAF, 1913, p. 505- (...)
  • 103 Louis Ternier au congrès international de la chasse de 1908 par exemple.
  • 104 « Séance du 23 octobre 1923 », Bull. SZF, 1923, p. 317.

72Quel que soit le sujet du congrès ou de la manifestation internationale, les modes de participation de la Société sont identiques. Elle rend compte des conclusions d’une réunion internationale portées à sa connaissance par un sociétaire comme pour le Congrès forestier international de Paris (1913), organisé par le Touring-club de France, où le vœu de former une « Société des parcs nationaux de France », à la participation de laquelle la Société d’acclimatation est pressentie, est émis102. Ensuite elle peut contribuer aux discussions par l’intermédiaire d’un membre que ses fonctions personnelles amènent à assister au congrès dont il est question103. Cran d’implication supplémentaire, elle peut être invitée en tant que société savante et émettre une opinion officielle, souvent en se faisant représenter par un sociétaire qualifié dans le domaine traité. Raoul de Clermont, Clément Bressou (secrétaire général), Rochon-Duvigneaud (administrateur) et Valois (secrétaire des séances) représentent ainsi officiellement la Société d’acclimatation au Congrès international d’alpinisme du 25 août 1932 et font adopter plusieurs vœux proposant une meilleure protection des espèces et des milieux. Enfin, elle peut maintenir des relations suivies avec des instances ou organismes à vocation internationale comme le Comité international de la chasse ou l’Office international pour la protection de la nature créé à Bruxelles en 1928 et même participer à un comité restreint issu d’un congrès. Louis Ternier, représentant officieux de la Société au Congrès international ornithologique de Berlin 1909, participe ainsi au « Comité international pour la Protection des oiseaux » qui a été décidé104.

  • 105 Sur ce mouvement européen de protection, consulter Piccioni Luigi, op. cit., 2010 et Wöbse Anna-Kat (...)
  • 106 Clermont Raoul de et al. (dir.), Congrès international pour la protection de la nature. Faune, flor (...)

73Le bilan de l’investissement de la Société d’acclimatation dans la protection de la nature au niveau international est en demi-teinte : fructueux et stimulants échanges scientifiques qui débouchent sur un véritable consensus des participants et témoignent d’une convergence internationale de la prise en compte de cette problématique ; réalisations décevantes qui butent sur les intérêts nationaux et la difficulté de traduire les intentions en actes105. Avec le 1er Congrès international pour la protection de la nature, qu’elle co-organise en 1923 et qui se doublera d’une seconde réunion en 1931, l’implication de la Société d’acclimatation se renforce considérablement car elle apparaît comme un des supports d’une protection internationale de la nature. La publication des actes de ces réunions permet de comparer le point de vue de la Société d’acclimatation avec celui exprimé par chaque intervenant qui a tout loisir d’exprimer sa vision de la nature, de sa destruction et de sa protection106.

Le premier « Congrès international pour la protection de la nature » (1923), une synthèse

74Organisé conjointement par trois associations françaises (Société d’acclimatation, LPO et SPPF), le 1er Congrès international pour la protection de la nature serait dû à l’initiative de Raoul de Clermont, vite rejoint par Albert Chappellier (secrétaire général de la LPO) et Louis de Nussac (secrétaire général de la SPPF). Mais derrière ce triumvirat de façade se cache la domination de la Société d’acclimatation et de son président qui, dans les faits, pilotent l’ensemble de la manifestation. Le Congrès est accueilli dans les locaux du MNHN sur invitation de Louis Mangin. Les actes du congrès sont édités par la Société d’acclimatation. Cinq des six organisateurs du congrès sont membres de la Société dont deux de la direction. La réunion préparatoire du Congrès se tient à son siège le 27 novembre 1922 et le comité d’organisation alors créé y élit domicile. Le 2 juin, en clôture, la Société réunit autour d’un dîner les congressistes étrangers.

  • 107 Clermont Raoul de, « Avant-propos », Clermont Raoul de et al. (dir.), Congrès..., op. cit., p. VI.
  • 108 Paul Sarasin (1856-1929) est un naturaliste suisse assez éclectique. Il est un des fondateurs de la (...)
  • 109 Jaffeux, op. cit.

75Les origines de ce 1er Congrès international sont diverses et remontent au moins aux premières années du XXe siècle. Pour Raoul de Clermont, c’est de septembre 1905 qu’il faut dater la première occurrence d’une manifestation internationale s’intéressant partiellement à la protection de la nature, sous la forme du 2e Congrès international d’Art public réuni au Congrès de l’association littéraire et artistique internationale à Liège dont un vœu adopté demande « que les mesures nécessaires soient prises pour la création de Parcs nationaux destinés à sauver de la destruction les animaux, les plantes et les minerais particuliers au pays107 ». Plus spécifique est ensuite le 1er Congrès international pour la Protection des paysages en août 1909, en France, auquel Louis Ternier et Raoul de Clermont participent activement afin de protéger les espèces menacées de disparition en tant qu’éléments constitutifs des paysages. Aux réunions du Congrès de l’association littéraire et artistique internationale de 1910 (Luxembourg), 1911 (Paris) et 1913 (La Haye), Raoul de Clermont fait adopter le principe d’une Commission internationale permanente et d’un Office ayant pour tâche de « centraliser les documents et renseignements concernant la protection des Sites et Monuments naturels ». L’influence du courant esthétique ou artistique apparaît majeure. Presque simultanément, une autre mouvance se manifeste. En effet, Raoul de Clermont relève l’intervention de Paul Sarasin108 au 8e Congrès international de zoologie à Graz demandant la constitution d’une Commission internationale pour la protection mondiale de la nature. Cette origine « savante » ou « naturaliste » est à compléter par les Congrès internationaux d’ornithologie déjà évoqués mais que ne cite pas Raoul de Clermont. De la proposition de Paul Sarasin naît une Conférence internationale pour la protection de la nature qui se réunit pour la première fois à Berne le 17 novembre 1913. 19 pays sont rassemblés, dont la France représentée notamment par Edmond Perrier mais des divergences se révèlent : si Sarasin souhaite une organisation internationale et autonome de protection, Français et Allemands résistent en prêchant pour une coopération non contraignante entre nations. À ces diverses manifestations qui préfigurent une organisation internationale, Henri Jaffeux ajoute le Premier Congrès forestier international à l’initiative du Touring-club de France (Paris, 16-20 juin 1913)109. La Première Guerre mondiale porte un coup d’arrêt à cette dynamique et Raoul de Clermont présente le Congrès de 1923 comme la reprise du « fil interrompu », reprise partielle car les protecteurs allemands et autrichiens ne sont pas conviés.

FIG. 53. – Couverture des actes du 1er Congrès international pour la protection de la nature (Paris, 1923).

76L’objet du congrès est défini en décembre 1922 par Raoul de Clermont :

  • 110 Clermont Raoul de et al., Congrès..., op. cit., p. 5.

« La Nature, dans ses trois règnes, est de toutes parts menacée par les progrès de l’industrie. L’activité de l’homme gagne des régions jusqu’ici inaccessibles à ses entreprises ; son caprice ou son utilitarisme imprévoyant mettent en péril l’existence d’un grand nombre d’espèces animales et végétales. Ceux même des animaux que devrait préserver leur utilité, leur rareté ou leur beauté, sont pourchassés, massacrés, détruits, voir à la veille de l’extinction ; les espèces botaniques, isolées ou groupées en stations et forêts, sont victimes de funestes innovations, qui, sous le très louable couvert de progrès industriels, nous ravissent l’aide salutaire de l’arbre, ou gâtent l’harmonie de nos sites les plus pittoresques, de nos plus magnifiques paysages, détruisant parfois d’admirables témoins des temps géologiques. Tous les amis, tous les défenseurs de la Nature doivent se grouper pour élever la voix, rédiger des protestations efficaces et exercer une action protectrice qui sauvegarde pour l’avenir notre patrimoine naturel110. »

77De seul consommateur légitime de nature, l’homme devient l’unique facteur incriminé et c’est le « progrès » qui est mis en accusation. À l’utilité, très habituelle mais ici qualifiée « d’imprévoyante », vient s’ajouter la beauté, courant ancien et très important, et plus étonnamment, la « rareté ». Ce dernier élément représente l’apport le plus singulier du courant naturaliste, dans une logique de patrimonialisation des espèces. Si les congressistes fondent leurs conceptions sur des considérations utilitaristes, esthétiques et scientifiques, ils considèrent unanimement que la protection doit être conciliée avec l’industrialisation et la modernisation, facteur de « progrès ».

  • 111 Société botanique de France, Société française d’aquiculture et de pêches, Société française de min (...)
  • 112 Club alpin français, Société des amis des arbres, Société des touristes du Dauphiné, Touring-club d (...)
  • 113 Fishing-club de France, Saint-Hubert-club de France, Société centrale des chasseurs, Lieutenants de (...)
  • 114 Six belges ; une canadienne ; huit espagnoles ; deux états-uniennes ; sept britanniques ; trois née (...)

78Le 1er Congrès a ainsi pour objectif de fédérer différents courants. La section « faune » s’accompagne d’une section « sites et paysages » qui porte nettement la marque du courant « artistique » ou « esthétique ». Cette rencontre des naturalistes et des « esthètes » est parfaitement perceptible dans la liste des associations participantes au Congrès et publiées dans les actes : sur les trente associations françaises, douze s’intéressent à la science111, sept peuvent être classées comme « esthètes112 », quatre touchent à la chasse et à la pêche113. Sur 84 « institutions et sociétés adhérentes », 54 sont étrangères114 (dont trois seulement non européennes). En tout ce sont près de 300 personnes qui participent à ce Congrès.

79En premier lieu, les congressistes cherchent à protéger les « raretés », animaux ou plantes, traduisant une vision naturaliste du problème et l’importance prise par la crainte des extinctions. Puis viennent les considérations sur le gibier, cynégétiques, anciennes et pleinement utilitaristes. Enfin, ils évoquent les forêts, les sites et monuments à l’appui d’une vision esthétique, anthropocentriste et assez largement utilitariste également (progrès du tourisme). À part le fait que la présence de la SPPF produit une insistance particulière sur ce dernier critère de protection, on ne mesure pas véritablement de différence avec la Société d’acclimatation. Afin de réaliser cette œuvre, les congressistes sollicitent les États pour qu’ils adoptent des réglementations plus strictes et les fassent appliquer. À cet égard, les vœux semblent trouver un certain écho : la loi française sur la chasse du 3 mai 1844 voit neuf de ses articles modifiés selon les souhaits des protecteurs, mais uniquement sur des points de détail ; des décrets réglementant la chasse dans les colonies sont promulgués le 18 janvier 1925 pour la Cochinchine, le 10 mars 1925 pour l’AOF et sur la pêche aux explosifs en Nouvelle-Calédonie.

80Ensuite ils partagent, quel que soit le courant auquel ils appartiennent, un désir de parcs nationaux, dont ils confient la réalisation aux pouvoirs publics. Un seul congressiste se distingue : il s’agit du vicomte Ullswater, ancien président de la Chambre des communes, qui représente la Royal Society for the Promotion of Nature Reserves in the British Iles. Toute sa communication est orientée autour de l’idée qu’il ne faut pas attendre grand chose des parlements et des gouvernements et que, au contraire, il faut compter, « sinon exclusivement, du moins principalement, sur les concours privés », à rebours des autres congressistes, et de la Société d’acclimatation. Cet appel au privé pour protéger un bien estimé national, collectif, choque vraisemblablement car une note des éditeurs, d’à peu près même longueur que la communication du vicomte, est insérée à la suite, fait unique dans les actes. M. Valois affirme alors que « sans compter trop complaisamment sur les initiatives des Pouvoirs publics, c’est bien cependant aux Parlements et aux Gouvernements que les amis de la Nature semblent devoir s’adresser, non seulement pour obtenir des lois protectrices, mais souvent aussi quand il s’agit de créer des Parcs Nationaux ou des Réserves de grande étendue ». Il y a ici une différence de fond sur l’action en matière de protection de la nature, et sans doute un des éléments les plus précieux d’explication des différences entre la Grande-Bretagne et la France, et d’autres pays, en termes de réalisation. Il ne faudra pas attendre longtemps pour que la Société se retrouve en position de gestionnaire privé de réserves naturelles de vastes dimensions (Camargue dès 1927), qui demeurent jusqu’à la Seconde Guerre mondiale les seules réalisations véritablement tangibles en matière de protection de la nature... à l’égal de ce qu’affirmait le vicomte Ullswater et nonobstant le lobbying de l’association dans les milieux du pouvoir.

81En définitive, peu de différences sont perceptibles entre les congressistes et ce qui est énoncé au sein de la Société d’acclimatation même si le champ d’intérêt est élargi par la présence forte de l’esthétisme et la prise en compte d’éléments non vivants. Un certain nombre de personnes, de sociétés, d’institutions, ici essentiellement européennes, ont alors en partage une conception très proche de la protection de la nature.

Le deuxième « Congrès international de protection de la nature » (1931) : un recentrage naturaliste au temps de l’Exposition Coloniale

  • 115 Gruvel Abel et Valois Charles (dir.), Deuxième congrès international pour la protection de la natur (...)

82Le 2nd Congrès international de protection de la nature se tient en 1931 sous la présidence d’Albert Lebrun, président du Sénat, dans les locaux du Muséum115. Beaucoup moins connu et cité par l’historiographie que celui de 1923, et pourtant aussi riche et intéressant, ce congrès se réunit à l’initiative des mêmes organisations auxquelles s’est adjoint le Comité national pour la protection de la faune et de la flore coloniales et s’associe la Société de géographie de Paris. Comme pour 1923, le comité d’organisation apparaît dépendre étroitement de la Société d’acclimatation et du MNHN : sur les dix membres qui le composent, trois seulement proviennent d’autres institutions, tout en étant néanmoins eux-mêmes adhérents de la Société. Les délégués, surtout européens, représentent non pas des gouvernements mais des sociétés savantes ou des institutions. En revanche, comparativement au 1er congrès, on observe une très nette diminution de leur nombre, notamment des français. Cette concentration se double d’un recentrage qualitatif autour des savants et du courant naturaliste : les associations présentes ont presque toutes des intitulés de sociétés savantes et plus encore de protection de la nature. Les touristes et autres esthètes sont réduits à bien peu de choses, les chasseurs, les agronomes, les forestiers à encore moins.

Fig. 54. – Couverture des actes du 2e Congrès international pour la protection de la nature (Paris, 1931).

83Ce recentrage naturaliste, perceptible dans la forme, est corroboré par le fond. Comme en 1923, les travaux du congrès sont divisés en sections : faune ; flore ; sol et sous-sol ; sites et paysages ; protection générale. Or, à la lecture des actes, on s’aperçoit que la section « sites et paysages », cœur du courant esthétique, est réduite à la portion congrue et ses conclusions jointes à la section générale. Raoul de Clermont, qui évoque « la lutte contre l’enlaidissement des paysages par l’abus de la réclame », est seul avec J. Boivin-Champeaux (« la réclame et protection de la nature ») à représenter ce courant. Est-ce l’adoption de la loi de 1930 sur les sites, donnant pièce à sa principale revendication de 1923, couplée à la réalisation de parcs nationaux dans les colonies françaises, qui ont déconnecté ce mouvement de la protection de la nature faute de thèmes à défendre ? Cette restriction préfigure-t-elle une mutation des esthètes vers une protection de l’environnement plus que de la nature ? Quoi qu’il en soit, alors que le congrès de 1923 pouvait représenter la manifestation d’une sorte d’union des courants de protection de la nature, celui de 1931 donne l’image d’une césure entre eux, ou à tout le moins d’une concentration de chacun sur les thématiques qui lui sont propres.

84De fait, la plupart des communications et des vœux du congrès de 1931 portent sur des thèmatiques naturalistes de protection d’une nature d’où l’homme est largement absent. Les thèmes concernant la faune portent sur les mammifères (avec cinq communications sur la chasse dans les colonies, une sur le bison d’Europe et une sur le castor du Rhône), les oiseaux (leur chasse, la nécessité d’une protection internationale, la question de l’application de la convention de 1902), les reptiles (extinction d’une espèce de tortue) et les poissons. La flore n’est pas en reste avec la question des plantes rares notamment dans les colonies et les montagnes européennes, celle de la création de « jardins botaniques coloniaux » pour sauvegarder et étudier la flore coloniale et celle des réserves forestières à créer notamment au Brésil, dans les colonies, en Suisse et dans les montagnes. Le sujet des parcs nationaux, dirimant en 1923, apparaît moins prégnant en 1931. De fait, c’est le cas pour la France mais aussi pour d’autres pays européens, un certain nombre d’espaces « naturels » ont été mis en protection d’une façon ou d’une autre entre les deux congrès.

  • 116 La LPO s’en préoccupe depuis au moins 1923. Bull. LPO, juillet 1923. Bull. FGFPO, octobre 1927, p.  (...)

85Les vœux reprennent ce contenu en sanctionnant quelques avancées. Ainsi le congrès demande « que la réglementation n’ait plus pour base la distinction entre oiseaux utiles et nuisibles, mais reconnaisse la nécessité de protéger tous les oiseaux sauvages ». Les marées noires, nouvelle problématique du transport maritime, sont dénoncées116. Le congrès propose la création de parcs zoologiques coloniaux et de réserves botaniques coloniales pour « la sauvegarde des espèces et des associations végétales menacées ». Il milite enfin pour la création de parcs nationaux transfrontaliers. Dans les diverses communications, l’idée d’un retard français en matière de protection de la nature, encore présente, a tendance à s’estomper devant les réalisations des années 1920. D’autre part, si l’on craignait que la juxtaposition du Congrès et de l’Exposition Coloniale concentre les débats et les propositions sur les colonies, force est de constater qu’il n’en a rien été et que, même si ces dernières occupent une part importante des discussions, la situation en Europe est loin d’être absente. En revanche, l’acclimatation semble encore plus minorée qu’en 1923, manifestant ainsi nettement la transformation des idéologies à l’œuvre. Cette image d’un congrès naturaliste de protection, pour réelle qu’elle soit, ne doit pas apparaître comme exclusive. Des passerelles existent entre les différentes thématiques et les orateurs ne se cantonnent pas le plus souvent à une vision univoque des problèmes : protéger une espèce rare est également souvent pour eux le moyen de protéger un milieu particulier et réciproquement ; les considérations naturalistes ne sont pas exemptes d’influences – ou de justifications – utilitaristes, esthétiques ou morales.

  • 117 Freysselinard Éric, Albert Lebrun, le dernier président de la iiie République, Belin, 2013, 592 p.
  • 118 Lebrun Albert, « Discours d’ouverture », Gruvel et Valois (dir.), op. cit., p. 33.
  • 119 Lebrun Albert, « Allocution », Gruvel et Valois (dir.), op. cit., p. 569.

86Le cas d’Albert Lebrun, président du Sénat, président du Congrès, réputé écrire lui-même ses discours117, résume ces mélanges. En effet, avec des accents qui rappellent singulièrement feu Edmond Perrier et les séances publiques des années 1910 (auxquelles il a d’ailleurs participé en tant que ministre des Colonies), il développe une vision globale des rapports homme-nature. Il considère d’abord la nature comme « l’intangible patrimoine de l’humanité118 » et il demande que l’on sauvegarde « ce patrimoine sacré que la nature généreuse jusqu’à la prodigalité, nous a dispensé avec une infinie générosité et que nous nous devons de passer intact à ceux qui viendront après nous119 », faisant ainsi sien le thème des « générations futures », cher à Perrier, tout en rendant compte de la patrimonialisation en cours de la nature. Il va au-delà des conceptions naturalistes de la protection en recommandant, avec d’autres congressistes, de s’intéresser au « sort de vos frères inférieurs, les bêtes et les plantes ». Cette expression de « frère » renvoie au courant des défenseurs des droits de l’animal, davantage moral et sentimental, tout en matérialisant un certain bio-centrisme, témoignant des évolutions identifiées au sein de la LPO.

Notes

1 La section de Colonisation est supprimée, faute d’activité, en 1932 (Procès verbal du Conseil d’administration du 9 novembre 1932, Archives SNPN). Outre les questions administratives, le Conseil ne discute et n’envisage dans les années 1930 que des actions en lien avec la protection de la nature, qui devient ainsi de facto le cœur des activités de la Société.

2 Le Bulletin de la SBF témoigne également de l’apparent désintérêt des botanistes français pour ces questions.

3 Mangin Louis, « Discours prononcé à la séance publique annuelle de distribution des récompenses », Bull. SNAF, 1922, p. 124.

4 Mangin Louis, « Discours prononcé à la séance publique annuelle de distribution des récompenses », Bull. SNAF, 1923, p. 91-99.

5 Chéron Henry, « Discours prononcé à la séance publique annuelle de distribution des récompenses », Bull. SNAF, 1923, p. 91.

6 Mangin Louis, « Discours prononcé à la séance publique annuelle de distribution des récompenses », Bull. SNAF, 1924, p. 204 et 206.

7 Mangin Louis, « Discours prononcé à la séance publique annuelle de distribution des récompenses », Bull. SNAF, 1929, p. 100-109.

8 « Procès-verbal de la séance générale du 19 novembre 1924 », Bull. SNAF, 1924, p. 27-28.

9 Bressou Clément, « Allocution », Bull. SNAF, 1933, p. 44.

10 Bressou Clément, « Louis Mangin (1852-1937) », Bull. SNAF, 1937, p. 67.

11 Georges Thibout sera élu président en 1939. Ses convictions en faveur de la protection de la nature sont bien attestées après la Seconde Guerre mondiale.

12 AN, LH/1414/10.

13 Labbé Edmond, op. cit., 1935, p. 210.

14 Les forestiers français n’ont pas attendu la Société d’acclimatation pour se saisir de cette question avec, par exemple, le reboisement des montagnes (lois de 1860, de 1864 et de 1882). Cf. Badré Louis, Histoire de la forêt française, Paris, Arthaud, 1983, p. 191 et Chevallier P. et Couailhac M.J., « Sauvegarde des forêts de montagne en France au XIXe siècle. L’exemple du Dauphiné », Corvol Andrée (dir.), La forêt. Actes du 113e congrès national des sociétés savantes (Strasbourg 1988), Paris, CTHS, 1991, p. 333-351.

15 Gromier docteur, « la protection de la faune africaine », Bull. SNAF, 1933, p. 202.

16 Bergeret Anne, « Les forestiers coloniaux français. Une doctrine et des politiques qui n’ont cessé de rejeter de souche », Bonneuil Christophe et Chatelin Yvon (dir.), Nature et environnement, Paris, ORSTOM, 1995, p. 65.

17 Respectivement président et vice-président de la section de protection de la nature.

18 « Procès-verbal de la séance du 4 mars 1936 de la section de protection de la nature », Bull. SNAF, 1936, p. 243-244.

19 « Les botanistes en particulier, ceux-là même qui pratiquent une forme de géographie botanique écologique dans une perspective scientifique, sont, à de rares exceptions remarquables, étrangers aux mouvements de protection de la nature. » Matagne Patrick, op. cit., 1999, p. 163.

20 Rollinat Raymond, « Sur la destruction du Saumon dans le bassin de la Loire », Bull. SNAF, 1913, p. 50-61.

21 Malange, op. cit.

22 Kreitmann L., « L’état actuel du Saumon en France », Bull. SNAF, 1938, p. 365-384.

23 « Chronique », Bull. SNAF, 1921, p. 12.

24 « Procès-verbal de la séance du 4 janvier 1933 de la 7e section (Protection de la Nature) », Bull. SNAF, 1933, p. 120-121.

25 Pour une biographie de Raoul de Clermont, cf. Larabi-Godinot Yamina, « Raoul de Clermont. Un pionnier dans la protection de la nature », Le Jura français, 279 (75e année), juillet-septembre 2008, p. 17-21. Au sein de la Société d’acclimatation, Raoul de Clermont apparaît un peu à part : « observateur de la nature », grand défenseur des paysages et un des initiateurs de la loi Beauquier de 1906, il appartient davantage au courant esthétique de protection de la nature qu’au naturaliste. D’ailleurs, avant d’adhérer en 1921 à la Société d’acclimatation, il est membre du TCF et de la SPPF. Cf. dossier Légion d’Honneur : AN, LH/553/43.

26 Par exemple, le 7 décembre 1938, M. Texier propose un vœu demandant à ce que les sociétés de protection de la nature et des paysages soient obligatoirement consultées au cours des enquêtes de travaux publics. Adopté aussitôt par la section, ce vœu est accepté par le conseil de la Société d’acclimatation le 11 janvier 1939 et transmis au ministre des Beaux-Arts qui fait une première réponse favorable.

27 « Procès-verbal de la séance du 5 décembre 1934 de la 7e section (protection de la nature) », Bull. SNAF, 1934, p. 60-64.

28 Il est probable que la Société d’acclimatation s’appuie également sur les expériences coloniales de création d’espaces protégés mais celles-ci ne sont jamais citées par les acteurs. Sur ces expériences, cf. Mahrane, Thomas et Bonneuil, op. cit.

29 « Séance générale du 21 février 1927 », Bull. SNAF, 1927, p. 133-134.

30 Cf. Le Courrier de la Nature. Spécial SNPN 150e anniversaire, 213, juin 2004, p. 58-60 (d’après Jacques de Caffarelli, directeur de la Réserve de Camargue de 1967 à 1973). Pour une perspective plus générale sur la Camargue, consulter l’ouvrage de Picon Bernard, L’espace et le temps en Camargue. Essai d’écologie sociale, Paris, Actes sud, 1978, 262 p. Alexandre Serres a étudié l’origine contemporaine du territoire de la réserve de Camargue (« La mise en réserve des étangs de Camargue, un laboratoire de la relation de l’homme contemporain à l’environnement naturel », Mathis et Mouhot, op. cit., 2013, p. 158-169.

31 Le marquis de Foresta consent un tarif très préférentiel (Procès verbal du Conseil d’administration du 9 décembre 1931, Archives SNPN).

32 Actes de la Réserve de Camargue, 7, octobre 1931, p. 49.

33 Tallon Gabriel, La réserve zoologique et botanique de Camargue, Paris, SNAF, s.d., ca 1934, p. 11.

34 « Réserve zoologique et botanique de Camargue », Bull. SNAF, 1928, p. 25.

35 Gabriel Tallon est un botaniste de renommée européenne et occupe initialement un poste d’ingénieur chimiste et de chef de laboratoire chez AFC.

36 Actes de la Réserve de Camargue, 1, mars 1930, p. 1. Cette commission est composée de L. Mangin, C. Bressou, docteur Arnault, Pr Bourdelle, J. Delacour, le prince Paul Murat, le marquis de Prévoisin, M. Raybaud, docteur Rochon-Duvigneaud, L. de Sambucy de Sorgue, Valois. Elle mêle ainsi étroitement Société d’acclimatation et LPO.

37 Valois Charles, « Rapport au nom de la commission de la Camargue », Bull. SNAF, 1931, p. 179-181.

38 Actes de la Réserve de Camargue, 3, octobre 1930, p. 24.

39 Tallon Gabriel, « Rapport d’ensemble du 15 mars au 1er mai 1929 », Bull. SNAF, 1929, p. 143-149.

40 Bressou Clément, « Rapport sur les réserves », Bull. SNAF, 1939, p. 1-3.

41 Tallon Gabriel, La réserve zoologique et botanique de Camargue, Paris, SNAF, s.d., ca 1934.

42 Bourdelle Professeur, « Rapport sur le Parc National de Camargue », Actes de la Réserve de Camargue, 3, octobre 1930, p. 26.

43 Actes de la Réserve de Camargue, 22, 1938, p. 7.

44 Picon Bernard, op. cit., p. 104.

45 Actes de la Réserve de Camargue, 24, 1941, p. 44.

46 Procès verbal du Conseil d’administration du 11 mars 1931, Archives SNPN.

47 Bressou C., « Allocution », Bull. SNAF, 1933, p. 44.

48 « Procès-verbal de la séance publique annuelle de distribution des récompenses du 10 mai 1931 », Bull. SNAF, 1931, p. 353.

49 Procès verbal du Conseil d’administration du 15 avril 1931, Archives SNPN.

50 Édouard Herriot visitera la réserve de Camargue le 3 octobre 1931.

51 Actes de la Réserve de Camargue, 6, juillet 1931, p. 35-36.

52 « Procès-verbal de la Section de protection de la nature », Bull. SNAF, 1er février 1933, p. 159-160. Marcel-Henri Gaussen, né à Cabrières-d’Aigues (Vaucluse) le 14 juillet 1891 et mort à Toulouse le 27 juillet 1981, est un botaniste et biogéographe français renommé pour avoir posé les bases de la phytogéographie (notions d’étage et de successions de la végétation). Maître de conférences puis professeur à l’université de Toulouse (1929-1981).

53 Ces motifs sont cités dans Chouard Pierre, « Un site d’une exceptionnelle beauté : la réserve naturelle du Néouvielle », Revue Forestière Française, xxiii, no spécial « les Parcs nationaux français », 1971, p. 159.

54 Pierre Chouard (29 octobre 1903 à Paris – 11 décembre 1983 à Paris) est un botaniste, agrégé de sciences naturelles en 1927, Professeur à l’École nationale supérieure d’horticulture de Versailles (1932-1935) et au Conservatoire national des arts et métiers (1938-1953), Professeur de physiologie végétale à la Faculté des sciences de Paris (1953-1975). En 1935, il est maître de conférences en botanique à Bordeaux.

55 « Procès-verbal de la Section de protection de la nature », Bull. SNAF, 3 janvier 1934, p. 146-149.

56 Clément Bressou (1887-1979), vétérinaire de formation, dirige l’école d’Alfort de 1934 à 1957. Membre de la Société d’acclimatation, il s’investit fortement dans son administration et est la cheville ouvrière de la création des réserves de l’entre-deux-guerres. Dès années 1950 aux années 1970, il est une figure majeure du courant naturaliste de protection en France et à l’international. Pour une biographie détaillée, consulter [http://ahpne.fr/spip.php?article205].

57 Procès verbal du Conseil d’administration du 10 janvier 1934, Archives SNPN.

58 Chouard Pierre, « Actes administratifs et scientifiques de la réserve de Néouvielle », Bull. SNAF, 1936, p. 26. Le bail est conclu aux mêmes conditions que celles faites aux bergers espagnols.

59 « Règlement de la Réserve du Néouvielle », Bull. SNAF, 1936, p. 18.

60 Raymond Justin Marie Despax (1886-1950) est un entomologiste français, professeur à Toulouse.

61 Louis Roule (20 décembre 1861-30 juillet 1942) est titulaire de la chaire de Zoologie (Reptiles et poissons) au MNHN.

62 René Gabriel Jeannel, né le 22 mars 1879 à Paris et mort le 20 février 1965 à Paris : est un naturaliste français (à la fois zoologiste, entomologiste, botaniste, géologue, paléontologiste, préhistorien, spéléologue, explorateur et biogéographe), titulaire de la chaire d’Entomologie au MNHN.

63 Étienne Antoine Prosper Jules Rabaud est un zoologiste français, né le 12 septembre 1868 à Saint-Affrique et mort le 3 septembre 1956 à Villemade. Il a consacré sa vie à des travaux sur les comportements animaux en cherchant à dégager ce domaine des influences anthropomorphiques et subjectives.

64 En 1968 sera créée par arrêté ministériel l’actuelle réserve naturelle, dont la gestion sera confiée au parc National des Pyrénées qui vient de voir le jour (23 mars 1967).

65 Procès verbal du Conseil d’administration du 8 mars 1933, Archives SNPN.

66 Notons que Pierre Marié, entomologiste, président de la Société entomologique de France en 1929, est loin d’être un novice en matière de réserves car il a remplacé Charles Valois en 1933 en tant que secrétaire de la Commission de la réserve de Camargue tout en étant secrétaire de la section d’entomologie.

67 Procès verbal du Conseil d’administration du 10 janvier 1934, Archives SNPN.

68 « Règlement de la réserve du Lauzanier », Bull. SNAF, 29 novembre 1935, p. 28.

69 « La nature doit être protégée de la manière la plus stricte qui soit, non pour être appréciée par le regard extérieur de l’homme, mais pour elle-même, en la préservant d’un humain, prédateur et destructeur. Pour les promoteurs de ce courant, la protection de la nature et du paysage suppose l’exclusion de l’homme : ils défendent une nature laboratoire/conservatoire où seuls les processus naturels seraient souverains, l’intervention humaine en leur sein étant réservée à des inventaires scientifiques ». Selmi Adel, « L’ouvert, le propre et le fermé. Trois catégories pour qualifier le paysage dans les Alpes du Nord », Selmi Adel et Hirtel Vincent (dir.), « Gouverner la nature », Cahier d’anthropologie sociale, 3, 2007, p. 13-29.

70 Marié Pierre, « Actes administratifs et scientifiques », Bull. SNAF, 1936, p. 32-37.

71 Georges Huisman (1889-1957) est un haut-fonctionnaire français, directeur général des Beaux-Arts en 1939.

72 « Arrêté du 30 octobre 1939 », Bull. SNAF, 1939, p. 98.

73 Bressou C., « Conduite et organisation des réserves », Contribution à l’étude des réserves naturelles et des parcs nationaux, Paris, Société de biogéographie-Lechevalier, 1937, p. 264.

74 Bourdelle Professeur, « Rapport sur le Parc National de Camargue », op. cit., p. 28.

75 La position de la Société d’acclimatation est modérée sur le niveau de protection : certes la protection est souhaitée « intégrale » c’est-à-dire sans aucune intervention humaine, mais dans le même temps la Société est convaincue que certaines interventions sont nécessaires pour « aider avec prudence la Nature » (Procès verbal du Conseil d’administration du 13 mai 1931, Archives SNPN). De plus, « le principe de certains travaux forestiers localisés lui semble indispensable à établir pour rendre désormais la création des Parcs Nationaux, Réserves et autres Séries artistiques moins indifférente au public et moins en défaveur au Ministère de l’Agriculture » (ibidem).

76 Contribution à l’étude des réserves naturelles..., op. cit., 1937.

77 Selmi Adel, op. cit., p. 13-29. Pour les associations à caractère touristique, la « protection des paysages n’est pas foncièrement séparée des activités humaines, si celles-ci facilitent une contemplation esthétique de la nature ».

78 Procès verbal du conseil d’administration du 19 avril 1939, Archives SNPN.

79 Bonneuil et Kleiche, op. cit.

80 Sournia Gérard, Des éléphants, des hommes... et de l’ivoire. Un patrimoine universel, symbole de l’enjeu commercial de la biodiversité, Paris, Sang de la terre, 2000, p. 122.

81 Pfeffer Pierre, Vie et mort d’un géant. L’éléphant d’Afrique, Paris, Flammarion, 1989, p. 146.

82 Ibidem., p. 147.

83 Le docteur Édouard Trouessart est membre du conseil de la Société d’acclimatation et préside sa 1re section (mammifères). Il a également été président de la SZF.

84 La communication du docteur Trouessart porte sur l’Afrique australe. Il fait alors ici référence à l’Afrique orientale allemande (actuels Rwanda, Burundi et Tanzanie) et au Sud-ouest africain allemand (actuels Namibie et Botswana).

85 « Procès-verbal », Bull. SNAF, 1905, p. 125.

86 Alluaud Charles, « La protection du gros gibier en Afrique orientale anglaise », Bull. SNAF, 1905, p. 275-277.

87 Jouanin Christian, « L’histoire de la SNPN », op. cit., p. 15.

88 Pfeffer Pierre, op. cit., p. 148.

89 « Procès-verbal de la séance du 4 mai 1914 », Bull. SNAF, 1914, p. 429.

90 Lebrun Albert, « Discours », Bull. SNAF, 1914, p. 230.

91 Neveu-Lemaire, « Exposé des travaux de la Commission de protection de la faune coloniale », Bull. SZF, 1925, p. 169-171.

92 Gromier docteur, « La protection de la faune africaine », Bull. SNAF, 1933, p. 201-211, 259-268 et 285-297.

93 Pfeffer Pierre, op. cit., p. 151.

94 « Conférence internationale pour la protection de la faune et de la flore en Afrique. Londres, 1933 », Bull. SNAF, 1934, p. 219-225 et 253-265.

95 « Procès-verbal », Bull. SNAF, 1935, p. 134-136.

96 Pfeffer Pierre, op. cit., p. 150.

97 Rodary Estienne, « Les parcs nationaux africains, une crise durable », Laslaz et Héritier (dir.), op. cit., p. 210.

98 Mahrane, Thomas et Bonneuil, op. cit.

99 Par exemple le 1er Congrès ornithologique de Vienne en 1884 ; le 2e à Budapest en 1891 ; le 3e à Paris en 1900 (source : MNHN, Bibliothèque Centrale, Ms 2278 Émile Oustalet, Congrès ornithologiques internationaux).

100 Par exemple, le Congrès ornithologique de Berlin (1909), où Louis Ternier représentant du ministre français de l’agriculture est chargé par Edmond Perrier de présenter le point de vue de la Société d’acclimatation, adopte des positions que défend la Société d’acclimatation : lois de chasse rationnelles, lois pour protéger les oiseaux, défense de faire commerce de plumes d’oiseaux sauvages. Ternier Louis, « Le Congrès international ornithologique de Berlin », Bull. SNAF, 1910, p. 343-350. Louis Ternier publie également un compte rendu dans le Bulletin de la SZF en 1910. Autre exemple, au Congrès ornithologique international de 1900 (Paris), sur les 79 personnalités du comité de patronage, huit sont étiquetées comme appartenant à la Société d’acclimatation.

101 Ternier Louis, « Le Congrès international de la chasse », Bull. SNAF, 1908, p. 84-87.

102 Dannin E., « Le congrès forestier international et les parcs nationaux », Bull. SNAF, 1913, p. 505-509.

103 Louis Ternier au congrès international de la chasse de 1908 par exemple.

104 « Séance du 23 octobre 1923 », Bull. SZF, 1923, p. 317.

105 Sur ce mouvement européen de protection, consulter Piccioni Luigi, op. cit., 2010 et Wöbse Anna-Katharina, « Les liaisons sinueuses : les relations franco-allemandes en matière de protection de la nature dans la première moitié du XXe siècle », Mathis et Mouhot, op. cit., p. 108-119.

106 Clermont Raoul de et al. (dir.), Congrès international pour la protection de la nature. Faune, flore, sites, monuments naturels. Mai-juin 1923, Paris, SNAF, LPO, SPPF, 1926, 388 p.

107 Clermont Raoul de, « Avant-propos », Clermont Raoul de et al. (dir.), Congrès..., op. cit., p. VI.

108 Paul Sarasin (1856-1929) est un naturaliste suisse assez éclectique. Il est un des fondateurs de la Ligue suisse pour la protection de la nature (1909) et un des initiateurs du parc national suisse de l’Engadine (1914). Il milite pour une protection internationale de la nature.

109 Jaffeux, op. cit.

110 Clermont Raoul de et al., Congrès..., op. cit., p. 5.

111 Société botanique de France, Société française d’aquiculture et de pêches, Société française de minéralogie, Société géologique de France, Société ornithologique de France, Société zoologique de France entre autres.

112 Club alpin français, Société des amis des arbres, Société des touristes du Dauphiné, Touring-club de France entre autres.

113 Fishing-club de France, Saint-Hubert-club de France, Société centrale des chasseurs, Lieutenants de louveterie de France.

114 Six belges ; une canadienne ; huit espagnoles ; deux états-uniennes ; sept britanniques ; trois néerlandaises ; une hongroise ; deux italiennes ; une japonaise ; neuf luxembourgeoises ; trois polonaises ; deux roumaines ; une russe ; quatre suisses ; deux tchécoslovaques ; deux yougoslaves.

115 Gruvel Abel et Valois Charles (dir.), Deuxième congrès international pour la protection de la nature (Paris : 30 juin-4 juillet 1931). Procès-verbaux, rapports, vœux, Paris, Société d’éditions géographiques, maritimes et coloniales, 1932, 584 p.

116 La LPO s’en préoccupe depuis au moins 1923. Bull. LPO, juillet 1923. Bull. FGFPO, octobre 1927, p. 100. Bull. FGFPO, octobre 1929, p. 109.

117 Freysselinard Éric, Albert Lebrun, le dernier président de la iiie République, Belin, 2013, 592 p.

118 Lebrun Albert, « Discours d’ouverture », Gruvel et Valois (dir.), op. cit., p. 33.

119 Lebrun Albert, « Allocution », Gruvel et Valois (dir.), op. cit., p. 569.

Table des illustrations

Légende Fig. 46. – Louis Mangin dans son bureau au MNHN en 1919 (gallica.bnf.fr).
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Légende Fig. 47. – Bécassines (Gallinago gallinago) en 1935 (Actes de la réserve de Camargue, 1936, p. 12).
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Légende Fig. 48. – Salin de Badon (Tallon Gabriel [s.d., ca 1934]), La réserve zoologique et botanique de Camargue, Paris, SNAF, pl. 1).
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Légende Fig. 49. – Actes de la réserve de Camargue (mars 1930).
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Légende Un second groupe de visiteurs (de gauche à droite) : M. Tallon, Bressou, Duvau, Beauquier, Mermier, R. Guérin, Bourdelle, Loyer, de Prévoisin, Legros, de Sambucy de Sorgue.Fig. 50. – Excursion du 3 juin 1931 (Actes de la réserve de Camargue, 1931, p. 40).
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Légende Carte 4. – Réserve du Néouvieille (Bull. SNAF, 1936, p. 20).
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Légende Fig. 51. – Actes de la réserve du Néouvieille (Bull. SNAF, 1936, p. 18).
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Légende Carte 5. – Réserve du Lauzanier (Bull. SNAF, 1936, p. 31).
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Légende Fig. 52. – Actes de la réserve du Lauzanier (Bull. SNAF, 1936, p. 28).
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Légende FIG. 53. – Couverture des actes du 1er Congrès international pour la protection de la nature (Paris, 1923).
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Légende Fig. 54. – Couverture des actes du 2e Congrès international pour la protection de la nature (Paris, 1931).
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