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Entrer en ville

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Françoise Michaud-Fréjaville
, 
Noëlle Dauphin
, 
Jean-Pierre Guilhembet

Première partie. Le seuil de la ville

Les portes de villes à la fin du xviiie siècle, crise de l’architecture et crise du symbole

Christine Lamarre

Texte intégral

1Dans cette rencontre consacrée à l’entrée en ville, mais aussi aux limitations spatiales des villes, je voudrais évoquer l’élément architectural le plus traditionnel, celui qui marque le plus clairement possible la limite de la ville : la porte, et ce au moment précis où elle va disparaître, rendue inutile par une centaine d’années de paix et devenue gênante pour un commerce de terre en plein développement sur les nouvelles routes royales, c’est à dire durant la seconde moitié du xviiie siècle.

  • 1 C’est encore le cas dans le Dictionnaire d’Émile Littré où la notice commence ainsi : « Ouverture (...)
  • 2 Fortifications, portes de villes, places publiques dans le monde méditerranéen, textes réunis par (...)

2L’importance acquise par les portes de ville au terme d’une longue évolution, (rappelons ici que le mot « porte » ne s’appliquait à l’origine (en latin) qu’aux entrées de villes ; et que cette primauté de sens est redite dans tous les dictionnaires classiques1) est bien connue2 ; elle étaie, pour partie, le réel attachement des habitants des villes pour leurs portes qui dure encore au xviiie siècle. Mais à cette époque l’architecture des portes a changé du fait de l’abandon de leur rôle initial qui était défensif, du fait aussi du changement de leur forme désormais imitée des modèles de portes ou d’arcs commémoratifs antiques. Ce nouveau modèle pour la porte de ville ne s’épuise pas architecturalement parlant, mais, avec l’extension urbaine, le monument se dissocie progressivement de sa seconde fonction originelle, magnifier l’entrée de la ville, car cette entrée devient de plus en plus diffuse dans les agglomérations qui ne cessent de croître en dépit des interdictions de bâtir et des tentatives de discréditer la grande ville. Ces contradictions et les réflexions qu’elles ont occasionnées feront l’objet des lignes qui suivent.

Les portes, monuments de l’identité urbaine

3C’est dans plusieurs registres que la porte de ville a acquis un statut d’objet exceptionnel, nous en retiendrons trois : l’identité urbaine, les usages spécifiques du monument et le poids qu’il a acquis dans l’organisation spatiale citadine.

  • 3 À l’inverse, dans le même ouvrage, un village est un « lieu non fermé de murailles, composé de mai (...)
  • 4 Expilly (Abbé Jean-Joseph), Dictionnaire géographique, historique et politique des Gaules et de la (...)
  • 5 Hesseln (Robert de), Dictionnaire universel de la France…, Paris, Desaint, 1771, t.V, p. 602.

4On connaît l’importance qu’a le rempart ou la muraille (généralement présents) pour attester de la qualité d’une agglomération. Les définitions des villes, même tardives, les citent : pour le Dictionnaire de l’Académie française (édition de 1798) la ville n’est-elle pas un « assemblage de plusieurs maisons disposées par rues et fermées d’une clôture commune, qui est ordinairement de murs et de fossés3 » ? Les portes qui accompagnent nécessairement le dispositif défensif partagent le prestige qu’on lui accorde. Elles sont plus précieuses encore que le mur à cause du décor qu’elles reçoivent qui est souvent évocateur du destin collectif. En voici deux exemples, parmi beaucoup d’autres possibles, tirés de la littérature géographique du xviiie siècle. À Blois, selon l’abbé Expilly, une des portes affiche une inscription en l’honneur du comte et de son épouse qui avaient accordé les franchises de la ville, sur les trois autres sont placées des statues de la Vierge qui fut une protectrice efficace de la ville lors de l’épidémie de peste de 16314. À Riom, en Auvergne, c’est saint Amable, le thaumaturge qui protège les habitants des morsures des chiens enragés et des serpents, qui accueille le visiteur au dessus de l’inscription Hoc hospite tuta5. Dans ces deux cas il s’agit de célébrer le souvenir d’événements heureux qui eurent la ville pour cadre. La porte se fait monument de la mémoire urbaine.

  • 6 Lamarre (Christine), Petites villes et fait urbain en France au xviiie siècle. Le cas bourguignon, (...)

5La muraille montrait la capacité de la ville à s’organiser pour sa défense. Derrière cet emblème, et pour le construire, il fallait une organisation collective des habitants en une commune qui se réunit souvent dans la chambre haute qui surmonte la principale des entrées où se tiennent aussi les séances ordinaires des corps de ville. Cette situation, fréquente au Moyen-Âge, perdure encore au siècle des Lumières, et parfois bien au delà. Plus encore, en Bourgogne (et sans doute ailleurs), il est arrivé que l’on reconstruise des hôtels de ville-portes à plusieurs reprises6. L’exemple le plus achevé est celui de Givry, petite ville proche de Chalon-sur-Saône, où l’ingénieur des Ponts et Chaussées de la province, Dumorey, dessina, en 1771, un magnifique bâtiment à double usage selon des programmes architecturaux et décoratifs qui n’avaient rien d’archaïque. Conscient de l’incongruité du projet, l’ingénieur dessine une porte imposante dont la façade ne laisse rien deviner de la distribution, la chambre de ville n’est visible que sur les façades latérales à cause des trois baies qui l’éclairent de chaque côté.

  • 7 Blin (Léon), « Le pont de Cravant et son curieux destin au xviiie siècle », Bulletin de la Société (...)
  • 8 Archives départementales de l’Yonne (désormais ADY), C 18, voir Lamarre (Christine), op. cit. note (...)
  • 9 Le dossier de la reconstruction (ADY, C 18) comporte trois dessins présentant les diverses solutio (...)

6L’attachement des habitants aux portes de leurs villes se comprend déjà au regard de ses éléments. Mais, outre la salle de l’hôtel de ville, il arrivait fréquemment que les anciennes portes de ville soient ornées d’horloges publiques et de cloches (autre objet symbolisant le droit de se réunir) qui ont fait partie des choses auxquelles les citadins sont demeurés indéfectiblement attachés. Un exemple extrême, et unique en Bourgogne, en est fourni par la toute petite ville de Cravant, dans l’Auxerrois. La belle porte médiévale qui fermait l’endroit du côté de la rivière avait été entretenue régulièrement, mais en 1775 elle paraît trop étroite et incommode pour le commerce dont on espérait alors beaucoup, car le pont de pierre sur l’Yonne venait d’être reconstruit à grands frais, et une délibération des États de Bourgogne, datée de décembre 1773, laissait penser que l’on allait réaliser incessamment la route d’Auxerre à Orléans dont le relevé était ordonné7. Le corps de ville décide donc d’abattre l’ancienne porte, de vendre les matériaux et de construire de simples pilastres pour marquer l’entrée de la ville et recevoir les octrois. La décision provoque, dans la population, une véritable émeute ; « les habitants se soulevèrent, se mutinèrent, cabalèrent et s’opposèrent violemment à ce que la démolition de ladite ancienne porte ne fut faite qu’au préalable ils n’eussent été assurés de la reconstruction d’une nouvelle8 ». Ils obtinrent gain de cause, la porte nouvellement construite pour apaiser le courroux populaire subsiste encore aujourd’hui9. La porte est donc bien loin d’avoir perdu toute signification dans l’esprit des citadins : les exemples pris ici dans des petites villes pourraient être étendus à d’autres localités.

  • 10 Voir Higounet (Charles) dir. Histoire de Bordeaux, t.5, Pariset (François-Georges) dir. Bordeaux a (...)
  • 11 Ibidem. Les principales portes édifiées alors sont la Porte Dauphine (1736), le Porte Neuve ou des (...)
  • 12 Marot (Pierre), Le vieux Nancy, Nancy, Humblot, 1970. Héré (Emmanuel), Plans et élévations de la P (...)

7Les aménagements de grandes villes, au siècle des Lumières, comportent encore des programmes complets d’édification de portes, ainsi en vat-il pour Bordeaux ou pour Nancy. À Bordeaux 10 un des premiers ouvrages de l’intendant Tourny est l’agencement exemplaire du tour de ville décidé dès 1747 et confié principalement à l’architecte Portier. Les sept nouvelles portes édifiées alors sont autant d’occasion d’affirmer le loyalisme de la ville et de rechercher la protection des Princes de la famille royale11. À Nancy, dans le cadre des embellissements très importants décidés par Stanislas Leczinski à partir de 1754, l’architecte Emmanuel Héré dessina la Porte Royale (dite l’Arc de Triomphe) entre la Place Royale et la Place de la Carrière et son successeur Richard Mique les portes Sainte Catherine et Stanislas aux deux extrémités du grand axe qui traverse la ville perpendiculairement au système des deux places. Les portes sont, dans ce cas, chargées de clôturer les perspectives urbaines. Plus tard, entre 1782 et 1784, fut enfin construite la Porte Désilles (ancienne Porte Saint Louis ou Stainville) pour ordonner le futur quartier et fermer la perspective des jardins nouvellement plantés du futur cours Léopold12.

  • 13 Hesseln (Robert de), op. cit., note 5, t.5, p. 17.
  • 14 Expilly (abbé Jean-Joseph), op. cit., t. 1, p. 441, définit ainsi la banlieue : « On entend par ce (...)

8Cet attachement se comprend aisément. Les citadins ont du mal à renoncer à l’idée d’une ville qui soit un monde clos et ainsi un monde sûr. Les portes, longtemps lieux uniques du passage, étaient en outre régulièrement fréquentées. Elles ont durablement marqué le développement des villes, en permettant la naissance et la croissance des faubourgs qui leur sont indissolublement liés dans les descriptions anciennes : Orléans, par exemple, est ainsi dépeinte dans la dernière géographie de la France éditée avant la Révolution : « On entre dans Orléans par six portes principales sans compter quelques autres qui donnent sur le bord de l’eau. Les six portes dont nous venons de parler, sont celles de Saint Marceau, de Bourgogne, de Saint Vincent, de Bannier, de Saint Jean et de la Madeleine : elles joignent à la ville autant de faubourgs de même nom et qui ne sont pas compris dans l’étendue de la ville dont nous avons donné la mesure13 ». La porte suscite un chemin d’accès à la ville, le long de ce chemin s’édifient des maisons progressivement mitoyennes et alignées donnant naissance aux faubourgs, c’est à dire étymologiquement aux bourgs devant la ville, forme urbaine bien différente de celle des banlieues qui sont des auréoles et non des axes14. Ces faubourgs pouvaient d’ailleurs recevoir, à leur tour, des portes, les dictionnaires les nomment alors des fausses portes.

  • 15 Outre les définitions des dictionnaires et encyclopédies anciennes, voir Lectures de la ville (xve(...)
  • 16 Baratier (Édouard) dir., Histoire de Marseille, Toulouse, Privat, 1973, p. 163-165.

9Les portes n’ordonnent pas que les extérieurs des villes, elles sont également à l’origine des divisions intérieures de l’espace comme les quartiers qui avaient primitivement une vocation militaire : chaque groupe défendait une issue et une portion de rempart15. Enfin l’on sait que les portes avaient assez d’importance pour parfois faire abandonner le dessin d’un quartier neuf, comme à Marseille au xviie siècle. L’extension de la ville a été décidée brutalement en 1666 et le plan a été donné par Nicolas Arnoul, intendant des galères16, malgré l’avis du Consulat. Le réseau des futures rues y suivait le schéma orthogonal, alors habituel dans les villes ou quartiers neufs ; il n’était pas dessiné, comme souvent, pour s’harmoniser à l’enceinte ni à ses percements. Il dut être modifié sous la pression du corps de ville et des habitants, des plans plus tardifs révèlent qu’il fallut faire converger les rues vers les portes pour faciliter les déplacements. Les rues se présentèrent dès lors comme les tiges d’un éventail dont les portes auraient été le point de réunion. La porte de ville est, pour ces raisons, un pôle fondamental d’organisation de l’espace urbain classique.

  • 17 La porte Saint Pierre, Documents de notre histoire n° 2, Archives municipales de Pontarlier, 1991. (...)

10Un endroit aussi sensible et essentiel ne pouvait laisser indifférentes ni la monarchie, ni les autorités urbaines. Dans la plupart des cours et des traités d’architecture, la porte de ville devient un des lieux où se dévoile la beauté des villes. La reconstruction de la porte de Pontarlier par le chevalier d’Arçon, après l’incendie de 1754, peut fournir un exemple de cet intérêt. Après une discussion vive sur la gêne apportée aux transports de bois par les portes, il fut malgré tout décidé, dans un grand projet d’ensemble, d’en reconstruire deux, en regard, bornant une rue joignant l’une à l’autre ; ce qui donnait à la ville entière une scénographie unifiée suivant en cela l’esthétique urbaine classique si soucieuse de perspective et de géométrisation de l’espace17.

L’architecture des portes de l’âge classique

  • 18 D’aviler (Augustin-Charles), Dictionnaire d’architecture civile et hydraulique et des arts qui en (...)
  • 19 Dupavillon (Christian), Lacloche (Francis), Le triomphe des arcs, Paris, Gallimard, coll. Découver (...)

11Selon Charles-Augustin d’Aviler, une porte de ville « c’est une porte publique à l’entrée d’une grande rue, qui prend son nom ou de la ville voisine ou de quelque fait ou usage particulier. Par exemple, on appelle Porte triomphale, une Porte bâtie plutôt par magnificence que par nécessité en mémoire de quelque expédition militaire, comme celles de Saint Denis ou de Saint Martin, à Paris18 ». L’architecte fait ici allusion aux portes édifiées à l’occasion de la démolition de l’enceinte de Charles V, décidée par Louis XIV, en 1670. L’ancienne muraille fut convertie en boulevards, les poternes médiévales furent remplacées par de nouvelles portes sans vocation défensive, pour la construction desquelles on put adopter des formes dérivées de celles que l’on avait employées pour l’architecture éphémère des entrées royales : portiques et arcs triomphants eux même provenus de l’architecture antique19.

  • 20 La gravure apparaît en première page du cours d’architecture de François Blondel, Cours d’architec (...)

12C’est ce dernier modèle qui l’emporte notamment à la célèbre Porte Saint-Denis édifiée par François Blondel -qui la dessina-et Pierre Bullet en 1672. Le dessin en fut publié dans de nombreux cours et livres d’architecture, on pourrait dire qu’il fut vulgarisé. François Blondel était professeur à l’Académie royale d’Architecture et auteur du premier cours imprimé de l’école20. Dans son livre il donne une place très importante à ce type de monument : l’ouvrage s’ouvre sur une gravure représentant la porte Saint-Denis ; il y a de longues analyses des arcs de triomphe antiques et le chapitre consacré aux « ouvrages publics de Paris » ne contient que la description des portes Saint-Bernard, Saint-Antoine (appartenant à la même enceinte et rhabillées par Blondel) et naturellement Saint-Denis. L’auteur se félicite, à l’occasion de l’édification des portes, d’avoir été le premier à qualifier Louis XIV de magnus et d’avoir imposé des inscriptions latines qu’il avait composées à la gloire du souverain, alors en guerre contre la Hollande.

  • 21 Il faudrait aussi étudier les différences d’ornementation entre les deux faces des portes, extérie (...)
  • 22 Pérouse de Montclos (Jean-Marie), « Les prix de Rome », concours de l’Académie royale d’architectu (...)

13Désormais la porte de ville de l’époque classique est avant tout édifiée à la gloire du Roi, elle s’inspire clairement, pendant plus d’un siècle, de l’arc de triomphe antique avec de simples variations dues au style dominant ou à la richesse voulue du décor21. Le type s’est imposé aisément grâce à la proximité du double modèle antique, porte et arc commémoratif, et à l’exaltation des valeurs militaires du roi de guerre, toutes choses conformes aux idéaux majeurs de l’époque classique. Les sujets de concours de l’Académie royale d’architecture le montrent bien, la porte est le thème d’exercice le plus fréquent parmi ceux qui ont trait à l’architecture urbaine : elle sert de sujet pour le grand prix de 1738 et pour huit autres occasions, les élèves dessineront invariablement des variations sur l’arc triomphal, sans fermeture apparente et sans rempart22.

  • 23 Quatremère de Quincy (Antoine-Chrysostome), Encyclopédie méthodique… Architecture, Paris, Panckouc (...)
  • 24 Les mises en garde contre les confusions entre porte et arc de triomphe continuent. Ainsi dans Pri (...)

14Cette forme architecturale stable adoptée pour les portes de ville est intéressante, mais non dénuée d’ambiguïté, car, les auteurs le pensent et le notent, elle se démarque difficilement de l’Arc de triomphe commémoratif des victoires des généraux romains, modèle initialement copié pour les édifices éphémères des entrées royales, désignés sous les noms de portiques ou portails triomphants. Cette identité des formes entraîne des confusions ; ainsi, au grand prix de 1738, les épreuves durent-elles être reprises parce que les candidats avaient d’abord rendu des dessins d’arcs de triomphe, sujet qui leur était plus familier. Cette identité crée aussi un malaise chez les experts qui multiplient les mises en garde contre les confusions et les glissements incessants d’un type de monument à l’autre. Quelques auteurs comme Quatremère de Quincy, à la fin du xviiie siècle, tentent de trouver une différenciation entre arcs et portes dans le nombre des arches. Pour eux, la porte de ville antique, comme celles d’Autun ou de Langres, comme la Porte Majeure de Rome, comporte deux arches, l’une pour l’entrée en ville, l’autre pour la sortie23. Dans la réalité toutes les portes de ville antiques ne répondent pas à cette caractéristique, beaucoup n’ont qu’une arche et pas toujours de plus petites portes pour les piétons24 ; la distinction ne s’est jamais imposée.

  • 25 Pérouse de Montclos (Jean-Marie), op. cit., p. 43. On remarquera, à l’appui de ce qui a été dit pl (...)
  • 26 Projets et dessins pour la Place royale du Peyrou à Montpellier, Montpellier, Inventaire Général d (...)

15Un autre élément est encore venu affaiblir l’originalité des portes urbaines comme objet architectural particulier, l’emplacement. La porte de ville est souvent édifiée au cours du xviiie siècle ailleurs qu’à la limite de la ville et sans rapport avec l’enceinte urbaine. Le concours de 1738 spécifiait cependant bien que les candidats devaient dessiner « l’entrée ou plustost une porte servant d’entrée à une grande ville, entourée d’un fossé de 20 toises de largeur, avec un pont pour traverser le fossé et dans la ville une rue qui réponde à la magnificence de l’entrée25 ». Mais cette situation est dans les faits rarement réalisée dès le xviie siècle : rappelons qu’à Paris, les arcs de Blondel prennent la place d’anciennes portes médiévales situées au cœur de la ville. Mais l’exemple se généralise. Déjà, à Montpellier il fallut créer des « ailes » pour joindre la porte du Peyrou, conçue pour s’harmoniser avec une promenade et une place royale hors des remparts, aux murailles sur lesquelles elle s’ouvrait. Le décor, la promenade et la future place royale ont guidé le choix de l’emplacement de cette porte sans souci du tracé de l’ancien rempart26. À Nancy, évoquée plus haut, la dernière porte, la Porte Desilles, s’ouvre sur une promenade plantée et sert simplement à mettre en valeur la perspective offerte aux nouvelles habitations de ce quartier recherché.

  • 27 Elles conservent cependant ce rôle au xviiie siècle encore, les expressions « à porte ouvrante, à (...)

16En outre la fonction courtisane des portes de ville leur a enlevé jusqu’aux caractères pratiques dans les dessins d’architecture. D’après la majeure partie d’entre eux, imagine-t-on les huisseries qui accompagnaient ces portes souvent représentées béantes, imagine-t-on les murs qui les enserraient pour éviter toute rupture dans la ceinture urbaine27 ? La représentation conventionnelle des portes amène naturellement à les considérer comme des hommages au souverain, plus ou moins riches, plus ou moins coûteux selon les lieux et surtout hors de tout contexte urbain.

Embarrassantes portes…

  • 28 Fyot (Eugène), « La Porte Guillaume, arc de triomphe », La Revue de Bourgogne, t. 7, 1918-1919, p. (...)
  • 29 Beaune à la fin de l’Ancien Régime. Les réalisations municipales, catalogue de l’exposition des Ar (...)
  • 30 Pour les portes des petites villes de Bourgogne, voir Lamarre (Christine), « Petites villes… », op (...)

17La porte monumentale reste toujours une construction de prestige, impossible à multiplier hors des grandes villes. En Bourgogne quelques exemples permettent de chiffrer le coût des nouvelles portes. À Dijon, la Porte Guillaume qui, au xviiie siècle devait être une porte Condé en l’honneur du gouverneur de la Province, a été dessinée par Philibert Maret en 1786. Pour des raisons d’économie, le décor y était limité, mais les proportions demeuraient amples. L’ensemble fut adjugé 37 999 livres et revint au total à 57 248 livres28. À Beaune la porte du faubourg Bretonnière, projetée en 1778, était plus modeste, mais comprenait, outre la porte, deux logements, l’un pour un corps de garde et l’autre pour le bureau du commis de l’octroi. Le dessin a été donné par l’architecte Lenoir dit le Romain, l’adjudication (qui n’eut pas de suite faute de moyens financiers) fut emportée par Louis Moyne pour une somme de 12 950 livres29. Une porte plus petite et sobrement ornée peut atteindre les 5 000 livres (comme à Bar-sur-Seine) alors qu’une simple ouverture avoisine les 1 000 à 2 000 livres30. L’engagement financier est si lourd que souvent on préfère réserver la porte ornée à la route de Paris d’où peut venir un éventuel cortège royal (ce que l’on peut toujours constater à Sens, Bar-sur-Seine, Châtillon-sur-Seine, Dijon, Beaune etc…). Avec ces portes, le décor en l’honneur du souverain devient permanent ; il est définitivement installé au milieu de ses sujets, et la beauté urbaine devient intemporelle, au point que l’on renonce dans certaines villes à faire des constructions provisoires célébrant la traversée princière, comme ce fut le cas, par exemple, lors du passage de la future Dauphine Marie-Antoinette.

18Mais ce rêve ne peut toujours s’accomplir. Les portes de villes, dans la réalité, ne sont pas souvent ces arcs triomphaux dont le modèle n’est vieux que d’un siècle. Communément les portes sont demeurées des éléments de la fortification médiévale, autorisant le passage, mais sous réserve qu’il ne nuise pas à la sécurité. Les portes ouvrent donc un chemin étroit, tortueux, souvent limité en hauteur, suffisant pour les piétons ou les animaux, mais impraticable ou dangereux pour les charrois du xviiie siècle. Elles gênent le commerce et sont parfois violemment dénoncées par des corps municipaux désireux de s’en défaire. Les échevins de Paray n’hésitent pas à parler de « voûtes énormes et caduques, élevées aux entrées des villes et que l’on appelle pour cette raison portes de ville », donnant l’image d’un chaos piranésien sans fonction ni utilité. Cette violente désaffection se rencontre un peu partout en Bourgogne après 1770, entraînant de multiples démolitions au moins dans les villes situées sur les principaux itinéraires. On pourrait aisément mesurer l’ampleur de ce désamour par les archives du Secrétariat à la guerre qui conserve les requêtes nécessaires au démarrage des travaux.

  • 31 Selon Georges Pariset, Bordeaux aux xviiie s…, op. cit., p. 560, les édiles bordelais firent repro (...)

19Une fois la permission de démolir obtenue, par quoi remplacer la porte détruite sans nuire à la circulation des marchandises tout en continuant à marquer le territoire, ce qui demeure une nécessité, au moins fiscale, à cause des octrois ? La réponse est assez simple et uniforme, on choisit d’édifier à l’emplacement des anciennes portes deux pilastres, parfois monumentaux, souvent simples, qui peuvent supporter des vantaux de bois ou une grille, donc qui autorisent la fermeture de la ville, mais qui ne limitent plus le passage en hauteur. Là encore, les nouvelles formes architecturales font écho à des éléments de l’architecture privée, de la porte on est passé au portail ; la ville ne s’assimile plus à l’hôtel urbain ou au château, mais au parc31.

  • 32 Andia (Béatrice de), « Les barrières de Ledoux », Le Moël (Michel) (dir.), L’urbanisme parisien au (...)
  • 33 Ledoux et Paris, Cahiers de la Rotonde, 3, Paris, Ville de Paris, Commission du Vieux Paris, 1979, (...)

20Pour que l’on puisse marquer les seuils de la ville avec des pilastres, encore faut-il qu’il subsiste des murs, ce qui est le cas commun. Mais les exceptions demandent un autre traitement. Ainsi en va-t-il de Paris. On sait que les limites de la ville ont changé au cours de l’époque moderne et que Louis XVI, à l’issue d’un examen approfondi du bail des fermiers généraux, accepta le déplacement des limites fiscales de la ville32. Ce nouvel espace de la capitale devait être marqué par un mur et magnifié par des monuments qui ne seraient pas forcément des portes, mais qui montreraient que l’on entrait dans Paris. L’architecte de la Ferme, Claude-Nicolas Ledoux y travailla avec acharnement entre 1784 et 178933.

  • 34 Quatremère de Quincy (Antoine-Chrysostome), Encyclopédie méthodique… op. cit.

21Le dictionnaire d’architecture de Quatremère de Quincy, publié entre 1788 et 182834, donne sur le débat qui en est sorti d’intéressants aperçus. D’abord à l’article « entrée de ville », il la définit comme un ensemble comportant la porte, les bâtiments voisins, les perspectives et les points de vue adjacents, comme le programme du concours académique de 1738 évoqué plus haut. Ainsi la porte n’est plus qu’un élément de l’entrée de ville ; à elle seule, elle ne peut plus suffire à la caractériser. C’est l’indice d’une première crise dans la représentation mentale de l’entrée en ville.

  • 35 À l’article barrière il critique directement l’œuvre de Ledoux pour sa destination, pour son archi (...)
  • 36 Cité par Daniel Rabreau, op. cit., p. 210. L’auteur montre à l’inverse que Ledoux entre dans la li (...)

22Plus encore, à Paris, en 1785, le nouveau mur, qui n’avait pas d’utilité défensive, n’a pas servi de support à des portes qui auraient limité les accès, ni à des pilastres sans doute insuffisants pour souligner la magnificence de la ville où l’on pénétrait. Les fermiers généraux choisirent, on le sait, de confier à l’architecte Ledoux l’édification d’une série de pavillons monumentaux, placés aux barrières où se payaient les impôts. Il s’agissait pour eux de marquer l’agrandissement de la ville par des témoignages monumentaux et multipliés (il était prévu 65 entrées et quatre propylées), donnant au voyageur la vision d’une capitale et au roi les plus belles entrées. Mais ces bâtiments étaient placés le long des rues. Ledoux renonçait, pour la première fois, à l’emplacement classique de la porte et à sa forme en lui substituant une très grande variété de bâtiments pour des postes de douanes, qu’il appelait bureaux, barrières ou encore propylées, mais jamais portes, le glissement est significatif… Ces « temples » à la gloire des fermiers généraux et de l’impôt activement mis en chantier furent mal acceptés : beaucoup ont été rapidement détruits. Quatremère de Quincy qui fut l’un des détracteurs du projet donne dans le troisième volume de son Dictionnaire paru en 1801, une autre lecture, non politique mais spatiale, de l’échec35 : « presque tous ces monuments se trouvent relégués au milieu des marais, des champs potagers et des chaumières qui les accompagnent […] leur effet est entièrement perdu ». Il s’oppose directement à Ledoux qui avait dit « je dévillagerai Paris36 » ; il ressent très précocement les difficultés liées à la mise en valeur des lisières de la ville, une fois enceintes et portes abandonnées. Pour lui les limites spatiales ne sont plus claires et elles renvoient, par assimilation, à l’histoire urbaine. Les villes sont nées des villages, il leur reste des marques de cette origine qui se trouvent dans le cortège des faubourgs qui accompagnent et cernent les villes. Du coup « les entrées des grandes villes ne sont ainsi que l’indique le mot faubourg qu’une transition de la ville au village. C’est ce qui fait qu’on ne saurait embellir ces entrées ou que ces embellissements se trouveraient à peu près en pure perte ». On ne saurait exprimer plus clairement la difficulté non encore résolue au grand dam des urbanistes, d’installer un monument ou un signe fort de la présence urbaine là où la ville se dilue et emprunte le désordre et la modestie des constructions campagnardes.

  • 37 Les portes de la ville. Catalogue de l’exposition du CCI 2 février- 4 avril 1983, Paris, Centre Ge (...)

23La fin de la porte de ville, corollaire du mur, a fait perdre, non sans nostalgie37, la précision des contours, la netteté du paysage urbain dès la fin du xviiie siècle, préparant l’agglomération. L’entrée dans la grande ville, devient insensible, on ne peut plus la souligner, ni la traiter de façon monumentale, la croissance des villes rend vaine toute tentative de poser des bornes. Ce problème, si présent dans les réflexions des géographes et des urbanistes contemporains, était déjà sensible à certains architectes de la modernité.

Notes

1 C’est encore le cas dans le Dictionnaire d’Émile Littré où la notice commence ainsi : « Ouverture pratiquée dans les murs d’une ville, pour y entrer et en sortir (ce qui est le sens propre du latin porta) ». L’étymologie couramment retenue pour ce mot le fait dériver de portare qui désigne le geste de soulever le soc de la charrue qui trace le futur emplacement des murailles. Le mot urbain a une origine connexe puisqu’il désigne le sillon qui sera à l’origine de la future ville : rappelons que la fondation des villes antiques (et de Rome) s’est faite en traçant au sol, avec une charrue, l’emplacement des murs et que le sillon était interrompu (en soulevant la charrue) pour désigner les portes. L’équivalent de la porte pour les bâtiments publics ou privés est l’huis encore familier par la fonction de celui qui veille sur les allées et venues à l’intérieur d’un bâtiment, l’huissier, qui diffère du concierge.

2 Fortifications, portes de villes, places publiques dans le monde méditerranéen, textes réunis par Heers (Jacques), Paris, Presses de l’Université de Paris-Sorbonne, s. d. [1986], (Cultures et civilisations médiévales IV). Voir aussi Le paysage urbain au Moyen-Âge, XIe congrès des Historiens médiévistes, Lyon, 1980, Presses Universitaires de Lyon, 1981 et Lamarre (Christine), « Du paysage urbain emblématique au paysage urbain sensible », Évolution et représentation du paysage de 1750 à nos jours, Festival d’histoire de Montbrison, 28 septembre-6 octobre 1996, Montbrison, Ville de Montbrison, 1997, p. 45-56.

3 À l’inverse, dans le même ouvrage, un village est un « lieu non fermé de murailles, composé de maisons de paysans ».

4 Expilly (Abbé Jean-Joseph), Dictionnaire géographique, historique et politique des Gaules et de la France, Paris, Desaint, 1762, t. 1, p. 660. La mémoire des bienfaits comtaux a été renouvelée selon le même auteur : « Autrefois on voyait sur les portes de Costé, de Guichard et du Pont, une inscription qui rappeloit le souvenir des bontés qu’Étienne-Henri, Comte de Blois, et Adèle sa femme avoient eues pour leurs sujets de Blois. Comme cette inscription étoit presque effacée, estant sculptée depuis cinq cens ans ou environ, le roi Henri III, ordonna quelle fût renouvellée et gravée au-dessus de la porte de Costé ».

5 Hesseln (Robert de), Dictionnaire universel de la France…, Paris, Desaint, 1771, t.V, p. 602.

6 Lamarre (Christine), Petites villes et fait urbain en France au xviiie siècle. Le cas bourguignon, Dijon, Éditions Universitaires de Dijon, 1993, p. 571-585. L’hôtel de ville de Louhans, reconstruit entre 1762 et 1766, par l’architecte Verne de Chalon-sur-Saône présente la même disposition ; le bâtiment abrite toujours la mairie.

7 Blin (Léon), « Le pont de Cravant et son curieux destin au xviiie siècle », Bulletin de la Société des Sciences de l’Yonne, 1973, p. 107-141.

8 Archives départementales de l’Yonne (désormais ADY), C 18, voir Lamarre (Christine), op. cit. note 6, p. 243.

9 Le dossier de la reconstruction (ADY, C 18) comporte trois dessins présentant les diverses solutions envisagées : une reconstruction à l’identique, une forme simplifiée avec pour seul ornement une horloge et une silhouette plus complexe avec horloge, fronton et campanile reprenant tous les éléments de l’ancienne porte médiévale en les modernisant simplement. Le passage, suivant les projets, est porté à 12 ou 15 pieds de largeur et 16 pieds de hauteur (3,88 à 4,86 m sur 5,18 m), il est le plus grand dans le projet le plus simple. La largeur du passage permet de classer la rue de Cravant parmi les rues de largeur moyenne (ou « rues de communication et de distribution » pour le Traité de la Police de Delamarre), voir Harouel (Jean-Louis), L’embellissement des villes. L’urbanisme français au xviiie siècle, Paris, Picard, 1993, p. 229-231.

10 Voir Higounet (Charles) dir. Histoire de Bordeaux, t.5, Pariset (François-Georges) dir. Bordeaux au xviiie siècle, Bordeaux, Fédération historique du Sud-Ouest, 1968, notamment le livre IV, chapitre II « le Bordeaux de Boucher et Tourny », p. 554-580.

11 Ibidem. Les principales portes édifiées alors sont la Porte Dauphine (1736), le Porte Neuve ou des Capucins (1744), la Porte Dijeaux (1746), la Porte Royale ou du Chapeau-Rouge (1747), la Porte Saint Germain ou de Tourny (1747-148), la Porte de Bourgogne (1750) et la Porte d’Aquitaine (1754-1756).

12 Marot (Pierre), Le vieux Nancy, Nancy, Humblot, 1970. Héré (Emmanuel), Plans et élévations de la Place royale de Nancy et des édifices qui l’entourent, Paris, 1750.

13 Hesseln (Robert de), op. cit., note 5, t.5, p. 17.

14 Expilly (abbé Jean-Joseph), op. cit., t. 1, p. 441, définit ainsi la banlieue : « On entend par ce nom les environs d’une ville, qui sont compris dans l’étendue d’une lieue. On se sert aussi de ce terme pour signifier l’étendue d’une Jurisdiction, dans le District de laquelle le Juge ordinaire de la ville peut faire bannie et proclamation ».

15 Outre les définitions des dictionnaires et encyclopédies anciennes, voir Lectures de la ville (xve-xxe siècles), Histoire, Économie, Société, n° 3, 1994 et Descimon (Robert), « Milice bourgeoise et identité citadine à Paris au temps de la Ligue », Annales ESC, 1993 (4), p. 885-906. L’épisode est resté très vivant dans la mémoire collective et la définition du « quartier » dans l’Encyclopédie rappelle l’épisode des Seize.

16 Baratier (Édouard) dir., Histoire de Marseille, Toulouse, Privat, 1973, p. 163-165.

17 La porte Saint Pierre, Documents de notre histoire n° 2, Archives municipales de Pontarlier, 1991. Après un premier incendie en 1736, Quéret avait proposé d’abattre la porte : « la porte est tournante et si étroite que les grands bois ne peuvent passer et que, quand deux voitures se rencontrent, ce sont toujours des jurements et des batteries ». C’est après un second incendie en 1754 qui endommage l’enceinte que le parti est pris de construire une nouvelle porte (Archives municipales de Pontarlier BB 7 et DD 50). Le devis de 10 280 livres 12 sous et 2 deniers est approuvé au Conseil du Roi le 29 mai 1770, l’adjudication est passée le 24 février 1771 pour 16 000 livres et la remise des travaux est faite en 1773. Un campanile a été malencontreusement ajouté en 1896-1897. Les dimensions de l’ouverture (3,5 m de largeur, 4,85 m de hauteur) faillirent condamner le monument qui fut inscrit à l’inventaire supplémentaire des Monuments historiques le 16 mars 1970 (Archives municipales de Pontarlier, R 142).

18 D’aviler (Augustin-Charles), Dictionnaire d’architecture civile et hydraulique et des arts qui en dépendent…, Paris, Jombert, 1755, p. 304.

19 Dupavillon (Christian), Lacloche (Francis), Le triomphe des arcs, Paris, Gallimard, coll. Découvertes Architecture, 1991. Une gravure (Paris, N. Langlois) représentant la porte Saint-Denis indique en légende : « elle a été faite pendant les victoires du Roy sur les Hollandois ».

20 La gravure apparaît en première page du cours d’architecture de François Blondel, Cours d’architecture enseigné dans l’Académie royale d’architecture…, Paris, Aubouin et Clouzier, 1675. Parmi les « ouvrages publics de Paris » recensés ne figurent que les portes Saint-Antoine, Saint-Bernard, et Saint-Denis, p. 603-619.

21 Il faudrait aussi étudier les différences d’ornementation entre les deux faces des portes, extérieures et intérieures. Les thématiques et même les styles ornementaux sont parfois bien différents.

22 Pérouse de Montclos (Jean-Marie), « Les prix de Rome », concours de l’Académie royale d’architecture au xviiie siècle, Paris, Berger-Levrault, École nationale des Beaux-Arts, 1984. Le prix d’émulation ou de quartier de décembre 1787 avait pour sujet une porte de ville, ceux de janvier 1775 et mars 1786 une porte pour une ville de commerce, ceux d’avril 1768 et d’août 1780 une porte pour une ville de guerre, ceux de janvier et juin 1772 une porte triomphale à la gloire de Louis XV, celui de février 1779 à la gloire de Louis XVI. Les arcs de triomphe ont fait aussi l’objet de concours à six reprises, la chronologie est un peu différente, les premières occasions sont plus précoces (1722, 1730, 1747) et donnent toutes lieu à un grand prix, les dernières sont contemporaines de la paix après la guerre de Sept Ans (1763) ou de la guerre d’Amérique (1782 et 1783, ces derniers concours étant d’émulation seulement). Pour plus de renseignements voir Lemonnier (Henri), Procès verbaux de l’Académie royale d’architecture, Paris, 1911-1929.

23 Quatremère de Quincy (Antoine-Chrysostome), Encyclopédie méthodique… Architecture, Paris, Panckoucke, Liège Plomteux, Paris Agasse, 1788-1828, 3 vol, article « porte ». Blondel (Jacques-François), op. cit., p. 600-601, propose un dessin de la porte romaine dans le chapitre consacré aux arcs de triomphe et ajoute, ce qui souligne la confusion : « Quoiqu’elle n’ait point été faite pour servir d’Arc de Triomphe ; elle est néanmoins d’une si belle structure, que je ne puis m’empêcher d’en faire ici une légère description ».

24 Les mises en garde contre les confusions entre porte et arc de triomphe continuent. Ainsi dans Principes d’analyse scientifique. Vocabulaire de l’architecture, Paris, Imprimerie nationale, 1972, p. 156, col. 224, la porte de ville est ainsi définie : « Construction monumentale marquant l’entrée d’une ville. Ne pas confondre la porte de ville avec l’arc commémoratif ».

25 Pérouse de Montclos (Jean-Marie), op. cit., p. 43. On remarquera, à l’appui de ce qui a été dit plus haut, qu’il faut faire dessiner l’environnement pour reconnaître une porte de ville.

26 Projets et dessins pour la Place royale du Peyrou à Montpellier, Montpellier, Inventaire Général de Monuments et des Richesses artistiques Languedoc-Roussillon, Caisse nationale des Monuments historiques et des Sites, 1983, p. 17-21.

27 Elles conservent cependant ce rôle au xviiie siècle encore, les expressions « à porte ouvrante, à porte fermante » aujourd’hui disparues sont encore d’usage et figurent dans les dictionnaires de l’époque classique.

28 Fyot (Eugène), « La Porte Guillaume, arc de triomphe », La Revue de Bourgogne, t. 7, 1918-1919, p. 82-89. L’édifice achevé en 1788, devint sans difficulté un Arc de la Liberté en 1790, s’ouvrant sur une rue du même nom.

29 Beaune à la fin de l’Ancien Régime. Les réalisations municipales, catalogue de l’exposition des Archives municipales de Beaune, Chapelle de l’Oratoire, 3 juin-28 août 1988, p. 19, pour la porte Saint-Nicolas adjugée 14 000 livres, p. 21 pour la porte Bretonnière.

30 Pour les portes des petites villes de Bourgogne, voir Lamarre (Christine), « Petites villes… », op. cit, p. 242-246.

31 Selon Georges Pariset, Bordeaux aux xviiie s…, op. cit., p. 560, les édiles bordelais firent reproche à Tourny de faire installer des grilles à la Porte Saint-Germain « qui annoncent plutôt un parc que l’entrée d’une grande ville ». L’auteur note aussi que pour Louis Hautecœur la Porte Dijeaux, enserrée entre de hauts murs, ressemblait à l’entrée d’un hôtel particulier.

32 Andia (Béatrice de), « Les barrières de Ledoux », Le Moël (Michel) (dir.), L’urbanisme parisien au siècle des Lumières, Paris, Action artistique de la ville de Paris, 1997, Rabreau (Daniel), Claude-Nicolas Ledoux (1736-1806) l’architecture et les fastes du temps, William Blake and Co, Art & Arts, 2000.

33 Ledoux et Paris, Cahiers de la Rotonde, 3, Paris, Ville de Paris, Commission du Vieux Paris, 1979, p. 110-129.

34 Quatremère de Quincy (Antoine-Chrysostome), Encyclopédie méthodique… op. cit.

35 À l’article barrière il critique directement l’œuvre de Ledoux pour sa destination, pour son architecture et pour la disposition des bâtiments qui sont le long de la route et qui ne la coupent pas comme la porte de ville classique. Pour lui l’effet sur le voyageur est dès lors manqué. Il se montre par ailleurs un défenseur des formes traditionnelles dérivées de l’antiquité des portes semblables aux arcs de triomphe. (voir l’analyse fouillée de Daniel Rabreau op. cit, p. 264-269). Dans l’extrait de cet autre article du même Dictionnaire, la position de Quatremère de Quincy a sensiblement évolué.

36 Cité par Daniel Rabreau, op. cit., p. 210. L’auteur montre à l’inverse que Ledoux entre dans la lignée des architectes qui voient la ville comme une dramaturgie et pour qui les portes sont un « somptueux rideau de scène », rendu nécessaire par la glorification implicite du souverain par l’opulence de sa capitale.

37 Les portes de la ville. Catalogue de l’exposition du CCI 2 février- 4 avril 1983, Paris, Centre Georges Pompidou/CCI Paris 1983 montre les projets faits pour la Porte Maillot à Paris en 1931. Il n’était déjà plus question que d’un ensemble monumental à un carrefour et non à une limite urbaine. Signalons par ailleurs que la forme d’arche de l’Arche de la Défense n’a pas été inspirée à l’architecte Johann-Otto von Spreckelsen par les portes de ville ou les arcs de Triomphe (La Grande Arche, Beaux-Arts Magazine, 1989).

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