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Les sociétés au xviie siècle

 | 
Annie Antoine
, 
Cédric Michon

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Patrons et clients dans l’Espagne du xviie siècle

Tomás A. Mantecón

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Géographique :

France

Texte intégral

  • 36 Elias N., La Sociedad cortesana, Madrid, 1993 (1re édition, 1969).
  • 37 Reinhard W., Introducción a Las élites del poder y la construcción del Estado. Génesis del Estado (...)

1Bien que les rituels de la Cour n’aient jamais été ni systématisés ni décrits, dès le règne de Philippe II, il est possible d’identifier un schéma de pouvoir qui se projetait dans une société courtisane, telle que la définissait Norbert Elias36, c’est-à-dire comme un mode de vie et comme une structure sociale dans laquelle la concurrence pour la position et la fidélité constituait un élément explicatif fondamental des relations interpersonnelles. Ces questions avaient déjà une grande importance pour le gouvernement à l’époque de l’arrière petit-fils des Rois Catholiques, dans le cadre de la consolidation des pouvoirs temporels en Europe occidentale à partir de la dissolution de l’ordre bas-médiéval ; processus qui supposa le progrès de la concentration de l’autorité autour du premier d’entre tous37. La guerre, provoqua une révolution financière qui dynamisa l’activité politique, mettant en première ligne les percepteurs, les contribuables et les oligarchies locales. Ces dernières participaient au vote et à la gestion de l’impôt, pièce politique de premier ordre au-delà des sphères locales, et pièce décisive dans le domaine des relations internationales. La ville devint un espace central dans les relations entre les souverains et ses sujets, tant en ce qui concerne des questions politiques qu’administratives. Dans ce cadre urbain, des élites provinciales, qui maintenaient des relations relativement fluides avec le monde de la Cour, se consolidèrent.

  • 38 Reinhard W., Introducción…, op. cit., p. 21-22.
  • 39 Voir Crouch David et Carpenter D. A., « Debate. Bastard feudalism revised », Past and Present, 131(...)
  • 40 Rodríguez Salgado M. J., « The court of Philipp II of Spain », Asch R. G. et Birke A. M. (dir.), P (...)

2D’une certaine façon, dans le processus de formation de la société courtisane, les élites au pouvoir, cherchant leur propre intérêt, avait favorisé, comme l’assura Wolfgang Reinhard 38, l’établissement d’une dépendance personnelle vis-à-vis du roi. À son égard, fons honorum, elles développèrent quelque chose ressemblant à la notion de « service à une dynastie », et qui était assez proche de ce qui, aujourd’hui, pourrait être défini comme l’idée de « service à l’État ». Mais pour avoir accès au privilège et à l’honneur qui hiérarchisaient la société et qui exigeaient une défense et une protection, il fallait être en condition de le faire. Cette capacité classait les gens et créait les fidélités entre les personnes, en favorisant l’apparition de formes de relations interpersonnelles assymétriques ou hiérarchisées, qui finissaient par constituer de vastes réseaux. C’est ce que l’on désigne par patronage, féodalisme bâtard ou tardo-féodalisme. il faut indiquer, néanmoins, que les questions de vocabulaire, objet d’une grande controverse, sont l’aspect le moins significatif de cette histoire39. La société courtisane elle-même, dans son processus de formation et de consolidation stimula l’établissement de liens qui structuraient la société, à l’image de ces formes de dépendance personnelle qui unissaient chaque courtisan avec le roi et qui permirent d’articuler des relations complexes entre les factions ou les clientèles courtisanes déjà au temps de Philippe II et à l’époque de ses successeurs40.

3L’arrivée de Philippe II à Valladolid, en septembre 1559, supposa un changement dans le groupe de ceux qui, en Castille, avaient un accès relativement facile au monarque. Ce fut le cas, par exemple, du docteur Juan de Figueroa qui, nommé président du Conseil des Ordres Militaires, perdait ainsi son contact direct avec le roi, tandis que d’autres l’obtenaient, par exemple, le marquis de Mondéjar, Luis Hurtado de Mendoza, qui fut chargé de la présidence du Conseil de Castille jusqu’à sa mort en 1564. Ceci est un exemple de relève au sommet de la sphère du patronage courtisan qui fragilisait à la base les réseaux qui s’élaboraientt autour de chaque mouvement ascendant ou descendant à la Cour de Madrid, mais il n’était pas nécessaire d’arriver jusqu’à la présidence du Conseil de Castille pour accéder au roi et s’inscruster dans une structure de pouvoir de type clientélaire. Le traitement direct de dossiers avec le roi conféra un certain poids à des hommes comme Francisco de los Cobos, Juan Vázquez ou Francisco de Eraso, chargés de plusieurs secrétariats, un poids suffisant pour qu’ils deviennent des patrons à la Cour, influence qui pouvait être obtenue depuis le corps des letrados et depuis les Conseils.

  • 41 Carlos C. J. DE et Martínez Millán J., « La administration de la gracia real : los miembros de la (...)

4Depuis les postes gouvernementaux contrôlés principalement par des membres de la noblesse, on avait accès à une position de pouvoir qui permettrait la gestion de réseaux de patronage, si bien qu’occasionnellement, éclataient des rivalités entre factions et clientèles courtisanes créées autour des letrados et des nobles, c’est-à-dire, entre des techniciens et des politiques. Le triomphe de ces derniers à la fin du règne de Philippe II aurait supposé le succès de l’option politique et nobiliaire face à la technique des juristes. Ceci aurait favorisé une participation plus directe de la noblesse de Cour et de ses réseaux de patronage dans le gouvernement de la monarchie, premièrement sous forme collégiale, puis à travers le régime des favoris41 et, au temps de Charles II, par une influence décisive sur l’action gouvernementale des Conseils.

  • 42 Cervantes M. de, El ingenioso hidalgo don Quijote de la Mancha, Madrid, 1979 (1re édition, 1605), (...)

5Depuis la Cour, le schéma de pouvoir basé sur des structures de patronage parcourait toute la pyramide sociale et territoriale, même s’il n’était évidemment pas la seule forme d’articulation de la société, puisque les liens interpersonnels basés sur des schémas communalistes étaient aussi intenses dans les espaces urbains ou ruraux et n’étaient absolument pas incompatibles avec l’existence du patronage et de relations clientélaires. En outre, les distinctions de classes entraient en ligne de compte, entre « ceux qui ont » et « ceux qui n’ont pas », ou entre ceux qui ont beaucoup et qui sont rares, et ceux qui n’ont rien et qui sont nombreux. Du point de vue de la logique de patronage, l’important pour un patron n’était pas de jouer mais de gagner, de faire en sorte que sa position de pouvoir soit réellement efficace et cela avait également à voir avec le sens que l’on accordait à l’honneur dans la société espagnole du xviie siècle. L’image de Don Quichotte permet d’illustrer cette question. L’honneur y constitue le patrimoine du chevalier, pour qui chaque victoire implique une augmentation du patrimoine immatériel d’honneur personnel et d’honneur de son groupe de référence. Ainsi, lorsque Don Quichotte fut battu, il demanda à son adversaire de lui ôter la vie, puisqu’il avait déjà perdu l’honneur. Dans l’épisode du combat contre le chevalier du Bois, ce dernier s’enorgueillissait d’avoir vaincu Don Quichotte : « Sa gloire, sa réputation, son honneur m’appartiennent », car « le vainqueur est d’autant plus honoré que le vaincu est réputé42. »

  • 43 Ibid., vol. 1, p. 576-577 et vol. 2, p. 54-55, 478-480. Également dans Saavedra Fajardo d. de, Emp (...)
  • 44 Cervantes M. de, « El coloquio de los perros », El casamiento engañoso y el coloquio de los perros (...)

6D’une certaine façon, l’honneur s’acquérait par la naissance, mais il devait être conservé et augmenté par les actions que l’on entreprenait et par la capacité à le garder intact. Tout cela aidait à comprendre comment les gens étaient classés à l’intérieur des structures sociales et contribuait également à établir et à renforcer les liens personnels de dépendance et de protection, puisque chaque niveau ou degré d’honneur devait être reconnu par les autres, les supérieurs et les inférieurs. La fidélité de ces derniers et leur dépendance envers le patron étaient indispensables pour que celui-ci conserve sa position sociale et que le patronage soit efficace. Plus les clients manifestaient de la considération et de la fidélité au patron, plus grande était l’estime sociale de celui-ci et le respect public de la clientèle dans son ensemble43. Le père, le mari, le parent plus âgé, le maître de l’atelier, l’échevin municipal… le protecteur ou patron avaient le rôle social de représentation du groupe, mais chaque personne pouvait être honorée ou déshonorée. Les corps sociaux déterminaient la position de chaque personne, de chaque corps, de chaque groupe dans l’échelle de l’honneur, c’est pourquoi lorsqu’un individu quittait sa communauté de référence, son degré d’honneur devait à nouveau être revu par les autres sphères dans lesquelles il se proposait d’entrer. Le commérage, la rumeur, les ragots et bavardages constituaient, à l’échelle locale, d’importants événements sociaux pour conforter ou fragiliser la position des personnes dans la communauté, ainsi que pour mettre à l’épreuve la capacité de protection du groupe à l’égard des sujets et des parentèles et clientèles, puisque, comme l’a indiqué Cervantès, le commérage ne prend fin que lorsque les commères perdent leur langue44.

  • 45 Mantecón T. A., « La familia infanzona montañesa, un proyecto intergeneracional », Casey J. et Her (...)
  • 46 Burgos F. M., Los lazos de poder. Obligaciones y parentesco en una élite local castellana en los s (...)

7Ces valeurs n’étaient pas les seules sur lesquels se construisait l’édifice social dans l’Espagne du xviie siècle mais les schémas de patronage traversaient toutes les hiérarchies sociales. Au moyen de liens de dépendance personnelle les familles courtisanes étaient liées à d’autres situées plus bas dans la hiérarchie de l’honneur, des familles provinciales, d’une noblesse moins attestée ou moins influente, mais préoccupées par le maintien de leur position dans les régions périphériques de la Couronne, et dans la mesure du possible par le placement de leurs pions présents à la Cour, au service direct du patron, ou à un poste à partir duquel il pourrait « donner du lustre » à la parentèle. C’est le cas de l’aîné des Velarde à Santillana del Mar dont le frère Bernardo, collégien chez les Velarde de Valladolid, étudiant à Rome, fut placé à un poste important, car il finit évêque de Tortosa au début du xviiie siècle45. Ces personnes intermédiaires entre la Cour, les institutions centrales et les régions et sphères sociales plus périphériques jouèrent un rôle important dans les structures de patronage de l’Espagne du xviie siècle, en intervenant comme courroies de transmission du pouvoir depuis la Cour jusqu’aux provinces46. Parallèlement, elles exerçaient dans ces mêmes sphères provinciales une autorité qui se réfugiait derrière la protection de puissants chevaliers courtisans dont elles étaient considérées comme des « satellites », des « créatures » ou des « protégées ».

8Ce schéma n’était pas statique et c’est peut-être pour cette raison que les jeunes de la noblesse courtisane s’appliquèrent très tôt à l’étude du droit, une occupation qui, apparemment, fut plus importante dans le cas castillan que, par exemple, en Angleterre. La professionnalisation fut alors l’une des stratégies développées pour parvenir à la reproduction sociale des élites, mais elle offrait également des opportunités à la petite noblesse provinciale. Celle-ci projetait sur la société villageoise des liens verticalement établis avec des paysans, des journaliers et des employés, de sorte que la protection, l’intimidation ou les deux à la fois projetaient dans la sphère locale une autorité qui n’était pas juridiquement reconnue mais qui, occasionnellement, parvenait à être reconnue par un fuero spécial dans le domaine militaire, clérical ou inquisitorial. Ceci contribuait à donner une certaine stabilité intergénérationnelle aux liens établis entre patrons et clients.

Bibliographie

Bibliographie

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Bernardo J. M. de et González J. M. (ed.), La Administración municipal en la Edad Moderna, Actas de la V Reunión Científica de la AEHM, Cádiz, 1999.

Burgos F. M., Los lazos del poder. Obligaciones y parentesco en una élite local castellana en los siglos xvi y xvii, Valladolid, 1994.

Casey J. et Hernández J. (éd.), Familia, parentesco y linaje. Historia de lafamilia, una nueva perspectiva de la sociedad europea, Murcie, 1997.

Castellano J.-L. et Dedieu J.-P. (éd.), Réseaux, familles et pouvoirs dans le monde ibérique à la fin de l’Ancien Régime, Paris, 1998.

Imízcoz J. M. (éd.), Elites, poder y red social. Las élites del País Vasco y Navarra en la Edad Moderna, Bilbao, 1996.

Imízcoz J. M. (éd.), Redes familiares y patronazgo. Aproximación al entramado social del País Vasco y Navarra en el Antiguo Régimen (siglos xv-xix), Bilbao, 2000.

Mantecón T. A., Conflictividad y disciplinamiento social en la Cantabria rural del Antiguo Régimen, Santander, 1997.

Martínez Millán J. (éd.), Instituciones y elites de poder en la monarquía hispana durante el siglo xvi, Madrid, 1992.

Reinhard W. (éd.), Las Élites del poder y la construcción del Estado. Génesis del Estado Moderno en Europa, siglos xiii a xviii, Mexico, 1997.

Notes

36 Elias N., La Sociedad cortesana, Madrid, 1993 (1re édition, 1969).

37 Reinhard W., Introducción a Las élites del poder y la construcción del Estado. Génesis del Estado Moderno en Europa, siglos xiii a xviii, México, 1997 (1re édition, 1996), p. 15-17, 25.

38 Reinhard W., Introducción…, op. cit., p. 21-22.

39 Voir Crouch David et Carpenter D. A., « Debate. Bastard feudalism revised », Past and Present, 131, 1991, p. 165-189 et les débats successifs publiés dans la même revue. Pour l’Espagne, voir Sánchez león P., « Nobleza, estado et clientelas en el feudalisme. En los límites de la historia social », Castillo S. (coord.), La historia social en España. Actualidad y perspectivas, Madrid, 1991, p. 197-215.

40 Rodríguez Salgado M. J., « The court of Philipp II of Spain », Asch R. G. et Birke A. M. (dir.), Princes, patronage and nobility. The court at the beginning of the Modern Age, Londres, 1991, p. 205-244 ; Elliott J. H., « The world of the court », Spain and its world, 1500-1700, Yale UP, 1989.

41 Carlos C. J. DE et Martínez Millán J., « La administration de la gracia real : los miembros de la Cámara de Castilla, (1543-1575) », Martínez Millán J. (éd.), Instituciones y elites de poder en la monarquía hispana durante el siglo xvi, Madrid, 1992, p. 25-45.

42 Cervantes M. de, El ingenioso hidalgo don Quijote de la Mancha, Madrid, 1979 (1re édition, 1605), vol. 1, p. 534 et vol. 2, p. 135.

43 Ibid., vol. 1, p. 576-577 et vol. 2, p. 54-55, 478-480. Également dans Saavedra Fajardo d. de, Empresas políticas. Idea d’un príncipe político-cristiano, 2 volumes, Madrid, 1976 (1re édition, 1640), p. 597 et suivantes.

44 Cervantes M. de, « El coloquio de los perros », El casamiento engañoso y el coloquio de los perros. Novelas ejemplares de Miguel de Cervantes Saavedra, Madrid, 1912, p. 306-307.

45 Mantecón T. A., « La familia infanzona montañesa, un proyecto intergeneracional », Casey J. et Hernández J. (éd.), Familia, parentesco y linaje. Historia de la familia, una nueva perspectiva de la sociedad europea, Murcia, 1997, p. 111-120.

46 Burgos F. M., Los lazos de poder. Obligaciones y parentesco en una élite local castellana en los siglos xvi y xvii, Valladolid, 1994 ; Imízcoz J. M. (éd.), Elites, poder y red social. Las élites del País Vasco y Navarra en la Edad Moderna, Bilbao, 1996 ; Castellano J.-L. et Dedieu J.-P. (éd.), Réseaux, familles et pouvoirs dans le monde ibérique à la fin de l’Ancien Régime, Paris, 1998 ; Imízcoz J. M. (éd.), Redes familiares y patronazgo. Aproximación al entramado social del País Vasco y Navarra en el Antiguo Régimen (siglos xv-xix), Bilbao, 2000.

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