La cause des « sans »
|Introduction
Texte intégral
« S’il fallait choisir juste quelques mots comme ça… ce qui me revient à l’esprit, c’est le mot militantisme, c’est le mot liberté… idéal… manipulation… c’est essentiellement ça qui me revient à l’esprit. Mais, en même temps, très personnellement, ce n’est pas une expérience journalistique. C’est très précisément un souvenir… un souvenir de joie ! Une grande joie, cette période, une période très marrante… jusqu’à la rue du Dragon. Après, c’est devenu n’importe quoi. […] Moi, en fait, j’étais déjà vachement sceptique avant Saint-Bernard. Saint-Bernard, ça a été la fin de tout, avec Emmanuelle Béart et tout le bordel, ça va, quoi… En même temps, c’est logique ! Ça ne pouvait finir que comme ça ! Quand je dis “finir”, moi je considère que la légitimité du mouvement a été cassée à ce moment-là, quoi. Je ne peux pas vous dire qu’il y a eu un tournant à une date précise, mais le mouvement, il est déjà bien pourri avant Saint-Bernard. […] Encore une fois, je ne regrette pas d’avoir couvert le DAL, mais je dis simplement que voilà, je jette un regard que j’espère lucide, et c’est là que… la couverture du DAL elle est fondée sur des principes journalistiques qui sont pas toujours… qui sont un peu erronés parfois. On était fondé à couvrir cet événement, c’était un événement collectif, il existait, mais par la suite il y a eu trop de… oui, il y a eu trop de complaisance à l’égard de ce mouvement, quoi. […] En même temps c’est un sujet que personne ne voulait traiter, quoi. Faut être clair, quoi ! Personne ne l’a vu venir ce sujet ! Personne n’a compris que les gens allaient être… attirer les médias autour de ce problème. […] Je ne renie pas la légitimité médiatique, parce que s’ils n’avaient pas été là, on ne se serait peut-être pas intéressé au problème. Bon, il ne faut pas jeter le bébé avec l’eau du bain. » (Dominique, journaliste à France 2)
1Ce florilège de verbatim est extrait d’un entretien mené avec Dominique, un journaliste de France 2 que j’ai rencontré à l’automne 2003 mais dont les propos sont restitués ici sous un pseudonyme. Il s’agit du premier des quelques journalistes que j’ai interviewés pour recueillir leur témoignage sur le traitement médiatique dont avaient fait l’objet un certain nombre de mouvements « d’exclus » dans la période récente. Fin 1999 j’avais entrepris une thèse de doctorat consacrée à l’étude de la médiatisation des causes des sans, plus précisément de sans-logis, de sans-papiers et de sans-emploi (Garcia, 2005). Mes premières investigations de terrain avaient consisté à exploiter les archives de l’INA, grâce auxquelles j’avais pu reconstituer la trajectoire de ces différents mouvements sociaux, saisie à travers la représentation qui en avait été donnée au journal télévisé. J’avais également interviewé un certain nombre de militants et d’animateurs de collectifs de sans. Je souhaitais de la sorte recueillir leur témoignage sur ce phénomène intriguant qui s’était produit quelques années plus tôt : les médias, et singulièrement la télévision, habituellement sourds à ce type de mobilisations, s’étaient subitement emparé de ces causes au cœur des années 1990, pour s’en détourner ensuite presque complètement. Quelques une de ces protestations, qui allaient rester dans les mémoires comme le mouvement des sans-logis de la rue du Dragon à l’hiver 1994, le mouvement des sans-papiers de Saint-Bernard à l’été 1996 ou encore le mouvement des chômeurs à l’hiver 1997, avaient successivement fait l’objet d’une attention tout à fait inhabituelle. L’interrogation qui guidait mon enquête revenait à déterminer les raisons de cet intérêt soudain, quasi éruptif, et je n’avais jusqu’à ce moment qu’ébauché le sujet : j’avais passé beaucoup de temps à essayer de documenter les modes de traitement médiatique de ces mobilisations ; j’avais également tenté de comprendre comment les collectifs de sans s’étaient réorganisés pour s’adapter aux contraintes de la médiatisation grand public ; mais je n’avais pas encore pu saisir de l’intérieur ce qui avait animé les rédactions des chaînes de télévision lorsqu’elles avaient collectivement « décidé » de couvrir massivement ces protestations. Le très long et très riche témoignage de Dominique, auquel les quelques extraits placés en exergue sont loin de rendre justice, s’est à cet égard révélé particulièrement éclairant. Ses propos, dont une partie est restituée dans les chapitres suivants, constituent un révélateur, en condensé, des paradoxes de l’attitude des journalistes face aux causes des sans… du moins des quelques journalistes ayant été directement confrontés à ces groupes mobilisés, ou ayant eu l’occasion de couvrir les thèmes du logement, de l’immigration et du chômage. Par la suite, j’ai rencontré d’autres reporters mais je n’ai cependant jamais retrouvé avec autant d’intensité cette ambivalence qui manifeste, de manière quasi idéale-typique, la relation de « symbiose conflictuelle » (selon l’expression de Gitlin, 1980) caractérisant les rapports entre médias et mouvements sociaux. Je rebouclais finalement, et très opportunément, sur l’analyse popularisée par Erik Neveu, un des rares chercheurs français qui s’intéressait à cette époque à cette question, et qui proposait de rendre compte des interdépendances entre médias et mouvements sociaux à partir de la notion d’« associés-rivaux » (Neveu, 1999a). Plus largement, le cas des mouvements de sans incarnait parfaitement une évolution majeure des conflits sociaux déjà mise en évidence par Patrick Champagne au début des années 1980, lorsque ce dernier décrivait le phénomène des « manifestations de papiers » (Champagne, 1984).
- 1 On gardera à l’esprit que tous les mouvements sociaux sont loin d’être centrés sur leur écho média (...)
2L’enjeu des mouvements sociaux contemporains consiste en effet, de plus en plus souvent, à s’attacher une couverture médiatique aussi importante et positive que possible, de manière à obliger « l’adversaire » à céder, indépendamment du rapport de force sur le terrain1. En ce sens il s’agit de médiatiser, au sens plein du terme, ce rapport de force. Or, pour le petit nombre qui parvient à passer la rampe des médias pour se retrouver projeté – très éphémèrement – au centre de l’attention publique, combien de protestations collectives restent confinées dans des espaces localisées, se règlent finalement de manière silencieuse, voire n’aboutissent jamais ? À cet égard, le monde social apparaît bel et bien comme un « cimetière de causes » (Offerlé, 1994, p. 126) ; un cimetière à l’entrée duquel les médias opèrent un tri, le plus gros du contingent étant voué à rester dans l’ombre, voire à avorter avant d’avoir même pu prospérer, tandis qu’une poignée d’heureux élus accède à la lumière des projecteurs – ce qui correspond, grosso modo, à la situation à laquelle ont été confrontés les mouvements de sans.
- 2 Sera laissé de côté l’ensemble de la littérature militante qui traite, dans une perspective critiq (...)
3En France de nombreux travaux ont, ces dernières années, entrepris d’étudier certains aspects de ce phénomène. Ils forment des chantiers de recherche très dynamiques mais sont encore trop peu connectés les uns aux autres. Certains ont investi les mouvements sociaux, d’autres ont focalisé leur attention sur les médias, d’autres encore ont entrepris une analyse de l’action publique. Cette littérature désormais abondante permet de faire ressortir, par contraste, des angles morts persistants. On se heurte ainsi à des limites évidentes lorsqu’on veut comprendre pleinement un mécanisme global. Certaines de ses facettes commencent certes à être explorées, comme le lien entre protestation sociale et action publique (Dupuy & Halpern, 2009), ou le lien entre médiatisation et action publique (Nollet, 2006, 2010). L’interface médias/politique a suscité de nombreux travaux qui se sont cependant concentrés sur la politique institutionnelle ou électorale, et beaucoup moins sur les mouvements sociaux. Or, on touche ici au cœur du fonctionnement de l’espace public, à travers les médiations qui orientent « le procès de construction des groupes et causes à défendre » (Darras, 1998, p. 13). Quelques chercheurs, dont les réflexions ont servi de base à la présente recherche, ont certes commencé à creuser cette problématique. Mais ces différents travaux restent encore insuffisants pour rendre compte pleinement des enjeux que soulève un tel questionnement2.
- 3 Le terme « cause », fortement polysémique, est employé ici au sens d’un ensemble d’intérêts ou de (...)
4L’objectif de cet ouvrage consiste très précisément à combler ce manque, en exposant ce qui se joue à l’interface du monde des médias et de celui des mouvements sociaux : à quelles conditions, et dans quelle mesure, les rencontres entre journalistes et porte-parole des groupes mobilisés sont-elles possibles ? comment ces causes3 sont-elles (re)traduites sous l’effet de leur médiatisation ? Son ambition est de reconsidérer, en les enrichissant, les théorisations existantes sur les relations entre médias et mouvements sociaux. Il se propose d’y parvenir à l’aide d’un objet qui leur résiste en partie, les causes des sans, et en étudiant spécifiquement leur carrière médiatique au journal télévisé (JT) au cours des années 1990.
Repenser les relations entre médias et mouvements sociaux
- 4 On désigne ici les travaux menés en Amérique du Nord, en Grande Bretagne ainsi que dans certains p (...)
- 5 Pour des exemples plus récents de cette littérature abondante, voir notamment Hertog & McLeod, 199 (...)
5Si c’est pour le moment encore (très) loin d’être le cas de la France, l’analyse des relations entre médias et mouvements sociaux relève d’une tradition de recherche bien ancrée dans la sociologie au niveau international, notamment dans le monde anglo-saxon4. Depuis l’étude séminale de Halloran, Elliot et Murdock (1970), un nombre croissant de chercheurs ont apporté leur pierre à l’édifice (Goldenberg, 1975 ; Morley, 1976 ; Beharrell & Philo, 1977 ; Molotch, 1979 ; Hartmann, 1979 ; Gitlin, 1980 ; Chan & Lee, 1984 ; de Nardo, 1985 ; Kielbowicz & Sherer, 1986 ; Olien et al., 1989 ; Ryan, 1991 ; Van Zoonen, 1992 ; Gamson & Wolfsfeld, 1993). Ces nombreuses contributions ont abouti à l’édification d’un important corpus de recherches, dont il est impossible de faire ici l’inventaire exhaustif5.
- 6 Par la suite, les expressions « médias de masse », « médias grand public » et « médias mainstream (...)
- 7 Sur la difficulté de donner une définition qui aille au-delà de ce que le sens commun entend par « (...)
6De fortes régularités ont été mises en lumière au fil des enquêtes, qui convergent vers l’identification d’une position conservatrice des médias de masse6 eu égard aux expressions de la « participation politique non conventionnelle7 ». Qu’ils soient descriptifs ou qu’ils aient une visée dénonciatrice, le constat récurrent auquel aboutissent la plupart de ces travaux est que les mouvements sociaux rencontrent de sérieuses difficultés pour attirer l’attention des journalistes ; quand ils y parviennent malgré tout, la cause qu’ils défendent est retraduite selon des modalités fortement dépolitisées. Du côté des groupes protestataires sont censés jouer, comme autant de handicaps, aussi bien la radicalité politique ou culturelle des causes défendues – et des militants qui les portent – que les faibles ressources dont ces derniers disposent pour promouvoir leur lutte. Les propriétés des journalistes ainsi que les modes particuliers d’organisation du travail dans les rédactions des médias mainstream sont, de leur côté, censés brider les rapprochements avec de tels acteurs sociaux et leurs causes.
- 8 Sur ce point, voir par exemple Downing, 1996. Les théories sociologiques sur le fonctionnement des (...)
7Rien ne garantit pourtant que ces propositions théoriques puissent être transférables et applicables in extenso à la situation française. Les études sur lesquelles elles reposent ont en effet été réalisées dans des contextes nationaux particuliers. Il y a un risque évident à se contenter d’assumer ailleurs leur validité, alors même que leur généralisation mériterait sinon de véritables vérifications empiriques, du moins une remise en perspective critique des conditions dans lesquelles elles ont été élaborées8.
- 9 Parmi les quelques travaux publiés en langue française par des non-Français, on retiendra notammen (...)
- 10 L’exception vient de l’œuvre d’Erik Neveu, qui s’est d’efforcé de faire un pont entre la sociologi (...)
- 11 Pour un bilan des stratégies d’accès à l’agenda des groupes protestataires, voir Vedel, 1999. Pour (...)
8Or, pour ce faire on dispose en France d’un corpus beaucoup plus réduit d’enquêtes. Si le terme « désert » paraît quelque peu caricatural pour décrire l’état des travaux scientifiques français9 dans ce domaine, il n’en reste pas moins que seuls quelques chercheurs isolés se sont, par éclipses, intéressés spécifiquement à cette question10. D’inspirations théoriques diverses, entre sociologie critique et sociologie de la critique, ces travaux se sont penchés sur les agriculteurs (Champagne, 1984 ; Neveu, 2003), les ouvriers en grève (Lefébure & Lagneau, 2001a, 2001b et 2002 ; Lagneau, 2005), la grande vague de contestation de la réforme des retraites à l’automne 1995 (Lévêque, 1998, 1999), le mouvement pacifiste (Mercier, 1993), le mouvement contre le nucléaire porté par Greenpeace (Derville, 1997 ; Ollitrault, 1999), le mouvement autour de la cause du sida porté par Act Up (Marchetti, 1998), la cause anti-raciste portée par SOS Racisme (Juhem, 1999) et plus récemment le mouvement des chômeurs (Lefébure & Lagneau, 2001a, 2001b ; Le Grignou & Patou, 2001 ; Maurer & Pierru, 2001 ; Lagneau, 2005)11. Leur existence s’est avérée très précieuse lorsqu’il s’est agi d’initier l’enquête dont rend compte le présent ouvrage. De fait, ce dernier leur emprunte un grand nombre d’intuitions, d’hypothèses et de modélisations qui seront présentées un peu plus loin puis détaillées par la suite, au fil des développements. Il s’insère ainsi dans une logique cumulative avec la production antérieure même s’il souhaite rompre avec un certain nombre d’impasses, aussi bien théoriques que méthodologiques.
- 12 De nombreux auteurs ont dénoncé la concentration du contrôle des médias de masse (Downing, 1980 ; (...)
- 13 Il apparaît cependant difficile d’échapper complètement à cette perspective en termes d’hégémonie. (...)
- 14 Plusieurs des exemples précédemment cités renvoient typiquement à ce cas de figure, comme le mouve (...)
- 15 Sur ce point, voir Sampedro (1997).
- 16 Sur ce point voir également Benson, 2010a, 2010b.
- 17 Le spectre des médias de masse américains est réputé assez étroit, l’offre partisane et les option (...)
9Il convient d’abord, à un niveau très général, de recontextualiser les conclusions des pionniers anglo-saxons. Leurs partis pris théoriques, du moins pour un grand nombre d’entre eux, s’inscrivent dans un paradigme résolument critique : les médias seraient les instruments de la classe dirigeante, dans une optique hégémonique d’inspiration gramscienne (Lagneau, 2005, p. 7912). Or, les modalités que prend le traitement médiatique des mobilisations apparaissent plus complexes que ce que ces analyses suggèrent13. Elles sont plus subtiles par exemple qu’une simple hostilité ouvertement dirigée contre les acteurs protestataires, voire des blocages du fait de la direction éditoriale, ou des censures imposées par les propriétaires des médias eux-mêmes, sans même évoquer les consignes gouvernementales. Le fait que le modèle anglo-saxon ne s’applique qu’imparfaitement à la situation française s’explique ensuite par l’existence d’une distorsion induite par la sélection des cas d’études. Ces derniers renvoient fréquemment à des causes dont la radicalité politique ou les dimensions contre-culturelles sont particulièrement marquées, ou à des protestations portées par des groupes sociaux particulièrement « déviants » dans les univers nationaux où ces études ont été menées14. Parce qu’on a très souvent affaire à des cas-limites, on peut légitimement estimer qu’une diversification des cas d’étude amènerait à nuancer les conclusions auxquelles ces travaux parviennent. Dans cette perspective décalage est aussi peut-être à mettre au compte de la spécificité de la culture politique française, marquée par la force de l’idéologie solidariste républicaine et le rôle central de l’État social (Rosanvallon, 1981). La manière dont est configurée la « question sociale » en France doit nécessairement être intégrée au raisonnement, dans la mesure où elle est de nature à orienter – favorablement – le traitement d’un certain nombre de causes, et partant des mouvements sociaux qui les promeuvent. Dans le prolongement de ce qui précède, l’existence de différences systémiques entre les structures médiatiques nationales doit également être prise en compte. Les particularités aussi bien des cultures professionnelles que des rapports entretenus par le milieu journalistique avec le champ politique15 influent sur la conception de « ce qui est digne de faire l’actualité » en vigueur dans chaque espace national. Une partie de la littérature suggère ainsi que les pressions commerciales qui pèsent sur les rédactions jouent sur la propension des journalistes à accorder plus ou moins de poids à la parole des groupes issus de la « société civile » (McChesney, 1999 ; Benson & Hallin, 200716). De ce point de vue, la France semble constituer un bon cas d’étude. Les médias français sont souvent décrits comme moins dépendants des intérêts économiques que certains de leurs homologues étrangers17, en particulier américains. On peut donc attendre de leur part une représentation plus large et diversifiée des groupes ayant droit de cité dans l’espace public.
- 18 Pour une présentation plus détaillée sur ce point, voir Garcia, 2008.
- 19 Dans les travaux américains les plus récents la tendance serait plutôt inversée.
- 20 Blumer, 1971, 2004 ; Kituse & Spector, 1973, 1977 ; Gusfield, 2009. Dans une tradition de phénoméno (...)
- 21 La théorie du cadrage est d’ailleurs devenue l’approche le plus communément appliquée dans le doma (...)
- 22 Pour une revue, voir Craft & Wanta, 2004 ; Lévêque, 2005 ; Contamin, 2010. À côté des travaux d’in (...)
- 23 Sur ce point, voir Mathieu, 2002 ; Lagneau, 2005 ; Contamin, 2010.
- 24 Selon le comptage opéré par Matthes (2009), les périodes étudiées vont de 1 jour à 44 ans, la moit (...)
- 25 Sur ce point, voir Dupuy & Halpern, 2009 ; Chabanet & Guigni, 2010.
10D’un point de vue davantage méthodologique, certaines options de recherche apparaissent privilégiées au détriment d’autres pistes possibles, ce qui restreint fortement la portée des conclusions auxquelles ces travaux aboutissent18. Sans même évoquer le risque du médiacentrisme, qui a été abondamment commenté (Schlesinger, 1992), ne sont que rarement connectées l’analyse des conditions de travail ou de l’activité des militants et des journalistes d’une part, et l’analyse précise et documentée des formes prises par la couverture médiatique des mobilisations d’autre part19. Au-delà, les enseignements de la sociologie des problèmes publics20 n’apparaissent qu’insuffisamment pris en compte. En effet, étudier la médiatisation des mouvements sociaux n’est possible qu’à condition de prendre en compte les modes de cadrage des problèmes publics auxquels ces mouvements font référence. Or, à cet égard peu de travaux dépassent l’examen du « ton » général du traitement médiatique. Pourtant, toute une série de recherches ont contribué à mettre en lumière l’importance des processus de cadrage, notamment des effets de (dé) légitimation implicite que ces derniers induisent21. Si l’on excepte l’absence de couverture elle-même, les modalités de traitement se matérialisent davantage par la focalisation sur des aspects délimités des problèmes, des enjeux, des revendications ou des identités publiques que par des appréciations ouvertement favorables ou défavorables (Neveu, 1999a). Il faut d’ailleurs sortir de l’impasse dans laquelle sont enfermés beaucoup de travaux, et qui dénoncent un « biais » de traitement par rapport à une supposée réalité historique, renvoyant à un rapport de déformation ou de distorsion entre le « vrai » et le « faux »22. Il faut au contraire envisager la contribution des médias dans une perspective constructiviste, l’enjeu scientifique consistant avant tout à identifier et reconstituer des processus collectifs de définition et d’étiquetage (Becker, 1985) plutôt que des conditions supposément « objectives ». Autre avantage, la « cadre analyse » permet de mettre en relation les représentations des groupes mobilisés et celles des médias avec plus de rigueur, ou tout du moins plus de réalisme, que les références souvent floues et dénonciatrices aux « idéologies23 ». Dans la même veine, beaucoup des recherches précitées sont configurées essentiellement sur du temps court. Leur périmètre temporel est en effet souvent réduit à la durée du conflit social ou d’une vague protestataire24. Or, une mobilisation sociale, et partant sa médiatisation, ne saurait être envisagée comme un événement isolé, mais bien plutôt comme une séquence d’un processus de publicisation plus large, qu’il faut se donner les moyens d’appréhender. La réintégration du temps long, à travers la mise en œuvre d’une approche diachronique, permet plus largement de relativiser les notions de « succès » et « d’échec » des mobilisations, sur un plan médiatique du moins25.
11Au nombre des mobilisations qui ont trouvé des débouchés politiques significatifs à la suite d’intenses couvertes médiatiques, dans le cadre du renouveau supposé de la contestation sociale à la fin des années 1980 (Sommier, 2003 ; Sommier & Crettiez, 2006), les causes des sans constituent un parangon des objets qui résistent en partie aux théorisations existantes.
Un objet qui résiste ? La carrière médiatique des causes des sans
- 26 Sur les mouvements de sans-logis, voir notamment Havard-Duclos, 2002 et Péchu, 2006b.
- 27 Sur les mobilisations de sans-papiers, voir notamment Siméant, 1998 et Blin, 2005.
- 28 Sur les mobilisations de chômeurs, voir notamment Pierru, 2004 et Mouchard, 2009.
- 29 L’origine de cette dénomination remonte à « l’Appel des Sans », lancé par Droits devant ! ! le 20 (...)
12Les mouvements de sans-logis26, de sans-papiers27 et de sans-emploi28, qui incarnent chacun un aspect de la cause des sans29, ne constituent nullement des phénomènes nouveaux. Mais si des luttes collectives ont bel et bien été entreprises dans les domaines du logement, de l’immigration ou de l’emploi au cours du XXe siècle, la décennie 1990 constitue cependant pour elles un moment de visibilité publique inégalée. Un changement majeur s’est en effet produit : ces causes ont été progressivement prises en charge par de nouvelles organisations, à l’image de Droit au Logement (DAL), Droits devant (Dd ! !), ou Agir contre le chômage (AC !) par exemple. Ces dernières se distinguent des organisations existantes par leur activisme et un discours beaucoup plus radical, fondé sur un usage offensif du registre des droits.
13À la lumière du cas des sans, il semble que le modèle anglo-saxon doive être amendé sur ses deux propositions fondamentales. Ces groupes ont réussi à publiciser leur cause par les médias malgré d’abord leur radicalité, considérée d’un point de vue politique ou culturel, malgré ensuite la faiblesse des ressources conventionnelles (institutionnelles notamment) qu’ils étaient en mesure de mobiliser à cette fin, comparativement aux groupements gestionnaires (comme Emmaüs, la CIMADE, le Secours catholique, etc.) qui prennent historiquement en charge les « pauvres », les « exclus » ou les étrangers, et assurent leur représentation (Mouchard, 2009). Il apparaît toutefois difficile de déterminer si ces exemples sont représentatifs d’une tendance de fond. Les résultats des rares enquêtes empiriques réalisées en France constituent en tout cas un faisceau d’indices invitant à tempérer l’hypothèse d’une hostilité structurelle des médias grand public envers l’espace de la contestation sociale (Mathieu, 2007a).
- 30 Il ne s’agira cependant pas ici de restituer finement l’histoire de chaque mobilisation, ni de ren (...)
14Dans cet ouvrage seront approfondis les cas de quatre protestations majeures qui ont scandé le renouveau des mobilisations en matière de mal-logement, d’immigration irrégulière et de chômage dans la période récente : le mouvement des sans-logis de la rue du Dragon, à l’hiver 1994-1995 ; le mouvement des sans-papiers de Saint-Bernard au printemps et à l’été 1996, suivi par la protestation contre la loi Debré sur l’immigration au début de l’année 1997 ; et enfin le mouvement des chômeurs de l’hiver 1997-1998. La comparaison de ces différentes mobilisations doit permettre de cerner les constantes de leur traitement médiatique, de manière à pouvoir ensuite en dégager des éléments d’intelligibilité de portée plus générale30.
- 31 Sur cette distinction, voir Cobb & Elder, 1972. Voir également Padioleau, 1982, p. 25.
- 32 Sur la tension entre approche nationale et locale, François & Neveu, 1999 ; Neveu, 1999a.
- 33 Sur ce point, voir également Macé, 2000.
15Pour ce faire, les tentatives des sans pour accéder à l’agenda politique, via l’agenda médiatique31, ont d’abord été considérées au niveau national32. Elles ont également été appréhendées à partir du modèle de l’arène publique (Hilgartner & Bosk, 198833). Selon ce modèle, de nombreux groupes, œuvrant au sein d’espaces sociaux très divers, sont en concurrence pour la maîtrise de la définition du problème. Les mobilisations sont le théâtre de l’émergence d’« affaires » qui donnent lieu à une suite d’échanges et de coups, mettent aux prises des configurations d’acteurs plus ou moins larges, sur des séquences temporelles variables. Les relations entre médias et mouvements sociaux ne sauraient donc être envisagées exclusivement de manière bilatérale. En réalité, elles ne prennent sens, dans la plupart du cas, que par rapport à un ensemble plus large d’intervenants, au nombre desquels les acteurs institutionnels et politiques figurent en bonne place. Les interactions qui agitent ces configurations d’acteurs, dont les médias et les mouvements ne constituent par conséquent qu’un segment, doivent ainsi être envisagées de manière multilatérale (Lefébure & Lagneau, 2002, p. 505). Il s’agit là d’une première variation d’échelle de l’analyse.
- 34 Sur cette notion, voir LeGalès & Thatcher, 1995.
- 35 Sur cette notion, voir Jobert & Muller, 1987.
16Saisir ces phénomènes suppose d’autres déplacements de focale. Un déplacement sur le plan thématique d’abord – des seules mobilisations vers les enjeux plus larges qu’elles mettent en exergue. Le mal-logement, l’immigration irrégulière et le chômage sont apparus suffisamment distincts pour être utilement comparés, tout en étant assez proches pour permettre d’identifier des traits communs nécessaires à une montée en généralité théorique. Leur mise en perspective permet de jouer sur des variables comme : la manière dont chaque enjeu est historiquement constitué au sein du champ politique mais aussi de l’espace de la contestation sociale ; le poids des dispositifs de l’action publique dans chaque domaine ; les propriétés des réseaux de politique publique34 ; l’orientation des référentiels de l’action publique35, etc. Un déplacement de focale sur le plan temporel ensuite – du temps court de la mobilisation vers le plus long terme. L’analyse a été élargie à une période charnière et relativement longue, la décennie 1990. Siège d’une recomposition générale de la « question sociale » (Autès, 1995), cette période constitue un moment critique du débat public qui se noue – entre autres – autour des problèmes de logement, d’immigration et d’emploi et plus largement de « l’exclusion ». C’est également durant les années 1990 qu’émerge cette nouvelle génération d’associations activistes qui vont prendre en charge les sans-logis, les sans-papiers et les chômeurs, autour de DAL, Dd ! !, AC !, etc.
17Face à l’impossibilité pratique de saisir l’ensemble du traitement médiatique, il a fallu faire des choix. Ont été privilégiées les informations télévisées, et la comparaison a été restreinte au JT des deux principales chaînes françaises, TF1 et France 2. En raison de leur audience particulièrement élevée, ces deux JT jouissent d’une position centrale dans le système médiatique et plus largement dans les stratégies de communication publique de l’ensemble des acteurs qui cherchent à orienter le débat politique. Ils constituent ainsi un bon site d’observation des phénomènes étudiés. Leur comparaison permet par ailleurs de mettre à l’épreuve des hypothèses relatives à un effet de position des chaînes ; en l’occurrence, la persistance de postures journalistiques spécifiques au secteur privé et au secteur public est censée avoir un impact sur les formes et les niveaux de représentation des groupes issus de la société civile.
Méthodologie et plan de l’ouvrage
18Le terrain investi dans ce but croise plusieurs échelles d’observation. Les données empiriques recueillies s’organisent autour de deux axes principaux, articulant analyse de contenu de l’information et analyse des (dis)positions des acteurs. S’intéresser à la façon dont les acteurs (re)définissent la situation dans laquelle ils se trouvent, jouent leurs rôles et agissent en conséquence impliquait, préalablement, de mesurer les formes prises par le traitement médiatique lui-même. Le premier matériau récolté et exploité consiste donc dans les « discours » médiatiques émis à propos des questions de logement, d’immigration et d’emploi. Leur analyse a été effectuée à partir de la création et l’étude d’un corpus de sujets de JT diffusés entre 1990 et 2002 dans les éditions de 20 heures sur TF1 et France 2. Cette démarche a permis d’objectiver les constantes qui organisent la couverture, visibles à travers les régularités observables du traitement. Elle a également permis d’en saisir les traits plus finement, c’est-à-dire dans ce qu’elles ont de plus variable et de plus sensible au contexte. Pour comprendre pleinement ces tendances, il était également nécessaire d’étudier les espaces sociaux spécifiques au sein desquels ces acteurs (inter) agissent, en creusant ce segment spécifique mettant aux prises les journalistes reporters et les animateurs ou porte-paroles militants. Le second matériau résulte, de la sorte, d’une recherche de terrain menée auprès des journalistes de TF1 et de France 2 et auprès des principales organisations de sans. Les données récoltées et exploitées à cet effet se décomposent en une trentaine d’entretiens semi-directifs effectués entre 2003 et 2004. Ils ont été réalisés d’une part avec des journalistes reporters ou des chefs de service ayant été directement confrontés aux questions de logement, d’immigration et d’emploi, et d’autre part avec les principaux leaders ou porte-parole des organisations de sans ou soutenant ces dernières (DAL, Dd ! !, CdSL, coordination nationale des sans-papiers, coordination des cinéastes, AC !, MNCP, APEIS et comités de chômeurs CGT). À titre de comparaison, des organisations gestionnaires dans le champ du logement (Emmaüs), de l’immigration (la Cimade) ou de l’emploi (l’ADIE) ont été mobilisées à travers les responsables de leur communication publique, essentiellement dans l’optique de mieux caractériser la spécificité du rapport qu’entretiennent les groupements « radicaux » aux médias. Cette partie de l’enquête a été complétée par une période d’observation de deux semaines effectuée au sein de la rédaction nationale de France 2, à l’été 2004.
19Sur cette base, l’énigme à laquelle l’ouvrage ambitionne d’apporter quelques réponses peut être résumée comme suit : pourquoi quelques mobilisations spécifiques de sans ont-elles percé dans les médias mainstream au cours des années 1990, alors même qu’elles étaient portées par des groupes protestataires supposément faibles, réputés peu sérieux ou peu crédibles aux yeux des journalistes et exprimant des causes étiquetées comme radicales ou à certains égards contre-culturelles ? Une façon de dénouer ce paradoxe consiste à amender ce constat : ces groupes ne sont pas si faibles ou radicaux qu’il n’y paraît ; les médias ne sont pas uniformément et systématiquement imperméables à de telles causes. Au lieu d’être réifiés, ces présupposés doivent donc, au contraire, être déconstruits. Que s’est-il donc passé ?
- 36 Sur ces notions, voir Garraud, 1990 ; Favre, 1992.
- 37 C’est le cas notamment de la Cimade ou d’Emmaüs qui bénéficiaient jusqu’à récemment d’agréments pu (...)
- 38 Sur l’opposition entre policy insiders/outsiders, voir Dupuy & Halpern, 2009.
20Pour le comprendre, il faut remonter un peu avant la période étudiée. Loin de constituer des non-problèmes public, le mal-logement, le chômage et l’immigration irrégulière apparaissent – du moins au cours des années 1980 et au début des années 1990 – bel et bien pris en compte par le champ politique, quoique de manière inégale. Les processus qui caractérisent leur émergence renvoient prioritairement aux modèles « d’émergence captée », « d’action corporatiste silencieuse », « d’activation automatique du champ politique » ou encore « d’offre politique36 », et très peu au couple mobilisation sociale/médiatisation. Les « partenaires sociaux », tout comme les associations gestionnaires du logement, de l’emploi et de l’immigration occupent une position d’insider ou de quasi insider. Autrement dit, ils disposent de relations privilégiées avec les pouvoirs publics pour participer à l’orientation ou à la mise en œuvre des politiques publiques dans ces domaines37. Ils occupent également dans le même temps, et fréquemment pour cette même raison, le statut de sources « accréditées » auprès des journalistes. Par leurs protestations les groupes de sans, qui occupent des positions d’outsiders, vont pourtant s’efforcer de créer un débat dans le but de porter leur cause dans l’espace public et la faire monter en politique38. Leurs tentatives vont en partie, et ponctuellement, être couronnées de succès, un succès que l’on ne peut analyser que si on envisage les paramètres suivants.
21D’abord, un certain nombre de transformations propres à l’espace de la contestation sociale (le renouvellement des générations militantes, l’accumulation, la mise en valeur ou l’usage de nouvelles ressources, la mise en place de nouvelles formes d’organisation et d’action, de nouvelles formulations des discours revendicatifs) ont permis à ces groupes de se créer de nouvelles opportunités. Celles-ci sont également redevables d’un abaissement ponctuel des seuils d’attention médiatique, dans certains contextes très particuliers. Les mécanismes par lesquels un emballement médiatique pour ces causes peut s’amorcer et durer, en raison des « affaires » ou des « controverses » auxquelles les mobilisations donnent lieu, doivent être appréhendés à un niveau global, en incluant notamment le rôle des élites politiques. Les médias doivent aussi être analysés comme des protagonistes de « l’actualité » qui influent sur sa dynamique, et non pas comme de simples observateurs, qui se contenteraient de relayer de manière neutre ce qui se passe devant eux. Enfin certaines protestations de sans-logis, de sans-papiers et de chômeurs prennent parce que le référentiel de la « question sociale » a évolué, et avec lui les manières de penser les problèmes de logement, d’emploi, et d’immigration. Le retour en force du solidarisme républicain, à travers le discours sur « l’exclusion sociale », a relégitimé – dans une certaine mesure – l’usage offensif de la rhétorique des droits, telle qu’elle est promue par les collectifs de sans. Mais sur le long terme les propositions du modèle anglo-saxon restent tout de même valides : les sans accèdent rarement au statut de joueur sérieux ; lorsqu’ils y parviennent, on observe une dépolitisation des aspects les plus subversifs de leurs demandes, lesquels correspondent eux-mêmes aux dimensions les plus contre-culturelles des causes défendues.
22L’ouvrage est construit autour de 7 chapitres qui offrent différents éclairages sur la question. Le premier chapitre retrace la carrière du mal-logement, de l’immigration irrégulière et du chômage au JT sur l’ensemble de la période étudiée. Est spécifiée la trajectoire des mobilisations de sans-logis, de sans-papiers et de chômeurs entre 1990 et 2002. Le deuxième chapitre expose les conditions d’un évitement durable entre les animateurs des organisations de sans et les journalistes de télévision. Le troisième chapitre détaille les conditions d’ouverture d’une fenêtre médiatique au profit de certaines mobilisations au cœur de la décennie 1990. Le quatrième chapitre propose, sur ces bases, une étude affinée des modalités du traitement dont ont fait l’objet les mobilisations suivantes : le mouvement des sans-logis de la rue du Dragon, le mouvement des sans-papiers de Saint-Bernard, le mouvement pétitionnaire contre la loi Debré sur l’immigration, et le mouvement d’occupation des ASSEDIC par les chômeurs. Un cinquième chapitre, consacré au travail de cadrage, analyse quelques-uns des mécanismes symboliques par lesquels le sens de la situation a pu être (re)défini, en se concentrant sur les acteurs qui ont été directement étudiés, à savoir les animateurs de collectifs de sans et les journalistes. En se focalisant spécifiquement sur les journalistes, un sixième chapitre remet en perspective ce travail de cadrage à partir d’une approche par les rôles, qui constituent des prismes cognitifs et normatifs par lesquels ces causes sont pensées et les engagements envers les sans négociés. Un septième chapitre propose une ébauche de modélisation des processus à l’œuvre. Enfin, en conclusion est discuté le constat d’une dépolitisation des mouvements sociaux par les médias.
Notes
1 On gardera à l’esprit que tous les mouvements sociaux sont loin d’être centrés sur leur écho médiatique. Certains estiment même que la majorité d’entre eux y sont indifférents (Favre, 1999). Pour ne parler que des manifestations, la plupart sont de (très) faible ampleur et se caractérisent par une (quasi) absence de couverture médiatique, en dehors de la presse locale (Fillieule, 1997).
2 Sera laissé de côté l’ensemble de la littérature militante qui traite, dans une perspective critique et sur un registre dénonciateur, des relations entre les médias et les mouvements sociaux et plus largement la politique.
3 Le terme « cause », fortement polysémique, est employé ici au sens d’un ensemble d’intérêts ou de principes d’intérêt général qu’on s’attache à soutenir et à faire triompher. (Gaïti & Collovald, 1991). Il est à distinguer de l’emploi au sens de « causalité », c’est-à-dire du rapport liant la cause à l’effet.
4 On désigne ici les travaux menés en Amérique du Nord, en Grande Bretagne ainsi que dans certains pays d’Europe du Nord.
5 Pour des exemples plus récents de cette littérature abondante, voir notamment Hertog & McLeod, 1995 ; Baylor, 1996 ; Rhodes, 1999 ; Smith et al., 2001 ; Boyle et al., 2004 ; Barakso & Schaffner, 2006 ; Rauch et al., 2007 ; Mattoni, 2012.
6 Par la suite, les expressions « médias de masse », « médias grand public » et « médias mainstream » seront employées de manière équivalente.
7 Sur la difficulté de donner une définition qui aille au-delà de ce que le sens commun entend par « mouvement social », « mobilisation sociale », « protestation collective », « protestation sociale » ou encore « conflit social », voir Neveu, 2005. Sera reprise ici la définition basique proposée par l’auteur : une action collective concertée en faveur d’une cause et qui emprunte principalement, mais pas seulement, à un répertoire d’action protestataire. On peut y ajouter le fait qu’un mouvement social est aussi « l’expression, à un moment donné, de préférences en faveur du changement social » (Pierru, 2010). Pour d’autres définitions, voir par exemple DellaPorta & Diani, 2006. Voir également Lafargue, 1998 ; Fillieule & Péchu, 1993 ; Fillieule, Mathieu & Péchu, 2009.
8 Sur ce point, voir par exemple Downing, 1996. Les théories sociologiques sur le fonctionnement des médias de masse ont été étroitement conceptualisées à partir des expériences de chercheurs britanniques et surtout américains, qui ont clairement dominé ce champ scientifique, et donc dans des contextes culturels, politiques et économiques très particuliers.
9 Parmi les quelques travaux publiés en langue française par des non-Français, on retiendra notamment celui du politiste québécois Jean Charron, consacré au Regroupement autonome des Jeunes au Québec (1991), celui du Suisse Dominique Wisler (1999) consacré aux manifestations en Suisse romande ou germanique, ou encore celui de la Suissesse Evelyne Hubscher sur le mouvement altermondialiste en Suisse (2008).
10 L’exception vient de l’œuvre d’Erik Neveu, qui s’est d’efforcé de faire un pont entre la sociologie du journalisme et la sociologie des mouvements sociaux à travers la publication de deux ouvrages de synthèse consacrés respectivement à ces deux domaines d’étude (Neveu, 2004, 2005) ou en dirigeant, à ma connaissance, le seul dossier d’une revue scientifique française spécialement consacré à ce questionnement (Réseaux, 1999).
11 Pour un bilan des stratégies d’accès à l’agenda des groupes protestataires, voir Vedel, 1999. Pour une synthèse récente voir Neveu, 2010.
12 De nombreux auteurs ont dénoncé la concentration du contrôle des médias de masse (Downing, 1980 ; Bagdikian, 1983 ; Parenti, 1986 ; Lee & Solomon, 1990) ou une attitude hostile des médias vis-à-vis de protestations étiquetées comme sources d’un désordre social (Herman & Chomsky, 1988).
13 Il apparaît cependant difficile d’échapper complètement à cette perspective en termes d’hégémonie. Sur ce point, voir Carragee & Roefs, 2004.
14 Plusieurs des exemples précédemment cités renvoient typiquement à ce cas de figure, comme le mouvement anarchiste (Hertog & Mcleod, 1995) ou celui des Black Panthers (Rhodes, 1999).
15 Sur ce point, voir Sampedro (1997).
16 Sur ce point voir également Benson, 2010a, 2010b.
17 Le spectre des médias de masse américains est réputé assez étroit, l’offre partisane et les options de gouvernement apparaissant notamment plus restreintes qu’elles ne le seraient, entre autres, en France (Lagneau & Lefébure, 1999).
18 Pour une présentation plus détaillée sur ce point, voir Garcia, 2008.
19 Dans les travaux américains les plus récents la tendance serait plutôt inversée.
20 Blumer, 1971, 2004 ; Kituse & Spector, 1973, 1977 ; Gusfield, 2009. Dans une tradition de phénoménologie sociale, voir également Berger & Luckmann, 1986. La littérature française est plus tardive : Cefaï, 1996 ; Neveu, 1999b ; Céfaï & Trom, 2001 ; Campana et al., 2007 ; Gilbert & Henry, 2009, 2012.
21 La théorie du cadrage est d’ailleurs devenue l’approche le plus communément appliquée dans le domaine des sciences de la communication au sens large (Bryant & Miron, 2004 ; VanGorp, 2007 ; DeVreese, 2005 ; Tewksbury & Scheufele, 2009). Elle occupe également une place prépondérante dans la sociologie des mobilisations (Johnston & Noakes, 2005 ; Contamin, 2010).
22 Pour une revue, voir Craft & Wanta, 2004 ; Lévêque, 2005 ; Contamin, 2010. À côté des travaux d’inspiration critique, d’autres utilisent les médias comme des sources documentaires dans une approche historique, et cherchent à savoir si les informations qu’ils fournissent sont fiables.
23 Sur ce point, voir Mathieu, 2002 ; Lagneau, 2005 ; Contamin, 2010.
24 Selon le comptage opéré par Matthes (2009), les périodes étudiées vont de 1 jour à 44 ans, la moitié des travaux évalués étant paramétrée sur des séquences temporelles ne dépassant pas les six mois. Pour des exemples d’analyses menées sur plusieurs décennies, voir Gamson & Modigliani, 1989 ; Terkildesn & Schnell, 1997.
25 Sur ce point, voir Dupuy & Halpern, 2009 ; Chabanet & Guigni, 2010.
26 Sur les mouvements de sans-logis, voir notamment Havard-Duclos, 2002 et Péchu, 2006b.
27 Sur les mobilisations de sans-papiers, voir notamment Siméant, 1998 et Blin, 2005.
28 Sur les mobilisations de chômeurs, voir notamment Pierru, 2004 et Mouchard, 2009.
29 L’origine de cette dénomination remonte à « l’Appel des Sans », lancé par Droits devant ! ! le 20 décembre 1995, avec DAL, le CdSL, AC !, le MNCP, l’APEIS, la CGT, mais aussi beaucoup d’autres organisations. Cette formulation, qui sera employée essentiellement par commodité, ne saurait masquer le risque qu’il y a à durcir ce qui résulte avant tout d’un travail symbolique d’unification auquel résistent, plus ou moins fermement, certaines groupes membres de ce réseau protestataire. C’est la raison pour laquelle ce terme sera mis en italique, afin de souligner le caractère construit de cet ensemble de causes.
30 Il ne s’agira cependant pas ici de restituer finement l’histoire de chaque mobilisation, ni de rendre compte de manière précise de l’usage des modes d’action par les groupes mobilisés, ni même d’ailleurs d’analyser en profondeur les conditions pratiques de l’activité des journalistes de télévision.
31 Sur cette distinction, voir Cobb & Elder, 1972. Voir également Padioleau, 1982, p. 25.
32 Sur la tension entre approche nationale et locale, François & Neveu, 1999 ; Neveu, 1999a.
33 Sur ce point, voir également Macé, 2000.
34 Sur cette notion, voir LeGalès & Thatcher, 1995.
35 Sur cette notion, voir Jobert & Muller, 1987.
36 Sur ces notions, voir Garraud, 1990 ; Favre, 1992.
37 C’est le cas notamment de la Cimade ou d’Emmaüs qui bénéficiaient jusqu’à récemment d’agréments publics ou de quasi-délégations de service public.
38 Sur l’opposition entre policy insiders/outsiders, voir Dupuy & Halpern, 2009.
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