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Se protéger, être protégé

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Michel Dreyfus
, 
Michèle Ruffat
, 
Vincent Viet
, 
et al.

Troisième partie. L’avènement de la Sécurité sociale (1944-1948)

Chapitre XI. Le choix de la Sécurité sociale

Bruno Valat

Entrées d'index

Géographique :

France

Texte intégral

  • 1 Le texte qui suit reprend une partie des conclusions développées dans Bruno Valat, Histoire de la (...)

1Note portant sur l'auteur1

  • 2 Claire Andrieu, Le Programme du Conseil national de la Résistance ; des idées dans la guerre, Pari (...)
  • 3 « Demande d’avis […] présenté par M. A. Parodi, ministre du Travail », JO, débats de l’ACP, 5 juil (...)

2Le 15 mars 1944, le Conseil national de la Résistance adoptait le programme définissant les principales réformes qu’il appelait de ses vœux pour la France libérée. Parmi celles-ci figurait l’adoption d’un « plan complet de Sécurité sociale, visant à assurer à tous les citoyens des moyens d’existence dans le cas où ils sont incapables de se les procurer par le travail2 ». Faisant écho à cette revendication, le ministre du Travail du gouvernement provisoire dirigé par le général de Gaulle, Alexandre Parodi, déclarait en juillet 1945 devant l’Assemblée consultative nationale réunie à Paris : « La Sécurité sociale est la garantie donnée à chacun qu’en toutes circonstances il disposera des moyens nécessaires pour assurer sa subsistance et celle de sa famille dans des conditions décentes3. »

3La Libération de la France s’accompagne donc d’une volonté de réformer profondément la législation sociale existante, afin de lui donner une ampleur et une efficacité qu’elle n’avait pas atteintes jusque-là. Dans ce contexte, les Assurances sociales sont remplacées à partir du 1er juillet 1946, par une organisation nouvelle, le « régime général » de Sécurité sociale, qui manifeste l’ambition des réformateurs de la Libération.

4La nouvelle législation se distingue de l’ancienne sur de nombreux points : la population concernée est d’entrée plus importante puisque le plafond d’affiliation, qui avait limité le nombre des bénéficiaires des Assurances sociales, est complètement supprimé : près de vingt millions de personnes auront accès à la nouvelle législation à la fin des années 1940, contre quatorze environ à la veille de la réforme ; le montant des prestations et surtout les conditions d’ouverture des droits à celles-ci sont aussi nettement plus généreux : ainsi suffira-t-il d’avoir travaillé 60 heures dans le semestre écoulé pour bénéficier de l’assurance-maladie. Il fallait auparavant justifier de 60 jours. Sur le plan institutionnel, la réforme est également profonde : outre les assurances pour la maternité, contre la maladie, l’invalidité et le décès, ainsi qu’un dispositif de retraites, déjà présent dans les Assurances sociales, la Sécurité sociale englobe à partir de 1946-1947 la législation des allocations familiales, qui s’était développée séparément des Assurances sociales depuis 1932, et la réparation des accidents du travail, confiée depuis 1898 au secteur privé dans le cadre de la responsabilité patronale.

  • 4 Des caisses d’allocations familiales autonomes subsisteront toutefois dans le nouveau système, apr (...)
  • 5 Les mutualistes pourront cependant se présenter aux premières élections de la Sécurité sociale en (...)

5Ce regroupement s’accompagne par ailleurs d’une importante réorganisation interne : l’ordonnance du 4 octobre 1945 met fin au principe de l’affinité, principe essentiel des Assurances sociales, qui avait permis à de nombreuses organisations de créer et gérer leurs propres caisses, ainsi qu’à chaque assuré de choisir l’organisme de son choix. À la place est instaurée une caisse unique par circonscription, dotée du monopole de la protection4. Cet abandon du pluralisme est complété par une profonde modification de la physionomie des conseils d’administration des nouvelles caisses : la mutualité, le patronat, qui avaient joué un rôle important dans l’animation des Assurances sociales pendant l’entre-deux-guerres, voient leur influence diminuer dans la Sécurité sociale, les conseils d’administration des caisses primaires de Sécurité sociale comptant à partir de 1946 trois-quarts de représentants des syndicats ouvriers, contre un seulement aux employeurs, tandis que la mutualité se trouvait exclue en tant que telle5. Enfin, sur le plan financier, le montant des ressources allouées à l’institution est considérablement accru, le taux de cotisation aux seules législations des Assurances sociales (maladie, maternité, invalidité, vieillesse, décès) doublant pour passer de 8 à 16 % des salaires des assurés, tandis que les taux de cotisation aux allocations familiales étaient unifiés sur tout le territoire, les accidents du travail conservant une tarification différenciée pour inciter les employeurs à un effort de prévention du risque.

  • 6 Pierre Laroque, « Le plan français de Sécurité sociale », Revue française du travail, n° 1, avril (...)

6La naissance de la Sécurité sociale semble ainsi rompre en profondeur avec l’ancienne législation. De fait, l’idée de rupture est clairement assumée, revendiquée même, par ses promoteurs. Son principal maître d’œuvre, Pierre Laroque, déclare en juin 1945 : « La France est sortie de la guerre particulièrement meurtrie. Les vieux cadres sont brisés, il faut reconstruire, faire du neuf, sous l’angle social, comme sous l’angle économique. C’est dans le cadre d’un effort d’ensemble pour l’édification d’un ordre social nouveau que s’inscrit notre plan de Sécurité sociale. Cet ordre social nouveau, nous le concevons comme procédant d’idées qui tranchent sur le passé, comme faisant disparaître les tares d’un régime aujourd’hui révolu, comme reposant sur des principes entièrement neufs6. » La CGT réunifiée, forte de sa nouvelle audience, insiste de son côté sur la rupture que représente la nouvelle organisation par rapport à l’ordre patronal et paternaliste incarné, selon elle, par l’ancienne législation. La presse de la Libération, enfin, s’attarde sur les importantes améliorations sociales consenties par la loi. La Sécurité sociale apparaît ainsi radicalement différente des Assurances sociales.

7Unanimement admise après la Libération, cette interprétation s’est coulée parfaitement dans une tradition historiographique qui a longtemps opposé le dynamisme de la France d’après-guerre à la sclérose politique et économique des dernières années de la IIIe République. À un pays volontariste, tourné vers la croissance et le progrès économique et social, s’opposait le malthusianisme d’une nation vieillissante, prisonnière de jeux politiques dépassés et refusant obstinément la modernisation économique et sociale. L’existence du régime de Vichy a également contribué à accréditer l’idée d’une rupture radicale. Parenthèse monstrueuse, celui-ci ne pouvait représenter qu’une solution de continuité dans l’histoire de la France contemporaine. Pierre Laroque n’avait-il pas été exclu de la fonction publique par le statut des Juifs d’octobre 1940 avant de rejoindre la Résistance, puis Londres, en 1943 ? Dans ces conditions, il était quasiment impossible de s’interroger sur la nature et la portée exacte des changements intervenus entre la fin des années 1930 et les débuts de la IVe république, afin d’y déceler une éventuelle part de continuité.

  • 7 Dans une abondante littérature, la part prise par les historiens est réduite par rapport à la cont (...)

8Cette tradition historiographique appartient désormais au passé et dans de nombreux domaines, il a été montré que les dernières années de la IIIe République, comme le régime de Vichy, avaient, dans bien des cas, préparé, voire anticipé les changements postérieurs. Cependant ce n’est que récemment que l’idée d’un changement radical dans le domaine de la protection sociale a commencé à son tour d’être interrogé et nuancé7.

  • 8 On se bornera ici à examiner la question du point de vue de la législation des Assurances sociales (...)

9Pour comprendre la prégnance de l’idée de rupture et en apprécier la portée, il convient de rappeler le contexte exceptionnel dans lequel s’inscrivent les derniers moments des Assurances sociales et les premiers pas du régime général de la Sécurité sociale. C’est un préalable indispensable à qui veut peser la part des continuités éventuelles8.

Un nouveau « paradigme » ?

10Par rapport aux approches antérieures, la réforme de 1945 marque sans nul doute un changement d’importance. Celui-ci, pour être compris, doit être replacé dans le moment particulier que constitue la fin de la Seconde Guerre mondiale. Contrairement aux apparences, cependant, la nouvelle législation sociale se coule dans un moule institutionnel ancien, qu’elle ne remet nullement en cause.

  • 9 Note sur la réforme des Assurances sociales, direction du Budget, 30 novembre 1944, p. 6. Service (...)

11« Petites cotisations, petites prestations, telle a été jusqu’ici la formule française des Assurances sociales. L’ambition des auteurs du projet [de Sécurité sociale] est d’agrandir ce modèle réduit », notaient en juillet 1944 les fonctionnaires du ministère des Finances9. De fait, la notion de « Sécurité sociale », employée par ses promoteurs, symbolise la démarche globale du projet.

  • 10 « Demande d’avis… », art. cité.
  • 11 Pierre Laroque, Rapport sur le projet d’ordonnance…, 1945, p. 3. Archives du Comité d’histoire de (...)

12D’emblée, la nouvelle législation s’inscrit dans une perspective universelle, puisqu’elle s’adresse à tous et non plus seulement à un groupe social parmi d’autres, fut-il numériquement important : « Le but final à atteindre est la réalisation d’un plan qui couvre l’ensemble de la population du pays contre l’ensemble des facteurs d’insécurité », indiquait Alexandre Parodi à l’Assemblée consultative10. Sur le plan institutionnel également, l’approche adoptée se veut globale : jusqu’en 1945, les grands domaines de la législation sociale s’étaient développés séparément. Assurances sociales, allocations familiales, accidents du travail relevaient d’organismes distincts, s’ignorant les uns les autres. La nouvelle législation manifeste l’ambition d’unifier les dispositifs en plaçant au centre de l’attention l’assuré plutôt que le risque : « Quel que soit le but particulier auquel peuvent tendre les diverses institutions, qu’elles aient pour objet de couvrir les charges de la maladie, de fournir des retraites de vieillesse ou des pensions d’invalidité professionnelle, ou d’alléger les charges des familles nombreuses […] il s’agit toujours […] d’apporter des moyens d’existence à des familles manquant de ressources, de sauvegarder le capital humain du pays […], de permettre à tous les individus de développer au maximum leurs possibilités propres. […] L’unité essentielle de la Sécurité sociale s’affirme avec évidence11. » D’où la volonté de regrouper les législations existantes dans une même structure, dotée de pouvoirs de redistribution importants. Le contraste avec l’approche antérieure des Assurances sociales est ici évident.

  • 12 Pierre Laroque, Au service de l’homme et du droit ; souvenirs et réflexions, Paris, Comité d’histo (...)

13Cette approche plus unifiée s’insère elle-même dans une politique économique et sociale extrêmement large. La nouvelle institution ne doit être en effet qu’un des aspects, pour ses promoteurs, d’une action de l’État tout entière tournée vers le bien être individuel et l’amélioration du niveau de vie de la nation. La Sécurité sociale se définit ainsi comme une ensemble de politiques concourant au même but, qui seules lui donnent sa vraie signification. Pour Pierre Laroque, ces politiques visent « l’élimination du chômage ; une rémunération assurant à chacun les moyens de vivre et de faire vivre sa famille dans des conditions décentes ; […] des garanties contre l’arbitraire patronal […] une organisation médicale permettant de conserver à chacun intégrité physique et intellectuelle par des soins appropriés et plus encore par la prévention […] ; enfin, dans les cas où un travailleur et sa famille se trouvent privés en tout ou partie du gain provenant du travail […] l’attribution d’un revenu de substitution ou de complément12 ». Alexandre Parodi, pour sa part, estimait que : « La réalisation [de la Sécurité sociale] est subordonnée à un ensemble complexe de mesures qui engagent toute la politique économique et sociale du pays. »

  • 13 Le Ministère de la vie sociale, Cahier de l’OCM, octobre 1943 ; Bruno Valat, « Résistance et Sécur (...)

14Plein emploi, hauts salaires, législation du travail protectrice, les éléments de l’interventionnisme économique d’après-guerre sont ici réunis pour donner à la Sécurité sociale sa véritable dimension. La doctrine de Keynes, dont les idées pénètrent alors en France en provenance d’Angleterre, viendra bientôt étayer cette vision essentiellement politique par une précieuse justification théorique, en réconciliant l’économique et le social par la grâce de la propension marginale à consommer. Le remplacement des Assurances sociales par la Sécurité sociale apparaît ainsi comme le fruit d’une véritable révolution culturelle, qui fait du progrès économique et social un objectif de premier ordre et justifie une politique expansionniste en matière de droits sociaux, en rupture complète avec l’approche dominante avant-guerre. L’Organisation civile et militaire (OCM), un des principaux courants de la Résistance, n’avait-elle pas noté, en octobre 1943 : « La IIIe République a été assez riche en réalisations sociales […] mais ce qui a surtout manqué, c’était une vue d’ensemble13. »

  • 14 Henri Michel, Les Courants de pensée de la Résistance, Paris, PUF, 1962, p. 103.

15Dès 1941, Roosevelt et Churchill, réunis sur l’Atlantique, avaient proclamé le « progrès économique et la Sécurité sociale », buts de guerre essentiels des Alliés, suivis par le général de Gaulle dans son discours d’Oxford du 25 novembre 194114. Le plan Beveridge de décembre 1942, dont le retentissement fut immense, constitua un véritable manifeste du Welfare State qui devait s’épanouir après-guerre en Europe occidentale et dans une moindre mesure aux États-Unis. À sa suite, la déclaration de Philadelphie de juillet 1944, la charte des Nations Unies de février 1945, les statuts de la toute nouvelle Organisation mondiale de la Santé créée peu de temps après, font tous référence, directement ou indirectement, à sa nécessité. Dans la foulée de ce mouvement international, la plupart des nations développées adoptent, dans les mois ou les années qui suivent la fin de la guerre, des législations de Sécurité sociale. La France ne fait nullement exception dans ce domaine. À ce contexte commun s’ajoute pourtant une situation française très particulière, qui contribue à donner une coloration spécifique à la création de la Sécurité sociale dans ce pays.

16Les traumatismes de la défaite et de l’Occupation ont prolongé en France les guerres civiles de l’entre-deux-guerres : la gauche, qu’elle soit réformiste ou révolutionnaire, ainsi que tous ceux qui ont souffert de la répression politique et participé à l’effort de la Résistance sont animés par un désir de châtiment à l’égard des « traîtres », représentants du patronat, collaborateurs, membres de la vieille droite, notables de tout poil. Il s’agit de bâtir, en 1945, une République débarrassée des compromissions du passé grâce à une génération de responsables neufs. L’effondrement des institutions, emportées deux fois, en juillet 1940 et en août 1944, le traumatisme moral, ont levé nombre d’oppositions à l’adoption d’une politique et d’un style révolutionnaires, même si la Révolution rêvée par certains n’est rapidement plus à l’ordre du jour. Cette rhétorique est entretenue par un Parti communiste puissant, entouré de satellites influents (la CGT en cours de conquête depuis la réunification de 1943, nombre d’intellectuels séduits par le communisme). De tous les pays d’Europe occidentale, seule l’Italie combine avec la France ces trois éléments (défaite, atmosphère de table rase, tradition et tentation révolutionnaires entretenues par un PC puissant). Cette singularité donne à la création de la Sécurité sociale un sens politique original. Celle-ci s’effectue sous le double signe de la rupture avec l’ordre ancien, rupture sociale qui passe par un rejet du patronat et une forte charge ouvriériste, et du progressisme ensuite, qui postule une émancipation par l’extension continue des droits. La Sécurité sociale devient cette « conquête ouvrière » que les représentants syndicaux ne cesseront par la suite de défendre contre les tentatives supposées de remise en cause, alors qu’aucun consensus ne s’était manifesté entre 1930 et 1945. Bien plus, la CGTU communiste et le PCF avaient stigmatisé jusqu’en 1935 les Assurances sociales, institution issue de la « chicanerie bourgeoise » et coupable de détourner les ouvriers de la voie révolutionnaire. Tout change en 1945, spécialement après l’accession au poste de ministre du Travail du communiste Ambroise Croizat en remplacement d’Alexandre Parodi.

17Le contexte dans lequel s’inscrit la nouvelle institution, sur le plan national comme international, se distingue ainsi très nettement de celui de 1940. Cette opposition apparaît nettement lors de la phase d’élaboration de la réforme : là où il avait fallu plus de dix ans de négociations entre les deux guerres, la Sécurité sociale bénéficie d’une adoption rapide. En quelques mois, pratiquement sans discussion publique, le texte le plus ambitieux qui soit en matière sociale est promulgué ; à la place d’une série de compromis, souvent laborieux, un volontarisme politique affirmé permit ainsi de faire passer l’essentiel d’un projet élaboré par l’Administration, avec le soutien déterminé de la CGT.

  • 15 Note sur le régime provisoire des Assurances sociales, s.d., p. 6, Archives du Comité d’histoire d (...)

18Le paradoxe est que cette volonté affichée de rupture se coule dans une grande continuité sur le plan institutionnel. Dès les mois précédant la Libération, la question s’était posée de la physionomie de la future Sécurité sociale : « La plupart des plans modernes de Sécurité sociale, comme le Plan Beveridge, avaient noté à Alger les fonctionnaires du Commissariat aux Affaires sociales du Comité français de libération nationale, s’orientent largement vers des Assurances sociales nationales et l’adoption de tels plans impliquerait nécessairement des modifications radicales dans la définition des risques couverts, le régime des ressources, le régime des prestations, la gestion des institutions et l’organisation financière15. » Le plan Beveridge prévoyait ainsi « universalité », « unité » et « uniformité », c’est-à-dire la couverture de l’ensemble des citoyens britanniques par un système unique versant pour l’essentiel des prestations identiques, de type forfaitaire. Fondé sur la notion de solidarité nationale, ce système devait être financé de manière privilégiée par l’impôt. Or, la structuration historique du système français de protection sociale lui avait donné des traits très éloignés des formules imaginées alors en Grande-Bretagne.

19Les Assurances sociales étaient réservées aux seuls salariés de l’industrie et du commerce, gérées dans le cadre d’un régime pluraliste théoriquement autonome, financées par les contributions des intéressés prélevées sur leurs salaires et complétées par celles de leurs employeurs ; elles servaient des prestations proportionnelles dans une certaine mesure aux cotisations acquittées, elles-mêmes fonction du revenu. Dans ces conditions, l’ambition globalisante du plan de Sécurité sociale devait nécessairement se heurter à des obstacles considérables.

  • 16 Pierre Laroque, Au service de l’homme et du droit…, op. cit., p. 198-199.

20Les principes d’unité et d’universalité, qui répondaient sans nul doute le mieux aux considérations de ses promoteurs impliquaient en effet de profondes réformes. La création d’une administration d’État était difficilement envisageable car elle impliquait de rayer d’un trait de plume des organismes nombreux – caisses d’Assurances sociales, mais aussi caisses de compensation d’allocations familiales –, employant des milliers de personnes. La CGT espérait par ailleurs occuper une position privilégiée dans le futur système et elle ne pouvait accepter la constitution d’un service national des prestations géré par des fonctionnaires, sans participation syndicale. Le soutien de la centrale étant indispensable au succès de la législation, il eut été impensable de la priver d’un tel bénéfice politique. Enfin et surtout peut-être, la doctrine des « nationalisations » qui prévaut à la Libération rejette nettement toute idée d’étatisation, au profit d’une gestion tripartite entre représentants de l’État, des syndicats et des usagers. Pierre Laroque n’y échappe pas, qui rappelle dans ses mémoires combien il était soucieux d’éviter « de voir s’édifier une administration énorme, au personnel bureaucratique et paperassier. L’administration des organismes de Sécurité sociale doit être faite d’institutions vivantes, se renouvelant par création continue, par l’effort des intéressés eux-mêmes et de leurs représentants en assurant directement la gestion. La tradition française dans le domaine de la Sécurité sociale est celle d’un effort désintéressé et généreux d’assistance mutuelle16 ». L’extension des Assurances sociales devait donc se réaliser autant que possible sans remettre en cause le cadre institutionnel existant.

21La généralisation à l’ensemble de la population représentait un autre défi de taille : les lois sociales de la IIIe République avaient laissé de côté les nombreux indépendants – artisans, commerçants, industriels, professions libérales – que comptait le pays. Dans les campagnes, seuls les salariés agricoles avaient bénéficié des Assurances sociales, pas les exploitants propriétaires, pourtant les plus nombreux. La France présentait en outre une structure sociale très différente de celle de l’Angleterre : tandis que l’agriculture britannique employait seulement 5 % des actifs du pays en 1950, les paysans français représentaient à la même époque 28 % de la population active et le nombre de petits artisans et commerçants était également plus important qu’outre-Manche. Dans ces conditions, une Sécurité sociale universelle supposait un saut quantitatif très important, dont la difficulté était encore accrue par l’hétérogénéité des situations.

  • 17 Jean-Pierre Rioux, La France de la Quatrième République, tome 1 : L’Ardeur et la nécessité (1944- (...)
  • 18 Bruno Valat, La Direction du Budget et la retraite des vieux (1919-1944) : assurance ou assistance (...)

22La généralisation impliquait, en effet, un effort de redéfinition des risques couverts et des prestations : sur quoi baser, par exemple, l’indemnité journalière destinée à se substituer momentanément au revenu perdu pour cause de maladie, dans le cas des indépendants ? Il fallait pour cela connaître précisément le revenu des intéressés, tâche rendue difficile par l’absence d’employeur tenu de déclarer les rémunérations perçues, comme par les fluctuations de l’activité. L’absence de cotisation patronale posait également le problème du complément de ressources nécessaire pour des actifs souvent de condition modeste. La généralisation, même conçue dans le cadre institutionnel préexistant, impliquait ainsi presque obligatoirement un financement par l’impôt. Or, dans le contexte de la Libération, cette solution était impraticable : les recettes fiscales ne représentaient en 1944 que 30 % des dépenses, le déficit atteignant 300 milliards de francs de l’époque, somme colossale17. L’année suivante, il était encore de 207 milliards. Dans ces conditions, il était impossible d’affecter les maigres ressources budgétaires au financement d’une réforme aussi importante. Malgré une tentative du ministère du Travail d’obtenir une contribution limitée à l’Allocation aux vieux travailleurs salariés (AVTS), instaurée par Vichy en 1941, l’abstention de l’État fut donc complète, ce qui ne faisait que confirmer le désengagement progressif des finances publiques du système des Assurances sociales, enregistré depuis 193518.

23Plus profondément, un financement par l’impôt impliquait un renversement complet dans la conception de la Sécurité sociale à la française, qui privilégiait la logique « bismarckienne » des Assurances sociales, de préférence aux principes « beveridgiens » tracés au même moment au Royaume-Uni. La première conception reposait sur la notion d’assurance individuelle, étendue à un large groupe professionnel, et impliquait donc non seulement une contribution personnelle des intéressés mais encore un lien direct entre cotisation et prestation, celle-ci se rapprochant d’un revenu de substitution. Les principes universalistes anglais, au contraire, préféraient lier le bénéfice des droits sociaux à la citoyenneté. Cette dernière se limitait le plus souvent, toutefois, à garantir un simple filet de sécurité (safety net).

  • 19 Pierre Laroque, « Le plan français de Sécurité sociale », art. cité, p. 16.

24Pierre Laroque exprime parfaitement cette différence d’inspiration dans ses déclarations de 1945 : « Nous rencontrons dans le monde à l’heure actuelle, deux conceptions de la Sécurité sociale. La conception britannique d’abord, tend à donner à tout le monde un minimum uniforme. C’est le régime du Plan Beveridge, comportant des cotisations comme des prestations uniformes et ne garantissant qu’un minimum vital. Une autre conception […] tend au contraire à modeler les prestations de Sécurité sociale sur la situation des intéressés et à proportionner les prestations aux revenus perdus […]. Nous croyons […] qu’il n’y a pas de sécurité véritable pour les travailleurs si les prestations ne sont pas dans une certaine mesure proportionnées aux revenus perdus. […] C’est pourquoi notre système repose sur l’idée de cotisations et de prestations proportionnelles au revenu […]19. » Si les difficultés étaient nombreuses, l’obstacle principal à l’extension de la Sécurité sociale dans un régime unique vint toutefois des réticences d’une partie des bénéficiaires potentiels eux-mêmes.

  • 20 Pierre Laroque, Au service de l’homme et du droit…, op. cit, p. 200.

25Les ouvriers agricoles avaient obtenu, dès 1935, des caisses autonomes au sein des Assurances sociales. Ceux des mines et de la SNCF jouissaient par ailleurs de régimes propres, en général plus anciens que les Assurances sociales et dont les prestations étaient globalement plus avantageuses. Tous ces groupes avaient vocation à rejoindre le futur régime unique des salariés. Or, tel ne fut pas le cas. Les ordonnances des 4 et 19 octobre 1945 confirmèrent au contraire leur autonomie. Aux résistances des intéressés eux-mêmes, soucieux de conserver leurs droits, il convient en outre d’ajouter celle de certains secteurs de l’appareil d’État : la création de la Corporation paysanne par Vichy en 1941 avait entraîné le transfert au ministère de l’Agriculture des Assurances sociales agricoles, qui relevaient alors de la tutelle du Travail. Si l’on en croit Pierre Laroque, le ministre de l’Agriculture de la Libération, le socialiste Tanguy-Prigent, ne souhaita pas revenir sur ce transfert et tint à conserver sous sa coupe tous les problèmes agricoles20.

  • 21 Depuis cette date, les fonctionnaires de l’État ne sont affiliés au régime général que pour le seu (...)
  • 22 L’organisation de ces régimes était réglée par la loi du 17 janvier 1948, dite « loi Surleau ».

26L’opposition du monde agricole à l’intégration manifestait la vigueur des particularismes professionnels et constituait un nouvel obstacle à la création d’un régime unique de Sécurité sociale. Cette tendance ne devait que s’accentuer par la suite. Les cadres et fonctionnaires manifestèrent également leurs réticences vis-à-vis de l’intégration, ce qui conduisit l’État à y renoncer en partie au début de l’année 194721. À leur tour, les indépendants non agricoles refusèrent le bénéfice de la Sécurité sociale, que leur accorda pourtant généreusement l’Assemblée nationale, dès le mois de mai 1946. Entre 1948 et 1952, quatre régimes spéciaux de retraite, destinés respectivement aux artisans, industriels et commerçants, professions libérales et agriculteurs exploitants furent successivement mis en place pour tenir compte des revendications des groupes concernés22. La revendication d’une assurance maladie obligatoire par les syndicats agricoles (FNSEA, CNJA) à la fin des années 1950 se traduisit également par la création d’un régime distinct du régime général pour les agriculteurs en 1961, tout comme pour l’ensemble hétéroclite des artisans, commerçants, industriels et professions libérales, en 1966.

  • 23 Voir les commentaires négatifs du ministre du Travail à propos de l’Assurance vieillesse artisanal (...)
  • 24 Bruno Palier, Gouverner la Sécurité sociale ; les réformes du système français de protection socia (...)

27Hostiles à cette évolution, dans laquelle ils voyaient une source de complications administratives et un obstacle à la solidarité élargie qu’ils appelaient de leurs vœux, la plupart des gouvernements de l’époque furent toutefois impuissants à l’enrayer23. La généralisation de la Sécurité sociale se réalisa donc par juxtaposition progressive de régimes particuliers et non par création d’un grand régime unique, ce qui a permis à Bruno Palier d’écrire qu’après 1945, le législateur avait en France « suivi les principes de Beveridge [la généralisation] avec les méthodes de Bismarck24 ».

  • 25 Demande d’avis sur une projet d’organisation de la Sécurité sociale, p. 2.
  • 26 Note sur le régime provisoire…, op. cit.

28Conscient de l’impossibilité de réaliser une si importante réforme, Alexandre Parodi s’était contenté d’en tracer la perspective en juillet 1945 : « Un tel résultat [l’extension à toute la population] ne s’obtiendra qu’au prix de longues années d’efforts persévérants, mais ce qu’il est possible de faire aujourd’hui, c’est d’organiser le cadre dans lequel se réalisera ce plan25. » Dès le mois de juin 1944, les fonctionnaires algérois du CFLN avaient conclu que la Sécurité sociale resterait, au moins dans un premier temps, une « assurance sociale obligatoire des salariés26 ».

  • 27 Essentiellement les pensions de retraite et les indemnités de maladie, qui constituent un revenu d (...)
  • 28 Pierre Laroque, « Le plan français de Sécurité sociale », art. cité, p. 16.

29Si l’unité et l’universalité sont clairement mises en échec, le troisième principe beveridgien, celui de l’uniformité de prestations est, quant à lui, clairement rejeté dès l’origine : comparant la législation britannique aux autres expériences nationales, notamment américaine et allemande, Pierre Laroque estimait en 1945 qu’« il n’y a pas de sécurité véritable pour les travailleurs si les prestations ne sont pas dans une certaine mesure proportionnées aux revenus perdus ». L’idée de fournir un simple filet de protection était donc récusée. Cependant, la législation de 1945 imposa un plafonnement de certaines prestations27 : « Au-dessus d’un certain revenu, estimait en effet P. Laroque, c’est le devoir des intéressés eux-mêmes de faire un effort volontaire de prévoyance libre. C’est pourquoi notre système repose sur l’idée de cotisations et de prestations proportionnelles au revenu dans la limite d’un plafond […]. Cette solution laisse un large champ libre aux institutions de prévoyance libre, spécialement aux organismes mutualistes28. »

30Le choix de plafonner certaines prestations se justifiait donc par la position médiane assignée à l’assurance obligatoire : celle-ci devait apporter plus qu’un minimum vital, trop proche par son esprit de l’assistance, mais elle ne devait pas se substituer à l’esprit d’épargne et de responsabilité. La limitation des prestations s’inscrit ainsi dans la lignée du plafond d’assujettissement des Assurances sociales, officiellement supprimé par l’ordonnance du 19 octobre 1945. Certes, comme en 1930, le plafond est fixé, en 1945, suffisamment haut. Il n’en reste pas moins que la valeur morale et sociale de la prévoyance individuelle est réaffirmée en 1945, en accord avec la tradition française dans ce domaine.

31Ainsi, l’architecture et les principes de la nouvelle Sécurité sociale, loin de marquer une rupture par rapport aux Assurances sociales, allaient se couler dans le moule bismarckien de celles-ci. Alors que la création de la nouvelle institution était présentée comme quelque chose d’entièrement nouveau sur le plan des objectifs et des principes sociaux, les choix institutionnels privilégiaient au même moment une grande continuité. Il en allait en partie de même sur le plan des prestations.

La réforme des prestations

  • 29 Cité par Pierre Guillaume, Le Rôle social du médecin depuis deux siècles (1800-1945), Paris, AEHSS (...)

32Un des reproches majeurs formulé à l’encontre des Assurances sociales tenait à la faiblesse des prestations servies. Dans le domaine sanitaire, le législateur de 1930 avait craint une véritable « ruée sur les soins ». À la veille de l’entrée en vigueur de la loi, le ministre de la Santé, Louis Loucheur, avait ainsi cru bon d’annoncer la création rapide de près de 15 000 lits d’hôpitaux supplémentaires dans le seul département de la Seine pour faire face à l’afflux de malades que les dispositions nouvelles ne manqueraient pas, selon lui, d’entraîner29. Pour limiter les abus et contenir le coût de la législation, des dispositifs restrictifs avaient donc été adoptés entre 1930 et 1945 : dès l’origine, les indemnités journalières avaient été plafonnées et un délai de carence de cinq jours réservait leur versement aux cas d’incapacités sérieuses. La prise en charge des médicaments à 80 %, prévue par la loi de 1930, avait également été limitée à partir de 1935. Au-delà de 25 francs par ordonnance, le taux de remboursement décroissait. Des « tarifs de responsabilité » existaient aussi pour l’hospitalisation et les soins de ville. Dans la plupart des cas, ils étaient nettement inférieurs au niveau jugé souhaitable par le législateur de 1930. Enfin, les conditions à remplir pour prétendre aux prestations étaient très sévères puisqu’on a vu qu’il était nécessaire d’avoir cotisé pendant 60 jours au moins lors du trimestre précédant la survenue de la maladie pour espérer en bénéficier, ce qui supposait un emploi stable, le nombre maximal de jours ouvrés, à raison de cinq par semaine depuis 1936, étant de 65 par trimestre. En période de chômage, nombre d’assurés ne pouvaient remplir ces conditions. Bien que l’obligation de prouver le versement des cotisations ait été abolie en janvier 1942, les difficultés économiques de l’Occupation avaient encore accru les faiblesses de la législation.

33L’inflation et le blocage des salaires avaient en effet ouvert le ciseau existant entre dépenses et ressources, limitant ainsi les possibilités de revalorisation : l’indemnité journalière maximale ne représente à la Libération que 40 % du salaire moyen de l’ouvrier parisien. Malgré un gros effort de la part des caisses, estimé en octobre 1944 à 50 % par le ministère du Travail, les remboursements des frais de consultation médicale n’ont pu suivre le rythme des honoraires réclamés par des praticiens soumis, comme leurs concitoyens, à une pénurie croissante et au marché noir.

34Les lacunes les plus criantes pèsent toutefois sur la législation vieillesse : au bout de 15 années d’existence, les Assurances sociales n’ont pas réussi à servir de vraies retraites. En 1945, la rente maximale théorique atteint péniblement 20 % du salaire moyen ayant servi de base aux cotisations de l’assuré. En l’absence de clause de revalorisation, ces cotisations ont fondu sous l’effet de l’érosion monétaire, ce qui rend les retraites réelles dérisoires. Même problème pour les pensions servies aux invalides. Quant à l’Allocation aux vieux travailleurs salariés, instaurée en 1941 pour adoucir le sort des personnes âgées, elle a été victime du manque de ressources et de l’afflux des bénéficiaires : 1,7 million d’entre eux se sont présentés, encouragés par la dureté des temps et la générosité des conditions d’attribution. C’était un demi-million de plus que prévu. Les 3 600 francs annuels de l’allocation de base, qui n’a pas été revalorisée depuis 1941, représentent à l’hiver 1944 à peine plus d’un mois de salaire de l’ouvrier parisien. Avec leurs dix francs par jour, les bénéficiaires peuvent acheter trois œufs environ au prix légal, un seul au prix du marché noir.

  • 30 Bernard Gibaud, De la Mutualité à la Sécurité sociale, Paris, Éditions Ouvrières, 1986, p. 136.
  • 31 Déclaration d’Alexandre Parodi devant l’Assemblée le 31 juillet 1945 ; JO, Débats de l’ACP, 1er ao (...)

35Dans ces conditions, il n’est pas étonnant que l’aspect social de la réforme focalise l’attention de l’opinion publique et de la presse : « Pensons à nos vieux » demande France libre le 18 octobre 1944 ; « Les vieux ont faim et redoutent l’hiver » lit-on dans Le Populaire le 7 novembre. L’Humanité n’est pas en reste, qui cite tous les jours des lettres pathétiques de lecteurs illustrant les difficultés quotidiennes pour se vêtir et se nourrir. Comme l’a noté Bernard Gibaud : « Alors que les débats préparatoires ont porté avant tout sur la nature du pouvoir au sein des nouvelles institutions, les journaux ne retiennent que les dispositions prestataires30. » C’est que l’aspect proprement social est, de tous, celui qui apparaît le plus proche des préoccupations quotidiennes à la Libération. Se nourrir, se loger, se vêtir sont alors des soucis constants, surtout dans les grandes villes. Et nul ne conteste la nécessité d’un effort important en la matière : « Si ce projet n’a pas été soumis à l’Assemblée pour avis, déclare Alexandre Parodi à propos de l’ordonnance du 19 octobre 1945 modifiant le régime des prestations, c’est parce que cela a semblé inutile, étant donné qu’il a rencontré dans les organismes consultatifs où figurent les délégués de beaucoup de groupements ici représentés, une quasi-unanimité favorable à ses dispositions31. »

36Cette unanimité ne doit pas nous conduire à négliger l’examen des améliorations consenties. L’absence de discussion, du moins apparente, ne signifie pas absence de choix. D’autre part, les choix peuvent être implicites. Dans ces conditions, il faut en interroger les raisons pour apprécier la part de changement. Pour ne pas alourdir le propos, nous nous en tiendrons aux deux législations les plus importantes par le nombre de personnes concernées et les sommes en jeu : celles de l’assurance-maladie et de l’assurance vieillesse.

37En ce qui concerne l’assurance-maladie, l’ordonnance du 19 octobre 1945 prévoit une importante libéralisation des droits. On a vu que, sans atteindre à l’universalité rêvée, l’extension de la population couverte par la Sécurité sociale marquait une nouvelle étape dans la transformation en législation de masse des lois de protection sociale. Les règles très contraignantes en vigueur jusque-là sont par ailleurs considérablement assouplies : ainsi, il ne faudra plus justifier que de 60 heures de travail salarié dans le trimestre pour obtenir le droit aux prestations. La durée hebdomadaire de travail atteignant, voire dépassant fréquemment 44 heures après la Libération, il suffit d’une semaine et demi d’activité pour bénéficier de la législation et nombre de salariés occasionnels peuvent espérer en profiter. Dans le même esprit de libéralisation, la plupart des limitations artificielles de prestations en vigueur dans les Assurances sociales sont supprimées ou considérablement atténuées : pour assurer une meilleure proportionnalité au salaire, le plafonnement de l’indemnité journalière est aboli. D’autre part, le délai de carence est ramené de cinq à trois jours. La limitation du remboursement des médicaments est également supprimée par le décret du 29 décembre 1945. Si le montant du ticket modérateur restant théoriquement à la charge du patient est inchangé (20 %), des possibilités d’exonération accrues sont prévues, notamment dans le cas d’intervention chirurgicale puisque dans ce domaine, estime-t-on, l’abus n’est guère possible.

38La principale innovation réside toutefois dans la création d’une assurance longue maladie, qui permet une meilleure prise en charge des affections de longue durée. Les Assurances sociales ne comportaient aucune disposition spécifique dans ce domaine. Au-delà de six mois, le droit à indemnisation cessait pour l’assuré malade, qui pouvait alors bénéficier ou non – à des conditions généralement très restrictives – d’une pension d’invalidité. L’assurance longue maladie instituée à la Libération prévoit le remboursement de la totalité du coût des soins pendant une période de trois ans et le versement d’une allocation mensuelle d’un montant équivalent à celui des indemnités journalières. Pour les nombreux malades chroniques – notamment tuberculeux – que compte le pays à la Libération, elle représente un progrès considérable. Certes, son coût doit être élevé, à proportion du nombre potentiel de bénéficiaires. Mais sa création permet de décharger l’assurance invalidité d’une grande part de ses effectifs, ce qui permet d’améliorer également les prestations de cette assurance.

39Au total, l’effort consenti semble important. Le coût de l’assurance-maladie, qui s’élevait à 4 % environ des salaires soumis à cotisation en 1944, dépasse 6 % de ses mêmes salaires en 1948. Malgré cela, un certain nombre d’obstacles viennent limiter la portée réelle du changement. Le plus important porte sur le respect de la prise en charge des frais médicaux à 80 %, conformément à la volonté du législateur. Celle-ci se heurte rapidement, comme avant-guerre, aux réticences du corps médical à accepter une limitation de ses honoraires.

40Comme le notait Pierre Laroque à la veille de la réforme (octobre 1944) : « Actuellement, il y a un écart très important entre le montant des honoraires réclamés par le praticien et celui du remboursement dont bénéficie l’assuré.

  • 32 Pierre Laroque, Note pour M. le ministre, 28 octobre 1944, Archives de la FNSP, fonds Parodi, PA 1 (...)

41Les caisses ont essayé de réduire cet écart en augmentant dans des proportions sensibles leur tarif de responsabilité. Mais chaque fois qu’elles faisaient un effort dans ce sens, les praticiens en profitaient pour relever leurs tarifs d’honoraires. De sorte que ces derniers étaient les vrais bénéficiaires des mesures prises […]. La situation financière des organismes d’Assurances sociales s’est gravement ressentie de cette course aux tarifs. Aussi certaines caisses se sont-elles refusées à relever leur tarif de responsabilité tant que les honoraires des praticiens ne seraient pas stabilisés. Une telle politique a abouti à ce résultat que la participation de l’assuré est devenue de plus en plus grande32. »

42Pour remédier à cette situation, l’ordonnance du 19 octobre 1945 établit un ensemble de règles régissant les relations entre syndicats médicaux et caisses de Sécurité sociale sur la question des tarifs. Le texte prévoit notamment des conventions obligatoires entre les parties, déterminant les honoraires applicables aux assurés sociaux. Le niveau des tarifs doit permettre une juste rémunération du corps médical, sans dépasser les possibilités financières des organismes, assurant ainsi un remboursement à 80 % des frais engagés par les patients. En cas de difficulté, une procédure de conciliation était prévue, par l’intermédiaire d’une Commission nationale des tarifs, où toutes les parties (fonctionnaires, caisses de Sécurité sociale, médecins) seraient représentées.

  • 33 Circulaire (sans date) du ministre du Travail aux présidents des unions régionales de caisses mala (...)

43Le nouveau texte semblait donc marquer une avancée importante dans la prise en charge des frais médicaux. Cependant, l’ordonnance du 19 octobre restait extrêmement libérale vis-à-vis du corps médical : elle confirmait solennellement la préférence pour l’exercice libéral de la médecine, puisque les expériences de tiers payant ou de médecine de caisse étaient explicitement exclues par la loi. Les possibilités de sanction à l’encontre des médecins en cas de non-respect des tarifs conventionnels étaient limitées : l’ordonnance accordait en effet la possibilité de dépasser ces tarifs, en cas de « circonstances particulières », comme la notoriété du praticien ou des exigences particulières de la part du patient, ce qui était particulièrement difficile à apprécier. Les commissions départementales prévues par la loi pour trancher les litiges faisaient également la part belle aux médecins et il était extrêmement difficile pour une caisse d’obtenir une condamnation d’un praticien devant ces instances. Comme le notait Alexandre Parodi, au printemps 1945 : « Les dispositions nouvelles ont été conçues avec le souci de modifier le moins possible les conditions générales d’exercice de la médecine, de sauvegarder les intérêts légitimes des praticiens et de n’apporter aucune atteinte aux principes qui, pour le corps médical, sont la condition de toute médecine de qualité33. » Pour ne pas heurter de front le corps médical, l’administration avait préféré renoncer à certaines mesures restrictives, comme la possibilité pour le ministre de la Santé de fixer directement les tarifs applicables, dans l’espoir d’obtenir une collaboration loyale des médecins à l’application de la loi.

  • 34 Henri Hatzfeld, Le Grand Tournant de la médecine libérale, Paris, Éditions Ouvrières, 1963.

44Or, les premiers mois de 1946 allaient rapidement ruiner ces espoirs. Dès la parution de l’ordonnance, des réticences se firent sentir de la part des médecins. Bien que quelques conventions aient été signées dans les semaines qui suivirent la parution des décrets d’application du nouveau texte, la majorité du corps médical refusa bien vite de s’engager dans la démarche contractuelle prévue par la loi. Cette situation ne devait pas se démentir dans les mois qui suivirent puisque trois accords nationaux signés entre la Fédération nationale des organismes de Sécurité sociale (FNOSS), représentant les caisses nouvellement créées et la Confédération des syndicats médicaux français (CSMF) échouèrent successivement en février 1947, juin 1948 et janvier 195034. Plusieurs raisons permettent de rendre compte de cet échec. L’inflation récurrente de la fin des années 1940 ne permet pas, tout d’abord, de fixer des tarifs durables. Devant l’évolution rapide des prix, médecins et caisses échouent à trouver un accord sur des critères de revalorisation des honoraires clairs et acceptés par tous. Le poids persistant de la pénurie et du rationnement, les difficultés de la vie quotidienne, rendent les négociations plus âpres encore, les médecins tentant d’arracher les tarifs les plus favorables dans un contexte économique et social toujours très difficile afin de défendre un statut social menacé. Enfin, il faut tenir compte de la mentalité propre du corps médical, hostile dans sa grande majorité, à toute idée de contrôle des tarifs, dans laquelle il voit une remise en cause du caractère libéral de la profession et une perte d’indépendance, voire un germe de fonctionnarisation.

  • 35 Jean-Noël Biraben, Histoire de la population française, tome 4, Paris, PUF, 1988, p. 268 et suiv.

45Pour ces raisons, et malgré la hausse des dépenses, les tarifs d’honoraires n’atteignent pas, sauf exception, les 80 % souhaités dans les mois qui suivent la Libération. En 1948, les tarifs d’autorité, fixés par la loi en cas d’échec des négociations, sont en vigueur dans 70 départements. Le plus souvent, ils ne représentent que 20 % des honoraires effectivement pratiqués. Il faudra en fait attendre 1960 pour que l’objectif des 80 %, formulé lors de l’adoption de la loi sur les Assurances sociales en 1930 soit enfin atteint. Dans ce secteur, très important puisque les frais de médecine ambulatoire représentent près de 30 % des dépenses en 1946 et encore un quart au début des années 1950, c’est donc la continuité qui domine, de part et d’autre du conflit mondial. En définitive, plus que la Sécurité sociale, la véritable révolution de l’après-guerre réside dans l’arrivée et la diffusion massive des premiers antibiotiques : entre 1945 et 1950, leur usage entraîne une baisse de moitié de la mortalité d’origine infectieuse en France, ouvrant la voie à la révolution sanitaire de la seconde moitié du xxe siècle35.

46Si des éléments certains de continuité existent dans le domaine de l’assurance maladie, ceux-ci apparaissent plus nettement encore dans le domaine des retraites.

  • 36 Rapport sur la situation financière des Assurances sociales, octobre 1944, p. 11, Archives du Comi (...)

47Comme le notait un haut responsable du ministère du Travail au mois d’octobre 1944 : « Le régime actuel de l’assurance vieillesse appelle moins une réforme qu’une reconstruction totale. L’on peut admettre en effet que l’on part aujourd’hui sensiblement de zéro36. » Malgré cela, on peut parler de restauration de l’assurance vieillesse et non de révolution, les principales dispositions adoptées en 1945 marquant une continuité totale d’inspiration avec la législation antérieure. Dans le domaine du financement, la question se posait de la technique à retenir : capitalisation ou répartition ? Là encore, les choix effectués ne font que confirmer des décisions précédentes.

48La philosophie de la législation française des retraites depuis les premières lois du début du siècle reposait entièrement sur l’idée d’assurance. En contrepartie d’une cotisation versée durant une partie significative de la carrière, chaque assuré acquérait le droit à une pension proportionnelle à son revenu d’activité. Or, l’instauration de l’Allocation aux vieux travailleurs salariés (AVTS), prestation versée sur des critères de ressources et non en fonction de versements antérieurs, pour répondre au sort des « vieux » privés de pensions, avait entraîné un basculement de la législation vers l’assistance pendant l’Occupation. La question se posait donc de la physionomie des droits et du modèle à promouvoir à la Libération. Allait-on revenir à l’esprit initial ou bien se diriger vers un système de retraites plus proche de la conception anglaise ? Là encore, le choix des réformateurs de l’époque est sans équivoque.

  • 37 Rapport sur la situation financière des Assurances sociales, op. cit., p. 9.

49« Le gouvernement doit choisir entre une allocation s’appliquant à toute la population âgée, y compris, dès lors, les travailleurs indépendants, ou une allocation réservée aux vieux travailleurs salariés, estimait un haut responsable du ministère du Travail en octobre 1944. […] Si l’on s’en tient, conformément à l’intention certaine du législateur de 1941, à l’Allocation aux vieux travailleurs salariés, il faut écarter du bénéfice de l’allocation tous ceux qui n’ont pas réellement la qualité de salariés au sens de la législation des Assurances sociales. S’il est sans doute difficile de revenir en arrière, tout au moins est-il aisé de parvenir à ce résultat pour l’avenir37. »

  • 38 Article 2 de l’ordonnance du 2 février 1945, JO, Lois et décrets, 3 février, p. 510.
  • 39 Rapport sur la situation financière des Assurances sociales, op. cit, p. 9.

50Une première ordonnance, le 2 février 1945, répond à cet objectif : à partir de cette date « les années de salariat ne peuvent être prises en compte, pendant les périodes d’assujettissement à l’assurance obligatoire […] que si elles ont fait l’objet du versement de la double contribution des Assurances sociales38 ». Ainsi sera-t-il impossible à l’avenir, pour un « faux » salarié, de réclamer le bénéfice de l’AVTS. Quant à ceux percevant déjà l’allocation, leur effectif était voué à extinction progressive, au fur et à mesure de la disparition des intéressés. Ainsi, l’AVTS était-elle appelée à se confondre au bout de quelques années avec l’assurance vieillesse proprement dite, avant de disparaître tout à fait à la maturité du régime39. Pour cela toutefois, il était nécessaire de recréer le mécanisme originel de constitution des pensions de vieillesse. Ceci constituait la deuxième étape.

51L’ordonnance du 19 octobre 1945 prévoit que l’assuré ayant cotisé 30 années a droit à une pension égale à 40 % du salaire de base. L’âge de liquidation, est le même que pour l’AVTS, à savoir 65 ans. Par rapport à l’ambition originelle des Assurances sociales, cette disposition peut apparaître comme un recul social, la loi de 1930 ayant prévu un départ dès 60 ans. Il est vrai que le salaire de base sera calculé désormais, non plus sur l’ensemble de la carrière, mais sur les dix meilleures années seulement, disposition beaucoup plus favorable à l’assuré. La loi du 23 août 1948 fera un pas de plus en instituant l’indexation des pensions sur les salaires, dispositif indispensable pour lutter contre l’érosion monétaire et permis par le passage à la répartition. Les bases d’une assurance à l’épreuve de l’inflation sont ainsi progressivement posées. Cependant, les pensions sont condamnées à rester faibles pendant de longues années : la législation vieillesse ayant commencé à fonctionner, en théorie, en 1930, les premières retraites à taux plein ne seront servies qu’en 1960. L’AVTS était donc appelée à rester pendant plusieurs années le principal dispositif de la législation vieillesse : à la fin des années 1940, l’allocation représentait encore 40 % des dépenses totales de la branche retraite du régime général de la Sécurité sociale et encore près du tiers en 1956, au moment de la création du Fonds national de solidarité (FNS). En raison du nombre élevé des bénéficiaires et de la priorité décrétée en faveur des malades, son montant unitaire sera nécessairement faible. L’amélioration du sort des « vieux » est donc reportée et ces derniers font un peu figure de laissés pour compte de la Sécurité sociale.

52L’esprit de la législation étant fixé, un dernier point restait à trancher, celui du mode de constitution des pensions, capitalisation ou répartition. Là encore, l’instauration de l’AVTS avait marqué l’abandon du principe originel de capitalisation retenu en 1930 au profit du second, qui permettait de disposer immédiatement des cotisations acquittées par les assurés. Allait-on profiter de la Libération pour revenir à la situation antérieure ?

  • 40 Direction du Budget, Note pour M. le ministre, 29 octobre 1944, p. 6, SAEF, 5 A 9.

53L’attachement à la capitalisation était, de fait, vif, parmi les intéressés : « La tendance qui paraît prévaloir aujourd’hui [est] de restaurer le principe de la capitalisation mis en sommeil par le gouvernement de Vichy », avaient noté les fonctionnaires du ministère des Finances en octobre 194440. Même parmi les syndicalistes, représentants de la CGT, notamment, la tentation du retour à la capitalisation était réelle, car l’instauration de l’AVTS avait été considérée comme un hold-up commis par l’État au détriment des cotisations des assurés, détournées en partie de leur destination légitime. Dans ces conditions, le retour au système antérieur était censé permettre aux assurés de recouvrer leur dû.

  • 41 Rapport sur la situation financière des Assurances sociales, op. cit., p. 11.

54En réalité, comme le notaient les Finances, le passage à la répartition permettait de s’affranchir des réserves financières, les droits étant désormais gagés sur les cotisations futures et non plus passées. Un certain nombre d’obstacles insurmontables plaidaient par ailleurs pour la confirmation du nouveau système. L’expérience avait en effet montré « qu’un système analogue à celui conçu par le législateur de 1928-1930 […] n’était pas viable. L’on ne peut tabler, pour aménager un régime d’assurance vieillesse sur la capitalisation de versements s’accumulant pendant 30 ans ou davantage ; l’on ne peut prétendre calculer la pension de l’assuré en fonction de cotisations qu’il a versé sa vie durant. D’une part, cette accumulation de versements suppose que le régime d’assurance ne joue à plein qu’après de longues années : or, l’attente est politiquement impossible en ce domaine. D’autre part, les fluctuations monétaires, la dépréciation de la monnaie font perdre aux versements capitalisés une part parfois importante de leur valeur et sont, en même temps, un obstacle au calcul des pensions sur le montant des versements anciens, montant qui a perdu toute signification actuelle41 ».

  • 42 Id., p. 13-14.

55Le rétablissement d’une certaine dose de capitalisation, même limitée, parallèlement au système de répartition était également impossible, étant donné la dépense élevée que représentaient les pensions et allocations déjà liquidées : « [Une telle solution] est exclue lorsque, comme c’est le cas, aujourd’hui, l’on se trouve en présence d’une charge qui, sans atteindre le niveau maximum, ne permet cependant pas de prélever sur le produit des cotisations en outre des ressources nécessaires à couvrir cette charge, de quoi constituer des réserves42. »

  • 43 Note pour M. le Ministre, janvier 1945, p. 3. Archives de la FNSP, Fonds Parodi, PA 17.

56Comme le notait Pierre Laroque : « Les bénéficiaires de la retraite des vieux sont des pauvres gens à qui il faut fournir les moyens de vivre et lorsqu’on aura payé leurs allocations aux taux nouveaux, il ne restera plus de quoi mettre de côté pour un régime de capitalisation43. » Dans ces conditions, le choix final du législateur ne saurait surprendre. Si la répartition s’impose, toutefois, c’est plus en raison de l’impossibilité de tout retour en arrière que d’une préférence d’ordre idéologique, comme on le voit.

  • 44 « Ressources et besoins de l’économie française en 1948 », Revue de la Sécurité sociale, n° 4, déc (...)

57Que l’on considère l’assurance maladie ou la nouvelle législation des retraites, la continuité apparaît grande, en définitive, de part et d’autre de 1945, entre les Assurances sociales et la Sécurité sociale qui lui succède. Certes des améliorations indéniables sont apportées, dans le sens d’une meilleure efficacité et d’une plus grande générosité. Le volume des dépenses s’en ressent : celles-ci dépassent 10 % des salaires soumis à cotisation dès 1947. Toutefois, les prestations restent faibles et ce n’est que progressivement que les bases posées à la Libération permettront, grâce à la croissance économique, d’améliorer sensiblement le sort des populations concernées, notamment les vieux retraités. Dans l’immédiat, les progrès, réels, restent en deçà de l’ambition affichée. Quelques mois après l’entrée en vigueur du plan de Sécurité sociale, la « Commission du bilan national », instituée au sein du Commissariat général au Plan, remarquait que la part consacrée aux salaires directs et indirects (sous forme de prestations sociales) dans l’ensemble du Revenu national n’avait pratiquement pas varié depuis 1938, ce qui l’amenait à la conclusion que le développement de la Sécurité sociale avait été réalisé au prix d’une limitation de la progression des salaires individuels, sans empiéter nullement sur la répartition de la valeur ajouté entre les facteurs travail et capital44.

58Sur le plan de la philosophie des droits, sous-jacente aux principales dispositions, la continuité apparaît à peu près totale, quant à elle, entre avant et après guerre. En définitive, les changements les plus importants, dans l’immédiat, apparaissent d’ordre symbolique et politique : la promotion de nouveaux acteurs, les syndicats, mais aussi l’État et l’abandon revendiqué de tout malthusianisme dans le domaine économique et social contrastent avec une grande permanence dans les « manières de faire » qui caractérisent le système français d’Assurances sociales avant et après la guerre.

Notes

1 Le texte qui suit reprend une partie des conclusions développées dans Bruno Valat, Histoire de la Sécurité sociale (1945-1967) ; L’État, l’institution et la santé, Paris, Economica, 2001.

2 Claire Andrieu, Le Programme du Conseil national de la Résistance ; des idées dans la guerre, Paris, Les Éditions de l’Érudit, 1984.

3 « Demande d’avis […] présenté par M. A. Parodi, ministre du Travail », JO, débats de l’ACP, 5 juillet 1945.

4 Des caisses d’allocations familiales autonomes subsisteront toutefois dans le nouveau système, après que les milieux familiaux (MRP, CFTC, ministère de la Population) aient manifesté leur inquiétude sur l’avenir de la politique familiale.

5 Les mutualistes pourront cependant se présenter aux premières élections de la Sécurité sociale en avril 1947, en tant que représentant des salariés.

6 Pierre Laroque, « Le plan français de Sécurité sociale », Revue française du travail, n° 1, avril 1946, p. 9.

7 Dans une abondante littérature, la part prise par les historiens est réduite par rapport à la contribution des sociologues et politistes. Pour les liens unissant avant et après-guerre, François-Xavier Merrien, Politiques publiques et structures sociales, étude comparative de l’édification et de l’évolution de l’État protecteur en France et en Grande-Bretagne, Paris, CRSST, Université Paris Sud, MiRe, 1990. Sur Vichy, Philippe-Jean Hesse, Jean-Pierre Le Crom (dir.), La Protection sociale sous le régime de Vichy, Rennes, Presses Universitaires de Rennes, 2001.

8 On se bornera ici à examiner la question du point de vue de la législation des Assurances sociales stricto sensu (maladie-maternité, invalidité, décès, vieillesse). L’intégration des prestations familiales nécessiterait une analyse à part. Quant aux accidents du travail, ils font l’objet d’un chapitre séparé.

9 Note sur la réforme des Assurances sociales, direction du Budget, 30 novembre 1944, p. 6. Service des archives du ministère des Finances (SAEF), Papiers Pleven, 5 A 9.

10 « Demande d’avis… », art. cité.

11 Pierre Laroque, Rapport sur le projet d’ordonnance…, 1945, p. 3. Archives du Comité d’histoire de la Sécurité sociale, Paris.

12 Pierre Laroque, Au service de l’homme et du droit ; souvenirs et réflexions, Paris, Comité d’histoire de la Sécurité sociale, 1993, p. 197.

13 Le Ministère de la vie sociale, Cahier de l’OCM, octobre 1943 ; Bruno Valat, « Résistance et Sécurité sociale (1941-1944) », Revue historique, n° 592, octobre-décembre 1994, p. 315-346.

14 Henri Michel, Les Courants de pensée de la Résistance, Paris, PUF, 1962, p. 103.

15 Note sur le régime provisoire des Assurances sociales, s.d., p. 6, Archives du Comité d’histoire de la Sécurité sociale.

16 Pierre Laroque, Au service de l’homme et du droit…, op. cit., p. 198-199.

17 Jean-Pierre Rioux, La France de la Quatrième République, tome 1 : L’Ardeur et la nécessité (1944- 1952), Paris, Seuil, 1980, p. 37-38.

18 Bruno Valat, La Direction du Budget et la retraite des vieux (1919-1944) : assurance ou assistance ?, Paris, Comité pour l’histoire économique et financière de la France, 2001, p. 401-411.

19 Pierre Laroque, « Le plan français de Sécurité sociale », art. cité, p. 16.

20 Pierre Laroque, Au service de l’homme et du droit…, op. cit, p. 200.

21 Depuis cette date, les fonctionnaires de l’État ne sont affiliés au régime général que pour le seul remboursement des frais de soins. Le service de ces prestations leur est fréquemment dispensé par un organisme distinct des caisses de Sécurité sociale : pour les enseignants, par exemple, la Mutuelle générale de l’Éducation nationale (MGEN), fondée en 1947.

22 L’organisation de ces régimes était réglée par la loi du 17 janvier 1948, dite « loi Surleau ».

23 Voir les commentaires négatifs du ministre du Travail à propos de l’Assurance vieillesse artisanale, dès le mois de décembre 1947. La Sécurité sociale ; son histoire à travers les textes, Paris, Comité d’histoire de la Sécurité sociale, 1988, p. 96.

24 Bruno Palier, Gouverner la Sécurité sociale ; les réformes du système français de protection sociale depuis 1945, Paris, PUF, 2002, p. 100.

25 Demande d’avis sur une projet d’organisation de la Sécurité sociale, p. 2.

26 Note sur le régime provisoire…, op. cit.

27 Essentiellement les pensions de retraite et les indemnités de maladie, qui constituent un revenu de remplacement. Les remboursements de soins ne sont pas plafonnés, car ils forment la contrepartie du coût de la santé supporté par les assurés.

28 Pierre Laroque, « Le plan français de Sécurité sociale », art. cité, p. 16.

29 Cité par Pierre Guillaume, Le Rôle social du médecin depuis deux siècles (1800-1945), Paris, AEHSS-CHSS, 1996, p. 230.

30 Bernard Gibaud, De la Mutualité à la Sécurité sociale, Paris, Éditions Ouvrières, 1986, p. 136.

31 Déclaration d’Alexandre Parodi devant l’Assemblée le 31 juillet 1945 ; JO, Débats de l’ACP, 1er août.

32 Pierre Laroque, Note pour M. le ministre, 28 octobre 1944, Archives de la FNSP, fonds Parodi, PA 17.

33 Circulaire (sans date) du ministre du Travail aux présidents des unions régionales de caisses maladies, Archives de la FNSP, fonds Parodi, PA 17.

34 Henri Hatzfeld, Le Grand Tournant de la médecine libérale, Paris, Éditions Ouvrières, 1963.

35 Jean-Noël Biraben, Histoire de la population française, tome 4, Paris, PUF, 1988, p. 268 et suiv.

36 Rapport sur la situation financière des Assurances sociales, octobre 1944, p. 11, Archives du Comité d’histoire de la Sécurité sociale.

37 Rapport sur la situation financière des Assurances sociales, op. cit., p. 9.

38 Article 2 de l’ordonnance du 2 février 1945, JO, Lois et décrets, 3 février, p. 510.

39 Rapport sur la situation financière des Assurances sociales, op. cit, p. 9.

40 Direction du Budget, Note pour M. le ministre, 29 octobre 1944, p. 6, SAEF, 5 A 9.

41 Rapport sur la situation financière des Assurances sociales, op. cit., p. 11.

42 Id., p. 13-14.

43 Note pour M. le Ministre, janvier 1945, p. 3. Archives de la FNSP, Fonds Parodi, PA 17.

44 « Ressources et besoins de l’économie française en 1948 », Revue de la Sécurité sociale, n° 4, déc. 1948, p. 35 et suiv.

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