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Le décrochage scolaire

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Joël Zaffran
, 
Thierry Berthet

Le décrochage de haut en bas

Joël Zaffran

Texte intégral

  • 1 Voir le décret du 31 décembre 2010 et la circulaire no 2011-028 du 9 février 2011 (MEN-DGESCO). Le (...)
  • 2 Voir le rapport de l’Inspection générale de l’éducation nationale et de l’Inspection générale de l (...)

1Le décrochage scolaire est l’étape ultime d’un processus qui se conclut par une sortie du système scolaire sans avoir atteint le niveau de qualification attendu au moment de la scission entre le jeune et l’école. L’élève entre alors dans la catégorie des jeunes quittant le système de formation initiale sans avoir le niveau de qualification minimum prévu par le décret no 2010-1781 du 31 décembre 2010. Peu attentive aux dimensions qui interviennent en amont du processus, la définition administrative du décrochage ne retient que le résultat final en désignant le décrocheur comme une personne quittant l’école sans avoir obtenu un baccalauréat général ou un diplôme à finalité professionnelle de niveau V ou IV1. Ces jeunes sans diplôme (ou titulaires seulement du diplôme national du brevet) sont une cible plus large que les jeunes qui sortent de l’école sans qualification (i. e. les jeunes qui ne sont pas entrés au lycée général et technologique ou qui n’ont pas eu accès à une classe terminale de préparation à un BEP ou à un CAP). Cet élargissement du public de décrocheurs s’explique en partie par l’élévation générale du niveau de diplôme de la population française et européenne qui conduit inévitablement à une fragilisation croissante des personnes de qualifications plus modestes2. C’est pourquoi la lutte contre les sorties sans diplôme a été érigée au rang de priorité absolue en mai 2009 par la « Stratégie Europe 2020 » pour la coopération européenne dans le domaine de l’éducation et de la formation, et qu’elle figure en bonne place dans le plan « Agir pour la jeunesse » dévoilé en France en septembre 2009. Depuis lors, plusieurs décrets et circulaires renforcent les moyens d’action des chefs d’établissement, améliorent la coordination des informations au niveau académique et raffermissent le contrôle des absences scolaires.

2L’élaboration conjointe d’une stratégie européenne et nationale n’est pas due à la nouveauté du phénomène puisque l’école a toujours produit en son sein des formes individuelles ou collectives de résistance, de rejet ou de contournement chez les élèves. Au siècle dernier les « gars », qui s’opposent aux enseignants, transgressent les règles de l’école et affrontent les élèves conformistes, sont vus sous un angle marxiste qui conçoit le conflit contre l’ordre scolaire comme un succédanée de la lutte des classes. La counter-school culture des « lads » est une transposition de la culture d’atelier partagée par les pères, et à laquelle les fils sont voués inexorablement. Le diplôme est dénigré parce qu’il incarne le pouvoir de l’institution scolaire, et la résistance à l’ordre scolaire est valorisée parce qu’elle prépare l’entrée dans la société des adultes et dans l’univers viril de l’usine (Willis, 1978). Ce désamour pour l’école renforce plus qu’il n’affaiblit la vocation de l’école française de sélectionner les élèves et de classer par niveau d’excellence, des meilleurs aux plus faibles, parfois sans se soucier des laissés-pour-compte de la compétition scolaire qui sortent sans bruit du système scolaire. Le détachement d’avec l’école se présente dans ce cas comme un acte salutaire puisqu’il précède une entrée rapide dans le marché du travail.

  • 3 En 1990, 44 % d’une génération avait obtenu son baccalauréat, qu’il soit général, technologique ou (...)

3Aujourd’hui, les ruptures scolaires ne font plus office de prélude à des transitions immédiates de l’école à l’emploi. Les évolutions économiques et industrielles, la montée en puissance des technologies et la prépondérance d’une économie du savoir, de la connaissance et de l’information, auxquelles s’ajoutent les réformes scolaires de démocratisation et de massification, engendrent des stocks là où la croissance économique produisait des flux3. L’entrée sur le marché de l’emploi des jeunes ressemble à une course d’obstacles que les moins diplômés auront plus de mal franchir du fait de modes de sélection posant des barrières d’autant plus hautes que le niveau du marché du travail est bas. Pour un emploi à bas niveau de qualification, le titre scolaire est un atout dans la mesure où les employeurs éprouvent des difficultés à estimer a priori la productivité des candidats au poste. Il renseignerait par conséquent sur la productivité anticipée de son détenteur (Gury, 2007). Le diplôme émettant un signal positif aux employeurs (Spence, 1974), on peut penser que la persistance du chômage de masse, et par incidence la nature plus sélective du marché du travail, appelle en retour l’augmentation du seuil d’exigence des employeurs qui n’ont que l’embarras du choix d’un candidat pour un emploi à bas niveau de qualification. Les compétences professionnelles et sociales qu’ils exigent sont plus élevées que celles réclamées par le poste. Ils bénéficient ainsi d’un effet d’aubaine dû au recrutement de candidats aux compétences avérées par le diplôme sur des postes peu qualifiés, alors que ces postes auraient parfaitement pu être occupés par des non diplômés. En prolongement du paradoxe d’Anderson selon lequel un décalage naît entre l’augmentation du nombre de diplômes élevés et la diminution du nombre de postes assurant l’équivalence entre le diplôme et le statut social, le chômage des jeunes décrocheurs est moins dû à leur absence de diplôme qu’à un accaparement des emplois de bas de niveau de qualification par les jeunes diplômés.

  • 4 Voir Becker G., « Investment in Human Capital: A theoretical Analysis », Journal of Political Econ (...)

4Ces premiers éléments appellent trois questions : qui sont aujourd’hui les décrocheurs ? Les dispositifs prévus actuellement pour lutter contre le décrochage sont-ils efficaces ? Quelles raisons expliquent la mise sur agenda politique du décrochage à l’échelle de l’Europe et de la France ? Dans une première partie, on décrit le décrochage et les décrocheurs à partir de données empiriques dont la synthèse permet d’abord de cerner les variables sociales et scolaires les plus importantes, ensuite de situer les dispositifs de lutte contre le décrochage par une approche qui articule les apprentissages scolaires et les apprentissages professionnels. La deuxième partie présente les conditions d’émergence du décrochage scolaire comme un problème politique. Elle s’appuie sur les deux niveaux d’élaboration de la politique publique de lutte contre le décrochage : l’Europe et la France. L’hypothèse est que la stratégie européenne fondée sur la thèse du capital humain qui définit l’éducation comme un investissement permettant d’accumuler des connaissances, et par conséquent d’accroître les richesses en augmentant la productivité4, s’impose à la stratégie nationale, mais la seconde stratégie se définit aussi, à partir de 2005, par une orientation sinon répressive du moins attentive à l’insécurité et à la lutte contre la délinquance. Ces jeux d’échelle soulignent d’une part l’influence de la stratégie européenne sur la France dès lors que les coûts du décrochage dans une société de la connaissance sont chiffrés, d’autre part le lien entre les émeutes urbaines et le décrochage. On s’interroge en dernière instance sur l’utilité des dispositifs de lutte contre le décrochage visant le retour à l’école des jeunes qui voudraient en sortir.

Expliquer le décrochage, décrire les décrocheurs

5En France, le nombre de sortants sans qualification est passé de 170 000 en 1975 à 42 000 en 2005. Cette diminution est moins due à une baisse des effectifs d’élève qu’à la prolongation générale de la scolarité et la diminution des redoublements en primaire et au collège (Glasman, 2004). Du reste, un élève peut sortir sans diplôme mais avec une qualification : il peut avoir raté son brevet des collèges mais être parvenu en dernière année de CAP ou de BEP. L’élève peut sortir aussi sans qualification mais avec un diplôme en poche : il s’est arrêté après avoir obtenu le brevet. Enfin, il peut sortir sans diplôme ni qualification. La mesure du décrochage dépend donc en grande partie de la manière avec laquelle il s’évalue et des missions qui incombent à ceux qui sont chargés de l’objectiver (cf. note, p. 22). À l’échelle de l’Europe, les « non-diplômés de Lisbonne » sont rangés par le Conseil européen dans la rubrique des « sans-bagage scolaire minimum » constitué par un diplôme du second cycle du secondaire. Ils sont en 2000 au nombre de 120 000 soit 17 % des sortants, ce qui place la France en moyenne position par rapport aux autres pays de l’Union.

Source : Eurostat, EFT, 2010.
Figure 1. – Pourcentage de la population âgée de 18 à 24 ans dont le niveau d’études ne dépasse pas le premier cycle de l’enseignement secondaire et ne poursuivant ni études ni formation (données 2009)

Qui sont les décrocheurs et pourquoi décrochent-ils ?

  • 5 Voir la contribution de Mathias Millet et Daniel Thin.

6La sociologie de l’école et les travaux (québécois notamment) sur le décrochage distinguent le niveau organisationnel, pédagogique et relationnel parmi les causes du décrochage. Sur le plan organisationnel, plusieurs variables ont un effet sur le rapport de l’élève à sa scolarité et à son établissement scolaire. L’effet taille de l’établissement qui influe sur le climat scolaire pour les élèves en général aura de facto des incidences sur les élèves en décrochage. Les écoles trop grandes diminuent la participation des élèves dans des activités parascolaires et ne permettent pas un encadrement plus flexible et plus étroit de la part des adultes. L’effet de seuil lors du passage de l’école primaire au collège ou du passage du collège au lycée aura des incidences sur la réussite scolaire. L’effet retrait dû à la pratique qui consiste à retirer du cursus général les élèves qui ont des difficultés d’apprentissage ou de comportement afin de les empêcher d’abandonner l’école ne semble pas être une stratégie plus efficace que la scolarisation en voie normale ou les stratégies d’intégration des enfants en difficulté au secteur régulier : l’effet d’inclusion est plus bénéfique que l’effet d’exclusion5. Les écoles qui offrent aux adolescents de multiples occasions de découvrir leurs intérêts, leurs habiletés sportives et artistiques, et de se développer sur les plans personnel (autonomie) et social (amitiés, compétence, sociale) favorisent l’attachement des élèves pour leur établissement, et accroissent leur appétence scolaire. De plus, les élèves réussissent mieux lorsque les adultes valorisent ouvertement la réussite éducative et maintiennent des attentes élevées et réalistes à l’égard du rendement des élèves. Les encouragements de l’enseignant, lorsqu’ils sont prodigués à bon escient, interviennent dans l’engagement de l’élève alors qu’à l’inverse les critiques trop fréquentes ont un effet négatif sur la confiance de l’élève. Cet effet maître suppose aussi que l’élève bénéficie d’un temps d’apprentissage suffisamment long pour acquérir une bonne maîtrise des notions enseignées. Le pilotage de l’établissement scolaire est aussi un facteur important : les écoles efficaces ont une direction qui soutient les élèves plus qu’elle ne les contrôle et où le chef d’établissement fait preuve d’un leadership efficace capable de susciter la coopération. Outre cet effet « chef d’établissement », les écoles qui favorisent la communication avec les parents et recherchent leur participation dans différents lieux prévus assurent une fonction de soutien aux parents. Ce soutien est d’autant plus utile que la qualité de l’environnement scolaire détermine en partie le parcours des élèves issus de milieux peu stimulants sur le plan scolaire.

7Sur le plan de caractéristiques personnelles et familiales, l’analyse menée par Rachid Bouhia (Bouhia et al., 2011) met au jour l’impact des facteurs qui interviennent sur la sortie sans diplôme. Un homme a 1,6 fois plus de risques de sortir sans diplôme qu’une femme. En outre, les jeunes issus de familles désunies ou reconstituées, dont les parents exercent des emplois peu qualifiés ou sont en dépendance économique ont plus de risques d’abandonner l’école : les jeunes qui sortent sans diplôme ont 2,4 fois plus de chances d’avoir un père ouvrier et 2,4 fois plus de chances d’avoir une mère ne possédant aucun diplôme. La taille de fratrie, le niveau de diplôme des parents et la nationalité sont aussi des facteurs aggravants : les non-diplômés sont plus souvent de nationalité étrangère ou de nationalité française avec au moins un parent de nationalité étrangère. Ils vivent plus souvent avec un seul de leur parent, au sein de familles monoparentales ou recomposées. Les données indiquent aussi que les sortants sans diplôme ont vécu un divorce des parents durant leur scolarité.

8Ces résultats dressent le portrait du décrocheur qui somme toute n’est pas différent de l’élève en échec scolaire puisque le risque augmente lorsque les habiletés intellectuelles et verbales sont faibles, que le parcours est marqué par du retard scolaire, que la motivation et le sentiment de compétence et les aspirations scolaires faiblissent, que l’investissement dans les activités scolaires et parascolaires est faible, enfin que le contexte familial valorise peu l’école et la communication avec l’enfant. Aux facteurs familiaux s’ajoutent des facteurs personnels et relationnels. L’isolement social et le rejet par les pairs augmentent les risques de décrocher. De plus, les futurs décrocheurs s’associent plus souvent à des pairs décrocheurs ou potentiellement décrocheurs dès lors que les aspirations scolaires sont peu élevées. Enfin, l’expérience scolaire est un prédicteur du décrochage scolaire dans la mesure où une amélioration de l’estime de soi et une augmentation du sentiment de contrôle se signalent chez les jeunes qui ont abandonné l’école. De manière générale, il ressort que les variables familiales et scolaires sont de bons prédicteurs mais que les secondes sont les plus prédictives du décrochage à l’adolescence (Janosz et al., 2000). Du reste, la diversité des facteurs contribue à faire du décrochage un phénomène complexe puisque les causes sont cumulatives ou uniques, et qu’elles expliquent l’échec scolaire sans que le décrochage s’y réduise : le décrochage scolaire concerne aussi les bons élèves.

9En sus de ces facteurs, le décrochage est un processus qui articule deux états dont le passage de l’un à l’autre dépend de la manière avec laquelle s’organise leur expérience scolaire : le drop out et le drop in. Dans le premier cas, le jeune rompt avec l’école sans avoir obtenu de diplôme. Dans le second cas, l’élève ne rompt pas avec l’école bien qu’il se tienne à distance d’elle. Plusieurs portraits se dessinent alors. L’élève dont l’absence est perlée et qui prend progressivement goût à l’école buissonnière (Douat, 2011). Il quitte l’école, y revient de temps à autre et du coup met en difficulté l’équipe éducative qui ne parvient pas malgré ses efforts à le raccrocher. Le phobique scolaire qui craque lorsque la pression est trop forte. La victime de violence à l’école ou de cyber-harcèlement qui n’ose revenir sur les lieux de ses souffrances. L’élève reconnu handicapé qui a du mal à suivre les enseignements au fur et à mesure qu’il gravit les échelons scolaires. Le « quiet dropout » qui après avoir ici et ailleurs en toute discrétion, après avoir été là sans y être parfaitement disparaît sans bruit de sorte que personne ne remarque son départ. L’élève qui vit l’école comme une injustice et une humiliation alors qu’il est en demande de respect et de confiance. En réaction, il choisit de se ranger dans la catégorie des perturbateurs, ce qui donne l’occasion de renverser le stigmate dont l’école l’affuble et permet de compenser la frustration vécue. Expulsé temporairement puis définitivement à cause de son comportement ou de son absentéisme, il devient un « pushout » lorsque la rupture est consommée. L’adolescent et l’adolescente qui fléchissent sur le plan scolaire lorsque toute leur attention est centrée sur leur développement personnel. La modification profonde à laquelle leur corps est en proie est vécue comme une trahison, et amène cette expérience corporelle à l’adolescence à dominer l’expérience scolaire. Au final, les causes du décrochage devraient conduire à des portraits qui ont la vertu de simplifier le phénomène, et ce faisant de faciliter la lutte contre le décrochage. Or, il existe une diversité des chemins, plus ou moins sinueux, qui mènent au décrochage. En effet, les causes du décrochage sont multiples, allant de la grande difficulté scolaire précoce à l’orientation subie. Le décrochage peut être aussi imprévisible lorsqu’un élève brillant au collège s’effondre au lycée. Ce qui rend difficile le repérage en amont des élèves susceptibles de décrocher. Somme toute, le décrochage rassemble des portraits dont le contenu, à la fois singulier et collectif, révèle l’expérience scolaire et sociale des décrocheurs.

Les dispositifs de lutte contre le décrochage et leur efficacité6

  • 6 Cette partie puise au rapport d’octobre 2011 de la mission permanente d’évaluation de la politique (...)

10Les dispositifs de lutte contre le décrochage scolaire sont de deux ordres : scolaires lorsqu’ils visent une (re)socialisation par la forme scolaire ou qu’ils conçoivent la transmission des savoirs par une approche pédagogique innovante, professionnels lorsque le monde de l’entreprise est mis à contribution et que la formation est professionnalisante. Les dispositifs relais et les établissements de réinsertion scolaire (ERS) appartiennent au premier registre. Les premiers accueillent temporairement des élèves en rejet de l’école qui se signalent par des manquements graves au règlement intérieur, un absentéisme chronique, et une forte démobilisation scolaire. La coopération avec le ministère de la Justice (direction de la Protection judiciaire de la jeunesse), les collectivités territoriales et les associations doit permettre à l’élève de reprendre un parcours de formation générale ou professionnelle tout en poursuivant l’objectif de constitution du socle commun des connaissances. À la différence des dispositifs relais, les ERS sont dotés d’un internat implanté au sein d’un collège. Les ERS s’adressent aux collégiens âgés de 13 à 16 ans qui ne relèvent ni du handicap ni d’un cadre pénal relatif à l’enfance délinquante mais qui ont comme caractéristiques d’avoir un comportement très perturbateur occasionnant de fréquentes exclusions voire une exclusion définitive. Ils sont pris en charge sur une durée plus longue que les dispositifs relais dans l’objectif de les amener à la maîtrise du socle commun de connaissances et de compétences dans un cadre propice aux apprentissages scolaires et aux règles de vie sociale. La réflexion sur le cadre pédagogique est menée aussi dans des structures dérogatoires de l’Éducation nationale (le collège et lycée élitaire pour tous [CLEPT] basé à Grenoble, le collège Clisthène de Bordeaux, le pôle innovant lycéen à Paris, etc.). Le travail au sein de ces structures vise à redonner du sens aux apprentissages par un décloisonnement entre disciplines, des rythmes scolaires redéfinis selon le principe du temps mobile, des groupes de tutorat, une citoyenneté scolaire qui favorise la participation effective des élèves à la vie de leur établissement (Goémé, Hugon et Taburet, 2012 ; Cédelle, 2008).

  • 7 Le Livre Blanc précise que : « Les dispositifs pédagogiques, souples et innovants, sont flexibles, (...)
  • 8 Ces compétences, prévues par les accords de Lisbonne, sont considérées comme nécessaires pour tous (...)
  • 9 Dans le champ de l’enseignement privé, l’association d’enseignement confessionnel Les Apprentis d’ (...)

11Les écoles de la seconde chance (E2C) relèvent du registre professionnalisant. Elles sont nées d’une initiative européenne et formalisée dans le Livre Blanc Enseigner et apprendre. Vers une société cognitive présenté en 1995. Elles doivent assurer l’insertion professionnelle et sociale, par l’éducation et la formation, des jeunes adultes de 18 à 25 ans sortis sans diplôme du système scolaire depuis plus d’un an et qui sont sans qualification ni expérience professionnelle. Le lien fort des E2C avec le monde des entreprises et leur méthode pédagogique axée sur l’alternance entre l’école et l’entreprise les distinguent des autres dispositifs7. L’implication des collectivités locales, des acteurs économiques et des acteurs sociaux est demandée afin que l’objectif d’acquisition du socle des connaissances et compétences fondamentales8 ainsi que l’intégration dans le monde du métier soient atteints. Les E2C sont réparties sur 70 sites et 35 départements et accueillent environ 11 600 jeunes le plus souvent orientés par les missions locales. Ces derniers signent à leur entrée dans ce dispositif un plan d’engagement de formation individualisé, et la fin de leur parcours doit être sanctionnée par la reconnaissance d’un portefeuille de compétences. La formation, qui dure entre 6 à 24 mois selon le temps nécessaire au jeune pour acquérir les savoirs et les compétences utiles à l’insertion professionnelle, se termine par un certificat qui indique son niveau de compétences et sert de passeport pour entrer dans la vie active. Pendant toute la durée de sa scolarité, il est rémunéré au titre de la formation professionnelle. Bien que placé sous la triple tutelle des ministères chargés de la Défense, de l’Emploi et de la Ville, l’établissement public d’insertion de la défense (EPIDE) poursuit des objectifs similaires. Créé par l’ordonnance no 2005-883 du 2 août 2005 relative à la mise en place au sein des institutions de la Défense d’un dispositif d’accompagnement à l’insertion sociale et professionnelle des jeunes, son rôle est d’accueillir en internat la semaine des jeunes de 18 à 22 ans sans qualification pour une durée totale n’excédant pas 24 mois. La différence entre l’EPIDE et l’E2C9 tient dans l’organisation d’inspiration militaire et l’internat proposés par le premier tandis que la seconde est axée sur l’alternance formation-entreprise et l’individualisation des apprentissages. L’EPIDE traite par conséquent, dans une approche collective, les problèmes sociaux (logement et santé) et comportementaux (discipline) qui empêchent les jeunes de suivre un parcours de formation ou en entreprise dans de bonnes conditions. Il vise une éducation totale par des règles de vie extrêmement codifiées (lever à heure fixe, rassemblement par section avant les cours, marche au pas, etc.) bien que recrutant des profils d’encadrement diversifiés (militaires, enseignants du privé, intervenants extérieurs).

12À ces structures s’ajoutent des dispositifs institutionnels chargés de repérer, orienter et suivre les décrocheurs. Les missions de lutte contre le décrochage scolaire (MLDS), structures directement rattachées aux rectorats, ont une action préventive ou d’accompagnement du jeune vers l’emploi, des actions qualifiantes, une préparation à l’examen par alternance, un itinéraire personnalisé d’accès à la qualification et au diplôme. En complément des MLDS, les plates-formes de suivi et d’appui aux décrocheurs mises en place depuis 2011 assurent une coordination des acteurs locaux intervenant dans le champ de la formation, de l’orientation et de l’insertion des jeunes. Ces plates-formes s’adressent aux 16 à 18 ans qui en conséquence ne sont plus soumis à l’obligation scolaire, mais sont trop jeunes pour les dispositifs d’insertion des missions locales ou pour intégrer un emploi.

Figure 2. – Les dispositifs de lutte contre le décrochage. Répartition selon les apprentissages scolaires et les apprentissages professionnels

  • 10 Voir Réseau des écoles de la 2e chance, activité 2010 et perspective, mars 2011, téléchargeable : (...)
  • 11 Voir le rapport fait au nom de la commission des affaires culturelles et de l’éducation sur la pro (...)

13En ce qui concerne l’efficacité des dispositifs, les données disponibles mettent en lumière des effets positifs quoique mitigés. Sur l’ensemble des écoles de la 2e chance, le taux de sortie positive est de 60 % : 22 % en emploi signent un contrat de travail en CDD ou CDI, 22 % sont en formation qualifiante, 13 % sont en contrat de travail en alternance, et 3 % en contrats aidés. La moitié des sorties sans solution sont des abandons pour des raisons diverses (maternité, incarcération, maladie, etc.)10. Ce taux de sorties positives est calculé sur la base des jeunes qui ont franchi la période d’essai et se sont engagés dans la formation. Dès lors que le calcul porte sur le nombre total de jeunes entrés en période d’essai, le nombre de sorties positives serait de 45 % soit moins de la moitié des jeunes accueillis qui finissent par accéder à un emploi durable. À l’instar des E2C, les EPIDE connaissent un taux d’attrition au moment de la période d’intégration (lors des deux premiers mois) de 22 % environ de jeunes. Sur une année, et selon la définition retenue, le taux de déperdition11 est en moyenne de 35 % et le taux d’insertion positive (contrat d’emploi, contrat de formation professionnelle, ou contrat d’apprentissage) avoisine en 2010 les 40 % (alors qu’il est de 32 % en 2008 et de 34 % en 2009) tandis que le taux de jeunes ayant accompli leur temps de formation et sortis sans issue positive est de 8,1 % en 2010.

  • 12 À titre d’exemple, l’enquête de Pierre-Yves Bernard (2008) sur les MGI pointe la diversité des pub (...)
  • 13 Sur ce point, voir la contribution de Pierre-Yves Bernard au présent livre.

14On le voit, la lutte contre le décrochage est dispersée et mobilise soient des dispositifs scolaires (dérogatoires pour la plupart) soient des structures qui sortent du champ scolaire. Cette diversité peut être profitable au décrocheur si elle lui permet de trouver une solution rapide grâce à une offre élargie. Elle peut être aussi une entrave à la lisibilité voire à la cohérence d’un plan d’ensemble de lutte contre le décrochage. Cette diversité témoigne par ailleurs de la grande hétérogénéité du public ciblé ainsi que la multiplicité des situations et des trajectoires des personnes décrocheuses12. Par ailleurs, les moyens mis au service de la lutte contre le décrochage souffrent d’une différence d’allocation selon le contexte d’élaboration d’un plan d’action. Les E2C sont implantées dans les régions nord-est et sud-est, l’ouest et le sud-ouest n’en disposant pratiquement d’aucune ; quatre régions (Auvergne, Limousin, Languedoc-Roussillon, Midi-Pyrénées) n’ont pas d’EPIDE. De plus, le coût du foncier et l’implantation des sites dans des zones distantes des centres urbains et d’activités économiques sont des obstacles au renforcement des partenariats locaux et éloignent l’établissement du public qui est le sien. La durée de la prise en charge du décrocheur peut être ponctuelle (un entretien et une orientation ad hoc par la MLDS) ou limitée à 24 mois. En outre, certains dispositifs (EPIDE, E2C, CLEPT) doivent leur réussite à l’engagement et au dévouement du personnel. Le départ d’un intervenant et son remplacement par une personne aussi motivée et dotée d’un sens de l’engagement identique peuvent représenter un problème. Plus avant, le fort engagement du personnel est un facteur de sa réussite et dans le même temps sa première faiblesse. Ces structures souffrent en effet d’une difficulté à recruter du personnel motivé et expérimenté. La question se pose alors de l’inscription dans la durée d’un dispositif qui, malgré ses financements, ne peut se passer de personnalités fortes. Enfin, la multiplicité des acteurs qui interviennent dans ce champ est aussi un obstacle à la bonne mise en œuvre d’une politique publique dès lors que la logique concurrentielle ou corporatiste l’emporte sur une stratégie concertée. Parfois, c’est moins le nombre d’intervenants qui est un obstacle que le traitement du décrochage par une administration centrale prescriptive d’un partenariat local (Bernard, 2008). C’est le cas à Nantes avec l’expérimentation ESPADON-J2S13. En Aquitaine, le projet « persévérance scolaire » lancé en 2008 par le conseil régional ciblait trois territoires pour mener une expérimentation sur la persévérance scolaire par le travail en réseaux des opérateurs et par un dispositif informatisé de suivi des élèves. Le projet avorte quand sont créées les plates-formes de suivi et d’appui aux décrocheurs et le SIEI. Dans ces deux régions, la mise en œuvre des dispositifs nationaux sonne le glas des expérimentations locales en même temps qu’elle réaffirme le pouvoir de l’administration centrale.

Stratégie européenne et désordres urbains en France

  • 14 Cf. [http://www.youthforum.org/images/stories/Documents/Education/0052-08FR-FINAL_earlyschooleavin (...)

15La mise en œuvre et la coordination des dispositifs locaux et nationaux de lutte contre le décrochage dépendent pour une part des politiques européennes de lutte contre l’abandon scolaire qui prennent une orientation nouvelle dès mars 2000. Le processus de Lisbonne amorcé en mars 2000 limite à 10 % la proportion de jeunes de 18 à 24 ans sortant du système scolaire sans avoir obtenu au moins un diplôme de second cycle de l’enseignement secondaire et ne poursuivant pas d’études. Quelques années plus tard, la « Stratégie Europe 2020 » rappelle l’objectif de 10 % la proportion d’abandon scolaire d’ici 2020 et fixe le diplôme du second cycle du secondaire comme le minimum requis par l’Union européenne. Pour le Conseil européen, la lutte contre le décrochage permet d’augmenter le nombre de travailleurs contribuant à la production des biens et des services et participant à la circulation des marchandises. En outre, le maintien des jeunes dans les circuits scolaires ou de formation soulage les circuits d’assistance sociale d’un nombre appréciable de bénéficiaires et diminue d’autant le montant des dépenses publiques consacrées à l’aide sociale. Le forum européen de la jeunesse en 2008 pointe que les décrocheurs sont plus susceptibles que d’autres citoyens de dépendre de l’assistance sociale et de programmes sociaux pendant toute leur vie, qu’ils ont une espérance de vie plus courte de 9,2 ans par rapport aux diplômés de l’enseignement supérieur, enfin que les déviances et les conduites addictives sont plus élevées chez les jeunes qui arrêtent prématurément l’école14.

  • 15 Parlement européen, Direction générale des politiques internes, Département thématique des politiq (...)

16Sur un plan économique, le décrochage réduit la masse salariale, et ce faisant affaiblit la croissance économique dans la mesure où les revenus fiscaux sont moins élevés et que les services publics doivent supporter une plus lourde charge dans les domaines des soins de santé, de la justice pénale et des prestations sociales. Le Parlement européen, dans son document de politique structurelle et de cohésion, évalue les coûts du décrochage qui se hissent à une hauteur considérable : aux Pays-Bas, le coût du décrochage scolaire précoce atteindrait 1,8 million d’euros par carrière de 40 ans du décrocheur ; en Finlande, chaque jeune déscolarisé supposerait une dépense annuelle de 27 500 euros, ce qui représente sur 40 ans plus de 1,1 million d’euros pour l’ensemble de la carrière. Inversement, un jeune qui reste à l’école une année de plus peut gagner au cours de sa vie 70 000 euros en plus15. En cela, la « Stratégie Europe 2020 » s’inscrit dans un mouvement plus large de développement du capital humain conduit par l’OCDE :

« Ceux qui n’ont pas les compétences pour prendre leur place dans la société et dans l’économie engendrent des coûts plus élevés en matière de santé, d’aides sociales, de protection de l’enfance et de sécurité. » (OCDE, 2008.)

  • 16 La focalisation sur les problématiques urbaines ne fait pas oublier que le décrochage est aussi un (...)
  • 17 Le CNV note par ailleurs que les émeutes de 2005 « sont aussi l’expression du décrochage des polit (...)
  • 18 Voir le compte-rendu du Conseil des ministres du 19 janvier 2011.
  • 19 La loi du 28 septembre 2010 visant à lutter contre l’absentéisme scolaire prévoit qu’au-delà de qu (...)
  • 20 Dans les années 1970, l’Angleterre s’émeut des affrontements en deux bandes rivales de jeunes. Les (...)
  • 21 Rompre le lien entre décrochage et délinquance conduit à la mise au jour des déterminants sociolog (...)

17Si l’importance du décrochage en France se justifie donc par la stratégie européenne pour le développement humain qui oblige à repenser les modalités d’action gouvernementale envers le décrocheur, elle s’explique aussi par un arrimage du décrochage aux problèmes sociaux et urbains qui prirent une allure singulière depuis les émeutes urbaines de novembre 2005. On ne compte pas, souligne Dominique Glasman (2011) les dossiers de presse consacrés à l’absentéisme des élèves et au problème que représentent les élèves qui traînent dans la rue alors qu’ils devraient être à l’école : « L’orchestration médiatique du thème de la “déscolarisation” a accompagné sa montée comme problème public16. » Elle est relayée par une politique de prévention de la délinquance juvénile qui s’élabore en partie par le truchement du décrochage scolaire. Dans son avis sur les émeutes urbaines de novembre 2005, le Conseil national des villes (novembre, 2006) souligne qu’en Seine-Saint-Denis une forte proportion des mineurs déférés (85 sur 300) était en situation de décrochage familial et scolaire qui aurait justifié des signalements et des prises en charge17. Lors de son discours sur la jeunesse prononcé en Avignon en septembre 2009, le président de la République Nicolas Sarkozy annonce qu’une « “priorité absolue” est donnée aux jeunes en rupture avec le système éducatif, perdus entre 16 et 18 ans dans un “ triangle des Bermudes” administratif ». La connotation belliqueuse des termes employés (guerre sans merci contre le décrochage scolaire, jeunes qui partent à la dérive, un fléau contre lequel il faut lutter, etc.18) aide au franchissement de la frontière entre le tolérable et l’intolérable pour ensuite engager des moyens juridiques et institutionnels pour lutter contre l’absentéisme scolaire19 et repérer des décrocheurs. En montant d’un cran dans l’échelle des principes moraux, le décrochage rejoint les faits publiquement réprouvés, ce faisant alimente une panique morale. En cela, il entre dans le registre du Folk Devil (Cohen, 1972)20 par les métaphores belliqueuses et amorales qui s’articulent à la restitution de faits sinon surdimensionnés du moins l’apanage d’une partie de la population des décrocheurs. Alors que le décrochage ne peut être tenu comme la variable explicative des problèmes de délinquance (Janosz, 2001), le rôle de l’État est renforcé par le contrôle et le traitement d’une population désignée à risque21.

18Pour rattraper les sortants, la loi sur le niveau de qualification minimum est complétée par la loi contre l’absentéisme scolaire (loi no 2010-1127 du 28 septembre 2010) qui prévoit dans l’article 3 qu’

  • 22 Cette mesure va à rebours du constat établi par l’OCDE selon lequel le versement d’allocations aux (...)

« en cas de manquement à l’obligation d’assiduité scolaire, le directeur de l’organisme débiteur des prestations familiales suspend, sur demande de l’inspecteur d’académie, le versement de la part des allocations familiales due au titre de l’enfant en cause22 ».

19Le rapport Bockel de novembre 2010 remis au président de la République parle quant à lui d’un « décrochage scolaire conduisant à l’émergence d’une catégorie de jeunes sans repères, livrés à la rue, devenant des cibles privilégiées pour la délinquance et l’intégrisme religieux ». Le rapport rappelle ensuite un article du code pénal :

« Le fait par les parents d’un enfant ou de toute personne exerçant à son égard son autorité parentale ou son autorité de fait de façon continue, le fait de ne pas l’inscrire dans un établissement d’enseignement sans excuse valable en dépit d’une mise en demeure de l’inspecteur d’académie, se verra condamner à six mois d’emprisonnement et à 7 500 € d’amende. »

20La désignation des parents comme les fautifs de l’absentéisme est le prolongement d’une construction du problème public du décrochage qui reproche aux individus (les parents et le décrocheur) leur négligence sans faire jouer une imputation de responsabilité aux institutions.

Conclusion

  • 23 Cf. le discours de François Hollande sur le décrochage scolaire à Pierrefitte le 14 janvier 2012.

21À l’articulation de la dimension européenne et nationale, le décrochage scolaire est saisi par le prisme social du décrocheur comme une figure-repoussoir et le prisme économique du décrochage par la dépense trop coûteuse consacrée aux dispositifs de prise en charge des décrocheurs23. Le décrocheur est blâmé et les parents réprimandés mais l’école elle-même, dans son organisation et ses fonctions, n’est pas ou peu perçue comme une source de rupture. Or, les élèves à risque de décrochage ou qui décrochent cumulent des difficultés sociales, familiales et personnelles. Ces difficultés fragilisent les parcours, en particulier dans des contextes scolaires dégradés ou quand les relations au sein de la classe ou de l’établissement sont mauvaises. Le décrochage est aussi le résultat d’un processus scolaire qui se manifeste dans les quatre épreuves que l’élève n’a pas pu surmonter à l’école. La première épreuve concerne les apprentissages et les difficultés cognitives qu’éprouve l’élève à assimiler le contenu des savoirs dispensés par l’enseignant. La deuxième renvoie au sens de l’école construit par l’élève et qui l’amène à s’interroger sur les raisons de sa présence dans l’établissement, par voie de conséquence sur les motivations à rester dans le circuit scolaire. La troisième épreuve tient à l’orientation scolaire qui aiguille contre leur gré les élèves sur des voies qu’ils n’ont pas choisies ou qu’ils ressentent comme une incongruité. Enfin, la quatrième épreuve renvoie au malentendu sur les raisons du travail scolaire et la croyance qu’il suffit de se rendre à l’école pour s’acquitter de ses obligations scolaires.

22Considérées seules, ces causes sociales et scolaires ne sont pas définitivement handicapantes mais leur combinaison ajoutée à la personnalité de l’élève peut conduire à une rupture. C’est pourquoi l’imputation d’une responsabilité unique qui incomberait à l’élève, aux parents, aux pairs voire aux enseignants est trompeuse. Elles questionnent cependant la capacité de l’école de s’adapter à des publics pour lesquels les méthodes opérantes pour les uns sont inopérantes pour les autres. L’école devrait pouvoir aussi transposer en son sein les modèles éducatifs qui, outre l’acquisition des savoirs scolaires, redonnent confiance aux jeunes, les remotivent par une pédagogie et un parcours véritablement individualisés, ménagent des temps d’écoute. Pour l’heure, ces modèles pédagogiques sont l’apanage des dispositifs externes à l’école qui de surcroît relèvent d’un régime dérogatoire.

23Peut-on demander à l’école de réparer ce qu’elle a causé au risque de faire revenir les décrocheurs dans un corridor de stigmatisation ou de rejet définitif de la forme scolaire ? Si l’objectif de « rescolarisation » répond bien à l’impératif de raccrochage des élèves par l’école elle-même, il ne peut être atteint sans la prise en compte de la « dynamique des interactions entre plusieurs registres de “fabrication” du décrochage de l’intérieur » (Bautier et al., 2002). Le travail de remédiation porte ici sur le contrat didactique puisqu’il s’agit de traiter le malentendu sociocognitif par les différents registres des apprentissages et les multiples rapports aux savoirs scolaires. Ce qui suppose en conséquence de cerner d’abord les pratiques institutionnelles et enseignantes pour ensuite traiter les difficultés proprement scolaires des élèves. La démarche consiste à faire de l’école son propre recours puisque l’attention portée à l’histoire des apprentissages ainsi qu’aux manifestations comportementales des troubles scolaires permet de lever ce malentendu. Cette approche par les savoirs est nécessaire sans être suffisante puisque les causes du décrochage ne sont pas seulement scolaires. Pour le dire autrement, le lien entre décrochage et échec scolaire n’est pas établi, et des élèves en réussite scolaire peuvent décrocher. De plus, le lien entre décrochage et indiscipline est moins fort qu’il n’y paraît. Pour ceux-là, des dispositifs d’externalisation des moyens sont nécessaires. En sorte que le raccrochage, pour être effectif, doit être indexé plus généralement à la proposition immédiate d’un éventail de solutions conforme à la diversité des situations de décrochage. Les dispositifs ont une efficacité relative mais le nombre d’élèves en déscolarisation ou en rupture scolaire est trop important pour être absorbé par les structures existantes. Leur augmentation est une voie difficile à tenir tant le coût d’un dispositif est important et le ratio par jeune accueilli élevé. La tentation est grande de faire de l’école le seul levier de la lutte contre le décrochage scolaire alors qu’une part du raccrochage consiste à éviter l’incongruité d’une solution consistant à faire revenir à l’école les jeunes qui la quittent parce qu’ils considèrent qu’elle est la cause de leur échec. Si la lutte contre le décrochage s’appuie uniquement sur une école que l’on voudrait rédemptrice sans qu’elle change son organisation et son fonctionnement, elle continuera d’être vécue comme une injustice, une perte de temps ou un ennui profond. Le décrochage est aussi une fuite personnelle, et il y a des décrocheurs pour qui partir c’est vivre un peu.

Bibliographie

Bibliographie

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Notes

1 Voir le décret du 31 décembre 2010 et la circulaire no 2011-028 du 9 février 2011 (MEN-DGESCO). Le niveau IV inclut les sortants de formation secondaire de niveau baccalauréat ou brevet de technicien. Le niveau V diplômé inclut les personnes ayant obtenu un BEP ou CAP. Le niveau V non diplômé représente les élèves n’ayant pas obtenu leur BEP ou CAP ainsi que les élèves sortants avant la classe terminale. Le niveau V bis regroupe les élèves ayant poursuivi leurs études pendant au moins un moins en BEP, CAP, 4e préparatoire ou 3e générale. Le niveau VI rassemble les élèves sortants sans au aucun diplôme à la fin de la scolarité obligatoire.

2 Voir le rapport de l’Inspection générale de l’éducation nationale et de l’Inspection générale de l’administration de l’éducation nationale et de la recherche, Sorties sans qualification. Analyse des causes, des évolutions, des solutions pour y remédier, no 2005-074, juin 2005.

3 En 1990, 44 % d’une génération avait obtenu son baccalauréat, qu’il soit général, technologique ou professionnel. En 2003, ce taux atteint 63 % de la génération. En 2008-2009, en France, le taux de scolarisation passe de 98 % à l’âge de 15 ans à 94 % à 16 ans et à 90 % à 17 ans.

4 Voir Becker G., « Investment in Human Capital: A theoretical Analysis », Journal of Political Economy, vol. 70, 1962, p. 9-49.

5 Voir la contribution de Mathias Millet et Daniel Thin.

6 Cette partie puise au rapport d’octobre 2011 de la mission permanente d’évaluation de la politique de prévention de la délinquance : La lutte contre l’absentéisme et le décrochage scolaires.

7 Le Livre Blanc précise que : « Les dispositifs pédagogiques, souples et innovants, sont flexibles, individualisés et laissent une part importante à l’outil informatique. L’alternance est au cœur du dispositif qui a pour objectif de privilégier la maîtrise des savoirs de base (lire, écrire, compter, notions d’une langue étrangère, pratique de l’informatique) tout en faisant découvrir au jeune le monde de l’entreprise dont la connaissance va l’aider à trouver sa voie. La méthode consiste en une approche individualisée qui outre les savoirs dispensés, s’adresse à la personne tout entière. » Elles constituent les compétences clés du capital culturel, du capital social et du capital humain (cf. Recommandation 2006/962/CE du Parlement européen et du Conseil du 18 décembre 2006 sur les compétences clés pour l’éducation et la formation tout au long de la vie).

8 Ces compétences, prévues par les accords de Lisbonne, sont considérées comme nécessaires pour tous dans la société de la connaissance. Elles comprennent : la communication dans la langue maternelle, la communication dans une langue étrangère, la culture, la mathématique et les compétences de base en sciences et en technologies, la culture numérique, apprendre à apprendre, les compétences interpersonnelles, interculturelles et sociales, l’esprit d’entreprise, l’expression culturelle.

9 Dans le champ de l’enseignement privé, l’association d’enseignement confessionnel Les Apprentis d’Auteuil axe une partie de ses missions sur la lutte contre le décrochage scolaire par le biais des dispositifs expérimentaux. L’association accueille les jeunes en internat et leur propose des cours théoriques, des ateliers manuels, des ateliers d’expression, des ateliers sportifs et des sorties culturelles.

10 Voir Réseau des écoles de la 2e chance, activité 2010 et perspective, mars 2011, téléchargeable : [http://www.fondatione2c.org/upload/module/attribute/0401_ACTIVITE_2010_ET_PERSPECTIVES.pdf].

11 Voir le rapport fait au nom de la commission des affaires culturelles et de l’éducation sur la proposition de loi, adoptée par le sénat, tendant à abroger la loi du 28 septembre 2010 visant à lutter contre l’absentéisme scolaire (disponible : [http://www.assemblee-nationale.fr/14/rapports/r0549.asp]), ainsi que le rapport sur le décrochage scolaire produit en octobre 2011 par la mission permanente d’évaluation de la politique de prévention de la délinquance (disponible sur [www.education.gouv.fr]).

12 À titre d’exemple, l’enquête de Pierre-Yves Bernard (2008) sur les MGI pointe la diversité des publics passés par ce dispositif et ce faisant délave l’image stéréotypée du jeune délinquant livré à lui-même. Les résultats font état de jeunes en rupture scolaire issus d’horizons sociaux différents même si la majorité est issue de milieux populaires.

13 Sur ce point, voir la contribution de Pierre-Yves Bernard au présent livre.

14 Cf. [http://www.youthforum.org/images/stories/Documents/Education/0052-08FR-FINAL_earlyschooleaving.pdf].

15 Parlement européen, Direction générale des politiques internes, Département thématique des politiques structurelles et de cohésion, Réduire le décrochage scolaire précoce dans l’Union européenne, étude 2011. Disponible : [http://www.europarl.europa.eu/committees/en/cult/studiesdownload.html?languageDocument=FR&file=44128].

16 La focalisation sur les problématiques urbaines ne fait pas oublier que le décrochage est aussi un phénomène qui touche les élèves des zones rurales.

17 Le CNV note par ailleurs que les émeutes de 2005 « sont aussi l’expression du décrochage des politiques de droit commun tant en termes d’organisation du service public que des moyens qui lui sont attribués ».

18 Voir le compte-rendu du Conseil des ministres du 19 janvier 2011.

19 La loi du 28 septembre 2010 visant à lutter contre l’absentéisme scolaire prévoit qu’au-delà de quatre demi-journées d’absence non justifiées sur une période d’un mois, le chef d’établissement doit faire parvenir un signalement à l’inspecteur d’académie qui doit convoquer les parents pour leur signifier un avertissement et leur proposer un mécanisme d’accompagnement sous la forme, notamment, d’un contrat de responsabilité parentale conclu entre les parents et le conseil général. Si dans le mois suivant une nouvelle absence injustifiée est constatée, le versement des allocations familiales est suspendu (outre la loi du 28 septembre 2010, voir aussi la loi no 2013-108 du 31 janvier 2013 tendant à abroger la loi no 2010-1127 du 28 septembre 2010 visant à lutter contre l’absentéisme scolaire. Disponible sur le site Légifrance : [http://www.legifrance.gouv.fr].

20 Dans les années 1970, l’Angleterre s’émeut des affrontements en deux bandes rivales de jeunes. Les affrontements entre les Rockers et les Mods donnent l’occasion au débat public de se polariser sur la jeunesse et aux médias de dessiner l’image des jeunes comme un fléau social.

21 Rompre le lien entre décrochage et délinquance conduit à la mise au jour des déterminants sociologiques qui agissent sur le décrochage ainsi que des processus qui agissent sur le décrochage sans conduire inéluctablement à la délinquance (Esterlé, 2007 ; Douat, 2012).

22 Cette mesure va à rebours du constat établi par l’OCDE selon lequel le versement d’allocations aux familles pauvres pour les enfants d’âge scolaire peut réduire le décrochage dans le deuxième cycle du secondaire (Field S., Kuczera M. et Pont B., En finir avec l’échec scolaire. Dix mesures pour une éducation équitable. Synthèse et recommandations aux pouvoirs publics, OCDE, 2008).

23 Cf. le discours de François Hollande sur le décrochage scolaire à Pierrefitte le 14 janvier 2012.

Table des illustrations

Légende Source : Eurostat, EFT, 2010.Figure 1. – Pourcentage de la population âgée de 18 à 24 ans dont le niveau d’études ne dépasse pas le premier cycle de l’enseignement secondaire et ne poursuivant ni études ni formation (données 2009)
URL http://books.openedition.org/pur/docannexe/image/68292/img-1.jpg
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Légende Figure 2. – Les dispositifs de lutte contre le décrochage. Répartition selon les apprentissages scolaires et les apprentissages professionnels
URL http://books.openedition.org/pur/docannexe/image/68292/img-2.jpg
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