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Les finances royales dans la monarchie espagnole

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Anne Dubet

Première partie. Gouverner les finances royales

Chapitre III. Gouverner le Portugal et administrer les finances portugaises au temps de Philippe III

Fernanda Olival
Traduction de David Felismino

Texte intégral

  • 1 BNE, Ms. 2348, fol. 76 vº.

1Un texte de 1613 déplorait que l’on n’ait jamais autant travaillé au Portugal que pour la réforme des finances 1. En effet, ce fut l’une des préoccupations principales au Portugal du temps de Philippe III.

2Pour le centre politique castillan, le Portugal était une unité politique dotée de vastes ressources, mais son rattachement à la monarchie représentait une duperie financière. Il n’était plus autosuffisant et avait besoin, malgré l’immensité de son empire colonial, des ressources castillanes. Cela devint encore plus évident au début du règne de Philippe III, dix-huit ans après le rattachement du Portugal à la Couronne voisine. C’était l’un des maux à guérir. Dans son Discurso político al rey Felipe III al comienzo de su reinado, Álamos de Barrientos avisait :

  • 2 Álamos de Barrientos : 1990, p. 105-106.

« Il est fort grave que ce royaume (le Portugal) qui entretenait et enrichissait ses rois, consomme désormais non seulement ses propres revenus pour sa propre conservation, tout comme j’ai ouï dire, mais aussi plus de cinq cent mille ducats tirés des recettes castillanes. Si cela dure, c’est ce que nous coûteront les royaumes agrégés à cette Couronne, et Votre Majesté deviendra bien plus leur tributaire que leur roi. Il est impossible qu’un pouvoir légitime, acquis par succession, comme celui-ci, soit durable s’il ne le paraît en tout et n’est traité comme tel 2. »

3Le nouveau règne s’efforça de réformer et d’équilibrer les finances portugaises. Cependant, la tâche était difficile. Si les finances de la monarchie n’allaient pas bien, la situation portugaise était bien pire. Plusieurs contemporains avaient conscience de ce problème.

4Nous étudierons les modalités et les fondements de ces interventions, qui furent aussi bien le fait de la Couronne que de certains individus, dans plusieurs domaines. De quelle manière tenta-t-on – avec ou sans succès – de remédier aux maux portugais ?

La crise de la route du Cap de Bonne Espérance

La concurrence sur mer : à la recherche de l’autosuffisance de l’Empire Oriental

5En Espagne, c’était l’ampleur de l’effort de guerre qui vidait les coffres. Les nombreux fronts ouverts au nom de l’affirmation du catholicisme des Habsbourg dilapidaient les trésors des galions venus d’Amérique. Même le pacifisme défendu par Philippe III et son favori, le Duc de Lerme, dès le début du xviie siècle ne résolut pas le problème. La Trêve signée pour douze ans avec la Hollande (1609) avait un coût et permettait de mener la guerre sur un front plus discret et moins dispendieux, l’Afrique du Nord. La monarchie, qui avait bien des difficultés à s’habituer aux grands océans, renouait ainsi avec son ambition de contrôler la Méditerranée. Mais en même temps, il lui fallait mener la guerre sur les côtes atlantiques de l’Afrique du Nord pour faire face aux corsaires qui harcelaient les flottes des Indes occidentales et orientales.

  • 3 Magasin royal, servant de douane et de dépôt de marchandises pour le commerce d’exportation et d’i (...)
  • 4 Godinho : 1978, p. 244.

6Dans le cas portugais, la crise financière venait surtout de la décadence de la route du Cap. Godinho résume ces changements à partir des indicateurs suivants : « Au lieu de 25 000 ou 30 000 quintaux d’épices, comme entre 1570 et 1595, Lisbonne en recevait à peine 7 895 en 1 597, 10 500 en 1617 ; la moyenne de cette nouvelle période se situait entre 7 500 et 10 000 quintaux. » La recette de la Casa da Índia3 était en moyenne de 700 000 cruzados, alors qu’elle avait atteint auparavant un million et demi 4. Les dégâts étaient significatifs.

  • 5 Valladares : 2001, p. 17.

7En 1591, les Anglais commencèrent à fréquenter l’Inde orientale et, quatre ans plus tard, ce fut au tour des Hollandais de passer le Cap de Bonne Espérance. Cela marqua le début de la fin de la politique de mer fermée des Couronnes péninsulaires. La concurrence venait ainsi se joindre à l’activité des corsaires et aux difficultés d’obtention du numéraire indispensable. Durant les années 1590, les vaisseaux hollandais envoyés en Asie furent plus nombreux que ceux sortis de Lisbonne : 65 contre 46. Par ailleurs, le pourcentage de vaisseaux portugais ne revenant pas à Lisbonne augmenta considérablement. Au début du xviie siècle, la pénétration portugaise au Siam fut freinée par l’arrivée des Hollandais et par les difficultés des Espagnols et des Portugais à s’entendre, comme le montre le conflit dont les Moluques firent l’objet 5.

  • 6 ANTT, CSV, Lº17, fol. 71.
  • 7 ANTT, CSV, Lº17, fol. 111-111v.
  • 8 ANTT, CSV, Lº16, fol. 31.
  • 9 ANTT, CSV, Lº17, fol. 28.
  • 10 Lobato : 1999, p. 163.

8Les conséquences de la concurrence maritime étaient nombreuses. En 1604, Philippe III instruisait le vice-roi de l’Inde de la nécessité d’éviter que les vaisseaux de retour au Royaume mouillent à Sainte-Hélène. L’expérience avait démontré que les Hollandais fréquentaient assidûment l’île 6. Dans ses instructions secrètes de 1606, le vice-roi du Portugal, don Pedro de Castilho, priait le corrégidor des Açores de détourner les vaisseaux sortant de l’archipel ou de passage vers une autre route pour qu’ils ne croisent pas les embarcations hollandaises 7. Entre 1576 et 1597, le commerce du poivre fut presque toujours adjugé aux particuliers portugais et étrangers. L’achat du produit dans les marchés orientaux et les dépenses de transport jusqu’à son entrée à la Casa da Índiade Lisbonne étaient aux frais des contractants. Néanmoins, à partir de 1597, plus personne n’osa se hasarder dans l’affaire. Les profits n’étaient pas garantis et les risques augmentaient. Au mois d’août 1599, les Gouverneurs de la Casa da Índiasiégeant à Lisbonne résumaient aux conseillers d’État les nouvelles venues de Hollande : « Quatre vaisseaux hollandais en provenance d’Inde sont entrés à Amsterdam, bien chargés d’épices, et la correspondance reçue nous informe que, après leur arrivée, le prix était déjà tombé d’un quart à Éden 8. » La concurrence se manifestait ainsi sur la scène européenne. En mars 1605, Philippe III écrivait au vice-roi de l’Inde don Martim Afonso de Castro, le priant de commander personnellement une escadre jusqu’à Malacca et autres « parages du Sud » pour expulser les Hollandais du commerce local 9. Cette même année, les Hollandais s’emparèrent toutefois des forteresses d’Amboine et Tidore et devinrent les maîtres du commerce du clou de girofle aux Moluques 10.

9La « Trêve de Douze Ans » avec les Provinces Unies (1609) marqua un autre revers. On n’arriva pas à éloigner les Néerlandais des Indes, surtout orientales, la Compagnie hollandaise (VOC) dominant incontestablement cette route commerciale dès 1610. Le Portugal ne parvint qu’à maintenir son monopole de la cannelle de Ceylan. À cette époque, la cargaison des navires se composait, de plus en plus souvent, de tissus (soieries et cotons), porcelaines et autres produits du genre, le commerce des épices (la cannelle exceptée) étant de moins en moins lucratif pour les marchands portugais face à la concurrence du Nord de l’Europe.

  • 11 Matos : 1985.

10Depuis la fin du xvie siècle, les recettes orientales de la Couronne décroissaient, même si les budgets de l’Estado da Índia(État de l’Inde) n’étaient pas déficitaires en raison de la manière dont on présentait les dépenses 11. C’étaient les profits de la Couronne qui diminuaient en réa- lité, l’obligation croissante d’augmenter les dépenses de défense aggravant la situation. Le monarque insistait, dans la correspondance adressée au vice-roi de Goa, sur la nécessité de contrôler les dépenses et d’augmenter les recettes en Orient.

  • 12 Godinho : 1987, III, p. 68.

11À l’occasion de la Trêve, on admit à Lisbonne la possibilité d’ouvrir le commerce des Indes à toutes les nations afin d’affronter les Hollandais sur le terrain commercial. Les marchands partageraient les bénéfices avec la Couronne, mais ce projet resta lettre morte 12.

  • 13 ANTT, CSV, Lº18, fol. 183.
  • 14 Valladares : 2001, p. 19-23.

12À la fin de la seconde décennie du xviie siècle, Madrid et Lisbonne tentèrent d’introduire l’impôt du Consulat aux Indes afin d’entretenir une flotte pour expulser les Européens réputés « étrangers » dans la région 13. C’était une tentative désespérée pour élever les recettes locales et réduire l’envoi de capitaux par Lisbonne. Toutefois, la Couronne essaya toujours et à tout prix d’éviter la connexion entre l’Amérique castillane et l’Asie majoritairement portugaise. Cette liaison était politiquement difficile, comme l’indiquait d’ailleurs la réactivation du conflit des Moluques depuis 1606, mais les résultats auraient été surprenants d’un point de vue économique 14. Si cette idée s’était concrétisée, Séville aurait alors été condamnée et le destin de Lisbonne aurait pu être bien différent. Pour la royauté, l’emprise des gouvernements péninsulaires sur le commerce en Asie et en Amérique était fondamentale pour son pouvoir.

Réduction des coûts et rémunération des services en Inde

13Il importait d’atteindre par d’autres biais l’autosuffisance de l’Empire Oriental, sans rompre son lien matriciel et structurant avec la métropole. On s’attaqua ainsi à la rémunération des services. Au Portugal, quiconque partait pour l’empire avec des charges administratives, militaires ou autres, le faisait toujours en vue d’obtenir des grâces du centre politique, en plus du paiement normal d’une solde ou d’un salaire. Petit à petit, le temps de service acquit le statut de bien patrimonial, permettant ainsi son aliénation ou même sa transmission à d’éventuels héritiers. C’était sur cette base que la Couronne accordait des distinctions et/ou des récompenses assorties de bénéfices financiers. Elle dépensait ainsi d’immenses ressources, mais cette économie de la récompense assurait la survie politique du Portugal et le maintien d’un empire vaste et dispersé.

  • 15 Olival : 2005.

14Néanmoins, Philippe III essaya d’éviter que ses serviteurs en Inde vinssent solliciter ces récompenses dans la Péninsule et que les grâces attribuées fussent métropolitaines. Cette double stratégie visait, d’une part, à maintenir les sujets dans leurs territoires et, d’autre part, à permettre que l’Orient se finance lui-même, les récompenses étant attribuées sur place. Les habits des Ordres militaires et les offices de la Maison du Roi faisaient exception, ne supposant pas une forte dépense. Les commanderies n’étaient guère concédées en récompense des services rendus en Orient, à l’exception de l’exercice de la vice-royauté 15.

  • 16 ANTT, MR, Lº480, fol. 123 ; ANTT, ML, 699, fol. 35v.
  • 17 ANTT, CSV, Lº17, fol. 69-69v.

15C’est dans cette politique que s’inscrivirent les directives de 1604-1605 qui prohibaient à quiconque de s’en retourner d’Inde sans licence du viceroi 16 et imposaient huit ans de résidence en Inde avant de pouvoir solliciter la rémunération de services. Cette condition devint aussi indispensable pour les nominations relevant du vice-roi. Ces huit années devaient être attestées par certificat des livres de matricule (c’est-à-dire, l’inscription pour servir dans des escadres ou des forteresses de frontière en échange de soldes et provisions), approuvé par ce représentant du monarque. Les obstacles mis aux déplacements des serviteurs du Royaume dataient de 1592, mais ces normes n’étaient pas toujours respectées, comme le révèle une lettre au vice-roi de mars 1605. C’est pourquoi elles devaient être actualisées 17. On insista à nouveau sur ce point en 1608, puis en 1610.

  • 18 Silva : 2000, II, p. 517.
  • 19 ANTT, CSV, Lº17, fol. 69v.

16En 1605, on établit de même qu’il n’y aurait d’examen des services rendus en Inde que les années d’entrée en fonction du vice-roi. En 1598, pratiquement pour les mêmes raisons, on avait ordonné que les services individuels ne soient examinés que tous les cinq ans, sauf si entre temps arrivait un nouveau viceroi 18. Une fois de plus, on essayait indirectement d’éviter les absences de serviteurs dans le Royaume et explicitement de résoudre les difficultés de paiement de certaines récompenses orientales. Espacer les attributions devint un moyen d’entretenir l’espoir des bénéficiaires des faveurs de pouvoir effectivement prendre possession des charges triennales attribuées 19. La jouissance en temps utile d’une grâce concédée devint bien plus difficile que son obtention.

  • 20 ANTT, CSV, Lº17, fol. 69.
  • 21 ANTT, MR, Lº 480, fol. 186-186v.

17Les vice-rois, quittant le Tage pour Goa, pouvaient dépenser jusqu’à 30 000 cruzadospar an en récompenses. S’y ajoutaient d’autres récompenses de la Couronne. Toutefois, en 1605, les trois vice-rois précédents ayant dépassé ce plafond, la métropole exigea la modération, vu les modestes revenus de l’État de l’Inde et le coût des escadres ordinaires et extraordinaires de surveillance et de défense 20. Néanmoins, trois ans plus tard, on augmenta cette somme de 10 000 cruzadosjusqu’à la fin de la « guerre du Sud 21 ».

  • 22 ANTT, ML, 699, fol. 80-80v.
  • 23 BNP, Pomb.122, fol. 338.

18En 1613, un brevet royal imposa aux vice-rois le paiement de toutes les faveurs qu’ils avaient distribuées en dépit de l’ordonnance 22, une façon de les discipliner. Cette même année, on se mit à exiger de ceux qui demandaient la rémunération de leurs services une feuille courante de la chambre des comptes (Casa dos Contos) de leur région de résidence habituelle 23. La mesure faisait apparaître au grand jour les dettes envers la Couronne de ceux qui s’en disaient les créanciers.

  • 24 BNP, Pomb. 122. fol. 339-339v.

19L’expectative de rémunération devint un instrument fortement disciplinaire permettant le contrôle des coûts de l’État de l’Inde. Ainsi, en novembre 1618, on ordonna aux capitaines de dresser un inventaire de l’artillerie, des armes et autres munitions de leurs forteresses. En fin de triennat, chacun conservait un certificat attestant la dévolution intégrale de ces biens. En cas d’infraction, on menaçait leurs propriétés et leurs prétentions aux récompenses royales 24.

La crise : diagnostics et remèdes

20Le Portugal vivait des recettes d’outre-mer depuis au moins un siècle. Une crise de ce secteur avait des conséquences internes profondes. La Castille traversait aussi une situation difficile et prétendait résoudre ses embarras en réduisant les coûts des territoires de la monarchie, dont elle tâchait de tirer plus de recettes. Au Portugal, on rappelait aux responsables politiques les urgences des finances, par tous les moyens, réunissant des juntes, proposant des avis, publiant des satires.

La perception des élites cultivées

  • 25 ANTT, ML, 1821.

21En 1607, Baltasar de Faria de Severim (Lisbonne, 1569 – Évora, 1625), chantre de la Cathédrale d’Évora, écrivit un long texte, resté inédit, intitulé : « Avertissements des moyens les plus efficaces et convenables qui existent pour le désengagement du patrimoine royal et la restauration du bien public de ces Royaumes du Portugal, sans oppression du peuple, et pour le bien commun de tous 25. » Le texte illustre la perception que les élites cultivées et la noblesse portugaise avaient de la question financière.

  • 26 Machado : 1741.

22Baltasar de Faria de Severim était l’un des douze fils d’un gentilhomme de la Maison de don Duarte (le fils cadet du roi don Manuel). Connaisseur du latin, du français et l’italien, il étudia le droit à l’université de Coimbra. Un de ses oncles lui transmit la chantrerie de la Cathédrale d’Évora, une bonne prébende. Jusqu’au moment de la rédaction du texte analysé, tout nous indique qu’il n’était sorti du Royaume que pour aller à Guadalupe, s’acquittant ainsi d’une promesse faite à l’occasion d’une épidémie de peste qui sévit à Évora en 1599 26. Bien que ce texte révèle son désir d’intervention politique, quelques années plus tard, il se recueillit dans un couvent d’Évora, s’éloignant ainsi du monde.

23Dans son adresse au lecteur, Faria de Severim commençait par distinguer son travail d’autres écrits de la même époque. Il faisait remarquer que les auteurs traitant du gouvernement politique, « que les modernes appellent Raison d’État », s’occupaient surtout des vertus des princes et de la convenance pour les monarques de posséder de nombreuses rentes et trésors, « sans pour autant indiquer de règles pour trouver les moyens d’atteindre ces objectifs ». En effet « ils ne donnent pas de remèdes pour obtenir cet argent et pour désengager les recettes actuellement engagées » (fol. 1v). C’est pourquoi il jugeait ces traités savants mais peu profitables aux monarques. Faria de Severim expliquait, au contraire, les causes des maux qui affligeaient le Portugal et offrait des solutions.

24Le chantre refusait l’idée que la décadence économique portugaise résultait du volume des dépenses actuelles (fol. 8v). Il expliquait, au contraire, l’insuffisance d’argent par deux autres causes moins récentes, datant de la seconde moitié du xvie siècle. Tout d’abord, l’aliénation excessive du patrimoine royal (villes, bourgs et rentes). Pour lui, « il existe au Portugal plus de six cent cinquante villes, bourgs et autres lieux de juridiction : desquels cent soixante-dix sont du ressort de la Couronne, et quatre cent quatre-vingts autres distraits de sa juridiction » (fol. 20v). À vrai dire, la Couronne ne conserverait guère que 26,1 % des villes et villages, le reste étant aux mains de tierces personnes. Néanmoins, les monarques portugais, au contraire des castillans, n’aliénaient que très rarement des juridictions importantes. Au début du xviie siècle, les exceptions étaient rares.

  • 27 Depuis 1564, les impôts sur achats et ventes étaient recouvrés par le biais d’abonnements imposant (...)
  • 28 Circonscription fiscale confiée à un agent du roi, l’almoxarife, chargé de percevoir des taxes sur (...)

25D’autre part, il signalait encore deux facteurs importants et responsables de la pénurie portugaise : d’abord, des consignations sur les recettes si élevées que le roi paraissait un intendant payant des intérêts aux rentiers ; ensuite, la fixation d’un prix pour l’abonnement des accises 27 des almoxarifados28 (fol. 11v, 13v-15). Les causes de la décadence étaient avant tout internes. Son point de vue personnel différait des propos des marchands. Faria de Severim présentait quelques solutions comme le firent d’autres penseurs de son époque. Il résolvait le premier mal diagnostiqué par la création aux Cortès d’une loi prohibant l’aliénation du patrimoine de la Couronne. Le roi devait rémunérer les services en numéraire ou en attribuant offices, honneurs et pensions viagères. En cas de nécessité, il devait préférer la demande extraordinaire d’argent aux Cortès, jouissant ainsi d’un droit régalien consigné dans les Ordonnances (Ordenações), à la vente de juros*, massive à l’époque (fol. 16v).

26Pour réduire les annuités des juros* jusqu’alors vendus, il suggérait une augmentation de la valeur des monnaies d’argent et d’or. Un emprunt auprès des commerçants permettrait d’obtenir le pécule initial pour l’opération. Cette mesure s’accompagnerait d’une seconde, la vente d’offices dépourvus de juridiction, puisque la vente d’offices assortis de juridiction serait interdite. Il justifiait : « Ces offices ne se donnent pas habituellement en récompense des services d’une personne, mais en jouissent ceux qui ont la faveur d’un tiers ou d’un Desembargador[conseiller d’une Cour de Justice]. Il n’est pas rare qu’ils soient accordés à des personnes ne sachant ni lire ni écrire » (fol. 33-33v). Il considérait que de nombreux offices seraient disponibles tous les ans, vu leur nombre élevé dans les villes et bourgs du Royaume, les trois Ordres militaires, les Îles, au Brésil, à Saint Georges de la Mine et au Cap Vert. Faria de Severim précisait néanmoins que le but n’était pas de priver de charges les fils des serviteurs méritants mais d’empêcher « seulement la vente de ceux qui se donnent traditionnellement sans l’intervention de Notre Majesté » (fol. 36-36v). Cette remarque était essentielle dans une dynamique politique où l’économie de la récompense avait un rôle significatif.

27Il proposait finalement une troisième solution pour que le monarque puisse s’acquitter des intérêts : la concession par cens emphytéotique des lezírias, de vastes terres fertiles situées sur les îles du Tage, entre Alhandra et Santarém. Ces terres étaient alors le plus souvent affermées à des laboureurs, les baux leur accordant un quart de la production. L’absence de contrôle de celle-ci était préjudiciable aux finances royales. Il était facile de fournir des données inférieures à la productivité réelle. Faria de Severim proposait, pour les futurs bénéficiaires de l’emphytéose, le paiement d’une rente annuelle équivalent à un revenu de 6,25 % du capital. Il calculait qu’on tirerait ainsi 640 000 000 réisdes lezírias.

28Quant à l’abonnement des accises, le chantre d’Évora prônait l’augmentation du montant à payer par commune. Il exposait diverses manières de le faire sans démanteler le système d’abonnements. Selon lui, il fallait aussi en finir avec l’affermage des douanes maritimes, des douanes intérieures et des madragues. La mise en régie directe, confiée aux trésoriers et autres officiers de la Couronne, était préférable (fol. 44-46v). L’affermage de ces recettes était, toutefois, un moindre mal face à l’ensemble des causes de la pénurie portugaise. À vrai dire, l’existence d’un nombre considérable d’intérêts consignés sur les recettes était une réalité bien plus préoccupante pour Faria de Severim.

29À propos des revenus d’outre-mer du Portugal métropolitain, il ne faisait allusion qu’à deux questions.

  • 29 « Des chaînettes de laiton et d’étain, des petits objets en laque, en cristal, des verroteries, de (...)

30Tout d’abord, il regrettait le contrat de Saint Georges de la Mine dont on ne parlait plus depuis plus de vingt ans, le croyant définitivement perdu. Il avait représenté jadis un coffre d’or par an, délivré par les Africains de cette région en échange de marchandises de peu de valeur et dont le monarque avait le monopole du transport. Quand les Allemands, les Anglais, les Français, les Flamands et surtout les Hollandais commencèrent à envoyer leurs navires chargés de ces produits, prohibés aux particuliers portugais 29, l’or qui arrivait à la forteresse était trop cher à cause de l’abondance des produits introduits par ces gens du Nord de l’Europe. Sans argent, on ne pouvait maintenir une armée de défense le long de la côte et on perdait ce revenu.

31Le mauvais gouvernement de l’État de l’Inde était un autre grand motif de la pauvreté de la Couronne portugaise. On aurait souhaité que le poivre fût acheté avec les revenus de cet État mais cela n’arriva jamais. La mauvaise distribution des soldes était une des raisons de la mauvaise gestion de l’Inde. En effet, le système de matricule était un échec, quand l’Inde comptait déjà, selon ses calculs, près de 20 000 hommes. Selon ses propres mots, aucun prince au monde n’avait des dépenses aussi élevées et inutiles. La plupart des hommes étaient disponibles au moment de recevoir une solde, mais jamais pour s’embarquer en service. On rémunérait même des défunts, des hommes vivant parmi les maures, des esclaves captifs, voire des mineurs ! Puisque les soldes à payer ne l’étaient pas toutes, en particulier celles des moins influents, on en venait à les vendre à un cinquième du prix en échange de liquidités immédiates.

32D’après le budget établi au temps de Philippe II, Faria de Severim exposait les nombres suivants : l’Inde avait un revenu de 214 800 000 réis, une dépense de 244 000 000 réis, et donc un solde négatif de près de 30 000 000 réis. Le roi, en tant qu’administrateur de l’Ordre du Christ, dépensait près de 25 800 000 réisen prébendes, revenus et autres frais d’entretien des religieux et des hôpitaux. Tout le reste était dévoré « par les salaires du vice-roi, des capitaines et des officiers des forteresses et des armées » (fol. 48v-49). Afin de colmater ce déficit, il suggérait de prélever des accises en Inde, au Brésil et dans les autres territoires d’outre-mer, où ces impôts n’existaient pas.

33En ce qui concerne le Royaume de Portugal, il critiquait aussi « les dépenses inutiles ». Tout d’abord, les pensions de la maison du roi (moradias) qui, selon lui, devaient être réservées aux officiers des finances, des armées ou au vice-roi. Il ajoutait qu’il n’y aurait pas de plaintes puisque ces pensions s’attribuaient toujours à titre gracieux « à des plaisantins, ou bien se vendaient aux commerçants pour un quart. Ce qui est fort peu avantageux pour ceux qui les reçoivent, et très préjudiciable aux finances de Notre Majesté qui finit par les payer aux rentiers » (fol. 51). La chapelle royale constituait, selon l’auteur, une autre source de dépenses superflues à cause des salaires, des ornements, de la cire et autres coûts que son existence impliquait. Il ne prônait pas sa suppression mais proposait de réclamer au Pape l’affectation à ces dépenses d’un pourcentage des revenus des églises du patronage royal.

34Outre la carence d’argent, le Portugal souffrait, selon Faria de Severim, d’un manque d’habitants tant dans la Métropole que dans l’Empire. Il pensait même à l’envoi d’étrangers pour résoudre ce problème. Cependant, ceux-ci ne pouvaient être castillans : ces derniers possédaient aussi de nombreuses conquêtes avec des difficultés semblables et les dissensions naturelles existantes entre nations limitrophes ne le permettraient pas. Il préférait les Italiens, qui n’avaient pas de colonies. Il envisageait aussi la création de compagnies de soldats mixtes où les étrangers ne représenteraient qu’un tiers ou un quart des effectifs. Les autres seraient portugais, tout comme les capitaines. Il s’inspirait dans ce cas de l’exemple des missionnaires jésuites qui avaient recours aux Italiens pour pallier le manque de religieux portugais. Faria de Severim mentionnait aussi les forteresses de Milan, de Naples et de Sicile, garnies de Castillans, d’Aragonais, de Portugais, de Basques et d’Italiens (fol. 66v-69).

35En somme, la nécessité de pourvoir à l’insuffisance d’argent et de personnes était un facteur décisif selon ce témoignage de 1607. Toutefois, ces questions renfermaient une critique évidente d’une politique fondée sur l’attribution excessive de récompenses et la vente interminable de juros* et sur un manque de courage pour modifier l’abonnement des accises et en finir avec la corruption existante en Orient. L’acquittement des intérêts et le désengagement des recettes constituaient, ainsi, la principale préoccupation de Faria de Severim. Une inquiétude fort répandue à l’époque.

La perception des hommes d’affaires

  • 30 Solis : 1622.

36L’opinion d’un négociant nouveau chrétien comme Duarte Gomes de Solis était un peu différente de celle de Faria de Severim. Il l’exposa à Philippe IV en 1622 30. Duarte Gomes était fils du négociant Jorge Rodrigues Solis et connaissait bien l’Inde. Il se présentait comme un bon connaisseur des rentes portugaises et castillanes.

  • 31 Solis : 1622, p. 105.
  • 32 Solis : 1622, p. 41, 85, 120.
  • 33 Solis : 1622, p. 121.

37L’argent était, selon lui, essentiel car « sans argent, on ne peut maintenir la paix ou financer la guerre 31 ». Or, la stimulation du négoce était indispensable à l’existence d’argent : le commerce, bien plus puissant que les armes, générait de l’argent 32. Il fallait, au contraire de ce qui se passait au Portugal, favoriser les négociants, écouter les conseils des plus riches et experts pour développer l’activité mercantile. L’auteur regrettait le mépris dont souffraient nouveaux chrétiens et commerçants. Par ailleurs, il affirmait que le commerce en gros n’existait qu’entre marchands d’origine juive 33. Tout indique qu’il avait raison : la plupart des négociants portugais de l’époque étaient d’origine juive. La politique en vigueur leur interdisait d’aller librement aux Indes orientales et occidentales.

  • 34 Solis : 1622, p. 12.

38Duarte Gomes proposait donc le mélange de la noblesse (et non pas la fidalguia) et des marchands. Les enfants nés de ces liaisons seraient aptes à occuper toutes charges et offices. Les prévaricateurs du credo religieux seraient bannis et outragés publiquement. C’est pourquoi il voyait d’un mauvais œil le pardon de 1605 car il avait poussé à l’exil de nombreux hommes d’affaires, affaiblissant le négoce portugais et encourageant celui des concurrents 34.

  • 35 Solis : 1622, p. 86, 91.

39L’auteur considérait que le roi serait bien plus puissant étant seigneur des mers d’Orient que dominant la terre américaine. Les mines pouvaient se tarir, mais jamais le commerce en Orient 35. Les hommes d’origine juive devaient pouvoir accéder à l’Inde. Le problème de l’infiltration croissante des Hollandais en Orient pouvait se résoudre par la création d’un front commun entre Castillans et Portugais. La valeur de l’argent devait être augmentée pour éviter sa sortie du Royaume, les navires de la route du Cap devaient être construits et mieux équipés. C’était une position différente de celle de Faria de Severim.

La politique de la Couronne

40Du point de vue de la Couronne, le désengagement des recettes royales était tout aussi important.

  • 36 Organisme chargé de recevoir l’or venant surtout de la Costa da Mina et d’administrer les marchand (...)
  • 37 CLDDP, p. 70-71.

41À Lisbonne, on avait l’expérience de 1605, quand le monarque avait décrété la suspension du paiement d’intérêts assignés sur la Casa da Mina36 et la Casa da Índiaafin d’obtenir les fonds nécessaires au secours de l’Orient menacé par les Hollandais. Les propriétaires des juros* avaient eu trois mois pour placer leurs titres sur d’autres recettes, en renonçant à la moitié des rentes annuelles à 6,25 % qui leur étaient dues, ou bien ils perdaient totalement leur intérêt 37.

42La vente de juros* semblait être, depuis le xvie siècle, la stratégie la plus usuelle pour la consolidation de la dette flottante portugaise, ainsi convertie en une dette dont le capital n’était pas réellement exigible et dont les charges étaient moins lourdes. Le Portugal menait ici à grande échelle une politique bien connue en Castille. Cela permettait d’éviter la hausse des impôts, politiquement plus complexe.

  • 38 CLDDP, p. 311-312.

43La réduction des intérêts des juros* assignés sur les recettes royales ne fut tentée qu’en 1614. Le Castillan don Melchior de Teves, qui était à Lisbonne, reçut des pouvoirs extraordinaires, afin de ramener leur taux de 6,25 % à 5 %. Le décret du 13 décembre de cette année prohiba les juros* et les cens perpétuels rétroactifs supérieurs à 5 %, les viagers devaient rapporter le double de cette somme, ceux attribués pour deux vies 8,3 % 38.

  • 39 BPE, CIII/2-19, fol. 72.
  • 40 CLDDP,p. 77, 312.

44Vers 1617, grâce à l’effort d’acquittement des intérêts, le roi ordonna le paiement de la totalité de la dette contractée auprès du coffre des orphelins dans tout le Portugal depuis le règne de don Sébastien. Cela fut considéré comme un « énorme bénéfice », mais il fut de courte durée 39. Au début du règne suivant, on dut remettre en vigueur le décret du 13 décembre 1614 40. Les résultats seulement à moyen terme et l’obligation d’indemniser ceux qui refusaient les nouvelles conditions compliquaient l’exécution de telles mesures.

45Au Portugal, on dépensait notoirement bien plus que l’on possédait. Néanmoins, la Couronne investit davantage dans la réduction des dépenses courantes que dans le désengagement des rentes assignées sur ses recettes.

Les juntes de Castillans

46Accompagnant une tentative similaire en Castille, vers 1600, une Junte des finances (Junta da Fazenda) du Portugal avait été créée à Madrid. Y entraient tant des Portugais que des Castillans, qui s’asseyaient respectivement sur les bancs « portugais » et « castillan ». Toutefois, les Castillans demeurèrent plus nombreux jusqu’à la modification de décembre 1607. Le 20 octobre 1601, le roi énonça les amples compétences de la junte :

  • 41 Martín Gutiérrez : 1996, p. 492.

« J’ordonne que les ministres actuels et futurs de cette Junte aient la même juridiction totale sur les affaires de mes finances du Portugal que dans mes Royaumes de Castille, qu’ils puissent contraindre mes débiteurs à rendre des comptes et payer ce qu’ils doivent, juger de toutes les affaires de dettes contractées auprès de mes finances, ou bien relatives à nos dettes pendantes dans les tribunaux de cette Cour ou du Royaume de Castille, et finalement faire arrêter les débiteurs, exécuter les sentences sur eux et confisquer leurs biens 41. »

47Afin d’accomplir cette vaste tâche, la Junte échappait à la compétence de tous autres tribunaux, Conseils et ministres de Justice. Elle se trouvait au-dessus du Conseil du Portugal et même, si nécessaire, du vice-roi du Portugal. Ses membres étaient nommés par le monarque et beaucoup furent des hommes de confiance du Duc de Lerme. Le président du Conseil des finances de la monarchie (Consejo de Hacienda), qui présidait aussi la Junte des finances de Castille, y occupait la première place du « banc castillan ».

  • 42 Martín Gutiérrez : 1996, p. 355 ; Feros : 2002, p. 297.

48Pour satisfaire la nécessité de créer un lien direct entre la Junte des finances du Portugal et son espace de juridiction et par souci d’efficacité, on eut l’idée d’envoyer à Lisbonne une commission de ministres castillans chargés de s’informer des moyens d’accroître les ressources 42. L’idée datait d’octobre 1600. La commission fut créée à Lisbonne l’année suivante et dura jusqu’en 1605. Son objectif principal était l’examen des livres de Comptes des finances Royales (Contos da Fazenda Real), le contrôle des préparatifs des navires en partance pour l’Inde et la participation, avec droit de vote, aux juntes des finances qui se réuniraient.

49Tous les membres de cette commission connaissaient les questions relatives aux Indes et à la comptabilité financière de la monarchie : le licencié Molina de Medrano était membre du Conseil des Indes ; Diego de Herrera était contrôleur des comptes ; Francisco Duarte Cerón appartenait à une famille de négociants sévillans. Son grand-père paternel et son père avaient été intendants de la Casa de la Contratación* de Séville. En 1580, Francisco Duarte était lui-même intendant, en titre ou par intérim. En 1586, il avait été munitionnaire général de l’Armada Invincible en préparation à Lisbonne.

50Le crédit, la connaissance et l’expérience des affaires des finances étaient les qualités exigées des ministres dans les instructions du 1er avril 1601. Mais en outre, si Portugais et Castillans avaient le même droit de vote, le fait d’être castillan suscitait plus de confiance, bien que cela ne fût pas expressément établi. Toutefois, il faut admettre que le choix de ce profil venait probablement du désir de capitaliser leur savoir d’hommes d’expérience. On semblait rejeter les membres du Conseil des finances portugais qui avaient un profil sociologique différent, lié à la noblesse et à la fidalguia.

  • 43 Martín Gutiérrez : 1996, resp. p. 386 et p. 402-409.

51La directive citée établissait que ces hommes devaient fournir au monarque l’information sur les « sommes que l’on dépense dans ce Royaume […] avec les forteresses et les armées que l’on y prépare ». Le 20 avril 1601, des instructions plus détaillées précisèrent les attributions de cette commission 43. Elle devait éviter l’entrée ou le largage de cargaisons dans les ports portugais de tous les navires en provenance des Indes occidentales, ceux-ci devant se rendre directement à Séville. Il fallait prendre garde à la contrebande. Des individus résidant au Portugal envoyaient des produits en Amérique castillane, sous l’étiquette de destination du Brésil ou des Canaries. On faisait également référence au récent contrat établi avec João Rodrigues Coutinho pour l’envoi d’esclaves noirs aux Indes occidentales. Les navires devaient être visités avant leur départ par l’un des trois commissaires castillans. On prétendait détecter marchandises ou passagers interdits. Les trois commissaires étaient invités à se réunir chez le licencié Molina de Medrano chaque fois que nécessaire. Ainsi, cette commission ne traitait pas seulement de l’accroissement des recettes du Portugal et de l’information adéquate de la Couronne. Elle s’occupait aussi d’intérêts exclusivement castillans, telle la contrebande aux Indes occidentales.

  • 44 Martín Gutiérrez : 1996, p. 417-418, 420.

52En somme, trois commissions en tout furent créées à Lisbonne par et avec ces Castillans : une pour les affaires des finances se réalisant dans le conseil homonyme ; une autre pour la poursuite (judiciaire) des débiteurs, se réunissant dans la chambre des comptes au moins trois fois par semaine, et dont la juridiction paraissait exécutive et privative ; et, finalement, les trois Castillans réunis ponctuellement chez Molina de Medrano 44. C’était une véritable monopolisation des problèmes économiques et financiers. Les Castillans devaient être au courant de tout et étaient payés par les revenus portugais.

  • 45 Martín Gutiérrez : 1996, p. 162-163, 182-183.

53Ainsi, tandis que le système des Conseils territoriaux de la monarchie illustrait son caractère composite, ce genre de commissions visait à instaurer un contrôle centralisateur plus fort sur l’économie et les finances portugaises, qui s’aggravaient avec les différenciations établies en fonction de la naturalité, en faveur des Castillans. Ajoutons que la correspondance de certaines de ces commissions était parfois envoyée directement à la Junte des finances castillane, sans passer par le crible du vice-roi 45.

Des juntes de Castillans à l’interventionnisme économique du vice-roi

  • 46 Oliveira : 1887, II, p. 136.

54Cette politique ne fut pas sans rencontrer de résistances. La junte d’étrangers fit l’objet d’une longue protestation de la ville de Lisbonne, en mai 1601 : son existence était contraire aux principes qui garantissaient, par écrit, l’union des Couronnes, depuis 1582 46.

  • 47 Martín Gutiérrez : 1996, p. 427-428.

55Ce furent peut-être ces plaintes qui dictèrent la suppression de la Junte des finances, en 1605. Cependant, les trois ministres castillans furent intégrés dans le Conseil des finances de Lisbonne (Conselho da Fazenda). Ce changement créa un malaise encore plus fort : ils pénétraient dans un organe portugais. Après plusieurs lettres de protestation du vice-roi en janvier 1606, l’intervention de la commission fut limitée aux affaires « des parties », relatives aux particuliers. Les Castillans se consacrèrent à peine aux matières inhérentes au service du roi, soit toutes les autres. Cependant, en 1606, au moment du départ de Molina de Medrano vers la Castille et de son remplacement par Melchior de Teves l’année suivante, on établit que celui-ci devait présider le Conseil des finances en l’absence de l’intendant 47. Il n’est donc pas surprenant que l’on ait fait obstacle à son entrée dans cette institution. Jusqu’au moment de son départ du Portugal, vers 1616, Teves resta toujours lié au Conseil (Conselho da Fazenda)et à ses affaires.

  • 48 Luz : 1952, p. 86, 88 ; BPE, CIII/2-19, fol. 178v-179.

56Cette tendance à reléguer les natifs à un second plan quant aux finances fut durable. Ce fut le cas pour le vice-roi, lui-même un natif. Quand en 1608, don Estêvão de Faro, commandeur de l’Ordre du Christ et homme de confiance de Lerme, remplaça le Comte de Sabugal à la présidence du Conseil des finances (Conselho da Fazenda), on lui recommanda de ne pas rester dépendant du vice-roi du Portugal 48. Les finances étaient un monde où primaient la méfiance et la nécessité d’informations plus sûres. Néanmoins, Sabugal et Faro appartenaient au courant castillan, ce qui oblige à ne pas envisager linéairement le concept d’étranger. Au contraire, il convient de mesurer le degré d’intégration des élites provinciales périphériques dans les institutions de la monarchie car cette intégration fut réelle et importante, aussi bien au Portugal que dans d’autres espaces politiques. Toutefois, un individu n’entretenait pas au long de toute sa vie le même rapport avec le centre politique. Les fluctuations dans un sens ou un autre étaient fréquentes.

57Notons que le Conseil de l’Inde (Conselho da Índia, 1604-1614), malgré sa création durant l’activité des commissions castillanes à Lisbonne, n’avait pas à sa charge l’administration des revenus du commerce d’outre-mer. Ceux-ci étaient, comme en Castille, du ressort du Conseil des finances (Conselho da Fazenda).

  • 49 Feros : 2002, p. 299.

58L’objectif de la présence castillane était loin d’être la domination politique du Portugal ou même son hispanisation. On voulait juste atteindre l’autosuffisance du Portugal avec son empire colonial. Divers témoignages de l’époque la réclamaient. Les non autochtones prétendaient pouvoir juger de la capacité du Portugal en ce domaine. Par ailleurs, d’autres commissions de finances furent créées à la même époque, en Flandre et en Italie 49. Leur création révélait l’angoisse de Madrid devant les tribulations financières de la monarchie.

59À partir de 1614, depuis la nomination du religieux don Aleixo de Meneses comme vice-roi du Portugal, plusieurs changements se firent sentir. Don Aleixo avait été archevêque de Goa et même gouverneur de l’Inde (1608-1609). Il possédait ainsi une riche expérience orientale.

60L’extinction du Conseil de l’Inde, peu après sa nomination comme viceroi du Portugal, ne doit rien au hasard. Le poids des charges économiques et financières attribuées au vice-roi était évident dans la charte qu’il reçut lors de son investiture à Lisbonne (tant dans sa version de 1614, que dans celle de l’année suivante), tout comme dans les instructions secrètes reçues à la même époque. De ces normes, émerge l’impression que les priorités habituelles d’un gouvernant, la religion et la justice, ne servent que d’ornement. Après une brève allusion à ces préoccupations génériques, les directives relatives à la gestion économique et financière, claires et précises, étaient développées. Le vice-roi devait informer Madrid de la conduite des officiers et ministres du Conseil des finances (Conselho da Fazenda), de la douane de Lisbonne, de la Casa da Índia, des magasins du roi (Armazéns), des almoxarifadoset d’autres organismes liés aux recettes et dépenses de la Couronne ; il devait se tenir au courant de la gestion des diverses sources de revenus, spécialement de l’empire oriental portugais, pouvant exiger du Conselho da Fazenda de faire rendre des comptes à ces divers sujets. Grâce à ce représentant, le centre politique de Madrid devait pouvoir obtenir des informations sur l’argent envoyé en Inde durant les dix dernières années.

61L’ordre adressé à un autre vice-roi, le Comte de Salinas (qui n’était pas portugais), est semblable. C’est pourquoi l’hypothèse selon laquelle ces délégués royaux, à partir de don Aleixo, en 1614, eurent la charge d’exécuter les réformes au Portugal, semble de plus en plus nette. Notons que ces réformes équivalaient surtout à des interventions dans le secteur des finances. Ils auraient pu ne pas s’acquitter efficacement de cette tâche, mais le centre politique pariait sur eux dans ce secteur. Ce modèle de promotion des réformes demeurait centripète. On comprend parfaitement, dans le contexte de cette nouvelle stratégie, l’extinction du Conseil de l’Inde (Conselho da Índia), créé à peine dix ans auparavant.

  • 50 Contrôleur des finances (vedor da fazenda) du Conseil de Portugal en 1605 et vice-roi du Portugal (...)
  • 51 BPE, CIII/2-19, fol. 73-73v, 93.

62À son arrivée au Portugal en 1617, le vice-roi Marquis de Salinas avait promu la construction d’une poudrerie à Barcarena, la production d’armes et cordages pour combler les carences et éviter les achats à l’étranger 50. Il essaya aussi d’amener au Portugal des tisserands de bayettes de Flandre pour éviter les exportations de laine et l’importation d’étoffes 51. C’était d’une certaine manière la preuve de l’interventionnisme que l’on attendait du vice-roi en matière économique et financière.

Épilogue

63La monarchie répondit ainsi à la crise provoquée par la dégringolade des revenus de la route du Cap par l’instauration d’un contrôle plus effectif sur les recettes et les finances portugaises en général. On exerça tout d’abord ce contrôle avec les Castillans qui devaient relayer localement la polysynodie existante et les circuits habituels de décision ; après 1614, le vice-roi fut utilisé à cet effet de manière évidente. On réduisit, par ailleurs, le rôle des Conseils. Ainsi, ce ne fut pas par hasard que Philippe IV, à son arrivée au pouvoir, prit soin de nommer des gouverneurs pour le Portugal. Il voulait marquer la différence.

64Aucune des stratégies essayées à l’époque de Philippe III n’eut de succès. Le désengagement des recettes, les problèmes de la route du Cap et la corruption régnante en Inde ne pouvaient être résolus sans de profonds changements structurels.

Notes

1 BNE, Ms. 2348, fol. 76 vº.

2 Álamos de Barrientos : 1990, p. 105-106.

3 Magasin royal, servant de douane et de dépôt de marchandises pour le commerce d’exportation et d’importation avec l’Orient. Ses fonctions s’étendent peu à peu à la vente de marchandises et parfois à l’organisation des flottes pour l’Inde.

4 Godinho : 1978, p. 244.

5 Valladares : 2001, p. 17.

6 ANTT, CSV, Lº17, fol. 71.

7 ANTT, CSV, Lº17, fol. 111-111v.

8 ANTT, CSV, Lº16, fol. 31.

9 ANTT, CSV, Lº17, fol. 28.

10 Lobato : 1999, p. 163.

11 Matos : 1985.

12 Godinho : 1987, III, p. 68.

13 ANTT, CSV, Lº18, fol. 183.

14 Valladares : 2001, p. 19-23.

15 Olival : 2005.

16 ANTT, MR, Lº480, fol. 123 ; ANTT, ML, 699, fol. 35v.

17 ANTT, CSV, Lº17, fol. 69-69v.

18 Silva : 2000, II, p. 517.

19 ANTT, CSV, Lº17, fol. 69v.

20 ANTT, CSV, Lº17, fol. 69.

21 ANTT, MR, Lº 480, fol. 186-186v.

22 ANTT, ML, 699, fol. 80-80v.

23 BNP, Pomb.122, fol. 338.

24 BNP, Pomb. 122. fol. 339-339v.

25 ANTT, ML, 1821.

26 Machado : 1741.

27 Depuis 1564, les impôts sur achats et ventes étaient recouvrés par le biais d’abonnements imposant un montant annuel fixe à chaque commune.

28 Circonscription fiscale confiée à un agent du roi, l’almoxarife, chargé de percevoir des taxes sur la consommation et de payer les pensions des juroset les assignations pesant sur sa caisse.

29 « Des chaînettes de laiton et d’étain, des petits objets en laque, en cristal, des verroteries, des brocarts de Flandres ordinaires, des grandes chemises en soie ou colorées, beaucoup d’armes de toutes sortes » (fol. 47).

30 Solis : 1622.

31 Solis : 1622, p. 105.

32 Solis : 1622, p. 41, 85, 120.

33 Solis : 1622, p. 121.

34 Solis : 1622, p. 12.

35 Solis : 1622, p. 86, 91.

36 Organisme chargé de recevoir l’or venant surtout de la Costa da Mina et d’administrer les marchandises destinées au trafic de la Côte d’Afrique. À partir de la fi n du xvie siècle, il est intégré à la Casa da Índia.

37 CLDDP, p. 70-71.

38 CLDDP, p. 311-312.

39 BPE, CIII/2-19, fol. 72.

40 CLDDP,p. 77, 312.

41 Martín Gutiérrez : 1996, p. 492.

42 Martín Gutiérrez : 1996, p. 355 ; Feros : 2002, p. 297.

43 Martín Gutiérrez : 1996, resp. p. 386 et p. 402-409.

44 Martín Gutiérrez : 1996, p. 417-418, 420.

45 Martín Gutiérrez : 1996, p. 162-163, 182-183.

46 Oliveira : 1887, II, p. 136.

47 Martín Gutiérrez : 1996, p. 427-428.

48 Luz : 1952, p. 86, 88 ; BPE, CIII/2-19, fol. 178v-179.

49 Feros : 2002, p. 299.

50 Contrôleur des finances (vedor da fazenda) du Conseil de Portugal en 1605 et vice-roi du Portugal d’avril 1617 à 1621.

51 BPE, CIII/2-19, fol. 73-73v, 93.

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