Les révoltes du papier timbré, 1675
|Quatrième partie. L’automne botté
Chapitre X. Le duc de Chaulnes à Rennes (III) : une capitale décapitée
Texte intégral
« Est-ce selon le droit que vous jugez, fils des hommes ? »
Psaume 58 (57).
- 1 L’épisode de la « destruction de la rue Haute » a donné lieu à une illustration dans une des éditi (...)
1Le 12 octobre, au moment où le corps sans vie de Le Balp est supplicié au cœur de la Cornouaille, le duc de Chaulnes pénètre dans Rennes, dernière étape de son Tro Breizh punitif. Beaucoup mieux documentée que la répression menée en Basse-Bretagne, celle qui se déploie à Rennes est porteuse d’images qui ont marqué contemporains et historiens. Plus que les roués et les pendus, les enfants mis à la broche par les soldats et la destruction d’un long faubourg font partie de ces épisodes qui, dans l’imaginaire régional et même national, à côté du Palatinat en feu, des dragonnades ou des tombes profanées de Port-Royal, constituent l’envers du décor du règne, sa face noire1. Nous savons pourtant qu’il faut se méfier des images, celles véhiculées par le pouvoir et ses thuriféraires qui lisent le règne les yeux rivés au plafond de la galerie des glaces, comme celles charriées par le puissant courant critique qui va des Lumières au « victimisme » contemporain en passant par les manuels scolaires de la République. En fait, plusieurs problèmes se posent et s’emboîtent. Le premier est lié à la nature de cette répression, qu’il importe d’approcher en essayant autant que faire se peut de la comparer aux épisodes de nature peu ou prou semblable que connurent, au cours du siècle, les villes punies. C’est la condition pour essayer de dégager une éventuelle spécificité rennaise. Le second enjeu est lié aux outils punitifs utilisés par Chaulnes. Le départ du parlement et la destruction de la rue Haute, loin d’être des coups d’éclat isolés et sans lien, doivent être reliés à toutes les mesures prises afin d’en saisir l’économie d’ensemble. Enfin, une attention particulière doit être apportée à la réception de l’événement. En effet, nous avons la chance de disposer non seulement de textes de chroniqueurs locaux, mais il faut désormais leur adjoindre Marie de Sévigné et même une étonnante toile de Jean-Bernard Chalette. Cette extraordinaire densité documentaire doit être interrogée en elle-même. Sa richesse ne doit pas occulter le fait que d’autres sources font défaut, à commencer par les archives de la répression elles-mêmes. Manque aussi, dans une assez large mesure, la correspondance administrative, moins bavarde qu’auparavant. Pour Chaulnes, désormais muet, l’heure est à l’action et, pour paraphraser Montaigne, disons que, cette fois, ses actes sont le vrai miroir de ses choix, à défaut de discours qui ne sont plus d’actualité.
La proie rennaise
Fébrilités
- 2 Arch. dép. Ille-et-Vilaine, 1 Bb 575, reg. sec., 23 IX 1675.
2Ce n’est qu’à la fin du mois de septembre que le contexte rebellionnaire refait surface dans les sources rennaises. Le 23 septembre, le procureur général entre dans la grand’chambre pour faire état du fait que des insurgés bas-bretons, pourchassés par Chaulnes, ont trouvé refuge à Rennes où leur présence pourrait réveiller les ardeurs rebellionnaires des gens sans aveux des faubourgs2. En conséquence, la cour prend un arrêt enjoignant à tous les étrangers venus à Rennes depuis deux ans d’en sortir au plus vite sous peine de fouet ; il est aussi demandé aux aubergistes de fournir chaque jour, au procureur général, la liste de leurs hôtes et aux gens du présidial de faire des visites afin de veiller à l’application de l’arrêt.
- 3 Arch. dép. Ille-et-Vilaine, 1 Bb 575, reg. sec., 26 IX 1675.
3Trois jours plus tard, le parlement reçoit une lettre du duc de Chaulnes écrite à Morlaix le 243. C’est la première fois que le gouverneur réagît officiellement aux événements du 17 juillet. Ces deux mois de silence sont hautement significatifs de son embarras. Il a visiblement pris en compte les avis de ceux qui, comme sa femme, préconisent de ne rien faire ni dire, par crainte du pire, et a attendu d’avoir réglé la situation en Basse-Bretagne. La lettre comporte pour les Rennais un motif de satisfaction : le duc impute l’attaque estivale du parlement aux seuls « vagabonds ». Mais, par ailleurs, il enjoint aux magistrats de redoubler d’efforts dans la poursuite des coupables, ce qui peut être lu comme l’expression du fait que les résultats sont jugés, en la matière, peu satisfaisants. Fort de ses succès en Basse-Bretagne, le duc demande en outre aux parlementaires de procéder au rétablissement du bureau du papier timbré. Là encore, c’est une manière de rappeler que rien n’a été fait à ce sujet ; en même temps, le duc, qui se vante d’en avoir fait autant partout en Basse-Bretagne, peut exiger une telle chose avec la confiance de celui qui sait qu’il a la force avec lui. Conformément aux ordres du gouverneur, cette lettre est suivie d’instructions orales communiquées par Coëtlogonpère, qui précise que si les Rennais, parlement en tête, rétablissent les bureaux et punissent les coupables, ils pourront contribuer à « l’esloignement des troupes ». Les Bas-Bretons qui ont amené à Chaulnes les chefs de la sédition sont d’ailleurs cités en exemple. Les magistrats du roi siégeant dans sa capitale provinciale ne pouvaient faire moins que les paysans bretonnants à qui ils étaient censés donner l’exemple.
- 4 Arch. mun. Rennes, BB 561, reg. délib., 26 IX 1675.
- 5 Arch. mun. Rennes, BB 561, reg. délib., 26 IX 1675, CC 460.
- 6 Arch. mun. Rennes, BB 561, reg. délib., 26 IX 1675, GG 31 Toussaints.
4Dans sa réponse, le président Le Meneust reprend tous ces points, et termine sur les gens de guerre qu’il espère bien ne pas voir arriver à Rennes grâce à la protection du duc de Chaulnes. Puis, le procureur général Huchet demande le rétablissement du bureau et que l’on informe contre les coupables, ce qui n’était pas explicitement indiqué dans l’arrêt pris juste après l’attaque du parlement. Le ton se durcit donc, non sans lien avec la présence d’une armée dans la région. Ce zèle apparent s’explique tant parce que la présence des troupes crée une certaine assurance que parce qu’il faut bien cela pour éviter d’avoir à loger ces indésirables agents du bon ordre monarchique. Le même jour, une autre lettre au contenu similaire est lue à l’hôtel de ville en présence de Coëtlogon-père4. À l’issue de la séance, on boit à la santé du roi5. Il est certain que les Rennais, à cette date, peuvent penser ne pas avoir à subir les troupes. Le 29 septembre, comme à l’inverse de ce qui se passe au même moment en Basse-Bretagne, une nouvelle cloche est installée à Toussaints, au cœur de la basse-ville, parrainée de surcroît par le président de Montigny et la conseillère Denyau6. La vie semble reprendre son cours.
5À cette date, même la très introduite marquise de Sévigné, qui vient d’arriver aux Rochers, paraît confiante :
- 7 Lettres, ed. Gerard Gailly ed., Paris, Gallimard, 1953, t. I, p. 866, lettre du 2 X 1675.
« Nous esperons à Rennes une amnistie ; en vérité, ce n’est pas sans besoin ; mais puisqu’on l’a donnée à Laudijaux [d’Audijos], on ne doit pas nous la refuser7. »
- 8 Hervé Le Goff, « À travers les liasses d’archives. La correspondance privée du fonds des familles (...)
- 9 Arch. dép. Ille-et-Vilaine, 1 Bb 559, reg. sec., 29 VIII 1667.
- 10 SHD, A 1 428, fol. 175, lettre de Louvois à Chaulnes, 12 IX 1675.
- 11 SHD, A 1 428, fol. 292, lettre de Louvois à Chaulnes, 17 IX 1675.
- 12 BNF, MC 171 bis, fol. 435, lettre de Chaulnes à Colbert, 9 VI 1675.
- 13 Ajoutons de plus que passer par Rennes ne constitue de plus pas un réel détour sur la route des fr (...)
- 14 BNF, MC 171 bis, fol. 565, lettre de Chaulnes à Colbert, 16 VI 1675.
6La bien informée Marie de Talhouët ne semble pourtant pas de cet avis, et dit savoir dès la mi-août que Rennes va recevoir une garnison8. De même, La Monneraye avoue craindre l’arrivée de la soldatesque et place en conséquence ses filles à Ploërmel dès la mi-septembre. Le notaire-secrétaire du parlement sait de quoi il parle, lui qui a, dans sa jeunesse, connu la rude vie des camps. Par ailleurs, ayant été chargé de l’organisation de l’étape en 16679, il a peut-être quelques informations. Mais lesquelles ? Il est en effet assez attendu que pareil climat soit propice aux rumeurs. Une lettre de Louvois à Chaulnes, en date du 12 septembre, laisse entendre clairement que le roi ne compte pas infliger des troupes à Rennes10. Mais le 17 septembre, une lettre part de Versailles, que Chaulnes reçoit vers le 21 ou le 22 au plus tôt, qui fait penser que le roi a changé d’avis11. Nous manquons d’informations pour savoir ce qui s’est passé. Le plus étonnant est que Louis XIV semble avoir hésité à punir la capitale bretonne. Il est possible que le roi ait considéré que le calme régnant désormais en Bretagne, le gros des troupes devait s’en retourner vers des lieux plus utiles à sa gloire, et qu’il avait dans l’idée d’infliger une présence militaire plus tard, au moment des quartiers d’hiver, conformément à l’avis exprimé par Chaulnes en juin12. Pourquoi a-t-il changé d’idée ? Est-ce par ce qu’on considère qu’à la mi-septembre, faire marcher les troupes vers les frontières est de peu d’utilité ? Cela semble douteux13. Est-ce parce qu’il veut montrer aux Hollandais le parfait contrôle de la situation ? On ne peut l’exclure totalement. Est-ce parce qu’il apparaît politiquement dangereux de ne pas montrer aux Rennais – et à travers eux au royaume – le sens du devoir non sans avoir en arrière-pensée la prochaine tenue des états ? C’est très possible, d’autant que les geôles du parlement étant notoirement vides, ou presque, l’idée peut s’imposer qu’il faut une présence militaire significative pour mener à bien quelques punitions pédagogiques et purger la ville. Est-ce aussi suite à une intervention de Chaulnes ou de Lavardin désireux de se montrer les plus zélés possibles et, dans le cas du premier, de se venger des déboires passés ? C’est des plus probables. Concernant le duc, en effet, on a pu remarquer, en juin, qu’il a laissé échapper qu’il entendait bien se « venger », et pas seulement punir14. Sur la lancée de la marche répressive effectuée de Quimperlé à Guingamp, il se sent peut-être en mesure de montrer au plus vite ce qu’il en coûte de l’avoir traité de gros cochon ou d’avoir terrorisé sa femme investie de son autorité. Peut-être aussi espère-t-il gommer le demi-échec de son Tro Breizh en matière de punition.
- 15 Yves-Marie Bercé, Histoire des Croquants. Etude des soulèvements populaires au XVIIe siècle, Genèv (...)
7Reste qu’il est probable que, au moment d’écrire aux Rennais le 24, le duc sait déjà quels sont les ordres du roi. Ceci paraît d’autant plus sûr, qu’en reprenant ses écrits de juin, on le voit attentif à l’idée de rassurer les Rennais quant à la venue des troupes, pour les endormir et jouer l’effet de surprise. En somme, la politique estivale de d’Argouges, toute tendue vers l’endormissement de la bête a servi la politique automnale de Chaulnes. Se souvenant des gardes fiévreuses de juin, Chaulnes ne peut qu’être enclin à garder le secret le plus longtemps possible. Ainsi s’expliquerait son long silence estival : il ne faut rien dire ni rien faire de crainte de susciter de nouveaux troubles, comme l’avait recommandé sa femme. Ce faisant, le duc ne fait que mettre en application « cette sorte de cynisme [qui] fait partie de la religion étatique » caractéristique des agents de l’État en service sur le front rebellionnaire15.
- 16 Arch. mun. Rennes, CC 460.
- 17 Arch. mun. Rennes, BB 561, reg. délib., 3 et 7 X 1675.
- 18 Arch. dép. Ille-et-Vilaine, 4 E 388, 6, 9 & 12 X 1675.
- 19 Arch. dép. Ille-et-Vilaine, 1 Bb 575, reg. sec., 8 X 1675.
8C’est le 30 septembre que, d’après le registre des miseurs qui prend ici le relais du registre de délibération – souvent défaillant dans les moments critiques –, la communauté de ville prend connaissance d’un courrier de Chaulnes annonçant que Rennes connaîtrait la soldatesque16. Cette fois, on ne boit pas à la santé du roi. Dans les jours qui suivent, la municipalité s’assemble pour tout préparer17 et achète 12 000 rations de froment et 2 000 boisseaux de foin pour nourrir les hommes et les bêtes18. Le 8 octobre, le parlement, suite à une requête déposée par Coëtlogon, s’en prend aux riches particuliers qui dégarnissent leurs demeures, pour éviter d’avoir à accueillir des soldats. Le marquis a alors beau jeu de souligner que si les plus aisés ne peuvent héberger les soldats, ceux-ci le seront uniquement chez les plus modestes, et de pointer l’injustice19.
9Les Annales des Augustines sont ici précieuses pour saisir l’inquiétude qui saisit les Rennais :
- 20 Annales des religieuses de Saint-Augustin, livre I, p. 87.
« On se savoit point à Rennes ce que c’estoit que soldats, encore moins ce que c’estoit que les dragons. Ce nom seul effroya tous les habitants, ils mirent leurs femmes et filles dans les couvents20. »
- 21 Annales des religieuses de Saint-Augustin, livre I, p. 198 et 204.
- 22 Bruno Isbled, Moi, Claude Bordeaux… Journal d’un bourgeois de Rennes au XVIIe siècle Rennes, Apogé (...)
10Le leur, écrivent-elles, reçoit cette année là une cinquantaine de pensionnaires, dont une resta d’ailleurs religieuse21. Le 4 octobre, le bureau du papier timbré est rouvert, ce que Duchemin pointe en ajoutant que les timbreurs logent chez Chevrier du Verger, que l’on sait être échevin et ancien capitaine destitué en juin22. Le détail tend à confirmer que l’homme est bien un soutien de la politique du duc de Chaulnes. La maison de Chevrier n’est cependant pas prise d’assaut par la foule, signe que les temps ont changé.
- 23 Arch. dép. Ille-et-Vilaine, 1 Bb 575, reg. sec., 9 X 1675.
- 24 Arch. dép. Loire-Atlantique, B 2622. Dans le rôle précédent, il n’est d’ailleurs même pas indiqué (...)
- 25 Il est possible qu’il ait été arrêté : un dénommé Pierre Regnouart, emprisonné suite à une requête (...)
11Le climat qui règne à Rennes est surtout révélé par une affaire qui éclate le 9 octobre, et que Coëtlogon, décidemment fort zélé, porte à la connaissance de la cour23. Ce jour-là, un certain Le Noir est arrêté dans un faubourg par son capitaine pour avoir, la veille, voulu désarmer un paysan qui cachait un fusil sous son manteau. Craignant les suites fâcheuses d’une affaire qui semble pouvoir dégénérer, Coëtlogon envoie une escouade de miliciens arrêter Le Noir, puis demande au parlement d’informer contre lui afin de savoir s’il ne serait pas un des séditieux responsables des derniers troubles en date. L’affaire est assez singulière et révèle la nervosité des autorités locales, tiraillées entre le désir d’éviter un dérapage et celui de pouvoir présenter à Chaulnes quelques prisonniers comme preuve de leur zèle. Le fait que la scène se soit passée au faubourg l’Evêque, quartier qui s’agita lors des troubles de juillet, a pu contribuer à renforcer cette attitude. Mais la proie n’a semble-t-il pas grand-chose à se reprocher : après cinq mois à croupir dans la conciergerie de la cour, elle sera relâchée24. Le Noir a tout de la victime de la nervosité d’autorités qui réagissent de manière disproportionnée, et surtout sans grand discernement. Car au fond, Le Noir est un honnête citoyen : n’a-t-il pas voulu bien faire en s’en prenant à ce paysan armé ? N’a-t-il pas voulu agir dans le sens de l’arrêt pris quelques jours plus tôt contre les séditieux réfugiés ? Mais le zèle sans doute excessif de ce faubourgeois est aussi révélateur du climat global qui règne en ville, de cette nervosité qui serait sortie des cercles des grands du lieu pour contaminer de larges pans de la société urbaine. L’affaire révèle enfin que la torpeur estivale se prolonge loin dans le mois de septembre, car l’affaire ne conduit à aucun embrasement. On en reste au traitement individuel, personne ne venant réclamer armes au poing le prisonnier. Aussi l’incident révèle-t-il que l’on est passé d’une peur aux vertus paralysantes à l’autre : la peur de la populace séditieuse a laissé la place à celle de la soldatesque non moins dangereuse. Quant au paysan au fusil, on ne sait ce qu’il devint25.
La prise de Rennes
- 26 Outre les sources administratives, les écrits de particuliers qui serviront ici sont ceux de Cormi (...)
- 27 Pierre Gras (dir.), Histoire de Dijon, Toulouse, Privat, 1987, p. 126.
12Selon Cormier, Chaulnes craint que la venue de ses troupes ne provoque des réactions hostiles et qu’il ne trouve les portes fermées26. Le précédent nantais, de même que l’attitude des Rennais en juin expliquent cette inquiétude. Pour montrer sa détermination et impressionner au maximum, il décide, toujours d’après Cormier, de disposer ses quelques 5 000 hommes en ordre de bataille à une vingtaine de kilomètres à l’ouest de la ville, et de les faire marcher vers Rennes quatre de front, les fantassins ayant mèche allumée (« des deux bouts ») et balle en bouche, les cavaliers portant « le mousquet haut » et leurs officiers l’épée nue. Cormier est le seul à rapporter ces détails techniques, mais, pour le coup, on serait fort tenté de le croire. Le spectacle évoque l’entrée de Louis XIII à Dijon après la révolte des Lanturlus, opération qu’on a pu décrire comme un cérémonial digne de celui réservé à une ville conquise27.
- 28 D’après Jules Jeanneney, cité par Jean-Pierre Azéma, De Munich à la Libération, Paris, Le Seuil, 1 (...)
- 29 Marc Bloch, L’Etrange défaite, Paris, Gallimard, 1990, p. 51-54.
- 30 Madeleine Foisil, La révolte des Nu-Pieds et les révoltes normandes de 1639, Paris, PUF, 1970, p. (...)
- 31 Lettres, op. cit., p. 873, lettre du 9 X 1675.
13L’opération est rondement menée et a été visiblement soigneusement préparée. Morel assure que les troupes sont entrées par « toutes les portes » ; Cormier retient qu’à mesure qu’elles arrivent, elles sont disposées aux endroits stratégiques dont il égrène la liste, de même que Morel et Toudoux, eux aussi visiblement impressionnés par cet inédit déferlement de force. Car les Rennais, il faut le rappeler, n’ont pas l’habitude de voir des soldats dans leur ville, comme le révèle incidemment le fait que Duchemin note la couleur de certains uniformes, cette nouveauté du siècle. À l’instar des Bordelais de 1940 regardant entrer la Wehrmacht, les Rennais étaient peut-être « nombreux, badauds et sans pudeur28 » face à ce spectacle de rue aux accents dramatiques, mais nous savons aussi, grâce au témoignage (rennais) de Marc Bloch, que celui qui regarde le triomphe de son ennemi peut, tout spectateur impuissant qu’il est, garder au fond du cœur sa dignité de combattant29. Le XVIIe siècle fournit des exemples de cette passivité post-rebellionnaire face au déploiement militaire. Ainsi les troupes de Gassion furent-elles surprises de ne rencontrer aucune résistance en pénétrant dans Rouen en 1639. Celles de Mercœur ne rencontrèrent pas plus de difficultés en arrivant à Marseille en 1660 que celles de Condé lors de leur arrivée à Aix en 163030. À Rennes, en 1675, il n’y a aucun incident, ce qui n’empêche pas la marquise de Sévigné de noter dès le lendemain que « l’émotion est grande [à Rennes] », ajoutant : « et la haine incroyable dans toute la province contre le gouverneur31 », qui a au fond à nouveau trahi la confiance placée en lui par les Rennais. La fascination pour la mise en scène spectaculaire de la force contrôlée, maîtrisée, n’empêche pas la consternation. En même temps, les portes ouvertes à l’arrivée des troupes et l’absence de résistance s’inspirent peut-être des lois de la guerre qui veulent que la ville assiégée qui laisse entrer l’ennemi s’épargne le pillage. Dans tous les cas, pour les Rennais, et même parmi les notables amis de la marquise, la terrible entrée des troupes du duc de Chaulnes est moins perçue comme une libération que comme une occupation.
- 32 Ils étaient 200 lors de son arrivée en mai.
- 33 Arch. dép. Ille-et-Vilaine, 1 Bg 388.
14Le fait remarquable est donc que les Rennais ne s’opposent en rien à l’opération. Les seuls mouvements repérés sont révélateurs : d’après Cormier, 60 à 80 gentilshommes – seulement32 – vont à la rencontre du duc et entrent avec lui tandis que la milice en garde à l’hôtel de ville se retire au moment même où le gouverneur pénètre dans la cité. Tout un symbole. Comment expliquer cette apathie, qui tranche avec l’attitude de juin ? En premier lieu par la claire conscience que le rapport de force est éminemment défavorable. Cette conscience se nourrit de représentations qui viennent de plus loin. Le chapelet des Te Deum et des feux de joie qui, ces dernières années, ont rythmé la vie cérémonielle locale a en premier lieu put faire rentrer dans les têtes que l’armée du grand roi est invincible. À cela s’ajoutent les échos des succès récents de cette troupe, qui arrive auréolée des punitions vraies ou supposées de Basse-Bretagne, que Cormier et Toudoux signalent et auxquelles chacun doit plus ou moins songer. Enfin, le fait que ce soit des milliers d’hommes qui s’installent, et non plus une grosse centaine comme en juin, ne pouvait qu’inciter chacun à faire profil bas. D’ailleurs, notons qu’en juin, la première réaction des Rennais face aux soldats a été aussi l’attentisme, et que c’est dans un second temps que la situation a dégénéré, en lien avec la faiblesse des effectifs présents. Cette fois, chacun comprend qu’un acte de résistance serait insensé. Mais il y a cependant autre chose ici qu’une acceptation d’un état de fait qu’on n’a pas voulu et contre lequel on sent qu’on ne peut rien faire. Les troupes, en effet, arrivent dans une ville dans laquelle la dynamique rebellionnaire est cassée. L’éclat du mois de juillet, on l’a vu, a échoué à soulever les masses, et on voit, en septembre, avec l’infortuné Le Noir, ce serviteur si mal récompensé, que même des gens modestes sont partisans du « bon ordre ». Sans doute bien des meneurs ont fui, et c’est là d’ailleurs un des effets sans doute voulus par ce déploiement spectaculaire que d’impressionner pour éviter d’avoir à combattre. Le roi lui-même a fait sienne la doctrine selon laquelle il ne faut pas engager l’autorité du roi, et partant sa gloire, sans être sûr de l’emporter33, et lui-même a appliqué cette règle lors de l’entrée en guerre en 1672. Par ailleurs, d’autres habitants, peu ou pas compromis, peuvent se dire qu’il faut faire confiance aux promesses de Chaulnes formulées à l’issue des troubles de juin, et attendre les états. Certains, du côté des autorités, peuvent également se dire dans la même veine que la collaboration active avec Chaulnes et Marillac, sur le front répressif et judiciaire, est une carte à jouer pour sortir au plus vite de cette situation. En somme, comme en Basse-Bretagne, l’armée arrive en force à un moment où la révolte a disparu. Ici, la stratégie de l’endormissement a payé, mais il est vrai qu’elle paie d’autant plus que Chaulnes arrive avec des arguments terrifiants.
15La minutie avec laquelle Toudoux, Morel et Cormier décrivent la mise en place du dispositif militaire dans la ville souligne la dimension proprement spectaculaire de cette prise de Rennes sans siège. Le spectacle de cette force armée se double d’un constat effarant : la prise de possession de l’espace urbain, extra comme intra muros, avec tous les désagréments et l’inconfort que cela implique. Dans les rues, sur les places, aux portes, partout stationnent ces étrangers armés. Ce que nous disent en premier lieu ces descriptions tatillonnes est un sentiment de dépossession. Le dispositif, il est vrai, ne néglige rien. Les portes et les abords immédiats des murailles sont occupés, empêchant ainsi que les faubourgeois puissent entrer dans la ville proprement dite. La turbulente rue Haute, ainsi, est tenue en garde par les redoutables mousquetaires, installés sur le cimetière Sainte-Anne. Intra muros, on trouve des troupes sur toutes les places, où il devient dès lors impossible de se rassembler. Des fantassins sont disposés sur le Champ-Jacquet et sur la Monnaie – face à l’hôtel de ville –, et des suisses devant le parlement. Morel, soulagé, note que seul le Grand bout de la Cohue près duquel il demeure, échappe au dispositif. La première nuit, dit Cormier, les troupes restent de garde, les cavaliers sur leur cheval et les fantassins le fusil à l’épaule. Puis, un système de garde tournante est institué : chaque jour, sur les Lices, la relève au son des trompettes, des tambours et des hautbois, donne lieu à un défilé devant le duc de Chaulnes, qui y vient de son hôtel à pied, en maître des lieux. Rien, même pas le son, on le voit, n’est laissé au hasard.
- 34 C’est la date indiquée par les miseurs, ainsi que par Morel. Cormier se trompe sans doute quand il (...)
16Quelques détails montrent en outre aux Rennais que l’heure est bien à la soumission, et que cette présence des troupes n’est pas qu’une escale technique sur la route de la guerre. Le premier est que, à l’occasion de l’arrivée de la duchesse de Chaulnes le 1434, c’est l’armée qui est chargée de l’accompagner dans son entrée : les bourgeois sont soigneusement laissés de côté, le cérémonial disant quelque chose de cette dépossession qui se prolonge. Duchemin note quant à lui que si la gouvernante est là, c’est, vengeresse, « à dessein de se satisfaire la vue », tandis que les miseurs relèvent que les bourgeois de la communauté venus la saluer « passerent toutte l’apres disnée pour l’attendre ». Quant au duc, autre « détail » révélateur, il s’abstient cette fois de venir à l’hôtel de ville, ce qui ne l’empêche pas de recevoir les bourgeois de la municipalité venus le saluer. Mais, autre détail révélateur, ces derniers ne disent mot dans leur registre de la teneur de l’entrevue. Le spectacle militaire et le céremonial qui l’accompagne valent tous les discours.
- 35 Catherine Denys, Police et sécurité au XVIIIe siècle dans les villes de la frontière franco-belge,(...)
- 36 Arch. mun. Rennes, EE 166.
- 37 Voir par exemple le cas d’Aix en 1630 (René Pillorget, op. cit., p. 349).
17Le premier objectif de Chaulnes est évidemment d’éviter que des troubles reprennent. Il faut pour cela commencer par désarmer les habitants. C’est là une pratique habituelle dans les villes frontalières, souvent jugées peu sûres35, et qui en dit long sur la méfiance envers les bourgeois, potentiels tireurs embusqués. Morel et Duchemin, qui participent à la milice, mais aussi Cormier et Toudoux, ont consigné l’événement, symbolique à plus d’un titre. Le 15 octobre, le duc ordonne que les armes soient déposées chez les capitaines de rue. Seuls 50 hommes pour les compagnies de la haute-ville et 25 pour celles de la basse-ville sont autorisés à garder les armes. Le silence concernant les faubourgs conduit à estimer que ceux-ci ont été entièrement désarmés. Le sévère Morel, si impitoyable pour les rebelles dans ses écrits, est choisi parmi ceux qui ont le droit de garder leurs armes afin de veiller à la tranquillité publique. Chaulnes autorise aussi les échevins nommés pour s’occuper de la réception et de la distribution des vivres à être armés36. Toutefois, le 23 octobre, le duc impose à tous, officiers compris, de déposer les armes, « ce qui a été fait sans exception », note Duchemin. Il est possible que la perspective des supplices – la première exécution se fera fin octobre – explique cette décision : il faut être absolument certain qu’aucun incident ne viendra troubler le spectacle, comme cela pouvait parfois arriver37. Mais il est aussi possible que le fait de désarmer en deux temps ait été une manœuvre habile, destinée à ne pas heurter de front les habitants en s’appuyant sur les cadres, qui en ont été pour leurs frais. Quelle que soit l’explication, l’humiliation est totale. Cormier note que les hommes s’éxecutent « religieusement ». Seuls les gentilshommes peuvent garder leurs armes.
- 38 Arch. mun. Rennes, BB 560, reg. délib., 19 VII 1674. Par la suite, cette lande est devenue un des (...)
- 39 Soit Morel et Duchemin.
18Le 25 octobre, une cérémonie d’un genre nouveau est donnée à voir aux Rennais, à des fins pédagogiques évidentes. Ce jour-là, sur une lande à la sortie de la ville où, un an auparavant, on a passé en revue les miliciens en partance pour les côtes menacées par les Hollandais38, le duc organise une revue militaire à laquelle participent, selon les sources39, 3 000 à 4 000 hommes. Morel a laissé de cet événement un récit détaillé qui montre que ce fervent partisan de l’ordre, milicien fier de son engagement, a été impressionné, et même peut-être emballé par ce spectacle qui, dit-il, attira un grand nombre d’habitants. Le fait que Duchemin et Cormier n’évoquent l’affaire que très vite et que Toudoux ne la mentionne pas, tend à montrer à nouveau l’éventail des sensibilités révélé par l’événement.
- 40 Arch. mun. Rennes, BB 562, reg. délib., 9 III 1676 et BB 563, reg. délib., 14 III 1677.
- 41 Arch. mun. Rennes, BB 562, reg. délib., 14 et 24 V, 5 VII, 23 VIII 1676.
19Enfin, au début de l’année 1676, le roi achève le travail de démilitarisation en ordonnant que les canons encore conservés à Rennes soient envoyés à Redon, mesure complétée un an plus tard par la demande de transporter au même endroit ce qui reste de munitions dans l’arsenal municipal40. Mais il y avait peut-être autant de militaire que de politique derrière tout cela, car après tout, la guerre continuait. En conséquence, quand, à partir du mois de mai 1676, la litanie des victoires et le chapelet des Te Deum reprend, la fête royale s’en trouve presque silencieuse, faute de canon, comme si la ville a été mise en situation d’exil intérieur du pays du roi de guerre41. Duchemin raconte aussi qu’à cette occasion, « les hautes chaises du chœur ont été laissées vides attendu l’absence de messieurs de la cour, et a été fait un petit feu de joie ». Comment mieux dire que Rennes est en deuil ?
Punir la ville (I) : le parlement de Bretagne exilé ou transféré ?
Les enjeux : le parlement et la citadelle
20En même temps que le bruit des bottes, les sonneries des trompettes et le cliquetis des armes envahissent la ville, une autre bataille est engagée, qui s’inscrit dans la parfaite continuité de la prise de contrôle militaire de la ville et son désarmement : le départ du parlement, annoncé le 16 octobre. L’affaire est peut-être plus complexe que ne le voudrait une historiographie qui voit là sans beaucoup de nuances les effets d’une punition ciblée contre une institution perçue souvent comme ayant beaucoup à se reprocher. Ce qui apparaît, c’est que l’on ne peut séparer cette mesure assurément punitive – nul ne le contestera – des enjeux en terme de maintien de l’ordre, trop souvent négligés au profit d’une lecture qui privilégie le seul rapport de force politique.
- 42 BNF, 171 bis, fol. 565, lettre de Chaulnes à Colbert, 16 VI 1675.
- 43 BNF, Clairambault 796, fol. 307, lettre de Lavardin à Colbert, 23 VII 1675.
- 44 BNF, Clairambault 796, fol. 333, lettre de Lavadrin à Colbert, 27 VII 1675.
- 45 Hervé Le Goff, art. cit.
- 46 Arch. aff. étr., mémoires et documents, vol. 941, fol. 145.
21L’idée de retirer de Rennes le parlement est dans l’air depuis quelques temps déjà. Dès la mi-juin, Chaulnes dit avoir usé de cette menace afin de tenter de convaincre les Rennais de déposer les armes42. À cette époque, la menace visait moins les magistrats que les bourgeois. L’idée réapparaît un mois plus tard, quand Lavardin, commentant pour Colbert l’attaque du palais du 17 juillet, note que le fait d’enlever le parlement de Rennes aurait deux avantages : celui de punir la ville et celui de punir la magistrature, qu’il estime responsable des troubles en raison de sa faible vigueur répressive, fidèle en cela à sa grille de lecture qui a toujours été de dénoncer le parlement pour sa mollesse, et non pour une quelconque complicité active43. Quelques jours plus tard, il évoque de nouveau cette possibilité comme le meilleur moyen de calmer les Rennais44. D’après la très informée Marie de Talhouët – qui écrit pourtant depuis son château des environs de Gourin ! –, le départ du parlement est décidé très tôt, puisqu’elle le tient pour acquis à la date du 18 août45. À son époux à qui elle confie la chose, elle précise : « Cet article est secret, n’en parlez point du tout ». Voilà qui est parfaitement cohérent avec ce que nous percevons de la politique de Chaulnes qui, silencieux sur ses intentions, ménage l’effet de surprise. La déclaration royale actant le départ est quant à elle datée du 18 septembre, mais elle est encore à cette date encore à l’évidence secrète46. Ceci dit, on peine à croire que les plus haut placés des parlementaires n’en aient rien su, même si la surprise dont témoigne la marquise de Sévigné, et quelques autres, on le verra, montre que le secret était bien gardé.
- 47 Arlette Jouanna (dir.), Histoire et dictionnaire des guerres de religion, Paris, Robert Laffont, 1 (...)
- 48 Orest Ranum, La Fronde, Paris, Seuil, 1998, p. 211-212 ; Caroline Le Mao, Parlement et parlementai (...)
- 49 Stéphane-Claude Gigon, La révolte de la gabelle en Guyenne, Paris, Champion, 1906, p. 160.
- 50 René Pillorget, op. cit., p. 346.
- 51 Yves-Marie Bercé, op. cit., p. 316.
- 52 Boris Porchnev, Les soulèvements populaires en France de 1623 à 1648, Paris, SEVPEN, 1963, p. 680.
- 53 Boris Porchnev, Les soulèvements populaires en France au XVIIe siècle, Paris, Flammarion, 1972, p. (...)
- 54 Charles d’Aigrefeuille, Histoire de la ville de Montpellier, Montpellier, 1737, p. 421.
- 55 Yves-Marie Bercé, op. cit., p. 167.
- 56 Madeleine Foisil, op. cit., p. 316 sq.
- 57 Ibid.
- 58 Élisabeth-François de La Cuisine, Le parlement de Bourgogne depuis ses origines jusqu’à sa chute, (...)
22L’idée n’est pas née de rien, tant il est vrai que le fait de déplacer les cours de justice est une arme politique dont les guerres de religion fournissent plusieurs exemples47. Dans la même veine, le siècle suivant voit, lors de la Fronde, le pouvoir royal tenter de transférer le parlement de Paris à Montargis et déplacer avec succès ce qu’il restait du parlement de Bordeaux à Agen48. Mais il s’agissait plus de contrôle politique que de punition à la suite d’une révolte. Dans ce dernier cas, le répertoire punitif comporte deux options : le transfert et l’interdiction. C’est cette dernière qui est choisie en 1548, suite à l’insurrection de Bordeaux49. En revanche, après la révolte des Cascavéous, en 1630, le parlement d’Aix est quant à lui « exilé » à Brignoles quelques mois50. Il semble que ce soit alors que l’idée du transfert comme punition soit entrée dans le répertoire punitif, mais sans s’imposer particulièrement. À en croire Gaufreteau, une translation est envisagée par le conseil après la révolte bordelaise de 163551, mais n’elle est pas suivie d’exécution. L’année suivante, après avoir affronté une sédition, le commissaire d’Etampes-Valençay préconise la même chose pour Rennes52. Là encore, on reste à l’état de projet, voire de menaces. Dans les deux cas, il est au moins autant si ce n’est plus question de punir la ville et ses habitants que la seule cour. En 1643, la « translation » de la cour des aides de Clermont est envisagée, mais on y renonce, de crainte d’affaiblir le camp de l’autorité53. En revanche, après la révolte montpelliéraine de 1645, le présidial de cette ville est envoyé à Lunel et la cour des aides à Carcassonne, où ils restent jusqu’en 164854. Quant aux trésoriers de France limougeauds, ils sont envoyés à Saint-Léonard trois mois en 1650 pour avoir refusé une commission d’intendant. Leurs confrères bordelais échappent quant à eux en 1656 au transfert à La Réole suite à un conflit un peu vif avec un commis de taxes jugé par eux trop entreprenant55. Un tout autre choix est fait en 1639 à l’issue des révoltes normandes, qui sont l’occasion de revenir à l’interdiction que subit alors le parlement de Rouen durant deux ans56. Cette radicalité est à relier tant à l’importance accordée par le pouvoir à cet événement qu’à l’appréciation que Louis XIII avait du rôle du parlement dans cette affaire, le soupçonnant d’une complicité aussi passive que coupable57. La mesure est ensuite appliquée au parlement de Dijon en 1658, mais suite à un conflit sans lien avec des mouvements de rue58. À s’en tenir à cette liste, on peut conclure que les interdictions rouennaise et dijonnaise – et même bordelaise en 1548 – frappent des cours qui sont clairement désignées comme ayant des choses à se reprocher, tandis que les transferts, sans exclure totalement cette dimension, cherchent d’abord à punir la ville dans son ensemble. On retrouve là le principe de punition solidaire, que l’ordonnance criminelle de 1670 a rappelé dans son titre XXI, qui elle-même renvoie à une conception de la ville pensée comme un corps défini par ses fonctions. Oter le parlement d’une ville, c’est la dégrader, et, au-delà de la dimension symbolique, affecter le quotidien de toute une population qui, des gagne-deniers aux marchands et aux avocats, peut avoir des choses à se reprocher. C’est donc bien d’une décapitation qu’il s’agit.
- 59 Arch. aff. étr., mémoires et documents, vol. 940, fol. 386-388.
- 60 Voir la lettre de d’Etampes-Valençay à Séguier, 12 IX 1636 : « Le seul expedient… de venger ceste (...)
- 61 Lettres, op. cit., p. 869, lettre du 6 X 1675.
23Dans le cas de Rennes en 1675, il n’est pas certain que le but final soit d’arracher le parlement à la capitale bretonne. Certes, la déclaration royale est signée dès le 18 septembre, mais il n’est pas sûr qu’elle ait été autre chose qu’une arme mise à la disposition de Chaulnes et Marillac afin de faire plier la cour en cas de besoin. En effet, cette déclaration n’est officiellement expédiée en Bretagne qu’en octobre, entre le 11 et le 25 si on suit le mémoire des expéditions des secrétaires d’État59, c’est-à-dire quand la chose devient officielle. Avant cela, d’autres chemins étaient possibles. En effet, il semble que, comme en 1636, on ait surtout cherché à faire peur aux Rennais60. Marie de Sévigné, avant même que les troupes ne pénètrent dans Rennes, affirme qu’« on menace Rennes » – on notera que c’est bien pour elle la ville qui est visée – de transférer ailleurs le parlement61. Elle le redît encore le lendemain de l’arrivée des troupes :
- 62 Ibid., p. 877, lettre du 13 X 1675.
« [Chaulnes] a mandé que si on sortoit ou si on faisoit le moindre bruit, il ôteroit pour dix ans le parlement de cette ville : cette crainte fait tout souffrir62. »
- 63 Hervé Le Goff, art. cit.
- 64 Dans une dépêche tardive du 26 novembre, la Gazette d’Amsterdam rapporte que l’ingénieur chargé de (...)
24Or, dans le même temps, plane la menace d’ériger une citadelle à Rennes. Déjà en 1636, d’Etampes-Valençay notait qu’il fallait, pour amener les Rennais au pardon, les menacer d’un tel édifice. En 1675, dès la mi-août, la très informée Marie de Talhouët confie à son époux le secret selon lequel le parlement sera ôté de Rennes, le palais occupé par une garnison et une citadelle bâtie près de l’abbaye Saint-Melaine63, soit sur le haut de la colline sur les pentes de laquelle la ville était installée64. Départ du parlement et militarisation de la ville seraient les deux piliers de la punition. Mais la marquise de Sévigné donne une autre interprétation, qui lie les deux perspectives :
- 65 Lettres, op. cit., p. 910. lettre du 13 XI 1675.
« On vouloit en exilant le parlement, les faire consentir que pour se racheter on batît une citadelle à Rennes ; mais cette noble compagnie voulut obeir fièrement et partit plus vite qu’on ne vouloit ; car tout se seroit tourné en négociation ; mais on aime mieux les maux que les remèdes65. »
- 66 Gauthier Aubert, « Parlement et maintien de l’ordre : Rennes, 1662-1675 », dans Gauthier Aubert, O (...)
- 67 L’affaire, révélée par Toudoux, est confirmée par deux documents : Arch. mun. Rennes, BB 549, reg. (...)
- 68 Daryl Dee, « La Franche-Comté et l’absolutisme de Louis XIV », Annales de Bourgogne, t. 85, 2013, (...)
25Écrits un mois après le transfert par une experte en ragots, ces mots ne sont pourtant pas à rejeter, pour plusieurs raisons. La première est que la marquise évolue dans le milieu où cette décision a été prise, et elle peut être ici considérée comme plus fiable que sur d’autres sujets, et plus fiable que la dame de Talhouët, qui écrit avant la décision finale, quand la Vitréeenne d’adoption fait déjà œuvre d’historienne. Le second élément est que ce ne serait pas la première fois que le parlement s’opposerait à l’érection d’une citadelle. En 1663, dans un contexte faisant suite à un cycle tumultuaire66, la cour s’est opposée avec succès à des travaux du côté de l’hôtel de ville ordonnés par le marquis de Coëtlogon, qui passaient pour être la réalisation d’une citadelle67. Sans doute le parlement voyait-il là la manifestation du renforcement du pouvoir gouvernemental, et cherchait-il à le contrer, avec, certainement, un atout à faire valoir : le coût d’une telle opération, qui serait retombé sur les habitants, et qui en plus contrevenait au droit de ceux-ci à se défendre. Aussi s’opposer à une construction de cette nature était une manière de se poser en protecteur de la ville. Enfin, le fait de lier parlement et citadelle n’est pas unique : dans les mêmes années 1674-1675, Louvois négocie avec les Bisontins l’obtention par ces derniers du parlement de Franche-Comté en échange du financement de la construction d’une citadelle68. Le contexte est il est vrai fort différent, mais l’hypothèse peut être émise que, en haut lieu, on puisse réfléchir en associant ces deux types d’institutions.
- 69 Gérard Cholvy (dir.), Histoire de Montpellier, Toulouse, Privat, 1984, p. 172-173 ; Sandrine Lavau (...)
- 70 Alain Lottin, Chavatte, ouvrier lillois. Un contemporain de Louis XIV, Paris, Flammarion, 1979, p. (...)
- 71 Pierre Clément, Lettres, mémoires et instructions de Colbert, Paris, Imprimerie impériale, 1868, t (...)
- 72 Arch. aff. étr., mémoires et documents, vol. 939, fol. 511.
26Que, dans le cas rennais, la citadelle ait été ou non un élément de chantage, le fait qu’émerge l’idée d’en bâtir une à Rennes, cette ville si peu frontalière, constitue un nouveau témoignage d’une politique de contrôle du territoire consistant, là où c’est nécessaire, à bâtir des forteresses, politique qui coexiste avec celle visant à démilitariser les défenses urbaines. Deux logiques s’affrontent, opposant la muraille et la porte bourgeoise, qui enveloppent et protègent, à la citadelle garnisaire, qui surveille et punit. Ainsi Montpellier, Bordeaux et Marseille – en attendant Nîmes quelques années plus tard – ont eu ce lourd privilège de voir se construire sur leur flanc ces édifices destinés à les maintenir en garde69. À Lille, la puissante forteresse érigée par Vauban devait aussi, en cas de besoin, tenir en respect la ville réputée peu sûre70. L’idée n’épargne pas complètement Paris, quand Colbert, dans les consignes données au Bernin pour le Louvre, explique que le palais doit aussi servir à « contenir les peuples71 ». Dans le même temps, en 1675, le roi refuse que la ville des Vans, en Languedoc, se pare de clôtures, « attendu [sa] rebellion du temps du feu roy72 ».
- 73 Arch. dép. Ille-et-Vilaine, 1 Bb 575, reg. sec., 12 X 1675
- 74 Daryl Dee, art. cit.
27Le supposé refus du parlement de voir s’ériger une citadelle dans « sa » ville peut aussi s’expliquer par les modalités de la répression judiciaire. Aucun document n’en parle, peut-être parce que c’est évident. Les douleurs ressenties au moment des exécutions nantaise et guingampaise du printemps ne peuvent que rejaillir à la vue de Marillac, entré au palais le 14 octobre. Dans les registres secrets, le jour de l’entrée de Chaulnes dans Rennes, la cour se réunit et décide de rester « assemblez pour le service du roy et affaires publiques tant et si longtemps que le sieur duc de Chaulnes… sera en cette ville73 ». A-t-on alors cherché à soumettre la cour au commissaire, voire à la déposséder de ses attributions judiciaires, elle qui se met ainsi loyalement à la disposition du duc ? Il serait étonnant que des considérations de ce type n’aient pas joué, d’autant que les magistrats considèrent qu’ils n’ont rien à se reprocher. L’attitude des sénateurs armoricains atteints dans leur dignité n’est alors pas sans évoquer la fière attitude des bourgeois de la « vieille ville espagnole » récemment conquise, qui refuse parlement et citadelle au nom de la défense de leurs privilèges74.
- 75 BNF, Clairambault 796, fol. 307, lettre de Lavardin à Colbert, 23 VII 1675.
28On ne peut cependant exclure une action du duc qui a pu pousser dans le sens d’un départ du parlement, ou mettre celui-ci en situation de partir, afin d’avoir les coudées franches pour lancer le processus punitif tant attendu par lui comme par sa femme. Lavardin, d’ailleurs, avait indiqué que, selon lui, le transfert du parlement ne devait durer que le temps de « purger » la ville75.
- 76 Le contraste avec le sort réservé aux Aixois en 1630 ou aux Dijonnais à la fin des années 1650 est (...)
29Par ailleurs, un fait frappant amène à penser que le départ est, au départ au moins, plus un transfert qu’un exil : c’est que la cour ne subit aucune des punitions individuelles ou collectives que la monarchie sait parfaitement appliquer. Le parlement, ainsi, n’est pas interdit, comme l’ont été naguère ceux de Rouen et de Dijon. Il est maintenu en l’état, et même en intégralité, puisque aucun magistrat n’est exilé, démis ou jeté en prison76. De plus, à en croire Cormier, bien placé pour savoir ce genre de choses, les parlementaires sont d’emblée exempts du logement des gens de guerre, comme si on avait cherché à les ménager en reconnaissant leurs privilèges, tandis qu’avocats ou procureurs, fussent-ils membres de la municipalité, étaient punis avec le commun. À nouveau, l’image d’une ville qu’on cherche à accabler plus qu’une institution particulière semble devoir s’imposer, même si on ne peut exclure que la prévenance du duc de Chaulnes en la matière était un élément d’une négociation.
- 77 Ce texte, dont il existe un exemplaire dans un fond complémentaire des archives de Rennes et un au (...)
30Le texte royal qui arrache le parlement à Rennes permet d’accréditer l’idée d’une modération relative vis-à-vis du parlement et l’importance des questions de maintien de l’ordre77. En effet, ce texte présente le départ comme un simple transfert technique de la cour – qualifiée de « souveraine » dans les expéditions du secrétariat d’État – et ne comporte aucune formule dénonciatrice du type de celle que l’on trouve dans la déclaration interdisant le parlement de Rouen en 1639. En revanche, il insiste sur la nécessité de rendre la justice dans le calme, ce qui apparaît impossible à Rennes. Par là, on retrouve en filigrane l’enjeu de l’installation d’une citadelle, qui seule pourrait être la garante de la paix civile : pas de citadelle, pas de parlement.
- 78 Arch. dép. Ille-et-Vilaine, 1 Bb 575, reg. sec., 14, 15, 16 X 1675.
- 79 44 présents le 12, 50 le 14, 52 le 15.
- 80 Lettres, op. cit., p. 877, lettre du 13 X 1675.
- 81 BNF, Clairambault 796, fol. 307, lettre de Lavardin à Colbert, 23 VII 1675.
- 82 Encore que le spectacle d’un parlement subissant silencieux la vue de supplices décidés par d’autr (...)
- 83 Voir partir le parlement pouvait être vu comme la preuve éclatante de sa culpabilité.
31L’impression qui semble se dégager est donc qu’il y eut négociation et, quels qu’en aient été les termes exacts, elle a échoué. La chronologie plaide en faveur de l’idée d’une négociation, car la décision de faire partir la cour n’est pas annoncée d’emblée, mais au bout de quatre jours au cours desquels les magistrats sont venus siéger chaque jour plus nombreux78. Etonnante situation puisque le registre secret signale une nombre remarquable de présents79, mais ne signale rien, même pas les harangues qui doivent être au moins prononcées à l’entrée de Marillac le lundi 14. Le 16, jour de l’annonce fatale, il se trouve 58 magistrats pour entendre qu’il leur faut partir. Les maigres indices dont nous disposons laissent donc penser que la discussion a porté sur les questions de maintien de l’ordre, envisagée sur le plan punitif (les condamnations) et préventif (la citadelle). La compréhension de l’articulation des deux dimensions n’est pas aisée, faute de sources. Risquons une hypothèse. Chaulnes voulait une citadelle pour tenir la ville, et le parlement n’en voulait pas. On savait par ailleurs au palais de justice que Chaulnes voulait aussi punir les brouillons avec l’aide de Marillac, et l’idée que ces personnages puissent mener les opérations judiciaires en niant ou rabaissant la toute-puissance du parlement dans « sa » ville était également insupportable pour ce dernier. La négociation entre Chaulnes et le parlement sur la question de la citadelle aurait conduit la cour à préférer partir avec hauteur, pour éviter la citadelle doublée d’une humiliation judiciaire, et en se disant peut-être que l’éloignement ne durerait guère. Certes, Chaulnes aurait parlé de 10 ans d’absence80 mais, avant cela, Lavardin, pourtant partisan de remèdes durs, avait indiqué que, selon lui, le transfert du parlement ne devait pas durer plus longtemps que les punitions le nécessiteraient81. De plus, les cas précédents et comparables pouvaient conduire à penser que le départ serait de courte durée, et que, bientôt, la cour reprendrait sa place dans sa ville dénuée de citadelle. De son côté, Chaulnes, pressé de sévir et de le faire sans être gêné par le parlement et ses lenteurs, désireux de se venger82 et peut-être aussi de donner dans la prophétie autoréalisatrice83, a pu orienter la négociation en mettant les parlementaires en situation de se soumettre ou de partir. De plus, le fait que Rennes ne soit pas une ville frontière rendait à l’évidence moins impérieux pour Chaulnes l’érection d’une forteresse – ce qui fait une autre différence avec Besançon –, et permettait du coup aussi aux magistrats d’avoir une porte pour sortir la tête haute du rapport de force. Voilà qui conduit à souligner que si Rennes a perdu son parlement, c’est sans doute parce que le duc l’a voulu, mais aussi parce que les magistrats l’ont décidé, même si ce n’était sans doute pas de gaieté de cœur.
Partir
- 84 BNF, Clairambault 796, fol. 307, lettre de Lavardin à Colbert, 23 VII 1675.
- 85 Hervé Le Goff, art. cit.
- 86 Lettres, op. cit., p. 869, lettre du 6 X 1675.
- 87 Exemplaire raturé : Arch. aff. étr., mémoires et documents, vol. 941, fol. 145.
32Mais partir où ? Si d’emblée est annoncé que le parlement sera transféré à Vannes, il apparaît qu’on a, en amont, un peu hésité sur la destination. Lavardin, fin juillet suggère Saint-Brieuc ou Vannes84. D’après madame de Talhouët, ce serait cette dernière ville qui sera désignée85, mais madame de Sévigné parle de Dinan début octobre86. De fait, il semble très possible que cette dernière ville ait été d’abord choisie, puisque c’est son nom qui figurait initialement dans la déclaration manuscrite transférant le parlement et conservée dans les archives du secrétariat d’État aux affaires étrangères, dont dépend la Bretagne87.
- 88 BNF, MC 171 bis, fol. 772, lettre de Chaulnes à Colbert, 30 VI 1675.
33Il semble probable que la réflexion sur le lieu où devaient se dérouler les états a servi de rampe de lancement à celle qui concernait le siège de la cour88. Chaulnes a d’abord songé, pour les états, à Nantes, en raison de son château et de sa garnison, ce qui confirme combien les enjeux sécuritaires étaient importants pour lui. Mais la ville lui semble trop peu sûre, « par la chaleur et la rudesse des espritz de ses habitans, grands raisonneurs et prests a prendre feu sur les moindres choses ». Et de redouter qu’ils cherchent à la faveur de quelque incident de séance à s’émouvoir, ayant gardé rancœur au duc de l’entrée des troupes en juin. D’une façon générale, Chaulnes dit qu’il vaut mieux éviter les grandes villes, remplies de gens mécontents des nouveautés fiscales, précisant : « ce sont les procureurs qui sont le plus à craindre ». Voilà qui disqualifie autant Rennes que Nantes, au sujet de laquelle il ajoute que sa vocation viticole n’arrange rien, la noblesse étant capable de mettre la main à l’épée sur la question des devoirs. On voit à travers ce dernier argument (un peu faible) que Chaulnes cherche à éviter à tout prix que Nantes soit choisie pour les états, non sans lien peut-être aussi avec ses relations avec la municipalité. Tout cela vaut dans les grandes lignes pour la question de l’installation du parlement. Par ailleurs, il est assez évident qu’on ne peut chercher à punir Rennes pour comportement séditieux, et mettre le parlement à Nantes, qui a aussi connu des troubles sérieux au point de voir son gouverneur désavoué.
- 89 En 1573, 1634 et 1669 (Armand Rébillon, Les États de Bretagne, 1661-1732, Paris-Rennes, Picard-Pli (...)
- 90 Hervé Le Goff, La Ligue en Bretagne. Guerre civile et conflit international, Rennes, PUR, 2010, p. (...)
34Mais pourquoi Dinan ? La ville, qui accueille parfois les états89, a été choisie cette fois pour recevoir l’assemblé provinciale essentiellement car elle appartient au diocèse de Saint-Malo, dont l’évêque, monseigneur du Guémadeuc, est un fidèle de Colbert et de Chaulnes. Ce dernier estime d’ailleurs que « c’est sur le president de l’Esglise que roullent tous les estats ». Mais cet argument n’est pas valable pour installer un parlement. En revanche, dans une telle perspective, Dinan présente l’avantage d’une certaine proximité par rapport à Rennes. De plus, elle n’a pas connu de troubles lors du printemps, dispose en outre d’un château tandis que sa petitesse la rend sûre. Peut-être a joué aussi une vieille revendication des Dinanais qui avaient accueilli un présidial au temps de la Ligue et s’étaient rendus à Henri IV moyennant la promesse du maintien de cette cour, promesse qui ne fut pas honorée, ce dont ils pouvaient garder rancœur90. Peut-on imaginer que, soixante ans plus tard, par l’entremise de l’introduit du Guémadeuc, on ait nourri encore quelques ambitions ? Reste que Dinan n’a finalement pas été désigné pour accueillir le parlement, et il y a tout lieu de penser que la raison en est que la ville a déjà été désignée pour recevoir les états. En effet, le parlement devant partir sine die, et les états devant être convoqués dans la foulée du rétablissement de l’ordre à Rennes, la ville de Dinan se serait retrouvée dans une situation doublement intenable : d’une part, elle aurait été dans l’impossibilité matérielle d’accueillir les deux institutions ; d’autre part, quand bien même elle l’aurait pu, on aurait retrouvé la situation redoutée à Nantes d’une cohabitation entre petits robins tumultuaires et députés aux états prêts à tirer l’épée.
- 91 Philippe Hamon, « Quelle(s) capitale(s) pour la Bretagne (XVIe-XVIIe siècle) », dans Jean-Marie Le (...)
- 92 À l’époque, Chaulnes envisage d’établir un bureau du papier timbré dans la citadelle de Port-Louis (...)
35Nantes et Dinan exclues, restent Saint-Brieuc et Vannes. Il ne semble pas que la première ait été vraiment envisagée. Son statut de ville sans muraille la desservait sans doute, d’autant que Vannes présentait plus d’atouts. En premier lieu, cette dernière avait une certaine dignité, étant dans l’ordre protocolaire la troisième ville bretonne, et ayant eu un rang éminent au temps du duché. Elle avait même été un moment choisie pour être le siège du parlement91. Au temps de la Ligue, certains Vannetais avaient même caressé le rêve de voir revenir la cour dans leur ville, et peut-être d’autres, en 1675, ont-ils tenté quelques manœuvres en ce sens. La dignité était un atout évident, voire décisif – mais rien ne le prouve vraiment – s’il s’agissait d’un transfert de longue durée. En outre, la ville n’a pas connu d’émeutes en 1675, et présente l’avantage d’être proche de Port-Louis et accessible par la mer par des troupes sans exciter qui plus est les campagnes autour. L’importance accordée aux questions sécuritaires, perceptible dès le début du mois d’août au sujet du rétablissement des bureaux du papier timbré92, conduit à penser que de tels arguments ont dû peser.
- 93 Dès le 29 novembre, en vertu d’un ordre signé du roi en date du 14 (Arch. dép. Ille-et-Vilaine, 1 (...)
- 94 Supra, chapitre III.
- 95 Par les états dès la session de 1675 (Arch. dép. Ille-et-Vilaine, C 2658, fol. 159), et par le par (...)
- 96 Lettres, op. cit., p. 910, lettre du 13 XI 1675.
- 97 Gilles de Languedoc, Recueil historique, ed. dactyl., 1993, p. 243 ; Christophe-Paul de Robien, De (...)
- 98 Cf. infra, chapitre XIII.
36Pour le parlement, au moins autant que le transfert à Vannes, la signification de l’instauration d’un nouveau rapport de force défavorable vient probablement de l’obligation qui lui est faite d’enregistrer sans attendre l’ordonnance criminelle de 167093. On est mal renseigné sur les circonstances qui ont conduit à cette opération, mais il y a tout lieu de penser que, pour le pouvoir, il s’agît d’achever le travail de réformation de la justice commencé quelques années plus tôt. On sait que Colbert a peu goûté que la magistrature bretonne résiste à la politique royale tant dans son volet fiscal que dans son volet judiciaire94, et il est tentant de penser qu’il a saisi l’occasion pour agir. En retour, il est assez vraisemblable que cet enregistrement a dû accréditer l’idée qu’il fallait faire une lecture politique d’un transfert officiellement présenté comme une mesure technique. Ceci, plus le fait, que progressivement, la cour ne semblait pas devoir quitter Vannes malgré les demandes faites en ce sens95, a fini par accréditer l’idée que le transfert était en fait un « exil », terme aux évidents relents bibliques aux effets anoblissants. L’expression, ceci dit, apparaît tôt, sous la plume de madame de Sévigné96, de Morel et de La Monneraye, mais elle tarde à s’imposer : au XVIIIe siècle les historiens Languedoc, Robien et Ogée parlent encore de transfert97 ; en revanche, le continuateur de Morel parle d’exil, mais il est vrai qu’il est aussi le premier partisan de l’idée que le parlement avait « fomenter la révolte98 ». Mais si le terme d’exil tarda à s’imposer, se nourrissant de l’idée d’un parlement ayant mené une lutte par procuration, il est loisible d’estimer que le départ du parlement, conçu comme un transfert, a été perçu par les contemporains comme un exil, et que l’attitude hautaine des parlementaires n’y a pas été pour rien.
Gagnants et perdants
37L’annonce du départ du parlement vers Vannes provoque un véritable choc, dont la marquise de Sévigné s’est faite le plus éloquent témoin :
- 99 Son cousin, le conseiller Charles de Sévigné, comte de Montmoron.
- 100 Lettres, op. cit., p. 885, lettre du 20 X 1675.
« [Chaulnes] a tranféré le parlement à Vannes ; c’est une désolation terrible. La ruine de Rennes emporte celle de la province… M. de Montmoron99 s’est sauvé ici [i.e. aux Rochers] et chez un de ses amis, à trois lieues d’ici, pour ne point entendre les pleurs et les cris de Rennes, en voyant sortir son cher parlement100. »
38D’autres qu’elle affichent leur dépit. L’avocat général du Boisbaudry indique ainsi dans son livre de raison :
- 101 Cité par Léon Mahoudeau, Les troubles de Bretagne et l’exil du parlement à Vannes (1675-1690), Ren (...)
« Jour très funeste pour la ville de Rennes. Ce jour, Sa Majesté a voulu donner des marques de sa colère contre la ville de Rennes [et, notons-le, non contre le parlement…] et ne le pouvant plus sensiblement, il a transféré le parlement à Vannes… je suis parti d’ici au moment pour donner l’exemple101. »
- 102 Arch. mun. Rennes, BB 561, reg. délib., 18 X 1675.
- 103 Lettres, op. cit., p. 892, lettre du 27 X 1675.
- 104 François Lebrun, « L’évolution de la population de Rennes au XVIIIe siècle », ABPO, 93/3, p. 255 : (...)
- 105 Arch. mun. Rennes, St-Pierre-en-St-Georges, GG 2.
39Sur un mode plus grinçant, le notaire-secrétaire en la cour de la Monneraye indique de son côté : « [le roi] en récompense [pour les mesures prises après l’émeute d’avril] a exilé le parlement à Vannes… Dieu veuille nous consoler ». Quant à Cormier de la Courneuve, fils d’alloué, il ne dit pas autre chose, lâchant à propos de cette déclaration qu’elle « donna une si grande consternation à tout le monde qu’on ne voyoit que pleurs ». De même, la communauté de ville dépêche auprès de Chaulnes une délégation chargée de faire part de son désarroi102. Il faut dire que le départ des magistrats, des avocats, des procureurs, des huissiers, des clercs, de l’imprimeur, des domestiques et même des prisonniers avait des airs d’exode. On connaît la phrase de madame de Sévigné : « On a ôté le parlement : c’est le dernier coup ; car Rennes sans cela ne vaut pas Vitré103. » La démographie historique le confirme (presque) puisque l’on sait aujourd’hui que la ville a rapidement perdu 20 % de sa population104, chiffre assez considérable pour que ceux qui restaient puissent ressentir l’ampleur du désastre dans leur vie quotidienne, que ce soit dans la rue, à l’église ou sur le marché. Le rôle des habitants de la paroisse Saint-Pierre-en-Saint-Georges, établi en septembre 1676 pour une quête en faveur des pauvres, montre ainsi, dans ce quartier proche du parlement, de nombreuses maisons vides de leurs habitants105.
40Les historiens en sont restés à cette image d’une ville sous le choc, mais les autres écrits du for privé que ceux cités ci-dessus sont d’une autre tonalité. Morel, Duchemin et Toudoux prennent acte sans larmoyer ou gémir du départ de la cour. Seul le dernier cité laisse apparaître sa désapprobation en ajoutant que « l’on espere qu’il ne restera pas lontemps » après avoir parlé de « nostre » parlement. La consternation, la stupeur, la nature de la source aussi peut-être, peuvent expliquer cette retenue, mais pas seulement. Ces témoignages ont en commun de venir de robins non dépendants de la cour : notaires pour deux d’entre eux, procureur au présidial pour le troisième, ils sont moins directement touchés que les Montmoron, du Boisbaudry et autres La Monneraye, qui sont des officiers du parlement. Cormier ne l’est pas, mais il appartient à ce monde notabiliaire proche des cercles parlementaires, qui a très mal vécu ce transfert. Mais pour Morel, procureur dépendant d’un présidial qui pouvait ressentir parfois durement le poids de la haute cour et de ses officiers petits et grands, ce départ pouvait être un secret soulagement, l’avènement du « siège » à la tête de la ville. Au-delà de son cas, il n’est d’ailleurs pas exclu que si ces petits robins, honnêtes citoyens d’une cité qui a perdu en quelques heures ses armes et son palais, fondements de sa dignité, ont désapprouvé le départ du parlement, ils n’en ont pas moins été plus ou moins sourdement soulagés du départ des parlementaires. Les hauts magistrats ne sont certes pas haïs, loin de là, comme le montre le nombre d’entre eux choisis comme parrains.
Tableau 18. – Parlementaires parrains à Saint-Pierre-en-Saint-Georges de Rennes (en moyenne/an).
Père |
1600-1649 |
1650-1675 |
1700-1749 |
1750-1789 |
Parlementaire |
0,55 |
0,80 |
0,48 |
0,07 |
Autre noble |
0,26 |
0,92 |
0,24 |
0,20 |
Robe seconde |
0,46 |
0,68 |
0,06 |
0,02 |
Boutique, artisanat |
0,12 |
0,24 |
0,06 |
0,00 |
- 106 8 cas de 1600 à 1649 ; 4 de 1650 à 1675 ; un seul de 1700 à 1789.
- 107 Georges Nitsch, Xavier d’Haucourt, Le palais de justice de Rennes. La cour de parlement de Bretagn (...)
- 108 Gauthier Aubert, « Les parlementaires à Rennes au XVIIe siècle : la grandeur et l’exil », dans Oli (...)
- 109 Arch. dép. Ille-et-Vilaine, 1 Bb 568, reg. sec., 7 IV et 21 VII 1672 ; Arch. mun. Rennes, BB 558, (...)
- 110 Georges Provost, « Une ville « inondée de couvents » : le pouvoir municipal face aux ordres religi (...)
- 111 Arch. mun. Rennes, CC 52.
- 112 Bruno Isbled, op. cit., p. 57.
- 113 Françoise Hamon, « Autour du palais : l’hôtel et la château », Arts de l’Ouest, 1980, p. 79-90 ; N (...)
- 114 La décision d’interdire l’accès de la cour aux gens qui ne sont pas « de condition » date de 1678, (...)
41Ainsi, par exemple, les procureurs sollicitent des parlementaires pour être les parrains de leurs enfants, ce qui ne sera plus guère le cas au siècle suivant106. Il est ainsi possible que l’on soit d’ailleurs, vers 1675, à l’aube de temps nouveaux. En effet, outre le test des parentés spirituelles, quelques incidents récents semblent indiquer un divorce croissant entre la robe parlementaire et la robe seconde. Le refus de ces messieurs de voir les armoiries de la ville figurer sur le palais du parlement, en 1655, a déjà été durement ressenti par des bourgeois qui ont financé l’édifice à leurs yeux le plus beau du royaume107. En 1663, l’affaire du projet de la citadelle laisse apparaître une défiance entre les deux institutions. L’année suivante – et sans lien direct apparent –, le procureur syndic Bossart, magistrat au présidial, est verbalement malmené par le président de Marbeuf pour ne pas l’avoir appelé « monseigneur ». L’incident relève une ambition récente voulue par les parlementaires rennais108, et entraîne l’exil du parlementaire trop orgueilleux. En 1672, on perçoit à nouveau de la défiance entre parlement et communauté de ville à propos des devoirs d’entrée, les magistrats soupçonnant les bourgeois d’avoir pris une délibération allant contre leurs privilèges109. Par ailleurs, les tensions entre parlement et parlementaires d’une part, municipalité d’autre part s’accumulent depuis des années au sujet de « l’invasion conventuelle » que les premiers favorisent sans beaucoup d’égard pour les réserves de la seconde110. En 1673, l’affaire prend un tour extraordinaire, avec l’emprisonnement du procureur syndic, l’avocat Hévin. Au même moment, en janvier 1673, il est possible que l’enregistrement forcé de la taxe sur les francs-fiefs, si détestée, ait signifié que le palais n’était plus la digue protectrice qu’il avait pu être111, ce qui fut d’ailleurs confirmé avec l’enregistrement sans coup férir du texte établissant le papier timbré en 1674. En somme, frictions, rancœurs, défiances et déceptions n’ont pas manqué durant les années précédant la crise de 1675. Chacun peut bien entendu penser que c’est là le pain quotidien de la vie de la cité, sans qu’il y ait de quoi voir l’amorce de nouvelles failles : ainsi, d’après un témoin, lors de la pose de la première pierre du palais du parlement, en 1618, les bourgeois avaient manifesté leur mécontentement, s’estimant mis à l’écart112. Mais ce que nous savons de la suite des relations petite/grande robe (et qu’exprime le tableau ci-dessus), comme ce que nous savons de ce que seront bientôt les choix d’habitat des parlementaires en rupture par rapport à la tradition « palladienne » des hôtels rennais (au profit d’habitats permettant une mise à distance du commun)113, le tout sur fond de fermeture du recrutement de la cour aux bourgeois enrichis du pays114, incite à penser que les failles se creusaient imperceptiblement au moment même où le parlement était à l’apogée de son rayonnement sur la ville. C’est dans ce contexte que pourrait être replacé l’absence d’expression catastrophée de la part de certains petits robins face au départ de la cour.
- 115 Par exemple : Arch. mun. Rennes, BB 563, reg. délib., 13 V 1677.
- 116 Gauthier Aubert, « Rennes : robe seconde et pouvoir municipal à l’ombre du Parlement », dans Guy S (...)
42Pour les gens du présidial, il est incontestable que bien des choses changent en voyant leur « siège » devenir la première cour de la ville, et pas seulement parce que ce sont eux qui servent à punir les rebelles bientôt arrêtés. Chaque année, désormais, au moment de choisir les prévôts des hôpitaux, l’on prend soin de noter que si l’on ne désigne pas un procureur au parlement, c’était uniquement en raison de « l’absence » de la cour115. Naturellement, l’absence des procureurs au parlement libère des places de miseurs – porte d’entrée vers l’échevinat – pour les procureurs au présidial116. Quant à la fonction de procureur syndic, traditionnellement dévolue à un avocat, elle échoit bientôt aux magistrats du présidial, conformément au modèle que connaissaient les villes sans parlement. L’idée est sans doute que les avocats l’étant « au parlement », ils devaient avoir suivi la cour, et ont du coup officiellement disparu de l’échelle locale des dignités qui commande la hiérarchie municipale. Le syndicat municipal devant être occupé par les plus dignes de la ville, il revient logiquement à des magistrats qui, depuis des lustres, vivent mal l’ombre pesante de la cour.
- 117 Arch. mun. Rennes, BB 561, reg. délib.
43Dans l’immédiat, le principal perdant est le procureur syndic Gentil des Hayes. Le 27 octobre, dans le cadre de la préparation des états de Bretagne, celui-ci annonce à la communauté que le duc de Chaulnes ne veut pas qu’il paraisse dans l’assemblée provinciale. À sa place, c’est le procureur du roi au présidial qui est désigné117. Cormier donne une version plus colorée de l’événement, expliquant qu’au cours de l’assemblée municipale en question, Coëtlogon-père a des paroles aussi dures pour Gentil qu’instructives sur les mécanismes de nomination des édiles :
- 118 Possible allusion au fait que Gentil n’a pas conduit la délégation venue implorer la clémence de C (...)
« [Il] commença l’assemblée par de rudes menaces à des Hayes Gentil, syndic, et lui dit que c’etoit un petit mignon qui se devoit mieux connoître et se souvenir qu’il avoit été fait syndic par la seule autorité de M. le duc de Chaulnes et sans le suffrage d’aucun habitant ; qu’il se vantoit cependant d’être le seul chef de la communauté et qu’il ne daignoit aller comme ses prédecesseurs quérir le gouverneur pour aller à l’hôtel de ville118 ; et puisqu’il etoit si glorieux, on se passeroit bien de lui aux états. Ce qui fut cause…. [qu’on] députa M. le procureur du roy dans la place du syndic, ce qui fut pour le pauvre des Hayes Gentil un coup de foudre, étant inouï que le syndic de la communauté n’allât pas aux États ; et comme tout le monde avoit de l’aversion pour les moyens dont il s’etoit servi pour parvenir au syndicat, cela fit qu’on en fut fort aise. »
- 119 Arch. mun. Rennes, BB 32, lettre du roi du 6 XI 1675.
- 120 Arch. mun. Rennes, BB 562, reg. délib.
44Le sort de Gentil est alors scellé. Dans les semaines qui suivent, il continue d’occuper sa place, mais courant décembre, une lettre royale écrite en novembre donne l’ordre d’élire un nouveau syndic119. Il est donc destitué un an après son arrivée au syndicat, la norme étant d’y rester deux à trois ans. Un autre avocat est choisi, Justel de la Robinaye, qui a donc pour successeur, en 1677, un magistrat du présidial. Après Nantes, c’est donc une nouvelle fois le responsable municipal qui est la principale victime politique des événements, comme un symbole que c’est la ville dans sa globalité, dont il est le représentant, qui est visée par Chaulnes. La relative transparence de Gentil tout au long de la crise laisse penser qu’il s’agissait d’un individu sans grand talent ni charisme, utile peut-être aux états pour opiner dans le sens voulu par les autorités, mais peu à l’aise face à la rue par avis de tempête. Signe des temps et de leur extrême perturbation, la grande assemblée du nouvel an, moment de mise en scène rituelle du pouvoir municipal et de sa relégitimation, n’est pas convoquée « par le desordre des affaires du temps120 ». Il est vrai que la ville, et, en son sein, la municipalité, vit sa plus grande crise depuis la Ligue.
- 121 SHD, A 1 430, fol. 408, lettre de Louvois à La Vieuville, 19 XI 1675.
- 122 De même la famille de Coëtlogon obtient en 1683 d’être maintenue au gouvernement de Rennes.
45Gentil n’est visiblement pas le seul à subir l’ire royale. Monseigneur de la Vieuville, retiré à Paris, reçoit en effet un ordre de se rendre dans son diocèse de Rennes121. Ne faut-il pas y voir une façon de lui signifier que sa place est au milieu de ses ouailles qu’il doit mener au salut en leur montrant le chemin de la soumission à César ? À moins que ce ne soit une invitation à se rendre aux états pour y appuyer les demandes royales ? Le prélat, ne sachant visiblement comment interpréter cet ordre, demande à Louvois des éclaircissements, mais le ministre lui signifie que les affaires bretonnes ne relèvent pas de son département. La Vieuville meurt à Paris quelques semaines plus tard, sans avoir revu son diocése, bientôt offert à un membre de la famille de Lavardin, ainsi récompensée pour son action122.
- 123 Arch. dép. Ille-et-Vilaine, 1 Bc 5, lettre de d’Argouges au parlement 18 I 1676.
- 124 Fréderic Saulnier, Le parlement de Bretagne, 1554-1790, Mayenne, Floch, 1991, t. I, p. 39-41. De n (...)
- 125 Notons que ce prélat fut à son tour l’objet d’une sédition populaire en 1689, pour avoir voulu int (...)
46Alors que le parlement part pour Vannes, un autre départ doit être évoqué, celui de d’Argouges. Dès janvier 1676, celui-ci est à Paris, où il rencontre au moins Pomponne et Colbert123. Il était sans doute urgent de plaider la cause de sa compagnie, et peut-être surtout la sienne. D’après Cormier, « connoissant l’aversion que le peuple de Rennes avoit pour luy », le premier président n’a pas d’autre but que d’obtenir d’être relevé de ses fonctions. Voulait-il par là admettre qu’il avait fauté ou agi avec faiblesse, ou bien cherchait-il à fuir cette province furieuse où il avait tant de mauvais souvenirs ? C’est la seconde solution que suggère Cormier, qui montre un magistrat cherchant à partir, et auquel le roi ne reproche rien, accédant à sa demande en le faisant conseiller d’État. François d’Argouges termina sa carrière au conseil des finances, et mourut à Versailles en 1695124. Son fils, Florent, qui avait acquis un office de conseiller au parlement de Bretagne, quitte lui aussi le sénat armoricain dès 1676, pour devenir maître des requêtes, et fut même, plus tard, intendant de Moulins, puis de Dijon. La famille semble d’autant moins connaître la disgrâce qu’un autre fils, François, devient en 1687 évêque… de Vannes, dernière étape de la longue relation entre cette famille et la Bretagne125. Les mésaventures de 1675 n’ont donc pas entravé une réussite familiale commencée dans la trésorerie des gabelles sous Henri IV. Ainsi le roi ne devait-il pas voir dans François d’Argouges l’allié silencieux de la rue rennaise, le défenseur ombrageux des libertés bretonnes que La Borderie a vu en lui. D’Argouges a fait profil bas dans la tempête, puis a peut-être profité de ce que Chaulnes était tenu de rester en Bretagne pour se précipiter à la cour afin d’expliquer qu’il avait été, de bout en bout, le meilleur serviteur de Sa Majesté. Dieu sait ce qu’il put alors dire de ses confrères, et plus encore de cette ville de Rennes qui l’avait si mal accueilli quatorze ans plus tôt, et qui ne semble pas l’avoir plus adopté que lui-même ne semble être parvenu à l’apprivoiser. À Rennes, il ne resta bientôt de son passage qu’une tombe dans l’abbatiale bénédictine de Saint-Melaine – là même où Chaulnes aurait songé édifier une citadelle –, gravée en 1674 à l’occasion de la mort prématurée d’un fils de l’« illustre prince du Sénat d’Armorique » et que le continuateur de Morel jugeait un siècle plus tard « très pompeuse ».
Punir la ville (II) : quand l’armée du Grand Roi détruit Jérusalem
- 126 Ce qui a conduit à établir une filiation entre la répression bretonne de 1675 et le sort infligé p (...)
- 127 Daniel Borzeix, René Pautal, Jacques Serbat, Révoltes populaires en Occitanie, Treignac, Éditions (...)
- 128 René Pillorget, op. cit., p. 349 ; Jean Martin de La Colonie, Histoire très curieuse et remarquabl (...)
- 129 Pierre Clément, Lettres, op. cit., t. II ; p. 361.
47Rennes a échappé à la perspective coûteuse d’avoir à financer la construction et l’entretien d’une citadelle, mais dans l’immédiat, la ville est gorgée de soldats qu’il faut loger et nourrir. Elle n’est pas la première communauté du royaume à subir pareille punition, en vertu, à nouveau, du principe de solidarité. La méthode, dont on a souvent dit qu’elle allait connaître un prolongement célèbre avec les dragonnades126, et qui semble avoir été expérimentée dès 1548 à l’encontre de Bordeaux, Agen, Libourne et Limoges127, constitue au siècle suivant une réponse des autorités à la flambée rebellionnaire dont on a plusieurs exemples. Aix en 1630, Rouen en 1639, Moulins en 1640, Angers en 1656, Marseille en 1660 subissent la présence de la soldatesque, qui stationne également dans le Boulonnais en 1662 après la révolte des Lustucrus128. Mais il n’y a rien de systématique : en 1674, Colbert menace l’Angoumois agité de recevoir l’armée destiné à la Catalogne, ce qui ne se fait finalement pas129
Des milliers d’hommes (et de chevaux)
- 130 Arch. mun. Rennes, CC 460.
48Loger et nourrir 5 000 à 6 000 hommes, pour une ville qui compte entre 40 000 et 50 000 habitants avant le départ d’une partie la population pour Vannes, nécessite toute une organisation dont on a vu les prémices avant même l’arrivée de Chaulnes. Plus que le registre de délibération, c’est le compte des miseurs130 qui, grâce aux dépenses occasionnées, nous renseigne le mieux, malgré de menues incohérences, sur le rythme soutenu des réunions destinées à organiser cette arrivée non désirée.
- 131 Arch. mun. Rennes, BB 561, reg. délib., 20 X 1675.
- 132 SHD, A 1 429, fol. 541, lettre de Louvois à Chaulnes, 30 X 1675.
49Selon Morel, pour subvenir à cette présence humaine et animale – soit 8 500 bouches à le croire –, la ville a prévu trois jours de vivres. Ensuite, les paroisses des environs sont sollicitées, ce dernier point étant confirmé par Toudoux et Cormier. Il est cependant bien difficile de savoir ce qui relève de la réquisition et de l’achat. Tout juste sait-on que la communauté a le choix entre le paiement en nature et en argent, et qu’elle choisit le second131, d’où la levée de plusieurs taxes. En fait, deux régimes devaient se succéder, dessinant deux temps punitifs, d’inégale intensité : jusqu’au 15 novembre, l’armée devait vivre aux dépens de la ville, après quoi on passerait au principe établi pour les quartiers d’hiver, les troupes subsistant au moyen de leur solde132. Dans les faits, il faut surtout payer, même après le 15 novembre. Un état récapitulatif retrouvé dans le dossier du receveur municipal permet d’avoir quelques chiffres qui donnent une mesure de l’ampleur de l’effort financier.
Tableau 19. – Activité municipale en octobre au sujet du paiement des troupes en fonction des sources.
|
Registre de délibérations |
Comptes des miseurs |
12 |
Salut à Chaulnes |
Salut à Chaulnes |
13 |
(rien) |
Salut à Marillac |
14 |
(rien) |
Salut à la duchesse de Chaulnes |
18 |
Députation à Chaulnes |
Députation à Chaulnes |
20 |
X |
X |
21 |
X |
X |
22 |
(rien) |
X |
24 |
(rien) |
X |
27 |
X |
Entrevue avec Chaulnes, Forbin, etc. |
28 |
Entrevue avec Chaulnes, Forbin, etc. |
X |
30 |
(rien) |
X |
31 |
X |
X |
X : indication que la communauté traite de la question du financement des troupes.
- 133 Arch. mun. Rennes, FF 440.
Tableau 20. – Le poids financier de la présence des troupes133.
- 134 Arch. mun. Rennes, EE 166.
- 135 Arch. dép. Ille-et-Vilaine, 4 E 388, 6, 9 & 12 X 1675.
- 136 Arch. mun. Rennes, BB 568, reg. délib., 10 XII 1682.
50Toutefois, les dépenses indiquées sont celles arrêtées avant le passage au régime des quartiers d’hiver. D’autres chiffres apparaissent dans un Estat des sommes pour la subsistance des troupes, non daté, qui donne une liste de fournisseurs reprenant en partie la précédente, et qui fait état de 33 055 livres à payer134. Par ailleurs, il semble qu’il faille ajouter quelques sommes complémentaires, comme les 4 575 livres pour les rations et le foin achetés avant l’arrivée des soldats135. De plus, il est clair que les données exposées ci-dessus sont incomplètes puisque, en 1682, il reste encore à la municipalité plus de 26 000 livres à régler à diverses personnes, en particulier aux fournisseurs136.
- 137 Infra.
- 138 Supra, chapitre VII.
51On peut dès lors comprendre que La Monneraye – qui pense il est vrai que plus de 100 000 livres ont été prélevées –, peut insinuer que certains en profitent au passage. Il pointe les officiers des troupes, ainsi que, à nouveau, les gouverneurs. Le notaire-secrétaire n’est pas concerné, étant exempt du fait de son office137, mais il n’en partage pas moins un mécontentement que l’on perçoit aussi chez d’autres. Ainsi Duchemin indique-t-il son exaspération à l’occasion du paiement de la troisième taxe : « avons été injustement taxés 32 L. » écrit-il. Mais avant cela, on perçoit sa désapprobation à sa tendance à exagérer le poids des taxes en question. Il note, au sujet de la première, les montants décidés avant que ceux-ci soient finalement rabaissés, et n’indique pas le correctif ; il évoque à propos de la seconde taxe un produit – exagéré – de 102 000 livres, et ajoute que cette somme a été levée « sans ordre » – sous-entendu « du roi » ? Dans une veine comparable, Morel exagère le produit de la première taxe (60 000 livres selon lui) ; il note aussi scrupuleusement tous les paiements auxquels il est astreint, avant de conclure, au moment du départ des troupes au printemps, que, depuis novembre, il avait dû verser 140 livres pour leur subsistance. En revanche, Toudoux ne fait pas part de son éventuel mécontentement : faut-il faire le lien avec le fait que, d’après le rôle de la troisième taxe, il est un assez petit contributeur, taxé trois fois moins que Duchemin ? L’argument ne vaut sans doute qu’à la marge, les paiements étant en théorie effectués en fonction des capacités de chacun. On remarquera peut-être que les indignés des taxes sont les mêmes que les désapprobateurs du 17 juillet138 : à l’époque déjà Toudoux se démarquait, mais il est difficile de dire ce qui relève du tempérament personnel ou de la culture politique.
- 139 Le caractère inédit de ce type d’imposition est relevé par le greffier-archiviste du début du XVII (...)
- 140 Arch. mun. Rennes, BB 561, reg. délib., 20 X 1675 et suivantes.
- 141 Lettres, op. cit., p. 895, lettre du 30 X 1675.
- 142 Arch. mun. Rennes, FF 440.
52Il faut dire que la mise en place de telles taxes n’est pas coutumière dans une ville exempte de logement des troupes et qui, en, matière d’impôts directs, ne semble avoir connu que les taxes pour les pauvres139. Aussi la mise en œuvre est difficile, d’autant qu’il faut faire vite. Suite à la demande de Chaulnes, le 20 octobre, officiers miliciens et commissaires nommés pour chaque quartier sont à pied d’œuvre, et des receveurs sont nommés140. On notera que la demande est formulée après que la ville soit pour l’essentiel désarmée, non sans lien sans doute. Au total, avec les officiers miliciens, ce sont plusieurs dizaines de personnes qui sont mobilisées pour cette opération. La liste des 25 receveurs dessine les contours de la notabilité urbaine, avec des hôtes, des marchands, un teinturier et des petits robins, tous gens de confiance certainement. Sous la houlette du duc, on décide que les habitants seront répartis en trois classes tenues de payer respectivement 36, 18 et 9 livres, mais ramenés à 24, 12 et 6 livres, suite à une intervention de Gentil acceptée par Chaulnes, sans doute soucieux de tenir plutôt que de courir. Madame de Sévigné indique que l’on espère 100 000 livres, et, exagérant sans doute un peu, précise que « si on ne les trouve pas dans vingt quatre heures, elle sera doublée et exigible par les soldats141 ». Au moins nous renseigne-t-elle sur l’idée qu’une forte pression pèse sur les bourgeois. D’après Morel, tout le monde n’est pas assujetti à cette taxe dont sont selon lui exemptés le clergé, la noblesse, les officiers du parlement jusqu’aux huissiers – réputés non-Rennais désormais –, les officiers de la chancellerie – assimilables aux précédents –, ceux du présidial – nouvelle élite dominante et dépositaire de l’autorité royale –, les receveurs des décimes, les échevins et « même leurs veuves ». Mais ces trois dernières catégories ne sont pas explicitement indiquées dans l’ordonnance prise sur le sujet par Chaulnes le 24 octobre142. La suite va montrer que Morel n’a pourtant probablement pas rêvé, et que les autorités locales ont su certainement prendre quelques libertés.
- 143 Arch. mun. Rennes, BB 561, reg. délib., 28 X 1675.
53Une deuxième levée est bientôt nécessaire et Chaulnes, le 28 octobre, en pose les bases143, ayant été alerté sur le caractère trop dur du régime basé sur trois classes seulement, nous dit Morel. Aussi, afin d’éviter les fraudes et les abus, le duc exige l’instauration de 8 classes, les six premières « selon les facultés », la septième comprenant les privilégiés et exemptés et la dernière les pauvres. Chaulnes précise que les rôles devront être entièrement renseignés par les capitaines, « sans obmission à peine d’en repondre en leur propre et privé nom ». La séance préparatoire se déroule au manoir épiscopal, car Chaulnes refuse à l’évidence désormais d’entrer à l’hôtel de ville. Le duc est entouré des évêques de Saint-Malo et de Quimper, des gens du présidial et d’un « grand nombre de personnes de consideration ». Les portes sont en outre laissées grandes ouvertes afin « de laisser la liberté a un chacun d’y entrer pour alléguer les moiens et les raisons sur le fait des rolles, taxes et cotisations pour la subsistance des troupes ». Il s’agît à l’évidence autant pour Chaulnes d’impressionner la communauté de ville et de lui manifester sa grandeur que de jouer la carte de la transparence contre les manœuvres obscures nées de petits arrangements réels ou supposés entre amis, parents et voisins. Ces ordres donnés, les bourgeois se remettent au travail et le nouveau rôle est présenté le 6 novembre au duc, toujours dans la grande salle du manoir épiscopal avec, semble-t-il, le même cérémonial. Le registre, comme souvent en cas de tension, est peu bavard, mais Duchemin nous permet de comprendre que ce moment est celui d’une humiliation pour les bourgeois les plus en vue – dont Duchemin n’est pas, d’où un certain plaisir à rapporter la chose ?
« Nonobstant que les capitaines, les échevins, leurs veuves, les receveurs des décimes et autres soi disants privilégiés eussent été mis au nombre des exempts, mondit seigneur le duc les a néanmoins condamnés de payer les taxes aussi bien que les autres habitants. Les huissiers de la cour furent aussy taxés. »
54Morel est encore plus clair sur cette séance. « Question agitée », note-t-il au sujet de l’exemption prétendue par les échevins et les veuves de leurs confrères décédés. Et de rapporter que Chaulnes explique que s’il refuse l’exemption pour ces derniers, c’est « pour n’avoir point apporter de soins et pour empescher la sedition, etc. ». Quel dommage que ce « etc. », même si la suite révèle l’extrême climat de tension : « Le duc de Chaulnes entendant qu’ils murmuroient, leur dit “ne me poussez pas d’avantage”. » Pourtant, les Rennais semblent avoir fait de la résistance. À première vue, Chaulnes est bel et bien obéi, et, dans la seconde taxe, le nombre de personnes mises à contribution passe monte à 4 121 contre 2 879 dans la première. Mais alors que, la première fois, presque un tiers des contribuables payait dans la plus haute des trois classes, la fois suivante, ils sont moins de 10 % à être taxés dans les deux premières des six classes. Dans le même temps, le tiers moins taxé regroupe désormais les trois-quarts des contribuables, contre près de la moitié précédemment. Dans ces conditions, il n’est guère étonnant que le receveur municipal ait recueilli une somme plus faible la seconde fois.
- 144 Le parlement de Rennes est semestre.
- 145 Deux rues manquent : la rue Hux et la rue Haute (cette dernière non sans lien sans doute avec le t (...)
55En janvier 1676, une troisième taxe est prélevée, toujours ordonnée par Chaulnes. Celui-ci institue cette fois cinq classes de 10 à 72 livres, ce qui est un plafond très conséquent. À lire le rôle de cette dernière taxe, la seule pour laquelle nous ayons des listes de noms, les notables sont largement mis à contribution – à l’exception des parlementaires pourtant encore résidant pour partie144. Ainsi, parmi les gens taxés au titre de la première classe, on croise le marquis de Coëtlogon lui-même qui montre l’exemple, suivi de son lieutenant et parent le vicomte de Méjusseaume, du substitut des états Bossard du Clos, du connétable Louvel, des conseillers au présidial, des anciens syndics Hévin et Meslée de la Monneraye, des échevins, des banquiers Gardin, Ravenel et Doudart ou encore La Fuye Cotton, et tant d’autres. Cette fois, et bien qu’il n’y ait que 1 383 contribuables145, le produit de la taxe rejoint celui de la première levée. Sans doute faut-il voir dans ce résultat la conséquence du faible rendement de la seconde taxe, qui a pu conduire à un sursaut visant en premier lieu les plus aisés. Ainsi, 31 % des personnes mises à contribution paient dans les deux premières classes. Dans le même temps, en mettant la dernière classe à 10 livres, on a sans doute exclu volontairement les plus modestes, ce que tend à montrer le relevé des états des plus bas taxés, qui sont certes charpentiers ou poissonniers, mais aussi notaires, huissiers ou procureurs. Ainsi cette dernière taxe à tout l’air d’avoir été une taxe sur les aisés de la ville.
- 146 Arch. mun. Rennes, BB 561, reg. délib., 27 X 1675 et suivantes.
- 147 D’après sa requête : Arch. mun. Rennes, EE 166.
- 148 Arch. mun. Rennes, EE 166.
56Dès le début, et comme toujours en pareil cas, un des grands enjeux a donc été la gestion des exemptions, dans une société dans laquelle le privilège est central. Morel consacre de manière révélatrice tout un article aux exempts de la première taxe, et rapporte avec précision, voire gourmandise, on l’a vu, les déboires des échevins. En fait, entre la fin du mois d’octobre et le début du mois de novembre, la communauté de ville est assaillie par des individus ou groupes d’individus qui réclament l’exemption, et sont le plus souvent déboutés146. Il en va ainsi des officiers de la monnaie, des fermiers du domaine, des arpenteurs, des commis du greffe du présidial et du fermier de la halle. Un prétendu écuyer est également débouté de sa demande, « attendu son trafic et debit actuel ». Mais d’autres obtiennent satisfaction, tel le sieur Dumaine, receveur des devoirs de la ville, qui fait valoir qu’il a été physiquement menacé à plusieurs reprises durant les troubles, qu’il a même été maltraité et qu’il a dû abandonner sa demeure147. D’autres, enfin, voient leur requête traitée par le duc de Chaulnes directement. C’est le cas des officiers inférieurs du parlement, des référendaires à la chancellerie, dont le cas est transmis par la communauté au duc. C’est aussi le cas du procureur Drouet, se disant noble et enjoint en conséquence de présenter ses titres au gouverneur. Mais d’autres obtiennent directement l’exemption de ce dernier, comme le greffier de la prévôté Joulland, cas que Morel relève d’ailleurs, car ayant été décrété exempt de manière publique lors de l’assemblée du 6 novembre. Cependant, le duc renvoie aussi parfois la décision à la communauté, comme il le fait pour un procureur du roi des eaux et forêts. Ainsi les bourgeois de Rennes se retrouvent-ils habilités à statuer sur les privilèges revendiqués en vertu d’offices royaux. Pourtant, prenant sans doute acte du fait que sa marge de décision en la matière est malgré tout assez faible, la communauté finit par décider, le 13 décembre, que toutes les demandes seront dorénavant traitées par Chaulnes. Faut-il faire un lien avec un certain durcissement dû au médiocre rendement de la deuxième taxe et à la nécessité en conséquence d’être plus efficace ? C’est peut-être par ailleurs le traitement par Chaulnes qui explique que l’on n’a pas la réponse aux requêtes – conservées dans les papiers municipaux – de tel noble ou tel individu affirmant ne pas être Rennais et avoir été injustement taxé148. Dans l’ensemble, la plupart des requêtes émanent de personnes affirmant être protégées de telles taxes du fait de leur état avantageux. Plus rares sont ceux qui se présentent à la communauté et au duc de Chaulnes en raison de leur pauvreté déclarée, ne serait-ce que parce que les pauvres sont d’emblée exempts. Cependant, la limite séparant la pauvreté de la petite aisance n’est jamais simple à fixer et ainsi voit-on la demande d’exemption d’un vieillard de 70 ans qui affirme ne subsister que par la charité de ceux à qui il porte les lettres à la poste. Il en va de même de l’apothicaire Le Taneulx, âgé de 62 ans, et pourtant égailleur de la seconde taxe, jeté (dit-il) dans la pauvreté par le non-paiement de ses clients, et qui avoue pouvoir d’autant moins payer qu’il doit loger quatre soldats.
- 149 Arch. mun. Rennes, BB 561, reg. délib., 22 XII 1675.
- 150 Arch. mun. Rennes, EE 166.
57En effet, outre le paiement pour la subsistance, il y a le logement des gens de guerre. Apparemment traité pour l’essentiel au niveau des connétables et sans doute aussi des capitaines de milice149, cet aspect émerge peu dans les registres de délibérations. Les papiers municipaux conservent quelques pièces instructives dont l’utilisation n’est pas aisée150. Les écrits du for privé aident cependant à saisir cette présence : Morel et Duchemin, en particulier, se distinguent par la minutie de leurs annotations, même si les informations qu’ils fournissent ne sont pas toujours parfaitement concordantes. Ils se distinguent de Cormier et de La Monneraye – qui ont peut-être réussi à échapper à cette servitude –, mais aussi de Toudoux qui, à nouveau, se démarque en se montrant peu attentif à cet aspect de la punition qui le concerne pourtant selon toute évidence.
- 151 Voir par exemple SHD, A 1 430, fol. 296, lettre de Louvois à Chaulnes, 14 XI 1675.
- 152 Lettres, op. cit., p. 891, lettre du 27 X 1675.
- 153 Infra, chapitre XI.
- 154 SHD, A 1 470, fol. 30, lettre de Louvois à Pomereu, 2 I 1676.
- 155 Ces opérations consistent apparamment à faire tourner les soldats d’hôtes en hôtes, peut-être à la (...)
58À suivre Morel et Duchemin, dès le 29 octobre, un mouvement de reflux s’amorce avec le départ des dragons pour Bordeaux, suivis de 600 fantassins à la Toussaint, et ainsi de suite, le roi affectant, à travers ce que Louvois dit de ses ordres, de vouloir soulager Rennes151. En fait, à en croire la marquise de Sévigné, il est prévu que seule la moitié des troupes doit rester sur place pour l’hiver152. Mais à en croire Morel, il en va différemment car il ne reste plus selon lui que 1 000 hommes début décembre, lorsqu’une nouvelle vague submerge la ville, forte, d’après ce dernier, de 6 000 hommes, essentiellement des régiments du Dauphin et de la Reine, venus là au titre des quartiers d’hiver153. Le 14 décembre voit, d’après Duchemin, un « delogement géneral », suivi d’une reformation des étapes dans les jours suivants, liée à l’arrivée du bataillon de la Couronne, celui-là même qui a fourni les compagnies venues en juin. Puis, tout au long de janvier et février, des unités quittent la ville. En même temps, Louvois lui-même fait état de ce que le roi a voulu épargner les Rennais en prenant en charge le paiement de la moitié de l’ustensile, le reste étant toujours à payer par la ville154. Durant ces deux mois, Rennes vit au rythme des revues et des « délogements » que Duchemin finit par appeler « desolement155 ».
- 156 SHD, A 1 470, fol. 515, lettre de Louvois à Pomereu, 30 I 1676.
59Morel et Toudoux s’accordent sur un point : le 1er mars est le jour du départ définitif des soldats, la date ayant été avancée dans la perspective de la campagne des Flandres156. Morel parle de la « joie » des habitants, et Toudoux de leur « grande joie ». Le procureur note cependant que quelques éléments restent encore, et qu’en avril 40 soldats sont toujours à l’hôpital. Le lendemain de ce grand départ, Chaulnes quitte Rennes et la Bretagne un peu moins d’un an après y être entré pour retourner, dit-on, à Paris. Il est presque aussitôt remplacé par Lavardin, et chacun voit bien qu’un moment fort de l’histoire de la ville s’achève. Le 14 mai, note Duchemin toujours friand de ces choses, la cathédrale de Rennes retentit du premier Te Deum de la nouvelle campagne. L’armée virtuelle et lointaine, bras armé de la gloire du roi inscrite dans le plan de Dieu remplaçait l’armée réelle, perçue au bas mot comme encombrante, voire comme un aperçu des horreurs de l’Enfer.
Soudards et braves types
- 157 Catherine Denys, op. cit., p. 141 sq.
60Les historiens ont beaucoup glosé, à la lumière de quelques témoignages saisissants, sur la question de la présence réelle des troupes dans l’espace quotidien. Récemment, pourtant, les recherches de Catherine Denys menées sur des espaces saturés de soldats sur un long XVIIIe siècle qui inclut le règne de Louis XIV, ont permis de nuancer l’image du soudard martyrisant sans vergogne le bon bourgeois157.
- 158 Arch. mun. Rennes, EE 166.
- 159 Arch. mun. Rennes, GG 18 St-Germain, 14 I 1676.
- 160 A. Navereau, Le logement et les ustensiles des gens de guerre de 1439 à 1789, Poitiers, 1924, p. 8 (...)
61Concrètement, les cas que nous connaissons nous montrent que des gens appartenant à la strate inférieure du monde des élites urbaines, comme Morel et Duchemin, accueillent entre deux et cinq soldats simultanément. Mais il n’y a pas de règle et tout cela peut fluctuer : Morel en accueille ainsi deux en novembre, mais l’un d’eux rejoint l’hôpital, avant que trois autres n’arrivent à leur tour en décembre ; quelques jours plus tard, un capitaine lui annonce qu’il aura deux nouveaux hôtes, mais le sergent ne lui en laisse finalement qu’un seul. Le Taneulx, apothicaire impécunieux déjà croisé, en a lui aussi quatre à demeure. La veuve Lepaige, mère de cinq enfants, se plaint quant à elle d’avoir eu à loger un capitaine, ce qui lui faisait 9 à 10 bouches en comptant valets et chevaux. Selon La Monneraye, adepte d’une version plus catastrophée des faits, tous les habitants sont touchés, « même MM. les conseillers au presidial », ce que confirment les listes du contrôle des troupes, qui montrent aussi que les bourgeois de l’hôtel de ville n’y échappent pas158. Ces listes signalent aussi un logeur qui l’est « quoyque gentilhomme ». Il n’est pas certain que le clergé ait été totalement épargné, puisque l’on voit un capitaine mourir dans un presbytère159. Ceci voudrait dire que Chaulnes avait outrepassé les règles édictées dans le règlement de 1651, qui prévoie qu’ecclésiastiques, gentilshommes (au moins ceux faisant profession des armes), magistrats des présidiaux et échevins sont exempts160. Cependant, La Monneraye avoue qu’il est exempté en tant qu’officier du parlement.
- 161 Ibid., p. 91.
62D’autres, à en croire les papiers du contrôle des troupes, échappent à cette servitude en quittant la ville, peut-être pour suivre le parlement, mais sans doute pas seulement, les désertions étant fort courantes en pareil cas161. Un mélange d’improvisation et de mauvaise volonté rend en outre la vie des soldats eux-mêmes souvent assez peu confortable. Les mêmes papiers attestent des difficultés concrètes rencontrées par les officiers et les connétables chargés de l’opération : dans tel faubourg, 20 logements sont inutilisables, et les soldats pas nourris ; ailleurs, deux soldats n’ayant pas de logeur sont transférés à l’hôpital ; dans une compagnie, onze soldats sont dits mal logés ; tel cordonnier ne peut quant à lui héberger que deux des trois soldats qui lui sont envoyés ; ailleurs, il est noté que « la plupart des logements ne valent rien ».
- 162 Soit, détaille-t-il « le pot et le plat, feu pour cuire et manger leur viande, sel et vinaigre pou (...)
63Selon Morel, le plus disert de nos scripteurs sur ces questions qui visiblement l’intéressent beaucoup – et plus que les révoltes du printemps et de l’été –, les Rennais doivent non seulement loger les soldats, mais encore leur fournir l’usten162, conformément aux règles en vigueur. Chaque soldat doit cependant acheter ses vivres et a l’interdiction d’exiger autre chose de ses hôtes. Les Rennais ont quant à eux l’interdiction de vendre vin et cidre aux soldats, d’autant que le duc de Chaulnes a institué des points de distribution qui leur sont réservés. Malgré leur complexité, il apparaît que ces dispositions sont prises pour éviter des dérapages, lot habituel des villes de garnison.
- 163 Infra, chapitre XI.
- 164 Lettres, op. cit., p. 944, lettre du 20 XII 1675.
- 165 Ibid., t. II, p. 13, lettre du 5 I 1676.
64Au-delà de l’aspect quantitatif, on a en effet souvent insisté sur la brutalité de la troupe lors de ces quelques mois passés à Rennes et en Bretagne163. Le plus célèbre des « témoins » des exactions militaires est assurément la marquise de Sévigné. En décembre, elle parle, à propos de la situation bretonne en son entier, de « dix à douze mille hommes qui vivent comme s’ils etoient au-delà du Rhin »164 ; puis, en janvier, elle ajoute : « nos soldats… s’amusent à voler, et mirent l’autre jour un petit enfant à la broche165 ». Cette anecdote terrible est également rapportée par Duchemin qui a laissé sur le sujet des exactions militaires un texte justement célèbre, se rapportant au mois de décembre :
« Plusieurs habitants de cette ville et faubourgs ont été battus par les soldats qui étaient chez eux et tous les soldats ont tellement vexé les habitants qu’ils ont jeté de leurs hôtes et hôtesses par les fenêtres, battu et excédé, violé des femmes en présence de leurs maris, liés des enfants tous nus sur des broches, iceux fait rôtir voulu faire rôtir, rompu et brûlé les meubles, démoli les fenêtres et vitres des maisons, exigé de grandes sommes de leurs hôtes et commis tant de crimes qu’ils égalent Rennes à la destruction de Jerusalem. »
- 166 Arch. dép. 4 E 696, 28 III 1676. Celui que La Monneraye prétend avoir fait dresser suite aux dégât (...)
65Cette fois, le notaire n’emploie pas le conditionnel, ce qui doit être mis a priori à son crédit. La Monneraye, très mécontent lui-aussi de la situation, parle de soldats vivant « à bouche que veux tu », « quasi à discretion » ; il rapporte également qu’ils ont saccagé un logement appartenant à son beau-frère, s’en prenant même aux arbres et aux fruits, des pommes ou des poires très certainement vue la saison. La veuve Le Paige affirme quant à elle qu’une maison lui appartenant a été « ruinée » par les gens de guerre. Combien de pareils cas la ville connait-elle ? Les minutes des notaires – qui ne sont pas toutes conservées mais constituent un corpus permettant d’embrasser largement la société urbaine – ne contiennent qu’un seul procès-verbal de dégradations dues à des soldats, dans la maison d’un procureur située au Champ-Jacquet166. À croire les plaignants, les hôtes indésirables sont de parfaits vandales, brûlant portes et meubles et pillant la cave. D’autres habitants ont sans doute à souffrir de cette présence, mais l’absence de traces en nombre laisse penser que, souvent, les dégâts sont limités, ne justifiant pas d’aller chez le notaire dresser un état des lieux. Cormier rapporte quant à lui, qu’un soldat a « maltraité et concusionné » un hôte. Mais selon Morel, l’affaire est un peu différente : le fantassin ayant fait « quelques depenses… qu’il ne vouloit pas payer », l’affaire dégénère en un affrontement entre les amis du mauvais client et… des mousquetaires, détail confirmé par Duchemin lui-même. Morel l’a bien dit quelques jours plus tôt, ceci pouvant d’ailleurs faire contraste avec les autres corps : « les mousquetaires [sont] tous gens d’honneur et fort sages ». L’affaire se conclut par l’exécution d’un des soldats, mais il vrai que la peine est d’autant plus sévère que, nous disent Duchemin et Morel, le fantassin a blessé un mousquetaire.
- 167 On sait aussi qu’un autre est mort en prison en janvier (Arch. mun. Rennes, GG 11, St-Aubin, 22 I (...)
- 168 SHD, A 1 470, fol. 220, lettre de Louvois à Pomereu, 14 I 1676.
- 169 SHD, A 1 471, fol. 278, lettre de Louvois à Pomereu, 16 II 1676.
- 170 On songe en particulier à celles qu’ont pu commettre les soldats du régiment maltraité en juin.
- 171 Arch. mun. Rennes, GG 31, Toussaints, 28 XII 1675, 19 II 1676.
66Cette affaire est emblématique à plus d’un titre. Elle vient montrer à nouveau qu’il faut se méfier des témoignages uniques. Ici, deux versions s’affrontent : l’une qui met en cause les soldats agresseurs et les populations civiles victimes, et une autre qui, sans nier ceci, ajoute l’idée qu’il y a des « bons » et des « mauvais » soldats. De plus, les trois témoignages s’accordent pour souligner que l’affaire conduit, le 31 octobre, à la pendaison d’un des soldats, devant plus de mille de ses camarades, précise Morel. Duchemin rapporte également que trois autres soldats sont « passés par les armes » en janvier et février167, preuve qu’à Rennes, comme dans les Malheurs de la guerre de Callot, la justice militaire sait sévir, en même temps que signe clair que les violences sont réelles. En effet, il faut en faire beaucoup pour arriver à de telles extrémités punitives. Ainsi un sous-lieutenant dont l’attitude vis-à-vis de ses hôtes a été signalée au roi, est cassé, Louis XIV estimant qu’il faut lui faire procès168. Mais sans doute le crime de l’officier est-il jugé insuffisamment grave, et les besoins de l’armée suffisamment importants, car finalement, le roi se ravise quelques semaines plus tard. Louvois rappelle alors la règle : tous les officiers et soldats n’ayant pas commis de « grands désordres » devront être libérés – combien sont-ils en Bretagne ? – et les autres, coupables de « crimes capitaux », durement châtiés169. Cependant, rien ne dit que ces crimes sont forcement liés à des exactions commises contre les civils170, la société militaire n’étant pas exempte de violences internes. Les registres paroissiaux mentionnent ainsi le meurtre de deux soldats victimes de leurs camarades, à chaque fois indiqués au pluriel171. Qui sait d’ailleurs si ce n’est pas ces crimes-là qui sont punis par les exécutions susmentionnées ?
- 172 Séverin Canal, « Essai sur Auguste-Robert de Pomereu, intendant d’armée en Bretagne (1675-1676) »,(...)
67Le bras armé de cette politique toute en nuance est Auguste de Pomereu, arrivé à Rennes le 16 décembre comme intendant des armées, en vertu d’une commission en date du 30 novembre valable pour toute la Bretagne172. À son arrivée, la marquise de Sévigné s’exclame :
- 173 Lettres, op. cit., t. I, p. 942, lettre du 18 XII 1675.
« Il est reçu comme un dieu, et c’est avec raison ; il apporte l’ordre et la justice pour régler dix milles hommes, qui sans lui nous egorgeroient tous173. »
- 174 Ibid., p. 933, lettre du 11 XII 1675.
- 175 Jean Nicolas, La rébellion française. Mouvements populaires et conscience sociale, Paris, Seuil, 2 (...)
- 176 Lettres, op. cit., p. 942 et 948, lettres du 18 et 22 XII 1675.
- 177 Ibid., p. 942, lettre du 18 XII 1675 ; SHD, A 1 486, fol. 527, lettre de Pomereu à Louvois, 9 II 1 (...)
- 178 SHD, A 1 430, fol. 296, lettre de Louvois à Chaulnes, 14 XI 1675.
68Cet ancien intendant du Berry, du Bourbonnais et d’Auvergne voit son action dans le cas présent cantonnée aux affaires militaires, contrairement à ce que croit un moment la marquise, qui l’imagine en route vers une place d’intendant de Bretagne174. C’est un homme expérimenté et de confiance : quelques années plus tôt, il a su être intraitable suite aux émeutes berruyères175 ; l’année précédente, il a été chargé de l’instruction du procès des conjurateurs normands. Pour autant, il ne remplace pas Marillac – reparti en Poitou début novembre –, dont la mission était dirigée contre les séditieux. La dame des Rochers, attentive aux soubresauts du microcosme dirigeant la province, note que l’arrivée de ce personnage inquiète Chaulnes176. Mais le commissaire, tout tendu vers l’idée de faire sa cour pour continuer son ascension, n’entend pas entrer en conflit avec l’ombrageux duc, et sait apparemment adopter une posture idoine177. Selon Séverin Canal, qui a trouvé deux versions de la commission de Pomereu, le fait que la seconde comporte une moindre étendue juridictionnelle du commissaire peut d’ailleurs être le résultat d’une demande du sourcilleux Chaulnes. Au même moment, le roi tranche en faveur de Coëtlogon-père dans un conflit l’opposant à un officier qui refuse ses ordres178. Ainsi, malgré leurs craintes, les représentants locaux du pouvoir royal ne sont donc pas déchus de leurs prérogatives, et peuvent même ressortir renforcés de l’épreuve.
- 179 Arch. dép. Loire-Atlantique, B 2620 et 2622.
- 180 Dans 26 cas, il sont indiqués comme soldats, mais il faut sans doute ajouter à la liste 20 individ (...)
69Pour les Rennais, l’essentiel n’est évidemment pas dans ces querelles de pouvoir, mais dans cette présence militaire inédite sur laquelle il faut encore dire un mot. Quatre soldats sont donc exécutés : c’est assez pour considérer que la ville a connu de nombreux désordres – à supposer que les crimes aient eu lieu à Rennes, ce qui n’est pas absolument certain. Au même moment, les listes de soldats passés dans les geôles du palais ci-devant du parlement sont sans appel179 : seuls quatre déserteurs et autant de soldats sont signalés dans les dernières semaines de 1675, mais dans les trois premiers mois de l’année suivante, une grosse quarantaine de militaires sont mis à l’ombre, en général pour des durées très courtes, de quelques jours tout au plus180. C’est évidemment beaucoup, mais cela révèle autant la turbulence militaire que la sévérité de Pomereu. De plus, cela reste insuffisant pour jeter l’anathème sur l’ensemble des milliers de soldats présents. Et à nouveau, de plus, il est possible que ces chiffres valent pour toute la Bretagne.
- 181 Présentée par un historien aussi avisé qu’André Corvisier comme un fait susceptible d’illustrer la (...)
- 182 Ajoutons que dans une lettre envoyée avec celle de sa mère à sa sœur, Charles de Sévigné évoque si (...)
- 183 On songe à la figure de l’ogre ; voir également quelques mentions à ce thème signalé dans Conrad L (...)
- 184 Voltaire, Œuvres complètes, Paris, 1785, t. XXXII, p. 60.
- 185 Yves-Marie Bercé, Histoire, op. cit., p. 63.
- 186 Alain Corbin, Le village des « cannibales », Paris, Aubier, 1990 ; Stéphanie Gimbert, « Le canniba (...)
- 187 Une des gravures des Misères de la guerre montre aussi un homme en train de rôtir dans la cheminée (...)
- 188 Thomas Bourges, Les villes du centre Bretagne pendant les guerres de la Ligue (1589-1598), master, (...)
- 189 Wallons embrochant des nourrissons, Croates jetant des enfants au feu rapportera plus tard Schille (...)
- 190 Je remercie Yann Lagadec de m’avoir signalé et communiqué le « beau » document reproduit ici, ains (...)
70De fait, il est frappant de voir que les crimes les plus horribles sont ceux qui ont le plus attiré l’œil des historiens, même si force est de constater que ces exemples sont mal documentés et finalement isolés. L’affaire de l’enfant mis à la broche181, qui n’est déjà plus qu’une intention non aboutie chez Duchemin – alors qu’il est un fait avéré sous la plume de la marquise – pourrait bien n’être qu’une légende182. C’est en effet un thème qui, avec des variantes, court de la littérature populaire183 à la littérature éclairée184, et relèverait aussi, nous dit Yves-Marie Bercé, de la « jactance » militaire185. L’allusion à la grillade d’humains – préambule au cannibalisme –, d’autant plus odieuse qu’il s’agit d’un enfant, est assurément un procédé narratif classique destiné à exprimer la cruauté absolue, le dépassement de toutes normes morales186. Cela n’est d’ailleurs pas récent, et ressurgit de loin en loin dans les récits et les images de massacre187. Il est possible si ce n’est probable que les atrocités commises pendant les guerres de Religion188, ou encore pendant la guerre de Trente ans aient eu ici une influence, à partir des récits largement diffusés, en particulier celui du terrible sac de Magdebourg en 1631189, ou encore d’images comme celle reproduite ci-dessous190. Ainsi plane sur l’allusion rennaise de Duchemin et de Sévigné tout un flot d’images hautement signifiantes.
- 191 Lettres, op. cit., t. II, p. 13, lettre du 5 I 1676.
71À Rennes, comme à chaque fois, se pose la question de la véracité de telles atrocités. Or, de fait, rien, dans les registres paroissiaux rennais ou dans les autres écrits du for privé n’émerge qui pourrait faire penser que de tels actes se sont produits. Duchemin – dont on remarquera que cette fois il ne cite pas de nom, lui qui nous a habitués à le faire – a bien pu colporter un bruit incertain. Ce bruit, une fois arrivé au château des Rochers, serait donc devenu une absolue certitude, transformée comme tel par la célèbre épistolière du fait de son désir de pimenter une correspondance dont le but ultime n’est pas tant de dire le vrai que de le faire sentir, et, au-delà, d’entretenir et maintenir une relation avec un être très aimé. De là est née une vérité historique. Mais, d’une certaine façon, même la marquise nous met sur la piste d’une brutalité limitée, ou, à tout le moins, contenue quand, après avoir signalé cette affaire d’enfant et avoir dit que ces gens s’amuse à voler, elle ajoute, ce qu’on oublie en général : « mais d’autres desordres, point de nouvelles191 ». On pourra objecter qu’on n’est que début janvier, et qu’elle peut de surcroît témoigner de l’indulgence pour son ami Pomereu, mais en même temps, comment ne pas remarquer que sa correspondance ne contient aucune autre anecdote, même au sujet des troupes stationnées désormais aussi à Vitré.
- 192 Ibid., t. I, p. 891, lettre du 27 X 1675.
- 193 La traditionnelle sous représentation des viols dans les affaires judiciaires peut laisser penser (...)
- 194 François Lebrun, « L’évolution », art. cit.
- 195 Arch. mun. Rennes, GG 31-32 Toussaints, St-Germain.
72Le dossier de l’activité sexuelle des soldats entre dans le même cadre des exactions de la troupe, entre réalité et fantasme. Duchemin, avec force, on l’a vu, dénonce les viols en présence des maris, accusation au demeurant classique dans les récits de guerre. La marquise, plus modérée et un peu amusée, note pour sa part, lorsqu’elle apprend que 2 000 à 3 000 hommes passeront l’hiver à Rennes, que « ce sera assez pour y faire des petits, comme dit le maréchal de Gramont192 ». En écho, Morel écrit, au moment où les dernières troupes s’en vont, que le régiment du Dauphin a, dit-on, « débauché 3 à 400 chambrières ». Il est impossible de creuser la piste des viols193. Il est aussi très difficile de se faire une idée de l’impact de la présence des soldats sur les naissances dans la mesure où l’année 1676 voit un effondrement du nombre de baptêmes, consécutif au départ des gens suivant le parlement, non compensé par les troupes194. Un sondage dans les registres de deux paroisses importantes dont les clercs semblent indiquer méthodiquement les naissances illégitimes ne permet pas de dégager des éléments très saillants, à peine un frémissement que l’on peut éventuellement relier à la présence militaire195.
- 196 Chiffre peut-être un peu plus élevé : on a en effet retrouvé un contrat de mariage sans parvenir à (...)
- 197 Six cas relevés entre décembre et janvier.
- 198 Seize cas, non comptés les deux assassinés mentionnés plus haut.
- 199 Yann Lagadec, dans Annie Antoine, Cédric Michon (dir.), Les sociétés au XVIIe siècle, Rennes, PUR, (...)
- 200 Arch. dép. Ille-et-Vilaine, 4 E 695, 4 II 1675.
- 201 Arch. dép. Ille-et-Vilaine, 4 E 389, 24 I 1676.
- 202 Arch. dép. Ille-et-Vilaine, 4 E 696, 24 II 1676.
73De plus, il faut insister sur le fait que des unions entre soldats et rennaises peuvent donner lieu à des naissance parfaitement légitimes, dans la mesure où les registres rennais mentionnent onze mariages de soldats, dont sept de façon certaine avec des paroissiennes196. Le soldat en quartier à Rennes n’est donc pas réductible à l’image du soudard cher à la dame des Rochers. Les registres paroissiaux nous renvoient une autre image. Celle, tout d’abord, du père d’enfants conçus à l’évidence avec des femmes suivant la troupe197. Celle aussi, du pauvre hère qui achève sa vie sur les bords de la Vilaine198, conformément à ce que nous savons de la mort du soldat, due souvent aux suites de maladies199. C’est d’ailleurs sans doute parce qu’il est malade que tel exempt de la maréchaussée, originaire de Toulouse, teste devant notaire et demande des messes200. On est même touché en lisant qu’un soldat s’oblige à faire enregistrer par un notaire l’histoire selon laquelle il entend attester de la mort d’un Rennais nommé Beaumanoir, qu’il a connu naguère à Paris et qui a été à l’en croire victime des troubles dans l’affaire des gardes corses à Rome en 1662 où il le vit pour la dernière fois, alors que lui-même y était en pèlerinage201. De même, un capitaine profite de l’étape rennaise pour indiquer devant notaire qu’un cadet de sa compagnie, breton d’origine, à qui il avait donné son congé, est réputé mort202.
- 203 Arch. dép. Ille-et-Vilaine, 4 E 389, 26 II 1676.
- 204 André Corvisier (dir.), Histoire militaire de la France, Paris, PUF, 1997, t. I, p. 448.
- 205 Arch. dép. Ille-et-Vilaine, 4 E 392, 20 X 1676 (et procuration du 5 III 1676).
- 206 Arch. dép. Ille-et-Vilaine, 4 E 696, 21 III 1676.
74Par ailleurs, quelques documents attestent de relations non conflictuelles entre soldats et population. Un sous-lieutenant emprunte ainsi de l’argent à un seigneur local pour refaire son équipage, mais il est vrai qu’on est ici entre gens de bonne compagnie203. On ne sait en revanche si les trois livres que Morel donne à un de ses hôtes, pour qu’il aille voir les siens à une journée de Rennes, lui ont été remboursés. Le même Morel ne semble pas particulièrement effarouché par les soldats qu’il doit héberger. Certes, il n’en est pas heureux, mais il connaît leur nom, nous les livre, donne des éléments biographiques sur tel ou tel, attestant de relations qui ont pu aller jusqu’à la cordialité. Au fond, avec Morel, mais non avec Duchemin, c’est « l’amorce d’une lente réhabilitation du soldat » perçue à l’échelle du royaume par André Corvisier qui se dessine204. Le même Morel, émerveillé par la revue de la Courouze, se plaît à décrire les uniformes – cette nouveauté du siècle – et prend des notes sur la composition des unités : ce milicien, naguère plus sensible aux festivités à Saint-Melaine qu’aux opérations de maintien de l’ordre, appartient à la grande famille en devenir (et aujourd’hui en déclin ?) des Français qu’émerveillent les fastes militaires. Et signe que l’armée n’est pas totalement répulsive, le fait que les minutes notariales nous signalent le cas d’un boulanger parti avec les troupes comme soldat, laissant femme et enfants205 ; il est même imité par un membre de la famille de la Monneraye, celui-là même qui a été blessé en avril lors de l’émeute206.
- 207 Madeleine Foisil, op. cit., p. 293-294.
- 208 Sur ce point précis : Hervé Drevillon, Les rois absolus, 1629-1715, Paris, Belin, 2011, p. 260.
75La présence de l’armée à Rennes n’en est pas moins une punition, et rappelle fortement ce que connut Rouen en 1640, allant jusqu’à la négation de l’exemption des principaux habitants207. La gêne occasionnée, le coût à payer, les dégâts déplorés ainsi que des violences caractéristiques le prouvent assez. Pour autant, il faut se méfier des exagérations qui amènent à comparer Rennes à une nouvelle Jérusalem détruite par une troupe se soudards sans foi ni loi lâchés dans la ville, tels des fauves, par des autorités conscientes et consentantes, à la manière de ce qui sera fait contre les protestants quelques années plus tard. Il n’est pas davantage possible, en l’état actuel du dossier, et à ce stade d’analyse de l’affaire, de voir à Rennes un brouillage dérangeant entre ce qui est admis au-delà des frontières et ce qui ne l’est pas dans le royaume208, quand bien même certains – Sévigné, Duchemin, La Monneraye dans une moindre mesure – en ont eu le sentiment. Par ailleurs, l’image d’une soldatesque détestée et détestable, commettant mille exactions insupportables, ne doit pas occulter que le soldat à Rennes est aussi un pauvre gars qui vient y mourir misérablement – quand ce n’est pas au poteau –, un entreprenant galant qui convole avec la permission de son capitaine et du vicaire général, un brave garçon avec lequel, malgré tout, des relations cordiales sont possibles, un chic type aussi parfois qui tient à donner des nouvelles d’enfants perdus du pays.
Purger la ville (I) : condamner les hommes (et quelques femmes)
La marche punitive
- 209 Lettres, op. cit., p. 882, lettre du 27 X 1675.
76L’armée est une punition en soi pour la collectivité, mais elle est aussi un outil destiné à faciliter la punition de ceux qui ont contribué aux troubles. La présence militaire fait peur et limite les risques de fuite, de troubles lors des arrestations menées par la maréchaussée, d’attaques de prison et de mouvements lors des exécutions. La marquise de Sévigné rapporte que les Chaulnes entendent punir les insultes, les pierres lancées dans leur jardin « et les menaces dont il paroissoit que Dieu seul empêchoit l’execution209 ». Duchemin, de son côté, affirme que la duchesse est venue à Rennes admirer les supplices, accréditant l’idée que l’on est bien dans le registre de la vengeance. Pour autant, arrestations et condamnations ne peuvent ni ne doivent être lues à cette aune unique puisque roue et surtout corde forment le lot habituel de l’après révolte.
- 210 Arch. dép. Loire-Atlantique, B 2620.
- 211 Ibid., B 2622.
77Quelques jours après l’entrée du duc de Chaulnes, celui-ci fait procéder aux premières arrestations. L’état des prisonniers détenus à la conciergerie du palais pour cause de révolte signale 34 arrestations du 15 au 18 octobre, suivies de 54 autres jusqu’à la fin du mois de novembre, la plupart suite à une ordonnance rendue par Chaulnes lui-même210. D’autres arrestations sont effectuées au début de l’année 1676, mais il est moins aisé de les identifier dans le flot indifférencié des entrées à la conciergerie211. En revanche, il semble que certaines personnes séjournent en prison sans que leur nom figure sur les listes. En effet, Morel rapporte qu’un jeune homme jugé visiblement trop curieux par les hommes chargés des arrestations passe quelques jours en prison, avant d’être relâché sans avoir été interrogé « dans les formes », ce qui laisse entendre que c’est là un abus de pouvoir destiné à signifier le rapport de force. Un autre individu est aussi, selon la même source, emprisonné une demi-journée sur ordre de Chaulnes et de Forbin, avant d’être relâché, et son nom ne figure pas sur la liste des personnes incarcérées à la conciergerie. Aussi peut-on estimer qu’une centaine d’individus, dans l’immense majorité des cas des hommes, ont été au moins sommairement suspectés.
- 212 Madeleine Foisil, op. cit., p. 300.
78Si l’on suit l’état des prisonniers, l’écrasante majorité des arrestations est faite après le départ du parlement, en vertu d’une ordonnance rendue par Chaulnes, quelques unes seulement étant opérées suite à une intervention de Marillac ou du juge criminel. Pourtant, Morel et Cormier ont bien noté que, en théorie, c’est Marillac qui a la haute main sur l’activité judiciaire, assisté du grand prévôt de la maréchaussée et des juges du présidial, en vertu d’une commission qui ne devient effective qu’une fois le départ du parlement signifié. La connaissance que le duc a de cette ville et de ses habitants, associée à son désir de réparation, ont dû conduire ce dernier à être le vrai maître du jeu, d’autant que Marillac repart vers le Poitou dès le 6 novembre après les premières exécutions. Concrètement, d’après les indices fournis par cette liste de prisonniers et par Cormier, le travail est fait par le présidial et la maréchaussée. Voir celle-ci aller et venir autour du palais, fantôme de pierre transformé en simple prison, est certainement, pour beaucoup, dans cette ville encore sous le choc du départ de la cour, un spectacle inattendu et douloureux. Non sans rappeler le précèdent rouennais de 1640212, il y a bien là une magnifique occasion pour l’autorité triomphante de montrer sa force et son efficacité. L’activisme du duc tranche avec la situation précédant son arrivée, avec des prisons à peu près vides et donnait corps à son accusation proférée dans sa correspondance aux ministres : toute la ville est coupable.
- 213 Sur 88 personnes entrées à la conciergerie entre le 15 octobre et le 31 décembre, 80 sont relachée (...)
- 214 Lettres, op. cit., t. I, p. 892, lettre du 27 X 1675.
- 215 Ibid., p. 888, lettre du 20 X 1675.
79La suite, pourtant, dément cette affirmation. En effet, l’immense majorité des personnes inquiétées est vite relâchée, certaines en payant une caution nous dit Morel213. Parmi les raisons qui expliquent ce quasi-fiasco figure en premier lieu un élément suggéré par madame de Sévigné qui remarque que ces arrestations sont faites « à l’aventure214 ». De plus, note-t-elle, les principaux fautifs ont eu le temps de s’enfuir215, Morel étant du même avis. La chose est d’ailleurs des plus classiques. Ensuite, les faits reprochés peuvent être médiocres, et ne pas conduire à aller très loin. Cormier rapporte d’ailleurs que les arrestations visent des gens qui ont « parlé un peu trop hardiment ou avoit écrit des lettres à la campagne car il n’en passoit point qu’on n’ouvrît ». Toudoux pense de même, lui qui note que les gens arrêtés sont ceux qui « s’estant trouvés par hazard aux susdits desordres ou dit quelques parolles choquantes contre la personne de Sa Majesté et de Monsieur le duc et autres ». La liste des personnes à poursuivre est donc d’autant plus longue que Chaulnes a lu beaucoup de lettres, et entendu beaucoup de choses qui l’ont blessé ou horrifié, mais cela ne suffit pas pour condamner. Les juges, on l’a vu à Bordeaux, ne sont pas toujours extrêmement maniables, même si le bilan définitif montre qu’ils surent être assez conciliants.
80Pendant que les arrestations continuent, et tandis que le mouvement inverse consistant à relâcher les prisonniers s’amorce (à partir du 23 octobre), le temps des supplices s’ouvre. On est allé assez vite. La première exécution a lieu entre le 26 et le 30 octobre selon les sources, puis une autre suit le 29, puis deux le 4 novembre, une autre le lendemain et une dernière le 12 novembre. Durant ces trois semaines, on bannit aussi un individu et on en envoie deux aux galères. Puis, après quatre mois sans autre exécution que celles de soldats, la machine punitive repart : un homme est pendu et un autre est condamné aux galères en mars, un troisième est envoyé aux galères et une femme est exilée en juillet. À cette date, les soldats sont repartis et pourtant, aucun trouble ne survient lors de l’exécution de ces décisions. Il n’est guère possible d’y voir la main directe de Chaulnes, absent de la ville au moment des supplices du printemps et de l’été. Sans doute faut-il voir là tant de possibles pressions faites par le duc que la trace du désir des gens du présidial de montrer leur zèle au service du roi et du gouverneur.
- 216 Ont été exclus les révoltes de nature frumentaire, pour se polariser sur celles qui mettent en cau (...)
Tableau 21. – Nombre de condamnations et d’exécutions suite à des révoltes urbaines au XVIIe siècle216.
|
Mort |
Galères |
Bannissement |
Sisteron, 1617 |
C : 29 |
C : 4 |
C : 4 |
Aix, 1630 |
C : 9 |
0 |
C. : 10 |
Dijon, 1630 |
E : 2 |
|
|
Périgueux, 1635 |
E : 2 |
|
|
Bordeaux, 1635 |
E : 5 |
|
|
Agen, 1635 |
E : 5 |
E : 1 |
|
Rouen, 1640 |
E : 7 |
C : 1 |
C : 7 |
Moulins, 1640 |
E : 3 |
Plusieurs |
Plusieurs |
Angers, 1657 |
E : 3 |
|
|
Marseille, 1660 |
C : 15 |
C : 3 |
C : 1 |
Rennes, 1675 |
E : 7 |
E : 5 |
E : 2 |
C : condamnation/E : exécution.
- 217 René Pillorget, op. cit., p. 822.
81En comparant la situation rennaise aux répressions urbaines pour faits de révoltes, le résultat obtenu apparaît sévère. Le plus récent précédent, Marseille en 1660, vit 52 personnes poursuivies, 19 condamnées, 3 arrêtées et une seule exécutée217. À Rennes, on ne sait, faute d’archives, si des condamnations concernèrent des gens en fuite – ce que seul Toudoux évoque sans s’y attarder –, mais il est évident qu’on fut plus efficace. Car si le rapport entre nombre de personnes arrêtées et nombre de personnes effectivement condamnées est réduit, il n’en demeure pas moins qu’avec sept personnes envoyées à la roue ou à la corde, on est au dessus des normes du temps, à un niveau qui est celui de la répression rouennaise menée sous la houlette du chancelier Séguier lui-même, et réputée particulièrement rude. Faut-il en conclure que cette intensité révèle le désir de vengeance du duc ? On peut en effet émettre l’hypothèse que des gens qui pouvaient avoir le sentiment de ne pas avoir grand chose à se reprocher n’ont pas fui et que l’ire ducale s’est abattue sur eux, faute de mieux, avec un certain acharnement liée à la volonté de Chaulnes d’être moins ici qu’ailleurs bredouille.
Les cibles de la répression : essai de lecture sociale
- 218 Arch. dép. Ille-et-Vilaine, 1 Bh 14.
82Avant d’évoquer les hommes et la femme sur qui s’est abattu le glaive punitif, il importe d’essayer de voir qui sont les gens qui sont inquiétés. Si les sources permettant de connaître les condamnations sont souvent utilisées pour tenter d’approcher la sociologie des rebelles, il ne faut en effet pas oublier que ces documents renvoient d’abord à la répression. Les listes des personnes détenues en 1675 et 1676 dans la conciergerie du palais et celle des gens qui, en février 1676, sont déclarés exclus de l’amnistie218, permettent de tenter de voir le profil sociologique des individus poursuivis qui est moins celui des rebelles réels que des rebelles rêvés par certains, Chaulnes au premier chef. De plus, si l’historiographie a eu tendance à prendre ses distances avec la naguère sacro-sainte grille socioprofessionnelle – jugée désormais incapable de rendre compte de la pluralité des identités et de l’efficience des réseaux –, il ne faudrait pas oublier que pour les contemporains qui écrivaient, accoler un état à un nom pouvait avoir du sens. Mais lequel ? La liste des exclus de l’amnistie est plutôt attentive aux états, et si on ne peut exclure une intention politique derrière cela – visant à montrer du doigt des professions –, sans doute s’agit-il d’abord de communiquer des éléments susceptibles de faciliter l’arrestation de gens en fuite. En revanche, la liste des prisonniers est très pauvre sur ce chapitre, sauf pour la robe – moins les clercs – ou le clergé, la présence de tels personnages en nombre en ce lieu n’étant certainement pas banale. Les différents chroniqueurs, eux, sont en revanche plutôt sensibles à l’évocation des états.
- 219 Soit Eustache de Villemers, des Longrais Chottard et Martinet de Bablouze, fils de Martinet de Sai (...)
83D’après Cormier, quelques prêtres sont arrêtés, mais il est le seul à le dire et l’état des prisonniers est silencieux sur ce point. La révolte rennaise semble en cela bien différente de celle des campagnes de Basse-Bretagne. Elle s’en rapproche en revanche par la faible implication des nobles. C’est certes moins étonnant en ville, mais le fait mérite d’être relevé, d’autant que notre seul rebelle de sang bleu est en fait un membre incertain du second ordre, ainsi nommé dans le texte de l’amnistie : « le sieur de la Ravellais, se disant gentilhomme ». Trois autres noms de réservés peuvent laisser penser que, sans être nobles, les intéressés ne sont pas sans ambition ou surface219. Personnages déclassés ou à l’aube d’une hypothétique ascension sociale, ces êtres archivistiquement obscurs semblent avoir été balayés par l’événement dans lequel on ne sait quel rôle ils jouèrent.
- 220 A été exclue de la liste des condamnés Perrine Dubois, épouse d’un orfèvre et impliquée avec lui d (...)
Tableau 22. – États et professions des Rennais (et habitants des environs) poursuivis220.
- 221 Sur ce personnage : Arch. mun. Rennes, BB 558, reg. délib., 4 V 1672 ; St-Germain, GG 18, 25 XII 1 (...)
- 222 Arch. mun. Rennes, BB 555, reg. délib., 7 & 21 XI 1669 ; voir aussi sur cette affaire le court réc (...)
84Au titre des élites inquiétées à un moment ou un autre, figure également un avocat, qui est aussi receveur des décimes, Le Gué de la Closserie221. Encore faut-il souligner qu’il n’est visiblement pas longtemps menacé. D’après Morel – et lui seul –, Chaulnes et Forbin le font arrêter le 3 novembre quelques heures seulement sans que l’on sache pourquoi. Son nom a-t-il été cité par un des condamnés à la question ? Lui reproche-t-on quelque chose en lien avec le fait qu’il est capitaine d’une des compagnies de la basse-ville, celle de la rue Saint-Germain en l’occurrence ? On n’a aucun renseignement précis sur les actions menées par cette cinquantaine lors des événements, si ce n’est qu’elle fit partie des compagnies qui montèrent des gardes sans ordre en mai et juin. On notera aussi que ce capitaine n’a apparemment pas été destitué par ses hommes : a-t-il accepté de se mettre à leur tête en juin lors de ces gardes intempestives au grand dam de Chaulnes et de Coëtlogon ? On ne peut aussi exclure que le duc se souvient que la compagnie en question s’est fait remarquer pour comportement séditieux lors de sa première entrée à Rennes en 1669222. L’affaire avait d’ailleurs conduit à la destitution du capitaine d’alors, un autre avocat. C’est dans ce même quartier que vit un autre robin un moment inquiété, notaire de son état, demeurant face à l’église de Toussaints. Ce maître Bretel n’a cependant pas été le Le Balp rennais. Exclu de l’amnistie et finalement arrêté en août 1676, il est relâché en octobre, ce qui laisse supposer qu’on n’avait rien de très grave à lui reprocher. Sans doute est-il emblématique – à l’instar de Le Gué et de Toudoux – de ces robins qui forment l’interface entre le monde qu’il est tenu d’appeler peuple et la nébuleuse élitaire ou à tout le moins robine, et qu’il a pu jouer un rôle dans la contagion rebellionnaire.
- 223 Tout porte à croire qu’un copiste de la Relation de Morel a inversé les deux listes ; en tout cas, (...)
- 224 Supra, chapitre III.
- 225 Soit Michel Odye, qui a été miseur en 1669 (Arch. mun. Rennes, 1014).
- 226 Bourgeois, Couvrand, Fouquet, Fret (Arch. mun. Rennes, reg. délib. : BB555, 3 X 1669, BB 556, 2 X (...)
85Au sein de la robe, ce sont surtout les procureurs qui sont visés par les autorités. Morel, Toudoux et Cormier s’accordent pour assurer que ceux-ci sont, dès le début, des cibles de choix. Plusieurs sont arrêtés dans la nuit du 17 au 18 octobre, sans doute pour éviter que certains ne partent à Vannes pour suivre le parlement. Cormier parle de douze à quinze personnes, mais Morel n’en nomme que neuf, tandis que l’État des prisonniers permet d’en compter dix, les deux listes ne concordant d’ailleurs pas parfaitement. À un moment où la majeure partie de la population est déjà désarmée, Chaulnes témoigne combien à ses yeux c’est dans cette population de petits robins qu’il faut chercher les principales responsabilités. Cormier suggère d’ailleurs qu’une véritable psychose s’empare des membres de cette profession, qui « tous… se cachèrent, ne sachant pourquoi on les arrêtoit ». Notons deux choses. La première est que les procureurs au parlement ont été plus touchés que ceux du présidial, même si la liste de Morel – lui-même procureur au présidial – dit à tort le contraire223. Cela rejoint bien entendu le diagnostic dressé dès le printemps par Chaulnes et Lavardin quant aux responsables des troubles, visant le dernier étage de la robe liée au parlement, celui qui s’est fait le plus remarquer depuis 1673224. La seconde remarque conduit à observer que plusieurs de ces personnages sont, à l’échelle de la ville, déjà des petits notables. L’un d’eux est même échevin225 et quatre autres apparaissent sur les listes pour être prévôt de l’hôpital226, deuxième étape du cursus honorum qui va des paroisses à l’hôtel de ville. Un autre, enfin, Fret, est le syndic de la communauté des procureurs au présidial.
- 227 BNF, Clairambault, 759, fol. 709.
- 228 Gauthier Aubert, « Les avocats sont-ils des notables ? L’exemple de Rennes sous l’Ancien Régime », (...)
86Il faut enfin insister sur le fait que l’opération, si elle a indéniablement un effet psychologique à la suite de l’annonce du transfert du parlement, ne débouche pas sur grand-chose. Interrogés le 19 (d’après Cormier), les procureurs arrêtés sont tous relâchés le 27 octobre, à l’exception d’un certain Fouquet, qui l’est le 30. Ce coup d’épée dans l’eau peut se comprendre en se souvenant de ce que dit Cormier de la légèreté des choses reprochées, sans négliger de toujours possibles dénonciations mensongères comme ce type de périodes sait en générer. Ce qui laisse penser que cette piste est la bonne est qu’il est frappant de voir que pas un des noms des personnes arrêtées ne se retrouve dans la liste établie (anonymement) en 1673 des procureurs impliqués dans les troubles liés à la grève du palais, et conservée dans les papiers de Colbert227. Ainsi, les gens arrêtés en 1675 seraient plutôt des rebelles de la dernière heure – sans doute plutôt de juin –, et peut-être même plutôt des rebelles de papier et de parole, sans plus. Après tout, le moment fort de la présence des robins dans les événements est plutôt en juin, à un moment où il n’y a eu aucun bureau pillé. Dans ces conditions, il est sans doute difficile de les punir avec sévérité. Mais on ne peut non plus exclure qu’une certaine proximité sociologique a joué en leur faveur, les juges du présidial formant la tête d’une vaste « robe seconde » dont les procureurs constituent les gros bataillons228.
- 229 Aubrée (Arch. mun. Rennes, BB 552, reg. délib., 30 XII 1666).
- 230 Arch. dép. Ille-et-Vilaine, 4 E 388.
87Cependant, si la rafle du 17 octobre n’a pas eu le succès escompté, c’est aussi car ceux qui ont le plus à se reprocher ne sont plus là. Morel note en effet que « bien d’autres » procureurs sont recherchés, et lui-même donne les noms de six d’entre eux. Le profil sociologique de ces individus en fuite, qui ont sans doute tout à craindre de la répression, est un peu moins relevé que celui de ceux qui sont arrêtés puisqu’on ne trouve parmi eux qu’un seul personnage dont le nom émerge dans les papiers municipaux229. Notons aussi que l’un d’eux, Audran, a vu son office saisi sur requête du palais le 20 septembre et vendu le 22 en son absence230 : était-ce, avant l’arrivée des troupes, une mesure punitive menée par le parlement ? Toujours est-il que ce personnage est exclu de l ‘ amnistie de février 1676. Il en est de même de deux autres procureurs signalés en fuite par Morel, soit Blanchardaye-Hamon et Aubrée.
- 231 Quatre des clercs réservés de l’amnistie sont dit être employés par des procureurs.
- 232 Arch. dép. Ille-et-Vilaine, 4 E 694, 17 VI 1675.
- 233 Faut-il opposer les évenements d’avril et ceux de juin-juillet, ces derniers apparaissant davantag (...)
88Cette amnistie, par la liste des réservés qui lui est jointe, vient confirmer combien le milieu des procureurs est considéré par les autorités – Chaulnes au premier chef – comme central dans les troubles du printemps et de l’été. Elle montre aussi que, au-delà des seuls procureurs, leurs clercs sont visés231, ce que Cormier note aussi, sans donner de noms. Parmi ces clercs, l’un d’eux, qui est dit être le clerc du procureur « Le Mur » dans le texte de l’amnistie, peut peut-être être identifié comme étant un certain Hamart, qui fut clerc de palais du procureur « Le Meur ». En effet, dans une supplique datée de juin, Hamart apparaît au cœur d’un conflit entre les procureurs au présidial et le greffier Joulland, qui bénéficiera de l’exemption de taxe à l’automne. On apprend alors qu’il se serait fait remarquer lors de l’instauration du papier timbré par un comportement séditieux232. Au-delà de ce cas, la place non négligeable des clercs renvoie au moins potentiellement à deux choses. La première, que l’on a déjà suggérée à propos des évenements du printemps, est la possible importance des jeunes gens dans ces troubles, que l’on devine aussi au fait que six des réservés sont dits « fils233 ». La deuxième chose à relever, est que cette importance relative des clercs peut renvoyer directement aux derniers événements en date, ceux du 17 juillet.
- 234 Arch. dép. Ille-et-Vilaine, 2 A 78.
- 235 Sur ce personnage : supra, chapitre VI et infra.
89Enfin, la petite robe est représentée dans ces listes par trois sergents. L’un d’eux, Boulongne, connu de Morel, dont il est le voisin234, est arrêté puis relâché sur caution. En revanche, Floc, que nous avons déjà évoqué, est envoyé au supplice235. C’est le seul robin rennais à connaître la mort, et on notera qu’il s’agit d’un individu extérieur à la ville : faut-il comprendre que, sans même parler de ses crimes, le fait qu’il soit moins connu, moins intégré, a augmenté pour lui les risques d’être inquiété ? Un dernier sergent est quant à lui en fuite, et on ne sait rien de lui si ce n’est qu’il officiait pour une seigneurie semi-urbaine. Avec ces personnages, comme avec les clercs – l’un de ceux exclus de l’amnistie est dit fils de tailleur – on est très loin des magistrats désormais partis à Vannes, et même de ceux commis pour juger, mais on est très proche des « petites gens » qui, note Cormier, sont eux aussi fortement inquiétés.
- 236 Yves-Marie Bercé, Histoire, op. cit., p. 513 ; Jean Nicolas, op. cit., p. 78 sq.
90Toudoux est en partie d’accord : selon lui, les principales personnes visées sont bien les procureurs, mais il note que les « vacabonds » ne sont pas épargnés. Sans doute le nombre de personnes sans état fixe qui sont ramassées n’est-il pas négligeable, si on considère que, dans la liste des personnes incarcérées, rares sont les individus dont l’état est mentionné. Outre les robins, on n’y voit en effet qu’un maçon et un forgeron. Mais la liste des personnes exclues de l’amnistie est plus précise, et atteste que le monde des métiers est particulièrement visé, ce qui n’étonne pas quand on se souvient de leur rôle dans maints mouvements de révolte urbaine au cours du siècle et au-delà. Les bouchers et tueurs de cochons apparaissent souvent en pointe236. C’est là l’écho tant d’une réalité – le boucher est un costaud aux outils redoutables – que d’anciennes représentations ; le fait que beaucoup vivent groupés dans certains secteurs bien identifiés de la basse-ville n’arrange rien. La compagnie de la rue du Champ-Dolent, une rue où ils sont nombreux, est même de longue date exclue des festivités urbaines officielles. Jusqu’à un certain point, les poissonnières forment le pendant féminin des bouchers, comme eux mi-commerçantes, mi-artisanes, figures par excellence du peuple braillard de la rue, les mains dans le sang animal et le verbe haut. Sans doute ne faut-il pas s’étonner d’en voir au moins deux parmi les réservées de l’amnistie et une parmi les condamnées, la seule femme d’ailleurs à être victime de l’ire judiciaire. À s’en tenir à la liste des réservés de l’amnistie, l’ensemble du monde multiforme des métiers forme donc un ensemble aussi conséquent que la robe. Pourtant, ce monde bigarré est finalement de loin le plus représentée dans le petit groupe des condamnés, et, évidemment, il est tentant de songer au poids des représentations et à l’éloignement sociologique et réticulaire pour expliquer cet écart.
- 237 James B. Collins, La Bretagne dans l’État royal, Rennes, PUR, 2006, p. 121, 279-281 ; Yves-Marie B (...)
- 238 Arch. dép. Ille-et-Vilaine, 1 Bf 801 et 1 Bf 1725.
91Une dernière catégorie se distingue : les hôtes. On est d’autant moins surpris d’en voir plusieurs cités parmi les réservés que ces personnages sont souvent impliqués dans les résistances à l’impôt sur les boissons et apparaissent traditionnellement comme des figures suspectes aux yeux des autorités237. Parmi eux, on distingue un certain Brocé, réservé de l’amnistie, dont on sait par ailleurs que ses meubles ont été saisis et vendus au printemps suite à un conflit avec un marchand de vin, et qui semble avoir eu maille à partir avec la justice peu après, non sans que cela provoque quelques « violences » contre les commis des devoirs238. Mais il est difficile d’aller plus loin : doit-on penser que Brocé s’est enfoncé dans la marginalité et a versé dans la sédition ? Doit-on penser que ses déboires antérieurs ont conduit « naturellement » les autorités à le désigner comme coupable, d’autant qu’il avait fui ? On ne sait. Outre les hôtes condamnés sur lesquels nous reviendrons, un autre est identifiable parmi les prisonniers : Gueneron, tenant auberge dans la tumultueuse rue Haute, dont il est le capitaine. Arrêté dès le 15 octobre sur ordre de Chaulnes, il est relâché le 27, tandis que sa femme fait elle aussi un séjour à la conciergerie du 6 au 14 novembre. Sans doute son métier, son adresse et sa responsabilité milicienne en font aux yeux des autorités un responsable de premier ordre. Pourtant, à suivre Cormier, Guénéron fut « le jour de la sedition » d’un loyalisme remarquable, refusant de prendre les armes et de se mettre à la tête de ses hommes comme il lui était demandé par certains venus le trouver « la pique à la main ». Morel rapporte de son côté une autre affaire qui va dans le même sens d’un Guénéron qui n’a rien d’un rebelle : le 18 avril Blé aurait menacé son capitaine (Guénéron, donc) de son arme quand celui-ci voulut mobiliser ses hommes en vertu des ordres reçus de Coëtlogon. Le meilleure indice que l’hôte « à l’image Saint-Pierre » était, à son modeste niveau, un vaillant défenseur du bon ordre auquel il participait, est dans l’absence totale de poursuites à son égard. Signalons également qu’un autre hôte du quartier émerge parmi les victimes des séditieux, pour avoir été menacé d’incendie par un de ceux qui connaîtra la corde. Ainsi, avec quatre réservés et deux exécutés, cette profession est à la hauteur de sa réputation, mais il ne faudrait pas en avoir une image trop caricaturale, et il y a fort à parier qu’on puisse en dire de même des bouchers et des poissonnières.
- 239 Aurélien Gay, La rue de Saint-Malo à Rennes au XVIIIe siècle, maîtrise, Rennes 2, 2003 et Hélène G (...)
- 240 Le caractère singulier de ce patronyme peut amener à penser que ce Balthazard serait le même qu’un (...)
92À l’image de Guénéron, les hôtes inquiétés ou condamnés sont pour la plupart des faubourgeois. C’est le cas de Rivé, un des condamnés, tenant auberge dans la rue Haute, ainsi que de Brocé et de Roch, hôtes au faubourg l’Evêque, exclus de l’amnistie. Il est vrai que les rues périphériques comptent souvent nombre d’établissements de ce type239. On ne peut s’empêcher de penser que ces hommes cumulent les facteurs de mauvaise réputation, du fait de leur métier et de leur adresse. Parmi les hôtes inquiétés figure également un certain Joubié, hôte à Saint-Gilles, sur la route de Saint-Brieuc. Dans la liste des personnes exclues de l’amnistie et déclarées relevant de la ville de Rennes figurent deux individus qui sont originaires des alentours, dont ce Joubié. Or, l’un des roués est accusé d’avoir en particulier empêché la perception des devoirs à Saint-Gilles, où il était sergent, en compagnie d’un certain Balthazar, « dit Tamerlan » – tout un programme –, exclu de l’amnistie240. On aurait donc, sous toute réserve, un nouvel exemple de ces contestations opposant aubergistes et agents de l’impôt provincial, mais avec ici l’originalité que le cadre de cette résistance fiscale a été une zone rurale de Haute-Bretagne. La liste des réservés signale également un habitant de Gevezé, paroisse située non loin de Saint-Gilles, ce qui ne prouve pas qu’il y avait un lien avec les « séditieux » de cette dernière paroisse. En revanche, le secteur de Châteaugiron/La Guerche, au sud-ouest de Rennes, où les fermiers de devoirs disent avoir été empêchés, ne donne lieu à aucune poursuite connue. Peut-être faut-il voir dans cette différence de traitement là une conséquence du passage à Saint-Gilles du duc de Chaulnes avec ses troupes à la veille de rentrer dans Rennes, mais rien n’est moins sur. Ce qui l’est davantage, c’est que les campagnes de Haute-Bretagne, sans connaître les sommets atteints en Cornouaille, ont peut-être été plus agitées que ce que les sources de la répression ne le laissent supposer.
- 241 Jacques Gauthier, Julien Allain, Yves Joubier (hôte ; a-t-il un lien avec le Joubier de St-Gilles (...)
93La liste des exclus de l’amnistie permet donc de lever quelques coins du voile sur la géographie de la contestation. À Rennes, comment ne pas remarquer que les espaces évoqués sont la basse-ville (deux mentions), le faubourg l’Evêque (deux mentions), la rue Haute (deux mentions) et son prolongement la rue Saint-Michel (une mention) ? La révolte aurait donc bien été principalement affaire de faubourgeois. On est d’autant plus enclin à le penser que le croisement de la liste des prisonniers et celle, partielle, des propriétaires de la rue Haute, amène à supposer que cette rue pourrait bien avoir été d’emblée particulièrement visée, avec six noms repérés241. Il faut cependant rester prudent. Concernant ces noms, il peut bien s’agir d’homonymes et le fait d’être propriétaire dans une rue ne signifie pas qu’on y vit ; en outre, cette poignée de noms ne doit pas faire illusion, d’autant que la rue Haute est mieux connue que d’autres grâce à ce document fiscal. Quant aux indications géographiques comprises dans l’amnistie, elles servent sans doute moins à fustiger des quartiers de la ville qu’à identifier des gens et si la grande majorité des exclus est sans adresse indiquée, ce n’est sans doute pas parce qu’ils sont sans adresse connue, bien au contraire : qu’aucun des procureurs ou clerc ou aucun boucher ne se voit attribuer d’adresse est à cet égard révélateur que l’on sait bien d’où ils sont, soit qu’ils se rattachent au palais, soit à la rue du Champ-Dolent. Et parmi ces personnes « sans adresse indiquée », combien sont en fait des habitants de la haute-ville ? C’est très difficile à savoir.
- 242 Jean Nicolas, op. cit., p. 270-271.
94Finalement, la seule certitude concerne la proportion des femmes parmi les personnes inquiétées. Elle est faible, mais constante aux trois niveaux que nous pouvons dégager, celui des personnes emprisonnées, des personnes exclues de l’amnistie et celui des condamnées. La fréquente indulgence des autorités envers les femmes242 l’explique sans doute au moins autant que la nature des troubles qui restent pour beaucoup affaire d’hommes. En effet, le profil des condamnés montre que la justice a surtout été sensible aux troubles à l’ordre milicien, comme on le voit également en examinant de manière plus resserrée la liste des seuls condamnés rennais.
La galerie des suppliciés
- 243 Supra, chapitre VI.
95On ne trouve dans la liste des quatorze condamnés rennais aucun nom connu, que l’événement aurait fait émerger. Berthou, l’homme du refus de l’entrée des troupes à l’hôtel de ville, n’est pas un instant inquiété : son geste un peu fou a été comme légitimé par l’ordonnance ducale du 20 juin243. Le Noir, arrêté peu avant l’entrée des troupes, est finalement relâché quatre mois plus tard : on a sans doute compris qu’il n’était pas un rebelle et peut-être est-il resté longtemps car il ne pouvait payer la caution.
- 244 On ne repère pas non plus dans la liste des détenus en 1675 Perrine Dubois, exécutée en octobre po (...)
96Faute de documents judicaires, nous disposons des textes des chroniqueurs qui, à des degrés divers, ont noté ce qu’ils voyaient ou savaient, ou croyaient savoir. Le croisement des informations qu’ils fournissent permet d’avoir un paysage acceptable de l’entreprise de punition. Parmi les sources, il faut faire une mention spéciale à Morel, qui a copié plusieurs actes d’accusation, même s’il ne semble – lui ou un copiste-continuateur – ne l’avoir jamais fait en entier. Notons aussi que les condamnations par contumace nous échappent. En revanche, la liste des personnes condamnées à mort telle qu’elle ressort des sources narratives correspond bien avec les états des prisonniers détenus dans la conciergerie. Ces derniers documents ne mentionnent cependant pas la condamnation aux galères de Le Moulnier et l’exil de La Jollie, et peut-être ces personnages ont-ils été détenus au présidial244. Aussi peut-on penser que le bilan chiffré n’est pas totalement complet, même si on aurait tendance à penser que c’est plutôt au niveau des condamnations aux galères et surtout au bannissement – nos sources ne descendent pas en dessous de ce niveau – que des manques peuvent exister.
- 245 Lettres, op. cit., p. 898, lettre du 3 XI 1675.
97Le premier à connaître les supplices est l’un des hommes du 17 juillet, à qui il est reproché d’avoir été de ceux qui ont attaqué le bureau du papier timbré. L’homme, un certain Daligault, apparemment musicien, ne semble pas avoir été condamné pour d’autres faits, ni antérieurs, ni liés aux émeutes d’avril ou de juin, ni d’ailleurs pour avoir tué qui que ce soit. Son crime est, d’après la copie de l’acte d’accusation faite par Morel, d’avoir « emeu la populace, rompu et pillé les bureaux du papier timbré ». Son exécution, fin octobre, est particulièrement spectaculaire. Après avoir fait amende honorable devant la cathédrale, il traverse toute la haute-ville jusqu’au lieu de son crime, devant le ci-devant palais du parlement, où il est roué. Son corps, exposé pendant 24 heures, est divisé en quatre parties suspendues à des poteaux placés dans quatre faubourgs aux quatre points cardinaux. Ainsi la rue Haute, lieu de tant de tumultes, la Madeleine, émue après l’affaire du temple et le bourg l’Evêque, lieu des derniers soubresauts ont droit à leur part de cette sinistre dépouille, qui sert à signifier la reconquête du territoire faubourgeois par les autorités. Seul condamné pour les événements de juillet, Daligault paie, au-delà des faits qu’on lui reprochait, tant pour avoir été de ceux qui avaient rompu le contrat conclu fin juin entre Chaulnes et les Rennais que parce qu’il était la première proie. Son exécution, et c’était le but, eut un certain succès, dont témoigne la marquise qui l’évoque à deux reprises, et parle même d’une chanson inventée à son sujet245.
Tableau 23. – Les condamnés rennais dans les sources judiciaire et narratives.
a. D’après le registre des galères (SHD Toulon, 1 0 97, no 2681).
- 246 Supra, chapitre VI.
- 247 « Gassion » est un nom de guerre que l’on trouve chez quelques soldats, ce qui permet de penser qu (...)
98On peut jusqu’à un certain point rapprocher le profil de Daligault de celui de Floc (ou Froc), et pas seulement parce que madame de Sévigné n’évoque explicitement que ces deux suppliciés. Floc est le cinquième personnage exécuté, le 5 novembre, sur la récente et bien habitée place des Lices, un des lieux habituels des exécutions. Lui aussi est roué, après avoir été mis à la question et avoir fait amende honorable. Son corps, après avoir été exposé également 24 heures, est transféré à quelques lieues de là, à Saint-Gilles, sur la route de Brest, lieu de certains de ses méfaits. À en croire l’acte d’accusation, Floc, sergent dans cette bourgade, aurait eu, on l’a vu, deux choses à se reprocher : il avait voulu tuer Chaulnes et d’Argouges, et avait tâché d’empêcher le bon déroulement du prélèvement fiscal246. L’homme, qui avait pris le curieux nom d’emprunt de « Gassion » – savait-il que c’était le nom du bourreau des Nu-pieds ou bien ce nom était-il devenu synonyme de terreur et de force dans cette partie du royaume247 ? – semble, comme Daligault, avoir échappé à la structure milicienne. Comme ce dernier, pèse sur lui le soupçon d’être partie liée à un complot, de n’être ce faisant qu’un rebelle stipendié. Aussi l’éclat de leurs deux supplices est aussi un message adressé à ceux qui, dans l’ombre, ont pu nourrir de noirs projets.
99Le second supplicié dans le temps, Tréhot, est comme Floc un homme du mois de juin, et, comme lui, il est accusé d’avoir voulu tuer Chaulnes. Il se distingue de « Gassion » en ce qu’il est un de ceux qui a agi dans le cadre milicien. Fripier et tailleur d’une rue centrale de la ville, il aurait mis en joue Chaulnes dans la cour de sa résidence lors des terribles journées au cours desquelles le duc était en proie à la vindicte vitupérante des Rennais. Tréhot, qui aurait en plus à l’occasion blasphémé, serait par excellence la victime judiciaire des avanies subies par le duc. Son geste, dans la surexcitation collective du moment, n’a peut-être pas été perçu par son auteur comme particulièrement grave, et peut-être avait-il le sentiment d’être dans une situation de légitime défense. Seul condamné de la haute-ville, premier milicien à connaître les foudres de la justice, il symbolise la ville gangrenée jusqu’en son cœur. Lui aussi connait la question, l’amende honorable, puis la mort, cette fois par pendaison au Grand bout de la Cohue, lieu à la fois proche des faits reprochés et fréquemment utilisé pour des supplices. Le choix de la corde plutôt que de la roue montre que les juges considèrent que son crime n’est pas des plus horribles.
- 248 Arch. mun. Rennes, BB 553, reg. délib. 17 XI 1667 : nomination de Guénéron après le décès du capit (...)
- 249 Curieusement, et sous bénéfice d’inventaire, l’érudition régionaliste si sensible aux lieux de mém (...)
- 250 Supra, chapitre III.
100Plusieurs des autres condamnés sont également des miliciens, mais ils viennent des faubourgs. Le plus gros contingent est fourni par la rue Haute. Le premier, Jean Rivé est hôte… du Sauvage. Pour autant, son action dans l’émeute ne semble pas avoir été particulièrement brutale. En croisant les informations fournies par Morel et celles livrées par Cormier, il apparaît que « le jour de la sedition » (laquelle ?), il aurait pris les armes de sa propre autorité, été chez son capitaine la pique à la main pour le convaincre d’ordonner la mobilisation et aurait pour finir pris la tête de la compagnie. Peut-être se sentait-il d’autant plus légitime à agir qu’il semble que le capitaine en place avait succédé à un membre de sa famille248. Ainsi Rivé mérite-t-il d’être qualifié par la justice de « chef des séditieux », de faire amende honorable devant la cathédrale et d’être ensuite rompu place Sainte-Anne, à l’entrée du faubourg de la rue Haute. Puis il est décapité et sa tête placée au pont Saint-Martin, soit à l’entrée du faubourg, au bout d’une pique, nous dit Toudoux, possible allusion au début de sa geste séditieuse. Comble d’infamie, d’après Morel, ses biens sont confisqués et son corps jeté à la voirie. Sa dépouille est enterrée par les Dominicains dans leur couvent, Morel introduisant l’information par un « néanmoins » qui indique que la chose n’était pas prévue par les autorités249. Quelques jours plus tard, un autre habitant de la rue Haute, déjà croisé, Blé, couvreur, est pendu, mais au Grand bout de la Cohue. Les faits qui lui sont reprochés sont proches de ceux qui ont conduit Rivé au supplice : avoir pris les armes sans ordre et refusé de suivre son capitaine de rue qui, le 18 avril, voulait obéir à l’ordre de Coëtlogon-fils de courir sus aux rebelles, et l’avoir alors menacé de son arme250. En quoi son crime est-il moins grave que celui de Rivé ? Peut-être le souvenir des troubles d’avril s’est-il atténué ; peut-être aussi est sanctionné l’échec de son entreprise, plus net dans son cas que dans celui de Rivé ; peut-être n’est-il pas véritablement un chef, un meneur. Le cas de Blé est très proche de celui d’un autre couvreur de la même rue, Le Prêtre, pendu pour avoir pris les armes de manière intempestive, avoir « obligé plusieurs habitants à le suivre », mais aussi pour avoir menacé du feu un hôte de la place Sainte-Anne. Morel, comme souvent le plus précis, suggère cependant que d’autres méfaits lui sont reprochés. Il est bien difficile de dire à quelle séquence rebellionnaire il se raccroche. Il en est de même d’un autre condamné clairement identifié comme habitant de la rue Haute, le charpentier Le Moulnier, condamné aux galères pour cinq ans et pour lequel même Morel reste silencieux quant aux faits qui lui sont reprochés. Le dernier condamné pour sédition de la rue Haute, un certain Gaudin dont on ne sait rien, est quant à lui exilé. Il est facile d’imaginer quel traumatisme ce put être dans ce long faubourg où tout le mode se connait plus ou moins que de fournir un tel contingent à la justice du roi.
- 251 Supra, chapitre VII.
101Un autre individu dont le crime se raccroche à la milice est Boisard, « boucher qui tuoit des cochons » dit Cormier. Il est exécuté le même jour et au même endroit que Rivé, bien qu’étant un habitant du faubourg l’Evêque, mais on a vu que ces deux quartiers avaient eu des liens lors de la journée du 17 juillet251. Ceci laisse d’ailleurs penser que les deux hommes ont été impliqués dans cette même séquence. Il lui est en effet reproché d’avoir pris les armes le premier « le jour de la sédition » (laquelle ?) et d’avoir voulu entraîner le peuple. Il subit le même supplice que Rivé, à ceci près qu’il n’est pas décapité post mortem, sans doute car le faubourg l’Evêque ne passe pas autant que la rue Haute pour avoir été un haut lieu de la contestation.
- 252 D’après le registre des galériens SHD Toulon, 1 O 97, no 2681 (document aimablement fourni par J. (...)
- 253 Il est en effet noté comme étant de Saint-Martin, paroisse qui jouxte la rue en question (registre (...)
- 254 Le « Jean Toulmain dit Lesmond » incarcéré dans la conciergerie de Rennes et parti aux galères le (...)
102Les quatre derniers condamnés sont très mal connus, et les faits qui les conduisent à subir l’ire royale sont en général obscurs. Hellandais, apparemment cordonnier de 24 ans, est déclaré bon pour les galères pour avoir pris les armes et battu la caisse252 : voilà qui nous ramène à nouveau vers la milice. Est-il celui qui, le 17 juillet, a cherché à rameuter les foules qui ce jour ne furent pas séditieuses ? En tout cas, la sanction est pour lui la même que celle à laquelle a été condamné Harscouët, coupable du même bruyant crime dans l’affaire de l’abbaye de Langonnet. Partit aussi aux galères, en mars, un certain Verdier, 37 ans, sans doute originaire de la rue Haute253. Puis, c’est au tour d’un hôte nommé Toulmain, dit Lesmont, dont les crimes restent inconnus254 ; on est alors en juillet 1676.
- 255 SHD Toulon, 1 O 98, no 3178.
103Le 14 de ce mois, un an jour pour jour après les grandes cérémonies qui ont scellé la cohésion civique autour de saint Amand et de Notre Dame de la Paix, est en dernier lieu condamnée à l’exil une poissonnière appelée La Jollie, associée dans son bannissement à 22 « autres créatures » envoyées au même moment « aux Isles ». Duchemin, de qui nous tenons ces informations, ne fait pas le lien entre cette expulsion spectaculaire et les révoltes. Pourtant, comment ne pas songer que les autorités – et éventuellement Duchemin de manière inconsciente – cherchaient par là à purifier – ou à signifier la purification définitive – de la ville, par une expulsion de ses femmes et filles réputées de mauvaise vie. D’un 14 juillet à l’autre, c’était le même rêve d’une cité idéale tournée vers le Ciel qui s’exprimait, selon des chemins pourtant bien différents. Pour autant, une lecture complémentaire est possible. Cet exil de la seule séditieuse de sexe féminin clôt un cycle judicaire tout en se mêlant à un autre qui est un retour aux temps d’avant l’affaire : le moment de la répression de l’événement extraordinaire s’achève en s’associant à celui de la répression policière et morale du quotidien scandaleux, et ceci dans un quasi-silence. En effet, à part Duchemin, personne ne fait apparemment attention à cette expulsion, ni d’ailleurs à la condamnation de Lesmont, que seul ce notaire relate. Même le scrupuleux Morel est silencieux, à moins que nous ne soyons victimes d’une coupe due à un de ses continuateurs et copistes. Car à partir de novembre, les chroniqueurs, les uns après les autres, lâchent prise. La première à détourner les yeux est la marquise de Sévigné, si loin de tout cela, et qui a tant d’autres choses à dire à sa fille ou à Bussy, en particulier sur les états qui s’ouvrent au même moment. Cormier, après avoir évoqué rapidement Blé et Floc, indique juste que « d’autres de la ville » ont droit aux châtiments. Il n’en dira pas plus, tandis que Toudoux devient silencieux au même moment sur ce chapitre. Il est clair que, pour beaucoup, à la mi-novembre, le temps de la répression physique est achevé. La suite, plus tardive, est moins visible car moins spectaculaire, et masquée par d’autres enjeux, à commencer par la présence des troupes. De fait, Duchemin, si lyrique pour décrire la « destruction de Jérusalem », est désormais surtout occupé par ce sujet. De manière révélatrice, alors qu’il cesse d’égrener le chapelet des condamnés rennais après la mort de Blé en novembre, il mentionne quatre exécutions de soldats d’octobre à février, là où Morel n’en signale qu’une. Sans doute pour le premier y avait-il une certaine satisfaction à voir quelques uns de ces soudards payer pour leurs crimes, là où Morel s’en tient à une image plus paisible de la présence militaire, on l’a vu. Avec le printemps, les écrits se font plus rares et Duchemin reprend sa place de chroniqueur aléatoire et quasi exclusif des spectacles judiciaires. Signe de cette dilution de la répression dans la cohue du temps qui passe, le dernier des condamnés rennais, le marchand Miette, réservé de l’amnistie en 1676 et arrivé à Marseille en août 1677, n’est évoqué par personne255. La peine vient trop tard, et est trop banale.
- 256 René Pillorget, op. cit., p. 822.
- 257 Amable Floquet, Histoire du parlement de Normandie, Editions Frère, Rouen, 1842, t. V, p. 15.
- 258 Hélène Sarrazin, La Fronde en Gironde : l’Ormée, un mouvement révolutionnaire, Bordeaux, Les Dossi (...)
- 259 Ernest Lavissse, Louis XIV, Paris, Tallandier, 1978, t. I, p. 353-354.
- 260 Supra, chapitre VII.
- 261 La révolte bordelaise de 1548 s’est soldée par 120 à 140 condamnations, chiffre extraordinaire s’i (...)
- 262 Parmi celles-ci, il ne semble pas que les corps aient été démembrés ou décapités (Pierre Héliot, a (...)
104À l’évidence, on a atteint à Rennes, dans l’expression de la violence d’État, des sommets qui sont la marque des plus dures répressions. En regardant le sort terrible réservé à Daligault et à Rivé, on songe ainsi inévitablement à la condamnation de Niozelles à Marseille en 1660, soit la pendaison, puis la décapitation, et enfin l’exposition de sa tête devant l’hôtel de ville ; sa maison fut rasée et une pyramide expiatoire érigée sur son emplacement. Sans doute la violence symbolique était d’autant plus grande que les juges n’avaient pas réussi à trouver beaucoup de coupables, que Niozelles lui-même était en fuite et que le roi n’était pas loin256. En 1640, à Rouen, les autorités mirent sur la roue le chef des rebelles, Gorin, et voulaient que sa dépouille soit coupée en quatre et les morceaux placés à quatre portes de la ville, ce qui ne fut finalement pas exécuté, le cadavre étant rendu à la famille et inhumé dignement257. On songe aussi au supplice du chef ormiste Dureteste, qui, après la question, l’amende honorable et la roue, eut la tête placée en haut d’une pique sur la tour de l’Ormée258. Plus près de nous, en 1670, à Montpellier, Antoine du Roure est aussi roué, puis son corps divisé et exposé en divers endroits insurgés, sa tête étant mise sur une des portes d’Aubenas259. Si l’on considère en outre que la roue est le sommet de ce qui peut être fait en matière de supplice, force est de constater que Rennes occupe une place singulière, avec quatre victimes exécutées de cette manière en une dizaine de jours seulement. Même Séguier, qui, à Rouen en 1640, a envoyé autant d’hommes que Chaulnes à la mort, n’en a mis qu’un seul sur la roue, les autres ayant été pendus. Il est vrai que la révolte rouennaise avait duré moins longtemps et que Séguier n’avait pas été un acteur de cette histoire avant d’en être le juge, à la différence de Chaulnes. On rappellera aussi que les zélés Bordelais du mois d’août ont pendu trois hommes et roué un autre en quelques jours également260, performance à nouveau inférieure à celle réalisée sous l’autorité de Chaulnes. Rarement révolte urbaine a donc débouché sur une telle violence261. Le spectacle breton n’est donc pas banal, et rejoint, à s’en tenir au seul nombre d’exécutions, ce que les Boulonnais de 1662 ont subi, soit cinq pendaisons et trois mises à la roue262. Cette violence judiciaire est à la hauteur des enjeux : le duc veut se racheter auprès du roi et faire oublier faiblesses et échecs (y compris en Basse-Bretagne ?), laver les affronts subis personnellement, réaffirmer une autorité malmenée à la veille des états et enfin effrayer les peuples d’une province frontalière, à un moment où on ne sait trop combien de temps durera la guerre. La vigueur répressive dont Rennes est le théâtre est le résultat de tout cela.
- 263 Guénéron, parrain en 1668, est bien dit « honorable homme, capitaine » (Arch. mun. Rennes, St-Germ (...)
105Le spectacle des peines données à Rennes est d’autant plus rude que les hommes suppliciés, sans être des grands notables, ne sont en général en rien des pauvres misérables comme à Guingamp et encore moins des étrangers comme à Nantes ou à Bordeaux, où le seul roué est un habitant de la Bastide, sur l’autre rive du fleuve, autant dire presque d’un autre monde. À Rennes, où, à l’exception du sergent Floc, aucun robin n’est apparemment condamné, le joug punitif est bien tombé sur des gens relevant de la grande sphère populaire, mais en même temps, c’est plutôt la strate supérieure et bien intégrée du « peuple » qui est frappée, celle qui fournit les miliciens. S’il est révélateur que le méticuleux Duchemin ne connaisse pas – pour une fois – tous les noms des victimes, trop éloignées de son univers, il est tout autant révélateur que Toudoux, le plus proche sociologiquement des milieux artisanaux, parle de « deux des principaux habitants de la rue Haute, rouez vifs à la place du cimetiere Saint-Anne et sur les Lices » (nous soulignons). Sans doute fait-il au moins allusion à Rivé qui peut passer à ses yeux pour une figure de notabliau de quartier populaire. Mais au-delà, dans son imprécision, la formule dit quelque chose de l’impression qu’il peut avoir d’un positionnement social des suppliciés perçus comme honorables – au sens de l’avant nom si répandu263.
- 264 En 1638 encore, lors d’une assemblée municipale « s’estans trouvé grand nombre d’habitans desd. ru (...)
- 265 Il le faisait peut-être avec d’autant plus de cœur qu’il lui fallait s’affirmer face à Forbin.
106Un détail doit être relevé, qui permet d’affiner les motivations de Chaulnes dans ce traitement punitif. Sur les quatorze condamnés connus, six sont des miliciens et c’est – à l’exception peut-être de Tréhol – en tant que milicien qu’ils sont punis. Ce qui leur est reproché, en effet, c’est d’avoir agi sans ordre, ou contre les ordres. Aussi comprend-on que le crime des Blé et autres Rivé ou Hellandais n’est pas d’avoir attaqué un bureau, tué un commis ou pillé la maison d’un fermier, mais de ne pas avoir obéi, d’avoir bafoué le principe d’autorité. Chaulnes, mais aussi Coëtlogon père et fils, entendent à l’évidence faire comprendre que battre la caisse, prendre les armes, et au-delà, occuper portes et tours, ou monter la garde ne peut être fait sans ordre de leur part. Certes, dans l’immédiat, il n’y a plus de milice, ou si peu, et on peut se demander à quoi peuvent bien ressembler ces miliciens qui, dit Morel, vont saluer Pomereu à son entrée, eux qui n’ont plus d’armes. Mais non seulement il faut faire payer pour le passé, mais encore faut-il penser à l’avenir : qui pouvait exclure l’idée que ces troupes citadines ne pourraient jouer à nouveau le rôle de supplétifs comme elles l’avaient fait en 1674 ? Il faut donc y insister : dans son volet le plus fort, la répression a moins eu pour objet direct de frapper des émeutiers dressés contre les taxes que de réprimer ce qui était perçu comme une mutinerie milicienne. Il s’agissait au moins autant de punir l’agression antifiscale en elle-même que d’affirmer que les escouades bourgeoises n’étaient détentrices d’armes et ne pouvaient en faire usage qu’en vertu d’ordres reçus exprimant la défense d’un bien commun conçu et pensé non pas entre les murs et le beffroi, mais à la cour. Il leur était même dénié le droit de s’assembler de leur propre autorité et d’occuper sans ordre les points clefs de leur espace quotidien à des fins défensives. Il leur était même d’une certaine façon signifié qu’elles n’avaient pas à choisir leur chef, affirmant une rupture radicale avec de vieilles pratiques qui pouvaient subsister et consistant pour la municipalité à entériner les choix opérés dans la rue selon des procédures internes à celle-ci, et dont les modalités précises nous échappent264. Le refus milicien d’abandonner l’hôtel de ville en juin a donc été l’ultime coup d’éclat de la « bonne ville ». En appliquant ici la même méthode qu’en Basse-Bretagne consistant à désarmer les moins coupables et à punir sévèrement ceux qui sont réputés les plus compromis, Chaulnes signifie qu’il est bel et bien le chef militaire de la Bretagne265. Et de fait, en vertu du principe d’exemplarité que doivent les capitales aux provinces, le message envoyé est aussi évidemment destiné à tous les sujets du roi suceptibles de prendre les armes pour défendre le littoral armorcain. Ainsi, et n’en déplaise à Marie de Sévigné, et à regarder la liste des roués, pendus et galériens, c’est peut-être moins les insultes et les cailloux qui sont punis, que le non-respect des ordres.
- 266 Lettres, op. cit., p. 920, lettre du 24 XI 1675.
- 267 Ibid., p. 898, lettre du 3 XI 1675.
- 268 Arthur de La Borderie, dans Les Bonnets, op. cit., p. 142-143.
- 269 D’où le fameux « me voilà bien bretonne » du 20 octobre.
- 270 Lettres, op. cit., p. 888, lettre du 20 X 1675.
- 271 Précisons ici que nombre d’entre eux n’étaient pas encore à Vannes, le parlement étant semestre. L (...)
107Comment tout cela fut-il ressenti ? Comme au sujet du départ du parlement, deux sensibilités se font jour. C’est là encore plutôt dans les sphères socialement les plus élevées que les signes de désapprobation apparaissent. Sans doute celle qui a été le plus loin dans cette voie est-elle la marquise de Sévigné, bien qu’elle n’ait vraisemblablement assisté à rien. On retient souvent d’elle ses considérations légères sur les pendaisons qu’elle juge « rafraîchissantes » en comparaison du spectacle de la roue et de l’évocation de centaines (sic) de galériens, qui lui « paroissent une société d’honnêtes gens qui se sont retirés du monde pour mener une vie douce266 ». En fait, la marquise est assez peu fiable sur ce sujet : le 3 novembre elle note que « les rigueurs s’adoucissent ; à force d’avoir pendu, on ne pendra plus267 », alors que le spectacle des supplices continue de plus belle. Reste que, comme y a insisté Arthur de La Borderie268, l’ironie noire de l’illustre épistolière atteste d’une solidarité avec la Bretagne269 et d’une absence d’adhésion de sa part à la politique répressive de Chaulnes. Ainsi, quand elle écrit, au sujet des supplices rennais qui s’annoncent : « les bons pâtiront pour les coupables270 », elle souligne habilement que ce qui se prépare est en opposition aux sages intentions royales destinées à ne punir que les plus compromis. Il est tentant de voir sous sa plume l’écho d’une désapprobation de la part de la haute société bretonne, et particulièrement de ses amis et parents du parlement271, qu’on imagine aisément goûtant peu ce déferlement de violence d’État menée sans eux, sans appel possible, et dont la vigueur ne peut que faire contraste avec leur propre inaction du printemps et de l’été. Perce également une certaine désapprobation chez La Monneraye, qui se félicite d’avoir été à Paris au moment des supplices et d’avoir eu « le bonheur » de ne pas y assister. Ne faut-il pas aussi voir quelque chose qui serait du même ordre de la part des Dominicains de Bonne-Nouvelle qui récupèrent le cadavre mutilé d’un des exécutés pour l’enterrer dans leur couvent ? Il est vrai que l’homme a été exécuté sous leurs fenêtres et que les religieux connaissent sans doute cet individu qui a été un aubergiste dans cette rue à l’entrée duquel trône leur couvent. Cormier pourrait bien avoir des idées proches, quand il note que Floc et Blé étaient les « pretendus chefs de la sedition » (nous soulignons), légère réserve qui pourrait en dire long sur le fond sa pensée.
- 272 À Nantes entre 1679 et 1722, le nombre de condamnations à la pendaison, la décapitation et la roue (...)
108Pareil sentiment ne se dégage cependant pas à la lecture des autres scripteurs, et ceux-ci ne laissent pas deviner ce qu’ils ressentaient. Effet de source ? On ne peut l’exclure, évidemment. Mais il est remarquable de noter qu’à aucun autre moment que celui évoqué ci-dessus avec Cormier ne pointe, chez ces « témoins », l’idée que les condamnés l’ont été par erreur, ou que ce sont de pauvres hères sur lesquels on s’est injustement acharné. Ni propos apitoyés, ni mots haineux ou méprisants, même chez Morel, le plus dur à l‘endroit des émeutiers. Dura lex, sed lex semblent dire ces petits et moyens bourgeois. Cela peut s’expliquer par le profil des condamnés, relevant de la vaste sphère populaire et artisanale la plupart du temps faubourgeoise. Au fond, le glaive punitif ne faisait que frapper là où, du parlement à l’hôtel de ville, on n’a eu de cesse de dire qu’était la source de tous les maux de la ville. En même temps, peu ou prou spectateurs des supplices, ils ont, en hommes de loi, été comme les greffiers attentifs de ces événements, notant avec plus ou moins de précision les noms des suppliciés, ce qu’il leur était reproché, ainsi que quelques indications biographiques. Ne faut-il pas voir dans cette minutie notariale le fruit d’un certain effarement face à un spectacle qui sans être exceptionnel, a quand même rarement une telle intensité272 ? Emettons l’hypothèse qu’ils ne désapprouvent pas complètement les punitions, mais qu’ils sont en même temps saisis par le spectacle d’une vigueur punitive d’autant plus marquante que la foudre ne tombe pas sur les populations marginales qu’on a souvent fustigées. En frappant un rien trop haut dans le corps social, Chaulnes suscitait la stupeur, mais il pouvait aussi – et c’était le plus important pour lui – espérer rassembler autour de lui les « bons habitants » en accréditant par les supplices la version acceptable des faits telle qu’elle fut établie dès le 19 avril, c’est-à-dire que tout était de la faute des faubourgeois, à commencer par ceux de la rue Haute.
Purger la ville (II) : la rue Haute « ruinée »
Expulsions et destructions
109À côté des enfants mis à la broche, un autre élément du dispositif a marqué les esprits, historiens compris : la punition de la tumultueuse rue Haute. L’affaire a inspiré la marquise de Sévigné, dont les lignes, avec des accents qui annoncent Fénelon, La Bruyère et Vauban, ont pu nourrir Lavisse, La Borderie et leurs successeurs :
- 273 Lettres, op. cit., p. 895, lettre du 30 X 1675.
« On a chassé et banni toute une grande rue et défendu de les recueillir sous peine de vie, de sorte qu’on voyoit tous ces misérables, vieillards, femmes accouchées, enfants, errer en pleurs au sortir de cette ville, sans savoir où aller, sans avoir de nourriture, ni de quoi se coucher273. »
- 274 Arch. aff. étr., mémoires et documents, vol. 943, fol. 9.
- 275 Arch. nat., E*1773, fol. 379 et copie par Morel.
110On remarquera que la marquise ne parle pas de destruction, mais lui faire confiance sans examen est toujours risqué quand il ne s’agit pas du ressenti des puissants et des potins de salons. Les documents royaux sur le sujet sont ambigus. Les minutes des expéditions des secrétaires d’État évoquent bien un arrêt du conseil ordonnant que la rue Haute « sera razé274 », mais cette mention pose problème dans la mesure où elle est datée de la semaine du 17 janvier 1676, alors que le texte royal, donné à Versailles le 16 octobre 1675, est lu à Rennes le 23275. Surtout, ce dernier texte ne parle pas de détruire les maisons, mais, plus simplement, d’évacuer toute la partie haute du faubourg dans les quinze jours. Personne ne doit être exclu de la mesure, qui prévoit que les gens devront aussi retirer leurs meubles.
111On retrouve la même ambiguïté chez Morel. Ce dernier, commentant cette décision, ne parle que de « desemparer », mais il sur-titre (lui ou un de ses continuateurs) l’arrêt qu’il a pris soin de recopier en parlant d’un texte qui ordonne de « raser la rue Haute ». En revanche, Cormier est plus clair : pour lui, il ne s’agit que d’une évacuation, ce qui cependant, note-t-il, « fut un terrible coup de tonnerre pour plus de 4 000 personnes ». Quant à Toudoux, il explique que les habitants doivent certes partir, mais qu’ils évitent que les maisons soient démolies moyennant le paiement de 4 500 livres. Plus loin, il indique que le 21 avril suivant, « l’on a commencé a demolir le forbourg, a l’exception des maisons qui relèvent du Roy, celle du four a ban et quelques autres qui ont financé pour les conserver sans avoir egard aux cinq mil livres cy devant delivrées a monsieur de Tonquedec pour ses chevaux tués lorsqu’il passa audit forbourg ». C’est donc peu dire que la confusion est totale.
- 276 Arch. mun. Rennes, GG St-Germain. De mai à septembre 1675, on y baptise en moyenne 7 enfants par m (...)
112Même si les deux événements sont en partie liés, il semble qu’il faille distinguer les expulsions d’octobre 1675 des destructions du début de l’année suivante. Les premières peuvent être approchées indirectement à partir des registres paroissiaux. Les prêtres de la paroisse Saint-Germain, dont dépend presque la moitié de la rue sont en général attentifs à noter celles de leurs ouailles qui viennent de cette rue, qui est une annexe détachée du reste du territoire paroissial. Or, les registres montrent une baisse notable des actes de baptême en octobre et novembre 1675, puis un niveau bas qui se prolonge par la suite276. Dans ces conditions, l’idée d’une expulsion rapide et efficace ne peut être mise en doute. Qui sait d’ailleurs si cette opération, qui conduit très probablement en premier lieu les moins attachés à partir, pour ne pas dire à fuir, n’explique pas au moins en partie le fait que les autorités judiciaires se soient dirigées vers des gens plus intégrés, qui durent rester si ce n’est dans la rue, du moins pas loin.
- 277 Arch. mun. Rennes, FF 440.
113Un autre indicateur est fourni par les documents établis à l’occasion du paiement des deux premières taxes destinées à payer les troupes277. Il est frappant de voir que le nombre de personnes taxées rue Haute ne s’élève qu’à 55 à l’occasion de la deuxième taxe, alors qu’il était de 127 dans la première, et ce alors que le nombre de personnes mises à contribution augmente dans l’immense majorité des autres rues de la ville. Plus singulier encore : alors que, d’après les papiers de cette seconde taxe, toutes les rues voient un gonflement du nombre des personnes taxées au plus bas niveau, celui-ci est en baisse sensible dans la rue Haute (de 56 à 16), semblant ainsi indiquer qu’il n’y a presque plus de gens modestes à cette date dans ce faubourg. En revanche, on remarque que la toute voisine place Sainte-Anne comprend un nombre extraordinairement élevé de gens taxés au plus bas niveau dans la seconde levée (344), bien supérieur à ce qui apparaissait lors du premier prélèvement (90). Il est fort tentant de voir là l’effet d’un afflux de personnes venues du faubourg voisin. Ainsi, au moment du paiement de la seconde taxe, c’est-à-dire en novembre, la rue Haute aurait déjà perdu plus de la moitié de ses habitants, et sans doute bien davantage. La rue ne fut cependant jamais totalement vide. Le fait qu’aucun habitant de ce faubourg ne soit mentionné dans la liste des personnes soumises à la troisième taxe, levée en janvier 1676, peut certes laisser penser que ce long faubourg est devenu un désert, mais c’est une illusion, que l’on peut expliquer par l’absence de gens à imposer dans le cadre de cette taxe payée d’abord par les riches. Ceci peut d’ailleurs aussi expliquer l’absence de mention à des paiements dans le peu peuplé faubourg de la rue Hux. Car il y a bien une vie dans la rue, comme l’attestent en premier lieu les quelques baptêmes déjà évoqués.
- 278 Arch. dép. Ille-et-Vilaine, 4 E 392, 5 X 1675.
- 279 Arch. dép. Ille-et-Vilaine, 2 A 83.
- 280 Arch. mun. Rennes, EE 166.
- 281 Arch. dép. Ille-et-Vilaine, 2 A 78.
- 282 La géographie dessinée présente une certaine cohérence : ces maisons qui auraient été détruites so (...)
- 283 Outre la possibilité de reconstructions, on note des incohérences, soit quatre cas.
- 284 Niozelles à Marseille, du Clivet dans le Boulonnais, Roure en Vivarais ont ainsi vu leur maison dé (...)
114Il est plus difficile de savoir ce qu’il en est des destructions. Ce que dit Toudoux – destruction partielle à partir d’avril – peut être connecté à un document notarié datant d’octobre 1676, intitulé « esgail de la taxe des maisons restées en la rue Haute » (nous soulignons)278. Ce document permet de dresser la liste des propriétaires (résidents ou non) de la rue taxés par Chaulnes afin de dédommager le sire de Tonquédec à hauteur de 5 000 livres. Soixante quatre personnes ou groupes de personnes sont ainsi inventoriés, dont les Dominicains de Bonne-Nouvelle, le receveur municipal Loisel, le greffier en chef du parlement et « ecuyer » Le Clavier ; parmi les plus gros contribuables figure le capitaine de la rue, Guénéron. En comparant cette liste de propriétaires avec celle dressée deux ans plus tôt dans le cadre de la réformation du domaine279, on remarque que seul un tiers des propriétaires s’est acquitté de cette taxe : eux seuls auraient donc vu leur maison non détruite. Le dossier est cependant brouillé par d’autres documents. Ainsi, telle veuve dont le nom n’apparaît pas parmi ceux qui se sont acquittés de leur taxe pour Tonquédec, affirme avoir rue Haute une maison abandonnée280. De plus, dans les documents établis au moment de la reprise de la réformation du domaine en 1677, des maisons que l’on pourrait supposer avoir été détruites – leurs propriétaires n’ayant pas payé leur taxe à Tonquédec – sont toujours debout281. À moins qu’elles n’aient été reconstruites ? Aussi, au total, seules 10 % des maisons mentionnées en 1673 ne le sont plus jamais ensuite, et pourraient donc avoir été effectivement mises à terre282. Mais il s’agit d’un minimum, et il faut rester des plus prudents283. Quoiqu’il en soit, il semble probable que les maisons qui ont été détruites étaient sans doute de modestes édifices où pouvaient s’entasser des miséreux qui avaient fui dès octobre. Peut-être certaines de ces maisons appartenaient-elles à des exécutés, la pratique de la destruction des biens immobiliers étant classique pour les chefs de sédition284. Ici, nous n’avons aucune trace de telle décision, mais les actes d’accusation dont nous disposons, copiés par Morel, ne sont pas complets. Ce qui semble néanmoins certain, c’est que ces destructions furent d’ampleur limitée, et que dès 1677, la rue avait retrouvé un aspect qui ne devait pas être éloigné de celui qu’elle avait avant les événements.
La rue Haute, capitale de la Bretagne en révolte
- 285 Boris Porchnev, Les soulèvements… au XVIIe siècle, op. cit., p. 244.
- 286 Une partie des dragons logent dans la rue Haute d’après Morel.
115Expulsion, taxation, destruction, mais aussi exécutions : la rue Haute a bien droit à un traitement particulier. Cet acharnement mérite donc d’être interrogé. L’idée de détruire des maisons n’est pas neuve, mais on ne dépasse en général pas le niveau des seuls coupables, comme en 1643 à Tours, quand il est envisagé de détruire quelques maisons réputées être les repères des séditieux du faubourg la Riche285. Ici, l’ampleur est tout autre, en ce qu’elle concerne une rue, longue de surcroît, et qu’elle se joint au fait d’expulser les habitants. La logique qui prévaut est donc d’une grande violence : il s’agit bien de supprimer cet espace. Certes, le réel reprend vite ses droits : il faut indemniser Tonquédec, loger quelques soldats286, et il est difficile de rayer de la carte des maisons qui peuvent appartenir à l’ancien syndic Hévin ou au greffier en chef du parlement, et qui, comme tous ces propriétaires non occupants, louent des demeures et ont intérêt au repeuplement de la rue. À ceux-ci il faut ajouter les seigneurs dont dépendent ces espaces, parmi lesquels on trouve les Coëtlogon. Aussi, en amont d’opérations marquées du sceau des accommodements et autres compromis, ce sont les intentions premières qui doivent nous retenir un instant.
- 287 BNF, MC 171 bis, fol. 458, lettre de Chaulnes à Colbert, 12 VI 1675.
- 288 Ainsi il ne semble pas que le duc ait cherché à punir le faubourg de la Madeleine, impliqué dans l (...)
116Là encore, c’est dès le mois de juin que Chaulnes exprime pour la première fois son intention de « ruiner entiérement les fauxbourgs de cette ville », remède qu’il juge lui-même « un peu violent », mais, ajoute-t-il, « c’est, dans mon sens, le seul287 ». Le duc, à cette date, attribue encore ses déboires et les insultes à l’extra muros, mais ne fustige pas encore particulièrement la rue Haute. Cependant, à ce moment-là, celui-ci s’est déjà fait remarquer à au moins deux reprises : le 18 avril et en mai avec l’affaire des chevaux de Tonquédec suite à une mobilisation sans ordre, acte d’autant plus grave que ce seigneur accourait pour prêter main forte aux autorités. Puis, ce faubourg se distingue en juin, menaçant les gens d’affaire d’après Cormier, avant que, probablement en juillet, il ne s’agite lors de l’attaque du parlement et ne se permette d’envoyer un chat à la face de la duchesse de Chaulnes. D’après Cormier, c’est d’ailleurs celle-ci qui inspire à son époux « de punir particulierement le faubourg de la rue Haute288 ». Les chevaux de sang bleu massacrés, le chat pourri offert à la « bossue », voire le cochon proféré comme insulte : cette trilogie animalière résumerait les intentions punitives des autorités. Pour Cormier, qui ne parle pas des animaux, la cause de cet acharnement du duc est que la rue a « pris les armes le jour de la sedition (laquelle, encore ?) sans ses ordres ». Il se polarise ce faisant sur les causes du reproche, sur le pêché originel de cette rue, un péché dont le carnaval des animaux suscité ne serait alors qu’une conséquence. Ce disant, Cormier rejoint les condamnations des hommes de la rue Haute, coupables en premier lieu d’avoir pris les armes sans qu’on les y autorise. Ce constat rejoint aussi d’une certaine façon la cause du départ du parlement : l’image d’une ville peu sure, sans citadelle ni garnison, cernée de faubourgs séditieux, suffisamment intégrés pour être armés au titre de la milice, mais trop indépendants et plébéiens pour être autre chose que des foyers de désordre. Ce sont d’ailleurs là les causes figurant dans l’arrêt d’expulsion, sans doute au bas mot inspirées par Chaulnes : les séditions rennaises, peut-on y lire, sont nées dans les faubourgs de cette ville, et particulièrement dans celui-ci ; c’est là le lieu d‘origine de la contagion rebellionnaire ; de là, elle a prospéré avant de gagner toute la ville et, « par leurs mauvais exemples et par leurs pernicieux conseils » – accusations très graves – a contribué à sa diffusion en Basse-Bretagne. La cause du mal est donc là, et c’est donc là que doit s’abattre un châtiment en forme d’éradication. Le contraste avec le texte officiel de transfert du parlement est frappant : celui-ci, au fond, n’est qu’une victime, les vrais coupables étant tapis dans les bas-fonds de la cité. Certes, on peut s’étonner du fait que, quand on décide de s’en prendre à cette rue, le parlement soit déjà parti, mais rien ne dit qu’il ne devait pas, même dans l’esprit de Chaulnes, rester peu de temps à Vannes : son retour ne pourrait se faire que dans une ville purgée.
- 289 Supra, chapitre III.
- 290 Alain Croix, La Bretagne auxXVIe etXVIIe siècles. La vie, la mort, la foi, Paris, Maloine, 1980, t (...)
- 291 Arch. dép. Ille-et-Vilaine, 1 Bf 849.
117Il faut insister sur un point important. Si le duc et sa femme ont de sérieux motifs de s’en prendre à cet espace, il faut aussi remarquer que, ce faisant, ils ne font que récupérer à leur compte tout un discours sur la nocivité des quartiers périphériques, exprimé, on l’a vu, dès le mois d’avril par les autorités locales. Aussi, la brutalité souvent reprochée par les historiens au duc de Chaulnes en la matière n’est-elle que la reprise d’un discours émanant des élites locales. On se souvient d’ailleurs que l’une des grandes préoccupations des autorités est, avant les événements, le traitement de la pauvreté, avec les projets de création d’un hôpital général289. De plus, l’idée d’expulser les indésirables n’est pas nouvelle. C’est même un grand classique de la politique des autorités par temps de famine ou d’épidémie290. Elle est renouvelée à deux reprises à l’occasion de la crise de 1675, pour lutter contre cet autre fléau qu’est la sédition : le 4 mai, il est vrai sous la houlette de Lavardin, les vagabonds et autres étrangers sont priés de déguerpir dans les 24 heures à peine de fouet ; puis, le 23 septembre, suite à une remontrance de Huchet, les rebelles bas-bretons, associés aux fainéants, mendiants valides, gens sans aveu et autres « extraprovinciaires » sont à nouveau enjoints de partir, toujours à peine de fouet291. Ainsi, dans le cas de la rue Haute, s’observe une forme de réinvestissement du principe de l’expulsion vers le maintien de l’ordre dans son expression la plus simple – et non par la médiation d’une crise épidémique ou frumentaire –, dans une relative continuité : continuité, dans la mesure où c’est bien toujours la même cible qui est visée (les pauvres étrangers) ; relative dans la mesure où c’est un seul faubourg qui est frappé. C’est d’ailleurs sans doute parce que l’idée d’exclure les populations flottantes est relativement banale – et inefficace – que ce sont moins les expulsions que les destructions, même limitées, qui semblent avoir marqué durablement les esprits : les secondes sont vraiment extraordinaires et menacent en outre des propriétaires qui peuvent être des notables. Ainsi sur la copie de la Relation de Morel est-il question de « la tradition » qui veut que la rue Haute a été rasée. Le notaire prend donc cet événement pour vrai et assuré, même s’il remarque bien que l’arrêt d’octobre n’en dit mot. Ceci étant, le silence de Duchemin ou même à la rigueur de La Monneraye sur le sujet doit nous alerter : l’affaire, à vrai dire, a surtout marqué les historiens suite à la découverte, au XIXe siècle, des lettres de la marquise de Sévigné, dans un contexte propice à dénoncer les excès de la monarchie louisquartorzienne, que ce soit par républicanisme ou par régionalisme. Au delà des images, les expulsions eurent sans doute, comme toujours, une portée limitée, et les destructions furent loin d’être générales.
« L’Injustice » en peinture
- 292 Illustration 10.
- 293 Arch. dép. Ille-et-Vilaine, 2 El 23. En l’état actuel de la connaissance du dossier, le tableau ré (...)
- 294 Arch. dép. Ille-et-Vilaine, 4 E 857, 17 X 1676.
- 295 Encore que les œuvres religieuses connues sont plutôt postérieures à 1675, comme un écho à de poss (...)
118Quelques mois après les événements, en 1676 d’après une inscription située sur la toile, Jean-Bernard Chalette réalise un tableau d’environ un mètre sur un mètre cinquante292, à l’évidence pour l’archidiacre Jean de la Monneraye, dont les armes figurent en bas à gauche de la composition. Le nom du propriétaire et commanditaire tend d’ailleurs à être confirmé par la présence dans l’inventaire et la vente après décès de ce haut personnage, d’un tableau intitulé « l’injustice », estimé la jolie somme de 30 livres et vendu 65 à un certain Desclos-Berthelin, non identifié à ce jour293. À regarder cet inventaire, La Monneraye n’apparaît pas particulièrement collectionneur, ce qui ne donne que plus de force à sa commande. « L’Injustice » figurait en bonne place dans sa demeure, « dans une grande chambre sur le devant », à côté d’une Conversion de saint Paul et d’un Daniel dans la fosse aux lions, estimés et vendus presque deux fois moins chers. L’artiste auquel La Monneraye s’est adressé, Chalette, est à Rennes depuis quelques années, chargé des décors du parlement. Il a même obtenu en 1672 le marché pour les dessins des tapisseries de la chambre des requêtes. Toulousain d’origine, il est bien intégré et, cette même année 1676, il se marie avec une marchande, fille de personnes dites « honorables294 ». L’archidiacre, dont le frère René – notre scripteur – est notaire-secrétaire au parlement, a d’autant plus de raisons de croiser cet artiste que celui-ci travaille aussi pour l’Église295. Habitant en plein cœur de la ville, près de cette porte aux Foulons qui fait la jonction entre les turbulents quartiers nord et la partie de la ville occupée par la robe et la finance locale, Chalette a sans doute « tout » « vu » et « entendu » des événements. Ceci, mais aussi la probable gêne financière qu’il connaît suite au départ de la cour vers Vannes, ainsi que la possible amertume face à la fermeture d’un palais où il travaille depuis des années, ont sans doute contribué à ce qu’il donne à ce tableau une connotation très noire. À condition, bien sûr, d’accepter l’idée, au demeurant peu contestable, qu’il s’agit bien d’une évocation des affaires de 1675 : mais à quoi d’autre cela peut-il faire allusion ?
- 296 Illustration 11. Elle-même reprise par Antoine Caron pour un Triomphe de la mort conservé au Musée (...)
- 297 « Seigneur, démolis les crocs de ces lions » (Ps. 58 (57), v. 7). Par ailleurs, il est possible qu (...)
- 298 D’autres feuilles apparaissent également par terre, à côté de la femme tenant un enfant dans les b (...)
- 299 Chaulnes… ou Louis XIV ? À la loupe, le profil de l’homme en question fait en effet penser au mona (...)
- 300 Gérard Sabatier, Versailles, op. cit., p. 171.
- 301 Philippe Bonnet et alii, Rennes. Palais du parlement de Bretagne, Paris, Inventaire général, 1998, (...)
- 302 Notons que le pendant peut-être aussi fait avec le (futur) médaillon de la galerie des glaces cons (...)
119Chalette n’a pas totalement innové. Il a en effet repris dans une assez large mesure une gravure d’Heemskerck intitulée « Le Triomphe de la mort » (1565) pour le paysage du fond le thème central et une large partie de la composition296. Ainsi le paysage de fond, tout en désolation, en est-il une reprise exacte, expression hallucinée de l’Enfer, qui fait écho à la « destruction de Jérusalem » chère à Duchemin. Par rapport à son modèle, Chalette a cependant pris des libertés révélatrices. Il a ainsi remplacé les bovins par des fauves, ce qui est un possible écho à la suite du verset du psaume inscrit en bas297. Les fauves, surtout, pourraient être cette soldatesque réduisant sur son passage femmes, enfants, vieillards, estropiés et hommes mûrs, qui peuvent être en cuirasse – comme chez Heemskerck – et renvoyer aux soldats citoyens victimes de la répression. Chalette change aussi un détail au sujet du personnage qui semble fuir tout à gauche : la bouteille est remplacée par ce qui semble être un sac de procès, comme une allusion au départ de la robe vers Vannes. Il est à noter aussi que les figures d’ecclésiastiques sont remplacées par des laïcs, peut-être pour insister sur le fait que les fauves s’en prennent aux citoyens ordinaires. Cette idée apparaît plus nettement avec le fait de mettre au centre de la cohorte des malheureux, sous les pattes-même des bêtes, une femme et un enfant, qui auraient disparu derrière la colonne si l’artiste avait respecté son modèle ; en outre, il ajoute parmi ces personnages à terre une figure (de femme ?) implorant le personnage qui, en haut semble le grand ordonnateur de ce désastre. Il est clair, ce faisant, que Chalette a voulu insister particulièrement sur l’image d’une innocence écrasée. L’image s’accorderait donc assez bien avec la tirade de Duchemin, et renverrait pêle-mêle aux exécutions, au sort réservé à la rue Haute, aux exactions commises par la troupe et au coût de son logement. Une autre liberté prise par rapport au modèle est de remplacer le char de la mort par le chariot du fisc, avec un démon en guise de cocher. Sur cette voiture, les feuilles qui dépassent – du papier timbré sans doute298 –, autant que les trésors entassés dans des coffres renvoient à l’idée de l’illégitimité du prélèvement. Mais celui-ci peut autant, si ce n’est plus, être une référence aux taxes payées pour la levée des troupes, et peut-être aux sommes payées au printemps pour s’épargner la venue des troupes. En tout cas, l’image est celle d’une destruction collective, dont le commanditaire semble être le personnage armé d’une épée qui, juste derrière le démon, debout devant un trône, paraît donner des ordres du haut d’une estrade. Avec ses sacs d’argent aux pieds, il semble bien que ce soit Chaulnes299. Au premier plan, sur des marches qui font une sorte de pendant avec celles en haut desquelles est Chaulnes, apparaît la Justice – qui détourne les yeux – et une autre figure qui pourrait être la Paix, dans un décor qui pourrait symboliser le parlement, avec une colonne majestueuse drapée de noir, en bas de laquelle figure une hermine. La scène n’est pas sans évoquer, mais en forme d’opposition, l’allégorie de la réformation de justice peinte à peu près au même moment par Le Brun pour l’escalier des ambassadeurs à Versailles300. Ceci dit, la toile dialogue et s’oppose peut-être surtout avec le plafond de la grand chambre du parlement de Rennes, achevé en 1665 par Coypel, qui met en scène, sous l’autorité de la Justice, la Force armée et casquée chassant les mauvaises passions301. Les deux toiles, mises en regard, pourraient figurer comme une réactualisation picturale du thème du bon et du mauvais gouvernement302.
- 303 Psaume 58 (57), v. 2.
- 304 Le cartouche est encadré par deux petits personnages : l’un, jovial, a à côté de lui des bourses p (...)
- 305 Lettres, op. cit., p. 888, lettre, 20 X 1675.
120Cette mise à l’écart de la Justice tend à confirmer que l’idée directrice est bien la dénonciation de la répression. Il en va de même des deux inscriptions placées en bas. L’une, en latin, tirée de la Bible303, est clairement une dénonciation de l’œuvre judiciaire telle qu’elle s’est déployée à partir du 12 octobre (« Est-ce selon le droit que vous jugez, fils des hommes ? »), dans la droite ligne des indices de désapprobation relevés plus haut et légitimé par l’usage classique consistant à utiliser une citation susceptible de faire autorité. Mais elle peut très bien être (aussi ?) une évocation plus large de l’ensemble du traitement punitif subi par Rennes. L’autre inscription, en français – « Les riches et les pauvres sont injustement acablés » – renvoie plus nettement à l’ensemble du processus punitif304. La phrase a ici son importance. Elle renvoie à l’idée, émise à titre d’hypothèse par Philippe Hamon qu’il y a une injustice à accabler certes les pauvres, mais aussi les riches. Ainsi la toile exprime-t-elle une forme de solidarité citadine dans le malheur, le sentiment d’une agression partagée par-delà les différences d’états. Pour autant, et c’est ce qui explique que ce tableau existe, l’indignation naît du scandale qu’il y a eut à accabler les riches. Après tout, les notables du lieu estiment ne rien avoir à se reprocher : si certains doivent payer, être punis, ce ne sont certes pas les plus importants habitants. Il est sans doute particuliérement injuste que les riches privilégiés innocents subissent le même traitement que des pauvres considérés depuis le 18 avril comme peu ou prou coupables. On a un écho de cette idée chez la marquise de Sévigné, quand elle écrit que « les mutins de Rennes se sont sauvés il y a longtemps : ainsi les bons pâtiront pour les méchants305 », et les méchants ne sont ni au palais, ni à l’hôtel de ville, ni dans les stalles du chapitre. Quelques années plus tard, un autre témoin de cette affaire, procureur au parlement devenu greffier de la communauté de ville et historien officiel de celle-ci, dira les choses plus crûment, quand, évoquant les événements de 1675, il retient de ceux-ci essentiellement la répression, et note que la ville dut alors payer des taxes
- 306 Gilles de Languedoc, op. cit., p. 287-288.
« tres onéreuses a l’occasion du pillage…. commis par la populace de bureau publics dont les paiements ne tomberent pas sur les coupables qui n’étant que des miserables sans bien et a qui par conséquent tout autre pays etoit egal, sceurent bien s’en soustraire par la fuite qu’ils prirent, mais (sur ?) les bons habitans qui n’y avoient eu aucune part306 ».
121En somme, la punition royale est difficile à supporter car elle renvoie la ville à sa dimension communautaire de moins en moins évidente. Chaulnes frappe une collectivité qu’il pense soudée autour de son beffroi, unie derrière ses murs, en vertu de sa conviction que « toute la ville est coupable » et d’une vision du fait rebellionnaire chevillée à ses représentations sur les solidarités locales. Mais dans cette société nourrie, travaillée par le privilège distinctif d’essence royal – en raison d’un horizon social qui est d’abord robin, donc lié à l’office –, voir celui-ci réduit à rien, voir les riches mis avec les pauvres ne peut être que mal vécu par les premiers.
- 307 Arch. dép. Ille-et-Vilaine, 1 Ba 22, fol. 235.
- 308 Arch. dép. Ille-et-Vilaine, 2 El 25.
- 309 Et faire valoir en cette occasion son dynamisme en matière d’approvisionnement.
- 310 Arch. dép. Ille-et-Vilaine, 2 El 25.
- 311 Arch. dép. Ille-et-Vilaine, 1 Bb 574, reg. sec., 25 II 1670.
122Ceci conduit à souligner que nous avons ici, selon toute probabilité, moins l’expression du ressenti du modeste Chalette que de l’archidiacre et protonotaire apostolique de La Monneraye. Il est toujours difficile de savoir, en pareil cas, la part de l’artiste et celle du commanditaire, mais tout laisse penser que le second a joué un rôle déterminant. Le fait que, de plus, cette œuvre violente et non exempte de maladresses formelles soit restée jusqu’à la fin de la vie de son propriétaire, un quart de siècle plus tard, bien en vue dans sa demeure, tend à indiquer qu’il en était content. Qu’une toile d’une telle force critique – et d’une telle faiblesse plastique – se trouve chez un La Monneraye laisse songeur, dans la mesure où la famille n’a pas eu jusque là à se plaindre de la monarchie. Occupant divers offices à la monnaie et à la chancellerie, la famille obtient, par René, une lettre de noblesse en 1660 qui souligne ses services rendus lors de son passage dans l’armée, puis ses missions comme notaire-secrétaire du parlement307. La lettre indique de plus qu’à travers lui est en réalité distinguée une des familles « des plus anciennes et des plus considérables de Rennes308 ». Les La Monneraye ont en effet donné deux procureurs syndics, dont un cousin de René et de Jean, le sieur de la Meslée. Celui-ci a même gagné une certaine célébrité en haranguant trois fois le roi, lors des états de 1661, à l’occasion de la naissance du dauphin, et l’année suivante pour justifier de la conduite de ses concitoyens lors de troubles frumentaires309. C’est tout cela, ainsi que ses actions « considerables » aux états, qui explique la lettre d’anoblissement. Tous ces La Monneraye, qui se parent désormais du titre d’écuyer, obtiennent aussi collectivement du roi, en 1671, de voir leur nom précédé d’une particule310. À cette occasion, le roi revient sur les divers services rendus par la famille au royaume, en insistant sur le passage de René et de son frère Gabriel aux armées, et de rappeler que l’ancêtre commun a joué un rôle dans le maintien de Rennes hors des griffes de la Ligue. En somme, les La Monneraye n’ont pas eu à se plaindre de l’État royal et peuvent servir à illustrer ce qui était, entre armée et office, une intégration aussi réussie que prometteuse. On objectera que tout cela n’engage guère l’archidiacre. Mais il est frappant de voir que son frère René, dans son livre de raison, bien qu’ayant consigné les prémisses de la gloire du roi en Hollande en 1672, a déposé deux ans plus tôt avec ses confrères notaires-secrétaires une requête au parlement pour dénoncer la ruine que de nouveaux édits allaient provoquer311 ; puis, quand le vent de la révolte commence à souffler en 1675, il rédige dans le même livre de raison une vigoureuse tirade dénonçant la politique royale depuis 1667 ; enfin, à l’heure de la punition de Rennes, il témoigne d’une mauvaise humeur qui trouve un écho dans le tableau commandé par son frère à Chalette. L’année 1675 était peut-être au moins autant la fin de « l’âge d’or » de la Bretagne que celle du crépuscule de la lune de miel entre une partie des notables provinciaux et la monarchie.
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- 312 Supra, chapitre III.
123Rennes n’eut donc pas à subir un procès en bonne et due forme comme cela était prévu par l’ordonnance criminelle de 1670, mais subissait néanmoins un train de mesures punitives qui en faisait une ville jugée coupable. L’édifice punitif était une pyramide. À la base, presque tous les habitants doivent subir le même logement des gens de guerre et son financement. La négation des privilèges des uns et des autres dit combien la responsabilité est aux yeux de Chaulnes partagée. De cette logique relève aussi le désarmement des miliciens – mesure à la fois technique, sécuritaire si on veut, et politique – et le renvoi du procureur syndic, censé être un relais du pouvoir royal : il n’est pas un rebelle, certes, mais paie au nom de la ville. À un deuxième niveau, la répression frappe des corps particuliers, aux deux extrémités de la société urbaine. Au sommet, le parlement subit une punition qui prolonge celle de la ville, première victime de son transfert. Par là, le roi cherche visiblement à purger la ville de ces petits robins trop remuants qui, en plus, tiennent peu ou prou l’hôtel de ville et les compagnies de milices. À l’autre extrémité, la foudre tombe sur le faubourg de la rue Haute, devenu symbole à lui seul de la répression. Ainsi, en gommant du paysage parlement et rue Haute, le duc de Chaulnes coupe l’alliance jugée fatale entre les brouillons des deux espèces : les robins et les pauvres. Tout n’était pas faux dans cette vision de l’écosystème politique local, comme tend à le montrer par exemple le fait que la fille posthume de Blé est portée sur les fonts par un procureur312. Pour autant, tout est aussi plus compliqué, comme l’ont montré en dernier lieu les ratés du 17 juillet, ou encore que tous les robins n’étaient pas des séditieux, ou que la rue Haute n’était pas toute révolte ni toute la révolte. Ainsi, en limitant la punition à un seul faubourg, on cherchait à envoyer un message aux brouillons d’ici et d’ailleurs, tout en appliquant la célèbre maxime selon laquelle seuls les plus coupables doivent être châtiés. Le troisième niveau est celui des punitions ciblées sur des individus jugés particulièrement coupables, conformément à une pratique ancienne réaffirmée dans le code criminel. La justice extraordinaire, sociologiquement sélective, n’a guère frappé le monde de la robe, mais elle ne s’en est pas moins abattue sur des gens qui n’étaient pas des misérables sans aveu. Ceci, mais aussi le fait qu’elle ait puni avec force des gens qui n’étaient pas coupables de crimes atroces ou de destructions sauvages, indique que les autorités ont eu envie – et sans doute aussi besoin – de frapper fort. Il le fallait sans doute d’autant plus que la campagne de Basse-Bretagne avait eu des résultats limités sur le plan punitif ; il le fallait aussi car l’idée était fortement ancrée que les villes, et en particulier les capitales, montraient l’exemple ; il le fallait également pour envoyer un message sans concession à tous les miliciens des villes et des champs si importants dans cette province si peu militarisée ; enfin, il le fallait aussi évidemment pour dissuader les sujets de s’en prendre à l’impôt, nerf de la guerre. À tous titres, les roués et pendus de Rennes payaient pour toute la Bretagne, et même au-delà. Et alors que l’historiographie a insisté sur le départ du parlement et sur l’évacuation-destruction de la rue Haute, comme symboles de la force punitive, il apparaît que ce sont les condamnations à mort qui, par leur nombre, attestent surtout de la dureté du traitement infligé à Rennes.
- 313 Arch. mun. Rennes, reg. BMS, Saint-Martin GG 4, 13 VIII 1676.
124En même temps, si le répertoire punitif emprunte à un catalogue informel dans lequel l’État pioche pour châtier les révoltes, il importe de voir que des paramètres particuliers ont joué. On a beaucoup dit, non sans raison, combien il fallait voir derrière tout cela la patte de Chaulnes, désireux de rétablir une autorité malmenée et de se venger des humiliations subies tant par lui que par sa femme. D’ailleurs, les éléments forts du dispositif punitif mis en place sont énumérés par Chaulnes lui-même dès juin, soit au moment où il affronte la rue rennaise : logement des troupes, départ du parlement et ruine des faubourgs. Mais, à nouveau, derrière l’image du bourreau se cache le politique. Car, derrière l’éclat vigoureux des supplices et des punitions, comment ne pas remarquer que Chaulnes n’a pas fait autant qu’il aurait pu, à en juger par les précédents peu ou prou comparables. Le parlement n’a pas vu son intégrité frappée. Il a simplement été déplacé. La rue Haute a été évacuée plus que détruite, tandis que les autres faubourgs ont été laissés en paix. D’un point de vue monumental, Rennes a évité l’érection d’une citadelle, et n’a pas vu non plus portes et murs démantelés, ni vu de ces pyramides expiatoires destinées à rappeler à tous les erreurs du passé. Pas un clocher ne fut réduit au silence, ni même le beffroi. Mieux, à l’été 1676, la paroisse Saint-Martin fait baptiser par Coëtlogon et la femme du procureur général Huchet de nouvelles cloches313. Et cela en plein faubourg, à deux pas de la rue Haute. Par ailleurs, la capitale de la Bretagne a certes été étêtée, mais elle n’a perdu aucun de ses privilèges et, à part son procureur syndic, aucun officier municipal n’a été mis à pied ; même Gentil n’a pas été exilé, peut-être parce que le pauvre ne semblait guère dangereux. Aubenas, en 1670, a perdu son droit de députer aux états provinciaux, ce à quoi Rennes échappe et ce point peut nous conduire vers les intentions de Chaulnes. Dans ce pays d’états, sa principale mission est de faire payer le plus possible une province considérée comme riche. Pour cela, il lui faut des alliés et, face à la noblesse, et alors que le clergé est réputé bien disposé, les députés des villes doivent être ménagés : d’eux dépend la réussite ou non d’une session, estimée en millions de livres votés. Or, la tenue des états, est, à l’heure des supplices rennais, l’épreuve suivante que le duc de Chaulnes doit préparer.
Notes
1 L’épisode de la « destruction de la rue Haute » a donné lieu à une illustration dans une des éditions de l’Histoire de France de Lavisse pour les enfants des écoles.
2 Arch. dép. Ille-et-Vilaine, 1 Bb 575, reg. sec., 23 IX 1675.
3 Arch. dép. Ille-et-Vilaine, 1 Bb 575, reg. sec., 26 IX 1675.
4 Arch. mun. Rennes, BB 561, reg. délib., 26 IX 1675.
5 Arch. mun. Rennes, BB 561, reg. délib., 26 IX 1675, CC 460.
6 Arch. mun. Rennes, BB 561, reg. délib., 26 IX 1675, GG 31 Toussaints.
7 Lettres, ed. Gerard Gailly ed., Paris, Gallimard, 1953, t. I, p. 866, lettre du 2 X 1675.
8 Hervé Le Goff, « À travers les liasses d’archives. La correspondance privée du fonds des familles », Trégor, mémoire vivante, 1995, no 8, p. 87-96.
9 Arch. dép. Ille-et-Vilaine, 1 Bb 559, reg. sec., 29 VIII 1667.
10 SHD, A 1 428, fol. 175, lettre de Louvois à Chaulnes, 12 IX 1675.
11 SHD, A 1 428, fol. 292, lettre de Louvois à Chaulnes, 17 IX 1675.
12 BNF, MC 171 bis, fol. 435, lettre de Chaulnes à Colbert, 9 VI 1675.
13 Ajoutons de plus que passer par Rennes ne constitue de plus pas un réel détour sur la route des frontières.
14 BNF, MC 171 bis, fol. 565, lettre de Chaulnes à Colbert, 16 VI 1675.
15 Yves-Marie Bercé, Histoire des Croquants. Etude des soulèvements populaires au XVIIe siècle, Genève-Paris, Droz, 1974, t. I, p. 398.
16 Arch. mun. Rennes, CC 460.
17 Arch. mun. Rennes, BB 561, reg. délib., 3 et 7 X 1675.
18 Arch. dép. Ille-et-Vilaine, 4 E 388, 6, 9 & 12 X 1675.
19 Arch. dép. Ille-et-Vilaine, 1 Bb 575, reg. sec., 8 X 1675.
20 Annales des religieuses de Saint-Augustin, livre I, p. 87.
21 Annales des religieuses de Saint-Augustin, livre I, p. 198 et 204.
22 Bruno Isbled, Moi, Claude Bordeaux… Journal d’un bourgeois de Rennes au XVIIe siècle Rennes, Apogée, 1992, p. 176.
23 Arch. dép. Ille-et-Vilaine, 1 Bb 575, reg. sec., 9 X 1675.
24 Arch. dép. Loire-Atlantique, B 2622. Dans le rôle précédent, il n’est d’ailleurs même pas indiqué dans la catégorie des révoltés (Arch. dép. Loire-Atlantique, B 2620).
25 Il est possible qu’il ait été arrêté : un dénommé Pierre Regnouart, emprisonné suite à une requête du procureur général le 8 octobre pour fait de révolte, élargi le 8 février suivant, pourrait très bien correspondre au profil (Arch. dép. Loire-Atlantique, B 2620).
26 Outre les sources administratives, les écrits de particuliers qui serviront ici sont ceux de Cormier (Arch. dép. Ille-et-Vilaine, 1 F 1637), de Morel (Gauthier Aubert, Marie-Laure Flahaut, « Rennes de la révolte du Papier timbré à la veille de la Révolution à travers deux chroniques inédites », Bulletin et mémoires de la Société archéologique et historique d’Ille-et-Vilaine, 2009, t. CXIII, p. 93-185), de Duchemin (Bruno Isbled, Moi, Claude Bordeaux… Journal d’un bourgeois de Rennes au XVIIe siècle Rennes, Apogée, 1992), de Toudoux (Floriane Machard, Un certain regard sur Rennes au XVIIe siècle : vie de la cité et révolte urbaine, mémoire de Master 2, université Rennes 2, 2011, dir. G. Aubert, 2 vol.) et de La Monneraye (Arch. dép. Ille-et-Vilaine, 2 El 25).
27 Pierre Gras (dir.), Histoire de Dijon, Toulouse, Privat, 1987, p. 126.
28 D’après Jules Jeanneney, cité par Jean-Pierre Azéma, De Munich à la Libération, Paris, Le Seuil, 1979, p. 64-65.
29 Marc Bloch, L’Etrange défaite, Paris, Gallimard, 1990, p. 51-54.
30 Madeleine Foisil, La révolte des Nu-Pieds et les révoltes normandes de 1639, Paris, PUF, 1970, p. 293 ; René Pillorget, Les mouvements insurrectionnels de Provence entre 1596 et 1715, Paris, E. Pédone, 1975, p. 820 et 348-349. Des troubles éclatent à Aix en 1630, mais plus tard.
31 Lettres, op. cit., p. 873, lettre du 9 X 1675.
32 Ils étaient 200 lors de son arrivée en mai.
33 Arch. dép. Ille-et-Vilaine, 1 Bg 388.
34 C’est la date indiquée par les miseurs, ainsi que par Morel. Cormier se trompe sans doute quand il évoque le 17.
35 Catherine Denys, Police et sécurité au XVIIIe siècle dans les villes de la frontière franco-belge, Paris, L’Harmattan, 2002, p. 94-98.
36 Arch. mun. Rennes, EE 166.
37 Voir par exemple le cas d’Aix en 1630 (René Pillorget, op. cit., p. 349).
38 Arch. mun. Rennes, BB 560, reg. délib., 19 VII 1674. Par la suite, cette lande est devenue un des lieux privilégiés d’installation de l’armée à Rennes, et si le polygone d’artillerie de la Courouze a aujourd’hui laissé la place à un quartier d’habitation, il reste de ce passé le Centre de sélection.
39 Soit Morel et Duchemin.
40 Arch. mun. Rennes, BB 562, reg. délib., 9 III 1676 et BB 563, reg. délib., 14 III 1677.
41 Arch. mun. Rennes, BB 562, reg. délib., 14 et 24 V, 5 VII, 23 VIII 1676.
42 BNF, 171 bis, fol. 565, lettre de Chaulnes à Colbert, 16 VI 1675.
43 BNF, Clairambault 796, fol. 307, lettre de Lavardin à Colbert, 23 VII 1675.
44 BNF, Clairambault 796, fol. 333, lettre de Lavadrin à Colbert, 27 VII 1675.
45 Hervé Le Goff, art. cit.
46 Arch. aff. étr., mémoires et documents, vol. 941, fol. 145.
47 Arlette Jouanna (dir.), Histoire et dictionnaire des guerres de religion, Paris, Robert Laffont, 1998, p. 1185 ; Jean-Marie Constant, La Ligue, Paris, Fayard, 1996, p. 316.
48 Orest Ranum, La Fronde, Paris, Seuil, 1998, p. 211-212 ; Caroline Le Mao, Parlement et parlementaires : Bordeaux au Grand siècle, Seyssel, Champ Vallon, 2007, p. 78-79.
49 Stéphane-Claude Gigon, La révolte de la gabelle en Guyenne, Paris, Champion, 1906, p. 160.
50 René Pillorget, op. cit., p. 346.
51 Yves-Marie Bercé, op. cit., p. 316.
52 Boris Porchnev, Les soulèvements populaires en France de 1623 à 1648, Paris, SEVPEN, 1963, p. 680.
53 Boris Porchnev, Les soulèvements populaires en France au XVIIe siècle, Paris, Flammarion, 1972, p. 119-120.
54 Charles d’Aigrefeuille, Histoire de la ville de Montpellier, Montpellier, 1737, p. 421.
55 Yves-Marie Bercé, op. cit., p. 167.
56 Madeleine Foisil, op. cit., p. 316 sq.
57 Ibid.
58 Élisabeth-François de La Cuisine, Le parlement de Bourgogne depuis ses origines jusqu’à sa chute, Dijon-Paris, Rabutot-Durand, 1864, t. II, p. 316 ; le même auteur signale que, en 1637, la cour ayant subi l’ire condéenne, fut interdite et déplacée (ibid., p. 112-113).
59 Arch. aff. étr., mémoires et documents, vol. 940, fol. 386-388.
60 Voir la lettre de d’Etampes-Valençay à Séguier, 12 IX 1636 : « Le seul expedient… de venger ceste offense seroit de mettre en ceste ville une bonne garnison…. L’on leurs feroit peur d’une citadelle, de la perte de leurs privilèges et de la translation du parlement. Ils viendroient incontinent au pardon et lon en feroit ce que l’on voudroit » (Boris Porchnev, Les soulèvements… de 1623 à 1648, op. cit., p. 680).
61 Lettres, op. cit., p. 869, lettre du 6 X 1675.
62 Ibid., p. 877, lettre du 13 X 1675.
63 Hervé Le Goff, art. cit.
64 Dans une dépêche tardive du 26 novembre, la Gazette d’Amsterdam rapporte que l’ingénieur chargé de la construction de la citadelle de Rennes a présenté son plan au roi (Jean Lemoine, CLXIV). Il semble qu’il y ait confusion avec Bordeaux.
65 Lettres, op. cit., p. 910. lettre du 13 XI 1675.
66 Gauthier Aubert, « Parlement et maintien de l’ordre : Rennes, 1662-1675 », dans Gauthier Aubert, Olivier Chaline (dir.), Les parlement de Louis XIV. Opposition, coopération, autonomisation ?, Rennes, PUR, 2010, p. 227-239.
67 L’affaire, révélée par Toudoux, est confirmée par deux documents : Arch. mun. Rennes, BB 549, reg. délib., 7 XII 1663 et DD 46.
68 Daryl Dee, « La Franche-Comté et l’absolutisme de Louis XIV », Annales de Bourgogne, t. 85, 2013, p. 291-305.
69 Gérard Cholvy (dir.), Histoire de Montpellier, Toulouse, Privat, 1984, p. 172-173 ; Sandrine Lavaud (dir.), Bordeaux, sites et monuments, Bordeaux, Ausonius, 2009, t. III, p. 105 sq. ; René Pillorget, op. cit., p. 822-823. Voir également les plaintes formulées à Amiens en 1616 contre une citadelle vue comme une menace sur la ville (Jean Gallet, « Recherches sur les mouvements populaires à Amiens en 1635-1636 », RHMC, 1967, t. XIV, p. 193-216).
70 Alain Lottin, Chavatte, ouvrier lillois. Un contemporain de Louis XIV, Paris, Flammarion, 1979, p. 167.
71 Pierre Clément, Lettres, mémoires et instructions de Colbert, Paris, Imprimerie impériale, 1868, t. V, p. 246. Ces consignes sont à relier, à peu près au même moment, à la création de l’office de lieutenant général de police.
72 Arch. aff. étr., mémoires et documents, vol. 939, fol. 511.
73 Arch. dép. Ille-et-Vilaine, 1 Bb 575, reg. sec., 12 X 1675
74 Daryl Dee, art. cit.
75 BNF, Clairambault 796, fol. 307, lettre de Lavardin à Colbert, 23 VII 1675.
76 Le contraste avec le sort réservé aux Aixois en 1630 ou aux Dijonnais à la fin des années 1650 est à cet égard saisissant (René Pillorget, op. cit., p. 346-347 ; Élisabeth-François de La Cuisine, op. cit., p. 316).
77 Ce texte, dont il existe un exemplaire dans un fond complémentaire des archives de Rennes et un autre aux archives des affaires étrangères, est longtemps demeuré ignoré des historiens (Arch. mun. Rennes, 1003 et Arch. aff. étr., mémoires et documents, vol. 941, fol. 145).
78 Arch. dép. Ille-et-Vilaine, 1 Bb 575, reg. sec., 14, 15, 16 X 1675.
79 44 présents le 12, 50 le 14, 52 le 15.
80 Lettres, op. cit., p. 877, lettre du 13 X 1675.
81 BNF, Clairambault 796, fol. 307, lettre de Lavardin à Colbert, 23 VII 1675.
82 Encore que le spectacle d’un parlement subissant silencieux la vue de supplices décidés par d’autres que lui et celui de l’érection d’une citadelle pouvait aussi, si ce n’est davantage, être une forme de vengeance.
83 Voir partir le parlement pouvait être vu comme la preuve éclatante de sa culpabilité.
84 BNF, Clairambault 796, fol. 307, lettre de Lavardin à Colbert, 23 VII 1675.
85 Hervé Le Goff, art. cit.
86 Lettres, op. cit., p. 869, lettre du 6 X 1675.
87 Exemplaire raturé : Arch. aff. étr., mémoires et documents, vol. 941, fol. 145.
88 BNF, MC 171 bis, fol. 772, lettre de Chaulnes à Colbert, 30 VI 1675.
89 En 1573, 1634 et 1669 (Armand Rébillon, Les États de Bretagne, 1661-1732, Paris-Rennes, Picard-Plihon, 1932, p. 94-95).
90 Hervé Le Goff, La Ligue en Bretagne. Guerre civile et conflit international, Rennes, PUR, 2010, p. 398 ; voir également sur le sujet un document de 1635 (Arch. mun. Rennes, FF 257).
91 Philippe Hamon, « Quelle(s) capitale(s) pour la Bretagne (XVIe-XVIIe siècle) », dans Jean-Marie Le Gall (dir.), Les capitales de la Renaissance, Rennes, PUR, 2011, p. 71-84.
92 À l’époque, Chaulnes envisage d’établir un bureau du papier timbré dans la citadelle de Port-Louis (BNF, MC 172, fol. 239, lettre de Chaulnes à Colbert, 6 VIII 1675).
93 Dès le 29 novembre, en vertu d’un ordre signé du roi en date du 14 (Arch. dép. Ille-et-Vilaine, 1 Bb 575) ; voir aussi Arch. aff. etr., mémoires et documents, vol. 940, fol. 436.
94 Supra, chapitre III.
95 Par les états dès la session de 1675 (Arch. dép. Ille-et-Vilaine, C 2658, fol. 159), et par le parlement lui-même (Arch. dép. Ille-et-Vilaine, 1 Bc 5, lettre de d’Argouges au parlement 18 I 1676).
96 Lettres, op. cit., p. 910, lettre du 13 XI 1675.
97 Gilles de Languedoc, Recueil historique, ed. dactyl., 1993, p. 243 ; Christophe-Paul de Robien, Description historique, topographique et naturelle de l’ancienne Armorique, Jean-Yves Veillard (éd.), Mayenne, Floch, 1974, p. 74 ; Jean-Baptiste Ogée, Dictionnaire historique et géographique de Bretagne, Rennes, 1855, t. I, p. 224 et t. II, p. 494. Il semble que ce soit à la fin du XIXe siècle, avec La Borderie, que le terme d’exil à commencer à s’imposer (dans Les Bonnets rouges, paris, UGE, 1975, p. 129).
98 Cf. infra, chapitre XIII.
99 Son cousin, le conseiller Charles de Sévigné, comte de Montmoron.
100 Lettres, op. cit., p. 885, lettre du 20 X 1675.
101 Cité par Léon Mahoudeau, Les troubles de Bretagne et l’exil du parlement à Vannes (1675-1690), Rennes, 1897, p. 25.
102 Arch. mun. Rennes, BB 561, reg. délib., 18 X 1675.
103 Lettres, op. cit., p. 892, lettre du 27 X 1675.
104 François Lebrun, « L’évolution de la population de Rennes au XVIIIe siècle », ABPO, 93/3, p. 255 : l’année 1676 ne connaît que 1 450 baptêmes, contre 1 800 l’année précédente. Le départ du parlement est la cause directe de cet effondrement, ce que montre en aval le fait que dès que le parlement revient, on retrouve un niveau de baptêmes comparable à celui d’avant 1675.
105 Arch. mun. Rennes, St-Pierre-en-St-Georges, GG 2.
106 8 cas de 1600 à 1649 ; 4 de 1650 à 1675 ; un seul de 1700 à 1789.
107 Georges Nitsch, Xavier d’Haucourt, Le palais de justice de Rennes. La cour de parlement de Bretagne, Rennes, La Découvrance, 1994, p. 27.
108 Gauthier Aubert, « Les parlementaires à Rennes au XVIIe siècle : la grandeur et l’exil », dans Olivier Chaline, Yves Sassier (dir.), Les parlements et la vie de la cité (XVIe-XVIIIe siècles), Rouen, Publications de l’université de Rouen, 2004, p. 277-300.
109 Arch. dép. Ille-et-Vilaine, 1 Bb 568, reg. sec., 7 IV et 21 VII 1672 ; Arch. mun. Rennes, BB 558, reg. délib., 7 IV 1672.
110 Georges Provost, « Une ville « inondée de couvents » : le pouvoir municipal face aux ordres religieux à Rennes au XVII siècle », dans Philippe Hamon, Catherine Laurent (dir.), Le pouvoir municipal de la fin du Moyen Âge à 1789, Rennes, PUR, 2012, p. 305-347.
111 Arch. mun. Rennes, CC 52.
112 Bruno Isbled, op. cit., p. 57.
113 Françoise Hamon, « Autour du palais : l’hôtel et la château », Arts de l’Ouest, 1980, p. 79-90 ; Noemie Dennebouy, Les hôtels particuliers rennais et leurs habitants au XVIIe siècle, mémoire de master 2, Rennes 2, 2010.
114 La décision d’interdire l’accès de la cour aux gens qui ne sont pas « de condition » date de 1678, mais c’est à l’évidence le résultat d’un processus plus que le début de nouvelles pratiques (Gauthier Aubert, « Une capitale provinciale au miroir de ses riches : Rennes dans les années 1620, ou la naissance d’une ville parlementaire », dans Laurent Bourquin, Philippe Hamon (dir.), Fortunes urbaines : élites et richesse dans les villes de l’ouest à l’époque moderne, Rennes, PUR, 2011, p. 19-42).
115 Par exemple : Arch. mun. Rennes, BB 563, reg. délib., 13 V 1677.
116 Gauthier Aubert, « Rennes : robe seconde et pouvoir municipal à l’ombre du Parlement », dans Guy Saupin (dir.), Histoire sociale du politique. Les villes de l’Ouest atlantique français à l’époque moderne (XVIe-XVIIIe siècles), Rennes, PUR, 2010, p. 115-130.
117 Arch. mun. Rennes, BB 561, reg. délib.
118 Possible allusion au fait que Gentil n’a pas conduit la délégation venue implorer la clémence de Chaulnes le 18 octobre.
119 Arch. mun. Rennes, BB 32, lettre du roi du 6 XI 1675.
120 Arch. mun. Rennes, BB 562, reg. délib.
121 SHD, A 1 430, fol. 408, lettre de Louvois à La Vieuville, 19 XI 1675.
122 De même la famille de Coëtlogon obtient en 1683 d’être maintenue au gouvernement de Rennes.
123 Arch. dép. Ille-et-Vilaine, 1 Bc 5, lettre de d’Argouges au parlement 18 I 1676.
124 Fréderic Saulnier, Le parlement de Bretagne, 1554-1790, Mayenne, Floch, 1991, t. I, p. 39-41. De nos jours encore, dans le palais du plus grand roi de l’univers, on peut voir son portrait par Coysevox, comme un symbole de ses services rendus à la monarchie.
125 Notons que ce prélat fut à son tour l’objet d’une sédition populaire en 1689, pour avoir voulu interdire l’inhumation dans les églises (Hervé Tigier, La Bretagne de bon aloi, Rennes, Association Parchemin, 1987, p. 277).
126 Ce qui a conduit à établir une filiation entre la répression bretonne de 1675 et le sort infligé peu après aux huguenots, idée sans doute stimulée par la présence de Marillac dans les deux affaires. En fait, il est sans doute plus juste de rapprocher cette méthode de conversion de celle consistant, depuis 1638, à faire opérer le recouvrement des impôts en employant les troupes logées dans les communautés récalcitrantes (Yves-Marie Bercé, op. cit., p. 105-108).
127 Daniel Borzeix, René Pautal, Jacques Serbat, Révoltes populaires en Occitanie, Treignac, Éditions les Monédières, 1982, p. 91-92.
128 René Pillorget, op. cit., p. 349 ; Jean Martin de La Colonie, Histoire très curieuse et remarquable de la ville et province de Bordeaux, Bruxelles, 1760, t. I, p. 463-507 ; Madeleine Foisil, op. cit., p. 293 ; Boris Porchnev, Les soulèvements… au XVIIe siècle, op. cit., 232 ; François Lebrun, « Les soulèvements populaires à Angers aux XVIIe et XVIIIe siècles », 90e congrès national des sociétés savantes, 1966, p. 133 ; Pierre Héliot, « La guerre dite des Lustucrus », Revue du Nord, 1935, p. 216.
129 Pierre Clément, Lettres, op. cit., t. II ; p. 361.
130 Arch. mun. Rennes, CC 460.
131 Arch. mun. Rennes, BB 561, reg. délib., 20 X 1675.
132 SHD, A 1 429, fol. 541, lettre de Louvois à Chaulnes, 30 X 1675.
133 Arch. mun. Rennes, FF 440.
134 Arch. mun. Rennes, EE 166.
135 Arch. dép. Ille-et-Vilaine, 4 E 388, 6, 9 & 12 X 1675.
136 Arch. mun. Rennes, BB 568, reg. délib., 10 XII 1682.
137 Infra.
138 Supra, chapitre VII.
139 Le caractère inédit de ce type d’imposition est relevé par le greffier-archiviste du début du XVIIIe siècle Gilles de Languedoc, contemporain des faits (op. cit., p. 287).
140 Arch. mun. Rennes, BB 561, reg. délib., 20 X 1675 et suivantes.
141 Lettres, op. cit., p. 895, lettre du 30 X 1675.
142 Arch. mun. Rennes, FF 440.
143 Arch. mun. Rennes, BB 561, reg. délib., 28 X 1675.
144 Le parlement de Rennes est semestre.
145 Deux rues manquent : la rue Hux et la rue Haute (cette dernière non sans lien sans doute avec le traitement spécial qui lui est accordé : infra) ; toutefois, cela n’aurait conduit au maximum qu’à 200 contribuables de plus, si on en juge par le nombre de personnes taxées dans les deux taxes précédentes.
146 Arch. mun. Rennes, BB 561, reg. délib., 27 X 1675 et suivantes.
147 D’après sa requête : Arch. mun. Rennes, EE 166.
148 Arch. mun. Rennes, EE 166.
149 Arch. mun. Rennes, BB 561, reg. délib., 22 XII 1675.
150 Arch. mun. Rennes, EE 166.
151 Voir par exemple SHD, A 1 430, fol. 296, lettre de Louvois à Chaulnes, 14 XI 1675.
152 Lettres, op. cit., p. 891, lettre du 27 X 1675.
153 Infra, chapitre XI.
154 SHD, A 1 470, fol. 30, lettre de Louvois à Pomereu, 2 I 1676.
155 Ces opérations consistent apparamment à faire tourner les soldats d’hôtes en hôtes, peut-être à la demande des premiers, qui ne semblent pas avoir tous eu les mêmes conditions de logement, mais aussi sans doute pour que tous les Rennais soient concernés.
156 SHD, A 1 470, fol. 515, lettre de Louvois à Pomereu, 30 I 1676.
157 Catherine Denys, op. cit., p. 141 sq.
158 Arch. mun. Rennes, EE 166.
159 Arch. mun. Rennes, GG 18 St-Germain, 14 I 1676.
160 A. Navereau, Le logement et les ustensiles des gens de guerre de 1439 à 1789, Poitiers, 1924, p. 82.
161 Ibid., p. 91.
162 Soit, détaille-t-il « le pot et le plat, feu pour cuire et manger leur viande, sel et vinaigre pour les assaisonner, et place à la chandelle ».
163 Infra, chapitre XI.
164 Lettres, op. cit., p. 944, lettre du 20 XII 1675.
165 Ibid., t. II, p. 13, lettre du 5 I 1676.
166 Arch. dép. 4 E 696, 28 III 1676. Celui que La Monneraye prétend avoir fait dresser suite aux dégâts évoqués ci-dessus n’a cependant pas été retrouvé.
167 On sait aussi qu’un autre est mort en prison en janvier (Arch. mun. Rennes, GG 11, St-Aubin, 22 I 1676).
168 SHD, A 1 470, fol. 220, lettre de Louvois à Pomereu, 14 I 1676.
169 SHD, A 1 471, fol. 278, lettre de Louvois à Pomereu, 16 II 1676.
170 On songe en particulier à celles qu’ont pu commettre les soldats du régiment maltraité en juin.
171 Arch. mun. Rennes, GG 31, Toussaints, 28 XII 1675, 19 II 1676.
172 Séverin Canal, « Essai sur Auguste-Robert de Pomereu, intendant d’armée en Bretagne (1675-1676) », AB, 1909, p. 497-527.
173 Lettres, op. cit., t. I, p. 942, lettre du 18 XII 1675.
174 Ibid., p. 933, lettre du 11 XII 1675.
175 Jean Nicolas, La rébellion française. Mouvements populaires et conscience sociale, Paris, Seuil, 2002, p. 70.
176 Lettres, op. cit., p. 942 et 948, lettres du 18 et 22 XII 1675.
177 Ibid., p. 942, lettre du 18 XII 1675 ; SHD, A 1 486, fol. 527, lettre de Pomereu à Louvois, 9 II 1676.
178 SHD, A 1 430, fol. 296, lettre de Louvois à Chaulnes, 14 XI 1675.
179 Arch. dép. Loire-Atlantique, B 2620 et 2622.
180 Dans 26 cas, il sont indiqués comme soldats, mais il faut sans doute ajouter à la liste 20 individus portant des (sur) noms caractéristiques des gens de guerre (André Corvisier, L’Armée française de la fin du XVIIe siècle au ministère de Choiseul, Paris, 1964, t. II, p. 850 sq. et 1049 sq.).
181 Présentée par un historien aussi avisé qu’André Corvisier comme un fait susceptible d’illustrer la violence armée, à mi-chemin entre la Saint-Barthémy et la Terreur (Armée et société en Europe, 1494-1789, Paris, PUF, 1976, p. 15).
182 Ajoutons que dans une lettre envoyée avec celle de sa mère à sa sœur, Charles de Sévigné évoque simplement les exactions militaires en des termes vagues : « elles ne font que tuer et voler », mais d’enfants, il n’est pas spécialement question (Correspondance, ed. Roger Duchêne, Paris, Gallimard, 1974, t. II, p. 215).
183 On songe à la figure de l’ogre ; voir également quelques mentions à ce thème signalé dans Conrad Laforte, Le catalogue de la chanson folklorique français, Laval, PU Laval, 1981, t. II, p. 73.
184 Voltaire, Œuvres complètes, Paris, 1785, t. XXXII, p. 60.
185 Yves-Marie Bercé, Histoire, op. cit., p. 63.
186 Alain Corbin, Le village des « cannibales », Paris, Aubier, 1990 ; Stéphanie Gimbert, « Le cannibalisme lorrain au XVIIe siècle », Annales de l’Est, 2004, 1, p. 171-188.
187 Une des gravures des Misères de la guerre montre aussi un homme en train de rôtir dans la cheminée de la ferme saccagée par les gens de guerre. En amont, les Mémoires d’un calviniste de Millau évoque le cas de paysans grillés en 1573 par des soldats ; à la même époque, Jean de Léry signale un cas d’enfant cuisiné par ses parents lors du siège de Sancerre ; deux siècles avant, Jean Le Bel parle lui aussi d’un chevalier rôti lors de la Grande Jacquerie (Sylvie Desachy, « Du capitaine au soldat : comportements guerriers en Rouergue pendant les guerres de religion », dans André Corvisier, Jean Jacquart (dir.), Les malheurs de la guerre, Paris, CTHS, 1996, t. I, p. 32 ; Denis Crouzet, Les Guerriers de Dieu. La violence au temps des guerres de religion, vers 1525-vers 1610, Seyssel, Champ Vallon, 1990, t. II, p. 164 sq. ; Jean Favier, La guerre de Cent ans, Paris, Fayard, 1980, p. 252). Le thème ressurgit ensuite de manière atténuée (« liés au près du feu et… demi brulez ») lors des dragonnades du Poitou (Marillac, encore lui) dans la littérature du Refuge (Jurieu, Réflexions sur la cruelle persécution…, p. 39-40, cité par Yves Krumenacker, « Les dragonnades du Poitou : leur écho dans les mémoires », BSHPF, 1985, p. 411). On retrouve le thème des enfants embrochés dans les guerres russo-turques du XVIIIe siècle avec le récit de soldats russes lançant les petits enfants du haut des remparts d’Ortchakof sur des baïonnettes (André Corvisier, op. cit., p. 16).
188 Thomas Bourges, Les villes du centre Bretagne pendant les guerres de la Ligue (1589-1598), master, Rennes 2, 2013.
189 Wallons embrochant des nourrissons, Croates jetant des enfants au feu rapportera plus tard Schiller dans un texte célèbre (Histoire de la guerre de Trente ans, Berne, 1794, t. I, p. 232) ; sur l’impact dans les mémoires de cet événement traumatique : Claire Gantet, La paix de Wesphalie (1648). Une histoire sociale, XVIIe-XVIIIe siècles, Paris, Belin, 2001, p. 76 sq.
190 Je remercie Yann Lagadec de m’avoir signalé et communiqué le « beau » document reproduit ici, ainsi que pour ses conseils en la matière, de même que Peter Wilson (Hull) qu’il a bien voulu interroger pour moi à ce sujet.
191 Lettres, op. cit., t. II, p. 13, lettre du 5 I 1676.
192 Ibid., t. I, p. 891, lettre du 27 X 1675.
193 La traditionnelle sous représentation des viols dans les affaires judiciaires peut laisser penser que ces crimes restent impunis, mais à Rouen en 1640, deux militaires sont condamnés, l’un aux galères, l’autre à mort, pour une tentative avortée de justesse ; c’est d’ailleurs peut-être parce que l’opération échoue suite à l’intervention de nombreux voisins donnant à l’affaire une publicité, qu’il y eut des suites judiciaires (Diaire ou journal du voyage du chancelier Séguier en Normandie, Rouen, 1842, p. 166).
194 François Lebrun, « L’évolution », art. cit.
195 Arch. mun. Rennes, GG 31-32 Toussaints, St-Germain.
196 Chiffre peut-être un peu plus élevé : on a en effet retrouvé un contrat de mariage sans parvenir à le faire correspondre à un acte paroissial (Arch. dép. Ille-et-Vilaine, 4 E 698, 7 II 1676).
197 Six cas relevés entre décembre et janvier.
198 Seize cas, non comptés les deux assassinés mentionnés plus haut.
199 Yann Lagadec, dans Annie Antoine, Cédric Michon (dir.), Les sociétés au XVIIe siècle, Rennes, PUR, 2006, p. 485.
200 Arch. dép. Ille-et-Vilaine, 4 E 695, 4 II 1675.
201 Arch. dép. Ille-et-Vilaine, 4 E 389, 24 I 1676.
202 Arch. dép. Ille-et-Vilaine, 4 E 696, 24 II 1676.
203 Arch. dép. Ille-et-Vilaine, 4 E 389, 26 II 1676.
204 André Corvisier (dir.), Histoire militaire de la France, Paris, PUF, 1997, t. I, p. 448.
205 Arch. dép. Ille-et-Vilaine, 4 E 392, 20 X 1676 (et procuration du 5 III 1676).
206 Arch. dép. Ille-et-Vilaine, 4 E 696, 21 III 1676.
207 Madeleine Foisil, op. cit., p. 293-294.
208 Sur ce point précis : Hervé Drevillon, Les rois absolus, 1629-1715, Paris, Belin, 2011, p. 260.
209 Lettres, op. cit., p. 882, lettre du 27 X 1675.
210 Arch. dép. Loire-Atlantique, B 2620.
211 Ibid., B 2622.
212 Madeleine Foisil, op. cit., p. 300.
213 Sur 88 personnes entrées à la conciergerie entre le 15 octobre et le 31 décembre, 80 sont relachées avant cette date.
214 Lettres, op. cit., t. I, p. 892, lettre du 27 X 1675.
215 Ibid., p. 888, lettre du 20 X 1675.
216 Ont été exclus les révoltes de nature frumentaire, pour se polariser sur celles qui mettent en cause de manière plus nette l’autorité royale.
217 René Pillorget, op. cit., p. 822.
218 Arch. dép. Ille-et-Vilaine, 1 Bh 14.
219 Soit Eustache de Villemers, des Longrais Chottard et Martinet de Bablouze, fils de Martinet de Sainte-Catherine. Cependant, ce dernier, qui a fini par arriver dans les geôles du palais, y est nommé de manière bien peu aristocratique « Martinet dict Bablouze ».
220 A été exclue de la liste des condamnés Perrine Dubois, épouse d’un orfèvre et impliquée avec lui dans un vol de vœux d’argent à la Pentecôte dans l’église du couvent de Bonne-Nouvelle. Morel intègre son exécution à la liste des punis pour fait de révolte, et nombre d’historiens après lui, ce qui ne semble pas évident, même si on peut supposer que ces voleurs ont pu profiter du climat trouble du printemps pour agir.
221 Sur ce personnage : Arch. mun. Rennes, BB 558, reg. délib., 4 V 1672 ; St-Germain, GG 18, 25 XII 1675 ; FF 440 (où il est dit « contrôleur des décimes ») ; Arch. dép. Ille-et-Vilaine, 4 E 989, 29 I 1674 et 4 E 990, 10 IV 1676).
222 Arch. mun. Rennes, BB 555, reg. délib., 7 & 21 XI 1669 ; voir aussi sur cette affaire le court récit de Toudoux.
223 Tout porte à croire qu’un copiste de la Relation de Morel a inversé les deux listes ; en tout cas, c’est ce qui se dégage de la confrontation avec la liste des personnes incarcérées et le fichier prosopographique réalisé à partir des registres paroissiaux, des papiers de la municipalité et des minutes des notaires.
224 Supra, chapitre III.
225 Soit Michel Odye, qui a été miseur en 1669 (Arch. mun. Rennes, 1014).
226 Bourgeois, Couvrand, Fouquet, Fret (Arch. mun. Rennes, reg. délib. : BB555, 3 X 1669, BB 556, 2 X 1670, BB 559, 5 X 1673, BB 560, fol. 63.
227 BNF, Clairambault, 759, fol. 709.
228 Gauthier Aubert, « Les avocats sont-ils des notables ? L’exemple de Rennes sous l’Ancien Régime », dans Laurence Jean-Marie, Christophe Maneuvrier (dir.), Distinction et supériorité sociale, Centre international de Cerisy-la-Salle-Presses universitaires de Caen, 2010, p. 123-146.
229 Aubrée (Arch. mun. Rennes, BB 552, reg. délib., 30 XII 1666).
230 Arch. dép. Ille-et-Vilaine, 4 E 388.
231 Quatre des clercs réservés de l’amnistie sont dit être employés par des procureurs.
232 Arch. dép. Ille-et-Vilaine, 4 E 694, 17 VI 1675.
233 Faut-il opposer les évenements d’avril et ceux de juin-juillet, ces derniers apparaissant davantage que les premiers une affaire d’hommes installés ?
234 Arch. dép. Ille-et-Vilaine, 2 A 78.
235 Sur ce personnage : supra, chapitre VI et infra.
236 Yves-Marie Bercé, Histoire, op. cit., p. 513 ; Jean Nicolas, op. cit., p. 78 sq.
237 James B. Collins, La Bretagne dans l’État royal, Rennes, PUR, 2006, p. 121, 279-281 ; Yves-Marie Bercé, op. cit., p. 221-223 ; Jean Nicolas, op. cit., p. 86-88.
238 Arch. dép. Ille-et-Vilaine, 1 Bf 801 et 1 Bf 1725.
239 Aurélien Gay, La rue de Saint-Malo à Rennes au XVIIIe siècle, maîtrise, Rennes 2, 2003 et Hélène Guillemot, La rue d’Antrain à Rennes au XVIIIe siècle, maîtrise, Rennes 2, 2004.
240 Le caractère singulier de ce patronyme peut amener à penser que ce Balthazard serait le même qu’un ancien brasseur du même nom, ce qui nous rapprocherait à nouveau des impôts sur les boissons (Arch. dép. Ille-et-Vilaine, 4 E 855, 6 IV et 1 VI 1675).
241 Jacques Gauthier, Julien Allain, Yves Joubier (hôte ; a-t-il un lien avec le Joubier de St-Gilles ?), Louis Biart, Mathurin Louvel et François des Brosses sont des noms que l’on retrouve tant dans l’état des prisonniers établi en 1675 que dans une liste de propriétaires établie en 1676 (Arch. dép. Ille-et-Vilaine, 4 E 392, 5 X 1676).
242 Jean Nicolas, op. cit., p. 270-271.
243 Supra, chapitre VI.
244 On ne repère pas non plus dans la liste des détenus en 1675 Perrine Dubois, exécutée en octobre pour vol d’argenterie et dont la triste fin est rapportée par Morel, Duchemin et Cormier.
245 Lettres, op. cit., p. 898, lettre du 3 XI 1675.
246 Supra, chapitre VI.
247 « Gassion » est un nom de guerre que l’on trouve chez quelques soldats, ce qui permet de penser qu’il avait été dans l’armée (André Corvisier, L’Armée française, op. cit., p. 1051).
248 Arch. mun. Rennes, BB 553, reg. délib. 17 XI 1667 : nomination de Guénéron après le décès du capitaine Rivé.
249 Curieusement, et sous bénéfice d’inventaire, l’érudition régionaliste si sensible aux lieux de mémoire n’a pas fait le lien entre le fait que ce couvent a accueilli les fiançailles d’Anne de Bretagne et de Charles VIII, et deux siècles plus tard la dépouille de Rivé, chemin de mémoire potentiel depuis les promesses privilégiaires jusqu’à la sépulture d’un rebelle à l’ordre absolutiste.
250 Supra, chapitre III.
251 Supra, chapitre VII.
252 D’après le registre des galériens SHD Toulon, 1 O 97, no 2681 (document aimablement fourni par J. Le Nigen). Il meurt à l’hôpital de Marseille en 1705.
253 Il est en effet noté comme étant de Saint-Martin, paroisse qui jouxte la rue en question (registre des galériens SHD Toulon, no 2795, d’après document communiqué par J. Le Nigen). Il meurt à l’hôpital de Marseille en 1696. Un Jean Verdier est signalé auparavant à Rennes comme ayant épousé une Jeanne Boisart : on n’en sait pas plus, mais il ne serait pas étonnant qu’on se soit révolté en famille (Arch. mun. Rennes, St-Étienne GG 5, 9 X 1664).
254 Le « Jean Toulmain dit Lesmond » incarcéré dans la conciergerie de Rennes et parti aux galères le 31 juillet est sans doute le même que le « Jean Voulluain », 51 ans, originaire de Rennes, condamné par le présidial le 10 juillet « pour revolte » et arrivé à Marseille le 8 septembre 1676 ; condamné aux galères à vie – indice de la gravité des faits reprochés –, il est envoyé aux Amériques en 1687 (SHD Toulon, 1 O 97, no 2800).
255 SHD Toulon, 1 O 98, no 3178.
256 René Pillorget, op. cit., p. 822.
257 Amable Floquet, Histoire du parlement de Normandie, Editions Frère, Rouen, 1842, t. V, p. 15.
258 Hélène Sarrazin, La Fronde en Gironde : l’Ormée, un mouvement révolutionnaire, Bordeaux, Les Dossiers d’Aquitaine, 1996, p. 145.
259 Ernest Lavissse, Louis XIV, Paris, Tallandier, 1978, t. I, p. 353-354.
260 Supra, chapitre VII.
261 La révolte bordelaise de 1548 s’est soldée par 120 à 140 condamnations, chiffre extraordinaire s’il en est, mais il est bien difficile de savoir le nombre d’exécutions qui eurent lieu (Stéphane-Claude Gigon, op. cit., p. 163).
262 Parmi celles-ci, il ne semble pas que les corps aient été démembrés ou décapités (Pierre Héliot, art. cit., p. 308-311).
263 Guénéron, parrain en 1668, est bien dit « honorable homme, capitaine » (Arch. mun. Rennes, St-Germain, GG15, 2 IX 1668).
264 En 1638 encore, lors d’une assemblée municipale « s’estans trouvé grand nombre d’habitans desd. rues St Michel, la Reverdiais et St Melaine avecq honorable homme Raoul du Bois Hamon sr du Chesne qui ont avecq applaudissemens requis messieurs de la communauté de bien vouloir bailler pour capitaine led. du Bois Hamon », ce qui fut fait (Arch. mun. Rennes, EE 152).
265 Il le faisait peut-être avec d’autant plus de cœur qu’il lui fallait s’affirmer face à Forbin.
266 Lettres, op. cit., p. 920, lettre du 24 XI 1675.
267 Ibid., p. 898, lettre du 3 XI 1675.
268 Arthur de La Borderie, dans Les Bonnets, op. cit., p. 142-143.
269 D’où le fameux « me voilà bien bretonne » du 20 octobre.
270 Lettres, op. cit., p. 888, lettre du 20 X 1675.
271 Précisons ici que nombre d’entre eux n’étaient pas encore à Vannes, le parlement étant semestre. Le 3 février, beaucoup de magistrats sont ainsi présents au service fait à l’occasion du décès de l’évêque de Rennes (Arch. mun. Rennes, BB 562, reg. délib.).
272 À Nantes entre 1679 et 1722, le nombre de condamnations à la pendaison, la décapitation et la roue est en moyenne de 3,8 par an (Joël Hautebert, La jurisprudence criminelle de la sénéchaussée présidiale de Nantes, 1551-1750, thèse, Rennes 1, 1996, p. 285).
273 Lettres, op. cit., p. 895, lettre du 30 X 1675.
274 Arch. aff. étr., mémoires et documents, vol. 943, fol. 9.
275 Arch. nat., E*1773, fol. 379 et copie par Morel.
276 Arch. mun. Rennes, GG St-Germain. De mai à septembre 1675, on y baptise en moyenne 7 enfants par mois, chiffre qui tombe à 1,2 d’octobre 1675 à décembre 1676. L’ensemble de la paroisse connaît il est vrai une baisse (conséquence du départ du parlement), mais qui est moins accusée : 36,6 baptêmes de mai à septembre 1675, 22,7 d’octobre 1675 à décembre 1676. La chute de population que traduit l’enregistrement des baptêmes est d’autant plus remarquable que cette rue est assez peu robine, à la différence du cœur de la paroisse. À noter que le mois d’octobre 1675 est bien identifiable comme celui de la rupture. Le mouvement des sépultures dans la rue Haute suit un mouvement comparable : 3,4 en moyenne par mois de mai à octobre 1675, puis une moyenne de 0,9 de novembre 1675 à août 1676, avec une augmentation ensuite, qui retombe peu après, avant que la source perde en fiabilité. À noter que le mois d’octobre 1675 est bien identifiable comme celui de la rupture.
277 Arch. mun. Rennes, FF 440.
278 Arch. dép. Ille-et-Vilaine, 4 E 392, 5 X 1675.
279 Arch. dép. Ille-et-Vilaine, 2 A 83.
280 Arch. mun. Rennes, EE 166.
281 Arch. dép. Ille-et-Vilaine, 2 A 78.
282 La géographie dessinée présente une certaine cohérence : ces maisons qui auraient été détruites sont situées au milieu de la rue, dans l’espace que l’on devine le plus tardivement urbanisé (l’extrémité sud étant la ville, et l ‘ autre bout étant un important carrefour, propice à l’urbanisation, avec chapelle et four banal). Dans la partie de la rue la plus proche de l’intra muros subsistent d’ailleurs toujours plusieurs maisons du XVIIe siècle, et même une du XVe siècle.
283 Outre la possibilité de reconstructions, on note des incohérences, soit quatre cas.
284 Niozelles à Marseille, du Clivet dans le Boulonnais, Roure en Vivarais ont ainsi vu leur maison détruite.
285 Boris Porchnev, Les soulèvements… au XVIIe siècle, op. cit., p. 244.
286 Une partie des dragons logent dans la rue Haute d’après Morel.
287 BNF, MC 171 bis, fol. 458, lettre de Chaulnes à Colbert, 12 VI 1675.
288 Ainsi il ne semble pas que le duc ait cherché à punir le faubourg de la Madeleine, impliqué dans l’incendie du temple.
289 Supra, chapitre III.
290 Alain Croix, La Bretagne auxXVIe etXVIIe siècles. La vie, la mort, la foi, Paris, Maloine, 1980, t. I, p. 433-443 et 484-486.
291 Arch. dép. Ille-et-Vilaine, 1 Bf 849.
292 Illustration 10.
293 Arch. dép. Ille-et-Vilaine, 2 El 23. En l’état actuel de la connaissance du dossier, le tableau réapparaît au XIXe siècle dans la collection du docteur Aussant, qui le donne au musée de Rennes en 1860 (François Bergot, « Jean-Bernard Chalette, maître-peintre à Rennes », Bulletin des amis du musée des Beaux Arts de Rennes, no 3, 1979, p. 73-74). Voir également Philippe Hamon, L’Or des peintres. L’image de l’argent dans la peinture du XVe au XVIIe siècle, Rennes, PUR, 2010, p. 209.
294 Arch. dép. Ille-et-Vilaine, 4 E 857, 17 X 1676.
295 Encore que les œuvres religieuses connues sont plutôt postérieures à 1675, comme un écho à de possibles difficultés financières liées au départ du parlement et l’arrêt des travaux de décoration intérieure du palais. On note aussi une commande en 1676 pour le conseiller Denyau de Chantelou (Arch. dép. Ille-et-Vilaine, 4 E 697, 8 VI 1676).
296 Illustration 11. Elle-même reprise par Antoine Caron pour un Triomphe de la mort conservé au Musée d’histoire de la médecine (renseignement communiqué par Georges Provost, que je remercie à nouveau).
297 « Seigneur, démolis les crocs de ces lions » (Ps. 58 (57), v. 7). Par ailleurs, il est possible que l’image renvoie aussi, sur le mode inversé, à Proverbes 20, v. 26 : « Un roi sage disperse les méchants et fait passer sur eux la roue. »
298 D’autres feuilles apparaissent également par terre, à côté de la femme tenant un enfant dans les bras.
299 Chaulnes… ou Louis XIV ? À la loupe, le profil de l’homme en question fait en effet penser au monarque dans la force de l’âge ; à noter aussi (pour aller dans ce sens) la présence d’un trône et d’une curieuse statue qui pourrait être une reprise sur le mode grotesque du type de celles entourant le trône telles qu’on peut les voir en 1686 (Gérard Sabatier, Versailles ou la figure du roi, Paris, Albin Michel, 1999, p. 206). Il est possible que l’artiste ait cherché à laisser une ambiguïté sur ce point, la dénonciation frontale du monarque étant peu concevable. Car à part éventuellement le trône, aucun signe de majesté ne vient au secours de cette interprétation certainement un peu audacieuse. À noter que ce personnage foule au pied des objets en métal bien difficiles à identifier, mais dont l’un semble être une balance, ceci pouvant s’accorder avec d’autres éléments de la composition. En outre, et ceci plaiderait en faveur de l’interprétation selon laquelle l’homme est Chaulnes, on croit distinguer une hermine sur le trône (et non un lys).
300 Gérard Sabatier, Versailles, op. cit., p. 171.
301 Philippe Bonnet et alii, Rennes. Palais du parlement de Bretagne, Paris, Inventaire général, 1998, p. 22.
302 Notons que le pendant peut-être aussi fait avec le (futur) médaillon de la galerie des glaces consacré au rétablissement des finances.
303 Psaume 58 (57), v. 2.
304 Le cartouche est encadré par deux petits personnages : l’un, jovial, a à côté de lui des bourses pleines et se met un laurier sur la tête ; l’autre, tout triste, semble n’être riche que de papier (timbré ?).
305 Lettres, op. cit., p. 888, lettre, 20 X 1675.
306 Gilles de Languedoc, op. cit., p. 287-288.
307 Arch. dép. Ille-et-Vilaine, 1 Ba 22, fol. 235.
308 Arch. dép. Ille-et-Vilaine, 2 El 25.
309 Et faire valoir en cette occasion son dynamisme en matière d’approvisionnement.
310 Arch. dép. Ille-et-Vilaine, 2 El 25.
311 Arch. dép. Ille-et-Vilaine, 1 Bb 574, reg. sec., 25 II 1670.
312 Supra, chapitre III.
313 Arch. mun. Rennes, reg. BMS, Saint-Martin GG 4, 13 VIII 1676.
Table des illustrations
Titre | Tableau 20. – Le poids financier de la présence des troupes133. |
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URL | http://books.openedition.org/pur/docannexe/image/50822/img-1.jpg |
Fichier | image/jpeg, 68k |
Titre | Figure 8. – The lamentations of Germany (détail), 1638. |
URL | http://books.openedition.org/pur/docannexe/image/50822/img-2.jpg |
Fichier | image/jpeg, 232k |
Titre | Tableau 22. – États et professions des Rennais (et habitants des environs) poursuivis220. |
URL | http://books.openedition.org/pur/docannexe/image/50822/img-3.jpg |
Fichier | image/jpeg, 231k |
Titre | Tableau 23. – Les condamnés rennais dans les sources judiciaire et narratives. |
Légende | a. D’après le registre des galères (SHD Toulon, 1 0 97, no 2681). |
URL | http://books.openedition.org/pur/docannexe/image/50822/img-4.jpg |
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