L’Union démocratique bretonne
| ,Quatrième partie. Témoignages d’acteurs
L’essor d’un parti. L’UDB dans les années 1960 et 1970
Texte intégral
1On m’a demandé de traiter l’essor de l’UDB de sa création en 1964 à la fin des années 1970, limite à laquelle mon camarade Herri Gourmelen prendra le relais. Cette partie de l’histoire du parti autonomiste de gauche qu’est l’Union démocratique bretonne – objet du présent colloque –, est de plus en plus connue et acceptée, notamment grâce aux travaux d’historiens comme Michel Nicolas, Christian Bougeard, Jean-Jacques Monnier et quelques autres. Leurs publications sont de plus en plus diffusées et leurs conclusions passent dans l’opinion.
2Aussi le séquençage que je vais faire rapidement, n’a rien d’extrêmement original actuellement. Il y a quelques années seulement, c’eût été différent, mais aujourd’hui on est entré dans une histoire admise et partagée par tous ceux qu’intéresse le cours des événements bretons dans la deuxième moitié du XXe siècle. Pour développer l’histoire de ces premières années de l’UDB, je vais prendre un fil conducteur sans doute assez inattendu : celui des effectifs du parti. Cette question des effectifs est très importante : ceux qui l’ont vécue ne se rendaient sans doute pas compte qu’ils écrivaient un moment important de l’histoire de leur pays. Ainsi, si l’on m’avait dit en 1964, lorsque avec quelques camarades je créais l’UDB, qu’aujourd’hui, notre formation ferait l’objet d’un colloque international du niveau du vôtre, je n’y aurais pas cru : c’eût été pour moi un rêve…
3D’ailleurs, ce n’est pas en 1964 qu’il faut strictement faire commencer cette aventure, le président Bougeard l’a rappelé opportunément ; il faut remonter quelques années auparavant, à la charnière des années 1950 et 1960. À cette époque où la seule formation politique bretonne était le MOB (Mouvement pour l’organisation de la Bretagne), créé en novembre 1957 à Lorient, la jeunesse un peu politisée était essentiellement étudiante : ces étudiants bretons étaient concentrés à Rennes. Il y en avait quelques-uns à Nantes, quelques-uns à Paris, mais le gros des troupes était rennais, car ni Brest, ni Lorient, ni Quimper, qui sont aujourd’hui des villes universitaires, n’abritaient alors de facultés. Parmi ces étudiants, ceux du MOB étaient de loin les plus engagés, certains se regroupant autour d’une publication interne Kaieroù an emsaver yaouank (Les Cahiers du jeune militant), animée par Robert Debroise, Yann-Ber Duval, Ronan Leprohon, Yann-Cheun Veillard, que l’on retrouvera à la naissance de l’UDB.
4Or ces étudiants du MOB (ils étaient pour bon nombre membres de ce mouvement) se trouvaient déjà en conflit ouvert avec leurs aînés, qui étaient les tenants de la tradition du mouvement breton. En conflit, parce que plusieurs de ces jeunes n’acceptaient pas facilement la vie sans rigueur programmatique et sans discipline démocratique du mouvement un peu attrape-tout qu’était le MOB. Mais aussi en conflit sur des points plus graves. Ainsi, parce que l’on sortait de la guerre d’Algérie (les accords d’Évian qui y mirent fin sont de mars 1962), ceux qu’un récent numéro du magazine Le Peuple breton appelait la « génération algérienne », voulurent exprimer leur condamnation de l’OAS (Organisation armée secrète) et de ses crimes en Algérie et en France. Ils votèrent pour cela en mars 1962 une motion résolument hostile à l’OAS, mais leurs aînés, c’est-à-dire en fait le groupe dirigeant du MOB, refusèrent cette condamnation au nom d’arguments bien connus, comme « on n’a pas à prendre position dans des querelles de droite ou de gauche, qui sont des divisions françaises », discours habituel du mouvement breton traditionnel… de droite ! L’Avenir de la Bretagne, le mensuel du MOB allait d’ailleurs parfois plus loin : ainsi il avait publié en mai 1958 un article de Yann Poupinot – un des dirigeants du MOB – où celui-ci, sous le pseudonyme de G. Cosquer, écrivait à propos de la guerre d’Algérie : « Nous ne pouvons pas renier notre solidarité raciale, morale et culturelle, avec les hommes blancs et d’hérédité chrétienne qui sont menacés de tout perdre si triomphe le fanatisme musulman. » On est à l’opposé du point de vue des étudiants du MOB qui considèrent, eux, que « la guerre d’Algérie est une guerre coloniale contre un peuple luttant pour la conquête de sa liberté nationale et de sa libération économique » !
5La rupture inévitable se produisit en décembre 1963, avec la démission d’un groupe d’étudiants du MOB et le départ du comité directeur du mouvement des deux jeunes Ronan Leprohon et Yann-Cheun Veillard, mais le 4 janvier 1964, quand démarre l’UDB, ses effectifs créateurs ne sont que de 16 à 17 membres, presque tous étudiants, puisqu’on ne compte dans leurs rangs que trois salariés. Au bout d’une année, ils sont 35, au bout de deux ans, ils sont 58, puis 85 à la fin de la troisième année. Époques extrêmement difficiles pour ceux qui construisent dans la patience, et souvent avec beaucoup de sacrifices, un parti militant très exigeant et fortement discipliné. Peu à peu, par la publication et la diffusion de leur mensuel, Le Peuple breton, ils se forgent une doctrine (le rôle de leur journal est, à cet égard, essentiel) : c’est dans cet organe que, souvent avec beaucoup d’années d’avance sur l’opinion, ont été lancés les premiers combats écologiques de Bretagne, par exemple contre le remembrement sauvage, l’arasement incontrôlé du bocage, pour la qualité de l’eau, contre le tourisme de masse, pour une ouverture touristique culturelle de la Bretagne à ses visiteurs, pour une agriculture familiale et contre la désertification démographique des campagnes.
6En même temps, le journal s’engageait résolument dans les luttes sociales, en présentant et soutenant bon nombre de manifestations ouvrières ou paysannes. C’est l’autre aspect des débuts de l’UDB, car s’il a fallu rompre résolument avec le mouvement breton traditionnel – et on peut considérer que cette rupture est réalisée dès le début 1964, quand on voit l’hostilité manifeste du mouvement breton à l’égard de la jeune formation – il faut aussi être reconnu. Et reconnu et accepté par qui ? D’abord par la gauche, ce qui est loin d’être évident, car la gauche française, en Bretagne comme ailleurs, est fortement sous influence jacobine. Il y eut des étapes dans cette reconnaissance, certaines inespérées, comme l’interview au Peuple breton de Gaston Defferre (candidat socialiste envisagé pour l’élection du président de la République au suffrage universel) dès le numéro 6 du journal (juin 1965). La jeune UDB sut valoriser ce fait, face une opinion de gauche encore largement dominée par un Parti communiste français très opposé à tout ce qui pouvait ressembler à une revendication régionale quelconque.
7Mais la pratique militante du jeune parti UDB sur le terrain était constante, faite notamment de soutien à bien des conflits sociaux, à la lutte contre les « usines pirates » (l’appellation est une création du Peuple breton), usines aux mains d’entrepreneurs uniquement à la recherche de primes et d’une main-d’œuvre bon marché, à la lutte pour « vivre et travailler au pays », un mot d’ordre qui va peu à peu fédérer syndicats et partis de gauche, dont de plus en plus souvent les sections locales de l’UDB, qui trouvaient là l’occasion d’appliquer leur analyse « Bretagne = colonie ». Cette dénonciation du colonialisme intérieur allait d’ailleurs à l’occasion être reprise par des formations comme le PSU (Parti socialiste unifié) ou le parti socialiste de Mitterrand, ce qui contribua à un rapprochement de fait avec l’UDB et donc, à l’acceptation de celle-ci comme membre de fait de la gauche en Bretagne. Après 1968, le nombre des militants UDB atteignait environ 200 membres, qui furent ramenés à 167 après un conflit interne à l’UDB entre sa majorité et une minorité qualifiée de « gauchiste » par les dirigeants. Ce refus du gauchisme allait d’ailleurs être un élément important pour le rapprochement avec le Parti communiste français, lui aussi très « anti-gauchiste »… La barre des 500 militants est dépassée en 1974. Entretemps, le jeune parti – qui est de moins en moins « étudiant » – a lancé une édition bretonne de son mensuel : Pobl Vreizh.
8La reconnaissance de l’UDB comme force de gauche était admise de plus en plus, notamment lors de la constitution des listes municipales où il n’était plus rare qu’une (petite) place élective soit faite à un ou deux membres de l’UDB (le premier élu UDB, Jean-Pol Le Berre, l’avait d’ailleurs été dès 1965 comme adjoint au maire communiste du Guilvinec, en Finistère sud). Mais un autre élément est venu jouer pour cette reconnaissance de l’UDB. C’est l’apparition, entre 1966 et 1968 du terrorisme en Bretagne, sous les labels successifs du FLB. Si ce terrorisme breton doit être salué pour n’avoir (heureusement) tué personne, à la triste exception de deux de ses membres qui sautèrent avec leurs engins, la légitimité de cette action violente fit débat et, dès le début, l’Union démocratique bretonne se classa nettement dans le camp opposé à ces méthodes. Cependant, des actions de soutien eurent lieu – notamment par la publication dans Le Peuple breton, de pétitions hostiles à la répression de ces actions par le pouvoir central – pétitions qui remportèrent un très vif succès public, témoignant tout à la fois de l’importance croissante du journal de l’UDB et de la pertinence de ses mots d’ordre. Mais le parti sut éviter d’être entraîné dans l’aventurisme et la provocation qui ne manquèrent pas d’être mis en œuvre par les forces policières en ce domaine, et qui déconsidérèrent aisément bien des groupuscules « bretons », donneurs de leçons faciles à l’égard d’une UDB dont la ligne claire et constante les faisait enrager. De là d’ailleurs vint une habitude de qualifier l’UDB de « stalinienne », au motif que le parti avait adopté le centralisme démocratique comme mode de fonctionnement…
9Dans ce travail pour la reconnaissance de l’UDB comme élément de la gauche bretonne, une date a une importance particulière, celle de 1977. La petite formation initiale compte alors 1 250 militants. En décembre 1976, René L’Hostis, militant de l’UDB, inspiré par les exemples européens d’écoles associatives proposant un enseignement dans une langue minoritaire, a convaincu le maire de Ploudalmézeau, en Finistère, de lui louer les locaux publics d’une ancienne école, fermée depuis cinq ans : c’est la première école Diwan, qui ouvre à la rentrée 1977 avec cinq élèves… Et cette même année, à l’occasion des élections municipales, l’UDB accomplit un grand progrès : avec des alliances électorales systématiquement à gauche, elle a 35 élus municipaux et surtout, elle entre au conseil de sept villes de plus de 50 000 habitants : elle fait désormais partie du paysage politique breton. Moi-même, élu à Brest, je fus désigné par le conseil de communauté de cette ville pour la représenter au conseil régional. Même ainsi élu au suffrage indirect, le premier conseiller régional autonomiste de France fut donc un membre de l’UDB : le ministre Raymond Marcellin, président de ce conseil régional de Bretagne, le reconnaissait d’ailleurs avec humour…
10En 1978, un important congrès de l’UDB se tient à Brest : il constate la rupture de l’Union de la gauche autour du programme commun. L’UDB, elle, a profité de cette rupture pour affirmer encore son autonomie. En décembre 1977, elle a adopté son propre programme démocratique breton (un petit ouvrage, de 70 pages quand même !). Son journal tire désormais à 10 000 exemplaires et son importance dans la construction de l’opinion bretonne n’est contestée par personne. Pobl Vreizh, l’organe bretonnant du parti a atteint son centième numéro et il est dirigé par le brillant linguiste qu’est Fañch Morvannou. Le parti a aussi créé une revue théorique : Mein Harz (Jalons) pour mieux affiner sa ligne doctrinale. En avril 1978, l’échouage du pétrolier Amoco Cadiz sur la côte bretonne du Léon a permis aux militants de l’UDB de se montrer à la pointe de la lutte contre la pollution.
11À la fin de ces années 1970, des 16 militants des origines, on était passé à 2 000 membres environ…
Table des illustrations
Légende | Image 1 – Ronan Leprohon au meeting de l’UDB à Plogoffle 24 septembre 1978. |
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