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L’Union démocratique bretonne

 | 
Tudi Kernalegenn
, 
Romain Pasquier

Troisième partie. L’UDB dans les mouvements sociaux

L’UDB et la question de la violence politique

Erwan Chartier

Texte intégral

1Née en 1964, dans un contexte historique marqué par les luttes armées du tiers-monde et la décolonisation – particulièrement la guerre d’Algérie –, l’UDB a rapidement été confrontée à des phénomènes de violence politique. Un Front de libération de la Bretagne (FLB) est en effet créé en 1966, puis une Armée républicaine bretonne l’année suivante. L’UDB adopte une politique claire de condamnation de cette violence, y voyant un « avant-gardisme » dangereux. Pourtant, lorsque les premières arrestations ont lieu en 1968-1969, on découvre que plusieurs militants clandestins appartiennent aussi à l’UDB. UDB comme FLB-ARB sont d’ailleurs en partie issus du MOB et apparaissent comme deux stratégies différentes d’évolution du nationalisme breton traditionnel.

2Pendant près de trois décennies s’engage aussi une relation complexe entre les trois principales tendances du mouvement breton contemporain, l’UDB, le courant nationaliste traditionnel et un nouveau courant nationalitaire et révolutionnaire adossé à la lutte clandestine. Dans les années 1970, les attentats se multiplient en Bretagne. L’UDB les condamne, mais profite paradoxalement d’une certaine couverture médiatique due à l’action clandestine. À la fin des années 1970, le rejet très ferme par l’UDB de la violence politique est vécu comme une trahison par une extrême-gauche indépendantiste, qui peine cependant à se structurer politiquement. En 1981, lorsque les prisonniers bretons sont libérés, très peu choisissent d’intégrer l’UDB. Cet antagonisme entre deux courants de la gauche bretonne va perdurer jusqu’aux années 2000. Elle a été parfois source de vives tensions entre militants bretons de gauche. En restant sur une position ferme de condamnation de la violence politique, l’UDB a sans doute gagné en clarté, mais s’est privée d’un apport militant, certes remuant mais déterminé et imaginatif. En renversant le point de vue, on peut aussi voir dans le rejet du FLB par l’UDB, l’incapacité du mouvement indépendantiste radical breton à attirer des intellectuels et à produire un discours politique structuré et cohérent.

  • 1 Pour qualifier le mouvement breton, Michel Nicolas (Emsav, Histoire du mouvement breton, Paris, Sy (...)

3Moins actuelle depuis l’attentat de Quévert en 2000 (toujours non revendiqué et non élucidé à ce jour) et la disparition de l’ARB, la question de la violence politique paraît cependant avoir joué un rôle non négligeable dans l’évolution de l’UDB depuis cinquante ans. Elle explique en grande partie le choix des alliances de l’UDB – voir son alignement sur des partis nationaux – comme son rapport au reste de l’Emsav, « le » mouvement breton1. Se pose donc la question du rapport de l’UDB avec la violence politique. En s’en défiant, l’UDB a affirmé avoir gagné en crédibilité, mais en condamnant parfois très durement les auteurs de mouvements clandestins, elle s’est sans doute coupée d’une base militante à laquelle, pour l’opinion publique, elle était de toute façon en partie associée.

La refondation idéologique du mouvement breton

4Le rapport à la violence politique de l’UDB ne peut s’expliquer sans un rappel historique de l’évolution du régionalisme et du nationalisme breton depuis ses origines et, notamment, des recours à la violence politique dans les années 1930 et 1940. Il apparaît clairement que l’UDB a en effet toujours cherché à se démarquer du nationalisme breton traditionnel et de ses tentations avant-gardistes.

Le poids de l’histoire

5La violence politique n’est pas nouvelle en Bretagne. Elle fut utilisée dès les années 1930 par l’Emsav. Le mouvement nationaliste connaissait une grave crise depuis 1912. Il va se relancer médiatiquement grâce à l’attentat de Rennes de 1932. Cette année-là, un engin explosif détruit une statue représentant la duchesse Anne à genoux devant le roi de France. L’affaire fait grand bruit et les journalistes parisiens s’intéressent non seulement aux mystérieux clandestins de l’organisation Gwenn ha Du, mais également à l’ensemble du mouvement breton. Un coup de projecteur médiatique qui se renouvelle en 1936, lorsque des bombes sont posées devant plusieurs préfectures bretonnes « en hommage à l’insurrection irlandaise de Pâques 1916 »… Dans les années 1930, la violence politique a donc fait parler d’un mouvement nationaliste breton, jusque-là marginal et absent des médias. Elle ne doit cependant pas cacher les faiblesses structurelles de cet Emsav, notamment en termes de recrutement militant.

  • 2 Hamon K., Le Bezen Perrot, des nationalistes bretons sous uniforme allemand, Fouesnant, Yoran Emban (...)

6Le mouvement breton est sorti profondément discrédité de la Seconde Guerre mondiale. Sa principale composante dans l’immédiat avant-guerre, le Parti national breton (PNB), s’est compromise dans la collaboration. Son organe de presse, L’Heure bretonne, a relayé les messages de la propagande allemande. Il a publié régulièrement des articles antibritanniques, anti-bolchéviques et antisémites. Peu organisé et reposant sur un ensemble hétéroclite de fortes personnalités, le mouvement régionaliste s’est, lui, montré complaisant avec l’Occupant et s’est rapproché de Vichy. Enfin, l’aile la plus radicale du nationalisme breton, incarnée par Célestin Lainé, a pris les armes sous uniforme allemand. Près de soixante-dix hommes ont constitué la petite milice du Bezen Perrot, des auxiliaires de la SS, essentiellement utilisés contre la Résistance en Bretagne2. Loin de constituer l’« armée bretonne » rêvée par leur chef, les Gour, « soldats » du Bezen Perrot, s’inscrivent dans une tradition d’avant-garde aventureuse, courante dans les mouvements nationalistes en Europe. Ces hommes n’avaient bien entendu aucune chance de vaincre militairement, mais bien la volonté de choquer profondément l’opinion bretonne et française. Jean-Pierre Le Mat, qui a rencontré Célestin Lainé en Irlande dans les années 1970, rapporte que ce dernier lui a expliqué :

  • 3 Chartier E., Larvor R., La Question bretonne, enquête sur les mouvements politiques bretons, Plouga (...)

« Vers 1943-1944, au moment de la mort de l’abbé Perrot, il savait très bien que la fin de la guerre arrivait et que les Allemands allaient perdre. Il a alors décidé de poser un acte impardonnable, donc inoubliable. Il ne s’inscrivait pas dans une démarche d’idéologie, mais d’histoire. Il savait qu’il était impardonnable de porter l’uniforme allemand, donc il a tout fait pour porter cet uniforme3. »

7C’est bien cet avant-gardisme que l’UDB a, par la suite, rejeté, ainsi que le note Jean-Jacques Monnier, militant historique et « historien » de l’UDB :

  • 4 Cabon A., Chartier E., Le Dossier FLB, plongée chez les clandestins bretons, Spézet, Coop Breizh, 2 (...)

« Nous voulions construire un grand parti démocratique, menant une action légale et ancrée dans les problèmes de son temps. L’ancrage à gauche était aussi justifié par la volonté de se démarquer des mouvements bretons qui avaient collaboré pendant la Seconde Guerre mondiale, un héritage que nous refusions. Les deux autres tendances de l’Emsav – le mouvement nationaliste traditionnel et le courant romantico-révolutionnaire – n’ont jamais compris cette stratégie4. »

8À la fin des années 1940, le mouvement identitaire breton qui se reconstitue n’a, de fait, plus guère d’ambition politique. Du fait de l’existence et de l’engagement des miliciens du Bezen Perrot contre la Résistance, tout discours nationaliste, voire régionaliste, est assimilé au nazisme et rejeté très largement par la population bretonne. Pour se reconstituer, le mouvement breton ne peut, dès lors, que mettre entre parenthèses tout radicalisme, à commencer par certaines provocations sémantiques qui avaient fait une partie de son succès médiatique dans l’entre-deux-guerres. Toute idée de reconstitution d’un mouvement clandestin est écartée : la plupart des anciens cadres du mouvement qui n’ont pas été emprisonnés ou fusillés vivent désormais en exil, notamment en Irlande du Sud, qui « tolère » leur présence.

L’UDB et le FLB dans les années 1960. Deux nouveaux mouvements, deux choix

  • 5 La Bretagne est un hebdomadaire régionaliste ayant paru pendant l’Occupation. Dirigé par Yann Fouér (...)

9Il faut attendre la fin des années 1950 pour voir renaître une force politique structurée, le Mouvement pour l’organisation de la Bretagne (MOB). Dès 1952 est créée la Jeunesse étudiante bretonne (JEB) qui va fournir des cadres à cette renaissance de la revendication bretonne. En 1954, Yann Fouéré, ancien directeur de La Bretagne5 pendant l’Occupation et exilé en Irlande, est acquitté des charges qui pesaient sur lui, notamment pour collaboration avec l’occupant. Il peut revenir en Bretagne et reprendre des activités politiques. Avec Joseph Martray, Yann Poupinot et Pierre Laurent, ils vont rédiger un Projet d’organisation de la Bretagne qui débouche sur la création du Mouvement pour l’organisation de la Bretagne (MOB), le 10 novembre 1957. Réunissant des élus, mais également des jeunes militants, le MOB veut se cantonner à un strict apolitisme sur les questions sociales. Il entend porter une revendication institutionnelle débouchant sur une autonomie de la Bretagne. Mais le refus d’adopter une ligne plus progressiste, comme les liens avec le mouvement breton des années 1930 et 1940 vont créer de réelles tensions avec la jeune génération de militants.

10En 1963, une partie des jeunes du mouvement quitte donc le MOB. Rompant avec le nationalisme traditionnel, ils vont créer une nouvelle formation, l’Union démocratique bretonne (UDB) qu’ils décident d’ancrer à gauche. Plusieurs de ces jeunes militants ayant milité pour l’indépendance de l’Algérie, ils comprennent mal la position du MOB, fort ambiguë sur la question. Ronan Leprohon, fondateur de l’UDB, se souvient que :

  • 6 Cabon A., Chartier E., Le Dossier FLB, op. cit., p. 60.

« Le MOB était simplement – il faut avoir l’honnêteté de le dire – une réapparition de l’ancien mouvement breton. La personnalité emblématique de Yann Fouéré était là pour le montrer. Toute une génération de gens rejoignait la cause bretonne pour des raisons diverses. La grande question de politique française, à l’époque, c’était la guerre d’Algérie, qui occupait vraiment tout et concernait les jeunes, parce qu’il y avait la question d’aller servir en Algérie. Nous nous sommes rendu compte que nos aînés étaient en contact, et en contact tout à fait précis, avec des éléments extrémistes qui ont donné ensuite des groupes aux buts ambigus comme le soutien aux colonels grecs6… »

Les relations entre l’UDB et le FLB dans les années 1970

11L’UDB va se structurer peu à peu et surtout, chose relativement nouvelle dans l’Emsav, va produire un discours politique élaboré, notamment sur les questions sociales. Alors que le discours nationaliste était jusque-là essentiellement basé sur l’histoire, l’UDB développe une véritable analyse sociale qui aboutit notamment, à partir de 1968, à la dénonciation d’un certain colonialisme français en Bretagne. Ses militants empruntent également au marxisme tant dans la dialectique que dans la structuration du parti qui adopte rapidement le « centralisme démocratique » comme mode de fonctionnement.

Le développement de la lutte clandestine en Bretagne

  • 7 Dans la nuit du 25 au 26 octobre 1963, plusieurs bâtiments de Pontivy sont barbouillés avec des sl (...)
  • 8 Ibid., p. 39.

12Si plusieurs jeunes quittent le MOB en 1963 – dont Veillard et Leprohon –, d’autres vont emprunter une autre voie. Dès 1963 apparaissent en effet des graffitis utilisant le terme FLB7. Lors du camp d’été du MOB en 1964, l’un des jeunes militants du MOB, Lionel Divard, lance l’idée d’un « FLN breton8 ». Entre 1964 et 1966, plusieurs groupes clandestins vont se constituer en Bretagne. Le 6 mars 1966, des cocktails Molotov sont lancés contre la sous-préfecture de Saint-Nazaire. Le 18 juin de la même année, un engin explosif est déposé devant la perception des impôts de Saint-Brieuc. Il n’explose pas, mais porte les initiales FLB. Dans les deux années qui suivent, une quarantaine d’attentats seront commis par le Front de libération de la Bretagne et l’Armée républicaine bretonne qui fusionnent en 1967. Le plus spectaculaire est la destruction d’un dépôt de véhicule de la CRS 13, à Saint-Brieuc en 1968.

13Ces attentats débouchent sur une médiatisation importante de la revendication bretonne. Outre les traditionnelles questions institutionnelles, un certain malaise social breton est aussi régulièrement évoqué dans les médias nationaux pour expliquer cette violence politique. La Bretagne est encore très en retard économiquement et son agriculture est en pleine révolution. Les attentats du FLB donnent un écho singulier aux revendications économiques du Comité d’étude et de liaison des intérêts bretons (CELIB), actif depuis les années 1950.

14Comment l’UDB peut-elle réagir ? En 1968, elle commence à recruter. Le MOB étant en déliquescence, elle apparaît désormais comme la principale organisation « bretonne » structurée. Elle attire plusieurs personnalités, comme le chroniqueur du Canard enchaîné, Morvan Lebesque, qui écrit une vingtaine de chroniques pour Le Peuple breton, entre 1967 et 1969. Il n’y évoque pas le FLB et se contente de quelques allusions dans son ouvrage Comment peut-on être breton ?, paru en 1970. L’UDB condamne les attentats, jugeant que la violence est « inadaptée » au contexte de la Bretagne des années 1960. Elle reste très méfiante face à une organisation clandestine qui demeure bien mystérieuse. On craint ainsi les manipulations policières.

  • 9 Entretien avec Ronan Leprohon, 18 mars 2005.

« La question de faire des attentats contre les militants de l’UDB, afin d’amener le mouvement breton à se déchirer, a été étudiée par les policiers, déclare Ronan Leprohon. Au point que des noms ont été cités. On a donné mon nom, on a donné le nom des frères Guéguéniat. Une opération de police a été montée pour envisager de faire sauter nos résidences secondaires. L’anecdote est amusante. À l’époque, nous étions jeunes militants et, des résidences, nous n’en avions pas9 ! »

15Ronan Leprohon estime que L’UDB était persuadée, à l’époque, que la violence politique serait rejetée par la population bretonne et qu’elle est donc contre-productive. Quarante ans plus tard, il tempère son jugement :

  • 10 Cabon A., Chartier E., Le Dossier FLB, op. cit., p. 61.

« Très honnêtement, je pense que l’action du FLB – et je pèse mes mots – a été positive, du moins dans ses premières périodes, parce que cela a obligé l’opinion publique d’abord, ensuite les médias parisiens et les gouvernements à s’interroger sur la situation de la Bretagne, qui pouvait être telle qu’elle a amené des gens à effectuer des actes aussi extrêmes. Nous pensions que cela allait faire l’objet d’une réprobation populaire, eh bien, elle n’a pas eu lieu10 ! »

Des passerelles entre mouvements ?

16Si l’UDB n’a jamais été la vitrine politique du FLB et s’en est toujours défié, des passerelles ont cependant existé. À la fin de 1968, la police effectue des premières arrestations. En quelques semaines, le FLB-ARB est complètement démantelé et une cinquantaine de Bretons se retrouvent emprisonnés, dont deux sont des militants UDB. Ils ne seront jamais jugés, suite à la démission du général de Gaulle après son échec au référendum de 1969, puis à l’élection de Georges Pompidou. Ce dernier préfère faire l’économie d’un procès des clandestins bretons et les amnistie.

17Si l’UDB continue à condamner la violence politique, le parti va cependant faire preuve d’une certaine solidarité envers les prisonniers. Ronan Leprohon se souvient :

  • 11 Entretien avec Ronan Leprohon, 18 mars 2005.

« Après un certain succès du FLB se posait la question du recrutement. Nous nous demandions si le FLB recrutait dans les rangs de l’UDB. Au début des arrestations, je reçois un coup de fil de Yann-Cheun Veillard pour me dire : “On a deux camarades qui viennent d’être arrêtés par la police, qui viennent de tomber, et ils étaient membres de l’UDB. Il faut les exclure, tu rédiges le communiqué…” Mais presque aussi vite que la condamnation, est venu le soutien aux familles des militants incarcérés. Dès mars 1969, l’UDB a mis en place une aide financière aux familles des deux camarades incarcérés et accessoirement aux Bretons également en prison. Nous avions un devoir de solidarité à l’égard de nos ex-camarades11. »

18Dans les années 1970, le FLB réapparaît avec un nouveau mouvement plus à gauche, l’Armée révolutionnaire bretonne. Entre 1972 et 1979, les attentats se multiplient. Parallèlement, l’UDB progresse, notamment en nombre de militants. Le parti s’engage dans une politique d’alliance électorale avec les partis de gauche, une stratégie qui provoque l’incompréhension des éléments les plus radicaux du nationalisme breton, notamment la tendance d’extrême-gauche. Au gré des attentats et des procès, l’UDB tient à se distinguer du FLB, tout en pouvant se montrer compréhensive. Ainsi, après le procès de 1972, l’éditorial du Peuple breton explique que

  • 12 Le Peuple breton, juillet 1972, p. 2.

« l’UDB renouvelle la condamnation politique des pratiques dites du FLB. Mais, engagée dans le combat pour la décolonisation du peuple breton, il faut analyser les événements, rechercher les explications et en tirer les conséquences12 ».

19Si les attentats du FLB-ARB rencontrent un certain succès médiatique, son message n’est guère audible. Une situation qui ne s’explique pas uniquement par le côté assez confus des communiqués de l’organisation, mais également par l’absence d’aile politique légale. À partir de 1975, la ligne politique des clandestins se gauchise. Le FLB-ARB développe un discours nationalitaire assez classique des organisations similaires des années 1970. Cette évolution est notamment due à l’éviction des éléments les plus droitiers, dont Yann Fouéré ou Yann Goulet, et à l’arrivée de nouveaux militants. On pense notamment à Mikael Salomon, futur syndicaliste et qui devient la « plume » du mouvement.

  • 13 Voir l’article de Jean Le Calvez, dans L’Avenir de la Bretagne du 22 février 1974 : « Notre gauche (...)

20Si quelques artistes bretons se montrent solidaires du FLB-ARB – notamment Glenmor qui lui compose un chant de marche, le Kan bale an ARB –, le mouvement clandestin ne parvient guère à recruter d’intellectuels. Il se montre également impuissant à mettre en place une structure politique, à même de relayer son message indépendantiste. Un FLB légal est bien créé en 1970, mais son activité se cantonne à un étonnant meeting à la Mutualité de Paris. Dans les années 1970, un certain nombre de structures sont lancées. La tentative la plus sérieuse est la création en 1972 de Strollad ar Vro (« le parti du pays »). Doté de moyens financiers importants, soutenu par Yann Fouéré, ce parti ouvre plusieurs permanences en Bretagne et présente 32 candidats aux législatives de 1973. Il se pose ainsi en concurrent de l’UDB et son journal L’Avenir de la Bretagne relaye avec complaisance les communiqués du FLB-ARB. La plupart des cadres de SAV sont des anciens du MOB et, pour certains, du premier FLB. Alors qu’il se positionne sur des thématiques nationalistes assez classiques, SAV étonne, en 1974, en soutenant la candidature de François Mitterrand à la présidentielle. Il préconise aussi l’établissement d’un socialisme « celtique » aux contours bien flous et un fédéralisme de circonstance13. SAV entend se poser en concurrent de l’UDB sur le terrain de la gauche, mais refuse les alliances électorales. Cette ligne provoque le départ des éléments de droite.

  • 14 Entretien avec Yann Puillandre, 10 juillet 2006.

21SAV apparaît cependant aussi comme la tentative la plus aboutie, ces années-là, pour constituer une branche légale au FLB. Le parti sert d’ailleurs de porte d’entrée dans le monde clandestin pour plusieurs jeunes militants. Selon plusieurs sources, son dirigeant, Jean Le Calvez, avait la « confiance » du Kuzul meur, sorte d’organe dirigeant du FLB14, pour relayer les messages des clandestins. En 1975, Jean Le Calvez, qui a investi une partie de sa fortune personnelle dans le fonctionnement de SAV, se retire. Le parti végète et se fond dans un Front socialiste autogestionnaire breton (FSAB), conglomérat de plusieurs petites structures, qui devient assez rapidement le Front autonomiste socialiste autogestionnaire breton (FASAB).

  • 15 Par exemple, Christian Georgeault, futur dirigeant d’Emgann et membre de l’ARB dans les années 199 (...)

22Dans la seconde partie des années 1970, l’UDB s’impose assurément comme la formation politique bretonne la plus structurée. Elle condamne toujours les attentats et se rapproche des autres formations de gauche. Ce qui n’empêche pas plusieurs membres du FLB de militer à l’UDB15. En l’absence de concurrence, l’UDB apparaît comme le moyen de s’engager politiquement « pour la Bretagne » pour nombre de militants de la tendance nationaliste. Même si les dirigeants de l’UDB ne sont pas dupes. Plusieurs « purges » ont lieu pour exclure des éléments trop nationalistes ou proches du courant clandestin révolutionnaire. Sans doute dans la crainte d’un certain « entrisme » des militants radicaux. Jean-Jacques Monnier estime également que :

  • 16 Cabon A., Chartier E., Le Dossier FLB, op. cit., p. 208.

« L’action de l’UDB a quand même permis à pas mal de gens d’éviter de tomber dans l’action clandestine, car nous leur avons donné de nouvelles perspectives. Nous avons réussi à sortir du ghetto où était cantonné le mouvement breton16. »

23Dans un communiqué de 1978, le FLB-ARB « révolutionnaire » explique sa position par rapport à l’UDB et prend d’ailleurs acte de la situation :

  • 17 Cité dans Cabon A., Chartier E., Le Dossier FLB, op. cit., p. 207.

« Le FLB-ARB constate la contradiction interne et flagrante du régionalisme réformiste. Entre dans ce cadre tout “Emsav” français en Bretagne (citons l’UDB, bien que regroupant en son sein de véritables nationalistes révolutionnaires), l’UDB malgré l’importance historique que revêt son combat pour le peuple breton, par ses structures, par son désir de trop ressembler à l’appareil du PCF, par son entêtement à suivre la voie électoraliste, ne semble pas être pour l’instant l’instrument suffisant d’une révolution bretonne. Néanmoins, l’UDB reste le seul parti politique breton défendant les intérêts de son peuple17. »

24L’UDB peut cependant également être très critique publiquement vis-à-vis du FLB, en témoigne une interview de Ronan Leprohon, dans Le Télégramme du 22 mars 1977, où il dit « non au fanatisme des attentats ». À de nombreuses reprises, Le Peuple breton condamne « l’infantilisme » du combat clandestin en Bretagne et rejette toute recherche d’exemples extérieurs. Ainsi, en février 1974, on peut lire :

  • 18 Le Peuple breton, éditorial, février 1974, p. 2.

« Ensuite une illusion : beaucoup, notamment parmi les jeunes, cèdent au vertige des analogies : ETA = FLB = IRA. C’est oublier deux choses fondamentales. D’abord, le terrorisme, en soi, n’est pas progressiste. […] Ensuite, les situations objectives des pays et des peuples sont fort différentes. Assimiler l’autoritarisme feutré et bourgeois du gouvernement Pompidou au fascisme sanglant du Chili et de l’Espagne, c’est se moquer des Basques et des Chiliens18. »

La rupture

25Jusqu’en 1979, les différences et les oppositions restent plutôt feutrées entre les deux tendances : l’UDB condamne la violence politique, mais soutient les actions en faveur des prisonniers du FLB. Les choses évoluent à la fin des années 1970. La situation de l’organisation clandestine a changé. Le nombre d’attentats – souvent spectaculaires – est en hausse entre 1976 et 1978. Mais l’action de la police, particulièrement le SRPJ (Service régional de police judiciaire) de Rennes, dirigé par le commissaire Roger Le Taillanter, aboutit au démantèlement de la plupart des commandos du FLB-ARB. Ces arrestations – on compte près d’une cinquantaine de prisonniers du FLB en 1979 – vont logiquement déboucher sur l’organisation de procès devant la Cour de sûreté de l’État, à Paris, une cour « spéciale », composée entre autres de magistrats militaires et bien évidemment condamnée par les avocats de la défense.

26Le procès occupe une place particulière dans l’imaginaire comme dans le parcours des militants clandestins. Il est une forme de « sortie à la lumière » pour des personnes normalement cantonnées à la discrétion et au secret. Il est donc, pour eux, l’occasion d’expliquer leur lutte, et ce de manière bien plus complète que les communiqués – plutôt courts – de leur organisation. Ces procès vont occuper une place particulière dans l’histoire du FLB-ARB. Il faut en effet souligner que le mouvement clandestin breton est resté relativement modeste en termes militaires et logistiques, car trop désorganisé, particulièrement si on le compare à d’autres organisations européennes de l’époque (notamment ETA militaire au Pays basque ou l’IRA provisoire en Irlande, voir même le FLNC corse). Il a revendiqué des actions certes parfois spectaculaires, mais restant cantonnées dans une certaine forme de violence politique plus que dans une logique de lutte armée. Les attentats bretons des années 1970 s’apparentent à une « propagande par le fait », illustrant l’incapacité du nationalisme révolutionnaire à faire passer son message dans la société. Si donc, en matière de « terrorisme », l’action du FLB-ARB reste modeste, les clandestins bretons ont beaucoup mieux réussi leurs procès. Dès la fin des années 1960, la mouvance nationaliste met en place une organisation efficace et structurée de collecte de fonds pour le combat judiciaire : Skoazell Vreizh (le « secours breton »). Avec les premiers procès des années 1970, les inculpés bretons vont s’entourer d’un « pool » d’avocats parfois prestigieux, comme maître Henri Leclerc, figure de la Ligue des droits de l’Homme, ou militants comme maître Yann Choucq, membre de Sav Breizh. Ces avocats vont peu à peu transformer les procès du FLB en tribunes politiques pour la revendication bretonne. À la fin des années 1970, ils font ainsi intervenir – en tant que témoins – plusieurs personnalités de la gauche bretonne ou française. La Cour de sûreté de l’État voit, par exemple, s’exprimer à sa barre Michel Rocard, Haroun Tazieff, Louis Le Pensec. En 1978, un jeune socialiste lorientais y compare la France de Giscard à l’Espagne de Franco, ce qui provoque de vives réactions. Il s’appelle Jean-Yves Le Drian.

27Dès le début des années 1970, l’UDB avait condamné avec une certaine condescendance les organisations de soutien aux prisonniers du FLB. Ainsi, en 1972, on pouvait déjà lire dans Le Peuple breton :

  • 19 Le Peuple breton, novembre 1972, p. 6.

« Le confusionnisme qui divise au sein même du FLB les militants de ce mouvement, se traduit également à l’extérieur dans les comités de soutien réunissant par goût du spectacle et du sensationnel des gens en mal d’exotisme qui se régalent de ce carnaval breton19. »

28Si l’UDB avait condamné les attentats et la ligne politique du FLB, elle continuait à y trouver des « excuses » en raison de la violence exercée par le « pouvoir centralisateur ». Une position exprimée à l’occasion des premiers procès FLB de 1972 :

  • 20 Le Peuple breton, juillet 1972, p. 2.

« Lors des attentats du FLB 1 (1968), l’UDB avait condamné l’infantilisme politique des attentats. Mais elle avait insisté sur le fait que le véritable responsable était le pouvoir gaulliste, capitaliste et centralisateur. […] Face à la confusion et au rêve, l’UDB s’efforce d’opposer la patience et la lucidité20. »

29Or, en 1979, l’UDB va totalement se démarquer du soutien aux prisonniers. En plein procès de militants FLB du Léon et de Rennes, en octobre 1979, Le Peuple breton titre en Une : « FLB : l’impasse. » En deuxième page, l’UDB condamne en termes très durs l’organisation clandestine. On peut notamment y lire :

  • 21 Le Peuple breton, éditorial, octobre 1979, p. 2.

« Faible dans son organisation, faible dans ses soutiens, faible dans son idéologie, faible en face de l’appareil policier français, victime de la justice, le FLB se condamne à la répétition de la violence qui ne peut plus intéresser les médias – sauf à devenir sanglante21. »

  • 22 Le Peuple breton, octobre 1979, p. 2.

30Une lettre d’un prisonnier breton, par ailleurs militant de l’UDB à Brest, est reproduite22. Il y dénonce des dérives fascisantes dans l’organisation et évoque de vives tensions entre prisonniers.

  • 23 Entretien avec Jean Le Guellec, 12 octobre 2004.

« Je tirais les enseignements de mon incarcération, se souvient Jean Le Guellec. La taule, c’est un gâchis, de l’énergie militante perdue. J’estimais qu’il était temps de s’investir dans des combats plus constructifs comme Diwan ou Plogoff23. »

31Selon le témoignage de Jean Le Guellec, la lettre n’était pas destinée à être publiée. Il y condamnait aussi les attitudes excessives de Skoazell Vreizh. Cependant, Le Peuple breton se fait l’écho des excès policiers en publiant une interview de Christian Merrer, un activiste qui avait accusé la police d’actes de torture. Lors du procès, un magistrat brandit le numéro en question du Peuple breton. Les autres prisonniers témoignent s’être sentis trahis. La rupture est dès lors consommée. Dans la mouvance du FLB, on ne pardonnera pas facilement ce dossier.

32Jean-Jacques Monnier explique ce changement d’attitude par les craintes de l’UDB sur l’attractivité de la lutte armée chez ses militants et par des divergences d’opinion :

  • 24 Cabon A., Chartier E., Le Dossier FLB, op. cit., p. 208.

« Ce dossier assez dur contre le FLB était délibéré de notre part. Nous voulions taper du poing sur la table, car nous avions la crainte que nombre de nos jeunes militants ne basculent dans cette forme d’action. C’était une époque de découragement politique, après l’échec des élections législatives de 1978. Beaucoup étaient tentés par la violence pour faire avancer les choses24. »

33L’UDB est pourtant à son apogée, revendiquant alors près de deux mille adhérents et de nombreux conseillers municipaux, du fait de ses alliances avec le PS et, surtout, le PCF. Cette stratégie de normalisation et d’insertion dans le jeu politique classique, conduit l’UDB à clarifier ses revendications institutionnelles. L’UDB était en effet resté, jusque-là, assez flou, évoquant notamment la « vocation nationale » du peuple breton. À la fin des années 1970, le parti rejette le séparatisme et s’affirme autonomiste. À l’opposé, le FLB-ARB révolutionnaire adopte une position clairement indépendantiste. Un clivage politique se développe donc entre deux tendances qui s’éloignent désormais. Jean-Jacques Monnier le reconnaît.

  • 25 Ibid.

« La condamnation du FLB a entraîné des blocages entre les deux tendances. À l’UDB, nous avons sans doute fait preuve d’un manque de dialogue et de pédagogie. Nous avons eu une attitude de professeurs (ce qui est sans doute sociologique, vu la forte représentation de cette profession dans notre mouvement) vis-à-vis de gamins turbulents. Cela a produit une coupure générationnelle25. »

34En s’opposant, les deux tendances les plus dynamiques du mouvement breton de la fin des années 1970 n’ont-elles pas manqué une occasion de porter la revendication bretonne de manière efficace ? Les réponses sont multiples. L’un des échecs du mouvement breton de cette période – qui n’avait jamais eu, dans son histoire, une base sociale aussi importante – réside sans doute dans l’incapacité des éléments les plus radicaux et déterminés à fournir une production intellectuelle de qualité, à même d’exalter et donner du sens à leur lutte. Parallèlement, si l’UDB a développé une production intellectuelle non négligeable, elle s’est coupée d’une base militante ayant d’autres relais dans la population bretonne, cette dernière n’adhérant d’ailleurs ni à l’une ni à l’autre des stratégies.

De l’hostilité à un nouveau rapprochement ?

L’impossible intégration après 1981

35En mai 1981, François Mitterrand est élu. Dans les mois qui suivent, les derniers prisonniers du FLB sont amnistiés et rentrent en Bretagne. Pendant quelque temps, la violence politique cesse. La Bretagne aurait-elle pu connaître une situation à la catalane ? Dans les années 1980, le mouvement clandestin Terra Lliure va en effet disparaître, la plupart de ses cadres intégrant le grand parti de la gauche catalaniste, l’Esquerra republicana de Catalunya (ERC). On aurait pu penser qu’une partie des militants de gauche du FLB aurait pu choisir de rejoindre l’UDB. Il n’en sera rien, à une exception notable, en centre Bretagne, où la section locale de l’UDB – il est vrai de tendance plus nationaliste que la direction du parti –, intègre un ancien cadre du FLB, Jean-Charles Grall.

36La période 1981-1983 voit l’apparition de nouvelles formations politiques bretonnes. Fondé en 1982, le Parti pour l’organisation de la Bretagne (POBL) est l’héritier du nationalisme breton traditionnel – la présence de l’inoxydable Yann Fouéré en atteste. Plusieurs anciens activistes – d’ailleurs classés à droite – le rejoignent. Les clandestins de la tendance révolutionnaire fondent eux un nouveau mouvement – Emgann (Combat) – en 1983 et qui a disparu dans les années 2000. L’Armée révolutionnaire bretonne (ARB) reprend du service à partir de 1983 et Emgann va apparaître comme son relais politique, même si l’intensité de la violence politique dans les années 1980 n’a plus rien de commun avec celle de la décennie précédente.

37Après la victoire de la gauche en 1981, l’UDB connaît une période de crise et de déclin. Plusieurs cadres la quittent, comme Ronan Leprohon. Les relations avec les autres formations bretonnes sont minces. En 1992, malgré tout, une liste commune (UDB, Frankiz Breizh, Emgann, POBL) est montée pour les régionales. Mais c’est un échec électoral qui n’aura pas de suite. Peut-être à cause du fait que la violence politique ressurgit dans les années 1990. Une nouvelle génération de militants bretons se radicalise, particulièrement après le démantèlement souvent brutal des réseaux d’aide aux Basques en Bretagne. Si l’UDB n’a jamais soutenu le mouvement indépendantiste basque et son bras armé l’ETA militaire, l’un de ses militants, Jean Groix, est au cœur d’un nouveau drame en 1991. Ce membre historique de l’UDB en Loire-Atlantique est arrêté chez lui, où il hébergeait un commando d’ETA. La police enquêtait sur le meurtre d’une jeune fille à proximité et fait l’amalgame entre les deux affaires (on saura plus tard que l’assassin était Jacques Fourniret). Jean Groix se suicide en prison.

La fin de la violence politique en Bretagne change la donne

38L’ARB reprend ses actions en 1993 et commet une quarantaine d’attentats. Le mouvement Emgann publie régulièrement les communiqués des clandestins et semble avoir servi de vivier à une nouvelle génération d’activistes. La violence politique prend fin après la tragédie de Quévert, en avril 2000, lorsqu’une bombe tue accidentellement une jeune employée du MacDonald. La condamnation est unanime dans le mouvement breton, notamment dans Le Peuple breton.

39Plusieurs membres d’Emgann sont incarcérés, notamment jusqu’au procès de 2004 qui débouchera sur un non-lieu de tous les accusés concernant l’attentat de Quévert. La gauche indépendantiste se délite, même si elle reste bien implantée dans certaines grandes villes universitaires. L’UDB connaît, quant à elle, un renouveau qui se traduit par l’élection de conseillers régionaux en 2004. L’alliance privilégiée est désormais celle avec Europe écologie et les tensions semblent s’apaiser avec la gauche radicale bretonne. Il est notable qu’EELV soit une formation moins effarouchée que le PS et le PCF sur les questions de violence politique nationalitaire. En témoigne la présence de quelques militants de Breizhistance (le mouvement héritier d’Emgann) sur la liste UDB-Les Verts-Europe écologie aux élections régionales de 2010.

Conclusion

40La violence politique a aujourd’hui disparu en tant que phénomène politique en Bretagne. Elle a indéniablement marqué l’évolution du mouvement breton depuis les années 1960. À son actif, une certaine médiatisation de la revendication bretonne. Elle a aussi attiré un nombre non négligeable de militants qui s’y sont formés, malgré l’absence de mouvements politiques pérennes et de production idéologique conséquente. Même si elle a provoqué des blocages et des réactions de rejet, elle n’a pas provoqué une réaction négative massive dans la population, à l’exception de l’attentat de Quévert, non élucidé à ce jour. À la lecture des profils des militants clandestins, on est marqué par le fait que, dès les années 1960, la plupart des catégories sociales bretonnes y sont représentées. Ce qui est moins le cas de l’UDB, organisation attirant essentiellement les « clercs », dont de nombreux enseignants. Historien et membre historique de l’UDB, Jean-Jacques Monnier estime logique la ligne politique de son mouvement sur cette question :

  • 26 Ibid., p. 104.

« Nous en restions à notre analyse de 1968 : avec le peuple, tout est possible ; sans lui, tout n’est qu’aventure et illusions. Or, nous estimions que le FLB était coupé des réalités bretonnes et provoquait un rejet massif de la population. Nous avons été surpris, en fait, de l’absence de condamnations26. »

41On peut se demander s’il n’a pas manqué un certain recrutement plus flexible à l’UDB pour devenir plus attractive et implantée dans la population. Rejetant à la fois l’activisme clandestin et le nationalisme, l’UDB s’est coupé de certains viviers militants, sans pour autant recruter massivement dans d’autres sphères.

42Depuis les années 2000, même si la situation a clairement changé et que les tensions se sont apaisées, il est notoire de constater que l’UDB semble toujours peiner à être attractive dans une mouvance bretonne de gauche, plus radicale, qui lui reproche de se dissoudre dans un discours régionaliste minimaliste. La question semble d’autant plus pertinente que l’UDB est aussi en lien étroit avec plusieurs formations politiques – tant au niveau français qu’européen – qui assument des discours beaucoup plus radicaux, sans pour autant cautionner la violence politique. Le PNV basque, l’ERC catalane, le SNP écossais ou le Plaid Cymru gallois assument tout à fait un nationalisme militant. Tout comme le Parti de la nation corse (PNC), membre également de Régions et peuples solidaires, qui compte dans ses rangs plusieurs anciens acteurs de la clandestinité. En conclusion se pose donc aujourd’hui la question de l’efficacité d’un certain légalisme du discours de l’UDB.

Notes

1 Pour qualifier le mouvement breton, Michel Nicolas (Emsav, Histoire du mouvement breton, Paris, Syros, 1983) emploie ce terme d’Emsav (prononcer « Emsao ») qui signifie, en langue bretonne, le « relèvement », le « soulèvement ». Michel Nicolas distingue trois « Emsav ». Le premier naît avec l’Union régionaliste bretonne (URB) en 1898 et perdure jusqu’en 1914. Il est essentiellement régionaliste et concerne des notables et des intellectuels. Le nationalisme breton se développe avec le deuxième Emsav, de 1918 à 1944. Enfin, un troisième Emsav voit le jour dans les années 1950 et couvre la seconde partie du XXe siècle.

2 Hamon K., Le Bezen Perrot, des nationalistes bretons sous uniforme allemand, Fouesnant, Yoran Embanner, 2005.

3 Chartier E., Larvor R., La Question bretonne, enquête sur les mouvements politiques bretons, Plougastel-Daoulas, An Here, 2002, p. 171.

4 Cabon A., Chartier E., Le Dossier FLB, plongée chez les clandestins bretons, Spézet, Coop Breizh, 2006, p. 104.

5 La Bretagne est un hebdomadaire régionaliste ayant paru pendant l’Occupation. Dirigé par Yann Fouéré et animé par Joseph Martray, il se distingue de l’hebdomadaire nationaliste L’Heure bretonne par une ligne plus modérée sur la question institutionnelle et plus accommodante vis-à-vis de Vichy.

6 Cabon A., Chartier E., Le Dossier FLB, op. cit., p. 60.

7 Dans la nuit du 25 au 26 octobre 1963, plusieurs bâtiments de Pontivy sont barbouillés avec des slogans « Non au désert breton-FLB », « Breiz Atao-FLB », Cabon A., Chartier E., Le Dossier FLB, op. cit., p. 38.

8 Ibid., p. 39.

9 Entretien avec Ronan Leprohon, 18 mars 2005.

10 Cabon A., Chartier E., Le Dossier FLB, op. cit., p. 61.

11 Entretien avec Ronan Leprohon, 18 mars 2005.

12 Le Peuple breton, juillet 1972, p. 2.

13 Voir l’article de Jean Le Calvez, dans L’Avenir de la Bretagne du 22 février 1974 : « Notre gauche n’est pas le gauchisme, notre gauche n’est pas le marxisme… notre gauche serait-elle le socialisme ? Mais, s’il vous plaît, pourrait-on nous expliquer ce que le socialisme veut dire exactement ? Soyons clairs : notre gauche est le fédéralisme. »

14 Entretien avec Yann Puillandre, 10 juillet 2006.

15 Par exemple, Christian Georgeault, futur dirigeant d’Emgann et membre de l’ARB dans les années 1990 ; Jean-Charles Grall en Finistère ou Jean Le Guellec à Brest.

16 Cabon A., Chartier E., Le Dossier FLB, op. cit., p. 208.

17 Cité dans Cabon A., Chartier E., Le Dossier FLB, op. cit., p. 207.

18 Le Peuple breton, éditorial, février 1974, p. 2.

19 Le Peuple breton, novembre 1972, p. 6.

20 Le Peuple breton, juillet 1972, p. 2.

21 Le Peuple breton, éditorial, octobre 1979, p. 2.

22 Le Peuple breton, octobre 1979, p. 2.

23 Entretien avec Jean Le Guellec, 12 octobre 2004.

24 Cabon A., Chartier E., Le Dossier FLB, op. cit., p. 208.

25 Ibid.

26 Ibid., p. 104.

Auteur

Docteur en cultures et langues régionales et chercheur associé au Centre de recherche bretonne et celtique (CRBC – EA 4451) à l’université Rennes 2.

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