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L'État et les religions en France

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Philippe Portier

Première partie. L'alliance juridictionnaliste

L’alliance juridictionnaliste

Texte intégral

  • 1 Claude Lefort, L’invention démocratique, Paris, Fayard, 1981.

1La Révolution de 1789 introduit donc une rupture radicale dans l’organisation du monde social : elle installe la France dans le temps de la « démocratie ». L’Ancien Régime s’édifiait sur l’assise d’un éthos communautaire. Les sujets se trouvaient inscrits dans un ordre de structures étagées, qui les dépassait de toutes parts. Ils n’étaient nullement les créateurs de leur propre univers. Tout était déjà là, établi providentiellement, avant qu’ils n’apparaissent au monde. Cette communauté de communautés trouvait son point d’ancrage, en haut, dans la personne du roi, auquel son institution divine permettait d’« incarner » la nation. La société révolutionnée se constitue, quant à elle, sur le fondement d’une pensée individualiste. Elle détruit les communautés préexistantes, en rappelant aux êtres qu’ils sont, suivant la formule du Coriolan de Shakespeare, les « auteurs de leurs propres jours ». Rien là ne précède la volonté du sujet, qui ne se relie aux autres que par la médiation fragile du contrat. Au sommet, le pouvoir est maintenant un « lieu vide », que nul ne peut prétendre occuper définitivement1 : aucune vérité n’émane plus de ses décrets ; il n’est que le scribe d’une majorité toujours réversible.

  • 2 Alexis de Tocqueville, De la démocratie en Amérique, Paris, Garnier-Flammarion, 1981, tome 2, p. 1 (...)

2Cette transformation suscite un sentiment d’inquiétude dans les élites du temps. Si elles saluent, à l’exception des « rétrogrades », sa puissance libératrice, elles disent craindre aussi son incidence dissociative. Tocqueville dans De la Démocratie en Amérique s’est fait le porte-voix de cette angoisse, qui court tout au long du XIXe siècle : « Non seulement la démocratie fait oublier à chaque homme ses aïeuls, mais elle lui cache ses descendants et le sépare de ses contemporains ; elle le ramène sans cesse vers lui seul et menace de le renfermer enfin tout entier dans la solitude de son propre cœur2. » Comment affronter la situation ? Le modèle de gestion du religieux, de type concordataire, que Napoléon Bonaparte met en place en 1801-1802 doit être lu comme une réponse à cette hantise de l’éclatement : suivant une ligne qu’agréeront d’ailleurs, malgré leurs différences, tous les régimes politiques jusqu’en 1880, il vise clairement, telle une « masse de granite », à stabiliser la modernité émergente.

Notes

1 Claude Lefort, L’invention démocratique, Paris, Fayard, 1981.

2 Alexis de Tocqueville, De la démocratie en Amérique, Paris, Garnier-Flammarion, 1981, tome 2, p. 127.

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