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L'économie des dévotions

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Albrecht Burkardt

Commerce et dévotions

Traditions historiographiques et recherches récentes

Albrecht Burkardt

Texte intégral

  • 1 Pour un développement plus détaillé de cette problématique, je me permets de renvoyer à mon « Intr (...)

1Le présent livre veut contribuer à élucider les rapports qu’entretiennent, à l’époque moderne, les activités économiques – en particulier commerçantes – et les pratiques dévotionnelles. Il s’agit de deux sphères volontiers séparées, avec en arrière-plan, des a-priori d’incompatibilité, voire des aversions traditionnelles qui n’ont pas épargné l’historiographie. Si l’histoire économique et sociale a longtemps défendu la perspective d’une évolution autonome de ses champs d’analyse par rapport à toute « superstructure » culturelle ou religieuse, il n’en allait guère autrement, en sens inverse, dans le domaine de l’histoire des spiritualités : les tentatives de fonder les expressions religieuses sur les motifs économiques et sociaux provoquaient régulièrement des accusations de réductionnisme, alors que seul le désintéressement (économico-social) semblait garantir la pureté des gestes étudiés1.

  • 2 Cf. Philipp Robinson Rössner, « Luther – ein tüchtiger Ökonom ? Über die monetären Ursprünge der R (...)

2La retenue des historiens du religieux n’est d’ailleurs pas seulement motivée par un refus des approches de tradition marxiste ; il s’agit sans doute bien davantage d’un héritage des controverses confessionnelles : la dénonciation d’un clergé dépravé exploitant sans vergogne les croyances d’un peuple naïf dans le seul objectif de s’en enrichir ne constitue-t-elle pas l’un des piliers de la critique avancée par les adversaires de l’Eglise romaine, à commencer par les champions du protestantisme ? La pensée économique de ces derniers n’est pas pour autant et toujours mieux étudiée que celle des catholiques, comme on a pu argumenter encore récemment à propos de Luther, dont les réflexions concernant l’économie sont largement absentes aussi bien des grandes biographies que des analyses systématiques de l’œuvre2. Ne serait-ce pas, là encore, pour ne pas entacher en quelque sorte l’essence – spirituelle – de celle-ci, sa pureté évidente ?

  • 3 Voir, sur ce point, Bernd Möller, « Die letzten Ablaßkampagnen. Der Widerspruch Luthers gegen den (...)
  • 4 Jacques Le Goff, « Au Moyen Âge : temps de l’Église et temps du marchand », Annales ESC, 1960, p.  (...)
  • 5 Philippe Besnard, Protestantisme et capitalisme, Paris, Armand Colin, 1970 ; Hartmut Lehmann, Max (...)
  • 6 Voir Michel Vovelle, Piété baroque et déchristianisation en Provence au XVIIIe siècle, Paris, 1978 (...)

3Quoi qu’il en soit, il est en tout cas symptomatique que les quelques recherches menées quand même à la croisée des deux champs envisagés aient souvent trouvé sinon leur épicentre, du moins leur point de départ (ou d’aboutissement), dans les critiques lancées par le mouvement réformateur. Naturellement, ce n’était pas pour autant étudier exclusivement le commerce des indulgences à la veille de la Réforme3. Bien des études, fort stimulantes et désormais classiques, ont pu explorer en aval la « naissance du purgatoire » ou la « comptabilité de l’au-delà » du bas Moyen Âge4. Elles ont cherché à mieux connaître, en amont, les articulations (ou les variantes) d’une éthique se voulant fort critique vis-à-vis de dévotions inutiles en termes de salut et contre-productives au regard des intérêts économiques – une « éthique protestante » sans doute (approchée en tout cas, le plus souvent, dans la lignée des thèses de Max Weber et de leur possible vérification5), mais qui, en pays catholique et notamment en France, a pu s’ancrer également dans les courants jansénistes avant de se retrouver chez les philosophes des Lumières, avec, en arrière-fond, le processus de « déchristianisation » s’articulant dans la progressive mise à l’écart des pratiques de « piété baroque » (avides de dévotions extériorisées6).

  • 7 Cf. Paul Münch, « Die Kosten der Frömmigkeit. Katholizismus und Protestantismus im Visier von Kame (...)
  • 8 Pierre Bourdieu, « Une interprétation de la théorie de la religion selon Max Weber », European Jou (...)
  • 9 Voir sur ce point, Christophe Duhamelle, « Pèlerinage et économie dans l’Empire au XVIIIe siècle » (...)
  • 10 Voir à ce propos les remarques de Johannes Tripps, « Pilgerfahrten als positive Impulse für die Go (...)
  • 11 Voir Wolfgang Reinhard, « Gegenreformation als Modernisierung ? Prolegomena zu einer Theorie des k (...)
  • 12 Voir la mise au point introductive de Patricia Subirade dans sa contribution à ce volume ; pour qu (...)

4Ce n’est pas un hasard si naissent, dès la même époque, les attitudes qui vont progressivement écarter les facteurs religieux de l’analyse économique. Certes, les réflexions de philosophes, caméralistes et adeptes de l’économie politique sont encore pleines, au XVIIIe siècle, de remarques concernant la religion7 ; mais celle-ci est surtout envisagée dans ses retombées négatives sur un espace économique voulu de plus en plus autonome. De la norme exigée on en est venu par la suite à postuler l’autonomie des faits. Les historiens, à commencer par les maîtres de l’histoire économique et sociale, sont longtemps restés fidèles à cette tradition. Malgré l’estime qu’ils ont toujours été nombreux à partager pour l’œuvre d’un Max Weber, ils se sont montrés peu sensibles aux efforts de ce dernier « pour établir l’efficacité historique des croyances religieuses », efforts dirigés, notamment, « contre les expressions les plus réductrices de la théorie marxiste8 ». Chemin faisant, les historiens se sont faits également les héritiers d’une autre attitude naissant au XVIIIe siècle – celle des autorités étatiques, voire religieuses, déconsidérant fortement les manifestations d’une religion dite populaire, peu digne d’intérêt, dont il s’agissait surtout de réduire l’impact sur la population en en combattant les soubresauts les plus agaçants9. Pour les historiens, analyser les aspects économiques de cette culture n’était donc pas plus stimulant que l’étude de celle-ci en elle-même. Il n’en allait pas autrement au sein d’autres disciplines, à l’instar de l’histoire de l’art, peu intéressée, pendant longtemps, à intégrer dans ses terrains d’études les objets de l’art dit populaire10. C’est ainsi seulement récemment que les historiens, dans le cadre d’une reconsidération plus générale de la « modernité » du catholicisme11, ont voulu découvrir, par exemple, comment les objets de dévotion propagés notamment par la Contre-Réforme ont pu contribuer à créer un marché de masse, et des attitudes de consommation non moins prometteuses d’avenir que celles que nous venons d’évoquer dans la tradition wébérienne12.

  • 13 Voir, à titre d’exemple, Anne Bonzon, L’Esprit de clocher. Prêtres et paroisses dans le diocèse de (...)
  • 14 Voir la synthèse de Dominique Julia, « Système bénéficiai et carrières ecclésiastiques dans la Fra (...)
  • 15 Voir Markus A. Denzel, « The curial payments System of the late Middle Ages and the sixteenth cent (...)
  • 16 Voir, entre autres, Dieter Berg, Armut und Geschichte. Studien zur Geschichte der Bettelorden im H (...)
  • 17 Voir Bartolomé Clavero, La Grâce du don. Anthropologie catholique de l’économie moderne, Paris, Al (...)
  • 18 J. Le Goff, « Préface » à B. Clavero, La Grâce du don, op. cit., p. IX. Pour le concept d’économie (...)

5Il est vrai que ces traditions n’ont pas empêché la production de nombreux travaux consacrés aux dimensions économiques des institutions ecclésiastiques, depuis les fabriques paroissiales, dont l’étude est devenue un passage obligé pour l’historien s’intéressant à l’organisation de la vie religieuse sous l’Ancien Régime13, jusqu’aux rentes et bénéfices faisant vivre le clergé, « marché » analysé en termes de débouchés et de carrières14, y inclu celui de la cour papale et de son système de financement15. De même, ne manquent pas les études analysant les problèmes qu’a pu poser l’accumulation des richesses dans le cadre d’une religion chrétienne prônant le refus du monde, la pauvreté, l’amour du prochain. On ne s’étonnera pas que de tels travaux aient été fréquents notamment pour les ordres mendiants puisque la problématique considérée se pose ici de façon aiguë, et a de fait marqué profondément l’histoire des émules de saint Dominique et bien plus encore celle – mouvementée – des disciples du poverello d’Assise16. Enfin, bien des recherches stimulantes ont-elles été consacrées aux pratiques du prêt à intérêt, et à leurs protagonistes – de l’usurier archétypique au banquier moderne17. Elles ont pu démontrer à quel point les concepts en jeu dénotaient, en pays catholique, un type d’économie – « morale » – très éloigné de l’économie capitaliste à venir, le sujet permettant, dans les termes de Jacques Le Goff, d’« aller très loin au cœur du système de pensée et d’ordre social des sociétés chrétiennes [...] anciennes18 ».

  • 19 Cf. Roger Chartier, Au Bord de la falaise. L’histoire entre certitudes et inquiétude, Paris, 1998, (...)
  • 20 On peut noter tout de même que certains travaux se sont efforcés d’analyser les cultes présents da (...)

6Il est vrai que nombre de ces études s’étaient déjà inspirées des courants historiographiques qui, depuis la fin des années 1970, telle la nouvelle histoire en France, ont nettement relativisé les anciens antagonismes, posant qu’une histoire culturelle des domaines socio-économiques était tout aussi nécessaire pour faire avancer la compréhension des sociétés du passé que l’histoire sociale des phénomènes culturels19. Toujours est-il que, dans le domaine qui nous intéresse de près, celui des dévotions – c’est-à-dire des cultes et d’autres pratiques de piété, de ce qui constitue leur expression matérielle ou les rend matériellement possible –, les recherches ne sont guère allées au-delà des quelques tendances évoquées20.

  • 21 Voir toutefois les différentes contributions à l’important volume récent Religione e istituzioni r (...)

7Et pourtant il est évident que, dans les sociétés d’Ancien Régime, ce champ de pratiques a constitué un facteur économique d’importance majeure, mais dont le poids précis (qui peut aussi s’articuler en termes de blocage des activités économiques) reste à mesurer de façon différenciée, de même que la question d’une éthique religieuse propre aux exigences capitalistes et commerciales attend toujours de nombreuses précisions21. Quels sont les apports des agents de l’échange au fonctionnement économique des différents cultes et pratiques de dévotion ? Que se passe-t-il lorsque celles-ci entrent en conflit avec les intérêts économiques ? Comment décrire les formes de dévotion que cultivent les acteurs de l’échange eux-mêmes ? C’est autour de ces questions que le livre organise ses interrogations.

8Étant donné l’état de recherche fragmentaire, les contributions réunies abordent les problématiques évoquées délibérément dans un cadre géographique et chronologique assez large : si les pays catholiques de la Méditerranée constituent le terrain d’enquête privilégié, les excursions dans d’autres sphères ne manquent pas, qu’elles concernent l’Europe septentrionale, l’Asie mineure ou les côtes africaines de la Méditerranée, voire l’Amérique espagnole, qu’elles s’appliquent à d’autres confessions ou à d’autres religions, tel l’islam.

9Le volume se décline en quatre sections. Si la première prend pour objet l’économie des lieux de pèlerinage, une deuxième, quittant les sanctuaires de ce dernier type, s’attache à analyser les conditions de production, les conjonctures et la logique distributive d’objets de dévotion plus largement diffusés. Une troisième partie met l’accent sur les possibles tensions entre objectifs commerciaux et impératifs religieux ; la dernière s’interroge sur les dévotions des acteurs de l’échange. Ces thématiques étant à bien des égards liées, les différentes contributions au volume peuvent naturellement répondre à plusieurs d’entre elles. D’entrée de jeu, il est clair en tout cas qu’une stricte opposition entre sphères religieuses et activités ou intérêts économiques n’a pas de sens pour les terrains d’études ici envisagés. L’enjeu consiste bien plutôt à analyser dans quelles configurations précises s’établissent les rapports entre les deux domaines. Que ces rapports puissent être tendus, marqués par bien des antagonismes, va de soi. Mais existent aussi les connivences, et, quant aux tensions, il est évident qu’en temps normal, elles ne sont pas sans accommodements ; accommodements qu’il vaut la peine d’étudier tout autant que les antagonismes qui les font naître.

Économie et pèlerinage

  • 22 Jean-Claude Schmitt, « Présentation », in Id. (éd.), Les saints et les stars. Le texte hagiographi (...)
  • 23 Alphonse Dupront, « Pèlerinages et lieux sacrés », in Id., Du sacré. Croisades et pèlerinages. Ima (...)
  • 24 Pour des contre-exemples - de la monnaie vénérée comme relique, les pièces d’argent reçues par Jud (...)
  • 25 Pour une analyse différenciée, voir Dominique Julia, « Pour une géographie européenne du pèlerinag (...)
  • 26 Voir les différentes contributions à la section « Mobilità e migrazione. Persecuzione, pellegrinag (...)

10Une première partie du livre est consacrée à ces lieux de dévotion par excellence que constituent les pèlerinages – « parcelles de l’au-delà » dans l’ici-bas, grâce aux corps saints vénérés22 –, lieux qui pourraient sembler représenter le sacré à l’état pur23. Pourtant, s’il est rare que l’argent même y devienne un objet de vénération24, la vie des sanctuaires implique inévitablement d’importants aspects économiques, par la nécessité de faire vivre les religieux gérants des cultes, par l’entretien, voire l’agrandissement et l’embellissement des locaux, et non en dernier lieu par les besoins d’accommodation et de consommation – matériels et spirituels – des pèlerins ; ceux-ci peuvent se compter annuellement en milliers, voire dizaines de milliers de personnes pour les pèlerinages les plus populaires (pour ne pas parler des masses encore plus impressionnantes arrivant à Rome lors des années saintes25). Aussi, il n’y a pas de doute que ces lieux sacrés peuvent parfois contribuer de façon sensible au développement économique des espaces environnants26. Les pèlerinages, en effet, du moins ceux d’une certaine importance, attirent rapidement une population artisanale et commerçante qui, le plus souvent laïque, vit très majoritairement, quoique parfois seulement de façon temporaire, des revenus résultant de l’afflux des voyageurs par dévotion.

11Les contributions rassemblées dans cette section nous font rencontrer toute une gamme de tels lieux, depuis les grands sanctuaires d’envergure internationale (Lorette, Montserrat, La Mecque) jusqu’à ceux d’importance plutôt modeste, en passant par des pèlerinages de rayonnement (supra-) régional, voire national (Saint-Claude en Franche-Comté, Notre-Dame de Liesse). Au-delà de leur rayonnement divergent, ces lieux de pèlerinages sont marqués par d’autres différences, aux implications économiques fortes. Avec le culte du Saint-Suaire à Besançon, étudié par Patricia Subirade, nous sommes en présence d’un sanctuaire florissant en ville, au sein d’une économie urbaine bien développée, alors que la plupart des sanctuaires – à l’instar de Saint-Claude, pèlerinage que l’auteur compare au précédent – éclorent plutôt dans un environnement campagnard où la majorité de la population artisanale et commerçante vit essentiellement des attraits du lieu sacré. Il est vrai que certains de ces sanctuaires, « à succès », peuvent s’agrandir de façon spectaculaire et devenir à leur tour de véritables centres urbains, avec, en apogée, cette « ville sanctuaire », étudiée par Marco Moroni, qu’est Notre-Dame de Lorette depuis le XVIe siècle, et qui, contrairement aux tendances démographiques générales, ne cesse d’augmenter sa population encore tout au long du siècle suivant.

12Retenons trois champs d’investigation, qui, emblématiques des rapports que nouent économie et dévotions dans ces lieux, sont abordés, à des degrés certes variables, par l’ensemble des contributions. Au-delà des revenus immédiats du sanctuaire et de ses gérants, il s’agit de considérer le commerce qui s’implante dans ces lieux, de façon temporaire (les foires) ou stable, avant de se tourner vers les biens mis en vente – leur nature, leurs modes de production, leur diffusion et consommation.

13Un premier terrain d’enquête concerne donc les revenus des sanctuaires, leur nature et leur évolution. Marco Moroni met l’accent sur cette source principale des richesses de Lorette que constituent les dons laissés par les pèlerins ou par d’autres bienfaiteurs issus de la saniorpars de toute l’Europe catholique. Thomas Julien aborde, quant à lui, une autre source de revenus, cette variante des dons que certains sanctuaires – à l’instar de Notre-Dame de Montserrat en Catalogne, objet d’étude de l’auteur – recevaient au moyen des quêtes mises en place dans différentes régions, proches ou éloignées du lieu sacré. Dans les deux cas, économie et dévotion sont les plus étroitement liés, puisque la source de revenus pour les uns – les donataires – représente une forme de piété pour les autres. On ne s’étonnera donc pas que M. Moroni voie dans ces séries de données une source permettant de saisir, à l’instar des testaments, l’évolution des « mentalités ». Le plus ou moins grand succès de ces mobilisations d’aumônes, que Thomas Julien mesure par échantillons pour la France du XVIIe siècle, permet de cerner d’une autre façon le rayonnement du culte dans l’espace et dans le temps (rayonnement analysé, le plus souvent, par l’afflux et l’origine des pèlerins) ; saisi dans la longue durée, il donne une idée claire, en termes de revenus, des temps forts et faibles des lieux sacrés.

14Il n’est pas rare que des dons importants aillent au profit d’un culte en proximité plus ou moins immédiate avec le moment de son « invention » ; c’est en tout cas une condition sine qua non de sa consolidation. On le voit à Vico (près de Mondovi, dans les territoires de la maison de Savoie) où le sanctuaire, qui s’établit suite à une série d’apparitions mariales spectaculaires en 1595, et à l’afflux massif des pèlerins, reçoit rapidement des dons d’argent à une hauteur impressionnante, guère ré-atteinte dans les décennies qui suivent, mais sans aucun doute suffisante pour fonder le culte de façon stable. L’élan fulgurant initial de certains sanctuaires n’empêche pas que d’autres sont marqués par une croissance continue qui atteint son apogée longtemps après la fondation du culte. Naturellement, ce n’est pas un hasard si, à Lorette, où l’on constate ce dernier phénomène, l’apogée se situe au début du XVIIe siècle, période marquée par une Contre-Réforme en pleine expansion qui constitue aussi l’arrière-fond du démarrage exponentiel du sanctuaire à Vico. En revanche, au XVIIIe siècle, bien des cultes connaissent un certain déclin.

  • 27 Des phénomènes analogues se notent bien entendu en Occident (voir D. Julia, « Pour une géographie (...)

15Dans le cadre de ces tendances générales, hausses et baisses, irrégulières et partielles, sont le plus souvent dues à la conjoncture guerrière, ces temps de crise limitant nettement l’afflux des pèlerins, et par là même l’afflux des dons. Ce d’autant plus que les dévots qui viennent quand même ont sans doute tendance à modérer leurs dépenses, comme le suggère Suraiya Faroqhi pour le pèlerinage de La Mecque aux XVIIe et XVIIIe siècles, confrontée qu’elle est à des témoignages très divergents concernant l’offre de même que le nombre et l’importance des souvenirs remportés par les pèlerins. Il semble en effet probable que les « butins » moins élevés sont principalement remportés pendant les périodes de crise auxquelles est sujet, régulièrement, l’Empire ottoman27.

  • 28 Pour une analyse différenciée, voir D. Julia, « Pour une géographie européenne », art. cit.

16Des temps forts ou faibles des sanctuaires, en fonction de l’afflux des pèlerins d’abord, et par conséquent du point de vue économique, s’enregistrent également à l’intérieur de chaque année. Ces fluctuations saisonnières peuvent être tributaires des aléas de la pluie et du beau temps, mais elles obéissent aussi aux rythmes imposés par le calendrier liturgique. Le hajj à La Mecque n’attire les fidèles principalement que pendant trois ou quatre mois de l’année. Le pèlerinage de Rome s’effectue pendant toute l’année mais connaît des temps forts notamment lors des grandes fêtes religieuses, en particulier à Pâques. Les sanctuaires individuels sont le plus massivement fréquentés lors de la (ou des) fête(s) du saint vénéré28.

  • 29 Voir infra, pour la contribution d’Emma Aubin-Boltansky.
  • 30 A. Dupront, « Pèlerinages et lieux sacrés », art. cit., p. 408-409 (pour la citation, p. 409).
  • 31 Voir L. Fontaine, Le Marché, op. cit., p. 49.

17Paolo Cozzo et Alice Raviola attirent l’attention sur la fréquente coïncidence de ce dernier type de fêtes avec les foires. Le phénomène se rencontre également au sein d’autres cultures religieuses, comme le montre en passant la contribution de S. Faroqhi pour les pèlerinages en terres d’Islam, ainsi qu’à d’autres époques29, et il mérite ainsi pleinement le statut d’élément quasi archétypique qu’Alphonse Dupront donne, dans ses analyses d’anthropologie historique consacrées au fait pèlerin, à « ce schéma tripartite : pèlerinage, fête profane, foire30 ». En Occident, cette proximité se traduit aussi par les termes en usage : « Messe », en allemand, désigne à la fois le service de Dieu et la foire ; en français, « foire » et « fête » dérivent du même terme latin (feria)31.

  • 32 Pour une analyse plus étendue du phénomène, du point de vue de l’histoire du marché, voir ibid., p (...)

18Ce lien étroit est facile à saisir, mais n’est pas pour autant automatique. Les sanctuaires attirant les foules, il peut paraître normal que le potentiel commercial ainsi constitué incite non seulement certains artisans-commerçants à s’installer de façon durable auprès des lieux sacrés mais aussi à faire coïncider les temps forts du pèlerinage avec ceux du commerce, donc avec les foires32. Ce d’autant plus que, de la part des pèlerins, cette coïncidence pouvait sans doute renforcer les aspects festifs du séjour au lieu sacré – nous y reviendrons encore –, alors qu’inversement, les foires pouvaient bénéficier de la tutelle du saint vénéré (en adoptant souvent aussi son nom). Ce processus associatif est bien illustré par le culte naissant à Vico où il faut seulement quelques années pour rapprocher au maximum les deux phénomènes en question : la foire de Mondovi, jusque-là tenue en novembre, finit par se déplacer à Vico où elle a lieu au temps fort du nouveau pèlerinage, à la fête de la Nativité de la Vierge, au début du mois de septembre.

19Les processus de ce type ne sont toutefois pas contraignants. La concomitance entre foires et temps forts d’un pèlerinage ne se trouve pas partout. C’est qu’elle se négocie entre plusieurs partis – les religieux gestionnaires du culte, l’ordinaire, les corporations, les autorités civiles – aux intérêts divergents, intérêts qui peuvent de plus se modifier dans le temps. Les liens en question, en d’autres termes, peuvent aussi se défaire. L’époque de la Contre-Réforme est sans doute prolixe en créations de ce type. Et encore, ce n’est sans doute pas sans faire des victimes : le nouveau culte à Vico n’aurait-il pas rendu caduque une « liaison » plus ancienne de la foire de Mondovi ? À des époques marquées par une (relative) perte d’importance du religieux, les choses vont tendanciellement dans le sens inverse : les concomitances, parfois très anciennes, se défont plus fréquemment, en vertu d’autres priorités ; il en va ainsi notamment pendant la deuxième moitié du XVIIIe siècle. Retenons enfin que, lorsque le rapprochement a lieu, ce n’est pas toujours pour faire profiter les foires de l’afflux des pèlerins, comme le suggérait l’exemple de Vico ; il arrive aussi que ce rapprochement soit fait pour en faire bénéficier, prioritairement, le lieu de pèlerinage, en pleine dépression économique, comme on le voit à Saint-Claude au milieu du XVIe siècle, le commerce y étant, comme le formule une supplique adressée à Charles Quint en 1550, « fort diminué et quasi anéanti à cause des hérésies luthériennes et autres divisions en la sainte religion chrétienne ».

20Les rapports que nouent les sanctuaires et « leur » population artisanale-commerçante, installée sur place de façon durable, peuvent s’envisager de façon analogue, à cela près que dépendances et connivences sont ici probablement bien plus fortes que dans la liaison entre fêtes et foires. Ce qui, bien entendu, n’exclut pas les conflits. Notamment dans les phases de réforme religieuse, la volonté de purifier les cultes de toute influence mondaine incite les autorités religieuses à chasser les marchands du temple. En réalité, ce dernier geste ne s’accomplit jamais sans accommodements. L’enjeu est normalement celui d’établir une certaine distance entre le lieu sacré et les activités commerçantes, à l’instar de ce que l’on observe encore à Vico où l’évêque interdit très vite la vente de « quoi que ce soit » en proximité de l’Église ; sont exemptés de la règle « des objets de dévotion et des aliments », quoiqu’à condition, là encore, « de les vendre à une certaine distance ».

  • 33 Cf. W. Schmid, « Wallfahrt und Wirtschaft », art. cit., p. 61-62.

21Il est tout aussi typique que les solutions adoptées ne soient pas sans établir des espaces commerçants intermédiaires – calés, pour ainsi dire, entre le sacré et le « purement profane » – espaces définis par la nature des produits à vendre de façon légale mais souvent aussi par celle des vendeurs. Il n’est pas rare, en effet, de voir réserver cet entre-deux aux gérants du culte eux-mêmes. Chemin faisant, ceux-ci peuvent s’assurer d’autres avantages économiques, depuis le monopole de production de certains produits phares du commerce des dévotions jusqu’à la location des boutiques les plus proches du sanctuaire. Comme dans le cas des foires, les autorités civiles s’ingèrent volontiers dans ces affaires. Elles peuvent négocier la délimitation de l’espace commercial réservé aux gérants du culte, mais interviennent surtout à propos de l’organisation interne du monde commerçant laïc, lorsqu’il s’agit par exemple d’arbitrer la distribution des boutiques entre différents concurrents, et surtout afin de réglementer la production et la vente des marchandises. À Lorette, comme ailleurs, elles sont parfaitement conscientes, en effet, qu’une prolifération de fraudes entraînerait nécessairement une perte de prestige du sanctuaire, avec des conséquences immédiates pour les « affaires » et donc pour le bien-être de la population sur place. D’où également ces ensembles de mesures, édictés, depuis le bas Moyen Âge, pour régler l’afflux des pèlerins (Pilgerordnungen), tels qu’on les trouve par exemple pour les grands pèlerinages urbains de la Rhénanie (Aix-la-Chapelle, Cologne, Mayence, Trêves), mesures qui concernent autant la sécurité que la propriété publiques, mais visent aussi à protéger les pèlerins du danger d’être escroqués par des prix exorbitants33.

22Les marchandises produites et vendues autour de ces lieux sacrés, les services qui y sont offerts, ne sont pas, à vrai dire, d’une variabilité infinie – même en élargissant le point de vue en direction d’une approche d’anthropologie religieuse comparative. Elles peuvent toutefois faire preuve d’une inventivité remarquable : à côté des denrées alimentaires et de leurs « salles de vente » (des boutiques aux tavernes), auxquelles il faut ajouter les hôtelleries, ainsi que les services des cordonniers pour ces marcheurs qu’étaient essentiellement les pèlerins, il s’agit de faire état surtout des produits propres au tourisme religieux, depuis les chapelets – produits en masse au sein des lieux sacrés des pays catholiques, tout comme un certain nombre d’autres objets (ou matières : encens et cires) – jusqu’aux reliques, indirectes et donc reproductibles quasiment à l’infini, comme l’eau sacrée distribuée à La Mecque mais aussi à Liesse (l’eau d’une fontaine miraculeuse), comme les particules de toile noire couvrant la Ka’ba ou, à Lorette, les « minuscules morceaux du voile noir avec lequel on couvrait la statue de la Madone le jour du vendredi saint » (M. Moroni). Il faut compter également sur les médailles, plaquettes et autres souvenirs, de même que sur une gamme toujours grandissante de textes imprimés (guides de pèlerins, histoires du sanctuaire, livres de miracles) et de gravures (les images pieuses, comme celles représentant, à Lorette l’histoire de la translation miraculeuse).

  • 34 Pour un portrait général, voir L. Fontaine, Histoire du colportage en Europe (XVe-XIXe siècle), Pa (...)

23S’observent toutefois, pour ces produits, des modes de production assez divergents selon les lieux. Alors qu’à Liesse, celle-ci reste largement artisanale, à Saumur, auprès du sanctuaire de Notre-Dame-des-Ardilliers, prédomine, comme le montre Bruno Maes, une économie aux traits proto-industriels qui, par conséquent, est orientée vers l’exportation de ses produits. Le succès que connaît cette production n’équivaut pas pour autant à un bien-être de ceux qui y travaillent, ou, plutôt, la pyramide sociale y est plus prononcée qu’ailleurs : quelques marchands très riches contrastent avec des mains d’œuvres et des petits boutiquiers souvent analphabètes et aux revenus très modestes. L’artisanat traditionnel actif à Liesse, mieux formé, paraît bien plus aisé. Cela dit, il semble bien que, plus généralement, le commerce des dévotions n’a pas été particulièrement enrichissant pour la plupart de ceux qui s’y mettaient – on le voit à Lorette, et aussi à Saint-Claude, où l’on trouve, comme à Saumur, des modes de production proches du domestic system et où la plupart des artisans-commerçants résidant sur place sont assez pauvres. Ici comme ailleurs la tendance se renforce au cours du XVIIIe siècle. Autre indice de cette relative précarité : beaucoup de ces boutiquiers font leur activité en heures supplémentaires, pour ainsi dire, ou seulement dans les périodes les plus propices au pèlerinage, alors qu’ils exercent par ailleurs une autre profession. À moins qu’il s’agisse de colporteurs, groupe il est vrai important, quoique difficile à saisir avec précision, au sein de la population commerçante fréquentant les sanctuaires34.

  • 35 Il est vrai que ce commerce a pu être animé à son tour par les pèlerins se rendant depuis l’Inde à (...)

24Ces modestes conditions n’empêchent pas que les produits eux-mêmes puissent connaître une diffusion importante, en fonction du rayonnement du sanctuaire. Si les chapelets fabriqués à Saumur sont exportés à Liesse en Picardie, ou à Sainte-Anne-d’Auray en Bretagne, les données les plus impressionnantes nous sont sans doute livrées par le pèlerinage à La Mecque dont les souvenirs emportés par les pèlerins à Istanbul, à Damas ou au Caire, et de là jusque dans les périphéries de l’Empire ottoman, ne sont pas uniquement produits aux alentours de La Mecque mais peuvent venir de loin. C’est le cas par exemple de ces tasses de café, dont fait mention Suraiya Faroqhi, vendues dès le XVIIe siècle à la Ka’ba mais venues probablement, à travers l’océan Indien et la mer Rouge jusqu’à Djeddah et, de là, à La Mecque, depuis la Chine. Voilà comment le commerce des dévotions se transforme en histoire connectée – et mêle en même temps objets de dévotion à proprement parler et réjouissances plus mondaines35.

  • 36 Voir, par exemple, le recensement de tels souvenirs par Heidrun Kreutzer et Michael Matheus, « Unt (...)
  • 37 Voir J. Tripps, « Pilgerfahrten », art. cit., p. 177 et 180 ; pour des importations bien plus préc (...)

25Toutes proportions gardées, il n’est pas impossible de trouver des phénomènes analogues en Occident – le plus immédiatement par le biais des pèlerins se rendant en terre sainte. Pèlerins qui – on le sait pour le bas Moyen Âge – rapportent depuis Jérusalem non seulement des reliques, parfois précieuses, mais le plus souvent reproductibles et reproduites en masse, comme l’eau du Jourdain (sanctifiée par le baptême du Christ) ou des pierres du mont Sinaï36. Ils amènent aussi des matériaux (des verres de Syrie, par exemple) ou des objets rares – sorte de mirabilia, comme les œufs d’autruche, les noix de coco ou des coquilles précieuses, qui après l’arrivage en Europe (et avant qu’ils peuplent les cabinets de curiosité de l’époque moderne) sont transformés en reliquaires ou objets liturgiques, parfois d’ailleurs après des premiers usages bien plus mondains. Il est vrai que les pèlerins ne sont pas les seuls à importer ces objets en Occident. Ces derniers arrivent aussi par les flottes de commerce génoises et vénitiennes, et à certains moments, les ordres militaires, sur l’île de Rhodes, en authentiques chevaliers de la noix de coco (chers à Monty Python), en font également le commerce37.

26Les espaces commerciaux érigés par certains des sanctuaires abordés dans ce volume ne sont guère moins impressionnants. Dès le XVe siècle, l’argent, le plomb, l’étain et la cire, travaillés à Lorette, sont importés depuis les Balkans (au XVIe, quant à l’argent, depuis l’Allemagne), alors que les produits finis se diffusent (selon un rapport du début du XIXe siècle) dans toute l’Europe catholique. Dès le XVIe siècle, certains auteurs prétendent que les chapelets de Saint-Claude « s’exportent dans le monde entier », tout comme les patenôtres, qui, produits au même endroit, sont probablement ceux « distribués par Jacques Cartier en 1535 aux Iroquois » (P. Subirade). Au XVIIIe siècle, la matière première des chapelets fabriqués à Saumur est le bois de coco importé en France via Nantes, et une partie de la production retourne aux Amériques. Les fabricants saumurais devinaient-ils qu’ils se faisaient ainsi – du moins pour la matière première utilisée – les lointains héritiers des pèlerins en terre sainte, voire des chevaliers de Saint-Jean ?

Dévotions « ordinaires »

27Une telle circulation d’objets de dévotion, ou de matériaux nécessaires à leur production, concerne aussi la deuxième partie du livre, orientée davantage vers des phénomènes plus ordinaires sans doute, plus proches en tout cas de la vie religieuse de tous les jours. Là encore, et à plus forte raison, nous sommes en présence d’un marché de masse ; il suffit de penser à tout ce qui est support du quotidien liturgique, l’ensemble des objets et matériaux nécessaires pour l’exercice des cultes, qu’il s’agisse des vêtements liturgiques ou du vin de messe. Ou encore de la cire qui, naturellement, ne se trouve pas seulement « exaltée » dans les pèlerinages, mais est devenue plus généralement, dès la fin du XVIe siècle, « objet de commerces très lucratifs le long des routes internationales » (Rita Mazzei). Aussi, en Italie, un certain nombre de villes, notamment en Toscane, comme Lucques et surtout Pise, se mettent-elles de façon résolue, à ce moment, à blanchir la cire, là encore non en dernier lieu afin d’en exporter le produit fini (via Livourne) aux Amériques. La conjoncture spirituelle n’est donc pas sans modifier les activités commerçantes, et il est clair qu’en pays catholique, le climat de la Contre-Réforme a dû être particulièrement stimulant de ce point de vue. Les contributions de cette section, concernant toutes, en partie ou intégralement, cette époque, en rendent compte à leur façon.

28Il vaut la peine, dans un premier temps, de regarder de près les modalités mentales qu’impliquent de tels changements. À Lucques, haut lieu du commerce en Toscane, et terrain d’études de Rita Mazzei, l’influence du nouveau climat peut paraître d’autant plus surprenante que la ville a longtemps été soupçonnée d’être l’un des foyers les plus prononcés de l’hérésie protestante en Italie. L’adaptation n’est pas moins réelle mais elle s’opère en restant tout de même fidèle aux traditions lucquoises. La production de cire, en effet, n’est pas la marque distinctive des activités économiques de la ville ; c’est bien davantage la production textile, notamment celle de toiles précieuses. La fondation, dès le dernier quart du XVIe siècle, d’une société prêtant de tels tissus pour les cérémonies mortuaires promues par la Contre-Réforme peut donc paraître parfaitement emblématique du climat en mutation : le commerce commence à s’adapter aux circonstances. La donnée partielle, quasi anecdotique, est corroborée par d’autres voies, plus intimes. Si l’élite marchande ne perd pas ses habitudes peu favorables à l’ostentation des richesses, se multiplient en revanche, dans les testaments, les legs au bénéfice des riches églises baroques de la ville – legs qui se font en nature, sous forme de toiles précieuses, précisément, en particulier de tissus en soie (brocarts, damas, satins). « Sacrifiées », ces matières, qui fondent la richesse de la ville, ne sont-elles pas, par là même, rapprochées de l’aura du sacré ?

  • 38 Voir sur ces processus, D. Julia, « La réforme post-tridentine en France d’après les procès-verbau (...)

29Parmi les supports du quotidien liturgique, les œuvres d’art occupent naturellement une place de choix, et il va de soi que la conjoncture spirituelle a un impact décisif sur leur production. Or cette influence, comme le montre Joëlle Guidini-Raybaud, ne va pas toujours dans le sens d’une hausse de la productivité ; parfois, on assiste à des effets contraires. C’est le cas de l’artisanat du vitrail qui, en Provence, comme dans d’autres régions de la France, connaît un déclin certain précisément pendant la Contre-Réforme. Dans de très nombreuses églises, en effet, le vitrail en couleur se trouve progressivement remplacé, à cette époque, par des simples vitraux en blanc, bien plus faciles à produire. Les raisons de ce processus, qui entraîne la quasi-disparition d’un art en pleine éclosion à la fin du Moyen Âge et jusqu’aux années 1540, sont sans doute d’abord de nature économique : les prix montent de façon considérable au cours du XVIe siècle, et choisir des vitres blanches, c’est donc opter pour des coûts moins chers. Est-ce se tromper que de croire que le même choix rend aussi hommage aux guerres de religion (des protestants « casseurs » (iconoclastes) étant fort répandus notamment en Provence, alors que les représentations de saints étaient les plus fréquentes sur le vitrail traditionnel en couleur)38 ? Toujours est-il que la tendance au blanc reste dominante au XVIIe siècle, ce qui amène l’auteur à voir la cause principale du changement dans les choix idéologiques de la Contre-Réforme elle-même : « L’église devient en effet le moyen privilégié d’enseignement, avec le livre et le retable pour pièces maîtresses », objets dont la lecture et la contemplation exigent de la lumière (J. Guidini-Raybaud).

30Blanches, elles aussi, mais de fait le plus souvent « habillées » par la suite, les statues de la Vierge, objet de la contribution de Francesca Fabbri, jouissent d’une fortune tout à fait différente. Ces sculptures de marbre de Carrare, réalisées en série, se répandent en grand nombre en Provence pendant la même période qui voit disparaître l’art du vitrail, et il n’est d’ailleurs pas impossible que les deux processus soient liés. L’on sait que le programme iconographique de la Contre-Réforme met l’accent, généralement, sur l’expression des cultes et dogmes centraux du catholicisme post-tridentin, ce qui implique la tendance à écarter d’autres cultes, plus marginaux. Le blanchissement des vitraux, que l’on observe surtout pour les baies de nef (alors que celles des absides restent plus souvent intactes), peut correspondre précisément à cette tendance, ou du moins à celle de diriger l’attention sur les doctrines essentielles exprimées par l’équipement liturgique et artistique du maître-autel (et d’autres points centraux de l’église). Les statues de la Vierge, en revanche, en marbre resplendissant, sont précisément ce qu’il faut pour glorifier l’un des cultes les plus promus par la Contre-Réforme.

31Conquérant, l’art des sculpteurs l’est aussi d’un autre point de vue qui implique doublement le commerce. Jusqu’au milieu du XVIIe siècle, en effet, les statues sont produites en série par des artistes génois, puis importées en Provence, mouvement qui profite largement des liens commerciaux étroits existant depuis longtemps entre les deux régions. De plus, il est assez fréquent que des riches marchands, dont notamment certains engagés dans les relations commerciales avec la Ligurie, soient eux-mêmes les donateurs de ces objets, ce à l’intérieur d’une dévotion particulièrement tournée, semble-t-il, vers certains ordres religieux, en particulier celui des capucins.

32L’on sait à quel point le livre religieux a été prépondérant dans la production d’imprimés jusqu’au XVIIIe siècle, et il a par là même une place tout aussi importante au sein des objets constitutifs du commerce des dévotions. Il est donc normal qu’une contribution de cette section soit consacrée à ce sujet. L’étude de Véronique Sarrazin a pour objet une publication qui, de caractère quasi périodique, permet d’être analysée dans la longue durée : publié pour la première fois à Paris en 1640, l’Almanach spirituel [...] à l’usage des personnes dévotes prend donc son essor à l’époque de la Contre-Réforme, mais continue d’être publié jusqu’en 1775. Il est vrai qu’il ne s’agit pas d’un livre de dévotion à proprement parler ; en revanche, il a pour vocation d’informer le lecteur de l’ensemble des fêtes et cérémonies religieuses ayant lieu dans la capitale pendant l’année en cours.

33L’almanach nous rapproche ainsi du quotidien des dévotions, comme le fait également Fabienne Henryot analysant la quête franciscaine en Lorraine au XVIIIe siècle. Certes, on n’a pas affaire ici à des commerçants-artisans cherchant à vendre leurs produits. « La quête garde encore les dehors d’un échange dans lequel chaque partie en présence est engagée par un don et un avoir, sur le plan matériel comme sur le plan spirituel. » Dans ce cadre toutefois les marchandises circulent en bon nombre puisque les aumônes ne s’obtiennent pas seulement en vertu des services offerts par les franciscains en termes de prédication. Celles-ci ne sont pas sans contredon, le plus souvent sous forme de ces objets de dévotion par excellence, déjà croisés à propos des pèlerinages, que sont chapelets, rosaires, croix, images et reliquaires, objets que les quêteurs contribuent à faire circuler massivement. Ce qui n’empêchera pas les détracteurs du mouvement de dénoncer violemment les pratiques de la quête.

Conflits et accommodements

34Les contributions précédentes nous ont montré bien des convergences entre le monde de l’échange et celui des cultes. À d’autres occasions toutefois les deux secteurs sont caractérisés par une coexistence qui n’équivaut guère à l’entente fraternelle ; des tensions, voire des conflits ouverts, se produisent souvent, les pratiques du négoce transgressant facilement les normes dévotionnelles, les exigences spirituelles pouvant bloquer les activités commerciales. Voilà le sujet de la troisième partie du livre, avec, au centre de l’attention, trois phénomènes particuliers : les formes de délinquance économique ; la délimitation des espaces et des temps – sacrés ou profanes ; les conditions de circulation entre les frontières religieuses.

  • 39 Pour un exemple, voir Ernst Schubert, « Der berühmteste Kirchenraub der deutschen Kriminalgeschich (...)
  • 40 Pour la fréquence du phénomène, voir le volume récent Fraude, contrefaçon et contrebande, de l’Ant (...)

35On ne s’étonnera pas qu’un premier ensemble de conflits concerne le domaine de l’illicite, depuis le brigandage et le vol jusqu’aux diverses formes de criminalité économique. Ces phénomènes sont, en effet, omniprésents dans les différents champs d’activité étudiés. Il est vrai que le vol organisé d’objets de piété précieux, brillant parfois par des coups spectaculaires, n’est pas documenté dans nos contributions39. L’on constate l’inverse notamment pour les fraudes40. Qu’il s’agisse d’agents non légitimés de la quête, comme on les voit à l’œuvre à propos de Notre-Dame de Montserrat, ou de commerçants vendant les contrefaçons de reliques et d’autres marchandises non conformes aux normes requises (comme à Lorette), voire carrément volée (comme à Saint-Claude), ces pratiques sont combattues avec force (mais pas toujours avec beaucoup de succès) par les autorités en jeu parce qu’elles compromettent la pureté des cultes ; compromission d’autant plus gênante, en pays catholique, que les protestants ne cessent de dénoncer ces derniers comme étant frauduleux par essence. Dans le domaine des dévotions, la fraude, en d’autres termes, équivaut à une offense divine, et il n’est pas rare qu’en pays d’inquisition celle-ci se charge elle-même de la poursuite des malfaiteurs, soupçonnés d’hérésie.

  • 41 Voir, à titre d’exemple, Massimiliano Ghilardi, « Il vescovo, il pittore e le reliquie. Carlo Basc (...)

36Naturellement, ces incriminations obéissent aussi à des objectifs économiques. Elles cherchent à éviter des nuisances pour le commerce local, et servent à la défense des privilèges, ce qui à Lorette, par exemple, mène, dès le XVe siècle, aux tentatives de limiter l’accès d’un artisanat « étranger » à la production et à la vente d’objets de piété. À Vico, l’évêque interdit très vite après la naissance du culte tout le commerce ambulant, c’est-à-dire « de “vaguer” pour vendre des images en cire, des vœux et des bougies » (P. Cozzo/A. Raviola). Aussi l’on comprend que le combat des déviations commerçantes se confond en bonne partie avec celui du vagabondage, dont les protagonistes sont volontiers perçus comme les fraudeurs par excellence dans le domaine du sacré. Dans sa contribution, l’auteur de ces lignes montre à quel point les impostures de ce type constituent un véritable topos, formé pendant les derniers siècles du Moyen Âge, mais qui dénote aussi un champ d’action, en pleine exaltation dans l’Europe catholique de l’époque moderne, comme le montrent précisément les archives de l’Inquisition romaine. En réalité, les fraudes de ce type trouvent leurs auteurs (et, parfois, les commanditaires !) à tous les étages de la société. Avec la Contre-Réforme, le commerce des reliques, par exemple, est de nouveau une affaire fort lucrative, et pour cette époque les témoignages ne sont pas rares qui attestent l’existence de vrais « professionnels » versés dans la mobilisation-distribution de corps saints, et qui, dans la meilleure tradition des furta sacra, ne reculent pas, à l’occasion, devant le vol pour satisfaire les besoins dévotionnels ou les passions de collectionneur des puissants41.

  • 42 Voir, sur ce point, par exemple, John Mcmanners, « Voltaire and the monks », in Monks, hermits and (...)

37Il est vrai que jusqu’à la veille de la Réforme protestante, les clercs eux-mêmes constituaient, à côté des pauvres, un deuxième potentiel d’acteurs régulièrement soupçonnés de pratiquer les fraudes de ce type. La Contre-Réforme cherche naturellement à effacer cette image – c’est à la limite le « faux clerc » qui trouve sa place parmi les malfaiteurs – mais le topos reste vivant grâce aux polémiques protestantes et se voit revivifié au XVIIIe siècle lorsqu’à celles-ci s’ajoute la critique de l’inutilité des cultes avancée par les hommes des Lumières42. On le voit à propos de la quête franciscaine, étudiée par Fabienne Henryot, puisque, sans méconnaître les ennuis créés par les fraudes classiques, commises par une concurrence jugée illégitime, la pratique se voit aussi discréditée elle-même par les critiques « éclairées » qui tendent à la confondre avec les activités de mendiants ordinaires.

  • 43 Alain Cabantous, Entre fêtes et clochers. Profane et sacré dans l’Europe moderne XVIIe-XVIIIe sièc (...)

38Si les fraudes entrent dans notre interrogation en tant que transgressions de pratiques en principe légitimes, bien des conflits font apparaître des contradictions plus immédiates entre exigences religieuses et intérêts commerçants. Elles sont particulièrement nettes aux temps de la Réforme catholique, avec la tendance, propre à ce dernier mouvement, à mieux distinguer le sacré du profane, en purifiant le culte de tout ce qui respirait l’esprit du monde43. L’étude des terrains d’affrontement montre bien toutefois que les oppositions ne sont pas inconciliables, en tout cas à en juger d’après ce qu’on a déjà vu pour les pèlerinages. Les négociations qui s’engagent tournent finalement toujours autour de la question de savoir quelle sera la bonne distance à établir (et à respecter) entre les deux sphères, en respectant donc en quelque sorte les intérêts des uns et des autres.

39Les problèmes se reposent, à plus grande échelle, à propos des dévotions « ordinaires ». Là encore, en effet, intérêts économiques et conceptions religieuses ne sont pas toujours faciles à concilier, et ce en particulier quant au partage de l’espace et à la gestion du temps : dans les villes, la présence des marchés, par exemple, avec le bruit qu’ils produisent, avec les tavernes qui ne sont jamais éloignées, n’est pas sans déranger la « dignité » des églises et des communautés religieuses situées à proximité et la « décence » du culte qui s’y déroule, ce en tout cas selon les normes (en particulier la valeur accordée au silence et au recueillement des fidèles) émises par le Concile de Trente. Les marchés eux-mêmes peuvent être des lieux de « débauches » inacceptables aux yeux des réformateurs. Des conflits analogues concernent le respect des temps forts religieux – le dimanche, jours de fête, période de Carême etc. – les réformateurs cherchant à mettre en avant la sacralisation de ces temps, comme on le voit également auprès des pèlerinages, à Besançon par exemple, où « à la demande de l’archevêque un édit de la ville du 6 juillet 1695 ordonne la fermeture des boutiques le jour de la fête du Saint-Suaire afin de la rendre plus solennelle » (P. Subirade).

40La contribution d’Eric Roulet nous fait rencontrer ces problématiques à propos de la réglementation des marchés dans la Nouvelle-Espagne du XVIe siècle. Les tensions sont ici particulièrement âpres dans la mesure où elles opposent les autorités espagnoles aux marchands indigènes, et celles-ci n’ont guère de compréhension pour les besoins, voire les traditions culturelles des Indiens. La réglementation des marchés fait donc partie intégrante des efforts d’acculturation religieuse de la population autochtone ; efforts freinés toutefois par le fait que les autorités sont bien conscientes de l’importance économique de ces marchés pour la société indigène.

  • 44 Cf. Robert Muchembled, Culture populaire et culture des élites dans la France moderne (XVe-XVIIIe (...)

41Des problématiques semblables ne sont pas inconnues en Occident. Elles ont souvent été posées dans les termes d’une opposition entre religion des clercs et religion populaire. Dans notre contexte, on retrouve cet antagonisme dans l’aversion qu’ont bien des autorités spirituelles contre l’association entre fête religieuse et foire. Ce qui provoque cette aversion n’est pas tant (ou en tout cas pas seulement) la contamination du spirituel par l’intérêt commercial. S’opposent aussi deux conceptions de la fête religieuse, l’une prônant l’ascétisme et le refus du monde, l’autre y intégrant les réjouissances profanes (qu’apportent les foires, par exemple, sous forme des manifestations burlesques et théâtrales qui les accompagnent si souvent44).

  • 45 A. Dupront, « Pèlerinages et lieux sacrés », art. cit., p. 409.
  • 46 Voir la synthèse d’Alain Cabantous, Entrefêtes et clochers. Profane et sacré dans l’Europe moderne (...)
  • 47 Cf. Anne Montenach, « Une économie du secret. Le commerce clandestin de viande en carême (Lyon, fi (...)

42Au temps de la Réforme catholique la première de ces deux conceptions prend sans doute le dessus. Il ne s’agit pas pour autant de sous-estimer les résistances mobilisées par la seconde – que celle-ci prolonge les traditions de la fête profane (chères à Bakhtine) ou dénote l’essence même du pèlerinage, selon les traits qu’en retient Alphonse Dupront : la « société pèlerine », peu tournée vers l’institution ecclésiale, distinguant mal le sacré du profane, n’est-elle pas, dans son essence même, « une société d’assouvissement festif45 » ? Les plaintes des autorités religieuses témoignent, de par leur récurrence même, de ces résistances, classées sous l’enseigne d’une culture (de plus en plus perçue comme) « populaire », fort difficile à discipliner46. Résistances qui peuvent aussi, dès l’aube du XVIIIe siècle, et telles que les observe, par exemple, Anne Montenach à Lyon sous forme d’un marché clandestin de la viande aux temps du Carême, correspondre à des attitudes qui brillent par une certaine indifférence vis-à-vis des impératifs religieux47.

  • 48 Pour une étude de cas illustrant cette tendance, voir A. Burkardt, « Die totgeborenen Kinder von U (...)
  • 49 Voir Christoph Dipper, « Volksreligiosität und Obrigkeit im 18. Jahrhundert », in Volksreligiositä (...)

43Plus on avance au XVIIIe siècle, plus les résistances sont le fait des autorités publiques elles-mêmes qui, au sein de l’Empire, par exemple, s’opposent désormais à un règne « outré » des pratiques dévotionnelles, non seulement afin de combattre des croyances jugées superstitieuses, comme on le voit, dès les débuts du siècle, chez un certain nombre d’évêques48 ; elles le font aussi, et de plus en plus, pour des considérations économiques, en critiquant le trop grand nombre de jours de fêtes, de même que le « gaspillage » que représente le pèlerinage en termes de temps et d’argent (d’autant plus que le numéraire sort, le plus souvent, du pays), bref en soulignant tout ce que les pratiques religieuses comportent de nocif pour l’avancement économique49. Ces autorités reprennent facilement à leur compte les critiques d’un peuple incivil et superstitieux. Mais les cultes critiqués font désormais partie intégrante d’une « religion populaire » à combattre.

  • 50 Voir C. Duhamelle, « Pèlerinage et économie », art. cit., p. 726.
  • 51 Voir ibid., p. 722-723.
  • 52 Rebekka Habermas, Wallfahrt und Aufruhr. Zur Geschichte des Wunderglaubens in der frühen Neuzeit, (...)

44Cette évolution n’est pas sans failles. Dans l’Allemagne catholique, les fondations de pèlerinages s’enregistrent encore en plein XVIIIe siècle, alors que les opposants aux réformes considérées ne cessent de souligner les pertes que l’abandon des pratiques religieuses jugées inutiles représenterait en termes financiers50. Ce qui toutefois semble symptomatique c’est à quel point les débats tournent désormais autour des questions économiques – même chez les apologètes des pratiques dévotionnelles. Les critiques n’ont pas de mal en tout cas à expliquer les nouvelles fondations par la seule volonté de créer des lieux propices à la consommation – en particulier celle de la bière –, volonté émanant surtout des commerçants eux-mêmes, bien souvent à l’origine des initiatives pour créer ces pèlerinages. Faut-il encore s’étonner qu’auprès des sanctuaires, les conflits les plus âpres entre les religieux, gérants des cultes, et les commerçants sur place concernent, là encore, le droit de produire et de vendre la bière51 ? Le débit des boissons serait-il également source d’inspiration puissante des pèlerins à défendre « leurs » pèlerinages ? Voici en tout cas le paradoxe apparent. Pendant longtemps la cible de l’acculturation religieuse, les milieux populaires sont désormais les meilleurs alliés des clercs, défenseurs acharnés jusqu’à l’émeute, des cultes critiqués52.

  • 53 Voir A. Burkardt, Les Clients des saints. Maladie et quête du miracle à travers les procès de cano (...)

45Bien des données que nous venons de croiser pourraient servir à une analyse typologique des conduites et attitudes des consommateurs, et de leurs façons de concilier vie dévotionnelle et contraintes économiques. Là encore, il est clair que, dans la pratique, les deux sphères ne s’opposent jamais de façon manichéenne. Même en pleine Contre-Réforme, à l’intérieur d’une source aussi orthodoxe que les procès de canonisation, par exemple, les conduites et attitudes des dévots ne sont que rarement inspirés d’un pur amour pour les seules occupations dévotionnelles. Bien plus typique peut paraître ce pèlerin, avocat de profession, qui vient rendre ses vœux auprès du tombeau de Marie de l’Incarnation (alias Mme Acarie, morte en odeur de sainteté et enterrée au couvent des clarisses de Pontoise), parce qu’un voyage d’affaire à Paris l’amène de toute manière dans la proximité du lieu. Non moins symptomatiques ces miraculés qui, une fois guéris, mettent beaucoup de temps à venir rendre leur vœu, voire qui, empêchés par les obligations du travail, n’ont jamais trouvé l’occasion de le faire53.

  • 54 Voir, par exemple, A. Esch, « Der Handel zwischen Christen und Muslimen im Mittelmeerraum. Verstöß (...)

46Les différentes attitudes devraient naturellement se différencier selon l’origine sociale des acteurs. De même, il serait normal de passer ensuite des consommateurs aux acteurs des deux champs, en prenant en considération notamment les commerçants. C’est précisément ce que fait l’objet de la quatrième section de ce livre. Cependant, le sujet est déjà présent dans un dernier champ de conflits récurrents. Les études présentées jusqu’ici se sont très majoritairement situées, en effet, à l’intérieur d’une seule confession (ou religion). Or il est évident que le potentiel de tensions risque d’augmenter sensiblement si les relations commerciales concernent des espaces et/ou des acteurs appartenant à des confessions/religions divergentes. Que se passe-t-il, par exemple, lorsque des matériaux nécessaires aux cultes doivent être importés depuis, ou en passant par, les terres occupées par les « infidèles » ou par « l’hérésie54 » ? Comment font notamment les minorités religieuses aux cultes clandestins pour s’approvisionner de ce qui leur est nécessaire pour le maintien de ces derniers ?

  • 55 Voir la problématisation du sujet par Peter Schmidt, « Fernhandel und römische Inquisition. “Inter (...)
  • 56 Là encore, la problématique a été particulièrement étudiée pour les pays d’inquisition ; voir Isab (...)

47La question débouche très vite sur celle des intermédiaires, officiels ou clandestins, et par là même sur celle des marchands circulant entre les frontières religieuses. Elle a engendré, dans ces dernières années, tout un ensemble de travaux stimulants qui ont confirmé tout d’abord la gravité des conflits possibles – ce notamment, en Europe, pendant le premier âge moderne lorsque les monocultures religieuses deviennent une marque presque infaillible de l’ascension de l’état moderne, alors que, parallèlement, les marchands itinérants à longue distance (ou les facteurs en voyage pour des grands négociants) sont des figures de proue du capitalisme commercial prémoderne en pleine expansion55. Naturellement, des problèmes analogues peuvent aussi se poser pour d’autres types de voyageurs, de même que pour ceux qui transforment leur voyage en séjour à durée indéterminée dans le pays parcouru, là encore le plus souvent pour des raisons économiques56.

48Dans sa contribution, Clive Griffin aborde un cas particulier de ce genre, celui des artisans imprimeurs venus en Espagne au cours du XVIe siècle. Majoritairement d’origine française, ces immigrés quittent leur pays d’habitude à cause des difficultés professionnelles qu’ils rencontrent en France, alors que l’Espagne, sous-alimentée en artisans, les attire par ses débouchés et des revenus prometteurs. Depuis les années 1560, ils sont nombreux aussi à fuir les guerres de religion. Seulement, ces ouvriers relativement cultivés, familiarisés d’office avec livres et lectures, ne sont pas sans sympathies pour la Réforme protestante ou évoquent en tout cas irrésistiblement ce soupçon chez les autorités religieuses espagnoles, résolues de tout faire pour empêcher l’infiltration des idées hérétiques dans le pays. Nombreux sont alors ces artisans qui, notamment depuis la fermeture de l’Espagne dès les premières années du règne de Philippe II, connaissent des graves conflits avec l’Inquisition, non sans issue tragique.

  • 57 Voir sur ce point les travaux récents de Guillaume Calafat, Une Mer jalousée. Juridictions maritim (...)
  • 58 Cf. Irene Fosi, « Roma e gli “ultramontani”. Conversioni, viaggi, identità », Quellen und Forschun (...)

49Ces conflits, récurrents pendant de longues périodes de l’époque de la confessionnalisation, ne sont pourtant pas sans accommodements. Les questions de commerce sont trop importantes pour être totalement écartées en vertu des impératifs religieux. Les accommodements peuvent donc se trouver tout au long de la période de façon partielle ; ils se généralisent, grosso modo, à partir de la deuxième moitié du XVIIe siècle (selon les pays, déjà quelques décennies plus tôt), en adoptant, comme forme la plus accomplie, et sous toile de fond des progrès du droit des gens57, les accords commerciaux entre les différents états. En Italie, cela va de pair avec un changement d’attitudes de la papauté face aux étrangers pénétrant le pays : désormais, est visée leur seule conversion grâce aux vertus, aux splendeurs et à la force de conviction du catholicisme romain, sans l’ajout d’autres moyens, coercitifs58.

Réseaux commerciaux et dévotions des acteurs de l’échange

  • 59 Voir Francesca Trivellato, « Juifs de Livourne, Italiens de Lisbonne, hindous de Goa. Réseaux marc (...)
  • 60 Pour Juifs et Arméniens, voir la rapide synthèse de Fernand Braudel, Civilisation matérielle, écon (...)
  • 61 Cf. Religions and trade. Religious formation, Transformation and Cross-Cultural Exchange between E (...)

50Dans ces cadres en mutation, la question des « mentalités » marchandes reste entière. Elle a été reposée par tout un ensemble d’études récentes, dans la lignée des travaux pionniers de Philippe Curtin, pour le commerce entre différentes civilisations (cross-cultural trade59). Déjà Ph. Curtin avait mis l’accent sur l’importance particulière de certains groupes ethnico-religieux investis dans le rôle d’intermédiaires commerçants, tels les Juifs sépharades ou encore les Arméniens (trading diasporas) – ce, bien entendu, basé sur d’importants travaux antérieurs, renouvelés depuis60. Récemment, l’interrogation s’est portée également, sur l’existence de véritables « trading religions », notamment pour les périodes anciennes61.

  • 62 Voir à ce propos, et à titre d’exemple, le dossier d’« un marchand de dentelles des ternes en pèle (...)

51À l’intérieur de l’Occident chrétien, il n’en va pas forcément de même. Selon les contextes, les milieux commerçants peuvent paraître parfaitement « confessionnalisés » — l’intérêt commercial n’y étant pas forcément pour rien. Ces « “marchands” d’animaux, d’huile, de vin, de fromage, de tissus, de toiles » que P. Cozzo et A. Raviola observent parmi les premiers déclarants de miracles suite aux apparitions mariales à Vico (ou parmi ceux à en témoigner), et qui sont sûrement aussi parmi les premiers à en tirer un profit commercial, constituent sans doute un exemple extrême. Cela dit, il vaudrait la peine de s’interroger davantage sur les orientations religieuses de ces commerçants présents auprès des sanctuaires, de même que sur celles des colporteurs (avec lesquels les premiers, en dehors des temps forts du pèlerinage qui les rendent sédentaires, se confondent sans doute parfois). S’agit-il plus régulièrement, comme semblent le suggérer certains exemples, de personnes passant elles-mêmes leur vie comme pèlerins, à cela près qu’elles la « garnissent », de temps à autre, par un petit commerce les aidant à survivre62 ?

52Nous sommes, à l’évidence, dans un tout autre environnement à Lucques où la bourgeoisie urbaine ne se convertit que lentement à l’esprit de la Contre-Réforme, et lorsque c’est chose faite, l’un des signes les plus nets des nouvelles appartenances est de faire don aux institutions religieuses de ces biens – en l’occurrence, les tissus de soie – qui constituent la source de richesse principale de ces commerçants opulents. Quant au rapport entre commerce et dévotion, ce geste est tout à fait évocateur. Ce qui est rachat, d’une part, et don de soi, dans les meilleures traditions bas-médiévales, n’est-ce pas, d’autre part, une attitude proche de celle qui consiste à sacraliser (ou du moins à faire participer de l’aura du sacré) l’objet qui symbolise comme aucun autre l’identité professionnelle des donateurs ?

  • 63 Voir, par exemple, Arnold Esch, « Viele Loyalitäten, eine Identität. Italienische Kaufmannskolonie (...)

53Avec les grands commerçants florentins, étudiés par Angela Orlandi pour un long XVIe siècle, nous voici devant un milieu que l’on dirait spontanément très proche du patriciat lucquois. S’il est vrai que l’ombre de la tentation protestante semble ici faire défaut, cela n’empêche pas ce même milieu de souffrir considérablement des mesures répressives de l’intransigeant pape Paul IV dans le domaine du livre prohibé, et de saluer avec enthousiasme, en décembre 1559, l’élection de Pie IV, beaucoup plus disposé que son prédécesseur à laisser vivre le commerce international. Toujours est-il que ces marchands-banquiers sont sans doute moins troublés par les rapports entre commerce et piété personnelle que leurs voisins à Lucques. Serait-ce parce que les plus hauts prélats de la cour romaine se trouvent parmi leurs fidèles clients dont ils passent leur temps à exaucer les souhaits d’achats (ou de financement) les plus extraordinaires ? C’est sans doute aussi parce que ces grands commerçants trouvent leur identité profonde dans la mémoire familiale, qui dépasse en quelque sorte les disputes à l’ordre du jour, et les plus grands investissements qu’ils font dans le domaine de la piété – sous forme des chapelles privées fondées dans les églises principales de Florence – sont du coup ceux qui servent aussi à exalter cette mémoire63.

54L’inscription dans ces mêmes traditions familiales a sans doute livré également les clés d’une éthique diminuant nettement les scrupules qu’auraient pu créer, chez eux, certaines de leurs activités professionnelles – à commencer par le prêt à intérêt. Une éthique dont la clé de voûte était un idéal d’honnêteté dans les affaires qui justifiait les gains par le risque que prenait le marchand, alors que « l’aumône, tout comme le jeûne » constituaient les moyens principaux permettant « de se “purifier” de ses péchés et de fautes diverses », professionnelles comprises, afin d’éviter le purgatoire. Aussi l’aumône elle-même devait-il se pratiquer de façon honnête, c’est-à-dire discrètement, loin de toute publicité ostentatoire.

  • 64 Voir, pour l’Europe septentrionale, R. Mazzei, Itinera mercatorum. Circolazione di uomini e beni n (...)
  • 65 Voir à ce propos les différentes contributions in Commerce, voyage et expérience religieuse, op. c (...)

55Cela dit, les commerçants italiens, toscans, génois ou vénitiens, ont aussi été les premiers à étendre leurs réseaux commerciaux vers le Levant et vers l’Afrique du nord, de même que vers les pays septentrionaux, et il est assez évident que cela n’aurait pas été possible sans le développement de techniques et d’attitudes adaptées à la communication entre différentes cultures, religions ou confessions64. Il n’en allait sans doute pas autrement dans d’autres hauts-lieux du commerce. La célèbre description de la bourse de Londres au début du XVIIIe siècle dans les Lettres anglaises est sans doute une caricature de telles attitudes. Mais dès le XVIe siècle, en pleine Contre-Réforme, dans les grandes villes commerçantes, à Dantzig ou à Trieste, l’on trouve des attitudes qui, en effet, ne sont pas si éloignées de celles des marchands-banquiers chers à Voltaire, qu’elles soient de nature nicodémite ou irénique, qu’elles laissent transparaître une véritable indifférence vis-à-vis des questions religieuses, ou qu’elles s’articulent, comme à Londres, par une juxtaposition des deux sphères, en séparant soigneusement l’intérêt commercial commun et les convictions religieuses, vécues dans le for privé65. Voici, par exemple, comment le nonce de Vienne, en 1622, caractérise les habitants de Chiavenna (et des environs), de langue italienne mais vivant sous un régime qui leur garantit la liberté religieuse, habitants qui,

  • 66 Acta sacrae congregationis de propaganda fide res gestas Bohemicas illustrantia, t. I, pars I, ope (...)

« ayant adopté la doctrine de Calvin, depuis ne savent pas comment s’arranger avec les catholiques ni avec les luthériens, ni avec les gens de leur propre espèce [les calvinistes], et comme ils ne savent pas eux-mêmes ce qu’ils sont, ils s’occupent de leur commerce sans beaucoup se soucier de religion66 ».

  • 67 Pour le premier âge moderne, voir, par exemple, les études de Stefan Ehrenpreis, « Protestantische (...)

56De telles attitudes n’impliquaient pas pour autant une diversité religieuse à l’intérieur des réseaux commerciaux mis en place. Encore au XVIIIe siècle, ceux-ci sont le plus souvent caractérisés par des liens mono-confessionnels67. Cela dit, dans de nombreux cas, cette monogamie religieuse n’est que d’apparence. Comme le montre bien Silvia Marzagalli pour la France de cette époque, les échanges avec des partenaires commerciaux appartenant à d’autres confessions ou religions étaient bien plus fréquents, en effet, que le voulait savoir l’historiographie traditionnelle et que voulaient l’avouer sans doute les commerçants concernés eux-mêmes. En réalité, plus un réseau commercial était capable de nouer de tels rapports « trans-confessionnels », ou « trans-religieux », plus grandes semblent avoir été les chances qu’il fonctionne avec succès.

  • 68 Voir A. Burkardt, Les Clients des saints, op. cit., p. 99-139.

57Les contributions précédentes répondaient à la question de savoir dans quelle mesure et comment le monde des affaires a pu se forger des formes de piété spécifiques, ou a su mettre à profit – ou contourner – les appartenances religieuses pour les besoins du commerce. Cependant, le questionnement mérite d’être aussi posé en sens inverse, en se demandant si (ou plutôt dans quelles circonstances) les différentes orientations religieuses ont pu engendrer des attitudes plus ou moins favorables au commerce. Ce en esquissant, par exemple, le cadre d’une éthique propre aux commerçants, éthique dont le respect rendrait licite l’activité professionnelle, désormais conciliable avec les impératifs religieux. Comme le montre Philippe Martin, les tentatives de mettre en place de telles éthiques – versées dans la pratique, loin de la réflexion théologique abstraite – ont bien vu le jour au sein de la Réforme catholique, de façon assez fréquente depuis la deuxième moitié du XVIIe siècle. Elles ont sans doute trouvé leur premier initiateur en France avec François de Sales dont les écrits visaient justement à atteindre un public de dévots laïcs moyens versés dans la vie professionnelle de tous les jours. Nous ignorons si les marchands miraculés à Vico ont pu être infiltrés par l’esprit salésien, ni si c’était le cas d’autres marchands boutiquiers des grands pèlerinages que nous avons rencontrés au cours de cette présentation. En revanche, les témoins du procès de canonisation de l’évêque de Genève correspondent très largement au public considéré ; une très grande majorité d’entre eux est issue d’un juste milieu urbain composé d’artisans et de commerçants68.

58La contribution d’Emma Aubin-Boltansky, présentée en « épilogue », montre bien à quel point bon nombre de problèmes abordés dans ce volume se posent de façon analogue de nos jours encore au sein de certains sanctuaires, comme ceux de l’Église copte orthodoxe en Égypte. À Zaytûn, site près du Caire qui a acquis sa renommée grâce à une série d’apparitions mariales spectaculaires entre 1968 et 1971, le commerce religieux est fort développé, encore en 2007, et les conflits ne manquent pas. Les autorités religieuses, en effet, s’efforcent d’interdire les mawlid, ces fêtes associant étroitement vénération du personnage céleste, fête profane et foire, bien répandues dans la tradition copte. Or ces tendances répressives ne sont pas uniquement dues à une volonté de réforme qui caractérise cette Église depuis les années 1970 et se manifeste, entre autres, dans un combat résolu des « dimensions profanes et ludiques des pèlerinages ». Elles se font de commun accord avec les autorités civiles cherchant à cantonner les minorités chrétiennes dans des espaces contrôlés qui ne débordent pas (ou le moins possible) sur la vie ordinaire de la société égyptienne. Dans ce cadre, le commerce « religieux » (en réalité assez polyvalent) reste d’ailleurs bien présent. Mais strictement limité à des espaces à l’intérieur du sanctuaire, il a beau se justifier, aux yeux des réformateurs, par « l’idée que l’activité commerciale, “impure” et “intéressée” lorsqu’elle se déroulait à l’extérieur devenait au contraire “pure” et “désintéressée” à l’intérieur du périmètre contrôlé par le clergé » ; il n’est pas moins le signe d’une communauté religieuse de plus en plus repliée sur elle-même.

59Les différentes contributions à ce volume nous livrent ainsi un grand nombre de constellations dans lesquelles s’articulent les rapports entre le monde des affaires et l’univers des dévotions. Pour autant, elles ne réclament pas plus qu’un statut exploratoire à l’intérieur d’un champ d’étude où bien des questions restent à élucider ou à approfondir. Ce livre regroupe en bonne partie les interventions d’un colloque qui s’est tenu en septembre 2007 au Centre de la Vieille Charité à Marseille et à la Maison Méditerranéenne des Sciences de l’homme (MMSH) à Aix-en-Provence. Toutes les contributions ont été actualisées en vue de la publication de ce livre. Deux articles se sont ajoutés depuis (A. Burkardt, S. Marzagalli). Il reste à remercier vivement les centres de recherche qui ont rendu possible le colloque, en particulier l’équipe TELEMME (TEMPS, ESPACES, LANGAGES, EUROPE MÉRIDIONALE, MÉDITERRANÉE) de la MMSH, le Centre d’Anthropologie Religieuse Européenne (CARE/EHESS) et, last but not least, le SHADYC (CNRS-EHESS, Marseille), devenu depuis Centre Norbert Elias. Mes remerciements vont en particulier à Jean Boutier, directeur du SHADYC, ainsi qu’à Jacques Cheyronnaud, Dominique Julia et Yves Krumenacker, membres du comité scientifique, tout comme Michèle Jeanin-Thivos et Anne Montenach qui, en outre, ont étroitement collaboré à l’organisation du colloque et à la relecture d’un certain nombre de contributions. L’édition de ce livre doit beaucoup enfin au soutien financier du CRH/EHESS et de mon nouveau centre de recherche, le CRIHAM de l’université de Limoges.

Notes

1 Pour un développement plus détaillé de cette problématique, je me permets de renvoyer à mon « Introduction », à A. Burkardt et al. (éd.), Commerce, voyage et expérience religieuse, XVIe-XIIIe siècles, Rennes, PUR, 2007, p. 11-29 ; pour une présentation plus systématique des rapports entre économie et religion dans l’Occident prémoderne, voir les études récentes d’Erik Aerts, « La religione nell’economia, l’economia nella religione, Europa 1000-1800 », in Religione e istituzioni religiose nell’economia europea. 1000-1800. Religion and religions institutions in the european Economy 1000-1800, éd. Francesco Ammannati, Florence, Firenze University Press, 2012, p. 3-115, et de Laurence Fontaine, Le Marché. Histoire et usages d’une conquête sociale, Paris, Gallimard, 2014, en particulier le premier chapitre (« Religion et marché »), p. 15-47.

2 Cf. Philipp Robinson Rössner, « Luther – ein tüchtiger Ökonom ? Über die monetären Ursprünge der Reformation », Zeitschrift für historische Forschung, 42, 2015, p. 37-74.

3 Voir, sur ce point, Bernd Möller, « Die letzten Ablaßkampagnen. Der Widerspruch Luthers gegen den Ablaß in seinem geschichtlichen Zusammenhang », in Hartmut Boockmann et al. (éd.), Lebenslehren und Weltentwürfe im Übergang vom Mittelalter zur Neuzeit. Politik – Bildung – Naturkunde Theologie. Bericht über Kolloquien der Kommission zur Erforschung der Kultur des Spätmittelalters 1983 bis 1987 (Abhandlungen der Akademie der Wissenschaften in Göttingen, Philologisch-Historische Klasse, Dritte Folge 179), Göttingen, 1989, p. 539-567 ; Wilhelm Ernst Winterhager, « Ablaßkritik als Indikator historischen Wandels vor 1517. Ein Beitrag zu Voraussetzungen und Einordnung der Reformation », Archiv für Reformationsgeschichte, 90, 1999, p. 6-71.

4 Jacques Le Goff, « Au Moyen Âge : temps de l’Église et temps du marchand », Annales ESC, 1960, p. 417-433 ; Id., La Naissance du Purgatoire, Paris, Gallimard, 1981 ; Id., La bourse et la vie : économie et religion au Moyen Âge, Paris, Hachette, 1986 ; Jacques Chiffoleau, La Comptabilité de l’au-delà. Les hommes, le mort et la religion dans la région d’Avignon à la fin du Moyen Âge (vers 1320-1480), Rome, École française de Rome, Broccard, 1980.

5 Philippe Besnard, Protestantisme et capitalisme, Paris, Armand Colin, 1970 ; Hartmut Lehmann, Max Webers « Protestantische Ethik ». Beiträge aus der Sicht eines Historikers, Göttingen, Vandenhoek & Ruprecht, 1996 ; Id./Günther Roth (éd.), Weber’s protestant ethic : origins, evidence, contexts, Cambridge et al., Cambridge University Press, 1995 ; Philip Benedict, « Max Weber on Calvinism, society, and the State : a critical appraisal in light of recent historical research », in Max Webers Religionssoziologie in interkultureller Perspektive, éd. Hartmut Lehmann et Jean Martin Ouédraogo, Göttingen, Vandenhoeck & Ruprecht, 2003, 243-255.

6 Voir Michel Vovelle, Piété baroque et déchristianisation en Provence au XVIIIe siècle, Paris, 1978 ; pour le jansénisme, voir les récents travaux de Nicolas Lyon-caën, en particulier La Boîte à Perrette. Le jansénisme parisien au XVIIIe siècle, Paris, Albin Michel, 2010 ; pour les critiques avancées à l’époque des Lumières, voir infra.

7 Cf. Paul Münch, « Die Kosten der Frömmigkeit. Katholizismus und Protestantismus im Visier von Kameralismus und Aufklärung », in Volksfrömmigkeit in der Frühen Neuzeit, éd. Heribert Smolinsky, Münster, Aschendorff, 1994, p. 107-119 ; Thijs Lambrecht, « Nine Protestants are to be esteemed worth ten catholics. Representing religion, labour and economic performance in pre-industrial Europe, c. 1650-c. 1800 », in Religione e istituzioni religiose, op. cit., p. 431-450.

8 Pierre Bourdieu, « Une interprétation de la théorie de la religion selon Max Weber », European Journal of Sociology, 12-1, 1971, p. 3-21 (pour la citation, p. 3).

9 Voir sur ce point, Christophe Duhamelle, « Pèlerinage et économie dans l’Empire au XVIIIe siècle », in Religione e istituzioni religiose nell’economia europea, op. cit., p. 713-728.

10 Voir à ce propos les remarques de Johannes Tripps, « Pilgerfahrten als positive Impulse für die Goldschmiedekunst der Spätgotik. Stiftungen von Pilger- und Reiseandenken durch Adel und Stadtpatriziat in Kirchenschätze », in Grand Tour. Adeliges Reisen und europäische Kultur vom 14. bis zum 18. Jahrhundert, éd. Rainer Babel et Werner Paravicini, Ostfildern, Thorbecke, 2005, p. 174-190, en particulier p. 175.

11 Voir Wolfgang Reinhard, « Gegenreformation als Modernisierung ? Prolegomena zu einer Theorie des konfessionellen Zeitalters », Archiv für Reformationsgeschichte, 68, 1977, p. 226-252 » ; trad. française in Id., Papauté, confessions, modernité, Paris, Le Seuil, 1998 (« La Contre-Réforme : une forme de modernisation ? Prolégomènes à une théorie du temps des confessions »).

12 Voir la mise au point introductive de Patricia Subirade dans sa contribution à ce volume ; pour quelques études exemplaires, Cissie Fairchilds, « Marketing the Counter-Reformation. Religious Objects and Consumerism in Early Modern France », in Christine Adams, Jack Richard Censer et Lisa Jane Graham, éd. Visions and revisions of eighteenth-century France, University Park, Pennsylvania State University Press, 1997, p. 31-58, et les différentes contributions à la section « Religione e consumi/religion and consumption » in Religione e istituzioni religiose nell’economia europea, op. cit., p. 597-693.

13 Voir, à titre d’exemple, Anne Bonzon, L’Esprit de clocher. Prêtres et paroisses dans le diocèse de Beauvais 1535-1650, Paris, Le Cerf, 1999, p. 219-285 ; Jean-Pierre Gutton, La Sociabilité villageoise dans la France d’Ancien régime, Paris, Hachette, 1979.

14 Voir la synthèse de Dominique Julia, « Système bénéficiai et carrières ecclésiastiques dans la France d’Ancien Régime », in Historiens et sociologues aujourd’hui. Journées d’études annuelles de la Société française de sociologie, université de Lille I, 14-15 juin 1984, Paris, Editions du CNRS, 1986, p. 79-107 ; voir également les différentes contributions à L’hostie et le denier, lesfinances ecclésiastiques du haut Moyen Age à l’époque moderne, éd. Marcel Pacaut et Olivier Fatio, Actes du colloque de la commission internationale d’histoire ecclésiastique comparée Labor et fides, Genève, Le Cerf, 1989.

15 Voir Markus A. Denzel, « The curial payments System of the late Middle Ages and the sixteenth century : between doctrine and practice of everyday life », in Religione e istituzioni religiose nell’economia europea, op. cit., p. 131-154 ; pour l’époque moderne, voir les travaux, là encore pionniers, de Wolfgang Reinhard, depuis Papstfinanz und Nepotismus unter Paul V, 1605-1621. Studien und Quellen zur Struktur und zu quantitativen Aspekten despäpstlichen Herrschaftssystems, Stuttgart, Hiersemann, 1974, jusqu’à Paul V. Borghese (1605-1621). Mikropolitische Papstgeschichte, Stuttgart, Hiersemann, 2009.

16 Voir, entre autres, Dieter Berg, Armut und Geschichte. Studien zur Geschichte der Bettelorden im Hohen und Späten Mittelalter, Kevelaer, Butzon & Bercker, 2001 ; Giacomo Todeschini, Richezza francescana : dalla povertà volontaria alla società di mercato, Bologna, Il Mulino, 2004 ; Économie et religion. L’expérience des ordres mendiants, XIIIe-XVe siècle, éd. Nicole Bériou et Jacques Chiffoleau, Lyon, Presses universitaires de Lyon, 2009 ; Clément Lenoble, L’Exercice de la pauvreté. Economie et religion chez les franciscains d’Avignon (XIIIe-XVe siècles), Rennes, PUR, 2013.

17 Voir Bartolomé Clavero, La Grâce du don. Anthropologie catholique de l’économie moderne, Paris, Albin Michel, 1991 ; Jacques Le Goff, La bourse et la vie. Economie et religion au Moyen Âge, Paris, Hachette, 1986 ; Credito e usurafra teologia, diritto e amministrazione. Linguaggi a confronte, sec. XII-XVI, éd. Diego Quaglioni, Giacomo Todeschini et Gian Maria Varanini, Rome, École française de Rome, 2005, ainsi que le récent bilan historiographique de G. Todeschini, « Usury in Christian Middle-Ages. A reconsideration of the historical traditions », in Religione e istituzioni religiose nell’economia europea, op. cit., p. 119-130 ; pour l’époque moderne, voir Paola Vismara, Oltre l’usura. La chiesa moderna e il prestito a interesse, Soveria Mannelli, Rubbettino, 2004 ; Riccardo Rosolino, « Vices tyranniques. Résistance au monopole, idéologie et marché à l’aube de la modernité », Annales HSS, 68, 2013, p. 793-819 ; Monica Martinat, « Un modello cattolico di sviluppo economico ? La riflessione teorica e la pratica degli scambi nell’Europa mediterranea (secc. XVI-XVIII) », in Religione e istituzioni religiose nell’economia europea, op. cit., p. 413-430 ; pour le protestantisme, voir, par exemple, John Munro, « Usury, calvinism and credit in Protestant England, ibid., p. 155-184, ainsi que l’étude désormais classique de Herbert Lüthy, La Banque protestante en France, de la révocation de l’Edit de Nantes à la Révolution, Paris, SEVPEN, 1959-1961.

18 J. Le Goff, « Préface » à B. Clavero, La Grâce du don, op. cit., p. IX. Pour le concept d’économie morale qui sous-tend ces analyses, voir l’étude fondatrice d’Edward P. Thompson, « The Moral Economy of the English Crowd in the 18th Century », Past & Present, 50, 1971, p. 76-136 (édition française récente in Id., Les Usages de la coutume. Traditions et résistances populaires en Angleterre XVIIe-XIXe siècles, Paris, Gallimard, 2015) ; voir également les remarques de Michael Löwy, « Catholic ethics and the spirit of capitalism : the unwritten chapter in Max Weber’s sociology of religion », in Max Webers Religionssoziologie in interkultureller Perspektive, éd. Hartmut Lehmann et Jean Martin Ouédraogo, Göttingen, Vandenhoeck & Ruprecht, 2003, p. 229-242, ainsi que la récente étude de Laurence Fontaine, L’économie morale. Pauvreté, crédit et confiance dans l’Europe préindustrielle, Paris, Gallimard, 2008. Dès les années 1920, Bernhard Groethuysen avait déjà émis des problématiques analogues ; voir son étude Die Entstehung der bürgerlichen Welt- und Lebensanschauung in Frankreich, 2 vol., Halle/Saale, Niemeyer, 1927-1930 ; trad. française : Origines de l’esprit bourgeois en France, 1., L’Eglise et la bourgeoisie, Paris, Gallimard, 1977 ; sur cette œuvre et sa réception en France, voir les différentes contributions à Catholicisme et bourgeoisie. Retour sur les Origines de l’esprit bourgeois en France, Cahiers du Centre de Recherches Historiques, 32, 2003).

19 Cf. Roger Chartier, Au Bord de la falaise. L’histoire entre certitudes et inquiétude, Paris, 1998, p. 27-66 (« Histoire intellectuelle et histoire des mentalités ») et p. 67-86 (« Le monde comme représentation »).

20 On peut noter tout de même que certains travaux se sont efforcés d’analyser les cultes présents dans telle ou telle ville comme trace de ses réseaux commerciaux (voir, à titre d’exemple, Rolf Riesling, « Der Augsburger Handel und die Wallfahrt nach Compostela. Ökonomische Vernetzungen und die Kulttopographie der Stadt », in Augsburger Netzwerke zwischen Mittelalter und Neuzeit. Wirtschaft, Kultur und Pilgerfahrten, éd. Klaus Herbers und Peter Rückert, Tübingen, G. Narr, 2009, p. 7-34).

21 Voir toutefois les différentes contributions à l’important volume récent Religione e istituzioni religiose nell’economia europea, op. cit., et dans une perspective encore plus élargie The Oxford Handbook of the economics of religion, éd. Rachel M. Mccleary, Oxford, Oxford University Press, 2011.

22 Jean-Claude Schmitt, « Présentation », in Id. (éd.), Les saints et les stars. Le texte hagiographique dans la culture populaire, Paris, 1983, p. 5-19 (pour la citation, p. 6).

23 Alphonse Dupront, « Pèlerinages et lieux sacrés », in Id., Du sacré. Croisades et pèlerinages. Images et langages, Paris, Gallimard, 1987, p. 366-415 ; Id., « Anthropologie du sacré et cultes populaires. Histoire et vie du pèlerinage en Europe Occidentale », Miscellanea Historiae Ecclesiasticae, V, 1974, p. 235-258 ; Dominique Julia, « Sanctuaires et lieux sacrés à l’époque moderne », dans A. Vauchez (éd.), Lieux sacrés, lieux de culte, sanctuaires : approches terminologiques, méthodologiques, historiques et monographiques, Rome, 2000, p. 241-295.

24 Pour des contre-exemples - de la monnaie vénérée comme relique, les pièces d’argent reçues par Judée, par exemple, voir Thomas Rainer, « Judas, der König und die Münze. Zur Wunderkraft des Geldes im Spätmittelalter », in Von goldenen Gebeinen. Wirtschaft und Reliquie im Mittelalter, éd. Markus Mayr, Innsbruck etc., Studien-Verlag, 2001, p. 66-95.

25 Pour une analyse différenciée, voir Dominique Julia, « Pour une géographie européenne du pèlerinage à l’époque moderne et contemporaine », in Id. et Philippe Boutry (éd.), Pèlerins et pèlerinages dans l’Europe moderne, Bibliothèque de l’École française de Rome 262, Rome, 2000, p. 3-126.

26 Voir les différentes contributions à la section « Mobilità e migrazione. Persecuzione, pellegrinaggio e turismo religioso/Mobility and migration. Agression, pilgrimage and religious tourism », in Religione e istituzioni religiose nell’economia europea, op. cit., p. 697-821. Voir en outre, pour l’empire, Wolfgang Schmid, « Wirtschaft und Wallfahrt », Rheinisch-westfälische Zeitschrift für Volkskunde, 45, 2000, p. 43-72 ; Id., « Reliquien, Wallfahrt und Wirtschaft in rheinischen Städten am Vorabend der Reformation : Beispiele aus Trier, Köln, Aachen und Düren », in Von goldenen Gebeinen, op. cit., p. 148-185 ; pour l’Italie, voir l’importante monographie de Marco Moroni consacrée à Lorette (L’economia di un grande santuario europeo. La Santa Casa di Loreto tra basso Medioevo e Novecento, Milan, Franco Angeli, 2000).

27 Des phénomènes analogues se notent bien entendu en Occident (voir D. Julia, « Pour une géographie européenne du pèlerinage », art. cit.). Nos connaissances restent maigres toutefois concernant l’économie des pèlerins individuels ; pour quelques éléments médiévaux, voir Norbert Ohler, « Überlegungen zur Finanzierung von Pilgerreisen », in Von goldenen Gebeinen. Wirtschaft und Reliquie im Mittelalter, éd. Markus Mayr, Innsbruck, Studien Verlag, 2001, p. 245-259.

28 Pour une analyse différenciée, voir D. Julia, « Pour une géographie européenne », art. cit.

29 Voir infra, pour la contribution d’Emma Aubin-Boltansky.

30 A. Dupront, « Pèlerinages et lieux sacrés », art. cit., p. 408-409 (pour la citation, p. 409).

31 Voir L. Fontaine, Le Marché, op. cit., p. 49.

32 Pour une analyse plus étendue du phénomène, du point de vue de l’histoire du marché, voir ibid., p. 49-69.

33 Cf. W. Schmid, « Wallfahrt und Wirtschaft », art. cit., p. 61-62.

34 Pour un portrait général, voir L. Fontaine, Histoire du colportage en Europe (XVe-XIXe siècle), Paris, Albin Michel, 1993.

35 Il est vrai que ce commerce a pu être animé à son tour par les pèlerins se rendant depuis l’Inde à La Mecque ; voir sur ce point la récente étude d’Eric Tagliacozzo, « The Hajj and commerce from Pre-modern Southeast Asia », in Religion and trade. Cross-cultural exchanges in world history, 1000-1900, éd. Francesca Trivellato, Leor Halevi, Càtia Antunes, Oxford et al., Oxford University Press, 2014, p. 216-233.

36 Voir, par exemple, le recensement de tels souvenirs par Heidrun Kreutzer et Michael Matheus, « Unterwegssein im späten Mittelalter : als Pilger im Heiligen Land und im Michaelsheiligtum auf dem Monte Gargano », in Ein gefüllter Willkomm. Festschrift für Knut Schulz zum 65. Geburtstag, éd. Franz J. Felten et al., p. 323-366, en particulier, p. 347-351 ; voir également Michael Grünbart, « Was bringt man aus dem Heiligen Land mit ? : Erinnerungen, Andenken und Spolien aus dem byzantinischen Osten », in Ein Heiliger unterwegs in Europa : tausend Jahre Koloman-Verehrung in Melk (1014-2014), éd. Meta Niederkorn-Bruck, Wien etc., Böhlau, 2014, p. 263-278.

37 Voir J. Tripps, « Pilgerfahrten », art. cit., p. 177 et 180 ; pour des importations bien plus précoces de matériaux servant le culte depuis Byzance, voir, par exemple, Marielle Martiniani-Reber, « Reliquientücher, Zeugnisse des Austausches zwischen dem Nahen Osten und dem Abendland während des Mittelalters », in Von goldenen Gebeinen, op. cit., p. 111-134.

38 Voir sur ces processus, D. Julia, « La réforme post-tridentine en France d’après les procès-verbaux de visites pastorales : ordre et résistances », in Id., Réforme catholique, religion des prêtres et « foi des simples ». Etudes d’anthropologie religieuse (XVIe-XVIIIe siècles), Genève, Droz, 2014, p. 137-231, en particulier p. 160-168 ; Serge Brunet, « L’image interdite : réforme catholique et réaménagement des églises dans les Pyrénées centrales au XVIIe siècle », in L’Art au village, éd. Sophie Duhem, Rennes, Presses universitaires de Rennes, 2009, p. 77-111.

39 Pour un exemple, voir Ernst Schubert, « Der berühmteste Kirchenraub der deutschen Kriminalgeschichte : der Raub der Lüneburger Goldenen Tafel 1698 », in Vielfalt und Aktualität des Mittelalters. Festschrift für Wolfgang Petke zum 65. Geburtstag, Bielefeld, Verlag für Regionalgeschichte, 2006, p. 461-486.

40 Pour la fréquence du phénomène, voir le volume récent Fraude, contrefaçon et contrebande, de l’Antiquité à nos jours, éd. Gérard Béaur, Hubert Bonin, Claire Lemercier, Genève, Droz, 2006, et notamment la riche bibliographie commentée présentée par les éditeurs (p. 17-30).

41 Voir, à titre d’exemple, Massimiliano Ghilardi, « Il vescovo, il pittore e le reliquie. Carlo Bascapè, Giovanni Angelo Santini detto il Toccafondo e le catacombe romane », Giornale di storia, 12, 2013, p. 1-21 ; Willi Ulsamer, Wolfgang Agricola. Stiftsdekan von Spalt (1536-1601). Ein Beitrag zur Geschichte des Klerus im Bistum Eichstätt, Kallmünz, 1960, p. 90-101 ; W. Schmid, « Wirtschaft und Wallfahrt », art. cité, p. 66 ; Id. « Die Stadt der Heiligen und die Stadt der Erfinder ? Der Kölner und der Nürnberger Kunstmarkt im 15./16. Jahrhundert », in Simonetta Cavaciocchi (éd.), Economia e arte, secc. XIII-XVIII, Istituto internazionale di storia economica « F. Datini » Prato, Serie II - Atti delle « Settimane di Studi » e altri convegni 33, Firenze, 2002, p. 761-793.

42 Voir, sur ce point, par exemple, John Mcmanners, « Voltaire and the monks », in Monks, hermits and the ascetic tradition, éd. W. J. Shields, Padstow, Blackwell, 1985, p. 319-342 ; Hans-Wolf Jäger, « Mönchskritik und Klostersatire in der deutschen Spätaufklärung », in Katholische Aufklärung - Aufklärung im katholischen Deutschland, éd. Harm Klueting, Hamburg, Meiner, 1993, p. 192-207.

43 Alain Cabantous, Entre fêtes et clochers. Profane et sacré dans l’Europe moderne XVIIe-XVIIIe siècle, Paris, 2002.

44 Cf. Robert Muchembled, Culture populaire et culture des élites dans la France moderne (XVe-XVIIIe siècles), Paris, Flammarion, 1978, en particulier p. 158-217 ; pour le Moyen Âge, voir Ernst Schubert, Fahrendes Volk im Mittelalter, Bielefeld, Verlag für Regionalgeschichte, 1995, p. 106-110.

45 A. Dupront, « Pèlerinages et lieux sacrés », art. cit., p. 409.

46 Voir la synthèse d’Alain Cabantous, Entrefêtes et clochers. Profane et sacré dans l’Europe moderne XVIIe-XVIIIe siècles, Paris, Fayard, 2002.

47 Cf. Anne Montenach, « Une économie du secret. Le commerce clandestin de viande en carême (Lyon, fin du XVIIe siècle) », Rives nord-méditerranéennes, 17, 2004, p. 85-103 ; Id., « Esquisse d’une économie de l’illicite. Le marché parallèle de la viande à Lyon pendant le Carême (1658-1714) », Crime, histoire & sociétés/Crime, History & Societies, 5, no 1, 2001, p. 7-25.

48 Pour une étude de cas illustrant cette tendance, voir A. Burkardt, « Die totgeborenen Kinder von Ursberg und die Inquisition. Zur Kontrolle des Sakralen im Süddeutschland des 18. Jahrhunderts », in Tribunal der Barbaren ?, op. cit., p. 373-401.

49 Voir Christoph Dipper, « Volksreligiosität und Obrigkeit im 18. Jahrhundert », in Volksreligiosität in der modernen Sozialgeschichte, éd. Wolfgang Schieder, Geschichte und Gesellschaft, Sonderheft 11, Göttingen, Vandenhoek & Ruprecht, 1986, p. 73-96 ; C. Duhamelle, « Pèlerinage et économie », art. cit., p. 714-717, ainsi que les travaux cités supra, note 7.

50 Voir C. Duhamelle, « Pèlerinage et économie », art. cit., p. 726.

51 Voir ibid., p. 722-723.

52 Rebekka Habermas, Wallfahrt und Aufruhr. Zur Geschichte des Wunderglaubens in der frühen Neuzeit, Frankfurt am Main, Campus, 1991.

53 Voir A. Burkardt, Les Clients des saints. Maladie et quête du miracle à travers les procès de canonisation de la première moitié du XVIIe siècle en France, Rome, Collection de l’École française de Rome 338, 2004, p. 406 et 416-422.

54 Voir, par exemple, A. Esch, « Der Handel zwischen Christen und Muslimen im Mittelmeerraum. Verstöße gegen das päpstliche Embargo geschildert in den Gesuchen an die Apostolische Pönitentiarie (1439-1483) », Quellen und Forschungen aus italienischen Archiven und Bibliotheken, 92, 2012, p. 85-140.

55 Voir la problématisation du sujet par Peter Schmidt, « Fernhandel und römische Inquisition. “Interkonfessionelles Management” im konfessionellen Zeitalter », in Hubert Wolf (éd.), Inquisition, Index, Zensur. Wissenskulturen der Neuzeit im Widerstreit, Paderborn, 2001, p. 105-120, ainsi que les différentes contributions in Commerce, voyage et expérience religieuse, op. cit., notamment celles de la deuxième partie (« Europe des affaires et interactions religieuses : conflits et accommodements ») ; tout un ensemble de travaux stimulants a été consacré récemment au cas portugais ; voir Jorun Poettering, Handel, Nation und Religion. Kaufleute zwischen Hamburg und Portugal im 17. Jahrhundert, Göttingen, Vandenkoeck & Ruprecht, 2013 ; L. M. E. Shaw, Trade, Inquisition and the English nation in Portugal, 1650-1690, Manchester, Carcanet Press, 1989 ; Càtia Antunes, Globalisation in the Early Modem period : the economic relationship between Amsterdam and Lisbon, 1640-1705, Amsterdam, Aksant, 2004 ; pour l’Espagne, voir Andrew Spicer, « Trading goods ; trading faith ? Religious conflict and commercial interests in early modern Spain », in Forgetting faith ? Negotiating confessional conflict in early modem Europe, éd. Isabel Karremann, Cornel Zwierlein et Inga Mai Groote, Berlin, De Gruyter, 2012, p. 199-220.

56 Là encore, la problématique a été particulièrement étudiée pour les pays d’inquisition ; voir Isabel M. R. Mendes Drumond Braga, Os Estrangeiros e a Inquisiçâo Portuguesa (Séculos XVI-XVII), Lisboa, Hugin, 2002 ; Werner Thomas, Los protestantes y la Inquisición en Espana en tiempos de Reforma y Contrarreforma, Leuven, Leuven University Press, 2001 ; pour l’Italie, voir P. Schmidt, « L’Inquisizione e gli stranieri », in L’Inquisizione e gli storici : un cantiere aperto. Tavola rotonda nell’ambito della conferenza annuale della ricerca (Accademia Nazionale dei Lincei Roma, 24-25 giugno 1999), Rome, Accademia Nazionale dei Lincei, 2000, p. 365-372, ainsi que les différentes contributions in A. Burkardt et Gerd Schwerhoff (éd.), Tribunal der Barbaren ? Deutschland und die Inquisition in der Frühen Neuzeit, Konstanz, UVK, 2012, notamment celles de la troisième partie (« Kontrolle der Grenzgänger »).

57 Voir sur ce point les travaux récents de Guillaume Calafat, Une Mer jalousée. Juridictions maritimes, ports francs et régulation du commerce en Méditerranée (1590-1740), thèse de doctorat d’histoire, Paris 1, 2013.

58 Cf. Irene Fosi, « Roma e gli “ultramontani”. Conversioni, viaggi, identità », Quellen und Forschungen aus italienischen Archiven und Bibliotheken, 81, 2001, p. 351-396 ; Id., « Conversions de voyageurs dans la Rome baroque », in Grand Tour. Adeliges Reisen und europäische Kultur, op. cit., p. 569-578 ; Id., Convertire lo straniero. Forestieri e Inquisizione a Roma in età moderna, Rom, Viella, 2011.

59 Voir Francesca Trivellato, « Juifs de Livourne, Italiens de Lisbonne, hindous de Goa. Réseaux marchands et échanges interculturels à l’époque moderne », Annales HSS, 58, 2003, p. 581-603, ainsi que le récent volume Religion and trade, op. cit., en particulier les essais indroductifs (F. Trivellato, « The historical and comparative study of cross-cultural trade », p. 1-23 ; Leor Halevi, « Religion and cross-cultural trade : a framework for interdisciplinary inquiry », p. 24-61), ainsi que l’étude désormais classique de Philip D. Curtin, Cross-cultural trade in world history, Cambridge et New York, Cambridge University Press, 1981.

60 Pour Juifs et Arméniens, voir la rapide synthèse de Fernand Braudel, Civilisation matérielle, économie et capitalisme, XVe-XVIIIe siècle, vol. II : Les Jeux de l’échange, Paris, Armand Colin, 1979, p. 167-183 ; pour des contributions plus récentes à ce sujet, voir les travaux désormais classiques de Jonathan Israel, Diasporas within a Diaspora. Jews, Crypto-Jews and the World Maritime Empires, Leyde, 2002, et Nathan Wachtel, La Foi du souvenir. Labyrinthes marranes, Paris, Le Seuil, 2001. Voir également la récente étude de Francesca Trivellato, The Familiarity of Strangers : the Sephardic Diaspora, Livorno and Cross-Cultural Trade in the Early Modern Period, New Haven, 2009 ; Desanka Schwara, Luise Müller, Patrick Krebs, Kaufleute, Seefahrer und Piraten im Mittelmeerraum der Neuzeit : Entgrenzende Diaspora, verbindende Imaginationen, München, Oldenbourg, 2011 ; Peter Mark, José da Silva Horta, The Forgotten Diaspora Jewish Communities in West Africa and the Making of the Atlantic World, Cambridge, Cambridge University Press, 2013.

61 Cf. Religions and trade. Religious formation, Transformation and Cross-Cultural Exchange between East and West, éd. Peter Wick et Volker Rabens, Leiden, Brill, 2013 ; voir également Richard C. Foltz, Religions of the Silk Road. Overland trade and cultural exchange from Antiquity to the Fifteenth century, New York, St. Martin’s Press, 1999

62 Voir à ce propos, et à titre d’exemple, le dossier d’« un marchand de dentelles des ternes en pèlerinage à Compostelle (1670) » des Archives départementales du Cantal (http ://archives, cantal.fr/?id=432). Notamment au XVIIIe siècle, cette orientation religieuse n’exclut pas la criminalisation de ces colporteurs d’affaires sacrées qui, à maintes reprises, voient juger superstitieuses certaines de leurs marchandises (voir, pour un cas de ce genre, A. Burkardt, « Die totgeborenen Kinder von Ursberg », art. cit., en particulier p. 395 sq.).

63 Voir, par exemple, Arnold Esch, « Viele Loyalitäten, eine Identität. Italienische Kaufmannskolonien im spätmittelalterlichen Europa », Historische Zeitschrift, 234, 1992, p. 581-608.

64 Voir, pour l’Europe septentrionale, R. Mazzei, Itinera mercatorum. Circolazione di uomini e beni nell’Europa centro-orientale : 1550-1650, Lucca, Pacini Fazzi, 1999 ; pour les échanges avec le Levant et notamment les avancées vénitiennes, voir les récents bilans de Uwe Israel, « Ab vom Kurs. Venedig und die europäische Expansion des 15. Und 16. Jahrhunderts », Archiv für Kulturgeschichte, 94-2, 2012, p. 313-340, et Maria Pia Pedani, (« Venezia e l’oriente : note su recenti letture », Mediterranea-Ricerche storiche, 11, 2014, p. 394-416.

65 Voir à ce propos les différentes contributions in Commerce, voyage et expérience religieuse, op. cit, notamment celles de la troisième partie (« Cultures plurielles - “mentalités” marchandes ? »), ainsi que l’étude de cas de R. Mazzei, « Convivenza religiosa e mercatura nell’Europa del Cinquecento. Il caso degli Italiani a Norimberga », in La formazione storica della alterità. Studi di storia della tolleranza nell’età moderna offerti a Antonio Rotondò, éd. Henry Méchoulan, Richard H. Popkin et al., Florence, Olschi, 2001, p. 395-428.

66 Acta sacrae congregationis de propaganda fide res gestas Bohemicas illustrantia, t. I, pars I, opera Ignatii Kollmann, Pragae, Typis Gregerianis, 1923, p. 223 (« i quali, havendo nel loro paese imbevuta la dottrina di Calvino, non sanno poi convenire nè [con] i cattolici nè con i Luterani nè con loro medesimi, onde non sapendo eglino stessi quello che si siano, attendono alle loro mercantie senza molto curarsi di religione ») ; pour le contexte de la citation, voir A. Burkardt et G. Schwerhoff, « Deutschland und die Inquisition in der Frühen Neuzeit – eine Standortbestimmung », in Deutschland und die Inquisition, op. cit., p. 9-54, en particulier p. 25-28.

67 Pour le premier âge moderne, voir, par exemple, les études de Stefan Ehrenpreis, « Protestantische Kaufleute als Grenzgänger zwischen dem Rheinland und den Niederlanden im 16. und 17. Jahrhundert », in Grenzen und Grenzüberschreitungen. Bilanz und Perspektiven der Frühneuzeitforschung, éd. Christine Roll et al., Köln, Weimar, Wien, Böhlau, 2010, p. 223-235, et Julia Zunckel, « Esperienze e strategie commerciali di mercanti tedeschi fra Milano e Genova nell’epoca della controriforma », in Commerce, voyage et expérience religieuse, op. cit, p. 231-255.

68 Voir A. Burkardt, Les Clients des saints, op. cit., p. 99-139.

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