Version classiqueVersion mobile

Quelques souvenirs

 | 
Jean Janvier

Troisième partie. La victoire et l'après-guerre (juin 1916-octobre 1923)

Chapitre 12. Les derniers projets

Texte intégral

— La réorganisation du réseau de l’État - Encore une commission extraparlementaire importante dont je suis nommé membre

1La Chambre des députés ayant, dans sa séance du 18 décembre 1920, invité le gouvernement « à présenter au plus tôt un projet de loi relatif au remaniement du réseau de l’État et des réseaux voisins, en vue d’assurer une exploitation plus rationnelle », le ministre des Travaux publics estima qu’il convenait, dans le but d’établir cette organisation nouvelle, de consulter les intéressés, c’est-à-dire les populations par l’intermédiaire de leurs mandants, les commerçants, les industriels et les agriculteurs, et aussi les représentants du personnel du réseau. Par décret du 27 mars 1921, il institua donc une « commission extraparlementaire chargée d’étudier et de préparer le statut administratif et financier des Chemins de fer de l’État ».

2Cette commission, présidée par M. Colson, président de la section des finances au Conseil d’État, comprenait une quarantaine de membres, appartenant, les uns à l’administration : conseillers d’État, hauts fonctionnaires du ministère des Travaux publics, de celui des Finances, du réseau de l’État ; les autres à ces milieux intéressés que le ministre voulait consulter : sénateurs et députés du réseau, présidents de chambre de commerce, maires, hautes personnalités du monde de l’industrie et de l’agriculture. J’eus l’honneur d’être désigné parmi les cinq maires appelés à faire partie de cette importante commission. Mes quatre autres collègues étaient MM. Philippart, maire de Bordeaux ; Bellamy, maire de Nantes ; Meyer, maire du Havre ; Hubert, maire de Chartres.

— Le maréchal Foch à Rennes - Réception en son honneur à l’hôtel de ville

3La ville de Rennes eut l’honneur d’avoir dans ses murs, les 17 et 18 juillet 1921, le maréchal Foch qui avait bien voulu accepter d’y venir faire une conférence au théâtre municipal sur le connétable Bertrand du Guesclin. L’arrivée officielle du maréchal à la gare de Rennes était fixée à 16h30. Les plus hautes autorités étaient présentes : M. Maupoil, préfet d’Ille-et-Vilaine ; le général Passaga, commandant le 10e corps ; M. Plédy, premier président de la cour d’appel ; M. Demangeat, procureur général ; M. Gérard Varet, recteur de l’académie ; les généraux, les chefs de corps et de services de la garnison ; les directeurs des grands services administratifs de l’État et du département ; le directeur général et les membres du bureau de l’Association bretonne. Trois de mes adjoints m’accompagnaient : MM. Laurent, Daniel et Denis.

4Après les présentations d’usage, le cortège, précédé de la musique militaire, se rendit de la gare à l’hôtel de ville où j’avais organisé une réception en l’honneur du maréchal. Celui-ci avait tenu à faire le trajet à pied. La foule se pressait sur son passage, acclamant le vainqueur de la grande guerre du droit. Le cortège ne pouvait avancer que lentement ; il n’arriva à l’hôtel de ville que vers 17 h 30. La réception eut lieu dans mon cabinet. Elle ne pouvait se faire dans les grands salons du pavillon sud en grande partie détruits, comme on sait, par un incendie récent. Je le regrettais vivement, car cela m’avait obligé à limiter mes invitations : le préfet, le général commandant le corps d’armée, le premier président de la cour d’appel, le procureur général, le recteur de l’académie, les membres du conseil municipal et les représentants de la presse. J’avais également invité les chefs de service et de bureau de l’administration municipale et je me fis un plaisir de les présenter individuellement, ainsi que MM. les conseillers municipaux, au maréchal Foch. La réception fut simple et vraiment cordiale.

5J’avais fait imprimer une plaquette spéciale, dédiée au maréchal, contenant le texte intégral de trois délibérations du conseil municipal :

  1. Signature de l’armistice (18 novembre 1918) ;

  2. Panthéon rennais institué en l’honneur des enfants de la ville tombés pour la Patrie pendant la Grande Guerre (18 novembre 1918 et 19 septembre 1919).

  3. Attribution d’une concession perpétuelle en faveur des soldats et marins français et alliés morts pendant la guerre et inhumés au cimetière de l’Est, dans un emplacement réservé (6 janvier 1919).

6Je remis cette plaquette au maréchal, après lui avoir lu la lettre d’envoi ci-après, reproduite aux premières pages.

Monsieur le Maréchal,
« J’ai l’honneur, au nom de la population de la ville de Rennes, de vous assurer de notre respectueuse sympathie et de la fierté que nous éprouvons de vous avoir dans nos murs. Bientôt votre nom sera gravé en lettres d’or à l’hôtel de ville de l’ancienne capitale bretonne, en hommage des inestimables services que vous avez rendus à la Patrie. En attendant, je me permets de vous remettre, avec la présente lettre, le fascicule contenant l’historique et la description de la maison commune, ainsi qu’un exemplaire de trois délibérations prises par le conseil municipal et dans lesquelles vous verrez comment nous avons tenu à honorer les héros de la Grande Guerre ».

7Puis, dans une émotion très compréhensible, je lui exprimai, en quelques paroles improvisées, les sentiments d’admiration respectueuse et de reconnaissance que nous inspirait sa personne en laquelle, avec tant d’éclat, la victoire se trouvait en quelque sorte symbolisée. Le maréchal me répondit en me remerciant tout d’abord, ainsi que le conseil municipal, du sympathique accueil qui lui avait été réservé dans cette ville de Rennes où il avait été autrefois jeune officier et qu’il avait tant de plaisir à revoir. Il félicita l’administration municipale d’avoir voulu conserver pieusement et glorifier la mémoire de nos grands morts, ajoutant qu’il garderait soigneusement, dans ses papiers, la plaquette que j’avais eu l’aimable pensée de lui offrir. Faisant enfin allusion à l’effort gigantesque que la nation avait dû fournir, il proclama la nécessité du travail, aussi impérieuse pour mener à bien l’œuvre de paix, qu’elle l’avait été pour triompher dans celle de la guerre. Tout cela dit très simplement et en phrases brèves. Puis il voulut bien apposer sa signature sur notre livre d’or.

8M. Dottin, conseiller municipal et doyen de la faculté des lettres, présenta au maréchal une très ancienne charte remontant à six siècles, exactement du 4 mai 1309, par laquelle le roi de Castille et de Léon octroyait à Bertrand du Guesclin, comte de Longueville, le duché de Molina sur les frontières d’Aragon. Ce document et les explications, qui lui en furent données par M. Dottin, intéressèrent vivement le maréchal Foch.

9Mais pendant ce temps, la foule massée sur la place de l’hôtel de ville réclamait le maréchal. Je l’en prévins et le conduisit au balcon. Le champagne fut ensuite offert. Le soir, un dîner intime réunit les principales autorités autour du maréchal. La conférence prévue eut lieu au théâtre, sous la présidence de M. Maupoil, préfet. Dans la salle, fauteuils, loges, parterres, galeries étaient combles. Le maréchal Foch y fut chaleureusement acclamé, comme il l’avait été quelques heures plus tôt à son arrivée à Rennes.

  • 1 La statue de Du Guesclin, œuvre de Molknecht, avait été inaugurée en 1825. S’élevant à l’origine au (...)
  • 2 Dans les lieux mêmes où se tint le conseil de guerre, chargé de réviser la condamnation du capitain (...)

10J’assistai le lendemain à la cérémonie devant la statue de Bertrand du Guesclin au Thabor1 ; à la visite de l’école de rééducation des mutilés ; enfin à la visite, au cimetière de l’Est, des tombes, réunies dans un même champ de repos et uniformément surmontées de la même stèle funéraire, de ceux qui ayant combattu pour la même cause - soldats alliés ou soldats français, Français de la métropole ou Français de nos colonies - sont venus, d’un point quelconque du front, mourir dans les hôpitaux de Rennes, des suites des blessures reçues ou de maladies contractées aux armées. À midi 30, un grand banquet d’environ deux cent cinquante couverts, offert par souscription au maréchal Foch, était donné dans la salle des fêtes du lycée2 Au moment des toasts, je me levai, après le préfet, pour prononcer quelques mots.

  • 3 Albert Calmette (1863-1933) fonda l’institut bactériologique de Saigon (1891) et l’Institut Pasteur (...)

« Hier matin, j’assistais, ici, à l’ouverture du congrès antituberculeux qui réunissait des princes de la science, comme l’éminent docteur Calmette3 et ses savants collaborateurs. Aujourd’hui, nous sommes assemblés, dans cette même salle, pour rendre hommage à un homme dont le nom rayonne sur le monde entier ! Je vous demande », m’écriai-je, « de lever nos verres en l’honneur du génial soldat qui fit sonner l’heure de la victoire : au Maréchal Foch ! Oui, Messieurs, de tout cœur ! Au Maréchal Foch ! »

11Tout le monde se leva, dans un même élan, pour acclamer le maréchal – qui prenait le train quelques minutes après. Avant de sortir du banquet, j’eus avec lui une petite conversation amicale : « Monsieur le maire », me dit-il en me quittant, « soyez certain que, rentré chez moi, je ne manquerai pas de vous écrire pour vous remercier, ainsi que le conseil municipal et la population rennaise, de la sympathie avec laquelle j’ai été reçu dans votre ville. J’y ai été sensible ». Quelques jours plus tard, je recevais en effet la lettre promise, adressée de Trofeunteunion par Ploujean (Finistère), résidence habituelle du maréchal Foch en Bretagne, dont Mme Foch, sa femme, était originaire [...].

12[...] J’avais offert, aux autorités invitées à la réception de l’hôtel de ville, ainsi qu’à un certain nombre d’autres personnalités, un exemplaire de la plaquette remise au maréchal Foch. J’avais cru aussi devoir prier M. Millerand, président de la République, d’accepter cette plaquette que je lui envoyai le 17 juillet même, pour lui montrer comment la ville de Rennes tient à honorer les plus grands dévouements pour la Patrie. Le chef de l’État me répondit immédiatement de la résidence présidentielle de Rambouillet [...].

13[...] Je garde, pour ma part, un heureux souvenir de la visite dont le maréchal Foch a honoré la ville de Rennes. Pour terminer, je rapporterai un mot du maréchal. J’ai écrit plus haut qu’il avait parlé, à l’hôtel de ville, de la nécessité du travail. Au cours de sa visite à l’école de rééducation des mutilés, dans la matinée du lendemain 18, s’adressant paternellement à chacun des mutilés présents, il demanda à l’un d’eux : « Et vous, mon ami, quel métier apprenez-vous ? » – « Celui de cordonnier, Monsieur le maréchal ». – « Et vous commencez à le savoir ? » – « Un peu, Monsieur le maréchal ». – « Savoir, c’est bien ; mais ce n’est pas encore assez. Ce qu’il faut surtout, c’est se retrousser » ! Et il imita le geste du compagnon qui relève ses manches pour se mettre avec ardeur à l’ouvrage [...].

— Organisation à Rennes, du service d’incendie

14[…] Je tiens, mes chers enfants, à exposer dans mes Souvenirs dans quelles conditions j’ai voulu, d’accord avec les techniciens, garantir mes concitoyens contre le feu. Pour être efficace, le service de secours en cas d’incendie doit évidemment disposer d’un matériel puissant pour combattre le feu ; mais cela ne suffit pas : il faut encore, et c’est également essentiel, que ce matériel soit amené aussi vite que possible sur les lieux du sinistre et puisse être immédiatement mis en action, donc que le personnel nécessaire soit toujours prêt à intervenir. À ce dernier point de vue, le plus simple est sans doute de créer un corps de sapeurs pompiers caserné, comme cela existe à Paris – et c’est ce que d’autres grandes villes ont cru devoir faire. Solution commode et qui serait parfaite si elle ne présentait l’inconvénient de coûter extrêmement cher.

15Nous n’avons pas créé, à Rennes, ce corps de sapeurs pompiers caserné. Notre compagnie – officiers, sous-officiers et sapeurs – est en effet restée entièrement composée de volontaires, à l’exception seulement de quelques hommes : un mécanicien conducteur, un aide mécanicien et un aide planton. Cependant, à toute heure de jour et de nuit, dix minutes à peine se sont écoulées à partir du moment où l’annonce d’un incendie, sur un point quelconque de la ville, a été communiquée au dépôt principal des pompes, que déjà tout le matériel et le personnel nécessaires sont rendus sur les lieux et commencent à attaquer le feu avec vigueur.

16Comment avons-nous donc obtenu ce résultat ? D’une part, en organisant un réseau téléphonique urbain servant d’ailleurs aux besoins généraux de l’administration municipale ; d’autre part, en utilisant au chantier municipal de voirie, rue de Viarmes, ou précisément se trouve installé le dépôt des pompes, quelques-uns des sapeurs pompiers qui appartiennent, comme ouvriers ou employés, au service de la ville ; de plus, en logeant gratuitement, soit dans les bâtiments communaux de la voirie, soit dans des appartements particuliers (mais reliés téléphoniquement avec l’hôtel de ville), les vingt hommes qui font partie de l’équipe de premier départ et qui, en échange de cet avantage de logement gratuit, ont l’obligation de se tenir toujours présents à leur domicile – sauf un jour par semaine donné par roulement – de 6 heures du soir à 6 heures du matin. Ainsi se trouve assuré, aux moindres frais, un service permanent de jour et de nuit.

17Le budget total de la compagnie de sapeurs pompiers (entretien de l’équipement, de l’habillement, du matériel de toute sorte, locations diverses, indemnités, frais de bureau, etc.) n’atteint pas 35 000 F par an : exactement 34 000 F en 1921 ; tandis que les dépenses de ce même service atteignent dans nombre de villes – et sans que l’on puisse dire pourtant que l’organisation des secours soit, dans l’ensemble, plus efficace, 200 à 300 000 F par an et même davantage.

18Supposons qu’un incendie éclate de nuit par exemple et voyons comment va fonctionner notre organisation. L’hôtel de ville est relié par téléphone, sans avoir à passer par le bureau central des PTT, avec tous les services et bureaux dépendant de l’administration municipale : postes d’incendie, domicile des officiers des pompiers, service d’architecture, voirie, eaux et égouts, octrois, abattoir, écoles des Beaux-Arts, d’architecture, école pratique d’industrie, hôtel-Dieu, cimetières, commissariat central, postes de police, etc. Dans le poste téléphonique installé à la mairie, une téléphoniste titulaire et une aide assurent alternativement le service, jour et nuit, sans interruption. Étant donné le nombre de postes indiqués ci-dessus, répartis sur les différents points de la ville, le public a toutes facilités pour faire avertir sans délai, et à n’importe quelle heure, la téléphoniste de la mairie. Dès que celle-ci est prévenue qu’un incendie vient d’éclater à tel endroit désigné, elle informe immédiatement et directement le capitaine commandant la compagnie, les officiers, les avertisseurs et les sapeurs logés. Puis elle avise – mais cette fois par l’intermédiaire du bureau central des PTT – le service militaire de place et la Compagnie du gaz.

19Regardons ce qui va se passer au dépôt de pompes de la rue de Viarmes. Un homme est de garde. Coup de téléphone venant de la mairie : « Le feu est à tel endroit ». À son tour, il appelle par une sonnerie électrique les sapeurs logés dans le bâtiment. Tous s’habillent, descendent, sortent le matériel et partent. Ce matériel, c’est une arroseuse automobile « Laffly », d’une contenance de 3 m3 et munie de 60 mètres de tuyaux ; une motopompe remorquée par une camionnette automobile qui transporte entre autres 250 mètres de tuyaux de refoulement ; une auto-pompe ; un chariot-réserve contenant du tuyautage supplémentaire, des caisses d’essence pour l’alimentation de la moto-pompe et de l’auto-pompe, deux grandes échelles à coulisses développant chacune 15 mètres, un sac de sauvetage, etc. Pendant ce temps, les officiers, les avertisseurs et les autres sapeurs logés arrivent individuellement, à bicyclette, sur le lieu du sinistre.

20Ainsi que je l’ai dit, dix minutes à peine se sont écoulées que toute l’équipe de premier départ – soit quatre officiers, vingt sous-officiers et sapeurs – avec son puissant matériel, est en place. Le reste de la compagnie ne tardera pas à accourir, si c’est nécessaire : les avertisseurs ont en effet la consigne générale de procéder sans retard à son appel si l’incendie est visible, sinon d’attendre l’ordre donné par l’officier chef de feu. Immédiatement, l’arroseuse est entrée en action : son moteur sert alors à aspirer et à refouler l’eau dans les tuyaux ; ses trois mètres cubes d’eau, qu’elle pourra lancer jusqu’à la hauteur d’un quatrième étage, seront épuisés au bout de quinze minutes. Mais bien avant d’ailleurs que ces quinze minutes soient expirées, la moto-pompe elle aussi, fonctionne avec vigueur. Si elle ne suffit pas, l’auto-pompe attaque alors le feu, déversant, par quatre ou huit lances, ses 110 mètres cubes d’eau à l’heure. L’auto-pompe a été achetée en 1920 ; la moto-pompe en décembre 1921. Ils remplacent la pompe à vapeur précédemment en service.

21Ce sont d’excellents appareils ; mais leurs qualités n’auraient été que médiocrement efficaces, parce qu’imparfaitement utilisées, sans l’organisation exposée ci-dessus et qui a été réalisée – j’ai plaisir à l’écrire ici – avec la collaboration de M. Besnard, l’actif et dévoué capitaine, commandant de la compagnie des sapeurs pompiers de Rennes, et de M. Dubois, le capitaine en second.

22Cette organisation, j’ai cru devoir la faire connaître à la population par voie d’affiches, apposées notamment dans chacune des écoles municipales. Puisque tout incendie signalé à temps peut bientôt être enrayé, il convenait en effet de bien convaincre le public qu’il doit faire appeler sans retard le service d’incendie et d’indiquer clairement à nos concitoyens les moyens dont disposent nos braves pompiers à cet effet. C’est précisément à quoi répond notre affiche, qui dit ce qui existe ; ce qu’il faut faire et comment, et qui enfin donne l’adresse de tous les postes téléphoniques directement reliés avec celui de l’hôtel de ville.

  • 4 Cet événement funeste intervient alors que Janvier a décidé de doter Rennes d’une grande piscine mu (...)

23(La rétrocession par l’État à la ville des bâtiments de la caserne Saint-Georges4 en partie détruite par un incendie le 5 août 1921, nous a permis par la suite d’envisager dans ces vastes locaux, l’aménagement du matériel d’incendie et de logements pour un assez grand nombre de sapeurs pompiers. Ces dispositions permettront, en cas d’alerte, d’assurer des secours plus prompts encore que ceux prévus par l’affiche résumée plus haut).

— Création d’un refuge ouvroir pour les femmes en couches

24À la suite d’une délibération du conseil municipal en date du 6 juillet 1921, il a été créé à Rennes un refuge ouvroir destiné à procurer asile, avant l’accouchement, aux femmes nécessiteuses et, après l’accouchement, à celles qui consentent à élever et à allaiter leur enfant. Ce refuge a été installé dans l’une des salles de l’hospice de Pontchaillou. Il comprend quinze lits. Les femmes peuvent y être admises à partir de la fin du sixième mois de leur grossesse et y rester pendant six mois encore après l’accouchement, mais à la condition quelles allaitent leur enfant. Chacune d’elles y est gratuitement logée, nourrie et reçoit tous les soins que nécessite son état : le trousseau même lui est fourni.

25La commission administrative des hospices a bien voulu se charger – moyennant un prix de journée actuellement fixé à 7,50 F – de l’organisation et du fonctionnement de ce refuge ouvroir dont la tutelle médicale est confiée au professeur de clinique obstétricale. Le montant total des dépenses annuelles a été évalué, pour le début, à 38 650 F que le département d’Ille-et-Vilaine et la ville de Rennes se sont mis d’accord pour supporter par moitié, étant entendu par suite que, parmi les personnes admises, autant que possible, la moitié des bénéficiaires devrait avoir son domicile de secours à Rennes, l’autre ayant un domicile de secours départemental. L’institution présente donc un intérêt départemental et communal.

26Le refuge ouvroir a été créé pour accueillir les malheureuses vis-à-vis desquelles les secours des lois d’assistance seraient insuffisants, les filles-mères, les femmes abandonnées que la misère et l’abandon moral autant que matériel, où elles se trouvent elles-mêmes, poussent trop souvent à l’infanticide. À celles-là surtout, qui sont seules, le refuge va donc donner asile et sécurité ; pour elles et leur enfant, soins et affection. Quelle est la mère qui, ayant nourri elle-même son petit pendant six mois, pourrait l’abandonner plus tard ? Pas une. Le refuge ouvroir, j’en suis convaincu, sauvera bien des existences. Il est, parmi les institutions d’assistance créées à Rennes, l’une de celles qui honorent le plus notre ville.

— Création du stade municipal d’éducation physique5

- Réception à l’hôtel de ville de M. Henry Paté

27La ligue de l’Ouest de football-association ayant invité M. Henry Paté, député de la Seine, haut commissaire de l’éducation physique et des sports au ministère de la Guerre, à venir présider un match de football entre les équipes du grand-duché de Luxembourg et de la ligue de l’Ouest, il fut convenu, entre la municipalité rennaise et les dirigeants de la fédération sportive régionale qu’à cette occasion, M. Henry Paté serait reçu officiellement à l’hôtel de ville. Cette réception eut lieu le dimanche 12 mars 1922, à 10 heures 30 du matin. M. Maupoil, préfet d’Ille-et-Vilaine ; le général Passaga, commandant le 10e corps d’armée ; M. Plédy, premier président de la cour d’appel ; M. Demangeat, procureur général ; M. Gérard Varet, recteur de l’académie ; M. Bosney, secrétaire général d’Ille-et-Vilaine ; de nombreuses autres personnalités et les représentants de la presse rennaise y assistaient.

28Toutes les fédérations régionales et les sociétés sportives rennaises étaient représentées par leurs dirigeants : la ligue de l’Ouest de football-association, la ligue de Bretagne d’athlétisme, le comité de Bretagne de natation, l’Arsenal Sports, l’Athlétic-Club Rennais, l’Association sportive des cheminots, le Club sportif rennais, l’Union sportive gazière, l’Association sportive des PTT, le Stade rennais université club, les sociétés de gymnastique, la Rennaise, les Vigilants, le Cercle Paul Bert, les Cadets de Bretagne, la Tour d’Auvergne, les sections rennaises des Éclaireurs et des Éclaireuses de France, la Société de tir Duguesclin, le Vélo-Cycle rennais, le Boxing Club rennais, etc. M. Jacquemart, président, et les délégués de la fédération du grand-duché de Luxembourg étaient également présents. Entouré de mes quatre adjoints, de la plupart des conseillers municipaux et de M. Fablet, secrétaire général de la mairie, je reçus M. le haut commissaire auquel furent présentés les personnalités citées plus haut, les membres du conseil municipal, les dirigeants des groupements sportifs.

  • 6 Le journal L’Ouest-Éclair essentiellement (relayé par Le Nouvelliste de Bretagne). Le 7 février 192 (...)

29Cette réception arrivait fort opportunément. Sur ma proposition, le conseil municipal avait récemment décidé la création à Rennes d’un stade municipal d’éducation physique comprenant des terrains de jeux et de sports, des bains douches et une grande piscine de natation. Ce projet avait été vivement combattu par un journal local, uniquement guidé d’ailleurs dans sa campagne par des considérations politiques6 L’occasion m’était offerte d’exposer publiquement au haut commissaire des sports et devant un auditoire principalement composé de sportifs, les intentions de la municipalité. Je ne manquai point de le faire avec ma franchise habituelle. Après avoir rappelé que ce projet complétait les créations et améliorations déjà effectuées à Rennes dans le domaine de l’hygiène et répondait au désir nettement affirmé des sociétés sportives locales qui, dès 1917, avaient délégué près de moi, deux de leurs représentants pour m’en demander la réalisation, j’en exposai ainsi les grandes lignes.

« Le terrain choisi pour le stade municipal situé près de l’école d’industrie, d’une contenance de 30 000 mètres carrés environ, peu éloigné du centre de la ville, très voisin de faubourgs populeux et de nombreuses usines, se prête de façon parfaite à l’aménagement du groupement sportif dont le conseil municipal désire faire bénéficier la cité. La plus grande partie de l’espace disponible sera consacrée à l’aménagement d’un terrain de sports et de jeux avec piste de courses à pied, pelouse de football, etc. Des tribunes couvertes pouvant contenir quinze cents personnes seront érigées sur ce terrain, tandis qu’au pourtour six mille spectateurs auront facilement accès. Toutes nos sociétés sportives pourront y organiser des matches ou des concours ; nos œuvres de bienfaisance auront la faculté d’y donner des kermesses ou des fêtes diverses ; enfin – et c’est là une idée particulièrement chère au conseil municipal – pendant la période des vacances, de juillet à septembre, le stade sera transformé en un vaste camp de vacances où les milliers d’enfants de nos écoles municipales viendront s’ébattre et jouer en liberté sous la surveillance des dirigeants de la caisse des écoles et du Cercle Paul Bert. Notre projet comporte encore une grande piscine de natation dont le plan s’inspire de ce qui existe de plus récent, tant en France qu’à l’étranger. Elle comporte cinquante-six cabines présentant les plus grandes garanties de propreté et de salubrité. La vasque ou évolueront les baigneurs constitue un bassin de 14 mètres de largeur sur 30 mètres de longueur, avec profondeur variable pour le grand et le petit bain. L’éclairage électrique est prévu et la piscine peut-être utilisée pour des jeux nautiques : water-polo, épreuves de natation. Quatre escaliers donnent accès à des tribunes garnies de bancs à gradins où douze à quinze cents personnes peuvent trouver place. Des bains douches comptant vingt cabines doubles sont annexés à la piscine. Ils viendront utilement augmenter le seul établissement de ce genre que notre cité possède et qui, situé à l’autre extrémité de la ville, est insuffisant pour satisfaire à l’affluence des baigneurs. Enfin derrière le bâtiment de la piscine, seront installés des courts de tennis entourés d’arbustes et de bosquets formant un cadre agréable de verdure.
Grâce aux subventions provenant du produit des jeux, les conséquences financières de la réalisation de ce projet n’augmenteront pas sensiblement le chiffre des impôts. Chacun des contribuables paiera dans la proportion donnée par sa situation et sa fortune et, ainsi équitablement réparti, le sacrifice pour tous sera léger. En outre, les frais de fonctionnement et d’entretien de la piscine, des bains douches et du terrain de sports devront être récupérés de telle manière que ces établissements puissent vivre par leurs propres moyens, ainsi que nous l’avons fait déjà pour beaucoup d’autres œuvres. J’ai l’impression que cette création comptera parmi les innovations les plus intéressantes de la municipalité actuelle. Je ne crains point pour elle le jugement de l’avenir, qu’il soit éloigné ou prochain, parce que le stade municipal d’éducation physique répond à un besoin réel dans le domaine de l’hygiène sociale ».

30M. Henry Paté avait écouté avec attention l’exposé que je venais de faire. Après m’avoir remercié de la réception organisée en son honneur, il tint à dire combien il approuvait l’initiative prise par la municipalité rennaise en créant un stade d’éducation physique avec grande piscine de natation. Apporter sa contribution à pareille œuvre c’est, ajouta-t-il, accomplir un devoir national ; d’autres grandes villes comme Bordeaux, Belfort, Lyon, étudient en ce moment de semblables projets. Puis après avoir rappelé la nécessité, après la terrible guerre qui a fait perdre à la Patrie tant de ses enfants, de refaire une race saine, vigoureuse, bien portante, qui puisse travailler dans la paix au bonheur de l’humanité, M. le haut commissaire termina ainsi son discours.

« Travailler à la santé publique, c’est rétablir la prospérité économique. À ceux qui ne veulent pas comprendre qu’il faut développer la race française, il faut répondre : diminution des malades dans les hôpitaux, augmentation par conséquent des bras qui seront à la disposition de la nation. Il faut leur dire surtout, programme social au premier chef : vous n’avez pas le droit de vous désintéresser, encore moins de faire la critique de ce qui peut améliorer le sort des individus. Il faut permettre aux jeunes gens de se développer et de se fortifier par les sports de leur choix ».

31De semblables encouragements m’étaient précieux et de pareilles opinions ne pouvaient que me confirmer dans l’idée que cette création du stade municipal d’éducation physique, comme tant d’autres innovations, maintenait à notre ville son rang parmi les plus grandes cités. Cet acte d’administration vous prouve également qu’il faut parfois, mes chers enfants, une solide volonté pour vaincre les préjugés et le parti-pris qui entravent parfois les idées nouvelles.

32Dans sa séance du 27 octobre 1922, le conseil municipal décidait la construction de la piscine de natation et des bains douches sur les terrains disponibles de Saint-Georges. Placés plus au centre de la ville, ces établissements seront ainsi assurés d’une clientèle plus nombreuse et plus assidue. Enfin dans sa séance du 29 décembre 1922, le conseil municipal approuvait les plans et les devis de cet établissement de piscine et bains douches et votait la dépense. M. Dottin présentait à ce sujet les conclusions suivantes.

« Tout a été dit pour et contre les bains douches et la piscine – et jamais sans doute une question d’eau n’a fait couler autant d’encre. Il y a des gens qui aiment à se laver et à nager, il y en a qui n’aiment ni l’un, ni l’autre. C’est une affaire de goût, de sport et d’hygiène. Les premiers semblent par nature plus intéressants que les seconds. Il reste une question importante, c’est de savoir si l’état des finances de la ville permet cette dépense et si le moment est bien choisi pour l’effectuer. La situation de notre budget où l’on constate le relèvement graduel de nos ressources, permet de répondre affirmativement à la première partie de cette question. Quant à l’opportunité de la dépense, nous devons choisir le moment où le concours de l’État nous est assuré le plus largement. Nous pouvons espérer que pour les bains douches et les piscines, la France ne continuera pas à être en retard sur les principales nations de l’Europe et que les initiatives municipales pour fonder des établissements du genre de celui dont la ville de Rennes a décidé la création ne tarderont pas à se multiplier ; à ce moment les subventions de l’État, qui devront se répartir sur un plus grand nombre de villes, seront singulièrement réduites et la dépense qui incomberait pour réaliser un progrès indispensable serait beaucoup plus forte.
Pour ces raisons, au nom de vos commissions des finances et des travaux publics, je vous prie, mes chers collègues, conformément aux conclusions du rapport de M. le maire, de décider que la dépense à la charge de la ville pour la seconde partie de la construction de l’établissement de bains douches et piscine, soit 1000694,68 F, sera prélevée sur les ressources d’un emprunt global à contracter et que le montant de la nouvelle subvention de l’État, soit 475 000 francs, fera l’objet d’une ouverture de crédit en recette et en dépense au budget de 1923 ».

— Enseignement professionnel et apprentissage

33La nécessité s’est imposée, au cours de la guerre, d’employer au maximum toutes les énergies du pays. Elle s’imposera encore assez longtemps, et chacun s’en rend compte, avec autant de force. De là, entre autres, cette organisation nouvelle de l’enseignement technique qui a donné et donne naissance à de si nombreuses et diverses écoles d’apprentissage. Se rattachant à celles-ci, d’autres écoles nées directement de la guerre, d’un caractère très spécial il est vrai, mais présentant également un caractère professionnel, ont été créées ; ce sont les écoles de rééducation professionnelle de mutilés, fondées pour donner aux grands blessés de la guerre devenus incapables de reprendre l’exercice de leur ancienne profession, les moyens ou de s’instruire et se rendre capables d’occuper un emploi à la hauteur duquel ils auront su élever le niveau de leur instruction ; ou d’apprendre un métier compatible avec les moyens physiques qui leur restent, avec leurs goûts et leurs projets d’avenir. Je veux dire, en quelques mots, ce que la ville de Rennes a fait spontanément en faveur de ces différentes écoles.

  • 7 Rappelons que cet hospice fut installé dans les bâtiments claustraux, après la désaffection de l’ab (...)

34Lorsque, en juillet 1916, l’école de rééducation professionnelle des mutilés fut créée à Rennes, le conseil municipal mit gratuitement à sa disposition le bâtiment de l’école primaire supérieure de filles rue Jean Macé. Ce bâtiment fut en partie détruit par un incendie, le 19 septembre 1919. Je décidai alors, sur ma propre responsabilité, de loger aussitôt nos mutilés dans l’hospice Saint-Melaine7 dont les vieillards furent hospitalisés à Pontchaillou. Ma décision du reste, reçut plus tard la pleine approbation du conseil. C’est dans cet immeuble, très vaste, agrémenté d’un beau jardin fruitier et potager, admirablement situé au centre de la ville et touchant notre superbe Thabor, que l’école des mutilés se trouve actuellement installée (1922).

35Sur ma proposition, en plus d’une subvention annuelle de 10000 F, le conseil municipal a garanti à l’école la libre disposition de cet immeuble, pendant une période qui ne pourra être inférieure à dix années à partir du1er janvier 1923. Il est en effet prévu que l’école fonctionnera, en tant qu’établissement de rééducation professionnelle pour les mutilés de la guerre, pendant sept ans encore : quatre ou cinq ans à effectif normal (deux cents élèves environ) ; deux ans à effectif réduit (cent élèves à peu près). Mais, en outre, elle est appelée à recevoir une section spéciale des pupilles de la nation, comprenant une centaine d’élèves à qui l’on apprendra de petits métiers, et aussi, comme internes, un certain nombre d’élèves de l’atelier école de préapprentissage, les uns et les autres ayant dortoir et réfectoire séparés.

36Pour l’occupation de l’hospice Saint-Melaine, la ville n’a demandé aucune redevance à l’État, dans l’espèce à l’Office national des mutilés dépendant du ministère de la Guerre et des Pensions, sauf à cet office à prendre évidemment à sa charge les frais d’assurances, d’entretien, même ceux de grosses réparations, ainsi que toutes les dépenses effectuées en vue des travaux spéciaux d’aménagement que nécessiterait la nouvelle destination de l’immeuble.

37Également pendant la guerre, en 1918, la ville de Rennes prêta gratuitement, au réseau des Chemins de fer de l’État, les locaux que celui-ci sollicitait pour l’organisation de cours professionnels aux apprentis de ses ateliers. Elle mettait à sa disposition – le jeudi, toute la journée, et les autres jours, de 16 à 18 heures – quatre classes de l’école du boulevard de la Liberté ; elle lui concédait de plus pour l’édification d’un atelier, un terrain attenant à ladite école. Cette concession était faite pour quatre ans, au maximum, commençant à courir à partir du jour où serait promulgué le décret de cessation des hostilités, et il était entendu que, à l’expiration de la concession, l’atelier construit par le réseau deviendrait propriété de la ville. Cet atelier reviendra donc à la ville le 23 octobre 1923, au plus tard ; il est dans mes intentions de le faire attribuer alors à un autre établissement d’enseignement professionnel qui mérite tous nos encouragements, je veux parler de l’atelier école de préapprentissage.

  • 8 L’école de préapprentissage était installée au 40, rue Vasselot, dans un bâtiment municipal. Les co (...)

38L’atelier école de préapprentissage a été fondé en 1919, par la section d’Ille-et-Vilaine du comité régional des arts appliqués et sur l’initiative particulière de deux hommes : M. Laloy, président de ce comité, et M. Le Ray, architecte de la ville. Il a été créé en vue de former de bons apprentis menuisiers, charpentiers, zingueurs, tôliers, plombiers, serruriers, etc., du bâtiment auxquels sont donnés de solides connaissances techniques, pour qu’ils puissent devenir les ouvriers et contremaîtres capables dont l’industrie du bâtiment a tant besoin8 Dès l’ouverture de l’école, le 20 janvier 1920, vingt élèves suivaient les cours ; ils étaient bientôt quarante, puis soixante. Ils seraient bien davantage s’il avait été possible d’admettre, comme pensionnaires, les enfants dont les parents habitent en dehors de Rennes. Mais on vient de voir que, précisément, un internat est prévu pour ces enfants dans les locaux de l’hospice Saint-Melaine.

39Le conseil municipal ne pouvait manquer de s’intéresser à cet établissement. Il était naturel que, personnellement, je m’y sois intéressé plus que tout autre, moi qui ai connu, comme petit compagnon, les dures années d’apprentissage, fait non pas – hélas ! – à l’école, mais sur le chantier où ce n’était pas toujours par des conseils que, si je puis dire, on vous faisait « rentrer le métier dans le corps ». J’ai donc fait voter en faveur de cet atelier école une importante subvention annuelle et fait mettre à sa disposition un immeuble communal, sis rue Vasselot n° 40, exactement derrière l’école publique du boulevard de la Liberté, de sorte qu’il sera facile, comme j’ai dit plus haut en avoir l’intention, de lui annexer en 1923 l’atelier construit par le réseau des Chemins de fer de l’État sur un terrain attenant à ladite école.

  • 9 Le musée technique, baptisé Le Ray du vivant de celui-ci, était destiné à fournir des modèles aux é (...)

40Pour compléter et illustrer l’enseignement donné à l’atelier école de préapprentissage dont il avait été un des fondateurs, M. Le Ray eut l’heureuse pensée d’organiser un musée technique. Le musée technique Le Ray – c’est ainsi qu’avec justice on a appelé cette collection – a été installé dans une des vastes salles de notre école régionale des Beaux-Arts9 Précisément d’ailleurs, dans cette école régionale des Beaux-Arts dont la ville de Rennes est légitimement fière, une part a été faite à l’enseignement professionnel proprement dit et cette part devient de plus en plus grande. Notre ambition, en effet, n’a pas été seulement de former des artistes distingués ; elle a été encore de former des « ouvriers d’art » et c’est dans ce sens que, suivant en cela nos désirs, l’excellent directeur actuel, M. Ronsin, a travaillé, donnant à l’école, l’impulsion hardie et rénovatrice qui a fait d’elle, l’une des plus réputées parmi les écoles des Beaux-Arts de province. J’ajoute aussi que, à côté des cours destinés aux élèves inscrits à l’école, nous avons institué un grand nombre de cours du soir (mathématiques, dessin, etc.) qui, ceux-ci, s’adressent particulièrement aux ouvriers et aux employés.

  • 10 Actuel lycée Robidou, l’école pratique d’industrie fut fondée en 1885 (rue d’Échange) par le prédéc (...)

41Enfin, aux élections municipales de 1919, nous avions inscrit dans notre programme « l’agrandissement et la modernisation de notre école pratique d’industrie10 ». Le projet a été étudié, il est maintenant arrêté ou presque. J’aurai donc l’occasion sans doute de dire plus loin, dans ces Souvenirs, ce qui a été réalisé à ce sujet.

— Classement des façades de l’hôtel de ville parmi les monuments historiques

42J’ai dit comment, avant la guerre, nous avions achevé et aménagé, de 1912 à 1914, l’hôtel de ville édifié au 18e siècle, de 1734 à 1743, suivant les plans de l’architecte Gabriel. Dans la nuit du 12 au 13 novembre 1920, un incendie dans le pavillon sud détruisait la toiture de cette aile, notre grande salle des fêtes ainsi que les salons y attenant, endommageait enfin les appartements occupés par le secrétaire général de la mairie et par le receveur municipal. Environ un an et demi après, tout était entièrement restauré, y compris l’ameublement, dans l’état exact d’avant l’incendie. Les dégâts avaient été couverts par l’assurance ; il se trouva même que le montant des indemnités payées par les compagnies dépassa les frais de remise en état, une baisse s’étant produite, depuis l’époque du règlement du sinistre, dans les prix de revient des matières premières et des travaux. J’en profitai pour faire employer une partie des sommes ainsi disponibles au remplacement, par l’éclairage électrique, des rampes à gaz appliquées pour les illuminations sur les façades de l’hôtel de ville et du théâtre municipal (juillet 1921). Ces rampes dataient en effet de 1883. Elles avaient fait leur temps. Dans la même période commençaient les travaux du Panthéon rennais institué dans la salle d’attente des mariages. Ainsi notre superbe hôtel de ville, véritable chef-d’œuvre de l’art architectural du 18e siècle, allait se trouver complètement terminé.

43Pensant alors qu’il serait infiniment regrettable que d’inopportunes modifications en vinssent plus tard menacer l’élégante pureté, je proposai au conseil municipal, dans sa séance du 7 mai 1922, de demander le classement, parmi les monuments historiques, des façades de notre hôtel de ville. Comme le disait très bien, dans ses conclusions, mon collègue, M. Dottin, doyen de la faculté des lettres, ce classement présente en effet deux avantages, « celui de préserver les bâtiments contre des modifications, dues au caprice ou à l’ignorance, et celui de signaler à l’attention des touristes, par l’intermédiaire de guides, les édifices les plus remarquables. Le délicat spécimen de l’art architectural du 18e siècle qu’est notre hôtel de ville mérite d’obtenir cette sorte de consécration officielle ». Ma proposition fut unanimement approuvée par le conseil municipal et, quelques semaines après, le 29 mai 1922, était prononcé l’arrêté de classement que nous avions sollicité.

— Inauguration du Panthéon rennais érigé à la mémoire des enfants de Rennes morts pour la France pendant la Grande Guerre

44Le dimanche 2 juillet 1922 fut inauguré le Panthéon rennais institué dans l’une des salles de la maison commune, suivant délibérations du conseil municipal des 18 novembre 1918 et 19 septembre 1919, pour conserver et glorifier la mémoire des enfants de Rennes morts pour la Patrie pendant la Grande Guerre. Le matin, le conseil municipal se rendit en corps, de l’hôtel de ville au cimetière de l’Est, pour déposer, à 8 heures 30, une couronne aux tombes militaires. La cérémonie même d’inauguration se déroula l’après-midi, de 17 à 19 heures, sur la place de la Mairie, spécialement ornée et aménagée : une vaste estrade, sur laquelle se tenaient plus de trois cent cinquante musiciens et choristes, avait été dressée devant le groupe de Jean Boucher qui décore la niche de l’hôtel de ville ; six mille places assises avaient été disposées pour le public. Des discours furent prononcés, devant une foule compacte et recueillie, par M. Maupoil, préfet d’Ille-et-Vilaine ; par le général Passaga, commandant le10e corps d’armée ; puis par moi-même. Un poème en l’honneur des morts de la guerre fut lu par son auteur, mon ami M. Léon Berthaut, conseiller municipal, membre de la Société des gens de lettres. Des chants patriotiques – Le Chant des Girondins, l’Hymne aux Morts de Victor Hugo, La Marseillaise – furent exécutés par les chœurs et l’orchestre. J avais voulu, d’accord du reste avec mes collègues, donner à cette cérémonie le caractère simple et grave qui lui convenait et c’est ce que M. Maupoil, après avoir loué la municipalité du projet émouvant qu’elle avait conçu et réalisé, soulignait dans son éloquent discours.

« Dans nos départements du Nord et de l’Est, la guerre a accumulé les ruines ; sur l’ensemble du territoire français, elle a fait surgir du sol une vaste floraison de monuments destinés à commémorer l’héroïque sacrifice de nos soldats. Celui que votre piété reconnaissante consacre aujourd’hui à la mémoire des enfants de Rennes tombés au champ d’honneur et qu’on a voulu ériger dans l’hôtel de ville, c’est-à-dire dans le cœur même de votre cité, est le plus saisissant et le plus émouvant qu’on puisse voir.
Il faut louer sans réserve le conseil municipal d’avoir conçu un projet d’un caractère à la fois si nouveau et si grandiose et d’en avoir confié l’exécution à des maîtres rennais de l’architecture et de la peinture, dont le talent s’est haussé à la mesure de l’œuvre qu’il s’agissait d’entreprendre. Ceux-là mêmes qui ont pu formuler le regret que l’hommage rendu à leurs morts ait été tardif auront du moins le réconfort de penser que cet hommage est unique en son genre et que le culte de la Patrie ne sera célébré nulle part avec plus d’éclat et plus de magnificence qu’ici.
Nous manquerions à la franchise, si nous n’adressions à la municipalité de Rennes un autre éloge : trop souvent nous avons été choqués de voir que l’inauguration des monuments élevés aux morts de la Grande Guerre prenait l’allure d’une fête foraine et que la forte émotion qu’elle suscitait dans tous les cœurs était prématurément dissipée par des libations, par des ripailles, quelquefois même par des ébats chorégraphiques souverainement déplacés. Ce sera votre honneur, Monsieur le maire, d’avoir voulu que la cérémonie à laquelle vous nous avez conviés se déroule dans l’atmosphère de simplicité, de sévérité et de recueillement qui lui convient. Accompagné de vos collègues de l’assemblée municipale, vous vous êtes incliné ce matin sur les tombes militaires du cimetière de l’Est et vous les avez fleuries au nom de vos concitoyens. Ce soir, après l’audition majestueuse de nos plus beaux chants patriotiques, vous ouvrez au public les portes de ce temple du souvenir à l’édification duquel nous savons que vous avez travaillé avec une fiévreuse ardeur. La grande ville, qui fut et qui demeure la capitale de la Bretagne, se devait à elle-même d’honorer de cette façon ses glorieux fils ; elle sait gré à son premier magistrat d’avoir ainsi témoigné son respect pour les deuils qu’un pareil jour ne peut manquer de raviver douloureusement dans de trop nombreux foyers ».

45Le général Passaga qui, en 1914, était colonel du 41e régiment d’infanterie cantonné à Rennes, célébra la rude ténacité, l’esprit d’abnégation et de discipline des héroïques troupes bretonnes qu’il avait eu l’occasion et l’honneur de commander pendant la guerre. Je vous donne ci-dessous, mes chers enfants, le texte du discours que je prononçai alors.

  • 11 Allusion à la querelle des réparations dues par l’Allemagne. Celles-ci étant très difficile à délim (...)

« C’est le lundi 11 novembre 1918 que fut signé l’armistice victorieux de la Grande Guerre. Date mémorable, jour d’allégresse où la voix brutale du canon qui, pendant des mois et des mois et des années, avait sans relâche dominé, se tut : un dernier aboi haineux de la horde qui fuit vers le nord et l’est et, du sol ravagé de la Patrie, des centaines de milliers d’hommes, qui sur une ligne de plus de 300 kilomètres ne faisaient avec ce sol qu’une même chose, surgirent ; et leur puissante clameur de fierté, de joie, de salut à la vie et à la paix remplit le ciel d’amples ondes qui firent jaillir à leur tour, du cœur de nos cités, une immense acclamation.
Sept jours après, dans un sentiment profond de reconnaissance vis-à-vis de ceux-là dont le sacrifice avait sauvé la Patrie et la liberté du monde, le conseil municipal décidait de consacrer un monument durable aux enfants de Rennes morts pour la France pendant la Grande Guerre. Notre chère Patrie – disions-nous – si grande par son passé, sort anoblie de cette terrible lutte. Dans la fierté légitime qu’en doit éprouver chacun de ses citoyens, il ne faut pas toutefois qu’il soit jamais oublié que la gloire de la France est faite du courage et du stoïcisme de ses enfants des diverses provinces et nous devons veiller à ce que l’on sache que ceux de Bretagne, ceux de Rennes, n’ont cédé leur place à personne au champ d’honneur. Le 19 septembre 1919, le conseil approuvait le projet d’un Panthéon rennais institué dans l’une des salles de la maison commune et c’est ce Panthéon que nous inaugurons aujourd’hui.
Cette “salle du souvenir” est un hommage qui s’adresse, sans exception, à tous nos vaillants soldats et marins. Mais parce qu’il convenait de conserver la mémoire individuelle de ceux qui furent attachés à notre cité par des liens plus étroits que les liens d’une simple résidence, les noms des Rennais d’origine, c’est-à-dire nés à Rennes, ont été inscrits en ce Panthéon. Ils sont neuf cent trente-six dont les noms gravés sur le marbre se suivent dans le seul ordre alphabétique, sans distinction de situation sociale ou de grade. Cette salle sera ouverte tous les jours. Elle continuera également, selon sa destination précédente, à servir de salle d’attente des mariages. Le souvenir de nos morts et la vertu de leur exemple resteront ainsi plus vivaces. Quant, avant de passer devant l’officier de l’état civil pour accomplir un des actes les plus importants de la vie, les futurs époux viendront s’asseoir ici avec leur famille et leurs amis, qu’ils se recueillent un instant et qu’ils méditent. Qu’ils songent que leur joie, que leur espérance même dans la sécurité d’un avenir heureux, ils les doivent aux souffrances endurées, au sacrifice consenti par ceux qui sont tombés en accomplissant le plus sacré des devoirs : la défense de la Patrie.
Je dis la défense, car il est impossible que, dans notre France, un parti, un homme puisse concevoir le monstrueux dessein de provoquer, dans un but de conquête, le déchaînement de cette abominable tuerie : la guerre avec tout son cortège de misères et de ruines. Tous, au contraire, nous voulons sincèrement, ardemment la paix. Mais nous la voulions de même en 1914. Je ne puis me rappeler, sans une profonde émotion, ce samedi 1er août 1914 où de la fenêtre de mon cabinet, je donnai connaissance à la population du décret de mobilisation générale parvenu à Rennes vers quatre heures du soir. Instantanément la place de l’hôtel de ville était noire de monde. Point de cris, point de tumulte dans cette foule, mais un impressionnant silence. Comme tous alors à cette minute sacrée, se sentaient vraiment les fils d’un même et grand pays, de cette France tourmentée de justice, toujours si généreuse même dans ses erreurs ! De cette dignité, de cet esprit de solidarité nationale, qui se manifestaient ainsi aux premières heures, la population rennaise ne s’est pas départie durant toute la guerre. J’avais le devoir de lui adresser cet hommage et de la remercier notamment d’avoir si largement souscrit à nos œuvres de guerre : parmi les concours reçus de toutes parts, certains m’ont particulièrement touché.
Mais la plus parfaite expression de cet hommage n’est-elle pas précisément d’honorer et de glorifier la mémoire des enfants de Rennes qui, morts au service du pays, ont tout donné avec leur vie ? Pour eux, aucune parole n’est assez éloquente, aucun monument n’est assez grandiose, aucun souvenir n’est assez pieux. Ils sont partis, laissant ce qu’ils avaient de plus cher : des parents, une femme, de petits enfants peut-être, et leur cœur se serrait douloureusement. Car l’esprit de violence ne les animait pas, ni le désir ignoble de destructions et de rapines, ni le rêve orgueilleux de je ne sais quelle domination... Non, leurs sentiments n’étaient qu’humains. Mais, répondant à l’appel de la Patrie menacée, ils voulurent, d’une indestructible volonté, que cette guerre, dont ils avaient l’horreur, ne se terminât que par la victoire de la justice et du droit. Pendant plus de quatre années, terriblement longues, ils ont lutté et leur valeur a fait l’admiration du monde. Ils furent les soldats de ces armées que la République, acclamée par le peuple au lendemain de nos désastres de 1871 et maintenue par lui, avait instruites et formées.
Les poètes, plus tard, diront leurs fabuleux exploits aujourd’hui condensés dans les brèves formules des ordres du jour militaires. Après la première bataille de la Marne où fut rompue la ruée allemande déferlant comme un raz-de-marée sur toutes les routes de l’héroïque Belgique et de nos départements du Nord, le maréchal Joffre disait : “la République peut être fière de son armée”. Lorsque l’ennemi tenace déchaînait sur Verdun un tel ouragan de fer et de feu que rien ne devait plus rester vivant, ni arbre, ni brin d’herbe et que la terre elle-même, pulvérisée, ne fut plus qu’un chaos sans nom, le maréchal Pétain exprimait lui aussi sa grande confiance dans la valeur de nos armées, en criant : “Courage, on les aura” ! Verdun, immortel symbole de la résistance française, Verdun, où tous les régiments de notre infanterie sont venus verser le lourd tribut du sang, ton nom évoque tous les héroïsmes, mais aussi hélas ! toutes les misères, les souffrances et les sacrifices innombrables ».
Que de mortelles angoisses, que de tâches surhumaines – telles que ceux mêmes qui les avaient accomplies doutaient ensuite d’en avoir été les auteurs – renferme ce simple verbe « tenir » qui, pendant si longtemps, traduisit l’obsédante pensée du pays. Combien, enfin, d’hécatombes ultimes payèrent, dans les rangs des nôtres, les victorieuses offensives de la fin de la guerre dont les progrès quotidiens nous emplissaient d’espérances... Et comme on comprend que, parlant de cet armistice - que certains ont pu regretter de voir conclure avant que les armées alliées aient foulé le sol de l’Allemagne – le généralissime de ces armées, le grand soldat que nous avions l’honneur de recevoir il y a quelques mois, le maréchal Foch ait déclaré : « J’ai considéré que, les buts de guerre étant atteints, je n’avais pas le droit de verser une goutte de sang de plus ».
Ô Morts de la grande guerre, Enfants de France qui symbolisez toutes les vertus de la race, que votre souvenir au moins reste à jamais vivant. Vous êtes tout près de nous encore ; nous avons connu votre simple et mâle figure et, déjà, vous entrez dans la légende. Dans toutes les communes de France, des monuments s’élèvent en votre honneur : que ce Panthéon, institué par la ville de Rennes, témoigne à la mémoire de ceux de ses fils tombés pour la cause commune, de nos sentiments de pieuse et reconnaissante affection ; qu’il apporte à leurs familles en deuil, la légitime satisfaction qui leur est due ; qu’il dise à leurs camarades combattants, survivants de la guerre, la gratitude et l’estime de la cité.
Quatre ans bientôt se sont écoulés depuis la signature de l’armistice. La vie reprend, entraînant chaque jour un peu plus d’oubli du passé : ainsi s’efface sensiblement, chez les individus et chez les peuples, cet esprit de solidarité sans lequel la guerre n’eût pas été gagnée. Nous reprochons à nos Alliés, qui combattaient hier avec nous pour la sauvegarde de leurs libertés menacées, de ne pas se souvenir suffisamment aujourd’hui du sang versé en commun, de nos sacrifices et de nos ruines à nous, France, sur qui a porté le plus lourd fardeau de la guerre11 Des reproches, je veux le croire, un peu exagérés. Mais nous-mêmes qu’avons-nous fait en faveur de nos malheureux concitoyens du Nord et de l’Est ? Quelle aide fraternelle leur avons-nous apportée ? Ah, je le sais, en attendant que l’Allemagne nous verse les sommes importantes qu’elle nous doit, l’État inscrit, chaque année à son budget, d’énormes crédits pour la reconstruction des régions libérées. Il est évident que les communes et les habitants de la France indemne sont incapables d’entreprendre eux-mêmes cette tâche, trop au-dessus de leurs forces, de reconstruire les cités dévastées. Mais il y a tant d’autres choses à faire, tant de misères qu’on pourrait secourir...
J’ai vu l’émouvant retour de réfugiés vers leur pays natal. À ceux qui leur disaient : « Pourquoi allez-vous là-bas ? Vous allez trouver la misère » ! Ils répondaient : « Nous voulons revoir notre maison ». – « Mais votre maison, votre village sont détruits ». – « Nous logerons dans les ruines, il reste bien des caves peut-être ; et nous travaillerons ! On ne peut tout de même pas abandonner tout cela, laisser les maisons écroulées, les champs incultes ». Ainsi, voilà de pauvres gens qui, déjà, ont souffert plus que nous et qui acceptent de souffrir encore afin de recréer ces richesses grâce auxquelles la France retrouvera demain son entière prospérité : et nous, qui profiterons de cette prospérité faite de leur travail et de leur peine, nous ne les aiderions pas ?
Il est mille manières de le faire ; ils ont froid, ils ont faim, ils sont mal vêtus, mal nourris ; nous pouvons, par l’intermédiaire de leur bureau de bienfaisance, leur procurer le charbon, les couvertures, les vêtements dont ils manquent. Certes, beaucoup de villes ont compris leur devoir : elles ont adopté une cité martyre. Je suis heureux que Rennes, qui a pris Vouziers comme filleule, ait été l’une des premières parmi ces villes. Mais combien d’autres n’ont rien fait !
Au nom de cette solidarité nationale dont ceux que nous honorons tous ont donné le plus bel exemple, je dis aux petites communes, qui peuvent n’être pas assez riches pour apporter seules, un secours efficace : unissez-vous pour adopter une de vos sœurs dévastées ; je dis à ceux qui organisent des fêtes : envoyez une part de vos recettes au bureau de bienfaisance de la commune filleule de votre cité. Alors la misère s’atténuera peu à peu dans les provinces qui subirent si longtemps le joug de l’envahisseur ; le labeur intelligent et fécond de toutes les classes de la nation fera renaître la prospérité dans notre cher pays, où nous pourrons enfin saluer la bienfaisante aurore d’une ère de bonheur et de paix ».

46Voici, enfin, les dernières strophes du beau poème composé par notre cousin, M. Berthaut, et déclamé par lui, avec tout son cœur.

Non, vous n’êtes pas morts, ô soldats citoyens,
Puisque votre sang coule aux veines de la Race
Et que la Nation, libre sur votre trace.
Comme vous peut rêver ses rêves anciens.

Ses rêves de douceur au-dessus de vos haines,
ses rêves d’avenir aux jardins de la Paix
Et, puisque nous pouvons, grâce à vous, désormais,
Nous abreuver d’espoir aux divines fontaines...

Mais, vous voyant penchés sur nous, Morts immortels,
Pour écouter nos cœurs tout pantelants encore,
Voici ce que, debout et tournés vers l’aurore,
Nous venons murmurer au pied de vos autels :

Dieux humains, protégez les foyers de nos Pères !
Comme nos champs, d’épis, peuplez-les tous d’enfants...
Dans les fils de vos fils à jamais triomphants,
Préservez-les du mal qui fait pleurer les mères !

Et maintenant, couvrant le tintement des glas,
Nous crions : Gloire à vous dans le temps et l’espace !
Non la gloire des mots, pauvre souffle qui passe,
Mais celle d’un amour qui ne périra pas.

Notre France, par vous, devient l’âme du monde,
La lumière embrasant les plus lointains flambeaux,
Et c’est à sa clarté que, sur vos chers tombeaux,
Le Temple de la Paix peut-être enfin se fonde...

Ah ! si quelque Attila, de hordes escorté,
L’assaille de nouveau par le fer et la flamme,
Revenez, Immortels, en écrasant l’infâme,
Avec votre idéal sauver l’Humanité !

  • 12 Ce poème et le discours prononcé par Janvier, forment, avec les décors même du Panthéon rennais, un (...)

[...] Le soir, les façades de l’hôtel de ville et du théâtre furent illuminées à l’éclairage électrique, récemment installé et dont nous avions voulu réserver l’inauguration aussi pour ce jour solennel12

— Visite à Rennes du maréchal Franchet d’Esperey13 remplaçant M. Maginot14 ministre de la Guerre - L’école de rééducation professionnelle des mutilés est appelée « école Jean Janvier »

  • 13 Louis Franchet d’Esperey (1856-1942), formé à Saint-Cyr, servit en Afrique du Nord et au Tonkin ava (...)
  • 14 André Maginot (1877-1932), élu député de la gauche démocratique en 1910, fut plusieurs fois ministr (...)

47Mes chers enfants, l’Union des sociétés patriotiques et d’anciens militaires de Rennes, Union que j’avais fondée moi-même en 1910, organisa un grand congrès auquel devaient participer les diverses associations d’anciens combattants d’Ille-et-Vilaine et même des délégations interalliées d’anciens combattants représentant les nations : Amérique, Angleterre, Belgique, France, Italie, Roumanie, Tchécoslovaquie et Yougo-Slovaquie (sic). Ce congrès eut lieu les samedi et dimanche 25 et 26 novembre 1922. Il fut présidé, le dimanche, par le maréchal Franchet d’Esperey, remplaçant M. Maginot, ministre de la Guerre, qui, ayant accepté d’abord l’invitation qui lui avait été faite, se trouva, au dernier moment, empêché de venir. L’illustre vainqueur de l’armée d’Orient qui, à la bataille de la Marne en 1914, avait commandé la 5e armée, dont faisait partie notre 10e corps, arriva à la gare de Rennes, le dimanche matin, à 7 heures. Il y fut reçu par les autorités civiles et militaires. Après avoir passé, sur le Champ de Mars, la revue des troupes de la garnison, le maréchal vint à l’hôtel de ville où une réception était offerte en son honneur. Il visita d’abord le Panthéon rennais ; puis je lui souhaitai, dans mon cabinet, la bienvenue, le priant de bien vouloir apposer sa signature sur notre livre d’or où figurent déjà tant de noms qui resteront dans l’histoire, tels ceux de Viviani, Poincaré, Clemenceau, Foch.

48À 11 heures, le maréchal Franchet d’Esperey quittait la mairie pour aller visiter l’école de rééducation professionnelle des mutilés. Reçu à la porte de l’école par M. Boulanger, sous-directeur, il fut conduit au réfectoire où était M. Le Lay, le sympathique directeur qu’une maladie récente empêchait de faire lui-même les honneurs de sa maison. Il présida à l’inauguration d’une plaque commémorative. Diverses personnalités assistaient à la cérémonie [...]. L’Office national des mutilés et réformés de la guerre avait délégué, pour le représenter, son secrétaire général, M. Possoz. Parlant de l’œuvre entreprise en faveur des mutilés, et notamment de ce qui avait été fait à Rennes, M. Possoz remercia tous ceux qui avaient aidé au développement de l’école de rééducation [...].

« Messieurs les combattants interalliés », dit-il, « je suis heureux de vous voir assister à cette cérémonie. Camarades de combat hier, nous luttons aujourd’hui encore pour le relèvement de notre pays par le travail et dans la paix, dans cette paix qui est la devise de cette abbaye. Puissions-nous rester toujours unis, comme nous l’avons été sur les champs de bataille. Notre entente est le meilleur garant – je n’ose pas dire le seul – de la paix et de la civilisation Je salue Messieurs les présidents des associations des mutilés, des combattants, des sociétés patriotiques d’Ille-et-Vilaine. M. le Maréchal, je lève mon verre en votre honneur et je bois à la prospérité de l’école Jean Janvier, à celle de la grande cité si hospitalière de Rennes, à la grandeur de notre France et au bonheur de ceux qui ont tant fait pour elle ».

49L’Office national avait en effet décidé, quelques semaine avant, que l’école de rééducation de Rennes serait appelée « école Jean Janvier » [...]. À midi et demi, un grand banquet réunissait au pavillon des Lices près de mille personnes. Des discours furent prononcés. M. Robert Surcouf, président de l’Union des sociétés patriotiques et militaires du département d’Ille-et-Vilaine parla le premier.

« C’est », dit-il, « un grand honneur pour moi de prendre la parole à ce banquet. Cet honneur, je le reporte tout entier sur mes vieux camarades, les anciens soldats des sociétés patriotiques et militaires de Rennes et sur les jeunes combattants de l’Union nationale des combattants du département d’Ille-et-Vilaine qui m’ont choisi pour exprimer, en leur nom, les sentiments patriotiques dont ils sont animés, leur amour pour la France et le respect qu’ils gardent à l’armée à laquelle ils ont appartenu à l’heure où la Patrie était en danger, et que, sous vos ordres, ils ont conduite à la Victoire. Nous vous remercions, Monsieur le Maréchal, d’avoir bien voulu venir à Rennes pour présider la première réunion générale de l’Union des sociétés patriotiques et militaires qui, depuis la guerre de 1914-1918, pendant laquelle vous avez rempli un rôle si glorieux, ne s’étaient pas rencontrées [...].
Avant 1914, l’Union existait déjà dans notre ville, où elle a été fondée en 1910, par M. Janvier, maire de Rennes, présent à ce banquet. Il l’a fondée dans un sentiment de patriotisme qui ne s’est jamais démenti et il est resté notre président honoraire fondateur. Le comité de l’Union a gardé le même bureau qu’autrefois, en l’étendant un peu en raison des nombreuses adhésions qui sont venues grossir nos rangs, et nous continuons de marcher dans le même sillage. Ici, Messieurs, nous laissons de côté les questions qui peuvent diviser les citoyens d’un même pays et nous cherchons à faire accepter tous les points de vue qui les rapprochent dans un même amour de la Patrie, parce que nous voulons la France grande, puissante, prospère et respectée ! Notre mot d’ordre, si nous avions besoin d’en avoir un, serait : France d’abord, France toujours !
La pensée qui est exprimée dans ce seul mot est celle qui anime le cœur des patriotes de tous les pays. Je vois à ce banquet fraternel, où toutes les classes de la société sont représentées, les membres des délégations interalliées, que je salue du haut de mon cœur, car ils ont été nos frères d’armes dans cette guerre si longue qui a fait couler tant de sang et de larmes ».

  • 15 Cette grande réunion est un indice supplémentaire de l’importance prise par les anciens combattants (...)

50Je reproduis ici cette partie de l’allocution de M. Surcouf, où il est rappelé que l’Union des sociétés patriotiques avait été fondée sur mon initiative parce que, quelques jours avant la réception du maréchal Franchet d’Esperey, un journal de Rennes (Le Nouvelliste), exploitant des incidents qu’il avait provoqués lui-même, continuait contre moi sa campagne politique en mettant en doute la sincérité de mes convictions patriotiques. M. Surcouf, indigné de ces calomnies, avait voulu rendre publiquement hommage à mes sentiments et je l’en remercie15

51Le maréchal Franchet d’Esperey dit quelques mots tout à fait à la fin. À 4 heures 30, il reprenait le train pour Paris [...].

52N.B. : À la suite, Janvier a placé une série de comptes rendus du conseil municipal (du 27 octobre 1922) – qui ne sont, par conséquent, pas de sa main, mais dont le contenu est, cependant, symptomatique de ses grandes préoccupations du moment. C’est pourquoi on reprend ci-dessous, la liste des réalisations mentionnées.

53Au lendemain d’une grosse séance du conseil municipal (supplément aux Nouvelles rennaises du 31 octobre 1922) – Rennes grandit, travaille et s’embellit :

  1. Bains douches et piscine - Travaux de salubrité et d’hygiène - Subventions obtenues ;

  2. Caserne Saint-Georges et dépendances - Rétrocession à la ville - Aménagements ;

  3. Éclairage et électricité de l’avenue du Mail et du Champ de Mars ;

  4. Palais du Commerce - Pavillon central - Reprise des travaux ;

  5. Stade municipal d’éducation physique - Terrains de sports et de jeux - Aménagements ;

  6. Ouverture d’une me nouvelle entre le faubourg Saint-Hélier et la place de Quineleu ;

  7. Goudronnage et asphaltage des voies urbaines - Essais ;

  8. Établissement de trottoirs ;

  9. Panthéon rennais et salle des mariages à l’hôtel de ville ;

  10. Réinstallation de cabines téléphoniques dans les recettes auxiliaires des Postes ;

  11. Bal à l’hôtel de ville au profit de l’œuvre des colonies de vacances.

— Habitations à bon marché

54[...] Vous avez pu lire plus haut, mes chers enfants, le texte entier du rapport que je présentai au conseil municipal, dans sa séance du 19 septembre 1919, pour l’inviter à demander la création, à Rennes, d’un Office public d’habitations à bon marché. Vous savez que cet office fut institué par décret du 21 avril 1920 et que, dès le 18 mai suivant, je provoquai la nomination des six membres du conseil d’administration qui devaient être désignés par le conseil municipal. C’est seulement le 9 septembre 1920 qu’intervint l’arrêté préfectoral nommant les dix-huit membres du conseil d’administration de l’office, savoir :

  • six membres désignés par le conseil municipal (MM. Guillaume, Leroux, Dottin, Dubois, Rébillon, Bougot) ;

  • six membres désignés par le préfet : (MM. Abadie, professeur à l’École nationale d’agriculture ; Cahierre, conseiller à la Cour ; Quessot, conseiller général ; Millardet, docteur en médecine, membre de la commission sanitaire ; Nitsch, architecte ; F Richier, ancien entrepreneur) ;

  • six autres membres élus par les diverses institutions énumérées dans la loi : (MM. Leray, docteur en médecine ; Trévet, inspecteur primaire honoraire ; Gazanger, ancien contrôleur d’octroi ; Perret, ingénieur ; Marcille, avocat ; Alexandre, président de l’Union du commerce et de l’industrie).

55L’Office public d’habitations à bon marché de la ville de Rennes se trouva dès lors constitué. Son conseil d’administration ayant formé son bureau (M. Guillaume, architecte, conseiller municipal, fut élu président), se mit aussitôt à l’œuvre. Il avait à se documenter, à trouver un terrain, à étudier un programme de constructions : travail de préparation très important mais ignoré du public. Durant cette période, le conseil municipal n’eut à intervenir que pour donner son avis en vue de l’approbation des budgets établis par l’office ; celui de 1921, qui se limitait en dépenses à 4 900 F, représentant les frais du premier établissement et ceux d’administration ; celui de 1922 dans lequel j’étais heureux de saluer l’apparition de dépenses extraordinaires, s’élevant à 11 500 F, qui signifiaient que l’office allait entrer bientôt dans la période des réalisations.

  • 16 Les premières maisons à caractère social furent à Rennes celles de la fondation Marçais-Martin ; co (...)

56L’office avait en effet obtenu, des propriétaires intéressés, les promesses de vente d’un vaste terrain, d’une contenance de 12 212 mètres carrés, situé faubourg de Nantes16. Il avait ouvert un concours pour la production de plans d’aménagement complets de ce terrain et de plans de construction d’habitations. Ce concours était doté de primes qui occasionnaient précisément ces dépenses extraordinaires, prévues au budget de 1922. Les projets en furent exposés dans la salle des fêtes du lycée, du 23 au 29 avril 1922. Les plans définitifs ainsi que le programme financier furent alors arrêtés par le conseil d’administration de l’office. Ils me furent adressés par M. Guillaume, président de l’office, le 4 mai 1922 et je les soumis au conseil municipal le dimanche suivant, 7 mai. Soixante-six maisons individuelles contre quatre maisons collectives, comprenant dans l’ensemble cent quarante-six logements avec quatre cent quatre-vingt pièces, étaient prévues. La dépense totale s’élevait à 2 900 000 F à laquelle l’office décidait de faire face au moyen :

  1. d’une subvention de l’État égale au tiers du prix de revient, soit 966 600 F

  2. d’un emprunt de 435 000 F au taux maximum de 8 % et remboursable en trente années, à contracter auprès du Crédit foncier de France.

  3. d’un emprunt de 1 498 400 F au taux de 2,50 % et remboursable en quarante ans, à contracter auprès de l’État représenté par la Caisse des dépôts et consignations.

57Le service des annuités à payer par l’office pour ces deux emprunts devait donc s’élever à environ 98 200 francs pendant les trente premières années et n’être plus que de 59 700 pendant les dix années suivantes. L’office comptait assurer ce service par le produit de ses loyers qu’il évaluait au minimum à 120 000 F par an, lorsque les habitations projetées seraient entièrement construites. Le conseil municipal émit un avis favorable à l’approbation de ces plans et de ces emprunts. Sur ma proposition, il donnait en outre, pour ces deux emprunts, la garantie que l’office sollicitait de la ville de Rennes, celle-ci s’engageant vis-à-vis du Crédit foncier et vis-à-vis de la Caisse des dépôts et consignations, à payer elle-même, le cas échéant, les annuités dues par l’office, principal débiteur.

58Dans ses conclusions, M. Duhamel, rapporteur ne manquait pas d’adresser à M. Guillaume, président de l’office, et à tous les membres du conseil d’administration, qui venaient d’accomplir la première partie de leur tâche, les félicitations qu’ils méritaient.

« Mais nous ne saurions oublier non plus », ajoutait-il aimablement, « que l’existence même de l’office est due à l’initiative heureuse de notre maire que nous nous réjouissons vivement de revoir aujourd’hui parmi nous, après une grave maladie. Le conseil municipal, Monsieur le maire, vous remercie d’avoir provoqué la création, à Rennes, de l’office ; création au sujet de laquelle notre collègue, M. Bahon rapporteur, disait dans la séance du 19 septembre 1919, qu’elle était par l’esprit qui l’inspirait et par les résultats bienfaisants que nous étions en droit d’espérer, l’une des plus belles que nous ayons été appelés à décider ».

59Restait pour l’office à obtenir, dans le plus bref délai possible la subvention et les deux emprunts qu’il sollicitait. Les formalités administratives sont, en cette matière, assez longues et complexes. Vous avez pu remarquer, par le simple rapprochement de quelques-unes des dates indiquées ci-dessus, que, en ce qui me concernait, j’avais toujours agi sans aucun retard de façon à faciliter l’action, si impatiemment attendue, de l’Office d’habitations à bon marché. Mes relations à Paris me permettaient d’intervenir utilement au profit de l’office. Je ne manquai pas d’y avoir recours et m’empressai d’écrire, dès le 9 mai, à M. Georges Risler, membre du Comité permanent du conseil des habitations à bon marché (c’est ce comité qui se prononce sur les demandes de subvention présentées par les offices) ; à M. Picquenard, conseiller d’État, directeur au ministère du Travail et de la Prévoyance sociale ; à M. Dupont, enfin, également directeur, à ce même ministère, du service même des habitations à bon marché.

60Je leur envoyai à tous les trois la délibération que le conseil municipal venait de prendre ; je leur signalai combien il était désirable que l’office fût mis en mesure de réaliser promptement son projet de construction ; je les priai de vouloir bien appuyer la demande de subvention formulée par l’office ; je leur annonçai enfin la visite, vraisemblablement prochaine, de M. Guillaume, président, et leur demandai de l’aider de tout leur pouvoir, ne doutant pas du reste qu’ils le recevraient avec la même bonne grâce qu’ils m’avaient toujours témoignée à moi-même. M. Risler et M. Dupont me répondirent, par retour du courrier, le 10 mai ; M. Picquenard, quelques jours après, le 16.

61Leurs lettres m’étaient transmises à Bagnoles-de-l’Orne, où je me trouvais alors en traitement. J’adressai immédiatement copie des deux premières à M. Guillaume (11 mai), puis de la réponse de M. Picquenard, le 18. Ces trois lettres, en effet, insistaient sur la nécessité d’agir très vite, notamment pour obtenir la subvention, avant que les crédits accordés pour l’année en cours ne fussent épuisés. Elles contenaient en outre, surtout celle de M. Dupont, directeur du service des habitations à bon marché, d’utiles renseignements sur la marche à suivre. En les communiquant à M. Guillaume, j’attirai moi-même son attention. Je lui dis, le 11 : « Vous y verrez que ces Messieurs sont entièrement disposés à aider l’office, mais ils indiquent qu’il faut faire vite, très vite. Avec les renseignements contenus dans leurs lettres, je crois que vous et vos collaborateurs pouvez arriver à temps » ; et j’ajoutai, le 18 : « Leurs réponses, dont vous avez copie, tout en étant très encourageantes, signalent qu’il faut que le dossier soit envoyé à Paris d’urgence ».

  • 17 Cette société fut l’une des premières constituée à Rennes pour s’occuper du logement social. En 191 (...)

62J’espère que l’office réussira dans l’œuvre qu’il doit accomplir. Je l’y aiderai encore de toutes mes forces, s’il est nécessaire. Mais combien il me serait facile, dès maintenant, de répondre à ceux qui prétendent que je me désintéresse de cette question des habitations à bon marché, comme s’il était dans mon caractère d’abandonner ce que j’ai moi-même pris l’initiative de créer. Voilà ce que j’ai fait. Pouvais-je donc faire davantage, à moins d’agir moi-même au lieu et place du conseil d’administration de l’office ? J’ajouterai que notre aide en faveur des habitations à bon marché ne s’est pas limitée au seul office public. Vers la même époque où nous garantissions les deux emprunts de cet établissement (435 000 F et 1 498 400 F), nous accordions aussi la garantie de la ville pour un emprunt de 300 000 F que la société coopérative « Ma Maison »17 se proposait de contracter auprès de la Caisse des dépôts et consignations, en vue de créer, au profit de ses sociétaires, des jardins ouvriers. Plus tard, dans sa séance du 29 décembre 1922, le conseil municipal décidait encore, sur ma proposition, de donner à cette même société la garantie de la ville pour une série d’emprunts s’élevant ensemble à 1 500 000 F.

63Tout ce qui précède montre que l’administration municipale de Rennes s’est intéressée dans toute la mesure où la législation lui permettait d’agir, à l’œuvre des habitations à bon marché, provoquant la création d’un organisme public, lui donnant le plus large concours financier et se montrant disposée aussi à faciliter l’action des sociétés privées qui ont fait appel à son aide.

— Salubrité et Assainissement

- Coup d’œil d’ensemble sur le travail accompli (1908-1923)

64Le réseau de 35 kilomètres d’égouts, adopté en 1913 et en grande partie exécuté pendant la guerre, se trouvait, à la fin de l’année 1922, presque entièrement terminé. À la même époque, l’exécution du programme d’amélioration et d’extension des captations d’eau potable, que nous avions décidé en décembre 1919, se poursuivait dans des conditions satisfaisantes de sorte que nous pouvions compter sur son achèvement au cours de l’année 1923. La quantité d’eau potable dont pourrait alors bénéficier l’hygiène de la cité se trouverait augmentée – de ce fait – de plus de 8 000 mètres cubes par jour. J’exposai donc à mes collègues l’opportunité de tirer un utile parti de cet avantage en mettant le plus grand nombre possible d’immeubles à même de profiter de l’installation du service d’eau et, pour cela – puisque les deux questions sont liées – de leur assurer la possibilité d’un branchement à l’égout.

65Sur ma proposition, le conseil municipal, dans sa séance du 29 décembre 1922, votait la construction d’un lot supplémentaire de 3 670 mètres d’égouts qui, répartis en dix-sept tronçons sur différents points de la ville, sont destinés à compléter le réseau général voté en 1913. Peu de villes en France, je puis le dire, sont pourvues de services d’eau et d égouts comparables aux nôtres. J’ai écrit quelque part, dans ces Souvenirs, un passage intitulé « l’eau, gloire de Rennes » ; et ce n’est que justifié, que l’on considère la qualité de cette eau ou son abondance. À ce dernier point de vue, je ne citerai qu’un fait : l’été 1921 fut marqué, on se le rappelle, par une longue période de sécheresse ; bientôt presque toutes les villes souffrirent du manque d’eau ; des usines furent obligés de fermer ; des restrictions sévères furent imposées à la population afin d’assurer à tous un minimum indispensable ; nombre de municipalités étaient réellement inquiètes, s’interrogeant les unes, les autres sur les mesures prises pour faire face à cette grave situation. Nous avons reçu, à la mairie de Rennes, bien des demandes de renseignements de ce genre ; nous n’en avons pas adressé ; c’est que, durant cette période si critique, Rennes en effet ne manqua jamais d’eau et les seules mesures que je crus devoir prendre se bornèrent à la réglementation des heures d’ouverture des bornes-fontaines et à l’invitation, que j’adressai à la population, à ne pas gaspiller l’eau.

66Sans diminuer le grand mérite des administrations qui nous ont précédés, particulièrement celles de MM. Martin puis Le Bastard, nous pouvons être fiers de l’extension que, depuis 1908, nous avons apportée nous-même au service d’eau de la ville de Rennes. La longueur des canalisations de distribution d’eau à l’intérieur de la ville dépasse aujourd’hui 82 kilomètres. Aux deux réservoirs construits au Gallet, l’un de 15 000, l’autre de 20 000 mètres cubes, nous en avons ajouté un troisième ayant une capacité de 27 000 mètres cubes. Par les travaux de protection, d’amélioration et d’extension des captations, que nous avons entrepris, la quantité d’eau quotidiennement amenée passe de 12 000 mètres cubes en moyenne à au moins 20 000, permettant ainsi pendant longtemps de faire face à tous les besoins. Pour les égouts, notre action a été plus importante encore : 25 kilomètres d’égouts existaient en 1882 ; 8 seulement furent construits de 1882 à 1908 ; il en a été construit de 1908 à 1923 plus de 40 kilomètres.

67C’est sans doute en songeant à l’œuvre que nous avions réalisée ensemble dans ce seul domaine de la salubrité et de l’assainissement comme en d’autres, durant les nombreuses années où la confiance de mes collègues m’avait placé et maintenu à la tête de l’administration municipale, que dans cette même séance du 29 décembre 1922, M. Malapert, ayant fait l’exposé du budget de la ville pour 1923, prononçait à mon adresse les paroles suivantes, unanimement applaudies par le conseil.

  • 18 Cette « conclusion » des Souvenirs, inachevés par son auteur proprement dit, est très abrupte. Néan (...)

« Laissez-moi, en terminant et suivant un usage qui est particulièrement agréable à votre rapporteur, assurer Monsieur le maire de nos sentiments d’affectueuse amitié. Il est arrivé à un moment de son existence où, après avoir fourni pendant toute sa vie un labeur incessant et après avoir, depuis plus de quatorze années, donné à l’administration de notre ville toutes ses forces, toute sa compétence, toute son activité, il aurait bien le droit de s’en remettre un peu aux soins des bureaux pour l’étude d’un grand nombre de questions administratives. Il ne le veut pas. Il sait que l’œil du maître est indispensable pour la bonne gestion d’une maison. Mieux que personne, il sait que la maison commune d’une grande ville comme la nôtre ne peut se passer d’un guide éclairé et sûr, d’un directeur clairvoyant et actif. C’est pour cela qu’à chaque heure, M. le maire est là, toujours à son poste, toujours soucieux de plus de bien-être pour la cité qu’il administre. Au nom de tous, je souhaite que longtemps encore il reste à la tête de la municipalité de notre ville, où, je ne crains pas de le dire, lorsqu’il disparaîtra, il sera plus malaisé que certains ne pensent de lui trouver un successeur à sa hauteur et de sa valeur »18

Notes

1 La statue de Du Guesclin, œuvre de Molknecht, avait été inaugurée en 1825. S’élevant à l’origine au centre du boulingrin, elle fut déplacée en 1938 à l’ouest de l’esplanade et détruite par des vandales en 1946.

2 Dans les lieux mêmes où se tint le conseil de guerre, chargé de réviser la condamnation du capitaine Dreyfus (août 1899), et qui lui infligea, de nouveau, une peine de dix ans de réclusion !

3 Albert Calmette (1863-1933) fonda l’institut bactériologique de Saigon (1891) et l’Institut Pasteur à Lille (1896-1919), avant de mettre au point la vaccination préventive contre la tuberculose. Il était le frère de Gaston Calmette, directeur du Figaro, qui fit campagne en 1914 contre le ministre des Finances Caillaux et fut tué par l’épouse de ce dernier.

4 Cet événement funeste intervient alors que Janvier a décidé de doter Rennes d’une grande piscine municipale, complétée par des bains douches. Le 5 août 1921, au moment où l’architecte Le Ray remet ses premiers plans, l’incendie de cette caserne d’infanterie - installée, au bout de l’avenue de la gare, dans l’ancienne abbaye des sœurs bénédictines du même nom, réédifiée au 17e siècle – remet en cause tous les projets antérieurs. Il est en effet inconcevable de laisser ce grand vaisseau foudroyé à l’abandon tout près de la vieille ville. L’armée n’ayant aucune intention d’engager les frais de réparation nécessaires, Janvier acquiert le casernement ruiné en décembre 1922 et échafaude le plus vaste – et spectaculaire – programme architectural de toute sa mandature, malheureusement quasiment absent des Souvenirs, en raison de son décès prématuré. Au nord du terrain (sur un point haut qui la met à l’abri des inondations), il imagine d’installer la piscine – à la place de l’église monastique : une cathédrale laïque se substituant ainsi à un édifice religieux ! Devant les arcades du cloître, il recommande de dessiner un jardin public. Enfin, les vastes locaux de la caserne doivent loger les sociétés sportives, les services sociaux, la justice et les services de lutte contre l’incendie. Ces dispositions ambitieuses peuvent être considérées comme visionnaires, puisqu’elles sont toujours, dans leurs grandes lignes, en vigueur de nos jours.

5 Ce stade – actuel stade commandant Bougouin – inauguré par la célébration de la 5e fête internationale de la fédération féminine française de gymnastique et d’éducation physique en 1924, est situé rue Alphonse Guérin. Il se compose, à l’époque, de toutes les installations modernes : piste d’athlétisme en cendrée ; terrain de football au centre ; courts de tennis ; piste cycliste ; agrès de gymnastique ; douches, vestiaires et locaux de réunion. Il est en fait capable d’accueillir jusqu’à dix mille personnes (dont deux mille en tribune couverte). L’ensemble est complété par un kiosque à musique et une buvette. Il remplace un ancien vélodrome abandonné au début du siècle sur un terrain acquis par la ville en 1921. La piscine, initialement prévue à cet endroit – comme on l’a vu et comme l’explique plus loin Janvier – sera finalement construite au centre-ville, rue Gambetta. On sait que la gymnastique, rendue obligatoire à l’école en 1880, et le cyclisme sont devenus, entre les deux guerres, deux sports très populaires. Il était donc logique de placer ce stade à proximité des faubourgs ouvriers de Paris et de Saint-Hélier.

6 Le journal L’Ouest-Éclair essentiellement (relayé par Le Nouvelliste de Bretagne). Le 7 février 1922, L’Ouest-Éclair avait publié, sous la plume du publiciste Charles Fredouët, une série d’articles violemment hostiles à la politique de Janvier. L’affaire de la piscine donnait, en fait, l’occasion de rompre des lances sur l’ensemble de l’action municipale, après les graves séquelles laissées par les élections sénatoriales perdues par la gauche. « Personne », écrivait le journaliste, « à l’exception d’un sportif ayant coutume de prêcher dans le désert, n’avait demandé la création de cette piscine. Les Rennais, pour l’instant, ont d’autres préoccupations. La vie chère les étreint. Ils sont à la recherche de logements. Ils vivent entassés en surnombre dans des pièces trop étroites et trop peu nombreuses. Ils pataugent dans la boue du matin au soir, à la moindre pluie [...]. Et c’est le moment que vous choisissez pour soustraire de notre budget municipal une somme de 2 164 000 francs, coût minimum de la piscine. Leur hostilité à la piscine se comprend et s’explique. Cette piscine ne servira qu’à un nombre infime de citoyens [...). Vous n’avez donc aucune raison sérieuse d’engager les finances de vos administrés dans cette œuvre qui n’est pas d’intérêt immédiat. Il y a à faire des choses beaucoup plus pressées : la vérité, Monsieur le maire, c’est que vous êtes engagé dans une mauvaise affaire. Vous le savez au reste parfaitement mais, le principe de votre autorité étant en cause, vous persistez à ne pas vouloir reconnaître votre erreur [...]. Depuis le soir du 11 janvier 1920 où le suffrage restreint souffla sur votre étoile, depuis ce soir historique, n’avez-vous pas perdu tout contact intime avec les Rennais ? Depuis lors, vous avez agi en dehors d’eux, imaginant peut-être les satisfaire, mais les mécontentant en réalité par vos initiatives coûteuses ». L’argumentation est assez polémique et médiocre pour qu’il soit inutile d’insister (personnalisation abusive, exagération des coûts allégués, confusion des niveaux de responsabilité, méconnaissance de l’essor du mouvement sportif, etc.). Mais il faut la replacer, pour être équitable, dans un contexte économique de crise faisant craindre les pires dérives (pour l’achèvement des halles centrales, commencées avant 1914, l’entreprise adjudicataire du lot de maçonnerie réclamait, en 1920, une majoration de 425 % sur la base du marché primitif !) et la hausse des impôts après plusieurs années de privation. La politique de relance des travaux voulue par Janvier aurait sans doute été mieux admise dans des circonstances moins tendues. Ceci étant, le maire est accusé de « dictature » et le journal L’Ouest-Éclair organise, sur l’opportunité de construire à Rennes une piscine, un référendum assorti de prix pour ceux qui se rapprocheraient le plus de la réponse exacte ! Un peu plus de dix mille lecteurs répondirent à cette enquête (environ 9 500 non, 450 oui). Janvier ne remporta la bataille que sur sa capacité extraordinaire à trouver des financements extérieurs. Ce débat garde toutefois une actualité : celle du rapport entre les grands travaux et la politique sociale ou, si l’on préfère, la place respective du prestige et du quotidien dans une politique de l’architecture. Les dizaines de km de trottoirs macadamisés par Janvier furent, sans doute, une tentative pour répondre à ce dilemme de toujours.

7 Rappelons que cet hospice fut installé dans les bâtiments claustraux, après la désaffection de l’abbaye mauriste de Saint-Melaine pendant la Révolution.

8 L’école de préapprentissage était installée au 40, rue Vasselot, dans un bâtiment municipal. Les cours étaient gratuits et étaient dispensés pour la plupart par des professeurs de l’école des Beaux-Arts. Étape nécessaire entre l’école primaire et l’atelier, l’école offrait dix-huit mois de formation initiale à des enfants qui ensuite devenaient apprentis chez un patron. Elle eut rapidement un grand succès.

9 Le musée technique, baptisé Le Ray du vivant de celui-ci, était destiné à fournir des modèles aux élèves de l’école de préapprentissage. Le Ray y avait réuni toute une documentation qu’il enrichit de maquettes et d’échantillons de matériaux.

10 Actuel lycée Robidou, l’école pratique d’industrie fut fondée en 1885 (rue d’Échange) par le prédécesseur de Janvier, Le Bastard, sous le nom d’école municipale d’apprentis ou école manuelle d’apprentissage. Elle comprenait deux ateliers : un pour le bois, l’autre pour le métal. En 1891, cette école fut placée sous la tutelle du ministère de l’Instruction publique. Agrandie en 1894, elle fut détruite par un incendie en septembre 1898. On décida alors de la reconstruire près de l’école de médecine et de pharmacie. Ce projet, un des premiers de Le Ray (1899-1900), prévoyait trois bâtiments parallèles : un corps central accosté de deux pavillons formant façade d’honneur sur le boulevard Laënnec et, à l’arrière, les locaux des ateliers. Malgré l’austérité de la commande, on trouve déjà, ici, le souci de jouer avec la couleur des matériaux (brique et pierre blanche). Cependant, construite au bord de la Vilaine, l’école, achevée en 1904, fut victime d’un tassement de terrain nécessitant des réparations. Un agrandissement fut envisagé en 1914, puis en 1924, par le même Le Ray. Mais les travaux ne furent réalisés qu’en 1931 par son successeur, Yves Lemoine, à l’emplacement de la halle Laënnec.

11 Allusion à la querelle des réparations dues par l’Allemagne. Celles-ci étant très difficile à délimiter et à évaluer, la Conférence de la Paix avait remis à plus tard leur calcul et leurs modalités d’application. Les réparations devinrent ainsi un objet de conflit, parmi les vainqueurs, entre ceux qui estimaient nécessaire de fixer les possibilités de paiement de l’Allemagne (la France, la Belgique) et ceux qui y répugnaient (les États-Unis). Ainsi, c’est pour obtenir le paiement de ces réparations que les troupes françaises occupèrent quelques villes de la Ruhr en mars 1921 et la Ruhr entière en janvier 1923. En septembre 1923, le gouvernement allemand appela à la résistance passive dans cette région. De janvier à avril 1924, une commission présidée par l’Américain Dawes et l’Anglais Young tenta de prévoir un plan de versement des réparations. La France n’évacua la Ruhr qu’en juillet 1925, tandis qu’un accord avec la Grande-Bretagne et les États-Unis sur les dettes interalliées n’intervint qu’en juillet 1926.

12 Ce poème et le discours prononcé par Janvier, forment, avec les décors même du Panthéon rennais, un ensemble culturel du premier intérêt : le rapprochement des trois est saisissant. Les vers de Léon Berthaut, à l’emphase quelque peu surannée, presque encore émouvante par sa naïveté, peuvent être utilement comparés au décor de l’hôtel de ville achevé, sous la direction d’E. Le Ray, par les artistes locaux de l’époque (la plupart, rappelons-le, enseignants à l’école des Beaux-Arts de la ville) : L. Roger, P. Galle, E. Fougerat, J. Ronsin, G. jobbé-Duval, C. Godet. C’est là en effet une tentative méritoire de renaissance des arts provinciaux, qui fait songer à une version tardive du style et des peintures de Charles Garnier (pour l’Opéra) et, surtout, de Puvis de Chavannes (Le Bois sacré, 1880-1889, pour la Sorbonne ; Sainte-Geneviève veillant sur Paris, 1876-1880, pour le Panthéon). Ce « pompiérisme » Beaux-Arts, qui caractérise souvent – selon F. Loyer et H. Guéné – le monument public de la Troisième République, apparaît bien, ici, comme une rhétorique monumentale, gorgée d’ors et de rinceaux, inséparable de l’éloquence fleurie propre aux discours de circonstance, eux-mêmes bourrés de références classiques. La langue et l’art ont forcément des points communs. On observera toutefois que le texte de Janvier, s’il cède – dans le fond et dans la forme – à l’éloge inévitable de la mort patriotique, est bien plus qu’un discours de circonstance : c’est un discours politique ouvrant sur des convictions fermes, liées à l’actualité la plus brûlante.

13 Louis Franchet d’Esperey (1856-1942), formé à Saint-Cyr, servit en Afrique du Nord et au Tonkin avant la guerre. Nommé par Joffre à la tête de la 5e armée, après la bataille de Guise (29-30 août 1914), il commanda ensuite les groupes d’armées de l’Est (1916) et du Nord (1917). 11 prit la tête des armées alliées d’Orient en 1918 et lança l’offensive victorieuse contre la Bulgarie, contrainte à l’armistice en septembre 1918. Promu maréchal en 1921, il devint inspecteur général des troupes d’Afrique du Nord en 1923.

14 André Maginot (1877-1932), élu député de la gauche démocratique en 1910, fut plusieurs fois ministre après la Grande Guerre, au cours de laquelle il fut blessé. Il est resté célèbre pour avoir fait adopter la loi du 4 janvier 1930 décidant la fortification de la frontière Nord-Est du pays et reprenant un projet de Paul Painlevé (1925).

15 Cette grande réunion est un indice supplémentaire de l’importance prise par les anciens combattants dans la France de l’après-guerre (où ils comptaient trois millions d’adhérents). Leurs associations ont donc rapidement constitué des groupes de pression efficaces, des relais pour l’action civique, ainsi qu’un enjeu politique central. Les anciens combattants estimaient avoir un droit de regard sur l’action du gouvernement et des milieux politiques, en combinant à la fois pacifisme et nationalisme (de la seconde branche naîtront les Croix de Feu, aux positions très droitières). Cette opposition entre deux thèses quasiment irréductibles rendait difficile la cohabitation, au sein d’organismes puissants, entre des sensibilités très diverses. Les attaques politiques portées contre Janvier sur ce terrain étaient donc particulièrement perfides.

16 Les premières maisons à caractère social furent à Rennes celles de la fondation Marçais-Martin ; construites dans l’enclos de Pontchaillou par Emmanuel Le Ray, elles furent détruites par un bombardement pendant la Seconde Guerre mondiale. Ici, il s’agit du Foyer rennais, situé rue de Nantes : Le Ray y conçut un ensemble d’immeubles mis en service en 1933 et récemment rénovés.

17 Cette société fut l’une des premières constituée à Rennes pour s’occuper du logement social. En 1913, le bureau de bienfaisance acquiert en effet dix actions de « Ma Maison » et autant de la Société rennaise de crédit immobilier, créée l’année précédente avec pour objectif de consentir, aux ouvriers ayant déjà économisé le cinquième de la somme nécessaire à la construction d’une petite maison, le prêt hypothécaire permettant de financer le reste de l’opération. La société rennaise comprenait un capital de 150 000 francs, divisé en trois cents actions de 500 francs. La moitié en fut souscrit par la Caisse d’épargne de Rennes, la ville achetant, de son côté, trente de ces actions.

18 Cette « conclusion » des Souvenirs, inachevés par son auteur proprement dit, est très abrupte. Néanmoins, la prédiction ne manque pas de justesse. Une fois élu le 2 décembre 1923, le successeur de Janvier, Daniel, déclara : « J’apporterai mon entière bonne volonté, mais ce que je n’ai pas la prétention d’avoir, c’est l’activité et l’incomparable compétence de celui que nous avons eu la tristesse de perdre. Aussi bien M. Janvier était-il de ces hommes à qui l’on succède, mais qu’on ne remplace pas ». De fait, la période des « grands travaux » s’achevait pour quelques temps (en réalité jusqu’à l’après Seconde Guerre mondiale...). Jean Janvier fut inhumé le 30 octobre 1923. Les obsèques furent particulièrement solennelles : après la cérémonie à la cathédrale, un long cortège suivit le carrosse tendu de noir, tiré par six chevaux eux-mêmes caparaçonnés de noir. Le cercueil était couvert de nombreuses fleurs offertes, pour la plupart, par les organisations ouvrières.

Le texte et les autres éléments (illustrations, fichiers annexes importés) sont sous Licence OpenEdition Books, sauf mention contraire.

Cette publication numérique est issue d’un traitement automatique par reconnaissance optique de caractères.
Rechercher dans OpenEdition Search

Vous allez être redirigé vers OpenEdition Search