Version classiqueVersion mobile

Quelques souvenirs

 | 
Jean Janvier

Troisième partie. La victoire et l'après-guerre (juin 1916-octobre 1923)

Chapitre 9. Lendemains de fêtes

Texte intégral

— La Victoire – L’Armistice

1Pas plus que les actes qui marquèrent notre prévoyance administrative dès l’entrée en guerre, je ne saurais oublier dans mes Souvenirs l’évocation de la grande journée que fut la proclamation de la Victoire dans la demande d’armistice faite par les Allemands et leurs alliés. Pour fixer cette page d’histoire nationale et locale, il me suffit, au reste, de reproduire le compte rendu paru dans les délibérations du conseil municipal (séance du lundi 18 novembre 1918, n° 51).

« Le lundi 11 novembre vers 11 h45 le maire, M. Janvier, est apparu à la fenêtre de son cabinet à l’hôtel de ville et a annoncé à la population que M. le préfet venait d’apprendre et de l’informer que l’armistice était signé et que les hostilités venaient de cesser. M. Janvier a d’abord rappelé que le 1er août 1914 après avoir donné lecture de l’ordre de mobilisation générale, il avait prononcé les paroles suivantes : “Aujourd’hui, il n’y a plus de partis. Une seule chose importe : la défense du territoire ! Marchons tous le cœur haut pour faire bravement notre devoir. Soyons calmes, soyons dignes et poussons ce cri de ralliement : Vive la France !”. Dans ce jour mémorable et tragique, cet appel à l’union avait été longuement applaudi.
De la même fenêtre de son cabinet, le maire de Rennes a rappelé ces paroles en ajoutant qu’il était heureux de pouvoir reconnaître avec la plus profonde satisfaction que la population, toute la population rennaise, avait donné pendant la guerre le plus bel exemple de fermeté et d’abnégation ; qu’il espérait que cette attitude fraternelle au cours d’événements de la plus angoissante gravité se maintiendrait dans la réorganisation nationale pour assurer un nouvel essor de prospérité. Ainsi se réaliseraient les magnifiques espoirs que la situation de Rennes, jusqu’à la veille de la guerre, permettait de concevoir. M. le maire très ému ajouta : “Les hostilités ont cessé sur tous les fronts il y a quelques minutes et je n’aurai plus, comme maire, la tristesse de recevoir chaque matin la liste des enfants de Rennes tombés au champ d’honneur, avec cette douloureuse mission d’en faire part à leur famille. À partir d’aujourd’hui, ceux qui ont eu le bonheur de voir survivre les soldats qui leur sont chers vont être tout à la joie d’attendre leur retour dans leurs foyers et de les presser bientôt sur leurs cœurs”.
Une longue ovation salua les belles paroles de M. le maire. Deux heures plus tard, une manifestation toute spontanée de joie unanime et de sympathie à l’égard de l’administration municipale amenait sous les fenêtres de l’hôtel de ville, une foule de plusieurs milliers de personnes où se distinguaient notamment un groupe nombreux d’étudiants français et serbes et des soldats français et alliés. M. le maire dût reparaître une seconde fois à la fenêtre. Le hasard avait conduit à la même heure dans le cabinet du maire, MM. Laurent, premier adjoint, et Bahon, conseiller municipal. M. le maire prit de nouveau la parole après avoir rappelé ce qu’il avait annoncé le matin même à la population, il poursuivit : “Vos élus continueront de travailler en étroite union de pensée comme l’indique d’ailleurs la présence des deux collègues que vous apercevez à mes côtés. Cette présence symbolise de manière vivante l’entente républicaine qui, depuis plus de dix années, a donné la mesure de ce que peuvent des hommes sachant mettre d’accord leur conception particulière avec l’intérêt de leur pays et de l’administration qui leur est confiée”.
“Je vous prie, mes chers concitoyens, d’acclamer avec moi, tous les artisans de la victoire, Français et Alliés, et de crier : Vive la France immortelle !” [...] ».

— Ma gestion financière (1914-1918)

2[...] Au paragraphe 32 de l’ordre du jour, dans la séance du conseil municipal du 18 novembre 1918, se trouvait le projet de budget de 1919 :

Total des recettes

6146541,92 F

Total des dépenses

6141 139,73 F

Excédent des recettes

5 402,19 F

3En présentant mon rapport, je faisais remarquer que tous nos exercices de guerre s’étaient trouvés soldés par des disponibilités importantes :

En 1914

422422,14

En 1915

564067,10

En 1916

567457,84

En 1917

459757,24

En 1918

451488,48

4À ce rapport significatif, M. Malapert, rapporteur, ajoutait une conclusion que je dois à tous, à lui, au conseil et à la ville même de reproduire ici, car, en faisant mon éloge, elle est une preuve de l’entente féconde qui se maintint entre tous à Rennes pendant que nos enfants et nos frères tenaient tête à l’ennemi :

« L’œuvre accomplie pendant les quatre années de guerre par l’administration municipale de Rennes est immense. À cette heure où la victoire vient solennellement de s’affirmer, c’est une fierté pour nous de constater, avec M. le maire de Rennes, le travail accompli. Et cette fierté est encore grandie, si l’on veut bien retenir, avec la réalisation des faits qui sont la plus éloquente des choses, que l’administration municipale de la ville de Rennes n’a pas créé d’impositions nouvelles au cours de la Grande Guerre et que les difficultés de l’existence ont été moins grandes dans notre cité que dans la plupart des autres villes.
Monsieur le maire, au nom de votre commission des finances, au nom du conseil municipal tout entier, en mon nom personnel, interprète ici de tous les habitants rennais qui savent la tâche formidable que vous venez d’accomplir depuis quatre ans et le travail immense que vous avez fourni, je vous dis : Vous avez bien mérité de notre cité, votre nom demeurera impérissable à côté de ceux des grands citoyens qui ont travaillé au salut de notre belle France. Du fond du cœur, je vous dis, en notre nom à tous : merci ! »

5Les conclusions du rapporteur sont adoptées aux applaudissements unanimes du conseil municipal.

— Pour le personnel municipal démobilisé et les mutilés de la guerre

6L’accroissement continuel du prix de la vie attirant notre attention sur la situation de nos concitoyens en général et sur celle de nos fonctionnaires municipaux en particulier, je pensai enfin que le moment était venu où, au lieu de rejeter des dépenses nouvelles, nous avions le devoir d’en consentir pour demeurer justes. Je m’adressai donc au conseil, le 12 décembre 1918, en lui donnant – et au public en même temps – tous les motifs de mon projet. En raison de l’importance qu’a cette résolution dans ses conséquences même et pour bien faire voir les causes profondes qui nous l’ont fait adopter, je crois utile de reproduire ici mon rapport tout entier.

« La démobilisation va ramener dans nos différents services municipaux, le nombreux personnel appelé pour la défense du pays ; déjà quelques employés nous ont été rendus. Nous avons eu soin, dès le début de la mobilisation, de veiller à ce que nos fonctionnaires, employés, ouvriers et agents classés, appelés sous les drapeaux, n’aient, au point de vue de leur situation administrative, à supporter aucune conséquence fâcheuse de l’accomplissement de leur devoir militaire. Ils ont continué à toucher leur traitement ou salaire dans toute la mesure où le permettait la loi. Ils ont bénéficié, comme s’ils avaient été présents, de tous les avancements en grade ou pécuniaires prévus par le règlement de 1912.
Les libérés retrouveront dans l’administration la place qu’ils ont quittée, tenue provisoirement par des auxiliaires, temporaires ou par des collègues qui se sont imposé, dans ce but, un surcroît souvent très grand de travail. Certains rapportent de la guerre des mutilations ou des infirmités telles qu’ils ne pourront plus, quels que soient leur désir et leur courage, remplir l’emploi qu’ils occupaient au départ. C’est sur le cas, intéressant entre tous, de ces serviteurs de la France et de la ville, que je veux, ici, attirer spécialement votre attention. Il serait odieux de ne pas les accueillir sur un pied d’égalité avec leurs camarades indemnes et de leur marchander, sous prétexte de pension ou gratification de réforme, la situation à laquelle ils pourraient prétendre d’après les services antérieurs ; les modestes avantages accordés par l’État sont payés de leur chair, de leur sang, de leurs souffrances ; toute la vie, ils supporteront peut-être la servitude de leur sacrifice à la patrie.

- Situation spéciale des mutilés et réformés
Afin de fixer nettement et équitablement le sort du personnel se trouvant dans ces conditions particulières, je vous propose, mes chers collègues, de décider que, dans aucun cas, n’entreront en compte dans l’appréciation des avantages à accorder au personnel municipal les pensions ou gratifications de réforme, conséquences de la guerre. Chacun en principe, même si ses facultés de travail ont subi une diminution appréciable, retrouvera l’emploi qu’il occupait avant sa mobilisation ou celui qu’un avancement régulier lui aura fait réserver depuis. Lorsque, par suite de blessures ou infirmités, conséquence de la guerre, il se trouvera dans l’impossibilité de tenir cet emploi, une situation, autant que possible équivalente et plus conforme à ses facultés actuelles, lui sera attribuée. Les avantages pécuniaires dont jouissait l’intéressé avant la mobilisation ne seront jamais amoindris ; ils pourront être supérieurs si l’échelle des traitements l’a prévu pour ce nouveau poste ; en cas d’infériorité de salaire, une indemnité spéciale et personnelle, équivalente à la différence en moins, sera accordée de droit. Je vous demande, en outre, de m’autoriser à nommer aux vacances existant ou qui viendront à se produire des mutilés de la guerre remplissant les conditions requises pour l’emploi. Il pourra être dérogé en leur faveur au règlement de 1912 en ce qui concerne l’âge et le concours d’admission ; ils toucheront le traitement prévu pour le personnel classé.
En agissant ainsi, mes chers collègues, nous ne ferons que reconnaître, au nom de la collectivité rennaise, une partie de la dette contractée par le pays envers ceux qui, au prix d’eux-mêmes, ont sauvé la liberté du monde, payé la gloire actuelle de la nation française et assuré sa prospérité future. Nous aurons, j’en ai la certitude, l’approbation unanime de nos concitoyens. Il n’est pas un seul de ceux-ci pouvant offrir du travail à nos incomparables soldats rendus à la vie civile, qui ne tiendra à honneur de faire mieux que la loi ne saurait exiger : recevoir cordialement les artisans de la victoire et leur assurer un sort d’autant plus digne qu’ils ont plus souffert pour la France. Ce que nous faisons pour le personnel municipal sera réalisé également, nous n’en doutons pas, par les autres administrations, les industriels et les commerçants, et nous faciliterons l’extension de cette mesure en assurant aux mutilés de la guerre la rééducation professionnelle.

  • 1 Fondée par Janvier, l’école de rééducation professionnelle des mutilés était installée dans une par (...)

- École de rééducation professionnelle
Ce rapport a trait plus spécialement aux mutilés de la guerre entrés ou à admettre dans l’administration municipale. Il doit être une occasion de parler d’une façon plus générale de l’ensemble des mutilés qui ne peuvent être oubliés. Dès 1915, nous avons fondé un Comité rennais d’assistance aux mutilés des Armées de terre et de mer. Une école de rééducation professionnelle à leur usage a été établie dans un bâtiment communal, rue Jean Macé1 Une autre école spéciale fonctionne à l’École nationale d’agriculture. Le but de ces écoles est de rendre au plus grand nombre possible, sinon à tous ceux qui ont perdu la faculté de reprendre leur ancien travail, les moyens de se refaire une situation satisfaisante et honorable à la fois. Le nombre des mutilés est très grand, d’où la nécessité de développer une œuvre dont les résultats jusqu’ici sont tout à fait encourageants.
M. Vallon, secrétaire général de l’Office national des mutilés et réformés de la guerre au ministère du Travail et de la Prévoyance sociale, après échange de correspondance, a bien voulu ces jours derniers venir à Rennes et il a reconnu, d’accord avec nous, que le développement de cette œuvre pouvait se faire. Ainsi que j’ai eu l’occasion de vous le dire, cette école pourra, pendant environ un an encore, rester dans une partie des locaux de l’école primaire supérieure et professionnelle de filles et dans les ateliers et baraquements édifiés dans les cours de cette école. D’ici là, j’espère être à même de vous proposer les voies et moyens d’un transfert dans d’autres bâtiments appartenant à la ville de Rennes ».

Délibération du conseil

7M. Dubois – Mes chers collègues, le rapport qui vient de vous être lu expose clairement ce que l’administration municipale désire faire pour ses employés mutilés et réformés. Nous ne pouvons que féliciter M. le maire de ses louables intentions ; il est tout à fait juste que ceux qui ont souffert pour sauver la France, qui ont laissé une partie d’eux-mêmes au service de la Patrie trouvent à leur retour un ensemble de dispositions prises pour leur assurer une existence en même temps honorable et digne. M le maire nous dit dans son rapport qu’il espère que ce qui va être fait pour notre personnel sera réalisé par les autres administrations, les industriels et les commerçants, il est en effet à souhaiter que les mutilés de toutes les administrations, de l’industrie et du commerce soient traités comme les employés municipaux de la ville de Rennes : nous espérons donc voir notre exemple suivi et que, grâce aux écoles de rééducation professionnelle qui fonctionnent à la satisfaction de tous et dont le développement est ici prévu, toutes ou presque toutes les victimes de cette catégorie de la Grande Guerre pourront retrouver des emplois conformes à leurs facultés. Je vous propose donc, mes chers collègues, au nom de votre commission, d’accueillir favorablement les propositions contenues dans le rapport de M. le maire et de l’autoriser à nommer aux vacances existantes ou qui viendront à se produire des mutilés de la guerre, dans les conditions énoncées dans ledit rapport.

8M. Malapert – Je regrette de n’avoir pu assister à la séance privée au cours de laquelle le conseil municipal a été amené à discuter la question qui nous est actuellement soumise. Je tiens à faire deux observations qui me paraissent essentielles. À la lecture qui vient d’être faite du rapport de M. le maire, il m’a semblé comprendre que les emplois que M. le maire nous demande de lui permettre d’attribuer aux mutilés de la guerre pourront l’être indistinctement à des mutilés de Rennes ou d’ailleurs ; que ces emplois seront pourvus de titulaires sans que ceux-ci soient soumis à aucun concours. J’estime que ces deux dérogations à la réglementation que nous avons faite en 1912, si elles étaient approuvées par le conseil municipal, seraient profondément regrettables. Il en résulterait incontestablement certains abus que nous devons chercher dans la mesure du possible à éviter.

9Contrairement aux conclusions du rapport de M. le maire et à celles de la commission dont notre excellent collègue M. Dubois vient d’être le rapporteur, je demande donc au conseil municipal de décider que ne pourront être nommés à des emplois municipaux que des mutilés et réformés de Rennes ; que la vacance de chaque emploi soit annoncée par voie d’affiches ou d’insertions dans les journaux ; que le titulaire ne soit nommé qu’à la suite d’un concours d’admission. Ces nouvelles dispositions auront le triple avantage suivant : de n’admettre dans notre personnel municipal, conformément à notre réglementation de 1912, que des mutilés ou réformés ayant droit de cité dans notre ville ; d’appeler le plus grand nombre possible de concurrents, ce qui nous permettra d’obtenir des employés présentant des conditions plus grandes d’aptitude et de capacité ; d’éviter tout favoritisme. En ce faisant, nous éviterons à M. le maire bien des embarras. Si la nomination des mutilés et réformés aux emplois de la ville était, en effet, sans aucune condition d’admission, laissée à son libre arbitre, malgré toute la confiance que nous avons dans sa grande impartialité, il pourrait risquer dans certains cas de ne pouvoir résister à de hautes recommandations ou à de puissantes influences.

10Au surplus, le système proposé par M. le maire aboutirait en de nombreux cas, à des situations anormales s’il lui était donné de pouvoir nommer sans concours d’admission, les titulaires aux emplois vacants ; il se pourrait que parmi ceux-ci un certain nombre, à raison de leur instruction sommaire ou d’insuffisance de leurs capacités administratives, ne pussent jamais parvenir aux fonctions de sous-chef ou de chef de bureau. Il faut soigneusement éviter qu’il en soit ainsi et il me paraît éminemment rationnel, par les mesures que nous allons édicter ce soir, de faire en sorte que les mutilés et les réformés nommés à des emplois municipaux soient placés sur un pied d’égalité absolue avec nos autres employés, qu’ils en aient les mêmes droits, les mêmes avantages et que devant eux s’ouvrent les mêmes perspectives d’avancement. Je persiste donc à vous demander, mes chers collègues, d’apporter au rapport de M. le maire et aux conclusions de la commission, les modifications que je viens de vous signaler.

11Je n’appelle pas d’une façon particulière votre attention, mes chers collègues, sur la situation de ceux de nos employés qui faisant, lors de la déclaration de guerre, partie de notre personnel municipal, ont vu leurs capacités de travail diminuées par la maladie contractée au service militaire ou la mutilation résultant de blessures reçues au cours de la campagne. À ceux-là, la loi du 22 novembre 1918 garantit la reprise de leurs anciennes fonctions dans des conditions fort heureusement édictées par le législateur ; nous connaissons trop, ici, le grand esprit de justice et d’humanité de M. le maire pour ne pas être persuadés que la réintégration de nos employés mutilés, malades ou réformés ne s’accomplisse dans les conditions les plus larges de bienveillance. C’est un devoir de gratitude et de reconnaissance que l’administration municipale accomplira ainsi envers ceux qui, faisant avant la guerre partie de la grande famille municipale, demandent à y reprendre leur place après avoir pendant plus de quatre ans exposé pour la France, notre grande famille à tous, leur jeunesse, leur force et leur santé.

12M. le Maire — Dans mon rapport, je vous demande bien plus une décision de principe qu’une réglementation détaillée, attendu que nous sommes tous d’accord pour reconnaître qu’une nouvelle réglementation de tout le personnel devra être faite bientôt. Les mutilés qui travaillent déjà dans nos bureaux et services n’ont pas été pris sans avoir subi un petit examen ; ils se sont déjà rendus utiles à l’administration. Nous devons être aussi larges que possible envers tous les mutilés, à quelque point de vue que nous nous placions, et toutes les administrations, tous les industriels et tous les commerçants devront s’appliquer à faire de même. C’est une mesure d’humanité et de reconnaissance qui s’impose à tous. Soyons larges, je le répète, envers les mutilés de la Grande Guerre, et prenons garde de donner l’impression d’apporter des restrictions trop fortes dans les mesures de bienveillance qui seront prises pour eux ; cependant, il est très naturel que nous donnions un tour de préférence aux Rennais.

13M. Dubois – Je crois que cet ensemble de remarques précise la question et que nous pourrions décider que « en dehors des mutilés de la Grande Guerre, déjà employés dans les services municipaux, ceux qui solliciteront un emploi ne seront admis qu’après un concours entre eux annoncé par une publicité suffisante et qu’il demeure entendu qu’un droit de priorité sera accordé aux candidats Rennais ». La proposition est adoptée.

— L’eau, gloire de Rennes - Inauguration du troisième réservoir des eaux d’alimentation

14Peut-être ignoriez-vous, mes chers enfants, que Rennes a la réputation d’avoir la meilleure eau d’Europe après Vienne ? Mais la qualité ne suffit pas à elle seule ; il faut aussi la quantité, et c’est pourquoi la question de l’abondance des eaux a été l’un des objets les plus ardemment poursuivis de mon grand programme d’action au bénéfice de la population. Le samedi 4 janvier 1919, j’invitais enfin les autorités du département et de la ville à l’inauguration de ce troisième réservoir que j’ai eu la volonté de construire pendant la guerre même. Laissez-moi répéter ici les passages essentiels du discours que je prononçai à cette occasion.

  • 2 Soldats devenus incapables de vaquer aux nécessités du service actif, mais entretenus en temps de p (...)
  • 3 Entendre : des États de Bretagne.
  • 4 La ferme des Champs-Rôtis se trouvait route de Saint-Malo, aujourd’hui au niveau de la zone industr (...)
  • 5 La ferme des Trois-Croix était située au débouché de la route de Saint-Malo, à hauteur de l’actuel (...)
  • 6 Le coteau de Quincé est de nos jours percé par la rocade Nord (près du centre commercial des Trois- (...)
  • 7 Cet ingénieur, très critique sur le projet de l’architecte Martenot qu’il jugeait hors de prix (les (...)
  • 8 Labbé Richard proposait un système double : élever les eaux de la Vilaine (pour le lavage des rues (...)
  • 9 Cet ancien tanneur avait eu l’idée de restaurer un étang qui existait autrefois dans le lit de l’Il (...)
  • 10 La proposition de Nadault de Buffon, parente de celle de l’abbé Richard, consistait à élever les ea (...)
  • 11 Belgrand fut l’organisateur de l’adduction d’eau à Paris. Lesguillier était son adjoint. Le rapport (...)
  • 12 Commune du pays de Fougères, près de Saint-Brice-en-Coglès.

« Le 29 juillet 1760, le corps de ville, en habits de cérémonie, monta en voiture et se dirigea précédé de ses hérauts, gardes et mortes-payes2 à l’hôtel de la commission intermédiaire3 Les commissaires des États prirent place dans les voitures et le cortège, grossi du corps de la maréchaussée, se dirigea par la route de Saint-Malo, vers l’emplacement situé près des fermes des Champs-Rôtis4 et des Trois-Croix5 où allait être inauguré le principal regard de la conduite qui devait amener à Rennes les eaux du coteau de Quincé6 On mit pied à terre près d’une tente immense décorée de tapisseries, sous laquelle un déjeuner avait été préparé. Après les compliments d’usage, on se mit à table et de là, le cortège se rendit sur les travaux. Des tabliers de satin blancs, ornés d’hermine, garnis de dentelles d’or, furent offerts aux trois commissaires des États, ainsi que des marteaux et des truelles en argent, et ils procédèrent à la pose de la première pierre, au bruit du canon et aux accents d’une musique guerrière.
Je m’excuse, Messieurs, de ne point vous recevoir d’une manière aussi fastueuse que nos prédécesseurs de 1760, mais je vous offre une compensation : vous aurez désormais à votre disposition, une réserve de 27 000 mètres cubes d’eau pure, en plus de celle qui existait déjà dans les deux premiers réservoirs, tandis que l’eau du coteau de Quincé dont je vous entretenais tout à l’heure, ne devait jamais alimenter les fontaines de la ville de Rennes.
La question de l’eau a depuis bien longtemps préoccupé les édilités rennaises. Divers projets furent présentés : en 1865, par M. de Lagarde, ingénieur civil7 ; en 1867, par l’abbé Richard, ingénieur hydroscope8 en 1868, par M. Gandon, propriétaire à Gosné9 ; et enfin en 1872 par M. Nadault de Buffon, ingénieur en chef des Ponts et Chaussées10 En présence de ces divers systèmes, le conseil municipal décida dans sa séance du 25 août 1873, sur la proposition de M. Martin, maire, de les faire examiner par MM. Belgrand et Lesguillier, ingénieurs du service des eaux de la ville de Paris11 lesquels conseillèrent l’adoption du projet de M. Martenot, ce qui fut fait le 25 avril 1874 ; enfin le 13 avril 1878, le conseil municipal votait un emprunt de 4 millions pour l’exécution des travaux, déclarés d’utilité publique. L’administration de M. Le Bastard, nommé maire au mois de décembre 1879, reprit la question et chargea M. Soulié, ingénieur en chef des Ponts et Chaussées, de la direction des travaux, qui furent commencés en 1880 et menés avec rapidité puisque, le 14 juillet 1882, l’eau arrivait à Rennes. Entre temps, de nouveaux crédits avaient été votés par la municipalité Le Bastard.
Depuis la création du service d’eau, la ville a pris une grande extension, le réseau des canalisations intérieures, qui était de 36 722,70 m en 1882, est en 1918 de 82 510,91 m ou 82,5 kilomètres. La population est passée de soixante mille habitants à quatre-vingt-dix mille, les besoins de l’hygiène ont augmenté ; aussi la quantité d’eau consommée augmente-t-elle continuellement avec le nombre des habitants et en corrélation avec les nouveaux égouts que l’on n’a pas cessé de construire. La dépense d’eau atteignait en 1913 de 9 à 10 000 mètres cubes par jour, actuellement elle est de 12 à 13 000 mètres cubes. La contenance des deux réservoirs, construits avant 1890, étant de 35 000 mètres cubes, ceux-ci ne constituaient donc une réserve que de trois jours.
En présence de cette situation, notre administration fit en 1913 l’acquisition d’un vaste terrain pour l’emplacement de deux nouveaux réservoirs ; c’est l’un d’eux que nous inaugurons aujourd’hui. Commencé en 1913, il vient d’être terminé fin 1918, sa capacité est de 27 000 mètres cubes. Il a une surface de 4 600 mètres carrés, soit près d’un demi-hectare, les murs du pourtour sont en maçonnerie de pierre et de mortier de ciment, et ont 6 mètres de hauteur. La couverture en ciment armé est supportée par deux cent cinquante-deux colonnes. Ce réservoir aura coûté 650 000 francs. Lorsque le quatrième réservoir, prévu pour contenir 40 000 mètres cubes, sera construit, c’est 100 000 mètres cubes d’eau que nous aurons à notre disposition. Si l’on considère qu’il y a une quarantaine d’années, la ville de Rennes utilisait encore les porteurs d’eau, qui du reste ont rendu de grands services à la population, on peut juger du chemin parcouru depuis cette époque.
Il reste encore à envisager au plus tôt l’augmentation des quantités d’eau à mettre à la disposition de la population : 1°-par l’amélioration et l’extension des captages existants qui peuvent sans travaux considérables, augmenter la quantité d’arrivée des eaux d’environ 3 000 mètres cubes par jour et permettre ainsi l’établissement de lavoirs municipaux approvisionnés en eaux de sources ; 2°-par l’établissement de nouveaux captages. Utilisant les études commencées, nous nous sommes assurés que, dans les vallées des Échelles en Montours12 plus de 10 000 mètres cubes quotidiens pourront être facilement captés, eaux prises dans les régions granitiques, nous assurant une quantité à peu près égale à celle des eaux que nous recevons déjà et garantissant ainsi à la ville une production journalière de 20 à 25 000 mètres cubes, qui pourront faire face à tous les besoins pendant bien longtemps. En 1910, après un voyage d’étude dans le nord de la France et à l’étranger effectué par une commission municipale, notre administration prit un ensemble de mesures en vue de l’amélioration de divers services municipaux notamment les services d’hygiène. Des travaux pour la protection des eaux autour des captages y furent compris pour une somme importante.
Je ne saurai terminer, Messieurs, cet exposé sur la question des eaux, sans vous dire quelques mots des égouts, ces deux questions étant absolument connexes. De 1882 à 1908, il n’a été exécuté que 8 kilomètres d’égouts. Comme suite au voyage d’études, dont il est question plus haut, qui fut entrepris au début de 1919, la municipalité actuelle, dans un programme général d’assainissement de la ville, a compris la création d’une usine d’épuration et l’extension du réseau d’égouts sur une longueur d’environ 35 kilomètres comprenant toutes les voies susceptibles d’être rattachées au réseau primitif et s’étendant faubourg de Fougères, au-delà de Maurepas ; faubourg de Paris jusqu’à l’asile Saint-Méen ; et route de Châtillon jusqu’au “Pot d’Étain”. Ces 35 kilomètres d’égouts furent commencés au début de l’année 1914 et continués pendant la guerre, jusqu’au milieu de 1917.
Fin 1918, la situation est la suivante : égouts en service, 50 816,39 ; égouts en construction, 7 919,40 ; égouts à continuer, 9 906,60 ; total : 68 642,39 francs. Si par suite du manque de main-d’œuvre et de matériaux, les travaux ont été arrêtés, ils pourront, avec la démobilisation, être repris dans un temps assez rapproché. La station d’épuration ne pourra être construite que plus tard. La ville de Rennes déjà citée parmi celles qui ont fait beaucoup pour la salubrité, sera alors, dans ce domaine, comme dans plusieurs autres, placée au premier rang des villes de France ».

15À mon discours de documentation, notre distingué préfet, M. Juillard, voulut bien ajouter quelques mots. Il félicite la municipalité de son activité pour les travaux d’edilité qu’elle a exécutée, comme par exemple cet important réservoir construit pour ainsi dire, sans que les habitants de la ville s’en aperçoivent. « La municipalité de Rennes », dit-il, « a fait, durant les quatre années qui viennent de s’écouler, plus que son devoir, je le dis avec plaisir à M. Janvier, qui s’attire tous les jours de nouveaux droits à la reconnaissance publique ». M. Jenouvrier, sénateur, s’associe aux éloges décernés par M. le préfet. Il ajoute : « Depuis la guerre, vous avez réalisé l’Union sacrée, en faisant appel à tous les concours sans distinction d’opinion. Dans une large mesure, vous avez été notre chef et nous avons été très heureux de vous suivre ». L’opinion de M. Jenouvrier me fut d’autant plus précieuse que ses idées politiques sont très différentes des miennes.

— Une belle séance du conseil municipal

16Cette belle séance fut celle du lundi 6 janvier 1919, au début de laquelle j’eus le plaisir de saluer le retour de nos collègues mobilisés Claude et Commeurec, ce dernier rapatrié d’Allemagne. Ce fut ensuite le vote de la concession perpétuelle pour les tombes des deux mille cent soixante-quinze militaires, au cimetière de l’Est, par l’approbation unanime de mon rapport, auquel le distingué doyen de notre faculté des lettres, M. Dottin, conseiller municipal, ajouta des conclusions qui furent aussi approuvées à l’unanimité. Vous verrez, quelques pages plus loin, sous le titre : « des tombes à toujours pour nos chers soldats », le récit officiel de l’émouvante cérémonie de la veille, le dimanche 5 janvier, en l’honneur des soldats de la Grande Guerre, morts dans nos hôpitaux.

17Je demandai, dans cette même séance du 6 janvier 1919, que fût adopté notre projet de continuation en régie municipale des travaux de canalisation des égouts, pour procurer immédiatement du travail aux démobilisés, voire même aux permissionnaires. Je faisais aussi allusion au travail exceptionnel imposé par les événements à notre personnel. Je crois intéressant à ce sujet de vous citer quelques chiffres. Les opérations pour réquisitions et cantonnements militaires, ravitaillement en blé, farine, bois de four, denrées diverses, combustibles, boucherie et laiterie municipale, indemnités de cherté de vie, secours de guerre, cartes d’alimentation, étudiants serbes, secours aux réfugiés, etc., ont donné lieu à plus de 60 000 paiements et encaissements à la Recette de la ville. Elles s’élèvent au 31 décembre 1918, à plus de 17 millions de francs.

18Cela donne un aperçu du surmenage subi, non seulement par la caisse municipale et la comptabilité, mais encore par tous les bureaux et services qui ont collaboré à la création et au fonctionnement de ces organisations de guerre qui, soit dit en passant, se sont toutes suffi à elles-mêmes, ne coûtant rien au budget, laissant même des excédents de recettes, lesquels comme convenu sont destinés à être répartis entre des œuvres telles que les pupilles de la Nation, les mutilés de la guerre, les blessés de la tuberculose, etc. J’ai pu obtenir ces efforts d’un personnel réduit par la mobilisation, mais en grande majorité pénétré de ses devoirs et décidé à prendre, dans ses fonctions, une large part des charges imposées au pays par la guerre. C’est ainsi que, par l’effort, l’union et l’abnégation, la France a obtenu la victoire. Persévérer dans cette voie féconde, c’est ramener rapidement le pays à la prospérité pour le bien-être des populations que nous avons la lourde tâche et l’honneur d’administrer (mes déclarations furent unanimement approuvées).

Rennes, marraine de Vouziers13

  • 13 Après la « course à la mer » de fin 1914, la Champagne fut la première région choisie pour l’offens (...)

19Enfin, M. Bahon présenta mon rapport ci-après, relatif à Vouziers, et en fit adopter les conclusions, à l’unanimité, comme tout le reste. Voici comment j’exposai cette question à mes collègues.

« De même que les individus, les villes de France ont supporté intégralement les fatalités de la Grande Guerre. Tandis que, dans nos provinces envahies, l’héroisme de nos armées a permis de recouvrer des régions presque indemnes, il en est d’autres au contraire que l’ennemi, avec une rage inexprimable, a ravagées méthodiquement. Tel est le cas de la ville de Vouziers, dont le député-maire, M. Bosquette, a adressé à la ville de Rennes un appel émouvant. La ville de Rennes, Messieurs, depuis le début des hostilités a fait tout son devoir. J’ai eu l’occasion, au sujet des honneurs à rendre à ses morts, de vous rappeler combien sont nombreux ses fils tombés sur les champs de bataille. Par sa main-d’œuvre dévouée, elle a contribué énergiquement à l’armement et à l’entretien des forces alliées. Elle a offert la plus large hospitalité aux réfugiés qui, depuis le début de la campagne et à diverses reprises, y ont débarqué en foule et dans le dénuement le plus complet. La générosité de ses habitants a grandement aidé l’initiative de la municipalité dans l’organisation d’un ensemble de mesures de secours très efficaces.
Mais elle n’a pas connu les horreurs de la guerre, ses citoyens n’ont pas été molestés, ses monuments sont intacts, son commerce n’a souffert que de restrictions relatives, son ravitaillement a été assuré, son activité reviendra avec le retour de la paix, moyennant l’effort que nous escomptons de sa population laborieuse. Plusieurs villes ont donné leur patronage à des cités victimes de l’invasion et, dans notre région, la ville de Nantes, vous le savez, s’est déclarée marraine de la ville de Saint-Mihiel ; son conseil municipal a voté 10 000 francs pour le relèvement de cette cité martyre, somme à laquelle une souscription publique est venue s’ajouter. Je vous propose, mes chers collègues, de décider que la ville de Rennes prendra le titre de marraine de la ville de Vouziers, de voter l’ouverture sur autorisation spéciale, en attendant le rattachement aux chapitres additionnels de 1919, d’un crédit de 25 000 francs en dépenses pour “aide au relèvement de sa filleule”. Ces dons de ville à ville ne sont que des marques de solidarité et d’affectueuse sympathie, car les sommes offertes sont hors de proportion avec les pertes subies. Aussi ne s’agit-il là que d’un patronage, qui honore grandement les villes auxquelles il est demandé, et d’une aide de celles-ci permettant aux municipalités des cités ravagées de faire face aux besoins les plus urgents. Lorsqu’il s’agira de restauration, c’est l’ennemi qui devra payer et l’État ne manquera pas d’y coopérer quand il sera nécessaire ».

20Après la lecture de ce rapport, M. Bahon termina ses conclusions comme suit :

« Cette somme de 25 000 francs sera la part du conseil municipal et pourra être employée sans retard à l’allègement des misères les plus pressantes. Mais votre commission a envisagé une participation plus directe de la population rennaise au secours dont Vouziers a besoin. Et si vous le décidez ainsi, une commission spéciale pourra préparer un projet d’ensemble comprenant, par exemple, une grande fête ou un bal pour souscription, dans les salons de l’hôtel de ville, un festival populaire au Thabor avec entrée payante, une “journée rennaise en faveur de Vouziers” avec vente d’insignes sur la voie publique et tombola, sans parler d’autres idées qui pourraient vous être soumises encore. Ces manifestations de générosité auxquelles sera donnée un caractère de joyeuse solennité n’auraient lieu qu’au lendemain du traité de paix qui consacrera définitivement notre victoire ».

21On peut donc dire que cette séance du lundi 6 janvier 1919 au cours de laquelle fut consacrée officiellement la concession à perpétuité des tombes affectées à nos héros disparus de la Grande Guerre – et dont vous verrez le compte rendu ci-après – est une des grandes journées du conseil municipal de Rennes, par l’action patriotique et sociale accomplie dans une complète union des esprits et des cœurs.

— Des tombes à toujours pour nos chers soldats

22Une des plus émouvantes cérémonies que Rennes ait jamais célébrées, fut la manifestation, si pieusement patriotique, du 5 janvier 1919, qui consacra la remise des tombes par la municipalité de notre ville aux soldats morts pour la France. Ce fut là un acte si noblement grand et solennel que, afin d’en fixer le souvenir, je crois faire pour le mieux en rappelant, et la délibération du conseil du 6 janvier 1919, et le récit officiel de cette grave journée du 5, c’est-à-dire de la veille. Voici comment j’exposai mon rapport.

« Notre ville a été un grand centre hospitalier militaire, où des milliers de Français, frappés au champ d’honneur, sont venus consommer dans la souffrance leur sacrifice aux causes sacrées et intimement unies de la Patrie et de la civilisation. Des étrangers, nos alliés, sont venus les rejoindre, au cimetière de l’Est. Débordant du terrain que nous avions consacré aux inhumations militaires, rangées dans un impressionnant ordre de bataille, les tombes des petits soldats s’étendent en un vaste champ de repos, grandiose dans sa simplicité. Qu’ils reposent en paix ces braves, dans notre terre bretonne dont tant de vaillants fils sont eux-mêmes allés mourir ailleurs ! Et pour cela, que jamais on ne touche à leurs cendres, à moins d’une volonté formelle de leurs familles en deuil. Jamais sans doute, l’Histoire n’avait encore enregistré abnégation si unanime pour un aussi grand idéal. Pour la liberté, le droit et la justice, des millions de héros sont morts. Aux jeunes générations d’en méditer l’exemple, pour n’oublier jamais que le devoir du citoyen oblige et va, lorsqu’il le faut, jusqu’au sacrifice suprême. Des visites au Panthéon rennais et au cimetière le rappelleront à leurs yeux et, par là, à leur cœur. Ces tombes doivent donc rester comme témoins impérissables d’une époque illustre pour la France et pour l’humanité.
Depuis 1892, à différentes reprises, sur l’initiative de la Société des femmes de France et du Souvenir français, des terrains ont été accordés par la ville pour les sépultures militaires. Les surfaces concédées apparaissaient en temps de paix comme largement suffisantes, mais la guerre est venue, longue et cruelle, les tombes se sont ajoutées aux tombes et, à l’heure actuelle, nous avons à prendre un ensemble de mesures qui régularise la situation en assurant à jamais le repos de nos soldats dans notre cimetière de l’Est. Je vous propose donc, mes chers collègues, de décider que :

  1. Les terrains affectés au cimetière de l’Est aux inhumations des victimes françaises et alliées des armées de terre et de mer de la Grande Guerre soient concédés gratuitement et à perpétuité à leurs occupants ;

  2. Il ne pourra être procédé à leur relèvement, à moins que des familles viennent chercher leurs chers disparus pour les emporter avec elles ;

  3. Seront admis à partager la même expression de notre gratitude les Rennais ayant droit au tableau d’honneur de notre Panthéon, tombés au loin et dont les parents sollicitent le transfert dans l’enclos, ainsi réservé, près de leurs frères d’armes.

Dans notre chère cité, où le culte des morts est porté à un très haut point, où les tombes sont toujours fleuries, où le Souvenir français a su mener à bien la tâche pieuse qu’il s’était assignée, il n’est pas à craindre qu’un jour l’oubli se fasse sur les tertres modestes des glorieux soldats dont la vie aura été la rançon de la victoire. La ville de Rennes veillera à perpétuer leur souvenir ».

23À la suite de ce rapport, mon excellent collègue Dottin, ayant évoqué l’image du retour triomphal des vainqueurs ajouta :

« Je pense qu’alors la foule, quand elle aura fêté les vainqueurs qui vivent, ira porter son hommage aux vainqueurs qui sont morts, à ceux qui n’ont pas gagné le repos éternel dans la fougue de l’attaque ou dans l’énergie de la défense, mais qui sont venus après de pénibles souffrances, mourir dans les hôpitaux de l’arrière. Au cimetière de Rennes sont inhumés des soldats de toutes les parties de la France : du Nord et de l’Est, comme de l’Ouest et du Midi ; et la veuve ou la mère rennaise, qui apportera son hommage et l’offrande de sa tristesse à la tombe d’un soldat inconnu, pourra se dire que là-bas sans doute, une autre mère, une autre femme veille sur la sépulture de son fils ou de son mari. À notre cimetière dorment encore des marins qui reposent dans la terre bretonne tandis que d’autres de chez nous sont disparus en mer, pendant la garde humble et vigilante qu’ils montaient sur nos côtes. Au cimetière reposent aussi des coloniaux, de ces pays étranges d’Afrique et d’Asie où des Rennais sont tombés pour jamais. Enfin nous pourrons au cimetière porter notre reconnaissance à des soldats alliés : Belges, Russes, Italiens, Anglais, Américains, aux bons ouvriers de la première heure comme à ceux de la troisième, et à ceux de la onzième heure, aussi habiles aux œuvres de paix qu’aux œuvres de guerre.
Pour tous, il est juste que la parcelle de terre qu’occupent leurs restes, parcelle de terre d’un pays qu’ils ont servi et défendu, ils la gardent éternellement, et qu’éternellement le culte de ces morts, cette religion, qui eut ses martyrs comme ces soldats rennais qui n’hésitèrent pas à risquer et à perdre leur vie pour rendre les derniers devoirs à des camarades, cette foi qui ne compte ni incrédules, ni hérétiques, ni infidèles, ce culte douloureux et apaisant à la fois, qui unit en vérité tous les hommes, amènent sans cesse ceux des siècles à venir dans notre enclos sacré avec des fleurs, avec des larmes, expression d’un souvenir qui ne périra pas ! »

24Au vote unanime du conseil adoptant mon rapport et applaudissant aux paroles de M. Dottin, j’ajoute moi-même ici le compte rendu officiel de la cérémonie qui, la veille, groupa tous les Rennais au cimetière de l’Est.

Cérémonie de remise solennelle des tombes

25Le dimanche 5 janvier 1919, à 10 heures du matin, le maire, les adjoints et le conseil municipal de Rennes, auxquels s’étaient joints les chefs des services municipaux, se sont assemblés à l’hôtel de ville pour aller en corps au cimetière de l’Est proclamer officiellement la concession perpétuelle des tombes des soldats inhumés à Rennes pendant la Grande Guerre. À cette cérémonie avaient été invitées les sociétés des vétérans et d’anciens combattants, et les autorités civiles et militaires dont l’énumération suit.

  • 14 On désignait par « territoriale » les troupes mobilisables des classes les plus anciennes (c’est-à- (...)

26Le cortège se mit en marche dans l’ordre suivant : un détachement des troupes sous les ordres du commandant Recoulès, major de la garnison ; la musique municipale ; les drapeaux des Sociétés ; les hautes personnalités civiles et militaires ; le comité de l’Union patriotique des sociétés d’anciens militaires, composé lui-même comme suit : MM. Jean Janvier, maire de Rennes, président fondateur ; Guéroult, comptable, secrétaire général ; Andreu, comptable, trésorier ; Decoux, capitaine honoraire de territoriale14 organisateur des cortèges.

27Les membres des sociétés adhérentes à cette association – soit : l’Union fraternelle et patriotique des anciens combattants de 1870-1871 (président, M. Robert Surcouf, directeur d’assurances) ; les vétérans des Armées de terre et de mer (président, M. Huguet, capitaine en retraite) ; la Société amicale des anciens pontonniers et sapeurs du génie (président M. Ch. Badault, entrepreneur de travaux publics) ; la Société des anciens cavaliers de Rennes et de la région (président, M. Jaigu, avocat à la cour d’appel) ; la Société des anciens artilleurs (président, M. Jean Lemaistre, directeur de l’asile Saint-Méen) ; la Société des médaillés militaires (président, M. Poulet, industriel) ; la Société des anciens gendarmes (président, M. Beaumanoir, gardien-chef du Thabor) ; les Anciens militaires retraités (président, M. David, appariteur) ; la Société des anciens du 41e régiment d’infanterie « L’Isly » (président, M. Onfray, ancien négociant) ; les Anciens marins (président, M. Carrière, contremaître serrurier) ; le Souvenir français et l’Escorte d’honneur (président, M. Fr. Simon, imprimeur) – faisaient également partie du cortège.

28Les personnalités participant à ce cortège étaient les suivantes : le maire, M. Janvier ; les adjoints, MM. Laurent, Langelier, Daniel et Leroux ; les conseillers municipaux, MM. Perchais, Dottin, Noël, Denis, Bossoreil, Guillaume, Banchereau, Dupont, Delisle, Huguet, Pichon, Dubois, Clément, Montagnon, Fauconnier, Maniez, Mainguené, Bahon, Malapert, Grécet, Roque, Commeurec, Nourry, Troufflard, Le Clainche, Leprince ; M. Le Rondel, secrétaire général de la mairie ; M. Fablet, chef du secrétariat de la mairie ; MM. Badin, Lebreton, Laisné, Dhérin, Poulet, chefs de bureau à la mairie ; M. Perraut, directeur de l’Office de placement ; M. Le Hir, bibliothécaire en chef de la ville ; M. Martel, receveur municipal ; M. Le Ray, architecte de la ville ; M. Monnerai, inspecteur des bâtiments communaux ; M. Létard, sous-ingénieur des services municipaux de voirie ; M. Rochulé, chef du service de l’éclairage ; M. Boisnière, préposé en chef de l’octroi ; M. Bollotte, inspecteur des halles et marchés ; M. Camuzet, directeur du bureau d’hygiène ; M. Perrier, directeur du laboratoire municipal ; M. Ronsin, directeur de l’école régionale des Beaux-Arts et de l’école d’architecture ; M. Brun, directeur de l’école pratique d’industrie ; M. Laurent, commissaire central, et M. Besnard, capitaine commandant la compagnie des sapeurs pompiers.

29Préfecture : MM. Juillard, préfet d’Ille-et-Vilaine ; Béchade, secrétaire général de la préfecture ; Joly, chef de cabinet du préfet ; Mondrain, Yardin, Soyer, chefs de division à la préfecture.

30Parlementaires : M. Deschamps, conseiller municipal de Rennes, conseiller général, député de la 1re circonscription de Rennes, sous-secrétaire d’État à la Démobilisation ; MM. Jenouvrier et Le Hérissé, sénateurs.

31Armée : général d’Amade, commandant la 10e région ; général Berge, commandant les subdivisions d’infanterie ; général Huguet, commandant supérieur des dépôts d’artillerie, intendant militaire Masson ; lieutenant-colonel Jeune, directeur du génie ; lieutenant-colonel Lasne, commandant le dépôt du 7e d’artillerie ; lieutenant-colonel Guède, commandant le dépôt du 50e d’artillerie ; lieutenant-colonel Buet, directeur de l’atelier de construction, colonel Rossert, commandant la 10e région de gendarmerie ; lieutenant-colonel Arthensac, commandant le bureau de recrutement ; colonel de Montigny, commandant le dépôt du 41e d’infanterie ; Dr Coste, médecin-inspecteur, directeur du service de santé de la 10e région ; capitaine Pianegiani, commandant le groupe d’ouvriers militaires italiens ; major Stephen, commandant le groupe américain.

32Magistrature : M. Plédy, premier président de la cour d’appel ; Canac, procureur général de la cour d’appel, Gaspaillard, Baudet, Savidan, présidents de chambre à la cour d appel ; Le Lepvrier, président du tribunal civil ; Marinier, procureur de la République ; Guillet, président du tribunal de commerce.

33Enseignement : MM. Gérard Varet, recteur de l’académie ; Turgeon, doyen de la faculté de droit ; Moreau, doyen de la faculté des sciences ; Dottin, doyen de la faculté des lettres ; Follet, directeur de l’école de médecine et de pharmacie ; Dodu, inspecteur d’académie.

34Commerce et Industrie : M. Le Hô, vice-président de la chambre de commerce.

35Grands services publics de l’État en résidence à Rennes : MM. Montigny, préfet honoraire, trésorier-payeur général ; Boisnier, ingénieur en chef des Ponts et Chaussées ; Sollier, directeur de l’enregistrement ; Bardenet, directeur des contributions directes ; Hervé, directeur des contributions indirectes ; Ernult-Lanoë, directeur intérimaire des Postes et Télégraphes.

  • 15 Rue du Maréchal-Joffre, entre la rue du Pré Botté et la rue Vasselot.
  • 16 Rue du Maréchal-Joffre, entre la rue Vasselot et le boulevard de la Liberté.

36Le cortège suivit la rue d’Orléans, le quai Lamartine, la rue Chalais15 la rue du Champ-de-Mars16 le boulevard de la Liberté et fit halte au monument élevé à la mémoire des combattants de la guerre de 1870, morts pour la Patrie. Les autorités se groupèrent autour de M. Janvier, maire de Rennes, qui prononça les paroles suivantes :

« Quelques années avant la Grande Guerre, nous avions fondé l’Union patriotique des sociétés d’anciens militaires de la ville de Rennes. Une fois par an, nous nous réunissions, place de la Mairie, pour nous former en cortège et, précédés d’une musique militaire, nous rendre près de ce monument. Les préfets, les généraux qui se sont succédé à Rennes, les parlementaires de tous les partis, les plus hautes personnalités de l’armée, de la magistrature, de l’enseignement et de tous les grands services d’État se joignaient à nous et nous venions ici rendre un pieux hommage aux morts pour la Patrie. Chaque fois, après avoir rappelé les douloureux événements de 1870-1871, nous exprimions notre foi dans l’avenir de notre cher pays et prononcions des paroles d’espérance.
Aujourd’hui, nous ne pouvions nous rendre au cimetière de l’Est sans nous arrêter près de ce monument et déclarer bien haut combien nous sommes heureux de penser que notre action d’avant-guerre a pu contribuer à maintenir et même à développer les sentiments patriotiques autour de nous. Nous devions nous y arrêter aussi parce que ceux qui sont tombés au service de la Patrie, il y a bientôt cinquante ans, et ceux qui sont tombés au cours de cette longue et terrible guerre qui vient de prendre fin, nous sont également chers.
Patriotes rennais, qui chaque année, veniez ici avec nous, merci de nous avoir accompagné aujourd’hui et vous, vieux combattants, combien vous devez être heureux de voir vos camarades de 1870-1871, vengés par leurs enfants et les vôtres, avec l’aide loyale de nos alliés, et combien aussi votre joie sera profonde de voir les bandes noires du ruban de vos médailles commémoratives effacées par la victoire. Nous allons marcher maintenant vers le cimetière de l’Est, rendre un hommage mérité à deux mille braves tombés de 1914 à 1918, au cours des luttes immortelles qui, en servant les grands principes de liberté et d’humanité, nous ont valu le retour de l’Alsace et de la Lorraine à la Mère Patrie, à la France. Vive la France immortelle ! »

37Après ces quelques paroles du maire de Rennes, le cortège reprit sa marche par la rue et le faubourg Saint-Hélier, jusqu’à l’avenue du cimetière de l’Est. À onze heures, il s’arrêtait devant le monument du Souvenir français décoré de drapeaux, derrière lequel s’alignent les tombes militaires. Toutes les tombes étaient ornées de petits drapeaux surmontant les croix et les stèles. La musique municipale joua La Marseillaise, les drapeaux s’inclinèrent, alors M. le maire prit de nouveau la parole :

Mesdames, Messieurs,
« Le conseil municipal de la ville de Rennes a voulu que dans l’avenir, rien ne vînt troubler le repos des braves qui sont inhumés dans ce cimetière et c’est dans cette pensée que les dispositions suivantes ont été prises en séance privée mardi dernier, 31 décembre 1918, et qu’elles le seront demain, lundi 6 janvier 1919, en séance publique ».

38Puis, M. le maire de Rennes lut son rapport présenté au conseil municipal, rapport dont le texte est cité en tête de la délibération qui précède. Ensuite prirent la parole successivement : M. Juillard, préfet d’Ille-et-Vilaine ; le général d’Amade, commandant la 10e région ; M. Françis Simon, président du Souvenir français ; M. Deschamps, sous-secrétaire d’État à la Démobilisation.

- Discours de M. Juillard, préfet d’Ille-et-Vilaine
« Dans une pensée qui recueille en ce moment même l’approbation unanime de la population, le conseil municipal de Rennes a tenu à assurer la perpétuité dans ce champ de repos, le respect et la paix dus à la sépulture des glorieux soldats français et alliés qui au cours de la Grande Guerre sont morts dans cette ville ; à cet émouvant hommage de la reconnaissance et de l’admiration de notre grande cité, il était bien naturel que vinssent s’associer, à côte de ses représentants, les autorités publiques et les grandes administrations de l’État.
Honneur, Messieurs, à tous les braves qui ne sont plus, à ceux qui sont tombés l’espoir au cœur dans l’ivresse de combats épiques, à ceux dont les corps déchiquetés ont été recouverts par les tranchées bouleversées, à ceux que les flots de la mer ont à jamais ensevelis, à ceux qui stoïques ont enduré dans nos hôpitaux leurs dernières souffrances, la plupart d’entre eux n’ont pas vu se lever l’aube de gloire payée de tant de sang et de ruines, mais il n’en est pas de si modeste et de si obscur dont la mort n’ait contribué au salut de la Patrie et à la libération de l’humanité. Notre gratitude ne distingue pas entre eux, nos grands morts seront, pour nous, les étemels vainqueurs parce qu’ils ont été les soldats magnifiques dont les exploits surhumains font pâlir tous les récits des prouesses antiques et ont élevé le prestige de la France à un degré de splendeur que, malgré ses gloires passées, elle n’avait pas encore atteint.
Pendant plus de cinquante-et-un mois, cette fleur de notre race s’est offerte au sacrifice sans murmure et sans regret. Ceux-là qui sont tombés pour le grand devoir ne veulent pas qu’on les pleure, mais que le rêve splendide auquel ils s’étaient donnés, devienne une réalité vivante : la patrie non seulement sauvée mais rénovée par le sang de ses meilleurs enfants. Après l’allégresse de la Victoire, “il reste aux vivants” selon la forte parole de Clemenceau, à “parachever l’œuvre magnifique des morts”.

L’héroïsme de nos soldats nous impose une dette éternelle et sacrée ; ce serait trop peu d’honorer d’un culte fidèle leur souvenir, de réparer les douleurs de la guerre en acquittant nos obligations vis-à-vis des victimes ou de ceux qui portent leur deuil. Nos morts “ont des droits sur nous” et nous demandent davantage : ils veulent que la victoire payée de tant de sacrifice porte tous ses fruits et que la seule paix juste soit celle qui apportera à la fois sécurité, réparation et châtiment ; ils réclament de nous, pour que la France reste digne de sa gloire et capable de se relever rapidement de ses blessures, l’union fraternelle de tous ses enfants, que la concorde nationale ressuscitée devant le danger, fortifiée par le rapprochement et la camaraderie des champs de bataille demeure intacte dans la victoire et impose à l’esprit public, au profit de la France, des directions de générosité sociale, de fraternité et d’apaisement avec le respect de toutes les opinions et de toutes les croyances. Puissent nos morts immortels rester toujours nos conseillers ; par eux, qui ont été ses sauveurs, nous seront fidèlement transmises les volontés saintes de la Patrie.
Messieurs, la section rennaise du Souvenir français a assumé la tâche touchante d’entretenir la tombe de nos vaillants soldats ; elle s’en acquitte avec une sollicitude et une délicatesse de sentiments qui sont égales à l’élévation d’une aussi honorable mission et qui méritent toute notre reconnaissance : j’ai le devoir d’en traduire aujourd’hui l’expression à M. Fr. Simon, qui lui-même, cruellement frappé par cette guerre, a trouvé dans la douleur de son propre deuil, une raison de plus de donner aux familles éprouvées comme la sienne, la consolation de savoir confiée à des mains pieuses la glorieuse dépouille des enfants qu’elles pleurent ».

- Discours du général d’Amade, commandant de la 10e région militaire
« Au nom de l’armée, comme au nom des familles dont les fils reposent sur cette terre bretonne, je viens exprimer des remerciements. Une cité s’honore par un acte comme celui que vous venez d’accomplir. Il réalise la dernière volonté de soldats tombés dans la défense de la Patrie, leur conférant pour linceul une parcelle de ce sol français pour lequel ils ont versé leur sang et donné leur vie. Quand il s’agit d’une parcelle de terre bretonne, ce don est plus qu’un symbole. Il prend une valeur inestimable ; car cette terre a été fécondée d’héroïsme au cours de toute l’histoire. Chaque printemps de guerre y ramène une nouvelle floraison. Combien de fois les Allemands, dans leurs communiqués, ont-ils expliqué leurs échecs, atténué leurs responsabilités de retraite, en disant : nous avions devant nous les troupes bretonnes.

Monsieur le maire,
Par cette sépulture grandiose, disiez-vous, par sa simplicité prophétique, ajouterai-je, et suggestive dans son égalité, vous avez consacré un avènement, celui d’une cité idéale nouvelle née de la guerre. Ici, coude à coude, fantassins, artilleurs, cavaliers, aviateurs, sapeurs, marins, Français ou Alliés, soldats de tous rangs, travailleurs coloniaux de toutes conditions, dans une éternelle et confiante étreinte, dorment leur dernier sommeil. Cette fraternité dans la mort n’est-elle pas l’évocation de la vie de tranchée ? À son tour, la vie de tranchée n’est-elle pas l’image d’une cité moderne idéale, où chacun se dépense, prodigue toutes ses ressources et jusqu’à sa vie pour le salut de tous ? Dans la tranchée, plus que partout, se vérifie cette pensée : “celui-là seul mérite la liberté et la vie qui est forcé de les conquérir tous les jours”. N’est-ce pas là, la formule d’une cité parfaite dans laquelle le travail de chacun concourt à la prospérité de tous ?
Cette cité parfaite, Monsieur le maire, vous avez voulu vous souvenir de vos origines, ennoblies par le labeur persévérant, pour la construire de vos mains. Tout ce que j’en ai vu porte l’empreinte de cette volonté : œuvres de secours de guerre, accueil aux réfugiés, hospitalité à nos blessés dans vos hôpitaux modèles, emplois procurés aux invalides de guerre. Rennes en ce domaine, comme dans tant d’autres, vient en tête des villes de France. Elle fait bien songer à la ville idéale, légitime orgueil de ses édiles, et à cet exergue dont elle pourrait orner son blason : “si Dieu a fait le monde, c’est l’homme qui a fait la cité”. Nous ne saurions oublier, Monsieur le ministre, Monsieur le préfet, que de si beaux exemples viennent de plus haut : que le gouvernement de la République les a inspirés. Il s’est préoccupé de réparer les dommages de la guerre. Il a donné pour foyer et pour famille, la Patrie, aux orphelins de ceux qui sont morts pour elle. Dans les triomphales apothéoses qu’il prépare, il saura lui aussi faire rayonner sur les morts leur part de gloire ; sur les morts, les véritables vainqueurs.

Messieurs,
Sur ces champs, la moisson qui lassera les faucilles, les fruits qui passeront, les promesses des fleurs, c’est la liberté du monde obtenue par le sacrifice de ces héros. Ils méritent les honneurs que vous leur accordez dans votre panthéon municipal, comme dans cette terre sacrée, dont la garde ne saurait reposer en meilleures mains qu’en celles du Souvenir français. Ces alignements se présentent uniformes et rigides comme des bataillons marchant au combat. Ces rangées de stèles sont les vagues d’assaut qui se succèdent et se précipitent dans une ruée de victoire. Ces flammes à l’extrémité des croix, ce sont les flammes des lances qui tout à l’heure s’abaisseront dans une saccade uniforme pour l’abordage et pour la mêlée.
Enfants, vos yeux se sont fermés sur ce spectacle de guerre. Ouvrez-les maintenant et contemplez votre œuvre. L’ennemi est en fuite. Vos régiments sont acclamés en Alsace. Vos drapeaux flottent sur le Rhin. Par vous la France triomphe. Et maintenant laissez retomber vos paupières et reprenez, l’âme satisfaite, inondée de joie dans la lumière éternelle de votre gloire, votre long sommeil.

Monsieur le maire,
Les parents viendront s’agenouiller dans ces allées et parleront à leurs enfants. Vous leur aurez procuré à tous une consolation suprême. Ils vous béniront.

Monsieur le président du Souvenir français,
Devant ces tombes ornées d’une croix, fleuries et entretenues par vos mains, ils sentiront sur leur douleur passer la brise bienfaisante de la prière et de la bonté. Aux soirs d’été quand le soleil s’inclinera vers Rennes éclairant de ses feux l’ancien parlement de Bretagne, dardant ses flèches d’or sur le campanile de la mairie, alors chevauchant ces rayons, la gloire jaillira de ce coin de terre. Votre cité rennaise en sera tout illuminée. Pour l’hospitalité que vous leur avez conférée, ce sera le remerciement de vos glorieux morts ».

- Discours de M. Fr. Simon, président du Souvenir français et de l’Escorte d’honneur
« Nos morts sont là ! Ils sont là deux mille ! Deux mille héros, rangés sous leurs tertres proprets et fleuris, alignés comme pour une parade. Sur chacun d’eux un petit drapeau claque au vent. Deux fragments de bois cloués l’un sur l’autre – leur croix de guerre – les surplombent. Et de ces planchettes rappelant le signe sacré qui s’érigea voici dix-neuf siècles sur le mont rédempteur, resteront marquées leurs humbles tombes pour l’immortalité. Ces morts ne sont pas des morts ordinaires. La poussière de leurs tombeaux n’est pas froide comme celle des humains qui meurent chaque jour ; leur existence, brisée prématurément, se prolonge ; ils marchent côte à côte avec nous ; ils tressaillent à nos espoirs et ils prennent une part réelle aux triomphes de la Patrie victorieuse. Ils appartiennent au pays tout entier. Ils sont les martyrs du devoir national, les holocaustes de la Patrie. À ses fils qui lui ont sacrifié leur vie, la France doit un public hommage, digne de leur bravoure et de son propre honneur.
Vous l’avez compris, Monsieur le maire, Messieurs du conseil municipal, en décidant de graver dans le marbre impérissable d’un Panthéon, le nom des enfants de la cité morts pour la Patrie : vous acquittez la dette sacrée de la France ! Et c’est le même sentiment qui, au lendemain de la cessation des hostilités, vous met au cœur la haute et belle pensée d’assurer la perpétuité au coin de terre où reposera désormais pour toujours, dans la majestueuse tranquillité de la mort, la dépouille glorieuse de chacun des héros qui sont venus exhaler leur dernier soupir sous le ciel hospitalier de l’accueillante capitale bretonne. Comme c’est bien œuvre française que celle-là : “l’abri perpétuel de la tombe”. Et que de mères, que de pères, que d’épouses, que d’enfants la béniront. Car elles sont privilégiées, les familles qui savent en quel endroit elles iront s’agenouiller, pleurer et prier.
Et comme pieusement le Souvenir français et l’Escorte d’honneur continueront à les fleurir, à les aimer, les tombes des petits soldats, qui doivent durer toujours ! Depuis quatre ans passés, nous avons solennisé leurs funérailles, nous avons remplacé leurs familles absentes : nous avons dressé, aligné, orné de verdure et de fleurs les tertres sous lesquels ils dorment ; sur chacun d’eux, nous avons maintes fois apporté “une visite, une fleur, une prière”, nous y avons amené des foules émues, frémissantes de douleur et d’admiration, pour que ces morts splendides aient en vision le murmure pieux de l’âme qui prie et le silence recueilli du respect qui contemple. Perpétuellement, désormais, nous les voudrons jolies, les tombes des petits soldats de France et celles de leurs camarades des nations alliées dont la cendre s’entremêle à la leur. Car elles représentent à nos yeux les deux grandes choses qui s’appellent : le devoir et le sacrifice.
Quelle sublime leçon de patriotisme nous ont donnée ces générations de jeunes gens et d’hommes mûrs fauchés en pleine force dans leur linceul de gloire ! Unis sur le champ de bataille dans un fraternel oubli des luttes de classes, de toutes les causes de division et de haine, étroitement groupés à l’ombre d’un drapeau, ils ont communié dans un même élan merveilleux, dans un même amour sans borne pour la Patrie ; ils sont morts pour que notre pays, terre de générosité, de clarté, d’idéal, pût vivre libre et respecté, sacrifiant sans regret leurs espérances, leur jeunesse ensoleillée, leur joie de vivre à notre indépendance, à notre honneur, à la sauvegarde de la dignité humaine. Quel renouveau d’énergie, de grandeur et d’élévation morale ceux qui survivent ne doivent-ils pas puiser dans leur exemple ? Grâce à votre patriotique inspiration, Monsieur le maire, Messieurs du conseil municipal, au contact de ces héroïsmes entourés de regrets et de gloire, le peuple à venir se sentira plus vaillant et plus fort. Et sous leurs 6 pieds de terre, bien à eux désormais, autour du monument du souvenir que nous avons élevé à leur gloire et dont le granit défiera les siècles, nos glorieux morts sont et demeureront toujours, pour la conserver unie, fière et forte, la garde d’honneur immortelle de la Patrie qu’ils ont sauvée ! À nous le souvenir, à eux l’immortalité ! »

- Discours de M. Louis Deschamps, sous-secrétaire d’État à la Démobilisation
« Ceux qui, frappés au champ d’honneur, ont succombé dans notre ville, connaîtront la paix définitive, aux lieux mêmes où naguère votre piété les conduisit. Ils dormiront là indistinctement confondus, soldats de France, soldats accourus d’autres patries lointaines, tous ceux que le droit ligua pour sa défense et que le sort a terrassés ensemble. Le culte solennel voué par l’homme aux restes périssables des hommes atteint ici à sa grandeur suprême et s’élève au symbole. Car vous avez jugé que la parcelle de terre où tomba le combattant lui était acquise par un droit imprescriptible et que l’éternel voisinage des morts augustes serait, en même temps qu’un honneur, un éternel bienfait pour la cité.
Il était naturel qu’une aussi noble pensée naquit en notre ville. Nulle ne marqua un plus sincère et plus constant attachement à la Patrie ; nulle ne dépensa plus d’ingénieuse activité à guérir les innombrables blessures de la guerre. Nulle ne fit plus héroïquement le sacrifice de ses enfants. Sur tous les champs de bataille où se joua leur existence, nos glorieux régiments ont fait éclater ces admirables vertus bretonnes, cet indomptable courage, cette obstination patiente du cœur et de la raison qui forcent tous les obstacles. Ils rentreront un jour aux accents des marches triomphales, les soldats, orgueil de notre ville, portant tous à l’épaule l’emblème de la bravoure, superbes dans la Victoire comme ils le furent à l’heure des combats, et les vivants associeront les morts à leur fierté. Comment n’évoquerais-je pas ici les héros au milieu desquels j’ai vécu moi-même, ces territoriaux du 75e régiment que j’ai vus au milieu des pires vicissitudes, toujours confiants et pénétrés d’une ardeur intrépide ! Messieurs, lorsque la vie de milliers d’hommes tenait entre deux murs de terre, les yeux souffraient de ne rien voir, mais les cœurs ouvraient d’immenses perspectives où plongeaient les âmes. Que de beautés s’épanouissaient alors et l’étonnant spectacle qu’il me fut donné de contempler pendant des mois ! Même abnégation souveraine, même fidélité inflexible et, chez tous, cette même simplicité qui, jointe à l’héroïsme, lui composait la plus étonnante parure. Comment ne les eût-on pas aimés ? Les âmes fortes acquièrent par la douceur des droits souverains sur le cœur et l’on éprouve un inexprimable réconfort à vivre dans leur rayonnement.
Messieurs, lorsqu’un pays comme le nôtre sort victorieux de l’effroyable tourmente où, pendant des années, on le vit plier sous la menace, il sied de se pencher avec respect, avec gratitude, avec amour, vers le sol où reposent les milliers d’êtres qui se sont sacrifiés pour le sauver, pour lui conserver ses droits à l’existence. En ces minutes surhumaines, s’établit entre les vivants et les morts, une intime communion et comme un silencieux dialogue où l’âme puise, avec un austère adoucissement à ses peines, l’exacte révélation de ses devoirs. Nous appartenons à nos morts. Ne sommes-nous pas les dépositaires de leurs volontés, de leurs dernières paroles et n’est-ce pas le propre des justes entreprises de survivre à ceux qui les ont tentées et d’exiger jusqu’au dernier effort de ceux qui restent ? Ah ! si nous accueillions en nos mémoires quelque culte stérile où l’âme, esclave de sa douleur, condamnerait à l’éternel affaissement, si nous ne saisissions pas le flambeau des mains qui durent lâcher prise avec l’ardente résolution de le porter plus loin, d’atteindre au but, je dis que l’héroïsme des morts aurait été vain et que nous aurions trahi leur suprême espérance. Or, que voulaient-ils ces morts sublimes, à quelle réalité lointaine aspiraient-ils, quelle dessein inachevé lèguent-ils à nos fidélités ?
Ce sera pour nous un éternel honneur que dans le temps où les forces barbares se dressaient contre la France et méditaient de renverser du même coup l’ordre du monde, la même idéale vérité, la même clarté spirituelle aient lui dans toutes les âmes et que tous aient consenti sans amertume, sans réserve, aux sacrifices qu’exigeaient notre salut et celui de l’univers. À la sainte obligation de défendre le sol de la Patrie s’ajoutait, par une admirable clairvoyance, une autre et grandiose mission : écarter les ténèbres qui menaçaient d’engloutir les idées éternelles du Droit et de la Justice sans lesquelles l’humanité ne saurait vivre. Et par-delà les angoisses, au milieu desquelles se dressait leur volonté farouche, sans doute ces héros rêvaient-ils de hautes destinées pour la France, et d’une splendeur définitive qu’ils ne devaient jamais contempler. L’avenir du pays est fait de leur abnégation ; la vérité de demain sort du rêve d’hier : notre grandeur restera leur créance. Nous qui vivons, sommes comptables devant les morts.
Mettons-nous donc au travail pour acquitter notre dette. L’œuvre est immense qu’il nous faut accomplir. Nous avons triomphé : il reste à faire la France puissante et prospère, à élever le pays au niveau de sa victoire. Quels immenses horizons s’ouvrent devant nos pas ! C’est à faire monter du sol les moissons qu’il avait oubliées, que nous convie l’heure présente. Nous avons de larges blessures au flanc, il faudra les panser ; des misères à soulager, nous devons les guérir. Une nouvelle et féconde harmonie doit pénétrer nos lois, nos mœurs, notre existence. Travailler et produire dans la concorde, dans la confiance et l’amour réciproques, avec une ferveur croissante pour les destinées communes, est-il devoir plus passionnant et plus noble ? Comment ne triompherions-nous pas si nous restons unis, si les mêmes aspirations nous animent et nous soutiennent ? Ah ! la vision splendide offerte à nos imaginations, d’une France poursuivant sa marche irrésistible vers les cimes où plane aujourd’hui son destin, d’une France magnifique dans la paix comme elle fut forte et patiente pendant la guerre ! Messieurs, j’affirme que nous ne serons pas inégaux à notre tâche, si formidable soit-elle, et que nos épaules porteront au but nos espérances. Nous le devons aux vivants, nous le devons à ces morts que notre piété aura gardés tout près de nous, aux morts sublimes, témoins muets et sûrs conseillers de notre effort ».

39Après ce discours, les autorités défilèrent au milieu des tombes et à 11 heures et demi la cérémonie était terminée.

— Appel aux maires de France

40Tel avait été l’élan de Rennes dans ses initiatives, telle avait été la sympathie accueillant mon action personnelle, que l’un des plus grands organes de la presse française, Le Matin me demanda de parler à mes collègues, maires des cités heureuses, du grand devoir que nous avions à remplir vis-à-vis des cités du Nord et de l’Est, victimes de l’invasion allemande. Je ne pouvais me dérober à cet honneur, qui m’était d’autant plus sensible que Le Matin aurait pu s’adresser à l’un des très nombreux maires appartenant à la Chambre ou au Sénat, ou encore à l’un des maires qui, sans être parlementaires, dirigent l’administration municipale des grandes villes, telles que Marseille, Bordeaux, Le Havre, Rouen, Nantes, Toulouse, etc. Le dimanche 26 janvier 1919 paraissait donc, dans le susdit journal, l’article demandé. Peut-être aimeriez-vous retrouver ici l’écho fidèle de mon appel au secours pour les villes martyres.

- Aide des villes indemnes aux cités victimes de la guerre
« Le Matin a bien voulu m’offrir l’hospitalité de ses colonnes pour me permettre d’attirer l’attention des maires de France, mes collègues, sur un point dont l’interprétation est souvent de nature à arrêter le geste généreux et nécessaire que la plupart des municipalités seraient désireuses de faire. Il s’agit, ainsi que le titre de cet article l’indique, de l’aide à apporter par les régions indemnes aux régions victimes de l’invasion. J’ai constaté au cours de conversations avec de nombreux collègues, rencontrés ces temps derniers à Paris et ailleurs, que dans l’esprit de certains, il existait au sujet du patronage de ville à ville, de commune à commune, une équivoque que je voudrais dissiper. Beaucoup de municipalités hésitent à prendre une délibération déclarant leur ville marraine d’une ville martyre, pour ce seul motif qu’elles craignent que ce qu’elles peuvent offrir apparaisse mesquin, ridicule même, comparé au dommage subi ; ce n’est en réalité qu’un scrupule qui les retient.
Il ne s’agit pas pour nous de restaurer les villes, mais d’apporter à nos sœurs meurtries un patronage affectueux et un premier secours. Ce qu’il est urgent de faire, c’est de mettre les municipalités des pays ravagés à même d’adoucir les souffrances actuelles de leurs administrés, de faire face aux premiers besoins. Si chacun fait tout l’effort possible, les millions indispensables se trouveront bientôt réunis. Toutes les villes s’honoreront grandement en adoptant leur ville ; les petites communes groupées par canton ou par arrondissement tiendront aussi à adopter leur commune. Si quelque hésitation se produit dans le choix des filleules, il semble qu’il n’y aurait qu’à s’adresser au ministère de la Reconstitution ou aux préfets des départements envahis pour connaître les plus intéressantes.
Après avoir voté des subventions aussi élevées que possible, les municipalités devront tirer parti du besoin d’amusement qui suit toujours les grandes crises. Elles organiseront des fêtes payantes en rapport avec les coutumes locales : bals, concerts, festivals, journées de quête avec vente de menus objets se rapportant à la ville choisie. Les neuf dixièmes du pays, villes et communes du Sud-Est, du Midi, du Sud-Ouest, de l’Ouest et du Centre ne connaissent rien des véritables horreurs de la guerre. Nous n’avons pas été brutalisés, nos monuments et nos habitations sont intacts, nous n’avons souffert que de restrictions relatives. L’activité va renaître sans trop de peine, moyennant l’effort attendu de nos populations laborieuses.
En adressant cet appel, j’ai encore dans les yeux la vision des ruines effroyables amoncelées. Lorsqu’il s’agira de les relever ; c’est l’ennemi qui devra payer, et l’État ne manquera pas d’y coopérer quand il sera nécessaire ; mais c’est à ceux qui sont restés là-bas, près de leurs foyers dispersés, et à ceux qui y retournent qu’il nous faut tout d’abord penser. Ah ! ces tristes cortèges rencontrés dans la région de Reims et d’ailleurs, l’homme et la femme traînant une petite charrette à bras, sur laquelle sont entassés quelques pauvres ustensiles de ménage : leur visage porte l’empreinte d’une tristesse morne qui semble ne devoir jamais s’effacer. Attirés invinciblement, ils retournent là, d’où ils étaient partis, et c’est notre devoir et notre honneur de les y suivre afin qu’ils souffrent moins des pertes matérielles et qu’aussi notre aide affectueuse et fraternelle vienne adoucir leur peine. Villes et communes de France qui n’avons que peu souffert, n’hésitons plus. Nous avons un grand devoir à remplir : celui de la solidarité nationale. Allons sans retard au secours de ceux qui ont tout souffert, tout supporté pour notre pays, pour notre belle France, toujours si sereine et si grande ».

— La Bretagne en Lorraine

41Quelques jours après cet appel aux maires, j’en faisais un second et, cette fois, à nos compatriotes de Rennes et de la région bretonne. En 1914, Rennes avait reçu le drapeau de l’Union des sociétés de gymnastique de France et le congrès tenu dans la capitale bretonne avait confié à la capitale lorraine le soin d’organiser la fête fédérale suivante. Par conséquent, Rennes devait aller à Nancy et, chargé moi-même de remettre à mon collègue Simon, maire de Nancy, le drapeau de la Fédération demeuré cinq ans dans mon bureau de l’hôtel de ville, je trouvais convenable d’inviter des centaines, des milliers de Rennais, de Bretons, à m’accompagner en Lorraine pour accomplir dignement, en hommage de notre chère Lorraine délivrée, l’acte symbolique répété à chaque réunion de la Fédération nationale des gymnastes. On verra plus tard comment se réalisa ce projet que j’avais tenu à exécuter aussi dignement que possible.

42Ma tâche à la tête de l’administration municipale jugée par les méridionaux À cet endroit de mes Souvenirs – exactement à la date du 31 janvier 1919 – se place un incident curieux. Intrigué par le succès de nos initiatives rennaises et de mon système organisateur, un journal important du Midi, Le Petit Niçois, envoya à Rennes un de ses enquêteurs, M. Philippe Gordeaux, pour se rendre un compte exact de ce que nous faisions et peser la valeur réelle de mon administration. M. Gordeaux ne me cacha pas qu’il désirait comparer les résultats obtenus à Rennes avec ceux de la ville de Nice. Je me garderai bien, mes chers enfants, de reproduire ici les articles très longs et très documentés que publia Le Petit Niçois : mais autant je croirais dépasser la mesure en me livrant à une telle reproduction intégrale, autant je crois utile de vous citer quelques extraits, résumant l’aspect général de cette enquête et donnant le sens du jugement prononcé sur le compte du maire de Rennes.

« Nous assistions le mois dernier, au congrès des maires qui réunissait dans une salle de la rue Notre-Dame-de-Nazareth à Paris, les représentants de la plupart des municipalités françaises. Parmi les orateurs qui intervenaient le plus utilement dans les discussions, nous remarquâmes, bientôt, un maire, dont les avis, toujours marqués au coin de l’esprit le plus pratique, exprimés sous une forme saisissante et souvent spirituelle, étaient généralement approuvés très chaleureusement par la grande majorité de l’assemblée. Quel est ce maire, demandâmes-nous ? Mais c’est le fameux Jean Janvier, maire de Rennes, dont toute la presse a souligné la remarquable administration pendant la guerre, nous répondit-on.
Quelques jours plus tard, ouvrant un périodique, la Revue parlementaire, économique et financière, nous y lisions une étude très intéressante sur l’œuvre accomplie par M. Janvier. L’article se terminait sur ces mots : “Aucune ville de France n’a su s’organiser sur de pareilles bases et nous avons le droit de dire à tous les édiles français : allez donc faire un tour dans la capitale de la Bretagne et appliquez chez vous les méthodes qui y sont en vigueur ! M. Janvier n’a pas pris de brevet. Il tient ses méthodes à la disposition de quiconque veut les employer et on ne peut espérer trouver homme plus aimable, intelligence plus ouverte, cœur plus bienveillant. Et nous clôturerons cette étude par un mot trivial peut-être, mais qui exprime bien toute notre pensée : ça vaut le voyage !” Nous résolûmes, aussitôt, d’entreprendre le voyage recommandé par notre confrère pour faire sur place les utiles constatations promises. Elles intéresseront certainement les lecteurs du Petit Niçois, mais il aurait été peut-être plus profitable – pour la ville de Nice – de les faire faire à ses magistrats municipaux.

- Un fils de ses œuvres
Au débarqué du train, dès les premiers pas dans Rennes, on sent nettement que l’on est dans une ville “bien tenue”. Tout en effet, dans la capitale bretonne, respire l’ordre, la propreté, l’aisance. La noble architecture des maisons, la couleur sombre des toits d’ardoises, les flèches élancées des églises et les tours imposantes des monuments, le calme des rues, tout cela donnerait de la vieille cité, centre intellectuel de la Bretagne par ses universités, centre judiciaire pas sa cour d’appel, centre religieux par son archevêché, une impression respectueuse, mais un peu sévère, si, par exception, le soleil ne brillait aujourd’hui, dans un ciel pur, ajoutant sur toutes les façades, sur tous les murs, l’or de ses rayons à la patine du temps.
Mais commençons notre enquête. Aux premières questions que nous posons à divers habitants sur leur municipalité, tous nous répondent sur le ton le plus enthousiaste : “M. Janvier ! ah ! en voilà un qui connaît son affaire”, dit l’un. “C’est un as !” dit l’autre, qui, visiblement, revient de la guerre.
Nous arrivons au ravissant hôtel de ville construit par Gabriel, au 18e siècle et que M. Janvier a achevé de la plus heureuse façon, en en aménageant l’intérieur avec une richesse, un confort et un goût parfaits. Escalier monumental aux rampes de fer forgé, grands panneaux décoratifs, salon d’attente d’un luxe accueillant, nous comparons tout cela, rapidement, dans notre esprit, avec le sordide local où “provisoirement” est installée la mairie de Nice, depuis quarante ans.
Nous faisons passer notre carte à M. Janvier qui nous reçoit aussitôt. Robuste, les yeux pétillants de malice, le visage barré d’une moustache d’un blond pâle, éclairé d’un bon et franc sourire, M. Janvier nous tend une main solide et cordiale. “Je connais très bien Le Petit Niçois”, nous dit-il, dès l’abord, “c’est un journal bien fait, présenté d’une façon claire et plaisante, rédigé avec soin. Je suis heureux de sa visite” (à 1 400 kilomètres de la salle de rédaction de notre journal, pareil compliment fait plaisir !). Dès qu’il connaît le but de notre visite, M. Janvier nous explique sa conception du rôle d’un maire. “Le maire doit, à chaque instant de la journée, se pénétrer de la véritable nature du mandat qu’on lui a confié. Ses concitoyens l’ont envoyé à la mairie pour être la femme de ménage de la cité. Pour ma part, j’estime n’avoir rien accompli d’extraordinaire et je me suis contenté de faire pour la ville ce qu’une bonne ménagère fait pour la maison”. Nous allons voir comment M. Janvier s’y est pris ».

43Ce rédacteur envoyé du Petit Niçois à Rennes conte alors ce que nous fîmes pour les réfugiés et les évacués, pour la taxation de la viande, pour le ravitaillement en bois, en charbon, en pain, en pommes de terre, en lait, etc., ce que fut notre action vis-à-vis de la Compagnie du Gaz, comment j’ai su maintenir aussi florissantes que possible les finances municipales ; il dit quelles furent nos mesures préservatrices d’après-guerre et il conclut ainsi :

« Toutes les mesures si judicieuses prises, pendant plus de quatre ans, par M. Janvier ont assuré à la ville de Rennes une situation exceptionnellement prospère. Ce sont pourtant des mesures simples, pratiques. Il semble qu’elles auraient dû venir à la pensée de tous les administrateurs des grandes villes. Eh bien non ! Il suffisait d’y penser, comme pour l’œuf de Colomb. Mais personne n’y a pensé ? Eh ! si. Quelqu’un y a pensé. M. Janvier, lui seul ou presque, a conçu et surtout a réalisé. À Nice, on conçoit peu ou mal et on ne réalise pas du tout. M. Janvier a rédigé des arrêtés. Il en a surtout imposé la stricte application. À Nice on rédige, certes, énormément d’arrêtés. Mais on ne les applique jamais. M. Janvier n’a pas peur des difficultés, ni des résistances. Il fonce droit sur elles et les anéantit. À Nice, on a l’horreur instinctive des affaires. Et l’on cède à la moindre protestation des corporations intéressées au maintien de la vie chère. M. Janvier examine sérieusement les diverses faces d’une question. Quand il a pris une décision, il l’exécute jusqu’au bout sur le champ. À Nice, on hésite, on tâtonne, on tergiverse. On prend une décision aujourd’hui, et on y renonce le lendemain, pour y revenir trois jours après. Ordres, contre-ordres, désordres sont la règle. Ah ! si Rennes pouvait nous prêter M. Janvier pendant seulement six mois ».

— L’art à l’hôtel de ville – Salle des mariages - Panneaux décoratifs de Louis Roger

44Le conseil municipal actuel, qui s’enorgueillit d’avoir mené à bien l’achèvement et l’aménagement intérieur de l’hôtel de ville de Rennes, a voulu que, par sa décoration et son mobilier, la salle des mariages soit le digne cadre de la cérémonie civile qui s’y trouve célébrée ; un cadre qui, parlant à l’esprit et au cœur des futurs époux, souligne l’importance de l’acte qu’ils viennent accomplir et qui va lier leurs deux destinées. Trois grands panneaux décoratifs ornent cette salle. Ils sont dus au talent de Louis Roger, enfant de Rennes, ancien élève de notre école régionale des Beaux-Arts, premier grand prix de Rome, professeur à l’École nationale des Beaux-Arts de Paris.

45La vaste toile du fond, faisant face aux fenêtres, rappelle Les fiançailles. Dans un paysage bien breton de caractère, des landes de bruyère rose d’où émergent quelques granits, avec la mer dans le lointain, deux jeunes gens se rencontrent et échangent leurs vœux. Lui, a laissé ses bœufs au repos sous un chêne et s’est porté à la rencontre d’une bergère faisant paître ses moutons. Il lui a pris une main dans les deux siennes en lui contant de doux propos, tandis qu’un plus jeune frère, appuyé sur le joug des bœufs, contemple de loin cette scène amoureuse et poétique. Le chien de la bergère gronde sans doute à l’approche du galant, car cette dernière, pour l’apaiser, lui caresse la tête de la main restée libre. Sur toute cette scène, un ciel bleu tout parsemé de blancs nuages resplendit.

46Une autre grande toile est disposée face à la porte d’entrée. Elle évoque La famille. Ce symbole tient tout entier dans une scène représentant un père rentrant à la maison, la journée de travail accomplie, heureux d’y retrouver les siens. Sa femme, en attente sur le pas de la porte, envoie ses enfants au-devant de lui. Il s’est déjà saisi du premier arrivé et, l’enlevant de terre, l’embrasse dans les derniers feux du soleil couchant qui illumine de ses gais rayons toute la cour de la ferme dans laquelle se passe cette scène, cependant qu’au fond, un valet emmène à l’écurie le cheval de labour.

47Face à ce panneau, celui dans lequel s’ouvre la porte d’entrée, exprime L’idée de Patrie. Une vaste campagne coupée sur la droite par une tranchée occupée par des soldats défenseurs du sol jusqu’à l’extrême sacrifice. À gauche, dans la prolongation du même paysage bouleversé par la guerre, s’élève, au coin d’un champ labouré, un tertre funéraire surmonté de petits drapeaux. Il indique que là sont tombés et sont enterrés des morts pour la Patrie. Des bouteilles fichées en terre renferment une courte notice écrite en hâte sous le feu de l’ennemi, contenant des indications qui permettront d’identifier plus tard les camarades glorieusement tombés. Dans le lointain brûle sans doute un village, alors qu’une sorte d’aurore de gloire semble se lever sur l’horizon. Tous les sacrifices exprimés sur cette toile auront assuré les joies de la famille, symbolisées dans l’œuvre qui lui fait face.

48Vous pouvez en juger par ce triple sujet et par ce que vous savez déjà du noble talent de Louis Roger : nous aurons dans notre nouvelle salle des mariages, une œuvre d’art rappelant celle des nobles artistes qui, au Panthéon, fixèrent dans l’harmonie des lignes et des couleurs, tant de grandes pages de l’histoire nationale. Ces toiles furent très appréciées par la presse et la population [...].

— L’intérêt général avant tout

  • 17 Le Nouvelliste de Bretagne était un quotidien fondé en 1901 par un groupe important de catholiques (...)

49[... ] Malheureusement comme je l’ai tant de fois entendu dire à ceux qui ont eu le temps de lire le bon La Fontaine : « On ne peut contenter tout le monde et son père ». Ayant constaté que la fantaisie commerciale des nombreux bouchers abusait de la population, j’ai dû agir, contre leurs intérêts particuliers en faveur de l’intérêt public ; d’où un mécontentement qui devait se manifester contre moi mais que je ne regrette pas d’avoir « mérité » puisque, en l’incitant, j’ai défendu le droit de toute une ville. Et, à ce propos, je reproduis ici la physionomie d’une séance du conseil municipal (28 avril 1919), telle que la résume à la date du lendemain l’un des journaux locaux (Le Nouvelliste)17.

50M. Bahon – « À propos de la question de la viande et de la grève des bouchers, voudriez-vous nous dire, M. le maire, si le principe de la taxe sera maintenu, dans quelles limites il le sera et à quelle époque une taxe nouvelle interviendra ? »

51M. le maire – Nous avons toujours été en complet accord, au conseil municipal, sur la question du principe de la taxe. Nous nous sommes parfaitement rendu compte que la taxe pouvait bien servir les intérêts des consommateurs. Nous avons pu nous rendre compte de son efficacité sur le beurre. Dès que, pour des raisons que je ne puis pas m’expliquer, et à la suite des demandes de gros marchands de beurre, le ministre l’a supprimée, le cours du beurre a remonté dans des proportions effrayantes. Pour la viande, je reste donc fidèle au principe de la taxe. L’attitude des bouchers n’y fera rien. Ils sont venus me trouver et ils m’ont demandé la suppression de la taxe et l’annulation des procès-verbaux. J’ai répondu : « La taxe sera maintenue et les procès-verbaux aussi ».

52Les bouchers se plaignaient de la non concordance de la taxe avec les cours de la viande sur pied. Je leur ai dit : « Vous avez fréquemment bénéficié de ce que les cours étaient en baisse sans que la taxe soit modifiée ; par compensation, attendez huit ou dix jours et vous en aurez une nouvelle ». Les bouchers qui ont les moyens de se promener ont dit : « Nous ne travaillons plus ». Messieurs, nous avons, nous autres, travaillé à leur place ; nous avons été très occupés et l’ancienne taxe restera encore en vigueur pendant le début du mois de mai. Si les bouchers s’en plaignent, je leur dirai : « C’est vraiment votre faute ; vous nous avez donné un tel surcroît de travail que nous n’avons pu établir un nouveau tarif aussi vite que nous l’eussions fait autrement ».

53La viande est venue dans nos boucheries. Il y a eu des attentes, les ménagères ont attendu patiemment. Il est venu de la viande frigorifiée, nous la devons aux démarches de notre collègue Deschamps, nous l’en remercions, ainsi qu’à l’activité et à la compétence professionnelle du vétérinaire-inspecteur, M. Bollotte. Le premier envoi est arrivé et le public est satisfait de la qualité de la viande qui s’enlève très rapidement. Un télégramme m’a prévenu aujourd’hui qu’un second envoi était en route pour Rennes. Nous alternerons la vente de la viande fraîche et de la viande frigorifiée.

54Ceux qu’on dérange dans leurs combinaisons viennent dire : « Si les boucheries municipales fonctionnent, c’est qu’elles sont aidées par la caisse municipale ». J’en appelle à la commission du ravitaillement civil. Cela ne se fait pas. Cela ne peut pas se faire. Les boucheries municipales font face, avec leurs recettes, à tous leurs frais. Je dis tous. Leur situation n’est pas avantagée. Pensez-vous que les personnes qui nous fournissent perdent de l’argent ? Nos boucheries, fonctionnant d’après une méthode théorique, peuvent-elles réaliser les mêmes bénéfices que les bouchers particuliers qui vendent commercialement ?

55Nos taxes ont toujours été établies très loyalement. Nous continuerons ainsi. Quand tout est à la paix et à la joie, on peut penser que c’est à l’acheteur de se défendre. En ce moment, nous devons le défendre. Je suis heureux d’être d’accord avec vous. Ne craignez pas, Messieurs, que la nouvelle taxe que nous élaborons soit trop sévère pour les consommateurs. Je suis convaincu que les prix du veau et du bœuf resteront les mêmes ou à peu près. Pour le mouton, l’agneau et le porc, il y aura une augmentation sensible. Les bouchers qui voulaient la suppression de la taxe seront-ils encore mécontents ? Je sais ce que c’est que des gens de mauvaise humeur : je ne leur en veux pas. Mais vous qui me faites confiance dans une mesure qui m’honore si haut, vous savez que je ne mettrai pas ma signature sous un arrêté qui ne serait pas loyal. Je reconnais ce que chacun fait pour assurer la vie commune. Il y a des corporations locales qui se sont inspirées des circonstances dans leur façon d’agir pendant la guerre, j’ai apprécié notamment la boulangerie rennaise. À l’aide que nous lui avons donnée, elle a répondu avec complaisance. S’il y en a d’autres qui pensent qu’on peut s’enrichir sur la misère publique, je les plains.

56M. Leprince – Pourquoi ne pas envisager la création d’une ou deux autres boucheries municipales ?

57M. le maire – Il y a de gros obstacles, des questions de personnel et d’outillage.

58Le maire revient à la question de la taxe et rapporte un fait divers anecdotique : une bouchère lui déclarait les jours derniers : « Ma foi, on gagnait moins qu’on n’a gagné, mais on se tirait tout de même ! »

59M. Bougot – Et moi, j’ai entendu samedi soir, une conversation entre bouchers qui sortaient d’une réunion : « Cette municipalité de cochons nous embête, ils veulent nous empêcher de profiter de la guerre, il n’y en a pourtant pas si souvent que ça ! »

60M. Dubois – Il faut aussi, Monsieur le maire, lever la critique qu’ont faite les bouchers sur la qualité de la viande vendue dans les boucheries municipales.

61M. le maire – Si la viande de nos boucheries était de qualité inférieure, nous n’en vendrions pas des quantités aussi importantes et nous aurions une clientèle moins fidèle. Il est vrai que les bouchers ont l’habitude de pendre quelques beaux morceaux à la porte : c’est le miroir aux alouettes ; à l’intérieur la viande ne vaut pas mieux que celle de nos boucheries municipales, peut-être même ne la vaut-elle pas dans l’ensemble. Je dis encore une fois qu’en créant des boucheries municipales, nous n’avons pas entrepris de supprimer une catégorie de commerçants ; nous avons voulu être prêts à intervenir en cas de déloyauté. Nous agissons loyalement. Nos taxes sont loyales.

62Le maire adresse à nouveau ses remerciements à MM. Deschamps et Bollotte ; il tient également à souligner le concours prêté dans la crise par M. et Mme Tatard ; ils ont continué la vente sans qu’on le leur demande parce qu’ils jugeaient pouvoir satisfaire la population sans perdre ; ils n’ont pas de cadeau à faire à la population.

63M. Bougot – « J’ai constaté que des mœurs nouvelles s’introduisaient en temps de grève. Autrefois, quand un compagnon s’opposait à ce qu’un “jaune” travaille, c’était la prison ; les bouchers ont voulu par mille façons empêcher une boucherie de vendre, on ne les inquiète pas. Les bouchers ont le droit de se permettre ce que les compagnons n’ont pas le droit de faire. Nous en prenons acte ».

64Et voilà, n’est-ce pas, des souvenirs que je puis rappeler, car ils expliquent les agissements ultérieurs de tels et tels citoyens pour qui la chose publique ne compte que dans la mesure où elle concorde avec leurs désirs personnels.

— Révision des actes constitutifs de l’octroi

  • 18 La guerre a évidemment bouleversé en profondeur l’économie française. En 1918, la dette flottante e (...)

65Comme je le disais en cette séance du conseil municipal du 26 mai 1919, « une situation nouvelle crée des besoins nouveaux ». Après avoir comblé le déficit laissé par nos prédécesseurs et avoir administré en réalisant des gains continuels, conservé intacts les crédits affectés aux travaux, il nous fallut bien, cependant, examiner en face la solution des problèmes financiers posés par les conséquences mêmes de la guerre18 À des besoins nouveaux, il a fallu des ressources nouvelles. D’où le projet soumis à l’examen du conseil à cette date du 26 mai :

  1. Relever les appointements et salaires des fonctionnaires, employés et ouvriers municipaux ;

  2. Pourvoir à l’insuffisance des crédits actuels de nos divers services, par suite de l’augmentation des matières premières, des matériaux et de tous les autres objets utiles à l’entretien de notre voirie, des bâtiments communaux et au fonctionnement de nos bureaux ;

  3. Remédier à l’insuffisance de nos fonds d’emprunt qui, s’ils avaient pu faire face avant la guerre à l’exécution de nos grands travaux en cours, sont aujourd’hui manifestement incapables de satisfaire à la situation résultant de la grande augmentation du prix des matériaux et de la main-d’œuvre ;

  4. Améliorer les captages d’eau de source existants et en faire d’autres pour augmenter la quantité d’eau nécessaire à la ville ;

  5. Acquérir pour notre voirie, un matériel moderne, qui s’impose spécialement pour le balayage et l’arrosage ;

  6. Prévoir certaines dépenses relatives à l’assainissement et à l’embellissement de notre cité.

Un emprunt

66Toutes ces dépenses nous obligeront à faire, en fin d’année, un emprunt amortissable au moyen de centimes additionnels.

- Tarif de l’octroi applicable au1er janvier 1920
« Pour l’instant, je vous demande de nous en tenir à la révision du règlement et tarif de l’octroi, afin que nous ayons une base, pour l’étude prochaine du relèvement des appointements et salaires de notre personnel et l’inscription au budget primitif de 1920 des dépenses qui en résulteront, ainsi que pour l’inscription de plusieurs autres crédits indispensables au fonctionnement de nos divers services. Le projet de révision du tarif général des octrois qui vient d’être communiqué, pour avis, par l’administration supérieure aux conseils généraux, ainsi qu’aux municipalités intéressées, va être soumis incessamment à l’examen du Conseil d’État. En même temps qu’il adapte mieux les octrois à la situation actuelle du commerce et de l’industrie, ce projet a également pour but de permettre aux villes de faire face à leurs besoins nouveaux en donnant à celles-ci la faculté de relever leurs taxes d’octroi. Il y a donc lieu dès maintenant de profiter de ces dispositions pour mettre notre nouveau tarif local en harmonie avec le projet de tarif général qui doit remplacer celui de 1870. C’est dans ces conditions que j’ai l’honneur de soumettre à votre examen, la rédaction du nouveau tarif local, à appliquer au 1er janvier 1920 et dont les taxes pour aucun article, ne sont supérieures à celles prévues au dit projet de révision du tarif général des octrois établi par les administrations de l’État ».

67Après une protestation de forme de notre collègue Leprince regrettant « que l’on ne puisse faire mieux que de voter des impôts sur la consommation », je quittai la salle des séances où M. Daniel me succéda comme président. Je cite maintenant L’Ouest-Éclair rendant compte de cette même séance du conseil du 26 mai 1919.

- Gestion 1918
« M. Montagnon donne lecture de son rapport sur le compte administratif et de gestion de l’exercice 1918 et demande au conseil d’adresser au maire ses plus vives félicitations. M. Daniel y convie à son tour l’assemblée qui applaudit avec enthousiasme. Ces applaudissements apprennent à M. Janvier qu’il peut regagner la salle des séances et c’est encore salué par les applaudissements unanimes qu’il reprend place au fauteuil présidentiel. Il remercie alors le conseil de cette marque de sympathie et aussi de l’approbation qu’il vient de donner aux rapports qui lui étaient présentés ce soir. Puis s’adressant à M. Leprince, il ajoute : “Vous pouvez être convaincu, mon cher collègue, que nous nous occuperons du relèvement de l’indemnité de cherté de vie des travailleurs et employés municipaux. Une assemblée comme la nôtre ne sera pas en retard sur d’autres quand il s’agira de défendre le prolétariat et la démocratie. Lorsque vos décisions auront été approuvées, nous nous réunirons et étudierons le relèvement de cette indemnité au moyen de nos disponibilités. Nous ferons en sorte de donner toute satisfaction à nos collaborateurs. Nous demanderons ensuite au bureau du syndicat de nommer des commissions qui, avec les nôtres, élaboreront de nouveaux statuts dans le plus bref délai”. Et après avoir encore remercié ses collègues, le maire conclut ainsi : Je ne serai jamais autre chose que celui qui aime à collaborer avec vous tous et qui se classe sans vantardise, ni orgueil, comme le premier serviteur de la cité” ».

68Ces dernières paroles me semblent résumer très exactement le sens de mon activité à la mairie de Rennes.

— Indemnité de vie chère au personnel de la mairie

69Il ne manquera pas de gens irréfléchis — il n’en manque pas déjà — pour critiquer amèrement cette résolution adoptée à l’heure des nécessités inéluctables. Avec l’espoir de répondre à tout et à tous, je me contenterai de répéter les termes mêmes de mon rapport approuvé à l’unanimité dans notre séance du 2 juin 1919.

« Mes chers collègues, après avoir entendu le conseil d’administration du syndicat de notre personnel dans des explications verbales qui complètent sa pétition écrite, nous avons pensé qu’il était juste d’assurer audit personnel, à partir du 1er juin 1919, en sus du traitement réglementaire et de l’indemnité complémentaire accordée aux moindres salaires par délibération du 18 novembre 1918, une indemnité temporaire dite de cherté de vie s’élevant y compris les dimanches, fêtes et congés réguliers à :

      • francs par jour soit 150 francs par mois, 1 800 francs par an à tout le personnel masculin : employés, ouvriers et agents, devant, dans la limite du règlement, tout son temps à l’administration ;

      • francs par jour, soit 120 francs par mois, 1 440 francs par an, aux femmes occupées toute la journée par l’administration dans les bureaux et services divers ;

      • 3,33 francs par jour, soit 100 francs par mois, 1 200 francs par an, aux femmes occupées une partie de la journée par l’administration ;

      • 2,50 francs par jour, soit 75 francs par mois, 900 francs par an, aux femmes balayeuses occupées quelques heures seulement le matin par l’administration ;

      • 1,66 franc par jour, soit 50 francs par mois, 600 francs par an, aux gardes auxiliaires des musées et autres surveillants ne faisant que quelques heures de présence par semaine ;

      • (Catégorie nouvelle) – 2 francs par jour, soit 60 francs par mois, 720 francs par an, aux professeurs du conservatoire de musique et de déclamation, de l’école régionale des Beaux-Arts, de l’école d’architecture, aux professeurs d’anglais, de dessin, de musique des écoles municipales, à la condition qu’ils ne touchent pas d’indemnité de cherté de vie de l’État, du département, de la commune ou d’autres administrations.

  • 19 La loi instituant les huit heures de travail par jour sans diminution de salaire date du 23 avril 1 (...)

- Charges de famille – Journée de 8 heures
Les allocations pour charges de famille seraient maintenues à tout le personnel en bénéficiant actuellement. Ces dépenses continueront à être imputées sur les crédits ouverts pour secours éventuels pendant la guerre et la période qui suivra. Enfin la journée de huit heures sera mise en vigueur à partir du1er juillet 191919 À la même date, les bureaux de la mairie ne fermeront plus qu’à 17 heures. Un arrêté ultérieur déterminera les détails d’application de la législation nouvelle. Telles sont les propositions que j’ai l’honneur en ce moment de soumettre à votre vote. À chacun d’apprécier la cause en se mettant lui-même à la place des intéressés, et à la nôtre ».

— À Nancy

70Précédemment, j’ai dit comment et pourquoi j’avais conçu le projet de conduire à Nancy pour la remise du drapeau de la Fédération des sociétés de gymnastique, une délégation de Rennais et de Bretons – Ce que fut ce voyage, réellement émouvant, je le retrouve dans quelques numéros de L’Ouest-Éclair.

71Et d’abord naturellement le départ : hier matin, 6 juin 1919 à 11 h30, s’est effectué le départ de l’escorte du drapeau de l’Union pour Nancy. Bien avant l’heure fixée, une affluence considérable stationnait place de la Mairie pour assister à cette cérémonie que le maire de Rennes avait voulu solennelle, imposante. Disons tout de suite qu’il y a réussi. L’hôtel de ville était pavoisé aux couleurs alliées. Le temps était superbe. Un soleil radieux faisait étinceler les ors des drapeaux des sociétés. Celles-ci rangées en ligne, en face du monument d’Anne de Bretagne, formaient un coup d’œil à la fois gracieux et pittoresque. Nous reconnaissons la Rennaise, les Vigilants, le Cercle Paul Bert, la Société d’instruction populaire, les Éclaireurs de France, le Normal Star Rennais, la Bretonne (de Saint-Brieuc), la Vannetaise, la Malouine, la Doulonnaise (Nantes), la Brestoise, la Quimpéroise, l’Avant-Garde (de Fougères), l’Émeraude (de Dinard), la Société de gymnastique (de Ploërmel). Tous ces jeunes gymnastes sont superbes de tenue et d’allure, la joie rayonne sur tous les fronts. L’orchestre du Cercle Paul Bert a pris position en face de l’entrée des bureaux de l’hôtel de ville. Dans le couloir, les drapeaux des sociétés forment la haie.

Les autorités

72L’heure du départ approche. Bientôt le drapeau de l’Union, dont la ville de Rennes avait la garde depuis 1914, va quitter la mairie. Déjà les autorités conviées par le maire à assister à la cérémonie, sont allées se placer près du monument de Jean Boucher. Citons notamment le général de Boissoudy, commandant la 10e région, et son chef d’état-major ; le commandant Le Dô ; MM. Béchade, secrétaire général de la préfecture, et Joly, chef de cabinet du préfet ; Gérard Varet, recteur de l’académie ; Plédy, premier président de la cour d’appel ; Desprès, avocat général représentant M. Canac, procureur général empêché ; etc. Soudain un mouvement de curiosité se produit dans la foule qui grossit sans cesse.

Au drapeau

73M. Janvier descend les escaliers de la mairie, accompagné de M. Postel qui, religieusement, porte le drapeau de l’Union. M. Postel est un brillant porte-drapeau : ancien officier de réserve, il a la poitrine ornée de la croix de la Légion d’honneur et de la croix de guerre avec palmes et plusieurs étoiles. Dorchestre du Cercle Paul Bert sonne le « garde à vous » et la garde spéciale du drapeau va prendre place près du monument. Elle est ainsi composée : MM. Jean Janvier, maire ; les gymnastes, Émile Postel, membre du Cercle Paul Bert, porte-drapeau ; Joseph Faucheux de la Rennaise ; François Bellec des Vigilants ; Victor Aubin du Cercle Paul Bert ; René Petsch de l’Instruction populaire ; Marc Janvier des Éclaireurs de France ; Marcel Laurent du Normal Star. Un commandement bref retentit : « Au drapeau » et la sonnerie qui fait toujours passer dans les cœurs un frisson d’émotion et d’orgueil retentit, tandis que la foule respectueusement se découvre.

L’allocution du maire

74M. Janvier prononça ensuite l’allocution suivante : « Depuis cinq ans, le drapeau de l’Union des sociétés de gymnastique de France est confié à la garde de la ville de Rennes. Depuis cinq ans, ce drapeau occupe une place d’honneur dans le cabinet du maire, à l’hôtel de ville. À toutes les personnalités françaises et alliées que j’ai eu l’honneur de recevoir depuis le début des hostilités, je n’ai pas manqué de présenter le drapeau des gymnastes en rappelant la journée du 1er juin 1914 et les belles manifestations patriotiques qui se déroulèrent sur notre Champ de Mars. J’ajoutai que cet emblème symbolisait toute une jeunesse vaillante qui, chaque jour, donnait des exemples d’héroïsme au champ d’honneur et faisait preuve d’une endurance et d’une vigueur qu’elle devait à la pratique des sports. Nous partons dans quelques minutes de la capitale de la Bretagne pour la capitale de la Lorraine. Nous allons visiter les principales cités reconquises et vous voudrez bien tous, jeunes gens, donner la mesure de votre discipline et de votre dignité sans rien perdre pour cela de votre belle gaieté française. Nous allons rencontrer des régiments de notre ville et de notre région ; rencontre émue, je n’en doute pas : nos soldats seront heureux de vous voir et, de votre côté, vous serez fiers de leur conduite sur les champs de bataille où les citoyens de tous rangs et de toutes conditions sociales ont assuré à notre cher pays une ère de prospérité et de bonheur dans la paix. Vous aurez à cœur, je le répète, de vous montrer dignes de notre région, au milieu des populations qui se préparent à vous accueillir ». Ce discours que le maire de Rennes prononça d’une voix forte et vibrante où, par instants aussi, l’on sentait poindre une profonde émotion, fut très vivement applaudi.

Vers la gare

75Ensuite s’éleva le chant bien connu : Vous n’aurez pas l’Alsace et la Lorraine, dont le refrain était repris en cœur par l’assistance puis, l’heure du départ étant venue, le cortège se mit en marche au chant des Trois couleurs. L’escorte d’honneur et toutes les sociétés défilèrent d’une façon impeccable devant les personnalités présentes et, par la rue d’Orléans, les quais et l’avenue de la gare, s’avancèrent entre deux haies de curieux, qui les saluaient de leurs acclamations. Sur certains points du parcours, de charmantes jeunes filles jetèrent une pluie de fleurs sur le cortège qui passait, heureux de ce succès.

En route pour Nancy

76Grâce aux mesures prises et aussi à la diligence et à l’activité de M. Barillot, le sympathique chef de gare adjoint, les gymnastes, les très nombreux membres associés et honoraires, qui avaient tenu à faire partie de l’escorte d’honneur du drapeau et à aller porter une fraternelle accolade aux Alsaciens Lorrains, s’embarquèrent sans le moindre incident dans le train qui leur avait été spécialement réservé.

L’arrivée à Nancy

77Dimanche, vers 9 heures 30 du matin, écrit L’Est Républicain de Nancy, un remous se produit parmi la foule, de plus en plus considérable, qui se presse dans la cour de la gare. C’est le « train Janvier » qui arrive. Le maire de Rennes est en gibus et redingote. C’est un vigoureux sexagénaire. Il est précédé par un superbe huissier de la mairie de Rennes, en bicorne, habit, chaîne et portant l’épée. M. Janvier est reçu par M. Simon, maire de Nancy, le général Bailloud, le colonel Cazalet et les autres membres du comité de permanence, qui lui présentent leurs meilleurs souhaits de bienvenue, auxquels M. Janvier répond avec émotion. Gymnastes et musiciens viennent ensuite se ranger en excellent ordre derrière leurs drapeaux pour rendre les honneurs au drapeau fédéral, apporté par la délégation bretonne. L’instant est émouvant et empreint de grandeur, dans le cadre de notre ville en fête mais dont les décorations ne parviennent pas encore à masquer les cruelles blessures. Le colonel Cazalet, tête nue, salue en paroles vibrantes le drapeau fédéral ; ses couleurs n’avaient pas été arborées depuis cinq ans, mais maintenant elles sont dorées par l’auréole de la victoire. Le président de l’Union remercie encore chaleureusement M. Janvier, maire de Rennes, et ses fidèles Bretons.

78Et le cortège se forme pour gagner l’école Braconnot où doivent cantonner nos hôtes ; il passe entre deux rangs de curieux sympathiques. On crie « Vivent les gymnastes ! », « Vive Janvier ». Ces Bretons ont une très belle allure ; la petite veste sur le bras, ils marchent allègrement. Beaucoup d’amis sont venus avec eux et suivent le cortège. Lun d’eux porte le grand chapeau armoricain. On lui fait fête. Le cortège se rend devant la maison de M. le maire de Nancy, où les musiques bretonnes donnent une aubade ; puis il gagne la rue Braconnot.

79Au groupe scolaire, nos hôtes sont accueillis par un chœur d’enfants. On chante La Marseillaise. Des bouquets sont offerts. Une exquise fillette, Mlle Louise Harmant, habillée en Lorraine, s’adresse en ces termes au maire de Rennes : « Je suis heureuse d’avoir été désignée pour vous souhaiter la bienvenue dès votre arrivée dans notre vieille cité, jadis si vivante et si gaie, aujourd’hui encore sous l’impression pénible des bombardements terribles qui ont mutilé Nancy la jolie. Monsieur le maire, permettez à une jeune Lorraine de vous offrir ces fleurs en témoignage de notre vive sympathie ». À son tour, Mlle Bouchot, prononça la charmante allocution reproduite ci-après et à l’issue de laquelle elle remit au maire de Rennes le magnifique fanion dont il va être question.

Un fanion pour Rennes

80M. Janvier a été vivement peiné de se séparer du drapeau de l’Union, qu’il conservait depuis près de cinq ans à la place d’honneur dans son cabinet, et qu’il va maintenant remettre à M. Simon, maire de Nancy. Les gentilles Nancéiennes ont tenté de le consoler d’abord en lui offrant des fleurs et aussi un magnifique fanion qui, sans doute, remplacera dans le cabinet de M. Janvier le drapeau disparu. Ce fanion a été dessiné par M. Léonard et il a été établi sur le modèle du fanion de l’Amicale des Trois Maisons.

81Voici d’ailleurs, la charmante allocution que Mlle Bouchot, en Alsacienne, prononça à cette occasion : « Monsieur le maire de Rennes, la ville de Nancy est fière de recevoir et de fêter aujourd’hui les sociétés de gymnastique venues de toutes les régions de la France pour assister à la fête fédérale. Nous, habitants de la ville vieille, berceau de notre chère cité, nous sommes particulièrement heureux de donner pendant quelques jours l’hospitalité cordiale à la délégation de Rennes qui nous apporte, pour être pieusement conservé jusqu’à la prochaine fête fédérale, le drapeau de l’Union des sociétés de gymnastique de France. L’Amicale des Cordeliers et l’Amicale des Trois Maisons ont l’honneur de vous offrir par mes mains ce fanion décoré aux armes de Nancy. C’est le témoignage de notre sympathie à nos amis bretons, venus de si loin pour accomplir un pieux pèlerinage aux terres de Lorraine meurtries par quatre années de glorieuses souffrances. Permettez-moi de vous rappeler, Monsieur le maire, que la terre si hospitalière de Bretagne, ne nous est pas inconnue. Les mille petits Nancéiens, que les malheurs de la guerre ont expatriés près d’un an sur la Côte d’Émeraude, ont trouvé chez vos compatriotes une seconde et accueillante patrie. Ils n’ont pas oublié non plus et n’oublieront jamais la réception émouvante que vous avez bien voulu leur faire le 24 novembre dernier, lors de leur passage à Rennes, au retour dans leurs foyers. Au nom de mes compagnes reconnaissantes, au nom des Amicales des Cordeliers et des Trois Maisons, au nom de la ville de Nancy, je dis de tout mon cœur : Vive Rennes, vive la Bretagne, vive la France” ». Le maire de Rennes a naturellement remercié avec effusion la mignonne fillette.

82Le lendemain arriva M. Poincaré, président de la République accompagné de plusieurs ministres. Devant lui eurent lieu les mouvements d’ensemble des milliers de gymnastes et la remise du drapeau de l’Union. En confiant ce drapeau à la ville de Nancy, je prononçai les paroles suivantes : « Les ambitions monstrueuses de l’Allemagne m’ont empêché de vous remettre en 1915 le drapeau qui m’avait été confié en 1914. Mais notre cher pays a montré qu’il doit survivre à tout et c’est dans un grand sentiment de fierté patriotique que je suis ici, aujourd’hui, au rendez-vous que l’Union m’a fixé. Hélas ! Je savais bien ne plus revoir à Nancy, nombre de physionomies sympathiques que j’avais vues à Rennes, en 1914. Durant ces longues années, mes yeux se sont souvent portés sur ce drapeau qui attendait, à sa place d’honneur, le jour solennel et radieux où je le prendrais pour l’apporter dans cette chère ville qui, elle aussi, attendait pour cela la paix victorieuse. Pas un seul moment de doute n’a effleuré notre esprit et, sans vouloir diminuer en rien le mérite des autres régions de la France, nous pouvons dire que les Lorrains et les Bretons ont montré une fois de plus qu’ils étaient fortement trempés ». On applaudit ferme !

83Bref, ce voyage à Nancy et en Alsace fut à la fois un triomphe pour notre délégation rennaise et bretonne, un souvenir émouvant pour chacun de nous. Metz, où l’esprit lorrain s’est si finement vengé de la lourde tyrannie germanique ; Strasbourg toujours si fière de Kléber et demeurée si fidèle au fond, malgré le raz-de-marée allemand qui s’efforça vainement d’en détruire la vieille physionomie française ; Colmar si franchement et affectueusement démonstrative. Quelles chères images pour jamais gravées en notre cerveau. Et puis, au retour, dans les ruines de Reims, entre les villages disparus, quelle cruelle et inoubliable leçon. Si, du voyage de Nancy, il ne restait que cela, ce serait encore assez pour le justifier largement, car ceux qui ont vu diront aux générations qui les suivent ce qu’il faut penser de nos voisins de l’Est et quel devoir s’impose encore et toujours à tous les enfants de France pour la sécurité comme pour la gloire de leur mère commune.

— Un arbitrage de plus

84Un désaccord nouveau s’étant produit entre les ouvriers du bâtiment et leurs patrons, ceux-ci et ceux-là convinrent de me désigner comme arbitre. Ce geste reçut l’approbation de nos concitoyens ; L’Ouest-Éclair voulut même bien dire que « nul choix ne pouvait être plus heureux ». L’entrevue eut donc lieu le 20 juin 1919 à 14 heures, dans mon bureau de l’hôtel de ville. Mais je reproduis maintenant L’Ouest-Éclair :

« Avec une compétence que tous reconnaissaient, avec une franchise un peu brusque mais qui n’offusquait personne car on sentait qu’il parlait dans l’intérêt général, le maire de Rennes fit un lumineux exposé du conflit et démontra la nécessité qu’il y avait pour les ouvriers et leurs familles ainsi que pour l’industrie tout entière du bâtiment rennais, de trouver le plus rapidement possible un terrain d’entente. Cet exposé fit la meilleure impression sur les délégués qui, sur l’invitation de M. Janvier, se retirèrent ensuite dans l’ancienne salle des manages pour continuer la discussion. À six heures, le maire nous annonçait que l’entente était faite et qu’un procès-verbal allait être dressé. Sur la place de l’hôtel de ville, plusieurs ouvriers attendaient les résultats de l’arbitrage ».

Les termes de l’accord

85Quelques minutes après, nous recevions en effet, la communication suivante :

« Ce jour, 20 juin 1919, dans le but de mettre fin au conflit existant entre patrons et ouvriers du bâtiment sur le taux des salaires, à l’occasion de l’application de la loi de la journée de huit heures, a eu lieu une réunion à l’hôtel de ville de Rennes, au cours de laquelle chacun a exposé très librement ses vues et ses idées.
Les délégués patronaux sont : MM. Perdriel, Durand, Trivério, Dugué ; les délégués ouvriers sont : MM. Bardet, Resnaye, Guillard, Langlais ; MM. Mallet, président de la Société des architectes ; Chauvin, secrétaire fédéral du bâtiment ; Jean Janvier, maire de Rennes étaient présents. M. Janvier est intervenu comme arbitre choisi dans une précédente réunion.
Les salaires ont été arrêtés comme suit :

Manœuvres, l’heure

1,45 F

Toutes professions, l’heure

1.75 F

Il a été en outre parfaitement convenu qu’aucun changement de prix ne serait demandé avant fin mars 1920, et cela avec préavis d’un mois. Il est encore convenu qu’une demande d’augmentation ne serait prise en considération qu’à la condition expresse d’une justification d’augmentation notable du coût de la vie par rapport à celui en vigueur à la date du 30 juin 1919 ».

Le document était signé de : Jean Janvier, maire de Rennes, E. Bardet, secrétaire du syndicat de l’industrie du bâtiment, J. Perdriel, président de l’union patronale du bâtiment rennais.

86Et le surlendemain après quatorze jours de grève, tous se remettaient à la tâche. Nul commentaire ne vaut ces résultats pratiques.

— Des palmes aux vainqueurs

  • 20 Le défilé de la Victoire, rassemblant les troupes françaises et alliées, eut lieu sur les Champs-El (...)

87À leur façon et dans la mesure des possibilités, les Rennais et leurs édiles ont fait pour nos sauveurs, le 5 août 1919, ce que Paris avait fait lui-même avec les délégués volontaires de la nation, le 14 juillet20 tout le long de ses voies triomphales. Peut-être eût-on pu entendre plus d’acclamations, mais, comme l’ont très bien observé tous les journalistes présents à cette admirable manifestation locale, les Bretons ne sont pas bruyants et le Rennais porte plutôt son émotion « en dedans ». Combien de fleurs lancées à nos poilus, combien de regards embués par de pieux souvenirs et par un enthousiasme discret mais profond ? La cérémonie comprenait trois parties distinctes, la revue au Champ de Mars, le défilé à travers la vieille chère cité et, enfin, un vin d’honneur aux Lices.

88Après une petite pluie fine qui abattit la poussière, ce fut un temps admirablement propice. Quand j’arrivai au Champ de Mars avec MM. Daniel et Leroux, adjoints, le 7e et le 110e d’artillerie prenaient déjà place sur le terrain de manœuvre. Arrivèrent alors les sociétés avec leurs drapeaux et emblèmes divers, puis toutes les autorités civiles et, enfin, l’état-major accompagnant le général de Boissoudy. Ce sont d’abord la sonnerie aux champs, puis une revue de quelques minutes et la remise des décorations. Enfin c’est le défilé, qui se fait au trot dans un alignement merveilleux, lequel suscite l’enthousiasme des spectateurs. J’ai remarqué la gravité respectueuse avec laquelle on a salué les étendards.

89La promenade à travers la ville fut, au dire de tous ceux qui assistèrent à la manifestation, digne des braves qui représentaient à Rennes l’armée française victorieuse. De l’officier général au simple soldat, ce fut à qui recevrait le plus de fleurs – « bombardement » qui, suivant la souriante réflexion d’un reporter, consolait de l’« autre » nos chers petits soldats. Il y avait aussi des verdures et des fleurs aux balcons, aux façades des magasins, et partout claquaient joyeusement au vent de la victoire les drapeaux alliés. Sur la place de l’hôtel de ville, si propice aux démonstrations de la gaieté publique, la foule couvre tout ce qui peut porter un homme. Comme le général de Boissoudy est venu à la mairie prendre congé de nous, les spectateurs le réclament ; il sort au balcon et est chaleureusement salué par les milliers de citoyens qui attendent.

90Enfin, l’heure est venue de la réunion aux Lices, pour le vin d’honneur. Au nom des Anciens Combattants de 1870, c’est d’abord M. R. Surcouf qui remercie les héros de la revanche offerte sur l’agression allemande. Puis vient M. Desgrées du Loû, de L’Ouest-Éclair, qui, au nom du journal, prononce une allocution et remet une palme d’or à chacun des régiments. Mon tour est venu de parler, et je le fais ainsi :

  • 21 Georges Clemenceau.

« Grands soldats de la Grande Guerre, au nom de la ville de Rennes, je vous salue avec respect. Vous avez montré, par votre héroïsme, que la France doit survivre à tout : soyez-en remerciés et glorifiés. Dès les instants mêmes de votre départ, nous remarquions sur vos visages vos résolutions de vaincre et lorsque vos familles pouvaient venir vous embrasser au moment où le train, vous emportant vers la frontière, se mettait en marche, ces accolades – dans lesquelles chacun contenait sa propre émotion – étaient des plus impressionnantes, car tous comprenaient la grandeur de la tâche qu’il y avait à accomplir. Nous vous avons suivis pendant ces cinq terribles années et nous pouvons affirmer que si les régiments de toutes les régions de France ont fait leur devoir, ceux de la Bretagne n’ont cédé leur place à personne au champ d’honneur.
Nous sommes heureux de vous voir revenir parmi nous. La démobilisation va se poursuivre avec toute la rapidité possible et, au fur et à mesure de la démobilisation militaire, nous procéderons à la mobilisation industrielle. Là encore, chers poilus, il y a une grande tâche à remplir, le bouleversement de cinq années de tourmente a créé une situation nouvelle qui entraîne, pour chacun, de nouveaux devoirs. Un homme d’État au nom impérissable n’a-t-il pas dit qu’après avoir gagné la guerre, il fallait gagner la paix21 Nous nous y appliquerons, n’est-ce pas, en donnant tous nos efforts pour répondre aux nécessités actuelles, en travaillant les uns les autres dans une confiance réciproque, aux endroits qui nous seront assignés. Une fois encore nous aurons bien servi notre cher pays.
Maintenant, merci aux autorités civiles et militaires que le conseil municipal a été très heureux de recevoir ; merci aux présidents des sociétés patriotiques et d’anciens militaires, qui avaient leur place marquée à cette table ; merci encore et toujours à nos chers et grands poilus ! Je lève mon verre à vos santés, vaillants soldats, et je crie de toutes mes forces : honneur à vous et vive la France ! »

  • 22 Paul Déroulède (1846-1914) publia, après la guerre de 1870 à laquelle il venait de participer, plus (...)
  • 23 Guillaume 1er (1797-1888), second fils de Frédéric-Guillaume III et de la reine Louise, prit part, (...)

91De nouvelles salves accueillent ces paroles et c’est au tour du général Beaucheron de Boissoudy, commandant la 10e région, de nous tenir sous le charme de ses évocations émouvantes. Le général termine par cette péroraison si pleine de légitimes espoirs. « Dormez en paix, valeureux frères d’armes, victimes de la guerre, dormez en paix, veillés par votre gloire. Si c’est vraiment comme l’a dit Déroulède22 au dernier soupir de nos héros qu’est fait le souffle immortel de la Patrie, qu’elle sera belle la France de demain » ! Le général ayant terminé, M. le préfet Lacombe porte un toast « à la France immortelle » et le colonel de Lesquen (7e d’artillerie) évoque le souvenir de ces trois mille Alsaciens qui, à Strasbourg, autour de la statue renversée de Guillaume Ier23 entonnaient pour les soldats français de retour notre sublime et ardente Marseillaise. La chorale chante avec piété des hymnes patriotiques et la musique municipale nous salue, à la séparation d’un dernier refrain de victoire. Cette journée fut l’une des plus noblement poignantes que j’aie eu la grande joie de vivre.

92Elle devait d’ailleurs avoir des répétitions, ou à peu près, le 31 août, à l’occasion de la rentrée du 41e : même décoration des balcons et des magasins, même affluence, même enthousiasme, même programme du reste, y compris le vin d’honneur aux Lices. Dans une nouvelle allocution aux troupes, je saluai particulièrement la présence du général Trouchaud, auquel revient l’honneur d’avoir conduit la magnifique offensive de la 19e division en 1918. Le même cérémonial qui, trois semaines plus tôt, avait accueilli les premières troupes rentrées, fut suivi de point en point en cette nouvelle occasion qui nous était donnée d’acclamer et de fêter nos poilus. Le soir, je fis illuminer les monuments publics ; la musique municipale donna un concert sur la place de l’hôtel de ville et, pour la première fois depuis août 1914, on éclaira les jardins publics. Bref, seconde et splendide manifestation à travers laquelle s’affirma le patriotisme de toute notre population.

  • 24 Ancien verger de l’abbaye Saint-Melaine, le Thabor fut converti en jardin au 18e siècle et, devenu (...)

93Lorsque toutes les troupes de la garnison furent rentrées, on fit une grande fête au Thabor pavoisé et illuminé, avec le concours des sociétés musicales. Un grand podium fut construit à l’est du carré Duguesclin24 pour les démonstrations de nos sociétés de gymnastique et notamment pour des ballets donnés par le Cercle Paul Bert, qui obtinrent les plus vifs succès. Nous avions voulu que les militaires fussent tous assis ; à cet effet, plus de cinq mille places avaient été disposées de façon que tous nos héros fussent à l’aise et pussent voir toutes les parties de la fête donnée en leur honneur. Nos poilus placés, les portes du Thabor furent ouvertes aux nombreux milliers de Rennais qui attendaient, non sans une certaine impatience. La soirée s’est terminée par un embrasement général de notre beau jardin public, au moyen de dix mille feux de bengale répartis dans plusieurs centaines d’emplacements. Toutes les autorités assistèrent à ces justes hommages rendus à nos vaillantes troupes.

— Retour au foyer

94Dans les premières parties de ces Souvenirs, m’adressant à vous deux, mon cher gendre et mon bien cher fils, je rappelais ce que vous aviez fait l’un et l’autre depuis le début de la guerre. Maintenant que la paix est heureusement signée et que, démobilisés, vous avez été rendus à l’affection de ceux qui vous aiment, il est juste que je vous consacre à nouveau quelques lignes dans ces Souvenirs, qui vous sont particulièrement destinés. Et puis ce m’est une satisfaction personnelle et de fierté que d’écrire ici, ne serait-ce que pour moi, la part que vous avez prise, chacun à votre place, dans cette grande lutte où se jouaient les destinées de la Patrie.

  • 25 D’abord victorieux, par trois fois, en 1914, les Serbes se maintinrent à Belgrade pendant quelques (...)
  • 26 Le général Charles Mangin (1866-1925) avait pris le commandement de la 10e armée en décembre 1917. (...)

95Au lendemain de l’offensive de Champagne, de septembre 1915, à laquelle vous aviez pris part, vous fûtes, mon cher gendre, envoyé en Serbie avec votre ambulance. C’était hélas ! au moment de la dure retraite des vaillantes armées serbes ; les troupes, auxquelles vous étiez rattaché, durent se replier sur Salonique. Bientôt après, vous étiez sur les bords du Vardar25 Dans ces régions marécageuses et malsaines, la tâche des formations sanitaires fut extrêmement pénible. Après avoir soigné tant de nos soldats, malade à votre tour, vous fûtes évacué sur l’hôpital de Salonique, c’est de là qu’en mai 1917, après vingt mois d’Orient, vous embarquiez pour être rapatrié, à bord du transport Sontay. Ce navire portait deux cents convalescents, officiers et soldats. La guerre sous-marine battait alors son plein. Le Sontay, au cours de son voyage, fut torpillé et coulé en Méditerranée : il y eut soixante-sept disparus. Vous eûtes la chance de compter au nombre des rescapés. Vous fûtes recueilli et transporté à Malte, soigné pendant dix jours avant de continuer sur Marseille. Rentré en France, vous êtes retourné au front jusqu’à la victoire. Vous faisiez partie de l’armée Mangin26 où vous étiez affecté au service radiographique.

  • 27 Le général Henri Gouraud (1867-1946) avait commandé une division en Argonne et le corps des Dardane (...)

96Quant à toi, mon cher fils, incorporé au commencement de septembre 1914, tu fus versé dans une unité combattante en avril 1915 et jusqu’à la fin des hostilités, tu es resté au front, ne le quittant que pour suivre pendant deux mois le cours de perfectionnement à Fontainebleau. Ainsi tu as pris part à toutes les grandes offensives, depuis la première, celle d’Arras en 1915, jusqu’à l’offensive victorieuse de 1918. Tu avais alors la fierté d’appartenir à la fameuse armée du général Gouraud qui brisa l’effort allemand de juillet 1918 sur nos lignes de Champagne. Enfin, sous les ordres du même chef, tu connus la joie de la victoire et de la marche en avant : tu étais dans l’un de ces régiments qui reprirent Vouziers et, sans doute, m’en suis-je souvenu en choisissant cette malheureuse ville, parmi tant d’autres qui m’avaient sollicité, comme filleule de la ville de Rennes27 En toutes circonstances, tu as fais ton devoir ; tes citations, au nombre de quatre, le disent suffisamment. Chacune m’a donné la plus belle joie (l’une d’elles valant remise de la croix de guerre) [...]. La guerre est finie. J’ai souvent pensé à toi pendant les terribles événements, mon bien cher fils ; si ce n’était pas sans orgueil, c’était toujours aussi avec angoisse. Mais au-dessus de nous, il y a le devoir qu’il faut d’abord accomplir, il s’impose à tous. L’exemple que je voulais que tu donnes, tu l’as donné : je t’en remercie.

— Devoir nouveau : aider à l’aménagement des villes de France

  • 28 Interrompue pendant la Première Guerre mondiale, la croissance urbaine reprend aussitôt après en Fr (...)

97Ce devoir nouveau, je ne m’attendais guère à en être chargé mais j’aurais d’autant plus de mauvaise grâce à m’en plaindre qu’il correspond à mon expérience d’entrepreneur et à mes aptitudes en administration tandis qu’il m’inspire une joyeuse fierté. La loi du 14 mars 191928 qui impose aux villes, d’une certaine importance, l’obligation d’avoir un plan d’aménagement et d’extension a prévu, pour aider les municipalités dans cette tâche, une commission supérieure d’aménagement, d’embellissement et d’extension des villes. J’eus l’honneur d’être nommé, par arrêté de M. le ministre de l’Intérieur, en date du 16 juillet 1919, pour faire partie de cette commission supérieure qui, elle-même, me choisit (seul maire de France) parmi ceux de ses membres qu’elle chargea d’établir les règles générales à envoyer aux villes afin de les guider dans leur travail. Ai-je besoin de dire que la désignation flatteuse dont j’étais ainsi l’objet me fut particulièrement sensible ? Ce choix m’appelait en effet à collaborer avec des personnalités aussi éminentes par leur valeur propre que par les fonctions qu’elles occupaient, la commission se composant de MM. :

  • 29 Honoré Cornudet des Chaumettes (1861-1938), juriste, fut élu maire de Neuville (Seine-et-Oise), où (...)
  • 30 Victor Laloux (1850-1937), ancien élève de l’atelier André à l’école des Beaux-Arts, est architecte (...)
  • 31 Louis Bonnier (1856-1946) fut l’architecte du salon de l’Art nouveau aménagé par Siegfried Bing à P (...)

Cornudet29,

député de Seine-et-Oise ;

Janvier,

maire de Rennes ;

Hendlé,

conseiller d’État, directeur de l’administration départementale et communale au ministère de l’Intérieur ;

Gariel,

docteur, professeur à la faculté de médecine de Paris, vice-président du Conseil supérieur d’hygiène publique ;

Laloux30

membre de l’Institut, inspecteur général des bâtiments civils, membre du Conseil supérieur des beaux-arts ;

Auburtin,

architecte du gouvernement, membre du Conseil général des bâtiments civils ;

Bonnier31

urbaniste, inspecteur général des services techniques d’architecture et d’esthétique à la préfecture de la Seine, président du Conseil des professeurs de l’École supérieure d’art public ;

Chifflot,

urbaniste, chef du service d’architecture à la reconstitution définitive au ministère des Régions libérées.

— Le repos dominical aux Postes

  • 32 L’obligation du repos hebdomadaire a été instituée par une loi du 13 juillet 1906.

98Le samedi 13 septembre 1919, une délégation des PTT venait me demander de faire connaître au conseil municipal ses revendications et de les appuyer d’un avis favorable. Ayant accueilli cette demande, je crois devoir en expliquer ici les raisons, raisons que la grande masse du public ignore ou n’a pas comprises. Vous jugerez : la loi a depuis longtemps consacré le principe du repos hebdomadaire32 il est légitime que les agents des PTT soient également appelés à en bénéficier. On objecte a priori qu’un service aussi important que celui des Postes ne peut être interrompu, même le dimanche, sans léser gravement les intérêts du public. Par suite, on n’envisage que la possibilité d’un repos hebdomadaire par roulement. L’administration des Postes a pris, à cet égard, une série de mesures qui seront appliquées à partir du dimanche 21 septembre. Ces mesures qui apportent une certaine réduction du service postal le dimanche ne donnent pas satisfaction au personnel. Celui-ci demande le repos dominical intégral – ou presque intégral – et en conséquence, une plus grande réduction du service que celle prévue par l’administration.

99Il faut remarquer, d’une part, que le système de l’administration forcément basé sur un repos hebdomadaire par roulement, entraînerait une dépense nouvelle d’au moins 150 millions par an à la charge des contribuables. D’autre part, le personnel fait observer que l’argument tiré des besoins du public – intérêts privés, intérêts du commerce et de l’industrie – n’a vraiment que peu de force puisqu’en fait, le mouvement des affaires est pour ainsi dire entièrement suspendu le dimanche. Au reste, les agents des PTT, soucieux de ces intérêts, n’envisagent pas un arrêt absolu du service. D’après leurs propositions, le bureau central de la poste serait ouvert le dimanche, comme les autres jours, pour l’expédition des télégrammes de presse, des télégrammes officiels et privés urgents, tels que ceux annonçant un décès, demandant un secours, etc. De même seraient acceptés les appels téléphoniques présentant un véritable caractère d’urgence. En ce qui concerne le service postal, les lettres, déposées dans la boîte du bureau central et dans celle du bureau de la gare (bureau du départ), seraient levées à tous les courriers comme cela se pratique actuellement. La levée des autres boîtes ne serait pas effectuée, mais les agents des PTT sont persuadés que leurs concitoyens accepteront facilement cette petite gêne d’être obligés de porter à la gare ou au bureau central, les lettres qu’ils voudraient faire partir sans retard. C’est d’ailleurs ce qui se fait couramment tous les jours.

100En définitive, les demandes du syndicat ne diffèrent réellement que sur un point seulement du système que l’administration se propose d’appliquer. L’administration maintient une distribution des lettres et journaux qui serait limitée le dimanche matin à l’agglomération principale. Le syndicat demande la suppression de cette distribution. De plus, il insiste expressément pour que le public ne fasse usage des communications télégraphiques ou téléphoniques le dimanche que pour les cas vraiment urgents, comme il est dit ci-dessus. Après avoir examiné sérieusement les points en litige, il semble bien que l’administration, d’ailleurs, tende au même but que le syndicat – à savoir : assurer au personnel le repos dominical intégral ou presque intégral – mais qu’elle compte y arriver par une sorte de consentement progressif du public. Aussi se déclare-t-elle disposée à donner satisfaction aux revendications du personnel, si les municipalités consultées veulent bien émettre à ce sujet un avis favorable. Donc, pas de doute, pas d’hésitation possible : les PTT ont raison et je n’ai pas eu tort d’accueillir leur requête.

— Un gros problème à résoudre – Les habitations à bon marché (HBM)

101Il sera peut-être aussi utile qu’intéressant un jour de relire ce que nous avons pensé sur cette grande affaire ; je reproduis donc mon rapport entier à la séance du 19 septembre 1919.

  • 33 La Société française des habitations à bon marché a été créée en 1889, à l’occasion du congrès inte (...)

« L’importante question des habitations salubres et à bon marché a depuis longtemps préoccupé les pouvoirs publics, dont l’activité en cette matière s’est manifestée par une série de mesures législatives : lois du 12 avril 1906, 10 avril 1908, 23 décembre 1912, 11 février 1914, 31 mars 191933 ; cette dernière la plus récente, attira spécialement mon attention que la crise du logement, et notamment du logement populaire, qui sévit à Rennes – de même que dans toutes les grandes villes – avait déjà justement sollicitée. Elle dispose en effet que d’assez larges subventions sont accordées par l’État à certains organismes, qu’elle énumère, qui construiront des maisons à bon marché destinées à être louées à des familles de plus de trois enfants, âgés de moins de seize ans. Je m’empressai donc, dans mes voyages à Paris, d’aller prendre au ministère du Travail et de la Prévoyance sociale, tous les renseignements nécessaires pour organiser dans notre ville une œuvre qui réponde aux besoins pressants de l’heure actuelle. Ce sont ces renseignements que je vais vous exposer et qui m’amèneront à vous présenter certaines propositions.
Mais tout d’abord, il est juste que je reconnaisse ici, mes chers collègues, la part qui revient au conseil municipal dans cette initiative, souvent, bien souvent même, n’en avons-nous pas parlé entre nous. La question des logements à bon marché, en effet, ne pouvait et ne devait laisser indifférents les élus d’une ville qui, comme la nôtre, s’est montrée en tant de circonstances, soucieuse d’étendre son action dans tous les domaines d’intérêt social. En cette matière, par exemple, lorsqu’en 1913, se constitua à Rennes une Société de crédit immobilier qui avait pour objet de procurer à tout travailleur, ayant économisé le cinquième de la somme nécessaire à l’acquisition ou à la construction d’une petite maison, le prêt hypothécaire du surplus de cette somme à un faible taux d’intérêt, vous décidiez aussitôt, dans votre séance du 28 juillet 1913, de souscrire en faveur de cette société naissante une somme de 15 000 francs représentant trente actions de 500 francs. Dans cette même séance, vous émettiez le vœu “que les ministres compétents exercent auprès du Sénat tous les moyens de persuasion qui leur paraîtront les plus efficaces pour hâter le vote d’une loi d’expropriation pour raison d’insalubrité, déjà adoptée par la Chambre” (c’est aujourd’hui chose faite). En outre, les villes ne sont plus obligées d’accepter les décisions d’un jury d’expropriation, si elle jugent que ces décisions sont trop onéreuses.
Ce n’étaient là, Messieurs, que les prémices d’une activité que nous allions poursuivre résolument quand la guerre ayant éclaté, tous nos efforts, ainsi que ceux de la France entière, durent se concentrer, pour ainsi dire, sur un seul objet : contribuer de tout notre pouvoir à la défense nationale. Nos projets antérieurs, nous dûmes les abandonner, tout au moins partiellement, et en remettre à plus tard la réalisation. Il faut aujourd’hui les reprendre ; or, parmi eux, il n’en est pas dont la réalisation soit actuellement plus urgente que celui qui intéresse le logement salubre et à bon marché. Entre beaucoup de crises provoquées par cette guerre qui vient de finir, mais dont les conséquences se feront sentir longtemps encore, celle du logement populaire n’a pas été des moins graves. Elle subsiste, bien que la paix soit signée, parce que pendant cinq ans, aucune maison nouvelle n’a été construite ; elle se prolongera même pendant quelques années parce que la rareté de la main-d’œuvre et le prix élevé des matériaux limiteront les entreprises.
Cependant une circulaire ministérielle de septembre 1918, relative aux habitations à bon marché et envisageant l’après-guerre, s’exprimait ainsi : “Le devoir social de combattre avec la dernière énergie la tuberculose et l’alcoolisme, de régénérer au moyen du logement une race affaiblie par les pertes sanglantes qu’elle aura subies et les privations, dues à la cherté de la vie, s’imposera avec un caractère d’urgence qui ne souffrira aucun atermoiement”. Il n’y a pas, en effet, un moment à perdre. Il faut construire. Pouvons-nous penser que les sociétés privées d’habitations à bon marché, celles qui existent déjà, celles qui pourraient se fonder, sont capables, à elles seules, de mener à bien l’œuvre pressante et considérable qu’il s’agit d’entreprendre ? Messieurs, il ne saurait être dans ma pensée de critiquer les résultats qu’elles ont atteints. Bien au contraire, j’estime qu’elles ont rendu de très grands services. Mais ne possédant le plus souvent que de faibles moyens financiers, leur action est forcément restée un peu limitée. D’autre part, la plupart d’entre elles se proposaient de faciliter par des prêts à un taux d’intérêt réduit, l’acquisition d’une petite maison individuelle ; elles s’adressaient à des personnes disposant déjà d’un certain capital. Or le but que nous devons poursuivre est tout autre : c’est celui de construire des habitations salubres et à bon marché, destinées à être louées à des familles nombreuses d’ouvriers ou de petits employés, moyennant un prix de location peu élevé.
Il me paraît que, dans les circonstances actuelles, seul un organisme, ayant le caractère d’une institution publique, est susceptible de réaliser cette grande tâche Il en existe un, c’est l’office public d’habitations à bon marché. La loi du 23 décembre 1912 dispose qu’il peut être institué sous ce nom des établissements publics qui ont pour objet l’aménagement, la construction et la gestion d’immeubles salubres, l’assainissement des maisons existantes, ainsi que la création de cités-jardins ou de jardins ouvriers. Les offices publics d’habitations à bon marché sont créés par décret, rendu en Conseil d’État, à la demande notamment d’un conseil municipal et après avis du préfet, des comités de patronage des habitations à bon marché et de la prévoyance sociale intéressés et du comité permanent du Conseil supérieur des habitations à bon marché. Quelques villes – par exemple Paris – ont eu recours à cette institution et c’est la création à Rennes, d’un office semblable que je vous propose, Messieurs, de vouloir bien demander à l’autorité supérieure.
Je ne puis vous exposer en détail, dans ce simple rapport, les règles relatives à l’organisation et au fonctionnement des offices publics d’habitations à bon marché. Vous trouverez ces documents joints au dossier. Tout au moins convient-il que je vous indique leur composition et leurs moyens financiers. Les offices publics sont gérés par un conseil d’administration de dix-huit membres, dont six nommés par le préfet, six par le conseil municipal, lorsque c’est lui qui demande la création de l’office. Les six autres sont élus par les institutions ci-après existant dans la circonscription de l’office : un par des comités de patronage des habitations à bon marché et de la prévoyance sociale ; un par les sociétés approuvées d’habitations à bon marché ; un par le bureau des sociétés et unions des sociétés de secours mutuels ; un par le conseil départemental d’hygiène ; un par les conseils des directeurs des Caisses d’épargne ; un par les unions des syndicats. Les femmes peuvent faire partie du conseil d’administration. Le mandat de tous les administrateurs est gratuit. Une telle composition fait appel à tous les milieux et à toutes les compétences. Elle assure à ce conseil d’administration, par la variété même de son recrutement, toute l’indépendance désirable. Elle établit d’autre part une importante représentation du conseil municipal. J’ajoute enfin que, pour les décisions les plus graves, le conseil municipal est appelé à donner son avis et l’autorité supérieure son approbation. En somme, Messieurs, si l’on voulait rapprocher l’office public des institutions existantes, on pourrait le comparer — son objet évidemment étant tout autre – à un hospice ou à un bureau de bienfaisance. Quels sont ses moyens financiers ? La question est essentielle, car de l’étendue de ces moyens dépend l’efficacité de l’action que l’office est appelé à exercer. On peut les ranger en trois catégories : emprunts et subventions ; dons et legs ; dotation accordée par le conseil municipal.

- Emprunts et subventions
Les ressources fournies par l’emprunt sont évidemment les plus considérables. L’office sera obligé d’y recourir surtout pendant les premières années de son existence, dans des proportions d’autant plus fortes qu’il voudra, dès le début — comme il est nécessaire à mon avis – faire œuvre vraiment utile. Encore faut-il que les pouvoirs publics lui accordent d’intéressantes facilités. L’article 2 de la loi du 29 juillet 1916, modifiant l’article 6 de la loi du 12 avril 1906 sur les habitations à bon marché, a autorisé la Caisse des dépôts et consignations à employer jusqu’à concurrence de 100 millions de francs, en prêts à des offices publics et à des sociétés d’habitations à bon marché, les fonds de réserve et de garantie des Caisses d’épargne et à défaut les fonds versés par les Caisses d’épargne ; ces prêts sont effectués au taux moyen d’intérêt produit au cours de l’année précédente par le portefeuille provenant du placement des fonds des Caisses d’épargne. Ce taux, pour les prêts consentis en 1919, était de 4, 25 %.
J’avoue que ce taux d’intérêt, assez élevé, me parut être un obstacle sérieux aux demandes d’emprunts présentées par les offices publics et par suite un obstacle à leur activité. Lors d’un de mes voyages à Paris, je fis donc part à des personnalités du ministère du Travail de mes doutes et de mes hésitations à demander la création, à Rennes, d’un office public d’habitations à bon marché : on voulut bien me faire connaître que le gouvernement se proposait de consentir des prêts à un taux beaucoup plus réduit : 2 ou 2,50 %. Et je viens de lire en effet, ces jours derniers, dans une circulaire ministérielle en date du 9 août 1919, Journal officiel du 15 août 1919 – vous voyez que c’est tout récent – le passage suivant que j’ai le plaisir de vous communiquer : “Je dois ajouter que le gouvernement est tout disposé à seconder l’effort des assemblées communales et départementales (notamment pour la création d’offices publics). Il vient en effet de saisir le Parlement d’un projet de loi tendant à élargir les maxima légaux de valeur locative d’habitations à bon marché, et à accroître sensiblement les ressources financières mises à la disposition des offices publics [...]. Le total des avances que peut faire la Caisse des dépôts et consignations aux offices publics d’habitations à bon marché et aux sociétés d’habitations à bon marché serait porté de 100 à 300 millions de francs ; ces avances seraient consenties au taux d’intérêt de 2 ou 2,50 % suivant le cas”.
Nous devons compter, Messieurs, que ce projet présenté par le gouvernement aboutira devant les Chambres parce qu’en vérité, il y a là un intérêt national bien plus que communal et qu’il aboutira rapidement, car c’est immédiatement qu’il faut agir. La même circulaire mentionne la possibilité, pour les offices publics, de recevoir des subventions de l’État. L’article 14 de la loi du 31 mars 1919 qui – je vous l’indiquais aux premières lignes de ce rapport – avait spécialement attiré mon attention et, dans une certaine mesure, a provoqué mon initiative, prévoit l’attribution par l’État, sous certaines conditions, de subventions aux offices publics qui construiront des maisons à bon marché destinées à être louées à des familles de plus de trois enfants âgés de moins de seize ans. Or, c’est justement le but essentiel que, selon moi, l’office public dont je vous invite à demander la création devra poursuivre. Je remarque que ces subventions sont particulièrement intéressantes puisqu’elles peuvent atteindre – sans pouvoir l’excéder – le tiers du prix de revient de l’immeuble.

- Dons et Legs
Je ne vous en dirai que quelques mots. Ce ne sont là que des ressources aléatoires et qui en tout état de cause ne figureront au budget de l’office que pour une faible part. J’espère cependant que cette œuvre intéressera les bonnes volontés de notre ville et – pourquoi pas ? – notamment celles des industriels. Elles pourraient d’ailleurs se manifester sous bien des formes et, par exemple, par la cession de terrains à des conditions avantageuses pour l’office.

- Dotation
Enfin, Messieurs, la loi subordonne la création d’un office public d’habitations à bon marché, demandé par une commune, à l’engagement pris par cette commune d’accorder à l’office une certaine dotation. Cette exigence est naturelle. Le Conseil d’État n’a, jusqu’à ce jour, donné son adhésion à la création d’offices publics d’habitations à bon marché que lorsque la dotation, qui lui était attribuée, était au moins de 10 000 francs, versés en une seule fois, ou de 1 000 francs par an pendant dix-huit ans. Cette dotation, dit une circulaire ministérielle du 16 septembre 1918, consistera, dans sa forme la plus simple, en une subvention, mais elle peut être à la fois mobilière et immobilière ; elle doit être suffisante pour faire face, avec les autres concours assurés, aux premières réalisations envisagées. Le chiffre de la dotation exigé par le Conseil d’État est, vous l’entendez bien, un chiffre minimum. Il peut être dépassé, suivant l’importance de la ville et celle aussi qu’elle désire donner à son office.
La ville de Paris allouait à l’office, en demandant sa création, une dotation au capital de 500 000 francs payable en annuités de 50 000 francs. Je pense, Messieurs, que la ville de Rennes pourrait accorder à son office une dotation de 150 000 francs payable en dix annuités de 15 000 francs. La première annuité de 15 000 francs pourrait être prise sur le crédit de 15 000 francs que vous aviez affecté en 1913 à la souscription de 30 actions de 500 francs à la Société de crédit immobilier des habitations à bon marché, alors en voie de constitution à Rennes. Cette somme est restée sans emploi jusqu’à ce jour et je crois devoir vous en demander aujourd’hui l’annulation au profit de l’Office public d’habitations à bon marché, dont je vous demande la création à Rennes. Cette dotation peut paraître élevée si l’on envisage l’effort correspondant consenti par la ville de Paris, mais j’estime qu’elle est nécessaire. Ce que nous voulons, en effet, ce n’est pas donner à cet office public une simple marque de sympathie par un modeste encouragement ; nous voulons lui donner une impulsion assez vigoureuse pour que, dès le début, cet établissement puisse travailler efficacement. Ses premières années seront les plus difficiles. Plus tard, devenu propriétaire d’un certain nombre de maisons, il en retirera des ressources qui remplaceront notre subvention. Observons d’ailleurs que de l’intérêt que nous lui aurons témoigné dépendra naturellement pour une grande part, l’intérêt qu’à son tour l’État lui apportera dans la répartition des sommes consacrées aux emprunts et aux subventions.
Enfin, Messieurs, vous penserez avec moi, j’en suis sûr, que notre sacrifice demeurera léger si vraiment nous pouvons, par la création de cet office, remédier à la crise du logement populaire qui appelle si gravement notre attention. Dans sa circulaire du 16 septembre 1918, visée plus haut, le ministre du Travail et de la Prévoyance sociale, déclarait attacher un prix particulier à ce qu’un plan d’action pour la construction d’habitations salubres et à bon marché soit joint à chaque demande de création d’office public. Ce n’est pas obligatoire et, à la vérité, il semble que ce plan d’action ne peut être établi que par l’office lui-même ; l’établir, avant que l’office soit créé et alors que nous ignorons notamment la quotité des ressources dont il pourra disposer, serait faire un projet sans aucune base sérieuse.
Il nous suffit d’indiquer que, dans notre esprit, l’office public aura pour objet principal, sinon exclusif de construire des maisons à bon marché destinées à être louées à des familles de plus de trois enfants âgés de moins de seize ans. C’est en effet, l’œuvre qui me paraît la plus urgente à réaliser tout d’abord, celle qui favorise la classe de la population qui a le plus de charges, qui a le plus de peine à trouver un logement salubre, celle qui enfin permet aux offices publics de recevoir de l’État le maximum de secours financiers. Je ne voudrais pas cependant laisser supposer que l’office fournira aux travailleurs un logement gratuit ou presque gratuit. Les lois diverses relatives aux habitations à bon marché n’ont pas été créées dans un but unique d’assistance, dont les contribuables en définitive auraient toute la charge. Elles ont même, à cet effet, pris soin de fixer que les prix de location ne pourraient être inférieurs aux 2/5e du maxima de valeur locative établis pour chaque commune, suivant le chiffre de sa population. En ce qui concerne les locaux loués à des familles de plus de trois enfants âgés de moins de seize ans, les loyers peuvent être inférieurs de moitié aux maxima prévus par l’article 5 de la loi de 1906.
Le projet déposé par le gouvernement le 9 août 1919 prévoit – en raison du prix de revient des constructions – un élargissement des maxima de valeur locative. Les prix n’en resteront pas moins inférieurs, à logement égal, aux prix de location qu’exigent les propriétaires privés. La ville, en outre, peut voter à l’office une subvention spéciale consacrée à une réduction de loyer pour les familles nombreuses et nécessiteuses (familles admises à l’assistance), dans ce cas et en application de la loi du 14 juillet 1913 (article 13), l’État prend à sa charge la moitié de la subvention ainsi accordée par le conseil municipal. Je suis certain, Messieurs, d’avoir été, en vous soumettant ce projet, entièrement d’accord avec vos sentiments.
J’ai donc l’honneur de vous prier :

  1. De demander la création à Rennes, d’un Office public d’habitations à bon marché ;

  2. De prendre l’engagement, dans le cas où cette demande serait favorablement accueillie, de fournir à cet établissement une dotation de 150 000 francs payable en dix annuités de 15 000 francs. La première annuité de cette dépense, serait inscrite au budget de l’exercice 1920 » [...].

102[...] Un décret présidentiel du 21 avril 1920 a créé l’Office public d’habitations à bon marché pour la commune de Rennes, ainsi que le conseil municipal l’avait demandé, sur ma proposition, dans la séance du 19 septembre 1919. Les six délégués du conseil municipal furent désignés en séance du 18 mai 1920.

— Le Panthéon rennais de la Grande Guerre34

  • 34 Ce projet confié à l’architecte de Janvier, Le Ray, est à la mesure du traumatisme énorme de la Pre (...)

103Ce mot Panthéon n’est peut-être pas très exact, mais il a l’avantage d’évoquer cependant, par comparaison, l’idée que nous avons conçue d’exalter les enfants de Rennes morts pour le pays ; la reconnaissance de la Patrie doit aller à ses plus humbles sauveurs comme à ses plus grands hommes. Donc, le vendredi 19 septembre de cette année de réorganisation 1919, nous reprîmes la question de cet hommage durable à rendre aux morts de la cité, tombés pour l’indépendance du sol et des citoyens. Ce fut M. Malapert qui présenta mon rapport. Il cita d’abord à nos collègues, l’exposé que je leur avais communiqué un an plus tôt, le 18 novembre 1918.

  • 35 Camille Godet (1879-1966) était un ancien élève d’Emmanuel Le Ray à l’école des Beaux-Arts, où il d (...)

« En notre hôtel de ville, en face de la salle des mariages, où des panneaux de l’artiste rennais Louis Roger évoqueront bientôt les joies de la famille et les devoirs du citoyen, existe une autre grande salle d’un accès facile au public. Là, si vous le décidez, sera notre Panthéon local. Tout au pourtour, suivant les propositions de l’architecte de la ville, dans un soubassement, avec des encadrements appropriés, seraient disposées des plaques de marbre, portant le tableau d’honneur éloquemment long et aussi complet que possible des noms des Rennais morts pour la Patrie, de 1914 à 1918. Cette décoration, purement architecturale, devrait être mise en valeur par une belle frise picturale représentant des scènes de la vie de guerre de nos soldats. Nous en avons des croquis particulièrement habiles, très fins, notés d’une façon saisissante par le peintre Godet, un artiste, élève de notre école des Beaux-Arts, devenu professeur et maître, qui était des leurs et mérite ainsi doublement l’honneur de les glorifier »35

104Ayant rappelé ces grandes lignes du projet, M. Malapert continua la lecture de mon rapport.

  • 36 Terme de géologie désignant une roche hétérogène formée de fragments réunis par un ciment naturel. (...)
  • 37 C’est-à-dire des pilastres creusés de cannelures.
  • 38 Feuilles torsadées ou entrelacs.
  • 39 Rayée de la carte par les combats de la première bataille des Flandres, livrée sur l’Yser, cette vi (...)
  • 40 Panneau sur une portion de mur entre deux ouvertures verticales.
  • 41 Couronnées de laurier.

Mes chers collègues,
« À l’unanimité, vous acceptiez mes propositions et j’invitai aussitôt l’architecte de la ville à étudier le projet définitif que j’ai l’honneur de soumettre aujourd’hui à votre approbation. Mon rapport ci-dessus indiquait déjà, dans ses grandes lignes, la conception générale du projet, mais il convient aujourd’hui de préciser les prévisions du projet définitif. Les dessins et détails qui accompagnent le dossier, bien que très étudiés, pouvaient ne pas donner une idée très nette de l’aspect de la salle une fois terminée. Il nous a donc paru préférable de faire exécuter une maquette très poussée avec indication de son ornementation complète, les tonalités des marbres et des bronzes prévus. Vous vous rendrez ainsi exactement compte de l’effet d’ensemble et verrez que le monument projeté est véritablement digne des héros que la ville de Rennes entend glorifier. Le point de départ de l’étude de cette composition a été la répartition en bonne lumière des plaques portant les inscriptions. Avant tout, il fallait songer à la surface nécessaire pour graver bien lisiblement les noms de ceux que l’on voulait honorer. Ces inscriptions devaient donc être la dominante de la composition. La partie architecturale tient cependant dans l’ensemble une bonne place, la décoration est intimement liée avec elle et en dépend. Ce monument sera un grand et digne symbole de reconnaissance envers tous les enfants de Rennes (rennais par leur origine et rennais par leur résidence) qui ont contribué, par le sacrifice de leur vie, à assurer la sécurité du pays et l’avenir de la France.
Tout autour de la salle régnera un haut soubassement en marbre (brèche36 aux teintes très douces). C’est dans ce soubassement que seront réparties les plaques de marbre, jaune rosé, destinées à recevoir dans l’ordre alphabétique les noms des braves poilus rennais d’origine, c’est-à-dire ceux nés à Rennes ainsi que nous l’avons en dernier lieu spécifié, afin d’ éviter toutes confusions. Les lettres seront gravées et rehaussées d’or mat. Lorsque nos services considéreront que la liste est bien établie, nous ferons, par la voie de la presse, trois appels successifs pour prier les familles intéressées de venir s’assurer qu’il n’a été fait aucune omission et aussi de signaler les erreurs qui pourraient exister. À la date fixée pour le troisième appel, la liste sera définitivement close. Cette mesure sera obligatoire pour la répartition des noms dans les emplacements réservés. Le soubassement sera coupé par des pilastres avec défoncés37 et incrustations de marbre rouge veiné. En dessous de la corniche haute du soubassement, courra une frise avec tors38 de lauriers en bronze, sur laquelle se détacheront en léger relief les noms de nos victoires : La Marne, Dixmude39, Verdun, etc. Nous arrêterons au moment de l’exécution, les textes définitifs. L’ensemble se complétera par des attributs en bronze : épées, cartouches, couronnes de lauriers, etc.
Dans l’axe du trumeau40 nord, face à la porte d’entrée, se détachera légèrement en saillie, un beau motif central, sorte d’autel à la mémoire de nos morts. De chaque côté des épées laurées41 ; au bas, une couronne d’immortelles accompagnée d’une grande palme. Sur la plaque centrale de ce motif, on lira en lettres gravées et dorées, dans un marbre jaune de Sienne, le texte de la loi ayant pour objet de rendre hommage aux armées, au président du Conseil, ministre de la Guerre, au généralissime des armées alliées :

Loi du 17 novembre 1918
Les armées et leurs chefs
Le gouvernement de la République
Le citoyen Georges Clemenceau, président du Conseil, ministre de la Guerre
Le maréchal Foch, généralissime des armées alliées
Ont bien mérité de la Patrie.

Un puissant cartouche, accompagné de guirlandes et du casque de combat du poilu, surmontera le motif central. Au centre de ce cartouche se trouvera un médaillon avec cette inscription :

Hommage de la ville de Rennes
À ses enfants
Morts pour la France au cours de la Grande Guerre

À la partie basse du cartouche, à la place d’honneur, sera placée :
la croix de guerre

  • 42 Décors en forme de grosse pierre saillante, non taillée, polie comme la tête d’un clou.
  • 43 Murs d’appui à la base des fenêtres.

Les dessins et la maquette indiquent nettement le parti adopté pour les trois autres faces. La décoration de cette belle salle (Panthéon à la mémoire des Rennais tombés au champ d’honneur) se complète par un plafond peint encadré d’une mouluration robuste, ornée de plaquettes saillantes portant les noms glorieux de nos maréchaux et ceux de nos plus illustres généraux. La décoration architecturale sera mise en valeur et soulignée par une haute et belle frise dans laquelle l’artiste rennais Godet saura retracer l’épopée glorieuse de nos admirables soldats. Le dallage sera en mosaïque, encadré au pourtour d’une large bande de marbre. Des banquettes s’harmonisant avec l’ensemble seront disposées au pourtour de la salle. Les fenêtres actuelles seront dissimulées par des panneaux de verres légèrement colorés, tamisant la lumière trop crue du soleil, levant et répandant une douce clarté.
Il fallait songer à l’éclairage. Des lustres, des appliques auraient nui à l’effet d’ensemble, éclairant trop certaines parties, laissant les autres dans l’ombre. L’éclairage sera assuré par de gros cabochons42 placés dans la frise d’encadrement du plafond. Les radiateurs nécessaires au chauffage seront dissimulés dans les allèges43 des fenêtres derrière des treillis métalliques bronzés. Les dessins montrent les dispositions prévues pour remédier à l’inclinaison du mur nord et au désaxement des anciennes fenêtres dissimulées par les vitraux.
La dépense prévue au devis ci-joint s’élève à la somme de 248352,50 F et sera comprise dans un emprunt à l’étude. Je vous prie, mes chers collègues, de bien vouloir approuver ce devis et, vu la nature spéciale des travaux qui ne sont pas susceptibles d’être mis en adjudication, de m’autoriser à passer de gré à gré les marchés nécessaires. En élevant ce monument, la ville de Rennes rendra à ses enfants qui ont, pendant la Grande Guerre, donné leurs vies pour la France, le juste et pieux hommage auquel ils ont droit ; la population rennaise sera reconnaissante à la municipalité de n’avoir rien négligé pour honorer dignement ses chers Disparus » [...].

105[... ] Ces conclusions furent adoptées à l’unanimité. La dépense est encore considérable, mais outre que l’œuvre constituera un hommage vraiment artistique et durable à l’héroïsme de nos concitoyens tombés sur le champ de bataille, le sacrifice ne vous paraît-il pas léger, infime, quand on le compare à celui qu’ils ont fait d’eux-mêmes [...] ?

Notes

1 Fondée par Janvier, l’école de rééducation professionnelle des mutilés était installée dans une partie de l’actuel lycée Jean-Macé. Transférée en 1922 dans l’ancien hospice Saint-Melaine, l’école dénommée « école Jean-Janvier » après la mort de celui-ci est installée actuellement rue Édouard-Vaillant.

2 Soldats devenus incapables de vaquer aux nécessités du service actif, mais entretenus en temps de paix comme en temps de guerre dans des tâches subalternes de représentation ou d’accompagnement.

3 Entendre : des États de Bretagne.

4 La ferme des Champs-Rôtis se trouvait route de Saint-Malo, aujourd’hui au niveau de la zone industrielle Nord et à la limite de la commune de Saint-Grégoire.

5 La ferme des Trois-Croix était située au débouché de la route de Saint-Malo, à hauteur de l’actuel cimetière de l’Est, en bordure de l’Ille (un boulevard porte toujours son nom).

6 Le coteau de Quincé est de nos jours percé par la rocade Nord (près du centre commercial des Trois-Épines). Il s’y trouvait en effet une source suffisamment abondante pour qu’à nouveau, en 1829, le maire de Rennes, de Lorgeril, la fasse jauger par l’architecte de la ville, Charles Millardet.

7 Cet ingénieur, très critique sur le projet de l’architecte Martenot qu’il jugeait hors de prix (les travaux, estimés au départ à 3 millions, ont en effet coûté 4 millions de francs, comme l’indique plus loin Janvier) préconisait le pompage et le filtrage des eaux du bassin de la Vilaine.

8 Labbé Richard proposait un système double : élever les eaux de la Vilaine (pour le lavage des rues et la purification des égouts) et distribuer de l’eau de source par une canalisation appropriée (pour l’usage domestique). Le mot « hydroscope » désignait autrefois un spécialiste de la recherche des eaux souterraines.

9 Cet ancien tanneur avait eu l’idée de restaurer un étang qui existait autrefois dans le lit de l’Illet, au lieu-dit Biennain.

10 La proposition de Nadault de Buffon, parente de celle de l’abbé Richard, consistait à élever les eaux de la Vilaine, captées en amont de Rennes, au moyen de machines à vapeur, puis de les filtrer avant distribution à l’aide d’un procédé d’épuration anglais.

11 Belgrand fut l’organisateur de l’adduction d’eau à Paris. Lesguillier était son adjoint. Le rapport d’expertise, rédigé principalement par ce dernier, concluait que le projet de dérivation des eaux de la Minette était réalisable et qu’en revanche, les quatre autres propositions comportaient de graves inconvénients.

12 Commune du pays de Fougères, près de Saint-Brice-en-Coglès.

13 Après la « course à la mer » de fin 1914, la Champagne fut la première région choisie pour l’offensive des armées franco-anglaises en 1915. L’objectif de Joffre était de libérer définitivement les territoires envahis en brisant le front ennemi par des assauts répétés, préparés par des bombardements d’artillerie et la concentration massive des troupes d’assaut. Cette tactique extrêmement meurtrière fut employée le 16 février 1915 à Vouziers, petite ville des Ardennes (3 500 habitants), dans la vallée de l’Aisne. Pour gagner, en tout et pour tout, 800 mètres de terrain, des pertes considérables furent enregistrées et la commune fut en partie rasée.

14 On désignait par « territoriale » les troupes mobilisables des classes les plus anciennes (c’est-à-dire la deuxième réserve).

15 Rue du Maréchal-Joffre, entre la rue du Pré Botté et la rue Vasselot.

16 Rue du Maréchal-Joffre, entre la rue Vasselot et le boulevard de la Liberté.

17 Le Nouvelliste de Bretagne était un quotidien fondé en 1901 par un groupe important de catholiques libéraux de Rennes sur l’initiative de Brager de La Villemoysan, ancien conseiller municipal et sénateur.

18 La guerre a évidemment bouleversé en profondeur l’économie française. En 1918, la dette flottante est de 30 milliards de francs. Les prix ont doublé depuis 1914 et les salaires ont augmenté de 75 %. La période des années vingt, avant la crise de 1929, sera marquée en France par l’inflation des prix et la dégringolade du franc (en 1926), après une croissance annuelle de 5 %. Les salaires suivent mal : en 1926, les professeurs font la grève du bac, pour protester contre le blocage de leur rémunération depuis 1919.

19 La loi instituant les huit heures de travail par jour sans diminution de salaire date du 23 avril 1919.

20 Le défilé de la Victoire, rassemblant les troupes françaises et alliées, eut lieu sur les Champs-Elysées le 14 juillet 1919. Un grand cénotaphe avait été dressé sous l’Arc de Triomphe, avec la mention : « Aux morts pour la Patrie » – préfiguration de l’installation de la tombe du Soldat inconnu, au même endroit, le 11 novembre 1920. Le défilé proprement dit, conduit par Foch et Joffre à cheval au milieu d’une foule immense, partit de la porte Maillot, traversa une partie de Paris et se disloqua à la Bastille. On mesure, avec la fête de Rennes, toute la différence, au lendemain de 1918, entre Paris et la province.

21 Georges Clemenceau.

22 Paul Déroulède (1846-1914) publia, après la guerre de 1870 à laquelle il venait de participer, plusieurs ouvrages patriotiques, nettement nationalistes, appelant à la revanche (Chants du soldat, 1872-1875 ; Marches et Sonneries, 1881 ; etc.). En 1882, il fonda la Ligue des patriotes, puis, en 1889, fut élu député boulangiste. Il tenta, au lendemain des obsèques du président de la République, Félix Faure, de soulever l’armée contre le régime (février 1899). Condamné à dix ans de bannissement, il fut gracié en 1905. On pourrait croire que la citation effectuée ici sentait le soufre. En fait, elle intervenait après la défaite de l’Allemagne et, surtout, après le décès de l’intéressé. Il n’était pas rare, en outre, qu’avant 1905, les instituteurs fassent apprendre des poésies de Déroulède par leurs élèves. Ce genre de propos montre toutefois l’influence de la pensée nationaliste et, plus généralement, sa banalisation dans la France victorieuse, par le vecteur d’un patriotisme alors partagé par tous.

23 Guillaume 1er (1797-1888), second fils de Frédéric-Guillaume III et de la reine Louise, prit part, très jeune, aux campagnes de 1814-1815 et fut séduit par la carrière militaire. Il réprima les troubles révolutionnaires de 1848-1849, avant de prendre le pouvoir, en tant que régent, en 1858. Il fut proclamé empereur le 18 janvier 1871, après la défaite de Napoléon III, et son nom reste associé à celui de Bismarck qu’il laissa gouverner – sans être toujours d’accord avec ses agissements politiques (en particulier la falsification de la dépêche d’Ems qui provoqua la déclaration de guerre française à la Prusse, en 1870). Il incarnait cependant la domination détestée de l’Allemagne sur la France.

24 Ancien verger de l’abbaye Saint-Melaine, le Thabor fut converti en jardin au 18e siècle et, devenu une promenade publique en 1793, fut réaménagé par les frères Bühler, sous le Second Empire. Le carré Duguesclin correspond à la partie ouest (ou, si l’on préfère, à l’entrée derrière l’actuelle préfecture) de ce jardin, appelée, à l’époque des moines, le « jardin de la vigne », et, plus tard, ornée d’une statue du connétable qui lui donna finalement son nom.

25 D’abord victorieux, par trois fois, en 1914, les Serbes se maintinrent à Belgrade pendant quelques mois. Ils ne purent cependant pas résister à la quatrième invasion autrichienne, appuyée par la Bulgarie et l’Allemagne, d’octobre à décembre 1915. Les armées alliées, stationnées à Salonique, tentèrent, en vain, de leur porter secours le long du Vardar (fleuve qui baigne Skopje et se jette dans le golfe de Salonique). Les troupes serbes se disséminèrent alors dans les ports de l’Adriatique. De là, les navires alliés les transportèrent à Corfou où elles se reconstituèrent pour participer aux opération de Macédoine (été 1916), à l’attaque de Monastir (sept.-nov. 1916) et, surtout, à l’offensive d’ensemble, de nouveau menée sur le Vardar, par les Franco-Anglais, à partir de mai 1917, jusqu’à la rupture du front ennemi (sept. 1918).

26 Le général Charles Mangin (1866-1925) avait pris le commandement de la 10e armée en décembre 1917. C’est cette armée qui permit, par la contre-offensive de Villers-Cotterêts, la victoire des forces alliées lors la deuxième bataille de la Marne (juillet 1918). L’armée Mangin entra ensuite dans Metz, juste après l’armistice (19 novembre 1918).

27 Le général Henri Gouraud (1867-1946) avait commandé une division en Argonne et le corps des Dardanelles au début de la guerre. Nommé à la tête de la 4e armée en Champagne, il fit échouer, avec les généraux Maistre et Fayolle, l’ultime offensive allemande dans cette région, sous les ordres du Kronprinz (15-18 juillet 1918). Après les batailles de la montagne de Reims et de Prosnes-Massiges (Marne), il mena la contre-offensive victorieuse de Champagne et d’Argonne (notamment lors de la bataille de Montfaucon) où, du 26 septembre au 15 octobre, les alliés marchèrent jusqu’à l’Aisne (et donc jusqu’à Vouziers, baignée par cette rivière) et à la lisière septentrionale de l’Argonne.

28 Interrompue pendant la Première Guerre mondiale, la croissance urbaine reprend aussitôt après en France : de 1921 à 1931, plus de deux millions de personnes viennent s’installer à la ville. Outre la banlieue parisienne, le phénomène touche particulièrement la périphérie des grandes agglomérations, dont Rennes. Rurbanisation se produit alors souvent de façon sauvage, sans véritables plans d’urbanisme concertés, produisant un des véritables problèmes de société de l’entre-deux-guerres, celui des « mal lotis » (au sens propre du terme : des gens ayant bâti eux-mêmes un pavillon – sur un « lot » de terrain dont ils ont fait au préalable l’achat – mal raccordé à l’eau, au gaz, à l’électricité, à l’égout). La législation française en la matière apparaît particulièrement timide, seule la loi du 14 mars 1919, dite loi Cornudet (du nom de son promoteur), complétée en 1924, faisant obligation aux communes de plus de dix mille habitants, d’élaborer un plan d’aménagement, d’extension et d’embellissement (PAEE) qui tente d’organiser l’arrivée des nouveaux habitants et d’améliorer l’aspect des quartiers anciens. Pilotée par la commission nationale dont fait partie Janvier, la loi, qui ne prévoit pas de mesures contraignantes, n’est en fait que partiellement appliquée. Au total, 15 % des seize cents villes assujetties à ces plans s’y seront soumis en 1931. Et même dans ce cas, les autorités municipales peinent à forcer les résistances des propriétaires récalcitrants.

29 Honoré Cornudet des Chaumettes (1861-1938), juriste, fut élu maire de Neuville (Seine-et-Oise), où il possédait d’importants domaines, en 1886. Député de Pontoise (1898), il siégea à la Chambre parmi les modérés progressistes. Défenseur des idées libérales, il s’intéressa aux travaux publics et à l’assistance sociale. Réélu député en 1902, il combattit Waldeck-Rousseau, puis Combes, votant contre la loi de séparation des Églises et de l’État. Il resta à la Chambre pendant toute la guerre et fit partie en 1919 de la liste d’Union nationale démocratique, dite du bloc national, avant de terminer sa carrière au Sénat, de 1924 à 1935.Il est très caractéristique que, à la suite des graves dégâts provoqués par le conflit sur les cités du Nord et de l’Est, ce libéral ait été l’auteur de la seule loi d’après-guerre qui tente de planifier quelque peu l’avenir des villes françaises (mais sans vraiment s’en donner les moyens ni techniques, ni politiques). C’est là un signe indéniable du médiocre intérêt alors affiché par beaucoup d’élus pour l’urbanisme et l’architecture.

30 Victor Laloux (1850-1937), ancien élève de l’atelier André à l’école des Beaux-Arts, est architecte en 1877 et grand prix de Rome en 1878. Il est resté dans l’histoire de l’architecture pour avoir construit à Paris la gare et le palais d’Orsay, commandés par la Compagnie du Paris-Orléans, à l’occasion de l’exposition universelle de 1900. Architecte du gouvernement, il est membre de diverses commissions spécialisées et également professeur libre d’architecture.

31 Louis Bonnier (1856-1946) fut l’architecte du salon de l’Art nouveau aménagé par Siegfried Bing à Paris en décembre 1895. Cette réalisation lui vaut d’emblée la célébrité, sans rendre véritablement hommage à la constance de ses principes, guidés par le rationalisme constructif plutôt que par le souci de l’ornement. Entré au service de la ville de Paris comme architecte-voyer en 1884, il est architecte en chef des installations générales à l’exposition universelle de 1900, puis directeur des services d’architecture, des plantations et promenades en 1910. De 1902 à 1912, il travaille à la réglementation des constructions dans Paris, créant le premier plan d’extension et le casier archéologique de la capitale. Il termine sa carrière administrative comme directeur des travaux de l’exposition de 1925. Il a laissé des œuvres remarquables : le pavillon Schneider à l’exposition de 1900, la villa d’André Gide à Auteuil (1905), le groupe scolaire de la rue Rouelle (1911), la piscine de la Butte-aux-Cailles (1924). Cette dernière réalisation intéressera particulièrement Janvier, car elle influencera directement la piscine Saint-Georges (édifiée par Le Ray) à Rennes. Il n’est donc pas indifférent de savoir que les deux hommes avaient pu se rencontrer dès 1919. C’est une preuve quasi certaine du rôle directeur exercé par Janvier dans l’élaboration de cette piscine qui clôt en quelque sorte son legs architectural à Rennes.

32 L’obligation du repos hebdomadaire a été instituée par une loi du 13 juillet 1906.

33 La Société française des habitations à bon marché a été créée en 1889, à l’occasion du congrès international des maisons ouvrières. Ses animateurs étaient un magistrat, Georges Picot (1838-1909), et un homme politique, Jules Siegfried (1837-1922), qui se chargea de travailler pour donner une assise législative en France à l’action en faveur du logement social. Ces efforts aboutirent au vote de la loi du 30 novembre 1894, dite loi Siegfried, qui favorise les petits propriétaires, définit des exemptions en faveur des sociétés de construction et autorise des organismes spécialisés, comme les Caisses d’épargne et la Caisse des dépôts et consignations, à investir une partie de leurs fonds dans l’édification d’habitations à bon marché (HBM). Ce texte est amélioré et précisé, notamment au plan financier, en 1906 et 1908 (création de Sociétés de crédit immobilier), et enfin par la loi Bonnevay du 23 décembre 1912 qui rompt avec le principe libéral de la non intervention des pouvoirs publics en autorisant les municipalités à financer des offices publics d’HBM. Le premier de ceux-ci, résultat de ces lois qui instituent une politique moderne du logement en France, est créé à La Rochelle (1913), bientôt suivi par celui de Paris (janvier 1914) dirigé par Frédéric Schneider. Jusqu’en 1914, le mouvement reste toutefois très dépendant de l’initiative privée (par exemple celle de la Fondation Rotschild pour la construction d’un îlot social, rue de Prague à Paris XIIe, en 1909). Sous la pression de la demande, l’entre-deux-guerres met en place un système public de financement, essentiellement sous la forme de subventions et d’avances en capital consenties par la Caisse des dépôts et consignations (loi de 1919). C’est ainsi qu’entre 1919 et 1939 trois cent mille logements sont construits, en majorité dans le cadre d’une nouvelle réglementation (la loi Loucheur, 1928) prévoyant la mise en chantier de logements subventionnés.

34 Ce projet confié à l’architecte de Janvier, Le Ray, est à la mesure du traumatisme énorme de la Première Guerre mondiale, par lequel les Souvenirs sont constamment hantés. Il s’inscrit en même temps dans le vaste mouvement national de construction des monuments aux morts, décrit par les historiens ; mais il apparaît, à cet égard, comme très original, car il transforme ces symboles urbains de la douleur que furent les monuments, en une scénographie mortuaire intérieure, un véritable mémorial confiné dans une salle entière de l’hôtel de ville, comme dans une crypte. Aménagé en face de la salle des mariages, le Panthéon a donc une vocation pédagogique, renforcée par son éclairage savamment tamisé. Cet hommage du souvenir où vinrent s’inscrire 936 noms a été entièrement conçu par Le Ray qui le tenait pour une de ses œuvres majeures. Le décor en fut réalisé par le sculpteur parisien Roullière-Peulier.

35 Camille Godet (1879-1966) était un ancien élève d’Emmanuel Le Ray à l’école des Beaux-Arts, où il devint professeur. Outre de nombreuses œuvres, on lui doit la longue toile marouflée du Panthéon rennais et la fresque de la maison du Peuple, où Janvier est représenté serrant la main d’un ouvrier. À partir de 1833, il dirigea l’école de préapprentissage fondée par Le Ray.

36 Terme de géologie désignant une roche hétérogène formée de fragments réunis par un ciment naturel. On notera, chez Janvier, dans tout ce qui touche à la construction – architecture ou décor – le souci du vocabulaire précis caractérisant un professionnel.

37 C’est-à-dire des pilastres creusés de cannelures.

38 Feuilles torsadées ou entrelacs.

39 Rayée de la carte par les combats de la première bataille des Flandres, livrée sur l’Yser, cette ville belge fut héroïquement défendue par les fusiliers marins français et les soldats belges (14 octobre-10 novembre 1914). Elle ne tomba qu’au terme d’attaques nombreuses et acharnées qui ont attaché à son nom celui d’un succès défensif.

40 Panneau sur une portion de mur entre deux ouvertures verticales.

41 Couronnées de laurier.

42 Décors en forme de grosse pierre saillante, non taillée, polie comme la tête d’un clou.

43 Murs d’appui à la base des fenêtres.

Le texte et les autres éléments (illustrations, fichiers annexes importés) sont sous Licence OpenEdition Books, sauf mention contraire.

Cette publication numérique est issue d’un traitement automatique par reconnaissance optique de caractères.
Rechercher dans OpenEdition Search

Vous allez être redirigé vers OpenEdition Search