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Stendhal et l'érotisme romantique

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Alexandra Pion

Première partie. Aimer, c’est sentir

Chapitre II. Sentir, c’est désirer

Texte intégral

  • 1 « Ce terme implique la satisfaction instinctuelle (surtout sexuelle), la perception sensible et sa (...)
  • 2 Stendhal, DA, p. 31.

1La valorisation de la sensibilité dans le processus de la connaissance a eu, dès le xviiie siècle, une conséquence importante sur l’appréhension du mécanisme des passions dans la pensée philosophique dont Stendhal est essentiellement tributaire. Lorsque Sainte-Beuve, dans ses Pensées, rappelle que Victor Cousin a commis la maladresse de dénommer sensualiste l’école qui attribuait l’origine des connaissances humaines aux sensations alors que, pour être exact, il eût fallu l’appeler sensationniste, c’est parce que, selon Sainte-Beuve, le mot de sensualiste se rattache à l’idée d’un matérialisme hédoniste qui s’intéresse particulièrement aux jouissances des sens. Toutefois, si la confusion entre les deux termes a été si longtemps maintenue – encore aujourd’hui –, c’est qu’elle est révélatrice d’une association d’idées justifiée : les démonstrations sensationnistes s’appuient largement sur une base sensualiste, avec ce que le mot comporte de sensualité, car l’immense crédit accordé aux sens comme source de la connaissance va alors de pair avec les conceptions de la passion qui revêtent une dimension beaucoup plus physique que spirituelle. En effet, d’après les théories sensualistes, la fonction cognitive de l’homme passe par ses fonctions sensitives qui lui transmettent des sensations de douleur, auxquelles la nature commande de se soustraire, et des sensations de plaisir qu’il convient de satisfaire. Ainsi, la fonction cognitive de la sensibilité se confond-elle avec sa fonction appétive. Faut-il s’étonner d’ailleurs, relève H. Marcuse, que le terme allemand Sinnlichkeit désigne encore aujourd’hui à la fois la sensibilité et la sensualité1 ? Contre les détracteurs de l’interprétation qui établit une connexion entre les termes sensibilité et sensualité, H. Marcuse soutient en effet que le destin de ces deux termes n’est pas seulement fondé sur une ambiguïté étymologique mais qu’ils se confondent bien à leur source philosophique. La quête du sens s’est traduite par une quête des sens qui favorise le goût pour toutes les jouissances devenues synonymes de bonheur. N’est-ce pas le principe même de la cristallisation que Stendhal définit comme un phénomène qui « vient de la nature qui nous commande d’avoir du plaisir2 » ?

Un phénomène instinctif « qui vient de la nature »

L’instinct sexuel

2Les sensualistes, qui attribuent une assise physique et essentiellement sensitive à l’amour, isolent un instinct sexuel qui se définit comme un sens du désir et de la volupté, vecteur de la passion sensuelle et clé de voûte du désir, généralement reconnu sous le nom de sixième sens. Buffon en a popularisé l’emploi avec son Histoire naturelle, en démontrant que le sens de l’amour et du désir sensuel naît de la sensation voluptueuse qui émane du sens du toucher :

  • 3 Buffon, Histoire naturelle générale et particulière, Paris, éd. de Leiden, 1749, III, p. 356-370.

Le sens du toucher est répandu dans le corps entier, mais il s’exerce différemment dans les différentes parties. Le sentiment qui résulte du toucher ne peut être excité que par le contact et l’application immédiate de la superficie de quelque corps étranger sur celle de notre propre corps […].
Mais tandis que je parcourais des yeux les bornes de mon corps pour m’assurer que mon existence m’était demeurée toute entière, quelle fut ma surprise de voir à mes côtés une forme semblable à la mienne ! je la pris pour un autre moi-même, loin d’avoir rien perdu pendant que j’avais cessé d’être, je crus m’être doublé.
Je portai ma main sur ce nouvel être, quel saisissement ! ce n’était pas moi, mais c’était plus que moi, mieux que moi, je crus que mon existence allait changer de lieu et passer toute entière à cette seconde moitié de moi-même. Je la sentis s’animer sous ma main, je la vie prendre de la pensée dans mes yeux, les siens firent couler dans mes veines une nouvelle source de vie, j’aurais voulu lui donner tout mon être ; cette volonté vive acheva mon existence, je sentis naître un sixième sens3.

3L’émoi sensitif qu’il éprouve au contact de cet autre corps qu’il sent vibrer et palpiter sous sa main, pour devenir chair par l’embrasement des autres sens, induit la clairvoyance du désir que provoque en lui la pulsion sexuelle, cette « volonté de lui donner tout son être ». Le sixième sens est donc cette excitation physiologique d’ordre charnel, cette faculté d’éprouver des sensations physiques orientées vers le plaisir sexuel. Dans la lignée de Buffon, le chevalier de Saint-Lambert, disciple des premiers Idéologues, ajoute ainsi aux cinq sens constitutifs de notre champ de connaissance un sixième qui se déclare à la puberté :

  • 4 Saint-Lambert, Analyse de l’Homme et de la Femme, Œuvres philosophiques, Paris, H. Agasse, 1801, I (...)

C’est le besoin de se reproduire ; le penchant d’un sexe pour l’autre est le plus vif et le plus doux des sentiments inspirés par les besoins physiques ; il dispose l’homme, et même les animaux, à je ne sais quelle bienveillance tendre et active, qui ajoute à ses charmes : ce sens est celui qui nous donne les plus délicieuses sensations, et il est pour les autres sens une source de jouissances4.

4À partir de Buffon, ce sixième sens, ce sens de l’amour qui provoque le désir sensuel, entre dans les mœurs, même s’il n’est pas toujours reconnu comme un sens à part entière mais plutôt comme une conséquence du sens du toucher qui, irradiant l’ensemble du corps, donne plus de poids, sinon plus de vie, aux autres sens car, précise Lancelin :

  • 5 Lancelin, Introduction à l’analyse des sciences, ou de la Génération des fondements et des instrum (...)

Les organes du toucher et de la vue, à qui nous devons tant de connaissances, sont encore, comme l’on sait, l’instrument de nos plaisirs les plus chers ; c’est leur action combinée qui nous fait sentir tous les charmes de la volupté et des plus flatteuses émotions ; on leur doit les douces étreintes de l’amour, […] ils établissent entre tous les corps de l’univers et le nôtre, une correspondance générale aussi prompte et sûre qu’elle est agréable et variée5.

  • 6 Ce sixième sens est « une autre espèce de sensation du Toucher plus parfaite, plus générale et ess (...)
  • 7 Voltaire, Dictionnaire philosophique (1764), article « Sensation », Œuvres de Voltaire, éd. Werdet (...)
  • 8 Stendhal, FN, II, p. 90. Nous soulignons.

5Le médecin et chirurgien Le Cat évoque ainsi le sixième sens comme un sens supérieur de plaisir et de volupté distinct du simple toucher, mais pour ne le définir que comme en étant une espèce plus parfaite6. Plus radical, Voltaire estime en revanche que les hommes ne sont pourvus que de cinq sens, et si « quelques personnes en admettent un sixième […] il est évident que la sensation voluptueuse dont ils veulent parler se réduit au sentiment du tact, et que cinq sens sont notre partage7 ». Stendhal ne s’est guère prononcé sur la nature exacte du sens de l’amour mais c’est bien à lui qu’il fait référence lorsqu’il affirme dans sa Filosofia nova que « le plaisir des sens ou pour mieux dire du sens, doit être le même chez toutes les nations8 ».

  • 9 Voir l’article « Fureur utérine » dans l’Encyclopédie ou Dictionnaire Raisonné des Sciences, des A (...)
  • 10 Destutt de Tracy, De l’Amour (1815), G. Chinard (éd.), Paris, Les Belles Lettres, 1926, p. 1-2.
  • 11 Lancelin, Introduction à l’analyse des sciences, op. cit., I, p. 47-48 ; « les sensations qu’il no (...)
  • 12 Ainsi que l’explique Cabanis, « les nerfs des parties de la génération, dans l’un et dans l’autre (...)
  • 13 Maine de Biran, Les Discours philosophiques de Bergerac, Œuvres, P. Tisserand (éd.), Paris, Alcan, (...)

6Pour les sensualistes et naturalistes du xviiie siècle, si les sensations transmises par le sens de l’amour se confondent généralement avec celles du toucher, c’est parce qu’elles sont liées à la sensibilité des organes sexuels9. Les Idéologues admettront également que, si le désir sensuel est la racine de l’amour, « la raison en est simple. Les organes destinés à le satisfaire sont si éminemment sensibles et ont des rapports si nombreux avec tous les autres et notamment avec l’organe cérébral, que leur action absorbe toute la puissance sensitive de l’individu. […] Nous ne devons donc pas être surpris de toute l’énergie d’un tel besoin, et qu’il soit plutôt une fureur qu’un désir10 ». L’instinct sexuel s’identifie avec l’organe qui l’éveille remarque encore Lancelin qui ajoute à sa typologie un huitième organe en complément des cinq organes élémentaires, du cerveau et du cœur, c’est « […] celui de la génération ou le sens de l’amour, dont l’activité ne commence qu’à une certaine époque de la vie de l’homme, et qui a, avec […] l’œil, le cerveau, le cœur, etc. les rapports les plus immédiats et les plus singuliers11 ». Toutefois, à la suite de Cabanis, les Idéologues préciseront que certains de nos mouvements résultent orginairement non pas des sens mais de leur influence sur notre organisation primitive. En effet, si Cabanis reconnaît que le toucher est le sens général, dont les autres ne sont que des modifications, et explique que le retentissement des impressions provoquées par les organes de la génération dans le système cérébral est particulièrement intense car la multiplicité des terminaisons nerveuses qui affleurent dans ces organes les rendent particulièrement sensibles12, c’est dans l’instinct, dans les tendances innées qui préexistent à l’excitation des sens, qu’il va trouver l’association entre cette sensibilité et la fureur du désir. Tout se réduit donc à la faculté de sentir, toute passion émane de la sensibilité mais Cabanis isole des déterminations instinctives qui préexistent aux impressions externes et internes, définissant ainsi un penchant sexuel que le développement des organes de la génération et du centre cérébral concourt ensuite à stimuler. Maine de Biran, dont on connaît l’influence certaine sur Stendhal, a également reconnu, à la suite de Cabanis, les impulsions de l’instinct, ces impressions affectives intérieures qui ne sont jamais « dans la conscience proprement dite, ne restent point dans le souvenir, et, étrangères aux produits de la pensée et de la volonté, n’en exercent pas moins sur la direction de nos idées et de nos penchants une influence constante13 ». Ainsi,

  • 14 Ibid., p. 43.

[…] l’appétit vénérien s’éveille tout à coup spontanément, entraîne vers lui toutes les facultés sensitives, maîtrise la volonté, absorbe l’intelligence, change la direction des idées, l’ordre de tous les mouvements et imprime une suite de déterminations et d’actions proprement dites animales en tant que le moi n’y trouve point une part vraiment active et qu’elles ont également lieu sans son concours14.

  • 15 Le médecin Idéologue J.-L. Alibert utilisera ainsi l’expression d’instinct de reproduction pour dé (...)
  • 16 Brillat-Savarin, disciple et continuateur de Cabanis et Tracy, distingue également, outre les cinq (...)
  • 17 Balzac, Le Curé de village, (1839), La Comédie humaime, M. Bouteron (éd.), Paris, Gallimard, coll. (...)

7À partir de Cabanis, le terme d’instinct sera communément employé, souvent sous la dénomination d’» instinct de reproduction15 », même si Lancelin ou plus tard Brillat-Savarin16 le nomment encore sens, le réduisant ainsi à des organes spécifiques. Cette « impulsion », ce « penchant » qui préexiste comme un besoin naturel sera aussi employé par Balzac sous le nom sixième sens, mis pour instinct, dans Le Curé de village (1839). Lorsque Véronique lit Paul et Virginie, « la peinture de ce mutuel amour », « la chaleur des tropiques et la beauté des paysages » agissent sur son organisation interne et réveillent son « sixième sens endormi17 ».

  • 18 Stendhal, LL, II, p. 468.
  • 19 Ibid., p. 635.
  • 20 Stendhal, DA, p. 38.
  • 21 Voir le croquis de Stendhal, « Du granit et du remplissage calcaire ou de débris de végétation ; e (...)
  • 22 Voir H. Spengler, Imaginaire et écriture de l’énergie dans l’œuvre de Stendhal : « La révolution e (...)
  • 23 Voir Manuscrits stendhaliens, R301 (1), Rés. vol. 3, f° 118 v° (Bibliothèque Municipale de Grenobl (...)
  • 24 Cabanis, Rapports du physique et du moral, op. cit., p. 518.
  • 25 P. Berthier, « Mystique, érotique et politique à Bray-le-Haut », Cahiers Stendhal, N° 1 : Stendhal (...)

8Ceci n’est évidemment pas sans faire penser à la plus parfaite illustration de la théorie de l’instinct chez Stendhal que l’on retrouve dans les marginales de Lucien Leuwen. Lorsque madame Grandet « depuis quelques jours éprouvait des sentiments tendres18 » à l’égard de Lucien Leuwen, Stendhal explique en effet en marge de son manuscrit que c’est « la matrice, excitée par un jeune homme bien, [qui] parlait19 » car il a toujours reconnu que « l’amour est comme la fièvre, il naît et s’éteint sans que la volonté y ait la moindre part20 » : les déterminations instinctives ont donc une incidence significative dans la naissance de l’amour. Nous avons vu dans le chapitre I que Stendhal avait relevé, en 1805, la théorie de Cabanis au sujet de l’instinct. Celle-ci lui avait alors fait forte impression, malgré la brieveté de l’information consignée dans le Journal, et Stendhal l’a illustrée dans de nombreux schémas. Ainsi de celui élaboré dans son « Essai de géologie morale par Blaise Durand [autre pseudonyme de Stendhal]21 », le 28 juillet 1822, agrémenté par une série de rochers de granit enfouis sous une couche calcaire. Pour reprendre une belle analyse d’H. Spengler22, ce schéma n’est autre qu’une métaphore géologique sur les abysses du corps humain et ses instincts fondamentaux contrariés, aliénés par les conventions sociales. Le corps apparaît comme une sorte de volcan souterrain dont les énergies instinctives, magma en fusion sous la couche des habitudes acquises et convenues, du vernis social, de l’hyprocrisie et de la bienséance, sont toujours prêtes à exploser. Et même si les connaissances de Stendhal en matière d’anatomie et de physiologie semblent être assez confuses, en tous cas imprécises, il paraît toutefois bien distinguer, à la suite de Cabanis, l’organe de l’instinct, ainsi qu’en témoigne cet autre croquis, « La femme par M. de Stdh23 » : l’« instinct of the matrice » se trouve placé sous le sédiment formé par les « convenances ». Séparant l’instinct et la matrice, il suppose que l’instinct est animé par l’excitation de cet organe « dont l’exquise sensibilité est assez connue24 » aux dires de Cabanis. Toutefois, lorsque Stendhal utilise le terme matrice, sans doute faut-il le considérer dans une dimension sexuelle plus large que celle qui la restreint à une biologie procréative : symboliquement, en tant qu’organe creux, elle apparaît, dans la conception schématique stendhalienne, comme une cavité naturelle dans laquelle vient se loger l’instinct sexuel féminin. Aussi souscrivons-nous à la définition de la matrice stendhalienne par P. Berthier comme « cette zone profonde, obscure, biologique d’appétit sexuel25 » sans l’associer plus précisément à sa fonction biologique naturelle, ainsi que nous l’examinerons plus largement dans la seconde partie. Stendhal a donc clairement isolé un penchant, un sens de l’amour dont les déterminations instinctives s’éveillent naturellement par l’excitation des organes sexuels. Aussi l’amour a-t-il partie prenante avec la sensibilité physique, et ce d’autant plus que, ainsi que l’ont formulé Tracy, Cabanis et Maine de Biran, l’instinct sexuel a besoin du concours de tous les sens pour se révéler et devenir désir amoureux, en vertu d’un autre instinct, celui de la sympathie, penchant à l’amour annexé à la sensibilité des autres organes affectifs, qui détermine l’attirance particulière d’un être vivant vers un autre être.

L’instinct de sympathie

  • 26 Ibid., p. 97.
  • 27 Ibid, p. 535-538.
  • 28 C’est l’expression qu’utilise notamment Alibert pour désigner le « penchant qui nous détermine à r (...)
  • 29 Cabanis avait déjà expliqué qu’» il en est de la sympathie comme des autres tendances instinctives (...)
  • 30 Maine de Biran, Les Discours philosophiques de Bergerac, op. cit., p. 56.
  • 31 Ibid., p. 26.
  • 32 Ibid., p. 31. Maine de Biran a sans doute largement puisé chez Cabanis qui affirmait dans (...)

9Tandis que le sixième sens, ou instinct de reproduction, s’exerce essentiellement par les organes de la génération, éminemment sensibles, la sympathie apparaît comme un penchant qui s’éveille par le concours des autres organes. Cette détermination primordiale est définie par les Idéologues, à la suite de Cabanis, comme un autre instinct qui « tempère ce que celui des besoins physiques directs a de trop sec et de trop dur » et « qui nous procure les jouissances les plus pures et les plus douces26 » car « par une loi générale, et qui ne souffre aucune exception, les parties de la matière tendent les unes vers les autres. […] Comme tendance d’un être vivant vers d’autres êtres de même ou différente espèce, la sympathie rentre dans le domaine de l’instinct […]27 ». Comme toutes les tendances primordiales, cet instinct de sympathie – parfois dénommé instinct de relation28 – s’exerce par les divers organes des sens qui font naître une pléiade d’impressions purement affectives et instinctives dans la mesure où certains organes sont eux-mêmes, selon la formule de Maine de Biran, des « organes de l’instinct29 ». En effet, les signes par lesquels « l’âme sensitive exprime ses affections, ses besoins, ses appétits sont des mouvements instinctifs produits dans les organes sans conscience et sans connaissance du but, et qui en entraîne de semblables par une impulsion également aveugle et aussi peu attentionnée30 ». Certaines sensations jouent donc un rôle essentiel dans l’attirance amoureuse par leur caractère affectif dominant. Ainsi de l’odorat, « qui fait que dans la saison des amours deux sexes différents se cherchent, se reconnaissent au loin et se précipitent l’un vers l’autre31 ». De même, les affections sympathiques transmises immédiatement par le sens de la vue sont particulièrement intenses car l’œil n’est pas seulement un instrument de perception et de connaissance, il est le miroir dans lequel vient se refléter l’âme sensitive de l’objet animé contemplé, « c’est elle qui s’y peint tout entière, et qui s’y devine, par un effet de sympathie32 ». Le sens de l’ouïe, doublé de la parole, provoque des phénomènes sensibles similaires : le timbre dans les sons, les accents dans les voix sont autant de moyens d’expression de la tonalité de l’émotion, de vibrations perçues par tout le corps et, partant, de la source de sympathie ou d’antipathie qu’ils peuvent susciter.

  • 33 Stendhal, DA, p. 66.
  • 34 Ibid., p. 61.
  • 35 « […] Mais bientôt, jetant les yeux sur un lit dont les rideaux étaient à demi ouverts à cause de (...)
  • 36 Ibid., p. 68.
  • 37 Ibid., p. 79.
  • 38 Voir article « Amoureux », Encyclopédie, op. cit., I, p. 375.

10Comment ne pas reconnaître dans ces propos l’origine de ceux que Stendhal déploie dans De l’amour au sujet de la naissance du sentiment amoureux ? En effet, la première étape de la naissance de l’amour, l’admiration, est suscitée par « l’étonnement qui fait longuement songer à une chose extraordinaire » et constitue « déjà la moitié du mouvement cérébral nécessaire pour la cristallisation33 ». L’effet de « la première vue » révèle les déterminations instinctives, elle provoque une « sympathie nerveuse » « comme excitant les transports34 », de la même manière que la musique, et notamment la voix des chanteuses d’opéra, a un effet retentissant sur l’ouïe et une influence sur le cœur en le disposant à l’amour. L’exemple tiré du célèbre roman de mœurs Gil Blas de Lesage, que Stendhal recopie dans son ouvrage est à ce titre fort probant35 : alors que Don Fernando fuit les hommes de l’Inquisition, il s’égare dans les appartements de dame Séraphine qu’il surprend dans son sommeil. Pour reprendre une célèbre formule de Flaubert, « ce fut comme une apparition ». Utilisant un lexique qui emprunte largement aux topoi romanesques de la première rencontre, Lesage relate les émotions qui submergent Gil Blas lors de la contemplation de Séraphine endormie : éblouissement, trouble, saisissement, transports, ivresse des sens. Ainsi Stendhal peut-il affirmer que « l’amour aime, à la première vue, une physionomie36 » car « tout le fluide nerveux est employé à jouir de cette qualité37 ». Le regard est un agent essentiel dans le jeu de la séduction et dans l’inoculation du sentiment amoureux (du latin inoculare, « mettre un œil dans ») car l’amour semble ne pouvoir s’introduire dans l’organisme que par le regard. C’est également ce que suggère l’Encyclopédie dont l’article « Amoureux » désigne cet adjectif comme caractérisant les muscles de l’œil (« muscles amoureux »)38.

  • 39 K. Engelhardt, « Le langage des yeux dans La Chartreuse de Parme », Stendhal Club n° 54, 15 janvie (...)
  • 40 Stendhal, CP, p. 125.
  • 41 Ibid., p. 122-123.
  • 42 Stendhal, FN, II, p. 47.
  • 43 Stendhal, CP, p. 146.
  • 44 Stendhal, 22 septembre 1804, Journal, I, p. 126.
  • 45 13 avril 1810, ibid, p. 561.
  • 46 14 mars 1810, ibid., p 552.

11Véritable code secret romantique et romanesque, « le langage des yeux a ceci de particulier qu’il n’est pas capable de mensonge. Il est le témoin fidèle des mouvements de l’âme, c’est par là que se reconnaissent les âmes généreuses » assure K. Engelhardt39. Langage réservé aux Happy Few dans la production stendhalienne, ceux-ci en connaissent toute l’importance et Clélia ne s’y trompe pas lorsqu’elle rencontre Fabrice pour la première fois : « Elle regardait avec étonnement ce jeune héros dont les yeux semblaient respirer encore tout le feu de l’action […] et ses regards la faisaient rougir40. » La réciproque est vraie puisque, lors de cet échange visuel, Fabrice parvient à pénétrer l’âme de Clélia, à lire en elle et à juger de sa noblesse : « Ils restèrent un instant à se regarder après que la jeune fille se fut dégagée de ses bras. “Ce serait une charmante compagne de prison, se dit Fabrice : quelle pensée profonde sous ce front ! elle saurait aimer41.” » Promesse d’amour, la profondeur et l’intensité du regard permettent aux âmes d’élite, les Happy Few, de se reconnaître entre elles en y décelant la manifestation de l’étincelle passionnelle : « Si je voyais l’objet qui pourrait me procurer ce bonheur et un chemin qui m’y conduisît, elle exciterait la plus forte passion dont je sois susceptible42 », prétendait déjà Stendhal dans ses Pensées. Secondée par la puissance de l’imagination, la capacité visuelle s’accroît dans les extases solitaires, s’apparentant au voyeurisme. En effet, à la Scala, Mosca, « sûr de n’être point vu, […] se livrait avec bonheur à toute sa folie […] il ne songeait qu’à conquérir le bonheur qu’il voyait sous ses yeux […] ; il ne pouvait se lasser de la regarder, et pour mieux penser à [Gina] il ne descendait pas dans sa loge43 ». Nous ne nous perdrons pas ici davantage en conjectures sur les fameux et trop célèbres effets de « la première vue » dans l’œuvre stendhalienne, qui ont déjà fait l’objet de maintes analyses critiques mais nous noterons que, si Stendhal est peu prolixe sur la description des contacts physiques dans De l’amour, il fait preuve de minutie et de précision lorsqu’il évoque, dans son Journal, certains contacts réalisés par l’intermédiaire « de ces regards qui veulent beaucoup dire44 » et qui constituent le moyen de transfert de toute la charge du désir. « Un regard d’amour bien prononcé45 » est chargé de traduire l’attirance et de semer le trouble chez la femme désirée : « Our eyes se sont dit that they love themselves. I have seen her an instant, embarrassée et n’osant lever les yeux sur les miens qui l’adoraient.46 » Ce rôle décisif accordé aux regards relève d’un code qui s’établira de la même manière par l’intermédiaire des mains, témoins d’une charge érotique d’une intensité sans égal. Il avoue ainsi à propos d’une entrevue avec Mélanie :

  • 47 21 mars 1805, ibid., p. 280.

Nous étions assis, je lui tenais les mains, elle soupirait souvent ; il y a eu un moment où ses yeux étaient plus humides, ses mains étaient très chaudes, elles avaient la sueur que donne l’anxiété de passion (dans un certain degré). Je serrais légèrement ses mains dans ce moment, elle les a serrées aussi légèrement. Elle m’aimait dans ce moment47.

  • 48 16 septembre 1802, ibid., p. 38.

12Le contact avec les mains est déterminant pour la suite des événements car il constitue pour Stendhal un encouragement à aller de l’avant et sert généralement de prélude à un contact érotique plus prononcé comme les baisers. Le fait par exemple qu’Adèle ne prenne pas l’initiative de ce geste le laisse confus : « Rien de décisif de sa part. Elle ne me serre pas la main48… »

13Ainsi les plaisirs sensuels sont-ils reconnus et accrédités par les sensualistes et les Idéologues dans la mesure où ils sont le résultat de l’exercice des sens sur les déterminations instinctives. Et l’instinct est parent du besoin : lorsqu’il est réveillé, il devient un besoin physique.

Un phénomène qui « nous commande d’avoir du plaisir »

Désirs des sens et plaisirs du corps

14En effet, dans les théories sensualistes, la notion de plaisir fonctionne comme une boucle : les impressions sensitives provoquent des conceptions d’où naissent de la douleur ou du plaisir, déterminant ainsi les besoins et les désirs de l’homme. À la suite de Hobbes, Stendhal distingue trois types de conceptions, à l’origine de passions fort différentes selon qu’elles relèvent des facultés du corps ou de l’esprit :

  • 49 Stendhal, FN, II, p. 73-74.

1° les unes sont présentes, elles viennent de la sensation actuelle, comme lorsque nous déch[arge]ons, 2° les autres sont passées et constituent la mémoire (les plaisirs de sentiments, comme un serrement de main, font plus de plaisir en mémoire que la jouissance parce que nous ressemblons davantage (ordinairement) à l’homme qui a serré la main qu’à l’homme qui a f[ou]tu (nous ne b[an]dons pas). 3° Les troisièmes ont pour objet l’avenir et produisent l’attente.
De chacune de ces conceptions naît un plaisir ou une douleur présente (sensuels)49.

  • 50 Hobbes, De la Nature humaine, ou exposition des facultés, des actions et des passions de l’âme, tr (...)
  • 51 Ibid., p. 70-71.
  • 52 Stendhal, DA, p. 28.
  • 53 Ibid, p. 37.

15Ainsi les plaisirs de l’esprit suivent-ils toujours le premier mouvement de plaisir sensuel, dans lesquels ils trouvent leur origine. L’amour est donc à l’origine un besoin physique et affectif motivé par les plaisirs sensuels et qui devient un « désir d’avoir du plaisir50 », « parmi lesquels le plus grand est celui qui nous invite à la propagation de notre espèce51 » estime Hobbes. Très pragmatiquement, Stendhal affirme de même que l’amour physique est un amour initiatique par lequel on commence à seize ans après avoir trouvé « à la chasse, […] une belle et fraîche paysanne qui fuit dans le bois52 » et que « l’étonnement et l’espérance sont puissamment secondés par le besoin d’amour et la mélancolie que l’on a à seize ans. On sait assez que l’inquiétude de cet âge est une soif d’aimer, et le propre de la soif est de n’être pas excessivement difficile sur la nature du breuvage que le hasard lui présente53 ». Il avait certainement retrouvé aussi cette idée chez Lancelin :

  • 54 Lancelin, Introduction à l’analyse des sciences, op. cit., II, p. 9.

Nos besoins sont ou le résultat nécessaire et primitif de l’organisation, ou la somme des désirs habituels qui nous portent vers les objets nécessaires à notre conservation, à notre bien-être, à notre état, à nos occupations à nos plaisirs, etc. […] ; tels sont les besoins de la soif, de la faim, du sommeil, de l’amour, etc., et en général de se maintenir dans un état de non souffrance ou de plaisir, lequel renferme tous les autres […]54

16puisque Stendhal affirme lui-même :

  • 55 Stendhal, FN, II, p. 126.

Les besoins indispensables chez tous les hommes sont (pour chaque journée) de se nourrir et de dormir. Et pour chaque année chez l’adulte d’avoir plusieurs éjaculations de semence. À mesure qu’un homme est civilisé les désirs périodiques de l’année et de la journée s’augmentent55.

  • 56 Senancour, De l’Amour, R. Etiemble (éd.), Paris, Le Club français du Livre, 1955, p. 337.

17Il aurait ainsi pu conclure, à la place de Senancour, que « le besoin des sens [est] le premier besoin d’amour56 ».

18Au fait, dans les théories sensualistes, la terminologie de l’amour, du besoin et du désir est extrêmement flottante et poreuse. En effet, les besoins naissent des sensations immédiates et les désirs naissent des besoins. Aussi le désir est-il encore un besoin du plaisir. Si le désir se distingue du besoin en ce que le besoin a une origine purement biologique, organique, et se rapporte aux sensations immédiates, tandis que le désir est la prise de conscience de ce besoin naturel, besoin et désir diffèrent ainsi par leur nature mais se confondent dans leur objectif : ils poursuivent la même quête du plaisir souligne Destutt de Tracy :

  • 57 Destutt de Tracy, Éléments d’idéologie, Partie 1, Idéologie, Paris, Madame Veuve Courcier, 1817, p (...)

Vous savez tous ce que c’est que désirer ; vous l’avez éprouvé : vous avez senti bien des désirs, et de très vifs. On donne le nom de volonté à cette admirable faculté que nous avons de sentir ce qu’on appelle des désirs. Elle est une conséquence immédiate et nécessaire de la singulière propriété qu’ont certaines sensations de nous faire peine ou plaisir, et des jugements que nous en portons ; car dès que nous avons jugé qu’une chose est pour nous ce que nous appelons bonne ou mauvaise, il nous est impossible de ne pas désirer d’en jouir, ou de l’éviter. […]57.

19Le désir provoque un trouble qui détermine la volonté : il cherche inéluctablement à se satisfaire car le désir est jouissance et plaisir lorsqu’il est satisfait, douleur lorsqu’il ne l’est pas, confirme Lancelin :

  • 58 Lancelin, Introduction à l’analyse des sciences, op. cit., II, p. 12-13.

Tandis que l’animal ne connaît pas beaucoup d’objets agréables, il est presque sans désirs, sans besoins et sans passions ; mais à mesure qu’il en découvre de nouveaux, il éprouve à l’instant la volonté d’en jouir, et cette volonté est un besoin ; ce besoin, s’il est satisfait, devient jouissance ; dans le cas contraire, c’est le malaise qui est suivi ou accompagné d’une agitation intérieure que je nomme inquiétude. Pour sortir de cet état, l’animal se retourne en tous sens ; il emploie, pour réussir, toutes les ressources de son corps et de son esprit, toute l’énergie de sa volonté58.

  • 59 Stendhal, DA, p. 274-275.

20Le principe de volonté des Idéologues est une réminiscence du fameux « principe d’Helvétius », ce « plus grand philosophe qu’aient eu les Français » qui « commit la petite maladresse d’appeler ce principe l’intérêt, au lieu de lui donner le joli nom de plaisir59 » rectifie Stendhal car :

  • 60 Ibid., p. 275.

Dans presque tous les événements de la vie, une âme généreuse voit la possibilité d’une action dont l’âme commune n’a pas même l’idée. À l’instant même où la possibilité de cette action devient visible à l’âme généreuse, il est de son intérêt de la faire. Si elle n’exécutait pas cette action qui vient de lui apparaître, elle se mépriserait soi-même ; elle serait malheureuse. […] Il est contre sa nature, il est impossible que l’homme ne fasse pas toujours, et dans quelque instant que vous vouliez le prendre, ce qui dans le moment est possible et lui fait le plus plaisir.60

  • 61 Helvétius, De l’Esprit, Paris, Durand Librairie, 1758, p. 322.
  • 62 Ibid., p. 326.
  • 63 Hobbes, De la Nature humaine, op. cit., p. 65-66.
  • 64 Ibid., p. 101.
  • 65 Ibid., p. 100.

21En effet, Helvétius, après avoir affirmé que toute passion n’est « qu’un développement de la faculté de sentir61 » et donc soumise aux nécessités du corps, estime en conséquence qu’elle se trouve également dans l’amour du plaisir, car « […] l’homme n’étant, par la nature, sensible qu’aux plaisir des sens, ces plaisirs, par conséquent, sont l’unique objet de ses désirs62 ». Ainsi que l’a formulé Hobbes, « le plaisir, l’amour, l’appétit ou le désir sont des mots divers dont on se sert pour désigner une même chose envisagée diversement63 » car l’amour n’est qu’» une conception qu’un homme a du besoin où il est de la personne qu’il désire64 », un « désir indéfini qu’un sexe a pour l’autre, désir aussi naturel que la faim65 ». D’après sa lecture de Hobbes, Stendhal note ainsi dans sa Filosofia nova :

  • 66 Stendhal, FN, II, p. 73. Voir Hobbes, De la Nature humaine, op. cit., p. 67-68.

Nous voyons une femme, nous nous rappelons que la jouissance d’une femme est un bien, nous concevons le désir d’avoir celle-ci. Elle est notre but, lorsque nous atteignons ce but le plaisir que nous sentons se nomme jouissance. Ainsi le bien et la fin sont la même chose envisagée diversement66.

  • 67 Ibid., p. 90.

22Ainsi, « l’amour pour une femme est un besoin. Car tout désir suppose besoin et il est un désir et souvent une passion suite de désirs67 » conclut-il logiquement en se souvenant sans doute de la définition de la passion selon Condillac :

  • 68 Condillac, Traité des sensations, éd. de Londres, Paris, Barrois aîné, 1788, p. 51. « On a de la p (...)

Une passion est un désir dominant. Ils n’ont, par exemple, jamais plus de violence, que lorsque les facultés de la statue se portent à un bien, dont la privation produit une inquiétude d’autant plus grande, qu’il diffère davantage de la situation présente. En pareil cas, rien ne la peut distraire de cet objet : elle se le rappelle, elle l’imagine ; toutes ses facultés s’en occupent uniquement. Plus par conséquent elle le désire, plus elle s’accoutume à le désirer. En un mot, elle a pour lui ce qu’on nomme passion ; c’est-à-dire, un désir qui ne permet pas d’en avoir d’autres, ou qui du moins est le plus dominant68.

23Et la passion, en tant que désir dominant, cherche nécessairement à se satisfaire.

  • 69 Article « Plaisir », Encyclopédie, op. cit., article « Plaisir », XII, p. 689.
  • 70 Chicaneau de Neuville, article « sensation », Dictionnaire philosophique, ou Introduction à la con (...)
  • 71 Maine de Biran, Le Premier Journal, Œuvres, P. Tisserand (éd.), Paris, Alcan, 1920, I, p. 103.
  • 72 Ibid., p. 104.
  • 73 Ibid., p. 99.
  • 74 Destutt de Tracy, De l’Amour, op. cit., p. 10.
  • 75 Volney, La Loi naturelle, suivie de Leçons d’histoire, J. Gaulmier (éd.), Paris, Garnier, 1980, p. (...)
  • 76 Stendhal, SE, p. 445.
  • 77 G. Rannaud, « Dernier Stendhal, Stendhal posthume », Le Dernier Stendhal (1837-1842), Actes du col (...)

24Stendhal n’échappe pas à la tendance sensualiste de son siècle et à la réhabilitation significative des plaisirs sensuels qui acquièrent une légitimité significative dans les théories de l’amour. De Diderot à Maine à Biran, la notion de plaisir constitue un principe fondamental dans l’appréhension des passions. Du point de vue de la morale, Diderot estime que « le plaisir est un sentiment de l’âme qui nous rend heureux du moins pendant tout le temps que nous le goûtons ; nous ne saurions trop admirer combien la nature est attentive à remplir nos désirs69 ». « Le plaisir est une sensation agréable que causent sur nous les objets qui y ont du rapport : c’est le sentiment d’une âme satisfaite, qui a obtenu ce qu’elle désirait, et qui se complaît dans la jouissance70 » renchérit le philosophe épicurien Neuville. Dans la lignée des philosophes sensualistes, Maine de Biran affirme également que le plaisir, voluptas, est conditionné par le désir dont la vivacité augmente les facultés car « nos désirs et nos facultés ont une influence mutuelle et réciproque […]. L’expérience et le sentiment intime démontrent que plus les désirs sont vifs, plus les facultés s’augmentent71 ». Il soutient donc que « le bonheur consiste en une suite de désirs alternativement satisfaits et renaissants72 ». Cette apologie du bonheur dans le plaisir et le désir conduit naturellement Maine de Biran à promouvoir les passions et à conclure à leur nécessité car « la volupté est le souverain bien73 ». D’une manière générale, les Idéologues ont rejeté, dans la lignée des philosophes libertins, des matérialistes et des sensualistes, l’idéalisme et l’amour platonique. Tracy dénigre ainsi les Grecs, qui ont inventé l’amour platonique, une aberration selon lui, « une union pure des âmes dépouillées de tout lien matériel, une sorte de folie intérieure, une véritable autopsie [dénichée] dans le royaume des chimères74 », car, souligne Volney, elle engendre la chasteté qui « n’est utile ni à la société où elle a lieu, ni à l’individu qui la pratique ; elle est même nuisible à l’un et à l’autre75 ». Stendhal lui-même fera de la chasteté « une vertu bien comique76 ». Ainsi que l’a très justement fait remarquer Gérald Rannaud, « la Muse de l’impuissance n’eut jamais pour lui aucun attrait77 ».

  • 78 « On fait maintenant peu de cas de l’amour platonique : on lui préfère l’amour physique ; et celui (...)
  • 79 Stendhal, FN, II, p. 213.

25Toutefois, alors qu’Helvétius affirme, en parfait disciple de Buffon, que, puisque l’homme n’est naturellement sensible qu’aux plaisir des sens, l’amour physique est donc l’amour supérieur78, Stendhal s’érige contre cette conclusion naturaliste, estimant que, si « Helvétius et Buffon disent qu’il n’y a que l’amour physique de bon », « les philosophes les plus constants peuvent se tromper quand ils parlent de passions violentes. Car très souvent ces sages sont des gens froids qui ne les ont éprouvées que dans un petit degré79 ». Toute passion réside originellement dans le désir, mais ce sont la violence et la durée du désir enrichi de la sympathie qui l’érigent en véritable passion amoureuse. La véritable nature du plaisir est donc de se manifester dans la concrétisation du désir mais ce désir est double, sensuel et spirituel. En effet, le désir d’avoir du plaisir est intimement lié au désir de plaire, c’est-à-dire d’inspirer l’amour, dans l’heureuse alliance des sensations et des émotions pour laisser libre cours à l’érotisme car les sensations physiques s’amplifient par les sensations spirituelles : l’amitié, l’estime, la pudeur. viennent soutenir en force et en puissance la sexualité pour lui donner sa véritable valeur érotique. L’amour est certes à l’origine un besoin physique, une conception immédiate qui vient des sens, mais qui se conjugue aux plaisirs de l’esprit pour devenir un désir dominant, une véritable passion et non pas seulement une velléité physique.

Désir de plaire et plaisirs du cœur et de l’esprit

  • 80 Lancelin, Introduction à l’analyse des sciences, op. cit., II, p. 24.

26Tandis que le désir des sens, en tant que développement des déterminations instinctives sexuelles, est naturel, animal et s’oriente vers des objets indifférenciés, le désir du cœur renferme un plaisir de l’esprit et s’oriente vers un désir de plaire à un objet précis car, remarque Lancelin : « Si l’amour physique ou sexuel est [une] violente attraction des corps, […] on peut dire que l’amour moral ou l’amitié est l’attraction des âmes80. » Or, explique Cabanis :

  • 81 Cabanis, Rapports du physique et du moral, op. cit., p. 535-541.

Ces dernières attractions ne s’exercent plus au hasard : c’est dès lors avec choix que les corps se recherchent ; c’est avec préférence qu’ils s’unissent ; et plus les combinaisons s’éloignent de la simplicité de l’élément, plus aussi, pour l’ordinaire, elles offrent dans leurs nouvelles affinités, de ce caractère d’élection dont les lois paraissent constituer l’ordre fondamental de l’univers81.

  • 82 Helvétius, De l’esprit, op. cit., p. 499.
  • 83 Maine de Biran, Les Discours philosophiques de Bergerac, op. cit., p. 64-66.

27Contrairement à ce qu’a pu affirmer Helvétius, qui estime que « l’esprit est […] étranger au sentiment de l’amour82 », la sympathie morale, et d’une manière générale tous les sentiments de l’âme et du cœur dérivent du rapport entre les affections internes et l’intelligence. Maine de Biran a d’ailleurs classé les passions en fonction de la nature de ce rapport : tandis que dans « la passion proprement dite une et complète », qui suppose « la nullité de conscience », absorbée par la puissance de l’instinct, l’être passionné agit comme un automate, la passion mixte associe équitablement les affections immédiates et l’intelligence au point de les confondre totalement : c’est alors la symbiose parfaite, l’équilibre de l’âme et du corps car c’est « toujours ainsi dans les points de contact de deux vies et dans leur participation égale ou commune que se trouvent nos sentiments les plus doux, nos jouissances les plus ineffables83 ». En effet, tandis que le désir qui émane du sixième sens est identique pour tous puisqu’il relève de la part d’animalité dans l’homme, le désir de plaire est un plaisir de l’esprit qui se développe parallèlement en affichant une préférence marquée pour un individu déterminé, non un corps seul mais un corps doté d’une âme, qui est cherchée à travers le corps, ainsi que l’a expliqué Vauvenargues à Stendhal :

  • 84 Vauvenargues, Introduction à la connaissance de l’esprit humain, Œuvres complètes, H. Bonnier (éd. (...)

Or j’ai dit qu’il était possible que l’on cherchât dans l’amour quelque chose de plus que l’intérêt de nos sens. […] Quelle est la raison de cela ? c’est que chaque beauté exprime un caractère tout particulier ; et celui qui entre le plus dans le nôtre, nous le préférons. C’est donc le caractère qui nous détermine quelquefois ; c’est donc l’âme que nous cherchons, on ne peut me nier cela. Donc tout ce qui s’offre à nos sens ne nous plaît alors que comme une image de ce qui se cache à leur vue ; donc nous n’aimons alors les qualités sensibles que comme les organes de notre plaisir, et avec subordination aux qualités insensibles dont elles sont l’expression ; donc il est au moins vrai que l’âme est ce qui nous touche le plus. Or ce n’est pas aux sens que l’âme est agréable, mais à l’esprit […]84.

  • 85 Stendhal, DA, p. 31.
  • 86 Ainsi que l’écrit également Lancelin : « Les animaux n’éprouvent guère que l’amour physique ; […] (...)
  • 87 Destutt de Tracy, De l’amour, op. cit., p. 2.

28Or, la cristallisation stendhalienne n’est-elle pas ce plaisir et cette « opération de l’esprit85 », cet agent transformateur qui repose sur le principe de sympathie pour débusquer sans cesse de nouvelles richesses dans l’objet désiré et conduire à l’amour ? L’amour s’enracine donc grâce à l’intervention de la vie spirituelle : le plaisir se détache du seul besoin organique, de l’appétit sexuel indifférencié du sauvage86. Sans les plaisirs du cœur et de l’esprit, l’amour resterait en effet un besoin physique, une sensation sans sentiment. Tracy soutient encore que si le désir sensuel est une composante de l’amour, il n’est pas encore l’amour, « il n’en est qu’une partie et pour ainsi dire la base87 » car :

  • 88 Ibid., p. 2-3.

L’amour n’est pas seulement un besoin physique. C’est une passion, un sentiment, un attachement d’individu à individu. Même dans les êtres dont le moral est le moins développé, et jusque dans beaucoup d’animaux, il vit de préférence, il n’est pas toujours déterminé par la seule beauté ; le plaisir d’aimer et d’être aimé y a autant ou plus de part que celui de jouir. La preuve en est que la jouissance forcée est très imparfaite ; elle est même physiquement pénible ; et la jouissance trop partagée ou trop facile est sans saveur parce qu’elle ne prouve pas le sentiment. Le consentement est donc un de ses charmes, la sympathie, un de ses plus grands plaisirs88.

  • 89 Stendhal, DA, p. 114.

29Stendhal reconnaîtra également, à la suite de ses lectures tracyennes, que le principe de sympathie est un élément primordial pour l’effet sur le bonheur d’un couple car « s’il y a le naturel parfait, le bonheur de deux individus arrive à être confondu. À cause de la sympathie et de plusieurs autres lois de notre nature, c’est tout simplement le plus grand bonheur qui puisse exister89 ». L’instinct de sympathie que les Idéologues ont contribué à mettre en évidence en faisant concourir les plaisirs des sens dans le développement du désir se mue en sympathie réelle, en désir dominant et donc en passion lorsqu’il se conjugue au désir de plaire et aux plaisirs de l’esprit. À la suite de sa lecture approfondie de Hobbes, Stendhal avait déjà relevé que « le désir d’avoir une femme est composé de deux adhésions différentes » :

  • 90 Stendhal, FN, II, p. 90-92.

1° le désir de plaire,
2° le désir d’avoir du plaisir.
Or le désir de plaire n’est point un plaisir des sens, mais c’est un plaisir de l’esprit qui consiste dans la conception ou l’image du pouvoir que l’on a de donner du plaisir à un autre.
Cette distinction est lumineuse. Le plaisir des sens ou pour mieux dire du sens, doit être le même chez toutes les nations. L’autre varie et augmente à mesure que la civilisation se perfectionne. […]
Chercher à décomposer toutes les forces qui font agir les hommes en désirs ou forces particulières.
Par exemple90 :

  • 91 Ibid., p. 139.
  • 92 Stendhal, SE, p. 432.
  • 93 Stendhal, DA, p. 33.
  • 94 Ibid., p. 49.
  • 95 Ainsi que le précise Vauvenargues, « dans l’amitié, c’est l’esprit qui est l’organe du sentiment ; (...)
  • 96 H. Delacroix, La Psychologie de Stendhal, Paris, Félix Alcan, 1918, p. 241.
  • 97 Stendhal, DA, p. 28.
  • 98 Stendhal, FN, I, p. 295.
  • 99 Stendhal, FN, I, p. 295.
  • 100 Stendhal, DA, p. 114.
  • 101 « L’amour sentiment vient revêtir en les dilatant encore, toutes les formes de l’amour sensation. (...)
  • 102 C’est ce que Stendhal explique à sa sœur Pauline en 1807 lorsqu’il lui écrit qu’» une passion est (...)

30Ce schéma est essentiel dans l’appréhension du processus érotique tel que le conçoit Stendhal et éclaire une large partie de De l’amour. La plupart des exégètes stendhaliens ont en effet souligné que Stendhal « expédiait » l’amour physique en quatre lignes pour mieux se concentrer sur le développement de l’amour passion. En réalité, l’amour physique est un champ essentiel dans l’univers stendhalien de l’amour-passion, car « la faculté générative », cette faculté du « corps à travers lequel passent tous les plaisirs influe sur l’âme91 ». Si De l’amour était un plaidoyer pour l’amour platonique, pourquoi Stendhal écrirait-il dans ses Souvenirs d’égotisme à propos de Métilde : « Je quittais, après trois ans d’intimité, une femme que j’adorais, qui m’aimait et qui ne s’est jamais donnée à moi. J’en suis encore après tant d’années d’intervalle à deviner les motifs de sa conduite92 » ? La dernière grande question de l’amant à l’issue de la seconde cristallisation est d’ailleurs : « Comment faire pour obtenir d’elle la plus grande preuve d’amour possible ? » car « elle me donnerait des plaisirs qu’elle seule au monde peut me donner93 ». Et si la cristallisation est lente, c’est qu’en amour, « notre vanité dédaigne une victoire trop facile, et dans tous les genres, l’homme n’est pas sujet à s’exagérer le prix de ce qu’on lui offre94 ». De fait, ce n’est pas tant l’amour physique que notre auteur condamne que la brutalité et la bestialité de l’acte sans la maturation nécessaire du désir, sans l’exaltation spirituelle et sentimentale qui conduit aux plaisirs de l’âme. Car, l’amour, à la différence de l’amitié, s’adresse aux sens et ne saurait renier son origine charnelle95, mais s’il est suscité par le désir physique, il ne s’y réduit pas, il n’en est pas la seule expression. Là réside le principe de la sensualité, dans ce « vertige mental » qui vient compliquer et enrichir le « vertige sensoriel96 ». C’est précisément la théorie que Stendhal expose dans son schéma. Ce dernier ne laisse-t-il pas supposer en effet que le point A est l’âme, point de convergence des interactions fondamentales entre le cœur et la tête qui se recoupent sous la faculté générale de la sensibilité, rejoignant par là-même les théories de Lancelin, Cabanis et Tracy sur les rapports essentiels entre le physique et le moral ? Car il apparaît, à travers l’observation de ce schéma, que le segment [PA], qui désigne les plaisirs du corps, évolue conjointement au segment [QA], qui désigne les plaisirs de l’esprit, et que ces deux segments se rejoignent au point A qui désigne les plaisirs de l’âme et du cœur, c’est-à-dire l’accord de la sensation et du sentiment, point de départ de l’amour-passion et de la cristallisation. Ce qui corrobore la théorie que Stendhal développe dans De l’amour en affirmant que « ce qu’il y a de sûr, c’est qu’à quelque genre d’amour que l’on doive les plaisirs, dès qu’il y a exaltation de l’âme, ils sont vifs et leur souvenir entraînant97 ». Si Stendhal ne parvient pas clairement à déterminer les interactions et les influences entre les différents éléments, il admet en revanche la coopération qui s’opère entre eux dans le domaine des passions, dont les plaisirs dépendent à la fois de ceux de l’âme et de ceux du corps, lorsqu’il consigne dans ses Pensées, à la suite de Descartes, qu’» au reste, l’âme peut avoir ses plaisirs à part ; mais pour ceux qui lui sont communs avec le corps, ils dépendent entièrement des passions, en sorte que les hommes qu’elles peuvent le plus émouvoir sont capables de goûter le plus de douceur en cette vie98 ». Il répond ainsi à cette question qu’il se posait : « Quels sont les motifs des actions des hommes ? Est-ce la recherche du plaisir, comme dit Virgile ? Est-ce la sympathie99 ? » : l’une est conditionnée par l’autre car si « le naturel du penchant du cœur est de voler au plus grand plaisir100 », c’est que la véritable nature du plaisir est de se réaliser dans et par la coïncidence de « l’amour sensation » et « l’amour sentiment », selon l’expression d’H. Delacroix101. Au reste, si l’on décompose les étapes de l’amour-passion définies par Stendhal dans De l’amour, l’on s’aperçoit qu’elles vérifient en tous points le schéma élaboré dans la Filosofia nova : la sensibilité au plaisir provoqué par l’ébranlement du sens de la vue, bientôt suivi par celui des autres sens, génère le désir sensuel, qui est une anticipation des plaisirs estimés dans l’étape 2, et qui aboutit naturellement à l’étape 3, qui contient tout à la fois un plaisir de l’esprit (l’étude des perfections) et l’espoir de concrétiser le désir102 :

  • 103 Stendhal, DA, p. 30.

1° L’admiration.
2° On se dit : Quel plaisir de lui donner des baisers, d’en recevoir, etc. !
3° L’espérance.
On étudie les perfections ; c’est à ce moment qu’une femme devrait se rendre, pour le plus grand bonheur physique possible. Même chez les femmes les plus réservées, les yeux rougissent au moment de l’espérance ; la passion est si forte, le plaisir si vif qu’il se trahit par des signes frappants103.

  • 104 Ibid., p. 30-31.

31Et l’espérance fait naître l’amour, puisqu’il s’écoule « un clin d’œil » entre l’espérance et l’amour, qui déclenche immédiatement la cristallisation. L’amant est alors prêt à se détailler « tout son bonheur avec une complaisance infinie. Cela se réduit à s’exagérer une propriété superbe, qui vient de nous tomber du ciel, que l’on ne connaît pas, et de la possession de laquelle on est assuré104 ». Aussi l’amour passion concerne-t-il la totalité du sujet désirant, qui aime corps et âme et souhaite ardemment la réciprocité des sentiments et l’union sensuelle avec l’objet de son désir amoureux. C’est ce que défend Stendhal lorsqu’il recopie ce passage dans la notice sur Le Chapelain, qu’il rédige à la fin de son De l’amour :

  • 105 « De toute antiquité il y a en amour quatre degrés différents :
    Le premier consiste à donner des es (...)

Ab antiquo igitur quatuor sunt in amore gradus distincti :
Primus : in spei datione consistit.
Secundus : in osculi exhibitione.
Tertius : in amplexus fruitione.
Quartus : in totius concessionepersonae finitur105.

32En effet, selon Le Chapelain :

  • 106 Le Chapelain, traité de l’amour courtois, C. Buridant (éd.), Paris, Klincksieck, 2002, p. 47.

L’amour est une passion naturelle qui naît de la vue de la beauté de l’autre sexe et de la pensée obsédante de cette beauté. On en vient par-dessus tout de posséder les étreintes de l’autre et à désirer que, dans ces étreintes, soient respectés, par une commune volonté, tous les commandements de l’amour106.

33C’est le principe même de la cristallisation, qui repose fondamentalement sur un désir d’union qui présuppose que l’amour soit né, c’est-à-dire que les amants aient entre eux des affinités.

  • 107 C. Warman, « La cristallisation à la mode, ou le vocabulaire de la matière amoureuse », Actes du c (...)
  • 108 C. Encyclopédie méthodique, Chimie, « Cristallisation », Panckoucke, 1805, IV, p. 84, cité par C. (...)
  • 109 Ibid.
  • 110 « C’était cette similitude de formes qui, dans un temps où l’étude de la cristallisation était à p (...)

34À ce titre, ainsi que l’a suggéré C. Warman107, Stendhal n’aurait-il pas emprunté non seulement au vocabulaire mais également aux démonstrations scientifiques de la cristallographie, alors très en vogue dans les années 1820 grâce aux travaux du scientifique R. J. Hauy, pour étayer ses propres raisonnements ? La cristallisation est en effet, selon la définition qu’en donne l’Encyclopédie méthodique Panckouke en 1805, « ou la propriété qu’ont les corps de prendre une forme régulière, ou l’art de la leur faire prendre108 ». C’est une réaction chimique qui permet aux corps irréguliers de devenir réguliers par le rapprochement de leurs molécules écartées. Ce principe suppose donc qu’elles aient au préalable des affinités entre elles car « la cristallisation ne s’opère qu’en vertu de l’attraction entre les molécules, ou de l’affinité d’agrégation qui tend à les rapprocher et à les faire adhérer les unes aux autres109 ». R. J. Hauy a d’ailleurs rapporté que la figure emblématique de l’histoire naturelle européenne au xviiie siècle, le botaniste suédois Carl von Linné, avait rapproché le modèle de la cristallisation de celui de la fécondation sexuelle110. Cette idée est assez analogue à celle que s’en est fait Stendhal qui aurait appliqué ce principe à la matière amoureuse.

  • 111 Stendhal, DA, p. 29.
  • 112 Stendhal, 21 septembre 1811, Journal, I, p 770.
  • 113 Stendhal, DA, p. 29.
  • 114 Ibid., p. 31-32.
  • 115 « L’érotisme naît moins de la précision de la description que du choix de quelques détails signifi (...)

35On distingue donc chez Stendhal une dimension pragmatique du désir que l’on aperçoit chez les sensualistes et les Idéologues mais à la différence de Tracy et Helvétius pour lesquels l’amour signifie avant tout amour physique lié à un principe d’intérêt, celui de l’instinct de reproduction chez l’Idéologue ou celui de la jouissance physique chez le sensualiste, Stendhal préfère remplacer le terme intérêt par « le joli nom de plaisir ». En effet, « le plaisir physique étant dans la nature, est connu de tout le monde111 » et est donc potentiellement un élément commun aux quatre types d’amour décrits par Stendhal dès le chapitre I de De l’amour. Mais le plaisir physique dans la conception stendhalienne est lié à l’exaltation de l’âme. Car, ce que Stendhal avait déjà souligné dans son Journal, c’est « que le plaisir parfaitement pur ne peut venir qu’avec l’intimité. The first time, c’est une victoire ; in the three suivantes, on acquiert l’intimité. Vient ensuite le bonheur parfait, si l’on a affaire à une femme d’esprit, d’un grand caractère, et que l’on aime112 ». Si, pour Stendhal, « les transports de l’amour-passion » valent bien mieux que « les plaisirs du corps113 », c’est que les plaisirs physiques ne doivent pas se confondre avec le plaisir : les plaisirs sont l’héritage culturel du libertinage, le plaisir ne peut être pleinement révélé que par et dans l’amour-passion. Alors a priori peuvent se conjuguer amour physique et plaisir physique, dans une union des corps qu’aura précédée une union des cœurs car « à l’autre extrémité de la civilisation, [Stendhal] ne doute pas qu’une femme tendre n’arrive à ce point, de ne trouver le plaisir physique qu’auprès de l’homme qu’elle aime114 », idée vérifiée par la fiction de Lamiel, ainsi que nous l’analysons dans la seconde partie de cet ouvrage, mais également par la révélation érotique de Madame de Rênal qui, au lendemain de sa première nuit avec Julien, s’étonne encore de ce qu’un tel bonheur puisse exister115.

  • 116 P.-L. Rey, DA, notes, p. 421.

36Ainsi la cristallisation définie par Stendhal dans De l’amour ne tend-elle pas à devenir une solution imaginaire stérilisante comme l’on a souvent voulu le voir. Dans ses commentaires sur De l’amour, P.-L. Rey estime en effet que « l’érotique stendhalienne, au sens de science de l’amour, s’avère […] résolument idéaliste, et tend à dissocier l’âme et le corps (ce qui s’incarne dans l’opposition entre Werther et don Juan), et même la promesse et la réalité […]116 » alors qu’elle ne tend au contraire qu’à réconcilier l’âme et le corps : l’objectif de la cristallisation est, pour l’amant, d’être arrivé à maturité en termes de sentiments amoureux pour s’assurer une possession physique procurant du plaisir physique, c’est-à-dire une relation épanouissante dans la mesure où les corps pourront se rencontrer dans une réelle communion d’âmes.

37Ainsi la boucle érotique se forme-t-elle : penser, c’est sentir, et sentir c’est désirer. Toute passion suppose désir donc toute passion est le développement d’un besoin, tout amour a donc une assise sensible, sensitive et sensuelle, mais c’est la continuité du désir enrichi de la force des sentiments moraux qu’il développe avec le concours de l’imagination qui détermine l’amour-passion. Alors que le besoin est purement organique, le désir du plaisir et le plaisir du désir relèvent de représentations mentales. L’imagination est donc intimement liée aux passions, c’est par son entremise que le désir passe du statut d’appétit et de simple velléité à celui de passion. Elle est le point de départ de la cristallisation et le lieu de tous les fantasmes.

Notes

1 « Ce terme implique la satisfaction instinctuelle (surtout sexuelle), la perception sensible et sa représentation (la sensation). » H. Marcuse, Éros et Civilisation. Contribution à Freud, Paris, Le Seuil, coll. « Points », 1971, p. 170.

2 Stendhal, DA, p. 31.

3 Buffon, Histoire naturelle générale et particulière, Paris, éd. de Leiden, 1749, III, p. 356-370.

4 Saint-Lambert, Analyse de l’Homme et de la Femme, Œuvres philosophiques, Paris, H. Agasse, 1801, I, p. 55.

5 Lancelin, Introduction à l’analyse des sciences, ou de la Génération des fondements et des instruments de nos connaissances, Paris, Firmin-Didot et Bleuet, 1801, I, p. 29. « Les cinq sens se rassemblent et se magnifient dans un sixième, celui de l’amour » formule également M. Delon à propose de sa lecture de L’Art de jouir de La Mettrie (Le savoir-vivre libertin, Paris, Hachette Littérature, 2000, p. 35).

6 Ce sixième sens est « une autre espèce de sensation du Toucher plus parfaite, plus générale et essentielle à tous les Animaux pour la propagation de leur espèce […]. Quoique cette sensation ne soit qu’un Toucher extrêmement délicat, ce qu’elle a de commun avec tous les Sens, elle n’est pas moins très distinguée du simple Toucher, et même beaucoup plus que l’Odorat n’est distingué du Goût ; on peut même dire qu’elle a sur toutes les autres sensations une supériorité décidée […]. » Le Cat, Traité des sensations et des passions en général et des sens en particulier, Paris, Vallat-la-Chapelle, 1767, II, p. 215-217.

7 Voltaire, Dictionnaire philosophique (1764), article « Sensation », Œuvres de Voltaire, éd. Werdet et Lequien fils, Paris, 1829, XXXII, p. 215.

8 Stendhal, FN, II, p. 90. Nous soulignons.

9 Voir l’article « Fureur utérine » dans l’Encyclopédie ou Dictionnaire Raisonné des Sciences, des Arts et des Métiers, Diderot et d’Alembert (dir.), Lausanne, chez les Sociétés Typographes, 1755, VII, p. 378.

10 Destutt de Tracy, De l’Amour (1815), G. Chinard (éd.), Paris, Les Belles Lettres, 1926, p. 1-2.

11 Lancelin, Introduction à l’analyse des sciences, op. cit., I, p. 47-48 ; « les sensations qu’il nous transmet sont si distinctes de celles éprouvées par les autres parties du corps, elles sont tellement le mobile de nos passions, le principe de nos actions et de nos démarches, et l’objet si constant des poursuites de presque tous les hommes durant la principale et la plus brillante portion de leur vie, qu’il paraîtrait assez naturel d’en faire une classe à part ; mais comme elles sont (quoique très vives et les plus vives de toutes) aussi fugitives que l’éclair, et plutôt de brillantes étincelles de plaisir que la substance même d’un bonheur solide et durable, il vaut mieux les éprouver que les décrire ; […] elles appartiennent d’ailleurs au sens du toucher […]. » Ibid.

12 Ainsi que l’explique Cabanis, « les nerfs des parties de la génération, dans l’un et dans l’autre sexe, sans être en apparence fort importants par leur volume ou par leur nombre, sont pourtant formés de beaucoup de nerfs différents : ils ont des relations avec ceux de tous les viscères du bas-ventre, et par eux, ou plutôt par le grand sympathique qui leur sert de lien commun, avec les divisions les plus essentielles et l’ensemble du système nerveux. Enfin, autour ou dans le voisinage de ces parties, il en est plusieurs autres presque aussi sensibles qu’elles-mêmes, et qui concourent, par leur influence puissante et non interrompue, à les imprégner sans cesse d’une plus grande vitalité ». Rapports du physique et du moral et du moral de l’homme et lettre sur les causes premières, L. Peisse (éd.), Paris, chez J.-B. Baillière, 1844, p. 225.

13 Maine de Biran, Les Discours philosophiques de Bergerac, Œuvres, P. Tisserand (éd.), Paris, Alcan, 1925, V, p. 37.

14 Ibid., p. 43.

15 Le médecin Idéologue J.-L. Alibert utilisera ainsi l’expression d’instinct de reproduction pour définir l’» impulsion énergique […] qui a donné naissance à la plus noble, à la plus généreuse des passions humaines […] C’est la force que la nature a le plus multipliée et le plus diversifiée ; car c’est par elle que tout se renouvelle et se perpétue. » Physiologie des passions ou Nouvelle doctrine des sentiments moraux, Béchet jeune, Paris, 1825, I, p. 10.

16 Brillat-Savarin, disciple et continuateur de Cabanis et Tracy, distingue également, outre les cinq sens traditionnels, le sens « génésique ou amour physique, qui entraîne les sexes l’un vers l’autre, et dont le but est la reproduction de l’espèce. » Physiologie du goût, Paris, Charpentier, 1847, p. 29-31.

17 Balzac, Le Curé de village, (1839), La Comédie humaime, M. Bouteron (éd.), Paris, Gallimard, coll. « Pléiade », 1969, p. 549.

18 Stendhal, LL, II, p. 468.

19 Ibid., p. 635.

20 Stendhal, DA, p. 38.

21 Voir le croquis de Stendhal, « Du granit et du remplissage calcaire ou de débris de végétation ; essai de géologie morale par Blaise Durand », ML, II, p. 193-196.

22 Voir H. Spengler, Imaginaire et écriture de l’énergie dans l’œuvre de Stendhal : « La révolution entre dans la littérature », M.-R. Corredor (dir.), université Grenoble III, 2006. p. 33.

23 Voir Manuscrits stendhaliens, R301 (1), Rés. vol. 3, f° 118 v° (Bibliothèque Municipale de Grenoble). Voir également sur ce sujet la thèse de L. Garnier, La femme comme construction dans la fiction stendhalienne, thèse dactylographiée, E. Williamson (dir.), University of Oxford, 4 janvier 2008.

24 Cabanis, Rapports du physique et du moral, op. cit., p. 518.

25 P. Berthier, « Mystique, érotique et politique à Bray-le-Haut », Cahiers Stendhal, N° 1 : Stendhal et la Religion, Kingston (Canada), Queen’s University, 1984, p. 68.

26 Ibid., p. 97.

27 Ibid, p. 535-538.

28 C’est l’expression qu’utilise notamment Alibert pour désigner le « penchant qui nous détermine à rechercher nos semblables, à correspondre avec eux par une mutuelle sympathie […]. Nous lui devons nos plaisirs les plus doux et les plus naturels ; c’est le premier besoin de nos âmes. » Physiologie des passions, op. cit., I, p. 9-10.

29 Cabanis avait déjà expliqué qu’» il en est de la sympathie comme des autres tendances instinctives primordiales : quoique formée d’habitudes du système qui précèdent la naissance de l’individu, elle s’exerce par les divers organes des sens aux fonctions desquelles les lois de l’organisation l’ont liée d’avance ; elle s’associe à leurs impressions ; elle s’éclaire et se dirige par eux. La vue, l’odorat, l’ouïe, le tact, deviennent tour à tour, et quelquefois de concert, les instruments extérieurs de la sympathie. » Rapports du physique et du moral, op. cit., p. 542.

30 Maine de Biran, Les Discours philosophiques de Bergerac, op. cit., p. 56.

31 Ibid., p. 26.

32 Ibid., p. 31. Maine de Biran a sans doute largement puisé chez Cabanis qui affirmait dans ses Rapports que « la vue, en faisant connaître la forme et la position des objets, donne une foule d’utiles et prompts avertissements. Ses impressions vives, brillantes, éthérées, en quelque sorte, comme l’élément qui les transmet, ne sont pas seulement la source de beaucoup d’idées et de connaissances ; elles produisent encore, ou du moins elles occasionnent une foule de déterminations affectives, qui ne peuvent être entièrement rapportées à la réflexion. » Rapports du physique et du moral, op. cit., p. 542-543.

33 Stendhal, DA, p. 66.

34 Ibid., p. 61.

35 « […] Mais bientôt, jetant les yeux sur un lit dont les rideaux étaient à demi ouverts à cause de la chaleur, je vis un objet qui attira mon attention tout entière. C’était une jeune dame qui, malgré le bruit du tonnerre qui venait de se faire entendre, dormait d’un profond sommeil. Je m’approchai d’elle tout doucement ; et, à la clarté que la bougie me prêtait, je démêlai un teint et des traits qui m’éblouirent. Mes esprits tout à coup se troublèrent à sa vue. Je me sentis saisir, transporter […]. Pendant que je m’enivrais du plaisir de la contempler, elle se réveilla. » Ibid., p. 67.

36 Ibid., p. 68.

37 Ibid., p. 79.

38 Voir article « Amoureux », Encyclopédie, op. cit., I, p. 375.

39 K. Engelhardt, « Le langage des yeux dans La Chartreuse de Parme », Stendhal Club n° 54, 15 janvier 1972, p. 154.

40 Stendhal, CP, p. 125.

41 Ibid., p. 122-123.

42 Stendhal, FN, II, p. 47.

43 Stendhal, CP, p. 146.

44 Stendhal, 22 septembre 1804, Journal, I, p. 126.

45 13 avril 1810, ibid, p. 561.

46 14 mars 1810, ibid., p 552.

47 21 mars 1805, ibid., p. 280.

48 16 septembre 1802, ibid., p. 38.

49 Stendhal, FN, II, p. 73-74.

50 Hobbes, De la Nature humaine, ou exposition des facultés, des actions et des passions de l’âme, trad. du Baron d’Holbach (1772), Paris, Vrin, 1971, p. 100.

51 Ibid., p. 70-71.

52 Stendhal, DA, p. 28.

53 Ibid, p. 37.

54 Lancelin, Introduction à l’analyse des sciences, op. cit., II, p. 9.

55 Stendhal, FN, II, p. 126.

56 Senancour, De l’Amour, R. Etiemble (éd.), Paris, Le Club français du Livre, 1955, p. 337.

57 Destutt de Tracy, Éléments d’idéologie, Partie 1, Idéologie, Paris, Madame Veuve Courcier, 1817, p. 67-68.

58 Lancelin, Introduction à l’analyse des sciences, op. cit., II, p. 12-13.

59 Stendhal, DA, p. 274-275.

60 Ibid., p. 275.

61 Helvétius, De l’Esprit, Paris, Durand Librairie, 1758, p. 322.

62 Ibid., p. 326.

63 Hobbes, De la Nature humaine, op. cit., p. 65-66.

64 Ibid., p. 101.

65 Ibid., p. 100.

66 Stendhal, FN, II, p. 73. Voir Hobbes, De la Nature humaine, op. cit., p. 67-68.

67 Ibid., p. 90.

68 Condillac, Traité des sensations, éd. de Londres, Paris, Barrois aîné, 1788, p. 51. « On a de la passion pour un objet lorsqu’on le désire continuellement ; on a une passion forte pour ce même objet, lorsque la vie nous paraît insupportable sans lui » explique ainsi Stendhal à Pauline (29 janvier 1803, CG, I, p. 73.)

69 Article « Plaisir », Encyclopédie, op. cit., article « Plaisir », XII, p. 689.

70 Chicaneau de Neuville, article « sensation », Dictionnaire philosophique, ou Introduction à la connaissance de l’homme, Durand Guillyn, Paris, 1762, p. 454.

71 Maine de Biran, Le Premier Journal, Œuvres, P. Tisserand (éd.), Paris, Alcan, 1920, I, p. 103.

72 Ibid., p. 104.

73 Ibid., p. 99.

74 Destutt de Tracy, De l’Amour, op. cit., p. 10.

75 Volney, La Loi naturelle, suivie de Leçons d’histoire, J. Gaulmier (éd.), Paris, Garnier, 1980, p. 53.

76 Stendhal, SE, p. 445.

77 G. Rannaud, « Dernier Stendhal, Stendhal posthume », Le Dernier Stendhal (1837-1842), Actes du colloque international organisé par H. B., Revue internationale d’études stendhaliennes, Université de Paris-Sorbonne (3-4 décembre 1999), textes réunis par M. Arrous, Saint-Pierre-du-Mont, Eurédit, 2000, p. 498.

78 « On fait maintenant peu de cas de l’amour platonique : on lui préfère l’amour physique ; et celui-ci n’est pas réellement le moins vif. Le cerf est-il enflammé de ce dernier amour ? De timide, il devient brave. Le chien fidèle quitte son maître et court après la lice en chaleur. En est-il séparé ? Il ne mange point : tout son corps frissonne, il pousse de longs hurlements. L’amour platonique fait-il plus ? Non : je m’en tiens donc à l’amour physique. C’est pour ce dernier que M. De Buffon se déclare, et je pense comme lui, que de tous les amours, c’est le plus agréable, excepté cependant pour les désœuvrés. » Helvétius, De l’homme, de ses facultés intellectuelles et de son éducation, éd. de Londres, 1773, p. 220-221.

79 Stendhal, FN, II, p. 213.

80 Lancelin, Introduction à l’analyse des sciences, op. cit., II, p. 24.

81 Cabanis, Rapports du physique et du moral, op. cit., p. 535-541.

82 Helvétius, De l’esprit, op. cit., p. 499.

83 Maine de Biran, Les Discours philosophiques de Bergerac, op. cit., p. 64-66.

84 Vauvenargues, Introduction à la connaissance de l’esprit humain, Œuvres complètes, H. Bonnier (éd.), Paris, Hachette, 1968, I, p. 235.

85 Stendhal, DA, p. 31.

86 Ainsi que l’écrit également Lancelin : « Les animaux n’éprouvent guère que l’amour physique ; […] il en est à peu près de même de l’homme sauvage : ce n’est qu’à l’homme civilisé et raisonnable qu’il est donné d’ajouter aux plaisirs physiques les jouissances morales, moins vives, moins enivrantes, mais infiniment plus délicates, plus douces et surtout plus durables, puisqu’elles peuvent s’étendre à tout le cours de la vie, tandis que les autres n’ont que la vivacité et la durée de l’éclair. » Introduction à l’analyse des sciences, op. cit., II, p. 24.

87 Destutt de Tracy, De l’amour, op. cit., p. 2.

88 Ibid., p. 2-3.

89 Stendhal, DA, p. 114.

90 Stendhal, FN, II, p. 90-92.

91 Ibid., p. 139.

92 Stendhal, SE, p. 432.

93 Stendhal, DA, p. 33.

94 Ibid., p. 49.

95 Ainsi que le précise Vauvenargues, « dans l’amitié, c’est l’esprit qui est l’organe du sentiment ; [dans l’amour] ce sont les sens. Et comme les idées qui viennent par les sens sont infiniment plus puissantes que les vues de la réflexion, ce qu’elles inspirent est passion. L’amitié ne va pas si loin. » Introduction à la connaissance de l’esprit humain, op. cit., I, p. 235.

96 H. Delacroix, La Psychologie de Stendhal, Paris, Félix Alcan, 1918, p. 241.

97 Stendhal, DA, p. 28.

98 Stendhal, FN, I, p. 295.

99 Stendhal, FN, I, p. 295.

100 Stendhal, DA, p. 114.

101 « L’amour sentiment vient revêtir en les dilatant encore, toutes les formes de l’amour sensation. Son adoration plus précise rejoint cette adoration éperdue. La parenté profonde des deux amours s’affirme dans leur coïncidence et dans leur compatibilité. Peuvent-ils être l’un sans l’autre ? Et l’amour sentiment n’a-t-il pas besoin d’une matière et n’appelle-t-il pas l’amour sensation, au fond duquel il s’ébauche et qui a été sa première incarnation ? » H. Delacroix, La Psychologie de Stendhal, op. cit., p. 241.

102 C’est ce que Stendhal explique à sa sœur Pauline en 1807 lorsqu’il lui écrit qu’» une passion est la longue persévérance d’un désir : ce désir est exalté par l’idée du bonheur dont on jouirait si l’on possédait la chose désirée (qui est en même temps l’idée du malheur de l’état actuel où l’on n’en jouit pas), et par l’espérance d’atteindre ce but ; car comme Corneille l’a fort bien dit de l’amour : Si l’amour vit d’espoir, il s’éteint avec lui », 24 mars 1807, CG, I, p. 365.

103 Stendhal, DA, p. 30.

104 Ibid., p. 30-31.

105 « De toute antiquité il y a en amour quatre degrés différents :
Le premier consiste à donner des espérances.
Le second dans l’offre du baiser.
Le troisième dans la jouissance des embrassements les plus intimes.
Le quatrième dans l’octroi de toute la personne. » Ibid., p. 334.

106 Le Chapelain, traité de l’amour courtois, C. Buridant (éd.), Paris, Klincksieck, 2002, p. 47.

107 C. Warman, « La cristallisation à la mode, ou le vocabulaire de la matière amoureuse », Actes du colloque « Stendhal et la femme », Maison française d’Oxford (13-14 octobre 2006), textes réunis et présentés par L. Garnier, L’année stendhalienne, n° 9, Honoré Champion, 2009, p. 40.

108 C. Encyclopédie méthodique, Chimie, « Cristallisation », Panckoucke, 1805, IV, p. 84, cité par C. Warman, ibid.

109 Ibid.

110 « C’était cette similitude de formes qui, dans un temps où l’étude de la cristallisation était à peine naissante, avait fait penser au célèbre Linnaeus que les sels devaient être regardés comme les générateurs de la cristallisation ; que l’union de tel sel avec telle espèce de pierre était une sorte de fécondation, laquelle communiquait à la pierre la faculté de cristalliser sous la forme particulière au sel, qui faisait la fonction de principe fécondant. […] Ainsi Linnaeus croyait retrouver dans le règne minéral la base du système sexuel dont il avait tiré un parti si ingénieux relativement à la Botanique. » R. J. Haüy, Traité de minéralogie, Bachelier et Huzard, 1822, I, p. 8-9. Cité par C. Warman, ibid.

111 Stendhal, DA, p. 29.

112 Stendhal, 21 septembre 1811, Journal, I, p 770.

113 Stendhal, DA, p. 29.

114 Ibid., p. 31-32.

115 « L’érotisme naît moins de la précision de la description que du choix de quelques détails significatifs et surtout de l’atmosphère créée par le romancier. Il suggère par exemple que Mme de Rénal est frigide avant de connaître Julien. Mariée à seize ans, elle “n’avait de sa vie éprouvé ni vu rien qui ressemblât le moins du monde à l’amour… Ce n’était guère que son confesseur qui lui avait parlé de l’amour, à propos des poursuites de M. Valenod et il lui en avait fait une image si dégoûtante que ce mot ne lui représentait que l’idée du libertinage le plus abject”. Après la première nuit passée avec Julien, c’est la révélation soudaine, fulgurante : “Quand il restait à Mme de Rênal assez de sang-froid pour réfléchir, elle ne revenait pas de son étonnement qu’un tel bonheur existât et que jamais elle ne s’en fût doutée.” » R. Andrieu, « Création chez Stendhal », Regards, n° 35, mai 1998. P. Barbéris exprime également cette idée sur un ton plus gaulois dans son article « Qu’est-ce qu’un personnage littéraire au féminin ? (à propos de Louise de Rênal) », H. B., Revue internationale d’études stendhaliennes, n° 4, 2000.

116 P.-L. Rey, DA, notes, p. 421.

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