Le Clézio
|2e partie. « Esquisse d’un tableau » du paysage culturel
Figures du religieux
Texte intégral
- 1 Gilles Lipovetzky, L’Empire de l’éphémère, op. cit., p. 286.
- 2 Cf. Pascale Goetschel, Emmanuelle Loyer, Histoire culturelle et intellectuelle de la France au (...)
1La religion est partie intégrante de la culture, en ce qu’elle propose des valeurs, des pratiques individuelles et collectives qui interfèrent plus ou moins sur la vie d’une société, selon que ses préceptes fondent l’ordre social, qu’elle est bannie en tant qu’ » opium du peuple » ou réservée à la sphère privée. Son influence peut connaître des variations historiques : ainsi dans la période qui nous concerne, après la « mort de Dieu », source de déréliction pour les écrivains de l’absurde, dédramatisée par les théoriciens du postmodernisme qui annoncent son enterrement « en technicolor1 », on observe un regain d’intérêt pour les questions et les pratiques religieuses dans les années 19802, sous des formes variées, parfois exacerbées. « Le religieux », ce terme sémantiquement plus vague que le mot religion, convient pour un auteur citoyen de l’univers et ennemi des systèmes, qui ne définit et ne privilégie aucune doctrine, multipliant les références éclectiques au Christianisme (PV ; De ; TA ; CO ; EE), à L’Islam (D ; PO), à la religion juive (EE), au Taoïsme (PV), au Bouddhisme (EM ; LF ; Q). Quand il ne se penche pas sur les pratiques religieuses des Aztèques (RM) ou les rituels des populations indiennes (H ; FC). Interrogé en 1993 par Claude Cavallero, Le Clézio souligne l’évolution inévitable de notre « réflexion sur le destin de l’homme » au contact d’autres cultures :
- 3 Claude Cavallero, « Les marges et l’origine », Entretien avec J.M.G. Le Clézio, Europe, 1993, p. 1 (...)
notre pensée s’ouvre aujourd’hui à d’autres approches : la pensée bouddhiste, l’apport de l’Islam et de toutes les philosophies orientales – pensées auxquelles il convient d’assimiler désormais la culture amérindienne3.
- 4 Citons, la thèse d’Isabelle Gillet, op. cit., les ouvrages de Michelle Labbé, L'Ecart romanesque, (...)
2Complexe, le sujet des formes que prend « la spiritualité » voire la « religiosité » dans son œuvre a suscité de nombreuses analyses4, car quelle que soit l’optique choisie, le constat d’une exigence spirituelle est indéniable. Il ne s’agit pas ici de reprendre ces analyses, mais simplement de montrer en quoi l’appréhension par les personnages de la question de Dieu, la mise en scène des rites et des institutions religieuses et l’expression d’une forme très personnelle de spiritualité cristallisent quelques-unes des préoccupations contemporaines.
La question de Dieu
- 5 « Le Clézio face à face avec Godard », Propos recueillis par Alain Jouffroy et François Bott, L’Ex (...)
- 6 Alain Franz, « Le Clézio à travers la presse », West Virginia Westleyan College, Romance Notes, 18 (...)
3Lors d’une rencontre avec Jean-Luc Godard, le jeune écrivain exprimait face aux convictions du cinéaste son besoin de religion : « Il me semble que la religion donne un ton plus grandiose à la vie5 ». Mais Alain Franz résume en ces termes une autre déclaration, faite sensiblement à la même époque : « Dieu ? Il vaut mieux ne pas savoir qu’il existe sinon la vie serait insupportable6 ». Ces prises de position contradictoires relèvent moins d’une volonté de provoquer qu’elles ne s’expliquent par la tension entre cœur et raison, désir et lucidité, analysée dans L’Extase matérielle qui oppose l’aspiration au divin à la conviction qu’il est inatteignable.
4Entre fascination et rejet, cette dualité s’applique également aux rapports que les premiers protagonistes entretiennent avec la divinité. Contrairement à Meursault qu’elle laissait indifférent, la question de Dieu préoccupe les personnages lecléziens, du Procès-verbal à Terra Amata : Existe-t-il ? Qui est-il ? Comment l’homme peut-il entrer en contact avec lui ? C’est à Martin, le jeune prophète surdoué de La Fièvre, nourri de « méditations sur les textes de Ruysbroeck, [de] l’analyse de la Bible et du Mundaka Upanishad, [d’]exercices spirituels » (F 136), qu’il revient de démontrer, quasi mathématiquement, comment « Dieu, l’absolu de l’Être est aussi l’absolu de l’espace et l’absolu du temps », et d’en conclure : « Voilà pourquoi Dieu est à ce point inimaginable aux pauvres esprits des hommes » (p. 149). Ni le « Dieu sensible au cœur » de Pascal, ni l’instance morale chevillée à l’âme de Rousseau, le Dieu de Martin, « principe inextinguible, inorienté », assimilé à « la création », à « la vie », est inconnaissable, même par l’extase. Le besoin de Dieu en l’homme est décrit comme un élan mystique à la fois libre et irrépressible, et ce processus d’intensification ontologique, devenu la finalité de la quête, relativise l’importance de l’existence de Dieu pour celui-là même qui se vantait de n’avoir pas connu le doute : « Et, arrivé à ce point, oui, est-il important que Dieu n’existe pas ? Je vous le demande, est-ce important, en vérité, est-ce important ? » (p. 148)
5Détournement ironique du « surhomme » nietzschéen, les premiers héros rêvent de s’approprier les attributs de la divinité. Adam Pollo aspire sinon à l’absolu de l’Être du moins à l’Être superlatif. Sa formule « Être d’être » reprend sur le mode injonctif celle qui définit l’essence divine : « Je suis celui qui suis ». Par la pratique de la « Simultanéité » et la voie de l’extase matérielle, il tente de se soustraire au temps, de s’éprouver semblable à Dieu « puisque n’ayant ni à exister, ni à être créé » (PV 160), mais il se préoccupe encore moins que Martin d’une « communication possible avec Dieu ». L’expérience est de défi et de transgression, Adam substituant à la quête mystique l’épreuve intellectuelle, « la réflexion, la méditation lucide » (p. 161), soutenue par le vocabulaire mathématique de celui qui attend le « messie-géomètre arpenteur » et oppose à la perfection divine du cercle les vertus de la « Géométrie plane » :
Partant de sa propre chair humaine, de sa somme de sensations présentes, il s’anéantit par le double système de la multiplication et de l’identification. Grâce à ces deux données, il peut raisonner aussi bien dans le futur que dans le présent et le passé. […] Peu à peu, il s’anéantit par l’auto-création. (p. 209)
6L’enfant Chancelade massacrant les doryphores, Martin qui torture un charançon dans le bac à sable s’octroient le pouvoir divin de décider de la vie et de la mort. Besson (De), Bea B. (G) ont renoncé à Dieu, mais tandis que l’une en éprouve une sensation de force et de libération, l’autre, pris de remords, trouve refuge dans une église, adopte le conseil pascalien de se mettre à genoux, et, dans un mouvement de terreur et de sujétion, il « offre sa nuque à Dieu » (p. 194). Après une lourde confession, une longue contrition, il sort ébranlé, se fait mendiant. Mais Besson ne retiendra pas la leçon d’humilité et de soumission à la volonté divine que lui a donnée le prêtre : il choisit d’immoler ses yeux au soleil, selon un rite païen, et à l’heure de sa mort, s’élève la litanie « Je ne crois plus en Dieu. » (p. 269)
7Le silence d’un Dieu caché ou indifférent provoque la parole agressive du héros de Terra Amata. Du haut d’un toit d’immeuble, Chancelade, retrouvant des accents voltairiens, appelle ironiquement quelque nouveau « miracle » qui témoignerait de son existence :
Il y a longtemps qu’on n’a plus rien vu, par ici. Un soleil qui danse, par exemple, ou bien une traversée de la mer Rouge, ou bien un buisson ardent. Montre nous quelque chose. […] Fais apparaître un triangle, là, dans le ciel. Je t’en prie. Ou bien envoie–moi la foudre. (TA 192)
8Puis il le désacralise, lui ôte son statut d’être irresponsable et inaccessible, parce que non-nommé, en l’affublant d’un nom de magnat du capitalisme, « un nom très courant, un peu ridicule […], Jacques Loubet, profession infini et éternel… » (p. 193). Dieu, associé désormais aux intérêts des firmes capitalistes et des formes les plus corrompues de la vie moderne, se voit sommé de rendre des comptes sur les crimes commis en son nom :
Je veux dire, est-ce que ça valait la peine vraiment tout ça, ces – ces exodes, ces crimes, ces guerres, ces temples, ces tables de la Loi, ces colères et ces exterminations ? (p. 194)
9Car Martin peut bien proférer que « Dieu est au-delà de toute morale » (F 148), le spectacle de la misère des villes du Tiers monde arrache à J.H. Hogan cette question indignée qui réintroduit l’axiologie : « Comment faire […] pour croire en un Dieu qui ne soit pas laid ? » (LF 233). De façon générale, les premiers livres affichent une méfiance envers les grands systèmes théoriques d’explication du monde, accusés d’endormir la vigilance face aux dangers qui le menacent :
Il y a ceux qui expliquent avec la métaphysique, le Zen, les Vedas. Il sont tous tellement cultivés. […] Et pendant ce temps-là, toute la beauté s’accumule et toute la force, dans les machines, dans les murs des maisons, lentement, et tout tremble avant de s’écrouler. (G 189)
10Avec les cris de révolte de Chancelade, de J.H. Hogan, qui relaient le péché d’orgueil d’Adam Pollo ou de Martin, prennent fin les débats théoriques, les variations sur mysticisme et théologie, les provocations et les blasphèmes contre une instance divine, espérée et muette. Trêve de discours, à partir de L’Inconnu sur la terre, le sacré s’éprouve dans le silence d’une communion directe avec les choses et la nature, nullement inféodée aux dogmes, aux rites, aux règles qui régissent et différencient les religions institutionnelles.
Dogmes, rites, personnages charismatiques
11Martin proclame la supériorité de « l’esprit religieux » sur « l’organisation en religion » et qualifie de « simple contingence » « l’ensemble des règles qui constitue une religion » (F 147). Contre les rigidités des doctrines, l’auteur fait appel à des références multiculturelles pour aborder les questions religieuses. Assez paradigmatique de ce point de vue, Le Procès-verbal juxtapose les allusions à la Bible, telle l'image de la crucifixion appliquée au rat blanc et à Adam Pollo, ou la parabole de Giézi (PV 233), les pratiques « zen » et le symbolisme de la Kabbale : les Maisons du Ciel selon Manilius p. 204). La culture syncrétique de Martin témoigne de cette ouverture d’esprit et d’un intérêt porté au « religieux » plus qu’aux religions, dont la seule justification à ses yeux est d’ » organise[r] le sentiment de religiosité » (F 147). Mais telle est la force de l’esprit dogmatique et du besoin sectaire, telle aussi l’efficacité de l’humour leclézien, que Martin Torjman se voit promu « chef religieux » fondateur du « torjmannisme » (p. 164), et tenu de combler l’attente de ses adeptes par un discours œcuménique, « une sorte de prière pour l’humanité, où étaient salués les noms d’Auguste Comte et de Swedenborg » (p. 165) ! Agnostiques le plus souvent, les personnages font preuve de curiosité et de disponibilité à l’égard de toutes les manifestations du sentiment religieux : Laïla écoute avec le même plaisir Simone, la Haïtienne, évoquer le chant, les traditions Vaudou, « parle[r] avec les tambours » (PO 62), instruments chamaniques, et El Hadj réciter des versets du Coran (p. 141) ; dans Etoile errante, Esther, non croyante, fille d’un professeur juif, communiste et tolérant, assiste successivement à une fête religieuse catholique et à la prière du Shabbat.
12L’auteur n’hésite pas à superposer ou à croiser ces références. Il observe ainsi que les Indiens réalisent parfaitement « l’idéal zen » lorsqu’ils chantent :
Par le chant, les Indiens sont peut-être les seuls à avoir réalisé l’idéal zen. L’inutilité, la témérité de la création, ils la pratiquent, ils la vivent jusqu’au bout, c’est-à-dire jusqu’à l’absence de philosophie et de morale. (H 78)
13Il transpose le récit biblique de l’Exode à des situations contemporaines diverses. Le Cheick, Ma el Aïnine (D), Martin, l’homme de foi, dans la nouvelle « Hazaran » (M), à l’instar de Moïse, guident leur peuple vers la terre promise. Mais la sanction narrative de ces expériences ancrées dans le contexte historique et social d’une modernité impitoyable est ambiguë : la marche des hommes bleus aboutit au massacre d’Agadir et à leur éradication définitive de la scène de l’histoire ; Martin parvient à soustraire les habitants du bidonville aux projets des promoteurs immobiliers et des architectes de « la Ville Future » (M 211) sans que l’histoire ne dise quel sera leur devenir. L’actualisation du récit sacré invite à une lecture parabolique : le retour au désert des derniers survivants, comme la disparition sur « l’autre rive » des déshérités de « la Digue aux Français », suggèrent simplement que, face à la marche irrépressible de la modernité, la liberté et la dignité ne se trouvent pas nécessairement du côté du progrès et de la richesse matérielle.
14Certaines de ces références sont citées à des fins parodiques pour mieux suggérer la dégradation du sacré dans le monde contemporain : ainsi la crucifixion du rat blanc, « qui n’a pas pourri » (PV 207) dans son buisson d’épines, et celle d’Adam Pollo « dans la mollesse et le repos » (p. 211) n’ouvriront ni à l’un ni à l’autre les portes d’un paradis spirituel. L’ascension de Chancelade sur le toit d’un immeuble, pour mieux entendre la parole de Dieu, n’est pas sans rappeler Moïse recevant les tables de la Loi, mais le personnage a conscience du ridicule de sa situation dans ce décor de « cheminées », d’ » antennes de télé », de « bouches d’aération » (TA 192) où, comme dans une pièce de Beckett, il attendra en vain. Évoquant le Zen, Adam Pollo le vide de tout contenu spirituel, le réduit à une simple technique de yoga pour mieux « supporte[r] la chaleur » (PV 207), et Martin assimile la transe à l’ivresse alcoolique (F 149). Ces techniques rituelles, importées d’Orient comme succédanés spirituels à une époque « parfaite pour l’extase » (p. 146), suscitent, nous l’avons vu, la colère de J.H. Hogan contre le pillage et la dévaluation d’autres cultures par les sociétés occidentales. Révolutions renouvelle, sur un mode plus sarcastique, la critique de ces usurpations avec la figure d’un yogi décadent, entouré d’une jeunesse « paumée », et dont les discours à propos « du combat continu de parusha et de prakriti, du règne de Maya », a pour effet que « certains jours la mer ressemblait à un fleuve » ! (Rev 262)
15Le regard détaché des personnages leur fait percevoir l’incongruité de certains rituels. La présence, certes non ostentatoire, d’une « petite croix de nacre » ou d’une « médaille de la Sainte Vierge sertie d’aigues-marines » sous le corsage de Julienne R. inspire à Adam Pollo ce commentaire : « L’idée de cacher quelque chose d’un peu sacré, l’image d’un dieu, contre la partie la plus éminemment biologique d’un corps de femme, était baroque. C’était enfantin, attendrissant ou bien prétentieux. » (PV 239). Plus sérieusement, l’héroïne de Hasard élève une protestation contre l’hypocrisie de la morale sexuelle (commune à la plupart des grandes religions) : cette obligation faite aux jeunes filles de « se garder pour la nuit de noces » (Ha 145).
16Non pratiquants, les personnages lecléziens portent attention au « décorum », à la « mise en scène » des pratiques religieuses. C’est dans « une église très belle où la messe était merveilleusement chantée » (F 145) que Martin a la double révélation de sa petitesse et de la joie mystique. Dès son entrée dans la cathédrale, Besson subit aussi l’effet du cadre, mais alors impressionnant et hostile. « Les murailles froides », « l’odeur terrible de l’encens » (De 199), le silence qui vibre de sourdes harmoniques, l’image de défaite des corps « pliés » (p. 200) de vieilles dames en prière, ou encore cette femme au regard fixe, toute de violet vêtue et dont « les yeux avaient sali les joues » (p. 201), comme une allégorie de la mort, composent un tableau terrifiant : « […] c’était la force de l’obscur, du lourd, l’effroi devenu demeure. » (p. 199) Le héros laisse la peur le gagner, l’imagination dériver : l’église se métamorphose en nef battue par les flots, en « ventre de baleine », ranimant le fantasme de la dévoration ou de l’engloutissement qui s’empare souvent des personnages lecléziens dans les espaces de la modernité. La représentation du rituel de la confession n’est pas dépourvue d’ironie non plus. Besson, qui se charge de tous les péchés de l’humanité, n’est guère plus crédible que Tartuffe s’accusant d’être
Un malheureux pécheur tout plein d’iniquité
Le plus grand scélérat qui jamais ait été.
17Pourtant, la voix sans visage qui enregistre sa confession relance curieusement le chapelet inouï par une question quasi-mécanique « Quoi d’autre ? », avant de signaler l’intrus : « l’oubli n’est pas un péché » (p. 205). La musique d’orgue, qui jaillit après l’acte de contrition, semble venir parfaire l’action du lieu et du prêtre, dans un final que n’aurait pas renié Luis Bunuel.
Pris par la souffrance de l’accord aux limites de l’oreille humaine, tout courbé vers le sol par la puissance des orgues en train de se déchaîner, Besson balbutia une dernière fois les mots magiques de la honte et de l’oubli : « Mon Dieu… Parce que vous êtes infiniment bon… Infiniment aimable… Et que le péché vous déplaît… (p. 209)
18Ce sens de la dérision et cette distance disparaissent assez rapidement, les personnages se révèlent ensuite plus sensibles à la beauté, au mystère des rituels religieux – des danses sacrées à Onitsha aux rites funéraires hindous dans La Quarantaine – et à la communion dans la prière. L’émotion qu’éprouve Esther lors de la prière du Shabbat procède également de sources esthétiques ou sensorielles, du scintillement des lumières, comme des « étoiles » dans les « chandeliers dorés », de la poésie des chants comparés à « un bruit de vent ou de pluie » (EE 80), de la beauté de la langue mystérieuse. La prière est d’ailleurs définie en termes de synesthésies qui engagent la participation intense du corps :
c’était le bruit sourd des voix, où éclatait tout d’un coup l’incantation du langage, le balancement régulier des corps, les étoiles, des bougies, l’ombre chaude et pleine d’odeurs. C’était le tourbillon de la parole (p. 81-82).
19L’effet est plus saisissant encore dans les pages que Désert consacre au « Dzikr », la prière collective des hommes bleus, à vocation propitiatoire, avant la marche vers les villes du Nord. Soutenue par les instruments de musique, le crescendo du chœur des femmes et des hommes, qui répond au chant du guide, Ma El Aïnine, accompagnée par les gestes frénétiques de la danse, la prière, telle que la retranscrit Le Clézio, est essentiellement musique, rythme, qui tout d’abord relie profondément les Nomades à la nuit du désert, puis parvient, par la transe, à abolir les contingences spatio-temporelles. La prière juive et le « Dzikr » agissent semblablement : elles éloignent l’angoisse et le malheur présents, elles réalisent la communion, c’est-à-dire la fusion avec Dieu et avec une communauté, elles ouvrent le chemin vers les terres et les aubes attendues :
Esther balançait son corps, lentement, en avant, en arrière, les yeux fixés sur les lumières, et au fond d’elle la voix des hommes et des femmes appelait et répondait, aiguë, grave, en disant tous ces mots dans la langue du mystère, et Esther pouvait franchir le temps et les montagnes, comme l’oiseau noir que lui montrait son père, jusque de l’autre côté des mers, là où naissait la lumière, jusqu’à Eretzraël. (EE 82)
20Refusant de juger les pratiques religieuses des Aztèques strictement à l’aune de l’éthique du xxe siècle occidental, sans référence à une spiritualité qui lui est étrangère, Le Rêve mexicain trahit même une certaine fascination pour la violence magique des sacrifices consentis en hommage aux Dieux.
- 7 « L’archipel des mots perdus », entretien avec J.M.G. Le Clézio et Jean Grosjean, Le Nouvel Observ (...)
21Les personnages se montrent également réceptifs à la poésie des livres sacrés – le Coran, le Livre du commencement –, à l’écriture parabolique (PO 141), à la magie des récits, semblables à des « contes » (EE 182 ; CO 29-31), à l’envoûtement que produisent la musique des mots et le rythme incantatoire des phrases (EE 182-186). Bien qu'athée, Hakim doit reconnaître à propos du Coran « [qu’]il n’y a pas de poésie plus grande que celle-là » (PO 143). L’écrivain prête ainsi à ses personnages l’intérêt qu’il manifeste lui-même pour les textes religieux en dirigeant avec Jean Grosjean la collection « L’Aube des Peuples », aux Éditions Gallimard. Dans un esprit de cosmopolitisme, qui est une des composantes de sa modernité, il se propose de faire connaître les textes fondateurs de diverses civilisations, d’autant plus appréciables à ses yeux que s’y mêlent « la part de l’humain et la part du divin7 ».
22De la parodie à la poésie, du détachement à l’admiration, la perception et la retranscription des rituels religieux évoluent dans l’œuvre en même temps que disparaissent les débats métaphysiques et que les personnages parviennent à se soustraire au piège de la conscience de soi. L’accent se porte alors sur la communion, le lien, sur le religieux au sens étymologique du mot. À la confession, rite individuel et secret, succède la prière, toujours envisagée dans sa forme collective comme un moment de participation fusionnelle, d’intensification de l’être.
- 8 Sur le rôle d’initiateurs des personnages charismatiques, cf. notre étude sur Désert, op. cit., p. (...)
23Si, comme l’affirme Martin : « Dieu est au-delà de toute morale » (F 146), la ou les religions s’incarnent dans quelques personnages charismatiques, porteurs de hautes vertus morales. Ma El Aïnine, Le Hartani (D), Martin, le sage de la nouvelle « Hazaran », Le Baddawi (EE) possèdent en commun un corps maigre d’ascète, un visage illuminé par la pureté et l’éclat de leur regard : Ma El Aïnine signifie « l’Eau des yeux », et le Baddawi est le seul à avoir gardé « l’eau de ses yeux » (EE 249) dans le sinistre camp de Nour Shams. Aptes à exercer un total contrôle sur leur corps, ils revendiquent tous la pauvreté, le dénuement matériel et opposent au tourbillon avide de la vie moderne leur silence, leur désintéressement, leur intériorité. Ils rayonnent de la « lumière libérée », de la beauté de « ceux et celles qui refusent » (IT 298). Leur charisme procède d’un savoir très ancien qui les relie au cosmos : « Ils portent la beauté de la nuit, de la lumière, des musiques de l’air et des mouvements du vent. » (p. 297). Par leur exemple, ou leur enseignement qui emprunte toujours les voies simples et concrètes d’histoires imagées, ils éveillent les consciences de leurs disciples, tournent leur regard vers la beauté du monde8 : lorsque Martin a montré à la petite Alia l’espace d’où il vient, « le ciel, la terre plate, l’estuaire de la rivière qui s’ouvrait sur la mer », elle se met à regarder le ciel « comme si elle ne l’avait jamais vu » (M 198). Avec plus d’épaisseur humaine, le Père Andrès, ce prêtre frugal, pudique et dévoué aux plus démunis, marque également de son empreinte le protagoniste de Révolutions auquel il laisse « […] une impression de paix et de douceur qu’il n’avait pas connue depuis longtemps » (Rev 448).
24Malgré la beauté et la force des prières, malgré le rayonnement des personnages charismatiques, aucun des héros n’adhère à une religion « organisée ». Comme l’affirme le père d’Esther, « la religion [est] une affaire de liberté » (EE79) dans cette œuvre. Les initiateurs ne peuvent qu’aider à la révélation de la vérité intérieure des initiés. L’auteur de L’Extase matérielle exprimait sa méfiance à l’égard de la violence dogmatique des religions : « Il n’y a pas de religion qui ne soit fondamentalement terroriste, c’est-à-dire fondée sur la peur, sur la cruauté, sur la malédiction. » (EM 190) Moins sévère, le jeune métaphysicien surdoué de La Fièvre « […] reproche aussi bien au Christianisme qu’au bouddhisme, […] que cet ensemble rituel empêche le total épanouissement de l’individu en un Dieu qui lui soit propre » (F 148). Quel est donc ce « Dieu » « propre », et éventuellement commun, aux personnages de Le Clézio ?
« Le monde est vivant »
« Est-il vrai que l’au-delà, tout l’au-delà soit de cette vie ? »
André Breton (Nadja)
25Peut-on d’ailleurs parler de Dieu ? On trouve dans L’Extase matérielle cette interrogation sceptique : « s’il n’y pas de Dieu, que faire de son âme ? » (EM 195). L’auteur y renvoie dos à dos le positivisme scientifique et « les grandes synthèses transhumaines » (EM 185) qui se proposent d’élucider le mystère immanent à la vie humaine, et il affirme sa volonté de « refuser la tentation du ciel et la tentation du gouffre » (p 149), c’est-à-dire de ne pas placer la transcendance hors des limites de la vie matérielle.
- 9 Robert Kanters, « Le Clézio à la recherche de son âme », Le Figaro littéraire, 1110, 24 juillet 19 (...)
26Pourtant, l’exposé du « leclézionisme9 », pour reprendre l’expression de Robert Kanters, ne renonce pas à la part « d’absolu, de divin » en l’homme : « La grande beauté religieuse, c’est d’avoir donné à chacun de nous une AME. » (p. 125), et la tonalité religieuse de cette méditation philosophique l’apparente à une quête spirituelle. La matière, « Image terrifiante et somptueuse du monde qui n’a pas pu être créé, du monde jamais issu, jamais enfanté, et qui ne peut pas mourir » (p. 14) possède les attributs de Dieu, « celui qui est seul et de lui-même » (D 54 ; EE 182). Son règne est aussi nécessaire et absolu que l’ordre divin, et l’évocation de la mort, bien que simple modalité de la matière, retrouve le lyrisme de la prière et l’image chrétienne du retour de l’élu auprès du père : « Tu as été mon père dans la vie, mon père mort vers qui je dois un jour revenir. Celui qui est resté séparé, mais avec qui je serai confondu. » (EM 312). Mais ni abstrait ni immatériel, « cet infini a un corps, il n’est pas une idée. » (p. 14). Omniprésent dans les choses, immanent à la conscience de l’homme, c’est lui qui « donn[e] l’idée de l’absolu » (p. 311).
- 10 Ibid., p. 18.
- 11 Gerda Zeltner, « J.M.G. Le Clézio, : Le roman anti-formaliste », op. cit., p. 217.
- 12 Cf. « Le Clézio, le panthéiste magnifique », Propos recueillis par Franz-Olivier Giesbert, Le Figa (...)
27On a parlé de « matérialisme animiste10 », de « pseudo-animisme11 », quelquefois de panthéisme12 pour désigner cette conception de l’infini et de l’absolu qui affirme l’unité du monde et tente d’harmoniser matière et spiritualité, sans parvenir toutefois à définir une pensée qui échappe aux systèmes et aux étiquettes. Dans la nouvelle « Le monde est vivant », le ressentiment du « trop plein de vigueur du monde en extension » (F 189) plonge le promeneur dans un effroi sacré, quasi pascalien, entre conscience accablante de son insignifiance et « ivresse exaltante » (p. 190). « Mystère écrasant du vivant, mystère qui mérite Dieu », s’exclame l’auteur de L’Extase matérielle (p. 122). Face à la mer, il attend la révélation, « comme si on était devant une des apparitions possibles du Dieu » (IT 74). Mais la hiérophanie prend la forme la plus concrète et la plus corporelle, celle d’un « énorme animal caché qui bouge dans les profondeurs […]. Dans le roman éponyme, « Désert », affranchi des limites de l’article déterminant, est assimilé à une puissance sacrée, dotée des attributs du Dieu que prient les Nomades : l’immensité, le silence, l’immobilité, l’éternité. Dieu se manifeste dans la lumière, le vent, la nuit du désert qui lui-même s’incarne dans des personnages à qui il transmet ses attributs : « Ils étaient apparus, comme dans un rêve, en haut d’une dune, comme s’ils étaient nés du ciel sans nuages, et qu’ils avaient dans leurs membres la dureté de l’espace. » (D 9) Ainsi, l’instance spirituelle reste étroitement liée à l’étendue matérielle. Il en est de même de l’esprit des morts dont la présence perceptible dans les éléments du paysage (D 404 ; Q 255) nourrit le besoin d’infini de ceux qui restent
- 13 Cf. Mircea Éliade, op. cit., p. 128.
28Le matérialisme leclézien n’a évidemment aucun rapport avec la forme moderne du concept dans la société de consommation : se satisfaire des jouissances et des biens matériels. Il s’accompagne des mêmes vertus d’humilité, de renoncement, d’intériorité, de consentement à la douleur (EM 64-72) que l’engagement religieux. L’auteur de L’Extase matérielle et le prêtre qui confesse Besson dans Le Déluge tiennent sensiblement les mêmes propos : « Il faut s’humilier » (EM 69), « Humiliez-vous » (De 207). S’humilier cela veut dire renoncer à son orgueilleuse exigence d’unicité et d’autonomie, consentir à se tourner vers les autres, accepter de n’être « qu’une créature » (p. 208). La proximité de « l’infini caché » (IT 53) au cœur des choses oriente la vie morale et spirituelle des personnages lecléziens, ces « attentifs », dont la plupart, les enfants en particulier, disposent de la capacité d’émerveillement, de la faculté d’être « toujours ivre » qui favorisent une intense présence au monde et l’accès à une forme de surréalité, la découverte de « l’autre côté ». Que certains personnages parviennent à dépasser les limites de la condition humaine dans des expériences de vol extatique, semblables au vol des chamans, qui les unissent à la lumière ou au ciel étoilé (D 120, 207), n’implique pas « nécessairement la divinisation », comme l’explique Mircea Eliade13, mais signale le pouvoir de l’âme, la force de l’élan spirituel.
29« S’il n’y a pas de Dieu que faire de son âme ? » À cette question, l’œuvre de Le Clézio répond : rechercher l’Être, passionnément, activement, dans « l’Ici, [le] présent, [le] déployé, notre vraie demeure » (EM 184), trouver le rythme qui nous mette en accord avec « le corps infiniment exquis, infiniment divin de la matière » (F 131). Selon Parménide, « les apparences sont épiphanie de l’Être, manifestation d’une présence qu’il faut savoir interpréter, déchiffrer ». Reprenant le message de Parménide ou de Sra-Aurobindo « le monde vit, ressentez-le », la nouvelle de La Fièvre intitulée « Le monde est vivant » donne une clé qui érige l’attention poétique au monde en véritable célébration :
Voilà le monde est vivant, ainsi, en minuscules coups de boutoir, en glissades, en suintements. […] Il faut vivre avec lui, comme ça, tous les jours, couchés les joues contre le sol, l’oreille aux aguets, prêts à entendre tous les galops et toutes les rumeurs. Les nerfs plongés jusque dans la terre comme des racines, et se nourrir de sa force guerrière, incohérente ; il faut boire longtemps à sa source de vie et de mort et rester invincible. (F 195)
30La multiplication des références aux philosophes présocratiques dans Révolutions montre qu’ils restent pour l’auteur des maîtres en sagesse.
31Il est possible d’observer une évolution diachronique sur cette question du « religieux ». Les premiers livres privilégient l’interrogation métaphysique, les débats théoriques sur l’existence, l’essence de Dieu, et la recherche de techniques syncrétiques pour l’égaler ou s’en approcher. Dans les années 1960, la jeunesse occidentale, en révolte contre sa culture, se tourne vers les philosophies et les mystiques orientales. En phase avec cette actualité, Le Clézio ne s’en montre pas moins critique, suggérant l’incohérence de pratiques extatiques, vides de tout contenu spirituel. L’image d’un Dieu impersonnel, inaccessible, « le Dieu des géomètres », coexiste avec une distance ironique à l’égard des « signes extérieurs » de religiosité, des rites et des conventions. Mais lorsque la tension entre repli sur soi et mouvement vers les autres, qui caractérise les premiers protagonistes, s’estompe au profit du second terme, les personnages manifestent leur admiration pour ceux que leur foi soude à un passé, à un lieu, à une communauté, à une espérance. La rencontre des cultures amérindiennes a probablement joué un rôle important dans cette évolution qui rejoint l’aspiration contemporaine à « réenchanter » le monde. Mais la religion reste cependant dans toute l’œuvre affaire de liberté et de conviction intime : pas plus qu’ils ne sont militants politiques, les héros lecléziens ne deviennent membres d’une Église. L’intérêt et le respect pour des formes très diverses de pratiques religieuses manifeste une double résistance au dessèchement rationaliste et à l’intolérance intégriste.
- 14 Edgar Morin, L’Esprit du temps, op. cit., p. 213.
- 15 Marcel Gauchet, Le Désenchantement du monde. Une histoire politique de la religion, Paris, Gallima (...)
32Plus proche de Spinoza que de Descartes, la pensée de Le Clézio s’efforce de concilier l’esprit et la matière, qu’elle postule indissociables. Son matérialisme s’assortit d’une dimension spirituelle puisqu’il affirme l’existence d’une « part divine » en l’homme, cet élan toujours possible de la conscience vers l’absolu. En déplaçant la quête, de Dieu à l’Être, il ne place pas la transcendance dans « l’étendue immatérielle » (EM 14), mais affirme l’infini immanent à la matière, éliminant le « tragique » inhérent aux grandes religions monothéistes (EM 193). Ce faisant, son œuvre pourrait correspondre aux besoins de la société contemporaine qui, selon Edgar Morin14, souffre davantage d’un déficit d’être que de la mort de Dieu. La conscience d’une « vérité invisible dans [l’]ordre du monde, plus certaine que ses apparences15 », corroborée par la science moderne, peut conduire à une forme de spiritualité qui, observe Marcel Gauchet, n’inclut pas une appartenance religieuse. La recherche, au-delà de l’observation phénoménale, de « l’infini interne » dans chaque élément du réel, à laquelle le corps participe activement par l’hyper-esthésie, définit une relation poétique au monde. Avec le temps, l’auteur ajoutera à l’attention et à l’écoute du « monde vivant » la tendresse pour « la faiblesse » (CB 115) des hommes. Un des personnages du recueil Cœur brûle, Alice, « l’aventurière » de la solitude et de l’abnégation pour laquelle l’auteur avoue sa préférence, semble concentrer en elle les principales facettes de la « spiritualité » leclézienne :
L’étincelle est en elle, comme la source de cette lumière qui lui permet de discerner la beauté surnaturelle dans les vanités du monde, et ne se détourne jamais de la pauvreté inguérissable de la race humaine. (Ibid.)
33Une lumière venue des profondeurs de l’être, apte à déceler l’ineffable dans l’insignifiant, un ancrage résolu dans le monde imparfait des hommes : des attributs qui pourraient aussi s’appliquer à la littérature de Le Clézio.
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34Ni élitisme ni démagogie : l’œuvre de Le Clézio s’adresse à des lecteurs de goûts et de compétences culturelles variés. Les nouveaux langages de la culture de masse, les textes de chansons, les titres de films coexistent avec les équations de chimie, les préoccupations de la physique microscopique, les citations de théoriciens de la mécanique quantique, les questions métaphysiques et les références nombreuses aux diverses religions du monde, passé ou présent, en un éclectisme qui pourrait paraître assez postmoderne. Relevons une fois encore la disponibilité et l’ouverture au monde contemporain d’un écrivain si préoccupé de mobiliser le plus grand nombre de langages possibles, d’élargir l’horizon référentiel de ses livres, d’assimiler les changements de perception et de perspective suscités par les images animées ou l’observation scientifique.
35Certes, l’œuvre manifeste une lucidité critique concernant les risques d’aliénation, de soumission aux modes culturelles ou idéologiques ; elle dénonce la rigidité des systèmes de pensée ou d’analyse, et les dangers d’un modèle unique de progrès fondé sur la science et la technologie. Sont rejetées les pratiques culturelles qui cherchent à dominer : la science des « Maîtres du langage », le harcèlement des mass-média, les systèmes d’analyse et les catégories normatives des sciences humaines, le « terrorisme » des religions. De ces différents vecteurs culturels, l’auteur valorise en revanche ce qui permet de réduire les conditionnements intellectuels et culturels, les replis particularistes, les dogmatismes qui déchirent, ce qui tend à l’universel : le cosmopolitisme de la culture de masse, la remise en cause des concepts de certitude et d’objectivité sur lesquels la science tentait d’imposer sa domination, l’approche multi-référentielle et donc problématique du phénomène religieux. Les formes que prend la culture sont d’autant plus prisées que leur approche de la réalité rejoint celle des mythes : la culture de masse en s’adressant à un substrat imaginaire universel, la science en posant la question des origines de l’univers et de la vie, la religion, quand elle instaure un lien magique avec le monde. Le discours du romancier sur la culture tend à réduire les dichotomies et les hiérarchies instaurées par la société entre culture populaire et culture savante, entre sensations, émotions, et intelligence, entre matière et esprit, en accord peut-être avec la sensibilité postmoderne, avec la sagesse des Indiens présentée dans Haï, certainement.
- 16 « J.M.G.Le Clézio, Le panthéiste magnifique », op. cit.
36Les univers culturels offrent à l’écrivain une source de renouvellement et d’enrichissement de son écriture : les langages de la culture de masse, l’observation scientifique dynamisent l’imaginaire, fournissent des rythmes, des métaphores, d’autres points de vue, et libèrent des contraintes génériques, des conventions esthétiques ; la quête spirituelle oriente l’écriture romanesque vers la poésie. Le monde littéraire de Le Clézio peut absorber tous les aspects du réel et s’affranchir des limites et de la prégnance d’une culture héritée. « Pour moi, un écrivain, c’est quelqu’un qui n’a pas de terre et qui n’appartient à aucune culture16 », déclarait l’auteur à Franz-Olivier Giesbert. Mais la conquête d’une telle indépendance implique que, comme ses personnages, il ait fait le tri de ses influences et rompu des attaches, qu’il se soit révolté, qu’il ait fui avant de se trouver. Une mise en perspective de son œuvre avec les grands courants littéraires du siècle, les figures d’écrivains, qui lui ont servi de modèles ou contre lesquels il a dû se déterminer lorsqu’il est entré en littérature, rend compte de ce cheminement personnel.
Notes
1 Gilles Lipovetzky, L’Empire de l’éphémère, op. cit., p. 286.
2 Cf. Pascale Goetschel, Emmanuelle Loyer, Histoire culturelle et intellectuelle de la France au xx e siècle, Paris, Armand Colin, 1995, 2001, p. 163.
3 Claude Cavallero, « Les marges et l’origine », Entretien avec J.M.G. Le Clézio, Europe, 1993, p. 173.
4 Citons, la thèse d’Isabelle Gillet, op. cit., les ouvrages de Michelle Labbé, L'Ecart romanesque, Paris, L'Harmattan, 1999 et de Ook Chung, op. cit.
5 « Le Clézio face à face avec Godard », Propos recueillis par Alain Jouffroy et François Bott, L’Express, 9 mai 1966.
6 Alain Franz, « Le Clézio à travers la presse », West Virginia Westleyan College, Romance Notes, 18, 1977.
7 « L’archipel des mots perdus », entretien avec J.M.G. Le Clézio et Jean Grosjean, Le Nouvel Observateur, 9-15 janvier 1992, p. 85-87.
8 Sur le rôle d’initiateurs des personnages charismatiques, cf. notre étude sur Désert, op. cit., p. 37-44
9 Robert Kanters, « Le Clézio à la recherche de son âme », Le Figaro littéraire, 1110, 24 juillet 1967, p. 17.
10 Ibid., p. 18.
11 Gerda Zeltner, « J.M.G. Le Clézio, : Le roman anti-formaliste », op. cit., p. 217.
12 Cf. « Le Clézio, le panthéiste magnifique », Propos recueillis par Franz-Olivier Giesbert, Le Figaro littéraire, 18 août 1994, p. 11.
13 Cf. Mircea Éliade, op. cit., p. 128.
14 Edgar Morin, L’Esprit du temps, op. cit., p. 213.
15 Marcel Gauchet, Le Désenchantement du monde. Une histoire politique de la religion, Paris, Gallimard, NRF, Biblio des Sciences humaines, 1985, p. 295.
16 « J.M.G.Le Clézio, Le panthéiste magnifique », op. cit.
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