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Henri Queffélec, écrivain humaniste

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Pierre Dufief

Présentation

Pierre Dufief

Texte intégral

1Romancier brestois, peintre de la rude vie des humbles, marins et paysans des pointes bretonnes, Henri Queffélec fut d’abord un homme de culture, épris de musique et de peinture. Très tôt hanté par les musiques de la mer, ce « perpetuum cantabile », il consacra de nombreuses conférences à des musiciens et sa fille Anne évoque le temps où elle illustrait les propos de son père en jouant au piano.

2Catholique par tradition familiale et par conviction personnelle, Henri Queffélec nourrit son œuvre de sa foi. Il s’intéresse à la crise religieuse de l’après-guerre, s’interroge sur la déchristianisation des banlieues et témoigne sur l’expérience des prêtres- ouvriers. Chez lui le catholicisme prend des visages bien divers ; c’est une religion de résistance, de combat, comme le montre Un recteur de l’île Sein, conçu pour répondre aux Décombres de Rebatet, mais c’est aussi un idéal de paix intérieure, de paix avec le monde, avec les autres. Queffélec cultivera un catholicisme social et aura des sympathies de plus en plus marquées pour le franciscanisme. Pour lui, la religion est lien entre les hommes ; elle favorise la solidarité, suscite des enthousiasmes et fait vivre les groupes. Le prêtre doit être un meneur d’hommes, un catalyseur de consciences et l’écrivain remplit une mission presque sacerdotale en aidant à lutter contre la solitude et l’isolement. Queffélec rêve d’une solidarité universelle qui réconcilierait l’homme avec l’ensemble de la création.

3Henri Queffélec est un romancier difficile à classer, signe de la richesse et de l’originalité de son œuvre. C’est assurément un auteur réaliste, un observateur toujours aux aguets, qui sait voir et entendre, un admirateur et un continuateur de Balzac. Mais c’est aussi un poète qui s’émerveille constamment des beautés du monde. Auteur chrétien, humaniste, l’écrivain est aussi marqué par la pensée de son temps. S’il ne s’intéresse guère à l’existentialisme, il est proche de l’unanimisme de Jules Romains. Unanimiste, il garde encore son originalité ; moins intellectuel que Jules Romains, il reste ouvert aux sensations, aux forces de la nature et demeure un Breton chrétien.

4Queffélec écrivain régionaliste, alors ? Avant Michel Déon, il fut le romancier des îles et de la mer. Il aime les espaces insulaires, petits mondes clos, isolés, où les passions croissent en proportion inverse de l’espace disponible. Il peuple son œuvre de femmes, de veuves, Ouessantines ou Sénanes, écho de la situation personnelle d’un enfant élevé dans un monde de femmes après la mort d’un père tué à la guerre. Ces femmes, solidement ancrées dans la réalité, incarnent le dévouement avec les figures traditionnellement idéalisées de la mère et de l’épouse, personnages tutélaires.

5Le romancier sait jouer des subtilités de son art. Dans Le Journal d’un salaud, son premier livre, il fait varier les techniques narratives. Il alterne les points de vue dans Les Iles de la Miséricorde pour nous donner la vision collective d’un naufrage. Mais il refuse l’écriture auto-référentielle, celle qui, dans la tradition d’une certaine modernité, s’est détachée du réel pour ne plus renvoyer qu’à elle-même. Queffélec rejette le Nouveau Roman où il ne voit qu’exercices gratuits. Il nourrit son œuvre de ses observations, de ses souvenirs ; il y exprime ses valeurs sans jamais écrire de romans à thèse. L’écrivain pratique le mélange des genres, fondant volontiers roman, essai, histoire et autobiographie. Queffélec pratique une écriture très fréquemment personnelle, certaines œuvres se déclarant plus ouvertement autobiographiques. A une époque où se manifeste une certaine effervescence universitaire autour des écritures du moi, il entreprend d’écrire des mémoires, dont il donnera plusieurs versions, ce qui permet d’intéressantes reformulations.

6Ce colloque, organisé par la Faculté des lettres de Brest, l’Association des Amis d’Henri Queffélec et le Centre des Correspondances a fait revivre la mémoire de l’écrivain brestois si marqué par la destruction de sa ville. La famille du romancier, sa fille Anne, ses amis étaient là pour apporter leur témoignage. De nombreux collègues, venus de France et de l’étranger, ont dit leur intérêt pour une œuvre qui occupe une place à part dans la littérature d’après-guerre ; à une époque où l’humanisme et ses valeurs, où le récit paraissent démodés, Queffélec continue à plaider pour un unanimisme chrétien et pour une littérature ancrée dans la réalité de sa région dont il évoque si bien l’imaginaire hanté par les signes, par la mort. Tout en peignant des conflits, des déchirements, des catastrophes liées aux violences de la nature, tout en évoquant les drames ou les difficultés liés aux mutations sociales, Queffélec continue à rêver et à nous faire rêver d’harmonie et de solidarité.

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