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École et familles populaires

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Pierre Périer

Première partie. Généalogie d'une relation de dépendance

Chapitre 4. École, famille : la division du travail éducatif

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Géographique :

France

Texte intégral

«À la bonne école » : attentes et valeurs éducatives des familles populaires

1L’une des conséquences du rapprochement nécessaire des familles et de l’école engagées dans une relation obligée porte sur la complémentarité des rôles respectifs et la délimitation de leurs champs d’intervention et domaines de compétence. En s’ouvrant à différents publics et à leur environnement local, l’école reconnaît symboliquement une continuité, du moins un lien, entre son action et le milieu dans lequel évoluent les élèves. Ce qui se joue quotidiennement au seuil de la porte d’entrée des établissements et des classes est un indice de cet entrecroisement des sphères publique et privée, domestique et scolaire, avec l’enfant pour « agent de liaison ». Plus précisément, la division du travail éducatif entre parents et agents de l’institution scolaire se pose dans un contexte d’élargissement et de diversification des missions remplies par l’école et de multiplication de ses partenaires, y compris désormais la police et la justice. Soit que leurs interventions s’effectuent directement sur les temps scolaires, soit qu’elles se produisent de façon plus périphérique, à travers les activités péri ou extrascolaires (notamment par des actions d’accompagnement ou de soutien à la scolarité des élèves dans les quartiers défavorisés ou dans le cadre des animations relevant de dispositifs mis en place depuis quelques années à l’initiative des collectivités locales avec le soutien financier et technique d’institutions sociales et d’organismes de la jeunesse). Paradoxalement, la multiplication des intervenants dans le champ de l’éducation de l’enfant et la recherche de complémentarités dans les relations entre les parents de milieux populaires et l’école pourraient accentuer le brouillage des responsabilités et compétences dévolues à chacun. Comment les familles populaires conçoivent-elles le partage des responsabilités et des rôles et quelles sont précisément leurs attentes, éducatives et scolaires ? Dans quelle mesure leur mode de socialisation s’accorde-t-il au système de règles, normes et valeurs de l’école et à celui des enseignants dans la classe en particulier ?

2Posons en premier lieu que les effets de normalisation et d’acculturation de l’école sur les familles populaires ne connaissent pas de traduction uniforme. Ce processus opère en composant avec des éléments propres aux cultures populaires et fait l’objet d’un réagencement spécifique. L’analyse du poids des contraintes scolaires et, plus largement, l’impact de la scolarisation sur la socialisation familiale, nécessitent de comprendre la manière dont les parents traitent l’attente de l’école, les manières qu’ils ont de s’approprier l’enjeu de la scolarité et de le faire évoluer dans le sens de leurs intérêts et valeurs propres. Si les familles populaires font montre de capacité d’adaptation tactique face à ce que l’école préconise et valorise, principalement de manière implicite, elles sont elles-mêmes porteuses d’attentes, sans toujours les formuler explicitement, à l’égard de l’école et des enseignants. En outre, les rôles et domaines de compétences de l’école et de la famille ne sont pas figés mais se définissent relativement selon des processus qui, selon Bernard Charlot, pour « les uns sont construits dans la famille, les autres dans l’école, et le résultat dépend de l’articulation de l’ensemble. Ce qui se passe dans la famille produit ses effets en fonction de ce qui se passe à l’école ; ce qui se passe à l’école produit ses effets en fonction de ce qui se vit dans la famille » (1997, p. 76).

3L’incitation à la scolarisation dès deux ans dans les quartiers et écoles populaires, notamment en ZEP, fournit un exemple de nature à étayer cet enjeu de liaison et ses effets du côté des familles et de l’école. En effet, tout se passe comme si l’institution scolaire entendait signifier sur la base d’un territoire qui désigne prioritairement des parents préjugés moins compétents, son rôle prépondérant dans la socialisation préparatoire aux apprentissages scolaires. Ce faisant, ce type de dispositif pourrait avoir pour effet, tout comme les politiques compensatoires, de constituer des populations prioritaires au risque de la stigmatisation et d’effets de disqualification éducative. N’en concluons pas que la « restauration » de l’autorité et de la responsabilité parentales passe par une restriction en la matière. Plusieurs études convergent en effet pour souligner les bénéfices scolaires de la préscolarisation mais on ne peut faire l’économie d’une réflexion sur les effets symboliques de délégitimation parentale d’une « bonne volonté » scolaire qui n’exclut pas le contrecoup social et psychologique. Situation paradoxale car dans le même temps qu’on leur ouvre des droits, les parents accèdent à des services et spécialistes dans le domaine de l’éducation, dans et hors l’école, qui indirectement les dépossèdent d’une compétence parentale qu’ils tenaient pour acquise. Cette spécialisation et division du travail éducatif n’auraient-elles pas pour effet de « démissionner » les parents les plus démunis et les plus dominés dans leur rapport à l’école ?

4Cet exemple pose plus généralement la question des zones d’accord et des points de divergence, de malentendus et de différends, dans l’action éducative des familles et de l’école. Indiquons préalablement que si l’enfant des classes populaires n’est pas un objet d’éducation impliquant une maîtrise et une réflexivité dans les pratiques parentales soumises, sans relâche, à « l’injonction à mieux faire et la certitude d’échouer à bien faire » (Castel, 1984, p. 158) caractéristique de la nouvelle culture psychologique des classes moyennes, il n’en reste pas moins le sujet d’une éducation dispensée en suivant, de façon plus ou moins consciente il est vrai, des principes, règles de conduite, normes et valeurs morales que les parents s’efforcent d’inculquer et attendent de voir respecter. En ce sens, il est permis d’évoquer des styles d’éducation populaire qui ne se laissent pas déduire du niveau de vie et des conditions de vie mais demandent à être appréhendés à travers les pratiques, le point de vue et l’expérience des parents. L’appartenance à un même groupe social – surtout lorsqu’il est approché à partir uniquement de sa position socioprofessionnelle — ne signifie pas que les parents donnent la même éducation à leurs enfants, et l’étau des contraintes ou l’appauvrissement des conditions d’existence ne condamne pas toute forme de « stylisation » de la vie. Dans cette perspective, on s’intéresse à analyser quelques-uns des traits distinctifs de l’éducation en milieux populaires et la manière dont ils se conjuguent au mode de scolarisation. De ce point de vue, force est de constater qu’il n’y a pas toujours de cohérence entre leurs modèles éducatifs de référence et la manière dont l’école socialise les enfants. La socialisation scolaire prescrit l’apprentissage de la maîtrise de son corps, de son langage, de ses actes qui présupposent l’inculcation des normes de l’auto-contrainte, l’auto-répression de pulsions qui font l’homme « civilisé ». Ce modèle implicite sous-tend la perception des enseignants qui déplorent certaines attitudes dans la sphère domestique, le caractère « mal » ou « peu éduqué » des enfants des classes populaires. De leur côté, les familles jugent volontiers les agents scolaires trop tolérants et trop proches des élèves auprès desquels ils ne parviennent plus à s’imposer ou, à l’inverse, et ce sont parfois les mêmes, déplorent qu’ils ne soient pas davantage suivis et aidés individuellement dans leur scolarité.

  • 1 Comparant les méthodes des enseignants français et de son pays d’origine (Algérie), une mère sembl (...)

5Plus précisément, l’une des dimensions qui structure le plus fortement à la fois les pratiques éducatives dans les familles et les attentes à l’égard de l’école porte sur l’autorité et les manières de l’exercer. Dans ce domaine, les parents de milieux populaires se reconnaissent volontiers une compétence et une légitimité à la différence de tout ce qui relève de la pédagogie et des apprentissages (van Zanten, 2001). De nombreux travaux ont insisté sur les formes d’autorité caractéristiques des familles populaires et sur leur relation avec l’objectif d’adaptation de l’enfant à l’école. On a montré que, dans ces milieux, le mode de régulation de l’autorité procède plus systématiquement par la soumission à des contraintes externes et contrôle direct assorti d’éventuelles sanctions, y compris les punitions corporelles1, tandis que les classes moyennes et supérieures incitent à l’autocontrainte et à l’explicitation du sens des conduites plus qu’à leur répression. D’ailleurs, les méthodes pratiquées en milieux populaires – bien qu’évoluant sensiblement sous l’influence des modèles diffusés à travers les médias et conseils de spécialistes — suscitent la réprobation des enseignants mais ils permettent d’éclairer la nature des griefs ou attentes que les parents formulent à l’encontre de l’école dans ce domaine, ainsi que les comparaisons qu’ils peuvent établir entre l’école qu’ils ont connue et celle fréquentée par leurs enfants. Dans l’esprit des parents, les acteurs de l’institution scolaire représentent les figures d’une autorité porteuse d’exigences de politesse, de morale et d’un sens civique. Pour le dire avec les mots d’Émile Durkheim, « l’éducation doit être essentiellement chose d’autorité » (1993, p. 66), et le manquement à ce principe altère, dans l’esprit des familles, la possibilité d’un rapport pédagogique, et plus largement d’une relation entre l’adulte et l’enfant, cohérente et efficace. Le témoignage de cette mère française, d’origine marocaine, en donne toute la mesure :

« Il n’y a pas assez de discipline, je trouve. Je trouve que le prof, il doit avoir sa place de prof ! Ce n’est pas un copain des élèves, il faut qu’il ait sa place, que quand il rentre… Je ne sais pas mais au Maroc quand le prof il rentre, tout le monde est debout, toute la classe se lève et salue le prof. Et ça, je trouve ça très bien […] Alors que là le prof il rentre, l’élève peut très bien lui envoyer un mot de travers et tout et le prof… Non, il faut qu’il soit autoritaire ! Le prof à son rôle de prof, ce n’est pas un parent le prof, ce n’est pas lui qui va donner une éducation des autres. Quand il rentre dans sa classe, qu’il dise : " C’est moi le prof, tu n’es que l’élève donc tu fais ce que je te demande, un point c’est tout ". Chez moi, quand les enfants rentrent, s’ils commencent à titiller ou faire ce qu’ils veulent faire… Non ! : " Tant que tu vis chez moi c’est moi le chef, c’est moi qui commande. Tant que tu es mineur, tant que tu vis chez moi, c’est moi qui choisis pour toi et décide pour toi ". »

6Plus radicale, une mère transpose à l’école les principes éducatifs qu’elle dit observer chez elle :

« L’école c’est comme la maman. Moi je dis pour les gosses : " tu restes tranquille avec l’école, pas de bêtises, tu respectes les maîtres ". »

7Ou bien encore ce père, de 38 ans, d’origine algérienne, interrogé sur le rôle de l’école et qui répond :

« L’école doit leur apprendre le respect des gens, la discipline, savoir obéir aux règles et aux lois de l’école et de la vie. »

8Pour schématique qu’elle paraisse, cette vision illustre la place prépondérante du critère de l’autorité et de la discipline qui la soutient dans les jugements sur l’école en général et sur les enseignants en particulier. Réunis en tables rondes, des parents de milieux populaires répondant à la question de savoir ce qui, à leurs yeux, serait mieux dans l’école d’hier par rapport à celle d’aujourd’hui citent spontanément :

« Le respect »
« La discipline »
« C’était plus strict, il y avait du respect »
« Il y avait plus de sécurité. On se sentait en sécurité, il n’y avait pas d’histoires de racket, de drogue, de violence »

9À cette même question, un second groupe répond :

« Il y avait un peu plus de discipline »
« C’était plus strict »
« Le respect, parce qu’en fait maintenant, ils [les profs] ne sont pas du tout respectés »
« Sur les tenues vestimentaires, les élèves s’habillent n’importe comment »
« Il y a trop de laisser-aller »

10Pierre angulaire de leur système de perception et d’évaluation de la qualité de l’encadrement éducatif et du travail de socialisation des jeunes générations, les valeurs d’autorité, de discipline et de respect ont semblé faire l’unanimité ou presque parmi les parents, quel que soit le type d’établissement fréquenté (public ou privé) et le niveau de scolarité des enfants. De plus, elles ne préjugent pas de la qualité des enseignements reçus et des enseignants (même si, comme nous le verrons ultérieurement, les parents s’inquiètent parfois des effets scolaires du manque d’autorité dans la classe), mais soulignent les divergences voire oppositions entre leur application à l’école et ce que les parents préconisent, sans que ce soit toujours exprimé. Citons le témoignage de Françoise, dont la fille est en terminale technologique :

« J’ai rien à dire de son école, elle a de très bons professeurs mais la discipline laisse beaucoup à désirer. Ça je suis tout à fait contre. C’est sûr qu’il y a certains professeurs qui sont appelés par leur prénom, qui sont bousculés. S’il y en a en classe qui ont envie de fumer, elle [sa fille] demande la permission de sortir deux minutes dans le couloir pour fumer une cigarette, je trouve ça aberrant ! Sur les études ça va, mais il n’y a pas assez de discipline. »

11S’agissant du lycée polyvalent fréquenté par son fils (en classe de terminale), une mère déclare :

« Moi je trouve que c’est une bonne école, le niveau est assez élevé mais par contre ce que je trouve un peu désolant c’est qu’il y a beaucoup de familiarités, pas avec tous les professeurs mais avec les surveillants en général et un ou deux profs. Ça ne me plaît pas de trop parce que je vois mon fils, quand il a un problème, il va appeler le prof sur son portable et le prof le rappelle. D’un sujet de maths on va taper la discussion… C’est ce côté-là qui me gêne un peu. »

12En lien avec l’autorité qui en assure le maintien, le respect s’impose comme une valeur morale à laquelle les parents se montrent très attachés, et singulièrement peut-être les familles d’origine étrangère. Respect exigé des jeunes vis-à-vis des adultes et de la génération qui les a précédés mais attente qui s’inscrit par ailleurs dans une relation statutaire qui appelle la politesse nécessaire à la vie en commun. «La politesse, c’est le respect de chacun, c’est un peu le partage avec tout le monde », dit un ouvrier d’origine tunisienne. La déférence qu’ils attendent pour certains de voir manifester à l’égard des enseignants s’inscrit à rebours de la connivence qu’autorisent les familiarités auxquelles se livrent professeurs et élèves en s’interpellant par les prénoms et en établissant parfois une forme de complicité amicale que les parents sont enclins à regretter. Une mère de collégien fait part de son étonnement :

« C’est vrai qu’au niveau de la politesse… La barrière prof-élève n’existe pas, elle n’existe plus. Déjà en primaire, mon petit il appelait son instituteur Jean-Baptiste… Au collège, mon fils appelle tous ses profs par les prénoms et ils se tutoient. Et c’est normal, c’est chose courante. Moi, je ne me rappelle pas avoir appelé un de mes profs par son prénom ! Ça aurait été impoli. »

13L’incompréhension se lit également dans les propos de cette mère d’origine algérienne :

« Il n’y a pas beaucoup d’encadrement, ce sont des limites qu’il faut. De mon temps, on ne tutoyait pas les maîtresses, on ne l’appelait pas par leur prénom… Un enfant après ne sait plus où il en est donc tout petit un respect c’est la maîtresse, c’est comme ça. Il n’a pas à l’appeler par Françoise, Martine, et puis " tu ". Non ! »

14En réalité, l’enjeu de la discipline, du respect et de l’autorité morale de l’enseignant leur apparaît inséparable d’autres dimensions d’une socialisation scolaire, assurant l’égalité entre élèves assujettis à un ensemble de règles et d’obligations communes. Il appartient à l’institution scolaire de les établir et surtout de les faire respecter et, à travers elles, de préserver l’ordre et l’intégrité morale des personnes. C’est à la lumière de cette attente qu’il faut analyser l’importance que les parents donnent à la figure centrale du « directeur », érigé en garant de l’autorité et de l’unité morale de l’école, et auquel est attribué des responsabilités et un pouvoir parfois sans rapport avec la réalité de la fonction. Une mère de quatre enfants, d’origine algérienne, l’affirme sans ambages :

« La première des choses c’est la directrice parce que c’est elle qui donne les ordres. Il y avait une directrice avant, elle était bien mais elle laissait passer pas mal de choses… Mais maintenant, il y a une bonne directrice malgré que c’est une femme, elle sait se faire respecter par les jeunes, parce que les adolescents, vous savez que ça parle mal, ils commencent déjà à croire qu’ils sont des adultes, mais ils ont peur d’elle, ils la respectent bien, c’est une bonne directrice. »

15Peut-on dire que les parents de milieux populaires y sont d’autant plus attachés qu’ils se sentent démunis, affaiblis dans leur statut et affectés dans la légitimité morale que leurs enfants leur reconnaissent ? D’une certaine manière l’école doit protéger à travers l’autorité morale de ses « maîtres » doublée d’une puissance d’intégration, les enfants et les adolescents des comportements déviants qui menacent et dans lesquels les parents craignent de les voir sombrer. La figure des voyous, la petite délinquance du racket et des trafics, la provocation langagière et vestimentaire représentent ce contre quoi l’école doit lutter et dont elle doit avant toute autre chose préserver les élèves.

  • 2 Conception sous-jacente à l’approche durkheimienne de l’autorité du maître et qui n’est pas sans p (...)

16N’en concluons pas hâtivement à la nécessité de rétablir une autorité perdue qui du reste ne pourrait plus s’exercer dans les formes anciennes. En outre, l’enfant ne se comporte pas passivement en objet de la relation au maître2 mais est encouragé à se construire comme le sujet de ses apprentissages et à développer un rapport actif au savoir. Son aptitude langagière, son autonomie comportementale et sa capacité d’initiative composent, dans la perspective éducative des couches sociales favorisées, le capital relationnel d’un individualisme expressif mis, in fine, au service de l’individualisme instrumental de la réussite scolaire (de Singly, 1996). L’épanouissement individuel et l’affirmation d’une authenticité de la personne participent de ce qui à la fois prépare et soutient les trajectoires de réussite. Les normes contemporaines d’éducation plus axées sur une régulation par le « soi » individuel que sur l’imposition de règles et contraintes externes s’attachent par conséquent à créer les conditions de révélation à chacun de sa personnalité, de ses talents, dons et aptitudes supposés. Il reste à préciser les formes et contenus culturels donnés à ce procès de personnalisation comme respect des différences et mode de constitution d’une personne non réductible à ses « héritages » mais il s’exprime effectivement du côté des parents, une attente de reconnaissance des spécificités de la jeunesse et des signes identitaires propres à chacun. L’ambivalence traverse les propos de cette mère d’origine marocaine qui réclame à la fois plus d’autorité mais sans condamner pour autant l’affirmation des traits culturels spécifiques à la nouvelle génération :

« Les profs, il faudrait qu’ils soient un peu plus, pas " cool " mais entre les deux quoi… être un peu plus ouverts à chaque élève et un peu plus stricts s’il y a besoin. Comme là, on entend en ce moment beaucoup parler en verlan. Moi je connais des professeurs, ça ne les dérange pas que les enfants parlent en verlan, et il y en a d’autres vraiment, ça les agace, ça les embête. Mais bon, on va dire un peu des deux car c’est une langue qu’ils parlent souvent et c’est quelque chose qui passe facilement… il ne faut pas les en empêcher non plus. »

  • 3 En effet, dans l’exemple rapporté par cette mère, la reconnaissance du parler en verlan des élèves (...)

17L’indulgence que cette mère semble attendre des enseignants vis-à-vis des comportements jugés naturels au regard de l’âge des élèves, apparaît relativement peu relayée par les autres parents, et il n’est pas certain qu’elle le serait parmi les élèves eux-mêmes3. Plus généralement, si les parents peuvent exprimer, ici ou là, leur désaccord vis-à-vis d’une institution qui serait négation de la personne, ils n’en considèrent pas moins que l’autorité incontestée d’un maître respecté et écouté permette de préserver le principe supérieur d’une unité morale de la classe et une plus grande égalité de traitement et de jugement entre élèves.

Le mythe de l’école républicaine

18Un second registre de références prolonge, sur le terrain politique et citoyen, les arguments relatifs à la socialisation des jeunes générations. Il consiste en l’esquisse d’un modèle d’école républicaine, garante des valeurs communes et de la cohésion nationale. Sans toujours le formuler explicitement, les parents de milieux populaires dressent l’école au rang des institutions fondamentales préparant à entrer dans la société, la « grande société » succédant à la « petite société » que constituait la classe selon Émile Durkheim. Le milieu scolaire leur apparaît idéalement comme le lieu d’une vie collective propice à la formation d’un « nous », solidaire et communautaire, qui viendrait rompre avec le primat accordé au « je » de la compétition interindividuelle, des égoïsmes et intérêts particuliers. Le fondement politique et national de l’école, sa capacité à élever le sujet toujours singulier au rang de citoyen ou, en d’autres termes, de réaliser en chacun dans le respect de son individualité l’universel de la raison, de la morale et des savoirs, est bien présent dans l’ordre des missions que des parents, ici un père d’origine algérienne (employé en magasin d’horticulture), assignent à l’école républicaine :

« Faire du mieux qu’on peut [en tant que parent] pour que les enfants réussissent dans la vie Et ça, c’est important. Parce que c’est mes enfants, mais c’est aussi les enfants de la société. Les enfants, c’est ce qui fait la nation. Il ne faut pas qu’on oublie ça, je crois que c’est très important. Quand vous avez un enfant, ce n’est pas seulement mon enfant, c’est l’avenir, c’est l’enfant du pays. Parce que si il y a quoi que ce soit, on est obligé de faire face, pour défendre le pays, pour… vous voyez ce que je veux dire ? Pour que le pays soit évolué, scientifiquement, culturellement, technologiquement… »

19Dans cette perspective, l’action de l’enseignant vise à renforcer, à travers l’inculcation d’une loi commune, fondatrice d’une collectivité fonctionnant comme une ressource pour chacun, l’unité des membres de la classe et leur intégration. La hiérarchie des statuts et la distance qui séparent les enseignants des élèves sont jugées nécessaires pour asseoir un rapport d’autorité permettant de préserver l’intérêt supérieur de la collectivité scolaire et contenir les dérives d’un individualisme croissant dans les rapports entre professeurs et élèves comme d’ailleurs avec les parents. Émile Durkheim ne les aurait pas contredits, lui qui écrivait dans l’Éducation morale que « l’école a tout ce qu’il faut pour éveiller chez l’enfant l’esprit de solidarité, le sens de la vie en groupe » (1963, p. 210) et de poursuivre en précisant que « l’école, par cela seul qu’elle est un groupe constitué, peut faire contracter à l’enfant les habitudes de la vie en groupe, le besoin de s’attacher à des forces collectives » (ibid., p. 211). Les parents des classes populaires échafaudent, en effet, le modèle d’une école où la moralité et la scolarité vont de pair et œuvrent de concert à la socialisation et à l’intégration des citoyens. Les différences d’origine et de classe sociale s’effacent derrière le respect d’un socle commun de règles et de valeurs par lequel chacun se sent attaché à une même société. Soulignons là, à nouveau, une étrange similitude avec la pensée durkeimienne lorsqu’il écrit : « Pour que la moralité soit assurée à sa source même, il faut que le citoyen ait le goût de la vie collective » (ibid. p. 197).

20Cependant, cette référence partagée, non sans quelque pointe de nostalgie, à l’école de la République et à ses enseignants, en particulier ses instituteurs, le doit beaucoup à l’idée que les relations étaient accordées et pacifiées entre les familles et l’institution scolaire, entre offre et « demande » d’éducation (Dubet, Duru-Bellat, 2000). Nourrie de cette représentation qui entretient le mythe d’une école juste dans une société injuste, l’attente des familles populaires consiste à traiter comme semblables des élèves citoyens mais aussi des parents mis en situation d’égalité face à l’école. L’image d’une école républicaine dotée d’un pouvoir disciplinaire et de sanction dont nombre de parents n’oublient pas les excès à travers les brimades et autres sévices corporels s’oppose, dans leurs représentations, à une modernité scolaire où l’expression ostensible des différences individuelles et sociales représente une source de rivalités, d’inégalités, de conflits. La « première » école, animée d’un esprit de justice et d’égalité dans le traitement des élèves, les protégeait du rapport qui aujourd’hui les infériorise, les disqualifie et les humilie parfois. La « seconde » s’est ouverte à l’extérieur et se laisse pénétrer, « envahir » diraient certains, par des influences qui non seulement altèrent sa fonction mais brisent le fondement moral par lequel elle garantissait une forme de cohésion et d’entente. De ce point de vue, ce n’est pas le moindre des paradoxes d’un contexte de plus grande hétérogénéité sociale et scolaire à l’école que d’avoir mis en relation des différences qui s’ignoraient comme telles car s’excluant à travers le dualisme scolaire et social qui séparait les enfants du peuple et ceux de la bourgeoisie (de Queiroz, 2003).

21Cette mise au jour de différences saisies dans le contexte d’une individualisation et compétition accrues, se manifeste sur un double registre social et comportemental d’un côté, scolaire de l’autre. Ainsi la critique, surprenante en première analyse, de la tenue vestimentaire des élèves, des piercings et autres marqueurs d’identité ne prend sens qu’à condition de ne pas y voir un simple effet contre-générationnel vis-à-vis de modes juvéniles que les parents rejettent mais, plus profondément, des signes de distinction individuelle et sociale qui entravent l’égalité formelle au sein des groupes d’adolescents et dans la classe. Tout en sachant ce que leur souhait a d’illusoire, nombre de parents ont évoqué les vertus non de l’uniforme qui pourrait signifier quelque forme d’embrigadement idéologique ou appartenance de classe dans laquelle ils ne se reconnaissent guère, mais de la blouse, qui viendrait gommer la concurrence des apparences et ses effets socialement inégalitaires :

« Moi je trouve que porter des blouses, ça nous mettait tous sur le même plan aussi. Parce que maintenant, les gamins, c’est : " Toi t’es habillé comme ça, moi j’ai pas ça " et la plupart du temps, c’est à cause de ça qu’il y a des rackets et tout ça à la sortie de l’école. Tout le monde serait habillé pareil, il n’y aurait pas de racket. »
(Femme, employée administrative, 4 enfants).

22De même pour père (cuisiner dans une collectivité), dont le fils de 15 ans est scolarisé en 3e :

« Il faudrait que ce soit plus strict dans la façon de s’habiller, c’est-à-dire éviter qu’il y ait une confrontation entre gamins, entre celui-là qui a les moyens, soit des parents ou les moyens du système " D ", d’avoir des trucs " classe " et le pauvre gamin qui n’a rien… C’est vrai que ça, c’est parfait pour que tout aille bien. Maintenant, les jeunes sont jugés par leur façon d’être, s’ils ont le dernier portable, le dernier Mp 3, et tout ça… Ils ne savent pas rester eux-mêmes. »

23D’une certaine manière, les parents et plus particulièrement les hommes, semblent attendre d’une réglementation scolaire rigide qu’elle enraye une pression consumériste qu’ils ne parviennent plus seuls à combattre. Sans doute minorent-ils la pression sinon la tyrannie normative du groupe des pairs adolescents qui contraint, sous peine d’isolement et de railleries, d’adopter un port vestimentaire, de posséder des objets communs et de nouer des sociabilités sur un mode ne laissant, en définitive, que peu d’espace à la subjectivité et à la possibilité de se démarquer individuellement (Pasquier, 2005). Mais l’école ne doit pas, dans leur acception, se laisser déborder par les influences externes ou laisser libre cours au style de sociabilités juvéniles et à l’expression sans limites de leur individualité.

24Plus encore, il importe de marquer une rupture franche d’avec la société comme s’il s’agissait de préserver ce qui peut l’être d’un espace public et laïque permettant de dépasser les clivages de classes, les discriminations dont souffrent les minorités, l’égoïsme des intérêts particuliers afin de forger une unité morale indispensable à la vie collective. François Dubet et Danilo Martuccelli ont montré que cette résistance que l’école doit opposer aux normes de la société et de la rue (l’argent, les médias, l’individualisme) est d’autant plus fortement revendiquée que les parents se sentent menacés par la crise et la sous-prolétarisation (1996). L’intrusion des modes et passions de la jeunesse, vivement dénoncée, s’inscrit dans une stricte séparation que les parents de milieux populaires seraient enclins à rétablir entre des élèves, sujets d’une institution scolaire d’un côté, les adolescents et leurs styles personnels de l’autre. En cela, ils rappellent le modèle de l’école républicaine qui entendait avant tout s’adresser à des élèves, non à des enfants ou à des adolescents.

25D’une certaine manière, plus l’école de la République concède à des intérêts régis par le marché et les stratégies individuelles, moins elle est en mesure de promouvoir l’égalité citoyenne et le sentiment solidaire d’appartenance à la nation. En définitive, les parents dressent la figure idéale d’élèves construits comme des égaux universels, que l’école ne doit pas distinguer ou qu’il lui faut, à tout le moins, soumettre sans concessions à des règles communes. Ce souci égalitariste peut apparaître à contretemps et fonctionner à contre-emploi des normes et valeurs dominantes à l’école. Il se démarque du style de relations plus contractuel et plus intersubjectif qui tend à s’établir dans les classes mais aussi dans les relations avec les parents sollicités pour s’inscrire dans ce nouveau mode de régulation des échanges.

26Cependant, dans les représentations des parents de milieux populaires, la fonction de socialisation ne porte pas seulement sur les relations entre individus mais également sur les conditions de scolarisation. L’articulation entre les deux dimensions suggère que les chances scolaires de chacun des enfants pourront être mieux préservées si la distance entre le maître et l’élève est plus affirmée et la coupure entre le monde scolaire et le monde hors l’école plus franche. Les familles populaires semblent donc attendre de l’école de la République qu’elle instaure, socialement, une égalité entre élèves que la société ne peut établir entre enfants et adolescents et qu’ils ressentent d’autant plus fortement qu’ils occupent les positions dominées. Fondée sur ce principe, l’école constitue un rempart contre la mise en concurrence généralisée des intérêts individuels des élèves et des familles dont beaucoup, en milieux populaires, savent qu’ils auront plus à perdre qu’ils ne peuvent espérer gagner.

27Dans ce contexte, toute difficulté scolaire ou incident de comportement est de nature à entretenir le doute quant à l’équité de traitement et de jugement à l’égard d’élèves porteurs de différences sociales, ethniques, constituées en autant de signes potentiellement discriminatoires. Tout se passe comme si les parents étaient d’autant plus enclins à percevoir les préjugés dont souffrent leurs enfants qu’ils en sont eux-mêmes les victimes hors l’école. Les familles migrantes ou d’origine étrangère se montrent particulièrement sensibles à ce processus et comptent sans doute parmi les plus fervents partisans d’une fermeture de l’école républicaine mise en état d’« apesanteur sociale », comme si l’application rigoureuse des lois de la République exprimait aussi le souci qu’elle les protège. Au reste, ce rapport aux institutions caractérise les groupes minoritaires et dominés dans la société qui ont un intérêt particulier à ce que soit respectée une égalité des droits et des statuts permettant d’effacer leur position d’infériorité (Schnapper, 1996). L’appartenance ethnique représente du point de vue des familles issues de l’immigration ou d’origine étrangère, l’opérateur principal des risques de discriminations dans les rapports entre élèves et enseignants comme des élèves entre eux. La perplexité de cette mère marocaine (4 enfants, agent d’entretien) confrontée à la sanction de son fils en fournit une illustration :

« Les enfants d’origine étrangère sont plus facilement punis. C’est ce que je voyais au début avec mon fils, mais est-ce que c’est vrai ou pas vrai ? Après c’était un engrenage parce que je ne voyais que mon fils faire des bêtises donc pour moi c’était : " on le montre du doigt ". Et mon fils arrivait souvent à la maison en colère en disant : " Mais maman, ce n’est pas moi… on était tant et tant avec d’autres personnes, pourquoi il n’y a que moi qui ai été puni et pas les autres ? " Moi je trouve que s’il y a des punitions, si quelqu’un fait des bêtises, c’est normal que toutes les personnes soient punies, qu’il n’y en ait pas qu’un. On ne punit pas un enfant et les autres on les laisse, hein ! »

28L’autorité réclamée de l’enseignant s’adressant à des élèves-citoyens mis en situation d’égalité face à des règles de conduites et un ensemble d’obligations communes peuvent se retourner en une critique de l’autoritarisme excessif et injuste à l’égard d’élèves perçus à travers leurs caractéristiques sociales, scolaires, ethniques. Cette contradiction apparente où les principes semblent se défaire à l’épreuve des expériences individuelles repose pour partie sur la transmutation et surdétermination, dans un contexte scolaire compétitif et hiérarchique, de toute différence en facteur d’inégalité. C’est à travers ce prisme et la vision que l’enfant donne des relations vécues en classe ou à l’école que des parents de familles immigrées ou étrangères trouvent matière à nourrir leurs craintes et à exprimer leur indignation quant au regard injuste porté sur des enfants citoyens de la République. Une mère française d’origine marocaine l’exprime avec force :

« Zohair, il est toujours en train de se plaindre de certains professeurs qui favorisent certains élèves : " Maman, je pose des questions à tel ou tel prof et il ne me répond pas. Et quand c’est l’autre, la réponse est directe, vite fait et bien fait ". Il pose une question à un prof alors que mon fils est un français, pur et dur ! (rires). Mon père a fait la guerre d’Indochine et je refuse que mes enfants ne soient pas considérés comme des Français malgré qu’ils ont des origines marocaines. On est venu en France, on a été accueillis par la France, donc il faut que ça cesse ! Ils disent " oui, c’est un immigré " ou " c’est le fils d’un immigré ". On est plus des immigrés ! C’étaient nos parents qui étaient des immigrés. C’est impardonnable pour des jeunes car on est en train de les rendre plus racistes que les autres. »

29Ainsi, les attitudes des parents sont plus ambivalentes que leurs revendications de principe car elles sont traversées par des tensions et contradictions entre un idéal de citoyenneté qui construit des élèves égaux et socialement indifférenciés, et un processus de socialisation familiale plus axé sur l’épanouissement individuel et l’authenticité de la personne. De même, que deviennent les principes et valeurs associés à l’école de la République à l’épreuve de la compétition scolaire individualisante, de ses classements et jugements ? D’aucuns s’opposent à ce qu’ils perçoivent comme une immixtion de l’école dans le domaine relevant de la sphère privée des élèves et de leur identité singulière. Dans ce cas, l’école n’est plus le lieu qui doit juger du style des élèves, de leur langage ou de leur tenue vestimentaire, car elle a avant tout pour fonction de se préoccuper de leur scolarité. Le port de signes culturels distinctifs voire stigmatisants demande alors à être dissocié des apprentissages scolaires, comme en témoignent ces propos :

« Comme là en ce moment avec le problème du voile, ce n’est pas en mettant un voile qu’un enfant ne va pas étudier. Ce n’est pas en mettant une casquette que l’enfant ne va pas étudier. Donc… comment expliquer ça ? Ce n’est pas en le gênant sur comment il est habillé qu’on peut juger qu’un enfant n’a pas envie de travailler. Ça je pense que l’État, l’Éducation nationale devrait faire un point sur ça. Donc pourquoi il y a des préjugés et du racisme entre collèges, professeurs et puis tout… Il faut au moins que les professeurs comprennent ça […] Laisser l’enfant libre de lui-même, avec une bonne scolarité et il pourra faire beaucoup de choses. »
(Mére, d’origine marocaine, agent de service en collectivité, 4 enfants)

30Minoritaire dans l’énoncé des principes, cette position trouve un écho auprès d’autres parents dès lors que leur enfant subit les effets d’un regard ou de jugements touchant à sa singularité. Ils se préoccupent alors de protéger l’enfant dans sa personnalité et de le dissocier de l’élève et de ses capacités. Les tensions de l’expérience scolaire sont plus fortement ressenties en milieux populaires car leurs modèles et styles éducatifs réalisent plus difficilement les attentes de la socialisation scolaire et la césure qu’ils établissent entre la famille et l’école, entre l’enfant et l’élève, en accentue les effets dissonants. Aussi, leur position oscille-t-elle, de façon jugée parfois incohérente, entre l’incitation formulée à l’adresse des enseignants pour soumettre l’élève à des règles impersonnelles, aux exigences de respect et de politesse, et la désapprobation qui s’exprime dès lors que les singularités de la personne, façonnées par les sociabilités et la culture familiales, ne sont pas prises en compte. « Ainsi, les familles populaires sont prises dans une contradiction difficilement surmontable, car en matière de socialisation, elles en appellent à l’universel contre le particulier, alors qu’en matière d’éducation, le particulier se substitue à l’universel » (Bouveau, Cousin, Favre, 1999, p. 43).

  • 4 L’universalisme abstrait des principes et valeurs de la République que l’école devait porter et in (...)

31Ce qui s’exprime ici ou là à propos de l’école républicaine ne signifie pas nécessairement que les parents de milieux populaires appellent à la restauration d’un ordre scolaire ancien, mais bien plutôt à la défense de principes et de valeurs morales et éducatives fondées sur l’autorité, le respect, l’égalité. En ce sens, ni nostalgique ni conservatrice, comme on le dit trop souvent, leur position dénote surtout une erreur d’appréciation historique sur ce que fut l’école républicaine de la première moitié du XXe siècle4, et souligne la difficulté de surmonter les contradictions condensées dans l’expérience de l’élève, entre la socialisation familiale et les attentes et exigences de la socialisation scolaire. Elles n’en manifestent pas moins à travers l’invocation d’un modèle ancien revisité et réinvesti tel un mythe, une préoccupation de position quant au désavantage relatif qu’elles subissent dans le contexte d’une école ouverte à la compétition et à des stratégies individuelles de scolarisation. Le partenariat représente à la fois l’instrument d’une politique d’incitation à la participation des parents et l’expression du différend qui s’est installé dans les relations avec les familles populaires.

Notes

1 Comparant les méthodes des enseignants français et de son pays d’origine (Algérie), une mère semble regretter un manque de sévérité, assimilé à une perte de pouvoir : « En Algérie, il n’y a pas ce problème, dont l’interdiction de frapper ou quoi que ce soit, il n’y avait pas cette interdiction. Donc moi, personnellement, si un enfant ne fait pas son devoir, je le frappe. Bon, frappe, frappe… on ne va pas prendre un bâton, mais je le frappe. On n’a pas ce problème-là [en Algérie], par exemple le parent [en France] vient, il dit : " Quoi ! Tu as frappé mon fils, pourquoi tu l’as frappé ? " Au contraire… »

2 Conception sous-jacente à l’approche durkheimienne de l’autorité du maître et qui n’est pas sans poser question. Cf. Les réflexions critiques de Jean-Claude Filloux in Durkheim et l’éducation, Paris, PUF, 1994.

3 En effet, dans l’exemple rapporté par cette mère, la reconnaissance du parler en verlan des élèves pourrait paradoxalement nuire à la fonction cryptique qui en commande les usages (Lepoutre, 2001). Langue du secret, le verlan signe l’adhésion à la culture du groupe des pairs et doit son efficacité symbolique à la possibilité qu’il donne de se soustraire au jugement des dominants. L’utiliser à l’école témoigne alors d’une recherche de complicité avec l’enseignant qui n’est pas non plus sans « risques » pour celui-ci (Périer, 2003).

4 L’universalisme abstrait des principes et valeurs de la République que l’école devait porter et inculquer coexistait dans sa réalité politique avec le colonialisme et un patriotisme exacerbé par l’esprit de revanche sur l’Allemagne voisine.

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