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Les protestants à l’époque moderne

 | 
Olivier Christin
, 
Yves Krumenacker

Première partie. La culture matérielle

Une culture alimentaire protestante dans la France méridionale (XVIe-XVIIIe siècle) ?

Philippe Meyzie

Texte intégral

  • 1  Pitte J.-R., Bordeaux-Bourgogne. Les passions rivales, Paris, Hachette Littératures, 2005 et Le vi (...)

1L’alimentation des protestants est pour l’historien un champ d’étude où se côtoient les lieux communs, l’histoire anecdotique et le silence des sources. Bien souvent, les habitudes alimentaires des protestants français restent enfermées dans une image d’austérité, une forme d’ascétisme séculier. Cela peut conduire, par exemple, à présenter le bordeaux comme un « vin protestant » avec une bouteille d’une élégance austère et le bourgogne comme un « vin catholique » avec une bouteille de forme plus ronde1. La réalité est certainement plus complexe et l’anthropologie historique peut être une voie utile pour mieux saisir la culture alimentaire des protestants dans la France d’Ancien Régime, c’est-à-dire l’ensemble des pratiques et des valeurs relatives à l’alimentation.

  • 2  Ferrières M., « À la table d’une famille cévenole », De l’herbe à la table. La viande dans la Fran (...)
  • 3  Christin O., « La foi comme chope de bière : Luther, les moines, les jeûnes », Csergo J. (dir.), T (...)
  • 4  Quellier F., La Gourmandise, histoire d’un péché capital, Paris, Armand Colin, 2010.

2Cette question a été fort peu abordée jusqu’à présent par les spécialistes du protestantisme. Dans le sillage des études menées par les historiens du fait religieux, il est vrai que les consommations alimentaires, domaine de recherche finalement assez récent, n’ont pas retenu l’attention, peut-être considérées comme trop éloignées des questions de théologie, de spiritualité et même des pratiques religieuses. De leur côté, les historiens de l’alimentation ont été peu enclins à se pencher sur ce sujet, supposant peut-être, a priori et à tort, que l’histoire de la gastronomie avait plus sa place du côté des catholiques. S’intéresser à l’alimentation des protestants conduit donc à s’aventurer dans un certain vide historiographique éclairé seulement par quelques trop rares travaux. Madeleine Ferrières propose ainsi une étude sur la consommation d’une communauté familiale cévenole de nouveaux-convertis mettant en lumière leurs pratiques alimentaires et la question de la consommation de viande dans la seconde moitié du xviiie siècle à partir de leurs livres de dépenses2. Plus récemment, Olivier Christin s’est intéressé à la pensée de Luther à propos de l’alimentation, des moines et du jeûne3. Florent Quellier aborde la question du rapport des protestants à la nourriture dans son livre sur la gourmandise dans un chapitre intitulé « Volupté catholique, austérité protestante » dans lequel il se fonde essentiellement sur des sources normatives4. Ce rapide panorama montre bien que l’alimentation des protestants à l’époque moderne reste difficile à appréhender.

  • 5  Sur l’intérêt et les limites du concept de confessionnalisation, voir Chaix G., « La confessionnal (...)
  • 6  Wanegffelen T., « La difficile identité des protestants français entre Réforme et Révocation », Be (...)

3Pourtant de multiples questions méritent d’être soulevées autour de l’alimentation des protestants en France du xvie siècle au xviiie siècle : existe-t-il une identité alimentaire protestante ? Quel est l’impact de la Révocation sur leurs pratiques alimentaires ? Il est notamment intéressant d’essayer de savoir si les habitudes alimentaires des protestants s’inscrivent dans le paradigme de la confessionnalisation ou si, au contraire, elles en montrent les limites5. L’alimentation apparaît-elle comme un simple terrain d’affrontement théologique, la base d’une véritable identité religieuse6 ou témoigne-t-elle, au contraire, de convergences entre catholiques et protestants ? La comparaison avec les évolutions de l’alimentation en France du xvie siècle au xviiie siècle en général et avec la culture alimentaire des catholiques à la même époque pourrait représenter une voie pour tenter de dégager une éventuelle spécificité protestante dans ce domaine et, en tout cas, d’apporter des éléments de réflexions aux débats.

  • 7  Sur les enjeux d’une histoire globale de l’alimentation, voir Meyzie P., L’alimentation en Europe (...)

4Face aux lacunes des sources et aux stéréotypes qui entourent l’alimentation des protestants, il est d’autant plus nécessaire d’essayer de mettre en œuvre une histoire globale de l’alimentation7. Dans cette perspective, il s’agit tout à la fois de croiser l’étude des pratiques alimentaires et celle des valeurs liées à l’alimentation, et surtout de mobiliser l’ensemble des sources disponibles. Pour ce faire, il est bien entendu extrêmement difficile de définir a priori un corpus bien délimité ; il faut donc agir de manière empirique, comme bien souvent dans l’histoire des consommations, afin de glaner au gré des sources, les rares indications sur l’alimentation des protestants. Il convient ainsi d’explorer les discours (sermons, traités de théologie, mémoires) qui définissent bien souvent des normes, mais surtout les sources de la pratique (inventaires après décès, livres de comptes, factures, archives judiciaires, etc.), en particulier des élites protestantes, afin d’essayer de mesurer leur application réelle. L’étude de la culture matérielle des protestants pose une difficulté supplémentaire puisqu’il est parfois délicat d’identifier les sources protestantes, notamment après la révocation de l’édit de Nantes puisque, en théorie, il n’y a plus de protestants en France. Cette situation particulière du xviiie siècle invite à considérer les conditions dans lesquelles les protestants ont la possibilité ou pas d’afficher une culture alimentaire différente. Nous avons donc décidé de nous intéresser à l’ensemble de la période moderne afin de prendre en compte des contextes différents et d’élargir le champ des sources potentiellement disponibles. Nous nous autoriserons même quelques incursions dans les premières années du xixe siècle afin, là encore, de saisir les pratiques alimentaires des protestants dans un espace de liberté confessionnelle.

  • 8  Boisson D. et Daussy H., Les protestants dans la France moderne, Paris, Belin, 2006.
  • 9  Notamment Boisson D., Les protestants bordelais à l’époque de la révocation de l’édit de Nantes (v (...)

5Le choix de s’intéresser plus particulièrement à la France méridionale, et notamment au sud-ouest de la France, offre un moyen de tenter de surmonter ces obstacles. En effet, on y trouve plusieurs provinces profondément marquées par la Réforme comme le Bergeracois, l’Aunis, l’Agenais et le Béarn où la Réforme est même religion d’État jusqu’en 1620. Cet espace offre aussi l’avantage d’accueillir plusieurs communautés protestantes d’origines étrangères comme à Bordeaux au xviiie siècle8. Ces protestants du Midi sont certainement ceux chez qui on peut accéder, avec le moins de difficultés sans doute, aux consommations alimentaires puisqu’ils y occupent souvent des positions visibles dans la vie économique (marchands, négociants) ou politique (corps de villes, états provinciaux). Les nombreuses études déjà entreprises sur ces communautés protestantes ont également facilité cette approche9.

6Les rapports parfois conflictuels avec les catholiques autour du thème de l’alimentation et l’affirmation d’une morale alimentaire peuvent constituer un premier champ de réflexion déjà en partie exploré par les historiens. Cependant, au-delà des normes, des discours et des représentations, il s’avère nécessaire ensuite d’examiner si l’appartenance religieuse entraîne une spécificité dans les consommations individuelles des protestants. Il semble que les goûts partagés selon le groupe social ou l’implantation géographique sont finalement, tout au long de l’époque moderne, bien plus manifestes que les différences avec les catholiques.

L’alimentation comme champ d’affrontement entre protestants et catholiques

  • 10  Figeac M. (dir.), Les affrontements religieux en Europe. Du début du xvie siècle au milieu du xvii(...)
  • 11  Sauzet R., « Discours cléricaux sur la nourriture », Margolin Jc. et Sauzet R. (dir.), Pratiques e (...)

7S’il est une thématique assez bien connue dans le champ de l’histoire de l’alimentation des protestants à l’époque moderne, c’est sans aucun doute celle de la nourriture comme terrain d’affrontements entre les catholiques et les protestants10. Plusieurs études ont en effet bien montré que la question du jeûne, de la table de la papauté ou de la Cène ont tenu une place importante lors des premiers temps de la Réforme, que ce soit dans les écrits de Luther ou dans les sermons protestants11. La nourriture représente une arme de la polémique car elle permet de diaboliser ses adversaires. Mais il est aussi possible de penser que ces querelles ont pu influencer les consommations par une forme d’intériorisation des divergences ainsi mises en avant. La volonté de se conformer à un modèle ou bien, pour les protestants, de se démarquer d’un contre-modèle catholique représenté par la papauté ou les moines a pu contribuer à façonner de nouvelles attitudes alimentaires.

  • 12  Christin O., « La foi comme chope de bière », art. cit., p. 52.
  • 13  Postel C., Traité des invectives au temps de la Réforme, Paris, Les Belles Lettres, 2004, p. 285.
  • 14  Calvin J., Institution de la religion chrestienne, Genève, sans éditeur, 1541, épître dédicatoire.
  • 15  Sur ce sujet, voir Quellier F., op. cit., p. 75.
  • 16  Cité par Krumenacker Y., Les Protestants du Poitou au xviiie siècle (1681-1789), Paris, Champion, (...)

8Dans les premiers temps de la Réforme, les attaques contre les catholiques s’inscrivent parfois dans cette thématique. Les clercs sont particulièrement visés. Poursuivant une tradition médiévale ancienne, Luther dénonce la gourmandise des moines qui pensent plus à la nourriture qu’au service de Dieu. Selon lui, les excès alimentaires imputés au clergé, et qui les éloignent de leurs vœux, témoignent de leur hypocrisie12. Les curés gourmands, les moines friands et ivrognes sont largement décriés par les protestants dans les premiers temps de la Réforme : en 1526, le Miroir des Pécheurs, par exemple, dresse le portrait de curés gourmands et ivrognes13. En évoquant les ecclésiastiques dans l’Institution de la religion chrestienne (1536), Calvin affirme que « leur ventre leur est pour Dieu, la cuisine pour religion14 ». La cuisine papale fait l’objet des plus vives attaques. Les Satyres chrétiennes de la cuisine papale publiées en 1560 par le réformateur suisse Pierre Viret montrent bien que l’alimentation est un thème privilégié de la littérature pamphlétaire protestante pour dénoncer les dérives de l’Église de Rome15. En 1612, dans La chasse de la Bête romaine publiée par George Thompson, la papauté est à nouveau accusée de gourmandise16. L’alimentation prend donc place au cœur de polémiques entre protestants et catholiques au sujet de l’Église, mais elle intervient également dans le champ de la théologie où les protestants dénoncent les rites catholiques.

  • 17  Vanasse C., « Le jeûne dans les débats confessionnels au xvie siècle », Viallon-Schoneveld M. (éd. (...)
  • 18  Luther M., « Des bonnes œuvres », Lienhard M. et Arnold M. (éd.), Œuvres, t. I, Paris, Gallimard, (...)
  • 19  Meyzie P., op. cit., p. 175.
  • 20  Richard M., La vie des protestants français de l’Edit de Nantes à la Révolution (1598-1789), Paris (...)
  • 21  Vanasse C., op. cit., p. 243.
  • 22  Lestringant F., « Catholiques et cannibales. Le thème du cannibalisme dans le discours protestant (...)

9La question du jeûne est en effet une pierre d’achoppement entre les deux confessions17. Luther et Calvin veulent très clairement se démarquer des catholiques dans ce domaine. En 1520 dans le Manifeste de la noblesse Chrétienne de la nation allemande, Luther rejette l’obligation du jeûne inutile selon lui : « Le petit peuple […] considère qu’en mangeant du beurre on pêche plus gravement qu’en mentant ou en jurant ou en se livrant à la débauche. » Aucun aliment ne doit être rejeté pour lui-même ; le jeûne ne doit servir qu’à s’éloigner du plaisir de la chère : « En effet, dit-il, personne ne doit jauger et régler les jeûnes, les veilles et les travaux d’après les aliments, les quantités ou les jours, mais d’après la diminution ou l’accroissement de la convoitise charnelle et de la pétulance18. » Pour Calvin, il s’agit d’une pratique hypocrite qu’il dénonce dans ses Institutions Chrétiennes : « s’abstenir de manger de la chair et au reste d’aborder en toutes délices et gourmandises à plaisir ». Or, les repas maigres du vendredi ou de Carême des élites catholiques, ecclésiastiques ou laïques n’empêchent en aucun cas les plaisirs de table qui s’expriment alors dans des pâtés de poissons, des terrines d’écrevisses et autres mets raffinés, expression d’une véritable gastronomie du maigre19. Dans le rituel protestant, il n’existe donc pas de périodicité régulière des jours de jeûnes ; ceux-ci interviennent, de manière ponctuelle, selon les circonstances à la suite de persécutions, par exemple20. Entre 1559 et 1660, un tiers des synodes nationaux proclament la tenue d’un jeûne public21. À propos de la Cène, les querelles sont nombreuses et violentes, en particulier durant les premières guerres de religion. De manière symbolique, le cannibalisme imprègne le discours des protestants et des catholiques22. La transsubstantiation dénoncée par les protestants les conduit à accuser les catholiques d’anthropophagie puisqu’ils mangent la chair et boivent le sang du Christ.

10De cette confrontation autour de la gourmandise des clercs ou du jeûne naît une morale alimentaire protestante que l’on peut saisir à travers de nombreux discours. Calvin s’attache à l’importance de la discipline y compris du corps ce qui le conduit à condamner les excès de nourriture. Cet éloge de la sobriété se retrouve sous la plume des poètes comme Yves Rouspeau en 1586 dans ses Quatrains spirituels :

  • 23  Cité par Garisson J., L’homme protestant, Paris, Hachette, 1980, p. 24.

« Sans Cérès et Bacchus, Vénus est languissante
Celuy qui veut dompter les efforts de sa chair
Et éviter le mal qu’on commet au coucher
Manger et boit sobrement et de peu se contente23. »

11Les sermons des prédicateurs défendent aussi cet idéal de tempérance :

  • 24  Gaches R., Seize sermons sur divers textes de l’Ecriture sainte, Genève, J. A. et S. de Tournes, 1 (...)

« Cette vertu nous fait user du monde comme n’en abusant point, ne nous arrestant pas à ces choses, mais les rapportant toutes à la gloire de Dieu, pour subvenir aux nécessitez de la vie ; et pour en prendre en une juste mesure, avec la modestie d’un homme qui s’en sert en ses besoins, et non avec la passion d’un homme qui est idolâtre […] quiconque est trop attaché aux plaisirs du corps, il n’a guère de soin du repos de l’âme ; et le fidèle qui cherche a repaistre son âme a beaucoup d’indifférence pour les délices du corps24. »

  • 25  Merlin P., Sermons, cité par Garisson J., Protestants du Midi 1559-1598, Toulouse, Privat, 1991, p (...)
  • 26  Meyzie P. (dir.), « La gourmandise entre péché et plaisir », Lumières, n° 11, 1er semestre 2008, n (...)
  • 27  Christin O., op. cit., p. 48.
  • 28  Cité par Garisson J., L’homme protestant, op. cit., p. 132.

12Dans son sermon aux fidèles de La Rochelle, Pierre Merlin dénonce les méfaits de l’excès de nourriture et de boissons qui peuvent conduire à des vices plus grands puisque « quelle chasteté, dit-il, n’est endommagée parmi le vin et l’intempérance parmi les propos et les regards lascifs et quelques fois les attouchements peu honnestes25 » ? Dans un schéma de pensée tout à fait classique que l’on retrouve dans les sermons catholiques, la gourmandise risque de conduire sur la voie de la luxure et de la débauche26. Cependant, comme l’attestent les écrits de Luther lui-même, le protestantisme ne rejette pas totalement les plaisirs de la table ; ce dernier n’hésite pas à évoquer ses propres excès de table comme une liberté vis-à-vis des fausses contraintes de l’Église romaine27. La bonne chère a le droit de cité. La morale protestante invite en premier lieu à prendre soin de son corps et ne valorise donc pas la mortification de la chair. Dans cette perspective, les prédicateurs du xviie siècle comme Pierre Merlin ne s’opposent pas non plus totalement aux plaisirs de la table. Selon lui, « on peut bien banqueter plusieurs jours pourvu que l’insolence n’y règne, mais que Dieu y soit reconnu et loué comme le chef et l’auteur de la liesse28 ».

L’alimentation, base d’une identité confessionnelle ?

13L’altérité du discours peut constituer une voie dans l’affirmation d’une identité protestante. Dans la perspective d’une histoire globale de l’alimentation, il est cependant nécessaire de confronter ces discours sur la nourriture à la réalité des pratiques alimentaires. L’alimentation sert-elle aux protestants à se démarquer des catholiques dans la France d’Ancien Régime ? Ont-ils une réelle volonté d’afficher des goûts différents y compris après la révocation de l’Édit de Nantes ou cherchent-ils au contraire à éviter toutes distinctions ?

Figure 1. – Comparaison des dépenses alimentaires des élites bordelaises protestantes et catholiques au milieu du xviiie siècle.

Figure 1. – Comparaison des dépenses alimentaires des élites bordelaises protestantes et catholiques au milieu du xviiie siècle.
  • 29  Abad R., « Un indice de déchristianisation ? L’évolution de la consommation de viande en carême so (...)
  • 30  Archives départementales des Pyrénées-Atlantiques (désormais AD 64), E 1998 ; Dubarat V., « Traité (...)
  • 31  Cette diversité est assez comparable à celle que l’on peut rencontrer au xviie siècle dans l’arist (...)
  • 32  AD 64, B 18 et 19, dépense ordinaire de Jeanne de Navarre, 1571 ; B 58, 59 et 84, journal de la dé (...)

14La consommation de viande en maigre offre un champ d’exploration intéressant pour tenter de voir si l’alimentation participe à l’identité confessionnelle. Les édits royaux de 1549 et de 1563 réglementent la vente de viande durant le carême ; elle est autorisée aux malades mais reste interdite aux protestants à Paris notamment. Jusqu’en 1659, les protestants se rendaient donc à Charenton pour se fournir en chair. Ensuite, ils purent continuer à se fournir auprès de l’Hôtel-Dieu de Paris seul autorisé à débiter de la viande en carême29. Lorsque la possibilité d’acheter de la viande leur est offerte, y compris les jours maigres définis par l’Église catholique, cela n’implique pas obligatoirement que les protestants mangent de la viande le vendredi, par exemple. En 1564, le traité des fournitures de vivres pour la maison de Jeanne d’Albret fait toujours état d’une distinction entre jours gras et jours maigres30. Ses dépenses de bouche en 1571 ou celles d’Henri, roi de Navarre, en 1581 et 1584, montrent bien que ces princes protestants consomment aussi du poisson tous les vendredis alors que le poisson n’apparaît pas les autres jours de la semaine. La liste des victuailles achetées (saumons, carpes, brochets, barbeaux, mulets, anguilles, aloses, lamproies, etc) témoigne de la diversité des poissons consommés31 ; la viande est cependant elle aussi présente32. Ces documents restent donc difficiles à interpréter. En effet, l’absence de poissons les autres jours de la semaine pourrait laisser penser qu’il s’agit d’un mets finalement peu apprécié ; sa présence systématique le vendredi serait alors une forme d’habitude de consommation qui se maintient, signe d’un usage partagé au-delà des différences religieuses. Elle pourrait aussi correspondre à une nécessité pour une table qui accueille aussi des membres catholiques de l’entourage du roi ou bien à une volonté de ne pas provoquer les catholiques.

  • 33  Montenach A., « Une économie du secret. Le commerce clandestin de viande en carême (Lyon, fin du x (...)
  • 34  AD Lot-et-Garonne (désormais AD 47), 5 J 644 (1).
  • 35  Cela correspond à ce qui a pu être observé en Poitou où la vente de viande en période de jeûne app (...)
  • 36  Bert P., Histoire de la révocation de l’Edit de Nantes à Bordeaux et dans le Bordelais, Bordeaux, (...)
  • 37  AD 33, G 1027.
  • 38  Pacteau de Luze S., « La vie religieuse des protestants allemands de Bordeaux aux xviiie et xixe s (...)
  • 39  AD Gironde (désormais AD 33), 7 B 1149, livre de dépenses de maison du négociant Höppfner (1748/17 (...)

15Dans d’autres cas, la consommation de viande en maigre par les protestants apparaît au contraire comme une provocation assumée. La vente de viande en maigre reste de toute manière pratiquée, de manière licite, ou illicite après la Révocation33. Dans les enquêtes menées contre les protestants, cette question de la consommation de viande est parfois présente. L’officialité d’Agen en 1668 accuse ainsi un capitaine protestant du régiment de Jonzac d’« impiétés et de scandales » entre autres, pour avoir, avec ses camarades, « mangé publiquement de la chair ce montrant tous à la fenêtre qui vise sur la place publique ». Lors d’une information menée à Sainte-Foy-la-Grande pour conduite hérétique en 1691, Jean Lanefouche, substitut du procureur du Roy, est dénoncé pour avoir mangé « de la viande publiquement et scandaleusement dans les cabarets pendant le Caresme, vendredi, samedi et autres jours défendus par l’Église34 » ; l’hôte et la servante de l’hôte sont interrogés pour confirmer ces faits. Dans les deux cas, le problème, aux yeux des autorités, vient du fait que cette consommation de viande en maigre soit pratiquée ostensiblement aux yeux de tous et puisse être considérée alors comme une volonté de défier ces autorités35. À Saint-Émilion au xviiie siècle, des nouveaux convertis sont poursuivis par le présidial pour avoir consommé de la viande le vendredi et le samedi ; le procès-verbal relate que, dans la maison des inculpés, « il a été trouvé un grand plat de soupe, sur lequel il y avait de la viande et du lard et un gril couvert de côtelettes que l’on faisait cuire36 ». Une ordonnance de l’évêque de Bordeaux de 1647 signale également que de la viande est vendue en carême « même aux huguenots », au détriment des pauvres de l’hôpital à qui elle est normalement destinée ; le parlement menace d’intervenir pour faire cesser ces abus37. Dans la sphère privée, l’étude d’un livre de comptes comme celui du négociant luthérien Höppfner à Bordeaux au xviiie siècle, ville où les protestants allemands bénéficient d’une tolérance implicite38, ne permet pas de déceler un rythme alimentaire marqué par des jours maigres à la différence de ce que l’on peut observer assez nettement à propos des dépenses de poisson et de viande de la catholique Marie-Joséphine de Galatheau (fig. 1)39. La part du poisson est par conséquent plus modeste dans les consommations du négociant protestant et celle de la viande plus importante.

16La consommation de viande en maigre par les protestants n’apparaît donc pas comme une pratique généralisée ; elle sert parfois de provocation, mais elle reste surtout un choix individuel.

  • 40  Desplat C., « Réforme et culture populaire en Béarn du xvie au xviiie siècle », Histoire, économie (...)

17L’ascétisme affiché dans les discours protestants se retrouve-t-il dans l’application de ces normes et les pratiques alimentaires des protestants ? Les mesures prises par les autorités révèlent nettement une volonté de lutter contre les excès. En 1563, Jeanne d’Albret publie la Discipline ecclésiastique du Pays du Béarn dans laquelle elle développe une morale ascétique ; cette loi interdit, par exemple, la participation aux festins ou les repas funèbres40 :

  • 41  Frossard C., Discipline ecclésiastique du Pays de Béarn, Paris, Grassart, 1877.

Article 7 : « les fidelles n’assisteront point aux festins que ceux de l’Eglise romaine fairont à l’occasion de leurs restes, nouvelles messes, anniversaires ou autres choses semblables… »
Article 10 : « les consistoires exhorteront les fïdelles de garder l’humilité chrétienne dans les enterremens et a en bannir la pompe mondaine, et veilleront à abolir la mauvaise coutume qui s’observe en divers endroits de faire des festins ensuitte des enterremens41… »

  • 42  Ibid., p. 188.
  • 43  Garisson J., Protestants du Midi, op. cit., p. 105 ; Estèbe J. et Vogler B., « La genèse d’une soc (...)
  • 44  Lecoutre M., Ivresse et ivrognerie dans la France moderne, Rennes, Presses universitaires de Renne (...)
  • 45  Voir, par exemple, à propos du synode du Poitou, Krumenacker Y., op. cit., p. 404.
  • 46  Bolle P., « Une paroisse réformée du Dauphiné à la veille de la révocation de l’Édit de Nantes : M (...)
  • 47  El Bounia-Roudet P., Les protestants de Tonneins sous le règne de Louis XIV, TER, université Borde (...)
  • 48  de Serres O., Le Théâtre d’agriculture et mesnage des champs dans lequel est représenté tout ce qu (...)
  • 49  Richard M., La vie quotidienne des protestants sous l’Ancien Régime, Paris, Hachette, 1966, p. 95.
  • 50  Rome C., Les bourgeois protestants de Montauban au XVIIesiècle. Une élite urbaine face à une monar (...)
  • 51  Voir, par exemple, Vaquier S., Les protestants bordelais à la fin de l’Ancien Régime et au début d (...)

18Dans une ordonnance de 1571, elle condamne également l’ivrognerie en particulier lorsqu’elle est liée à la pratique de la danse au nom de la morale et de la religion42. Cette dénonciation de l’excès de boisson apparaît également dans les consistoires43, mais bien loin derrière le problème des mariages. Ces critiques contre les excès de boisson44, la gourmandise, l’ouverture des cabarets, etc., figurent également au même moment sous la plume des catholiques et ne révèlent pas, semble-t-il, d’une originalité protestante. Ainsi, comme les évêques, les synodes protestants réclament la fermeture des tavernes ouvertes le dimanche45 ; en Dauphiné, le consistoire critique la fréquentation des tavernes et des cabarets le dimanche pendant le prêche ; et pour cela, il s’appuie sur un arrêt du Parlement de Grenoble destiné au service religieux catholique46. En 1663, les jurats protestants de Tonneins en Agenais réclament la fermeture des cabarets pendant les cérémonies religieuses47. La réitération de ces condamnations dont on pourrait multiplier les exemples suggère toutefois, comme pour les catholiques, qu’elles restent finalement sans grand effet. L’éloge de la modération figure également sous la plume d’Olivier de Serres dans son Théâtre d’agriculture ; selon lui, les fruits de la terre doivent être employés « à la gloire de Dieu, pour user, et non pour abuser de ses biens48 ». La mesure est souvent mise en avant comme dans le testament du pasteur du Moulin adressé à ses fils à Sedan en 1649 : « Il faut aussi nourrir vos enfants sobrement. Ils en seront plus vigoureux et propres au travail. S’ils tombent en pauvreté, ils seront accoutumés à se passer de peu49. » Cette sobriété affichée semble parfois se retrouver dans les intérieurs protestants comme à Montauban au xviie siècle avec une vaisselle en étain et des couverts peu nombreux50. Mais, dans d’autres cas notamment au xviiie siècle, la confession protestante n’empêche pas la possession d’un bon équipement culinaire composé de broches, grils, poêles à frire et autres tourtières51.

  • 52  Richard M.-E., La vie des protestants français, op. cit., p. 167.
  • 53  Furetière A., Dictionnaire universel, La Haye, A. et R. Leers, 1690. « La huguenote est une marmit (...)
  • 54  Foa J., « Contribution des guerres de religion à la naissance d’un espace privé », Histoire urbain (...)
  • 55  AD 47, 5 J 644 (2), registre paroissial de Clairac, 19 septembre 1703.
  • 56  Cité par Pacteau de Luze S., Les protestants et Bordeaux, op. cit.
  • 57  AD 64, B 5444.

19L’édit de Fontainebleau entraîne-t-il une transformation des habitudes alimentaires protestantes ? La comparaison d’un échantillon d’inventaires après décès du xviie siècle et du xviiie siècle ne révèle aucune différence notable, au-delà des évolutions habituelles liées à la modernisation observée par ailleurs. La consommation de viande les jours maigres se poursuit-elle aussi malgré les interdictions ? Elle suscite en tout cas l’inquiétude des autorités catholiques. L’évêque d’Agen accuse ainsi toujours les nouveaux convertis de donner à leur domestique « de la soupe avec de la graisse » en période de maigre52. Cette méfiance des catholiques s’illustre à travers l’apparition du mot « huguenote ». Selon le Dictionnaire Universel de Furetière, il s’agit d’un « petit fourneau de terre ou de fer avec une marmite dessus, qui sert à faire cuire secrettement & sans bruit quelque chose. Ce mot vient de ce que les Huguenots s’en sont premièrement servis pour faire cuire leurs viandes les jours deffendus, sans faire de scandale53 ». Comme le remarque Jérémie Foa à Troyes au xvie siècle, ces odeurs de viande provenant des maisons protestantes les jours interdits pouvaient être perçues comme une forme de transgression54. Dans les provinces où les anciens protestants restent nombreux au xviiie siècle, la consommation de viande en maigre apparaît comme une provocation assumée qui permet sans doute un peu de continuer à affirmer, sans encourir trop de risques, une identité protestante. Ainsi, en 1703, l’archiprêtre de Tonneins, curé de Clairac, se plaint que les boucheries de la ville continuent à débiter « publiquement de la viande […] au mépris des lois de l’Église » lors des vigiles ; pour tenter de faire cesser cette pratique, il s’adresse aux consuls de la ville, mais sans effet, constatant que ces derniers sont « bien loin de l’empêcher », étant eux-mêmes de nouveaux convertis55. La réaction indignée du curé semble donc susciter l’indifférence d’une communauté où le protestantisme reste très présent. Dans d’autres cas, la pression sur les protestants reste en tout cas de mise comme le suggère le témoignage de Daniel Ducos, apprenti chez un négociant des Chartrons dans les années 1740, dont la maîtresse cherche à obtenir la conversion à tout prix : « Dans les jours de Vigile ou de Carême, il y en avait […] qui venaient sentir ma bouche pour savoir si je n’avais pas mangé du gras ou de la viande disant que la cuillère qui touchait ma bouche et trempait au plat, souillait leur jeûne56. » La question du respect ou non des jours de jeûne représente toujours un terrain sensible au xviiie siècle dont les protestants eux-mêmes semblent parfois jouer. Ainsi, en juillet 1747, dans le cadre d’une procédure menée par le procureur du roi contre des assemblées clandestines en Béarn aux alentours d’Oloron, un témoin relate une scène où un pasteur protestant entre dans la grange d’une paysanne pour se protéger de la pluie ; cet « homme avec une redingote, le visage gravé de la petite vérole, cheveux châtains, de taille avantageuse entra dans la chambre où elle étoit, le dit homme remarqua deux jambons pendant au plancher, dit que c’étoit une bonne provision pour le carême57 », ce qui apparut certainement comme une provocation ironique aux yeux des catholiques présents.

20La révocation de l’Édit de Nantes ne modifie pas radicalement des habitudes de consommations déjà guère éloignées de celles des catholiques ; cependant elle a peut-être eu deux conséquences sur la culture alimentaire protestante qu’il conviendrait certainement d’explorer plus en profondeur. La première est sans doute un repli sur l’espace domestique favorisant l’émergence d’une cuisine plus familiale. La seconde est l’ouverture aux saveurs venues d’ailleurs, notamment une adoption assez rapide de boissons exotiques, en raison des liens familiaux avec l’étranger permis par les protestants du Refuge. Au-delà, il se dégage plutôt des goûts partagés entre protestants et catholiques.

Des goûts partagés

  • 58  Hanlon G., L’univers des gens de biens. Culture et comportements des élites urbains en Agenais-Con (...)

21Les sources examinées laissent en effet plutôt apparaître une culture alimentaire partagée selon son milieu social, sa région et son environnement. Comme cela a déjà pu être remarqué, par exemple, par Gregory Hanlon à propos de l’Agenais au xviie siècle, on observe de nombreuses convergences parmi les élites58. Les mêmes tendances et les mêmes orientations sont suivies par les catholiques et les protestants.

  • 59  De Serres O., op. cit., p. 221.

22En premier lieu, tous deux partagent un même attrait pour les plaisirs de la bonne chère. Cet intérêt des protestants pour la nourriture, parfois négligé ou sous-estimé, apparaît pourtant dans de nombreuses circonstances. Olivier de Serres, par exemple, dans ses conseils domestiques développés dans le Théâtre d’agriculture et mesnage des champs, ne néglige pas tout ce qui a trait à la table dans laquelle on peut trouver une certaine forme de plaisir. Ainsi, il note à propos du vin, « Après le pain, vient le vin, second aliment donné par le Créateur à l’entretenement de ceste vie, et le premier célébré pour son excellence » et loue ensuite les vertus des vins réputés59. La maîtresse de maison, selon lui, doit aussi connaître les aliments appréciés qui sauront satisfaire son entourage :

  • 60  Ibid., 2001, p. 1212.

« Outre le pain blanc de l’ordinaire, plusieurs autres pains, délicats et friands, se font de la fine fleur de farine, seule et meslingée, dont la mère-de-famille n’en ignorera la façon, par telles gentillesses, manifestant la gentillesse de son esprit, où elle l’employera, et les mains avec, digne ouvrage de toute honorable damoiselle, pour en parer sa table à la survenue des amis, pour les malades, pour les enfans, pour opportunément en faire des présens60. »

  • 61  Mémoires inédites de Dumont de Bostaquet, gentilhomme normand, Paris, Michel Lévy Frères, 1864, p. (...)
  • 62  Ibid., p. 82, 90, 155 et 226.
  • 63  AD 47, E sup. 2121-2124 ; 20 J 1, état de la dépense de la ville de Clairac pour l’année 1652. Dan (...)

23Les écrits du for privé, comme chez les catholiques, laissent parfois resurgir au fil des pages quelques annotations sur la nourriture. Le normand Dumont de Bostaquet parsème ses mémoires de l’évocation des nombreux banquets auxquels il participe. Dans bien des cas, comme lors du retour chez lui après son mariage, il fait l’éloge des plaisirs de la table : « Nous trouvâmes bonne chère […] je fis de mon mieux […] pour régaler mes amis61. » Ce goût de la bonne chère se manifeste ostensiblement tout au long de ses mémoires y compris lors de sa fuite en Hollande sur les chemins de l’émigration62. Toutes ces remarques témoignent d’une sociabilité épulaire des protestants similaire à celle des catholiques. La table possède aussi pour eux une fonction festive de représentation. Elle se retrouve dans le cadre d’institutions dominées par des protestants ou, pour le xviiie siècle, par des nouveaux convertis. À Layrac, Clairac ou Nérac, les magistrats municipaux organisent et participent à des banquets63. En 1628, par exemple, les consuls de Nérac font servir le souper suivant en l’honneur du comte de Maillé, gouverneur de la ville :

  • 64  AD 47, E sup 3110, Nérac, pièces justificatives des comptes.

« Trois perdrix rôties
Trois palombes rôties
Un chapon rôty
Un quartier d’agneau rôty
Un lapin rôty
Un pâté de chevreau
Un faisan
Une salade
Un potage aux pieds de mouton
Agneau
Un plat d’entrée de table
Onze oranges
Un pain
Une tarte
Six biscuits
Six biscuits de Savoie
Un plat de poires
Un plat de pommes
Fromages
Mémoire de ce que j’ay fourni par le commandement de messieurs les consuls pour le
souper de Mr le Comte de Maillé, gouverneur de la ville64. »

  • 65  Meyzie P., La Table du Sud-Ouest et l’émergence des cuisines régionales (1700-1850), Rennes, Press (...)
  • 66  Meyzie P., « Les cadeaux alimentaires dans la Guyenne du xviiie siècle : sociabilité, pouvoirs et (...)
  • 67  AD 47, 20 J 1, état de la dépense pour l’année 1652.
  • 68  De la même manière, on remarque souvent la participation des protestants aux festivités du carnava (...)

24Les mets proposés sont similaires à ceux servis aux tables édilitaires des autres villes de la région comme Agen65. L’usage des présents de bouche aux personnages puissants protecteurs de la cité est également répandu66. En avril 1652, les magistrats de Clairac offrent des poulets, des pigeons et des artichauts à Monseigneur d’Harcourt ; en juillet, ce sont des fruits qui sont envoyés à la duchesse de Vivens ; au cours de la même année, plusieurs dons de vins sont faits à l’intendant67. Malgré la dualité religieuse des élites urbaines de l’Agenais, on observe des convergences entre les deux communautés que confirment leur alimentation et les usages qui l’entourent. Les pratiques alimentaires et les témoignages des protestants ne laissent pas apparaître au final un désintérêt pour l’alimentation et les plaisirs de la nourriture ou du vin68.

  • 69  AD 64, B 18.
  • 70  AD 64, B 84.
  • 71  Meyzie P., L’alimentation en Europe, op. cit., p. 243.
  • 72  AD 64, B 2200, mars 1573, frais des jambons envoyés au roi au camp de La Rochelle par la Chambre d (...)
  • 73  AD 64, B 3397.
  • 74  AD 64, B 3248, dépenses faites par les États de Navarre, octobre et novembre 1599.

25L’art culinaire s’exprime donc pleinement à la table des protestants. Il suffit pour s’en convaincre de recenser les aliments fournis à la famille de Navarre à la fin du xvie siècle. Au cours de l’année 1571, Jeanne de Navarre et sa cour consomment ainsi de la viande en quantité comme il est de coutume dans les milieux nobiliaires. Dans ses dépenses de cuisine, on trouve des achats de veau, de pigeons, de palombes, de chapons, de lard, etc. Elle se place aussi à la pointe des modes avec l’adoption des produits venus du Nouveau Monde comme la dinde que l’on retrouve servie à plusieurs reprises69. Cette alimentation carnée caractérise aussi la table d’Henri de Navarre ; chaque jour en 1581 ou lors de ses séjours à Mont-de-Marsan et à Pau au cours de l’année 1584, plusieurs viandes sont préparées et on peut observer une prédilection du roi pour les gibiers à plumes (sarcelles, alouettes, perdrix, bécasses)70. Les condiments, les épices et les aromates les plus fins font aussi partie des achats réguliers de la cour comme la muscade, la cannelle, les pignons, les raisins de Damas ou le poivre. Le choix des aliments est ici tout à fait conforme aux idéaux aristocratiques de cette fin de xvie siècle71. Le roi de Navarre, tout juste converti au catholicisme, apprécie d’ailleurs sans doute les spécialités de sa province puisqu’il reçoit par exemple des jambons lors du siège de La Rochelle en 1573 expédiés par la Chambre des Comptes de Pau72. Une fois converti définitivement à la religion catholique, Henri IV ne transforme pas en profondeur ses habitudes alimentaires et il continue, par exemple, à recevoir des jambons, des oies et des pâtés des villes du Béarn73. Les États de Navarre organisent également des repas d’apparat où sont servies les viandes les plus délicates comme des chapons, des perdrix, des palombes, etc.74. Les consommations de ces élites protestantes sont guidées par l’obligation de tenir son rang et sont donc semblables à celles des élites catholiques.

  • 75  Préaud M. et Join-Lambert S. (dir.), Abraham Bosse : savant graveur (vers 1604-1676), Paris, Bibli (...)

26Certaines estampes d’Abraham Bosse (vers 1604-1676) servent souvent à illustrer l’ordre, la rigueur et l’austérité de la table protestante, mais donnent aussi à voir la qualité des mets que l’on peut retrouver dans l’alimentation des élites protestantes du Grand siècle75.

  • 76  Meller P., Les familles protestantes à Bordeaux d’après les registres de l’État-civil avant 1793, (...)

27Dans cette scène de repas que représente La bénédiction de la table (fig. 2), la prière des convives est bien évidemment mise en avant, mais si on examine en détail les objets représentés, tout laisse à penser que la nourriture proposée est une alimentation raffinée propre aux élites. Sur la table sont disposés de nombreux plats largement garnis de viandes ; à côté de la table, des bouteilles de vin sont placées dans un rafraîchissoir pour le servir frais aux convives, ce qui correspond à une habitude nouvelle de boire le vin, fort appréciée des élites du xviie siècle. Sur la gravure Le Goût figurent aussi des artichauts, légumes venus d’Italie, fort prisés des élites de l’époque. Dans le Pâtissier où sont présentes des femmes pouvant correspondre à une clientèle protestante aisée, les petits pâtés et autres tourtes renvoient à une nourriture raffinée. Le luxe de la table représenté par ce peintre protestant n’est guère éloigné de celui que l’on pourrait retrouver chez les élites catholiques du xviie siècle qui font d’ailleurs souvent appel à ses services. Au siècle suivant, la table des négociants bordelais protestants d’origine étrangère propose une cuisine raffinée tout à fait comparable à celle que l’on retrouve chez les élites catholiques de la ville. Reçue à dîner par les protestants de la ville en 1785, la voyageuse allemande Sophie de La Roche nous décrit avec soin les mets qui lui sont proposés. À la table de la famille Desclaux76, elle souligne notamment la grande variété des poissons servis :

  • 77  Méaudre de Lapouyade M., « Impressions d’une Allemande à Bordeaux en 1785 », Revue historique de B (...)

« Cela se passe comme dans les bonnes maisons de chez nous, si ce n’est, je crois, qu’à raison de la facilité qu’on a d’ajouter du poisson de mer aux ragoûts et aux rôtis, les menus sont plus abondants. Après deux potages, chacun prit et offrit de ce qu’il voulut de chacun des plats qui étaient devant lui. Nous avions cinq espèces des meilleurs poissons de mer, entre autres des rougets, petits poissons rouges à la chair très délicate et qui ressemblent aux dorades de la Chine. Nous avions aussi des tourterelles, une par personne, ainsi qu’on fait chez nous des grives. L’habitude qu’on a de servir le lièvre avec la tête, fait que cet animal, mis à côté du turbot, qui est un poisson plat et rond, offre un drôle d’aspect. Les asperges et les petits pois sont les seuls légumes qu’on trouve pendant la sécheresse. Tout était très réussi, en particulier les pâtisseries, qui furent servies avec beaucoup de glaces ; les messieurs burent des vins exquis77. »

Figure 2. – Abraham Bosse, La bénédiction de la table.

Figure 2. – Abraham Bosse, La bénédiction de la table.
  • 78  Meyzie P., « La table de la Jurade, haut-lieu de la gastronomie bordelaise au xviiie siècle », Hub (...)
  • 79  Par exemple, AD 33, 3 E 13238, veuve Vanderhagen, 22 juin 1753 ; 3 E 13551, Sébastien Germé, 16 ja (...)
  • 80  AD 33, 3 E 13237, inventaire après décès de Pierre Meske, 15 mai 1752.
  • 81  Archives municipales de Bordeaux, fonds Mernan, dossiers 4 et 5. La famille Mernan ou Meernan est (...)
  • 82  Archives municipales de Bordeaux, fonds Mernan, dossier 6, 6 août 1807.

28Cette richesse culinaire correspond à celle que l’on peut observer lors des banquets organisés par la Jurade de la ville78. Les inventaires après décès des négociants protestants bordelais viennent confirmer ce luxe de la table79. En mai 1752, le négociant Pierre Meske, dans sa demeure des Chartrons, possède un service en porcelaine fine dorée d’inspiration chinoise et une batterie de cuisine en cuivre bien fournie qui suggèrent une alimentation et des manières de table raffinées80. Si on s’aventure dans les premières années du xixe siècle, la table des élites protestantes continue d’être très proche de celle des catholiques. Les dépenses de bouche du négociant bordelais Pierre Mernan, membre des milieux protestants de la ville81, révèlent une alimentation variée mélange d’enracinement et d’exotisme où l’on retrouve du veau, de la dinde, des rougets, des truffes, des ortolans, des soles, du sucre, de la vanille ou du café de la Martinique. Ce repas préparé par Bardineau, l’un des traiteurs les plus réputés, le 6 août 1807, correspond là encore tout à fait aux modes culinaires du temps82 :

29Dîner servi par le traiteur bordelais Bardineau à Mernan, courtier, le 6 août 1807.

« Potage et bouilly
Deux entrées piquées
Un plat de rougets
Un plat de 10 côtelettes
Melon, figue, beurre et radis
Un dindonneau piqué au cresson
24 muriers
Un plat de pois
Un plat d’épinards
Un plat de petits pois à la crème
Un plat de beignet de pêche
Une salade
12 pêches
Prunes
Fraise
Fromage
Raisin
Deux assiettes à pâtisserie »

  • 83  Rambeaud P., op. cit., p. 313.
  • 84  AD 33, G 898 et Boisson D., Les protestants bordelais, op. cit., p. 56-58.
  • 85  Bou S., La communauté protestante de Clairac de 1661 à 1690, maîtrise d’histoire, université Toulo (...)
  • 86  AD 64, B 140 ; Grintchenko M-H., Catherine de Bourbon (1559-1604). Influence politique, religieuse (...)

30Du xvie siècle au xviiie siècle, il est aussi tout à fait courant de rencontrer des protestants dans les divers métiers de bouche qui concourent à cette table de qualité. D’après les études menées à La Rochelle par Pascal Rambeaud à partir des actes notariés entre 1558 et 1562 sont installés dans la ville plusieurs maîtres pâtissiers protestants83. À Bordeaux en 1686, parmi les nouveaux convertis figurent un pâtissier, trois bouchers, deux cuisiniers, un hôtelier, un aubergiste et cinq cabaretiers84 ; au siècle suivant, on retrouve aussi beaucoup de pâtissiers originaires de Suisse. Dans la juridiction de Clairac où l’on compte plus de 92 % des protestants en 1661, on dénombre toujours dans la ville onze hôtes en 169985. Le personnel dédié à la table qui entoure les princes et princesses protestantes est lui aussi tout à fait important. En 1576, au service de Catherine de Bourbon, on trouve deux écuyers de cuisine, trois potagers, trois rôty et hasteurs, un garde-vaisselle, deux enfants de cuisine, trois pâtissiers et un huissier de cuisine ; le faste de la cour de cette princesse calviniste s’exprime à travers cette domesticité abondante et spécialisée86.

  • 87  Archives départementales du Gard, 1 Mi 87, Fonds Boiffils de Massanne.
  • 88  Meyzie P., La Table du Sud-Ouest, op. cit., p. 279.
  • 89  AD 64, 60 J 408/2, inventaire après décès de Jacques Destandau, 10 juin 1749.
  • 90  Benoist A., « Vie paysanne et protestantisme en « Moyen-Poitou » du xvie siècle à la Révolution », (...)
  • 91  Meyzie P., L’alimentation en Europe, op. cit., p. 122-130.
  • 92  Richard M. E., La vie des protestants français de l’édit de Nantes à la Révolution, op. cit., p. 9 (...)
  • 93  Richard M. E., La vie quotidienne des protestants, op. cit., p. 193.

31Pour les nourritures quotidiennes et plus ordinaires, les convergences semblent aussi de mise entre catholiques et protestants en fonction de leur appartenance sociale. Le livre de raison de Durand de Massane, bourgeois de la ville de Sumène dans les Cévennes à la fin du xvie siècle, mentionne un certain nombre d’achats alimentaires : lard, châtaignes, vin, bœuf salé, porc, chevreau, perdrix, lièvres, anguilles, truites, harengs, œufs, etc. Il agrémente ces nourritures de divers condiments comme du poivre, de la cannelle, du girofle ou du safran selon les modes culinaires de son temps87. La consommation de châtaignes montre aussi une parfaite insertion de ce protestant dans la culture alimentaire locale. Cette imprégnation des goûts régionaux se manifeste couramment dans les consommations des protestants. L’usage de viandes conservées dans la graisse très répandu dans le sud-ouest de la France88, est bien présent : en 1749, le chirurgien Jacques Destandau conserve ainsi dans sa maison près d’Orthez plusieurs pots de graisse où, selon le notaire qui réalise l’inventaire, se trouve « quelque peu de sallé89 ». À d’autres niveaux sociaux, on peut observer, sans surprise, les mêmes traits communs partagés avec le reste de la population selon sa fortune. Les paysans protestants du Moyen-Poitou ont une alimentation très simple où la viande n’apparaît que les jours de fêtes90 à l’instar de ce que l’on observe généralement dans les milieux paysans91. De même, la nourriture des marins protestants rochelais composée de morue bouillie, de maquereau, de pois et de fèves est en tout point semblable à celle des marins catholiques92. Les camisards font aussi preuve de sobriété avec une nourriture à base de châtaignes, de soupes de fèves et de pois chiches qui correspond tout à fait aux habitudes de consommations des paysans cévenols93.

*

  • 94  Wanegfellen T., « La difficile identité des protestants français entre Réforme et Révocation », Be (...)
  • 95  À la fin de l’Ancien Régime, la Chambre de commerce de Bordeaux qui réunit le monde du négoce, don (...)

32L’alimentation semble confirmer que les protestants sont guidés par deux nécessités contradictoires : affirmer leur identité et s’intégrer au mieux94. Si, dans les discours des premiers temps de la Réforme et dans la consommation visible de viande en maigre par certains protestants, l’alimentation permet de repérer des attitudes foncièrement anticatholiques, dans la plupart des cas, les convergences avec les goûts des catholiques semblent les plus apparentes. Il est donc difficile de distinguer une culture alimentaire protestante spécifique dans la France moderne. La confessionnalisation des pratiques alimentaires du xvie siècle à la Révocation n’apparaît pas comme un critère déterminant dans l’analyse des sources disponibles. Le xviiie siècle marque même sans doute un rapprochement encore plus net dans ce domaine. Partageant une même conception de la société, les catholiques et les protestants restent attachés à la nécessité de tenir leur rang ; pour les princes, les officiers, les nobles ou les élites du commerce, il convient de tenir une table de qualité ; pour le peuple, il s’agit de manger selon ses moyens tout en essayant de profiter de quelques plaisirs culinaires les jours de fête notamment. Si, dans certains cas, l’austérité semble prévaloir à la table des protestants, il est aussi possible de trouver des consommations alimentaires frugales dans les milieux catholiques dévots. La bonne chère a donc aussi sa place dans le protestantisme. Imprégnée par la culture alimentaire locale, les modes de leurs temps et les consommations de leur milieu social, la culture alimentaire des protestants ne doit pas être réduite à sa seule dimension religieuse. Elle représente une culture alimentaire plurielle où viennent se mélanger des influences sociales et culturelles diverses. Dans le sud-ouest du royaume, les contacts nombreux avec les catholiques ne peuvent conduire à l’existence de consommations alimentaires totalement séparées. Dans le milieu des négociants bordelais du siècle des Lumières où se côtoient catholiques, nouveaux-convertis et protestants étrangers, l’air du grand large et des saveurs exotiques représentés par le sucre, le café ou le thé représente un trait commun qui dépasse les appartenances religieuses95. Il ne faut donc sans doute pas surestimer le poids de la religion sur les choix alimentaires ; la liberté individuelle prévaut assez largement en termes de goûts, au-delà des discours et des normes.

Notes

1  Pitte J.-R., Bordeaux-Bourgogne. Les passions rivales, Paris, Hachette Littératures, 2005 et Le vin et le divin, Paris, Fayard, 2004.

2  Ferrières M., « À la table d’une famille cévenole », De l’herbe à la table. La viande dans la France méridionale à l’époque moderne, Actes du colloque de 1993, Montpellier, université Paul Valéry, 1994, p. 211-224.

3  Christin O., « La foi comme chope de bière : Luther, les moines, les jeûnes », Csergo J. (dir.), Trop gros ? L’obésité et ses représentations, collection Mutations n° 254, Paris, Éditions Autrement, 2009, p. 45-61.

4  Quellier F., La Gourmandise, histoire d’un péché capital, Paris, Armand Colin, 2010.

5  Sur l’intérêt et les limites du concept de confessionnalisation, voir Chaix G., « La confessionnalisation : Note critique », Bulletin de la Société d’Histoire du Protestantisme français. vol. 148, oct.-déc. 2002, p. 851-865.

6  Wanegffelen T., « La difficile identité des protestants français entre Réforme et Révocation », Belissa M., Bellavitis A., Cottret M. et al. (éd.), Identités, appartenances, revendications identitaires, Paris, Nolin, 2005, p. 12-23 ; Mentzer R., La construction de l’identité réformée aux xvie et xviie siècles : le rôle des consistoires, Paris, Champion, 2006.

7  Sur les enjeux d’une histoire globale de l’alimentation, voir Meyzie P., L’alimentation en Europe à l’époque moderne, Paris, Armand Colin, 2010.

8  Boisson D. et Daussy H., Les protestants dans la France moderne, Paris, Belin, 2006.

9  Notamment Boisson D., Les protestants bordelais à l’époque de la révocation de l’édit de Nantes (vers 1680-1700), TER, Bordeaux III, 1984 ; Pacteau de Luze S., Les protestants et Bordeaux, Bordeaux, Mollat, 1999 ; Rambeaud P., De La Rochelle vers l’Aunis. L’histoire des réformés et de leurs Eglises dans une province française au xvie siècle, Paris, Champion, 2003.

10  Figeac M. (dir.), Les affrontements religieux en Europe. Du début du xvie siècle au milieu du xviie siècle, Paris, Sedes, 2008.

11  Sauzet R., « Discours cléricaux sur la nourriture », Margolin Jc. et Sauzet R. (dir.), Pratiques et discours alimentaires à la Renaissance. Actes du colloque de Tours 1979, Paris, G.P. Maisonneuve et Larose, 1982, p. 247-255.

12  Christin O., « La foi comme chope de bière », art. cit., p. 52.

13  Postel C., Traité des invectives au temps de la Réforme, Paris, Les Belles Lettres, 2004, p. 285.

14  Calvin J., Institution de la religion chrestienne, Genève, sans éditeur, 1541, épître dédicatoire.

15  Sur ce sujet, voir Quellier F., op. cit., p. 75.

16  Cité par Krumenacker Y., Les Protestants du Poitou au xviiie siècle (1681-1789), Paris, Champion, 1998, p. 38.

17  Vanasse C., « Le jeûne dans les débats confessionnels au xvie siècle », Viallon-Schoneveld M. (éd.). Le Boire et le manger au xvie siècle, Actes du XIe colloque du Puy-en-Velay, Saint-Étienne, Publication de l’université de Saint-Etienne, 2004, p. 237-252.

18  Luther M., « Des bonnes œuvres », Lienhard M. et Arnold M. (éd.), Œuvres, t. I, Paris, Gallimard, 1999, p. 494.

19  Meyzie P., op. cit., p. 175.

20  Richard M., La vie des protestants français de l’Edit de Nantes à la Révolution (1598-1789), Paris, Les Editions de Minuit, 1994, p. 35.

21  Vanasse C., op. cit., p. 243.

22  Lestringant F., « Catholiques et cannibales. Le thème du cannibalisme dans le discours protestant au temps des guerres de religion », Margolin J.-C. et Sauzet R. (dir.), op. cit., p. 233-245.

23  Cité par Garisson J., L’homme protestant, Paris, Hachette, 1980, p. 24.

24  Gaches R., Seize sermons sur divers textes de l’Ecriture sainte, Genève, J. A. et S. de Tournes, 1660, sermon sur II Pier : 5/9, p. 403, cf. Chevalier F., Prêcher sous l’Edit de Nantes. La prédication réformée au xviie siècle en France, Genève, Labor et Fides, 1994, p. 143.

25  Merlin P., Sermons, cité par Garisson J., Protestants du Midi 1559-1598, Toulouse, Privat, 1991, p. 292.

26  Meyzie P. (dir.), « La gourmandise entre péché et plaisir », Lumières, n° 11, 1er semestre 2008, notamment Galinier-Pallerola J., « Peut-on manger avec plaisir et sans péché ? La gourmandise dans les sermons catholiques français du xviiie siècle », p. 47-56 et Quellier F., « Casuistique et gourmandise. Le cas de conscience du péché de gourmandise au xviiie siècle », p. 57-72.

27  Christin O., op. cit., p. 48.

28  Cité par Garisson J., L’homme protestant, op. cit., p. 132.

29  Abad R., « Un indice de déchristianisation ? L’évolution de la consommation de viande en carême sous l’Ancien Régime », Revue Historique, n° 610, avril-juin 1999, p. 237-275.

30  Archives départementales des Pyrénées-Atlantiques (désormais AD 64), E 1998 ; Dubarat V., « Traité de fournitures de vivres pour la maison de Jeanne d’Albret (3 février 1564) », Revue du Béarn, 1904, p. 300-311.

31  Cette diversité est assez comparable à celle que l’on peut rencontrer au xviie siècle dans l’aristocratie catholique comme à la table des ducs de Guise ; voir Meiss-Even M., Etre ou avoir : les ducs de Guise et leur paraître (1506- 1588), thèse université François Rabelais, Tours, 2010 ; ead., Les Guise et leur paraître, Rennes, Presses universitaires de Rennes, 2014.

32  AD 64, B 18 et 19, dépense ordinaire de Jeanne de Navarre, 1571 ; B 58, 59 et 84, journal de la dépense ordinaire du roi de Navarre.

33  Montenach A., « Une économie du secret. Le commerce clandestin de viande en carême (Lyon, fin du xviie siècle) », Rives méditerranéennes, n° 17, 2004, p. 85-103.

34  AD Lot-et-Garonne (désormais AD 47), 5 J 644 (1).

35  Cela correspond à ce qui a pu être observé en Poitou où la vente de viande en période de jeûne apparaît comme une provocation anticatholique ; Krumenacker Y., op. cit., p. 418.

36  Bert P., Histoire de la révocation de l’Edit de Nantes à Bordeaux et dans le Bordelais, Bordeaux, M. Mounastre-Picamilh, 1908, p. 75 et Archives Historiques de la Gironde, t. XXV, p. 421.

37  AD 33, G 1027.

38  Pacteau de Luze S., « La vie religieuse des protestants allemands de Bordeaux aux xviiie et xixe siècles », Ruiz A. (dir.), Présence de l’Allemagne à Bordeaux du siècle de Montaigne à la veille de la Seconde Guerre mondiale, Pessac, Presses universitaires de Bordeaux, 1997, p. 101-114.

39  AD Gironde (désormais AD 33), 7 B 1149, livre de dépenses de maison du négociant Höppfner (1748/1764) et 10 J70, dépenses de table de Marie-Joséphine de Galatheau (1754-1762) ; sur les dépenses de bouche de Marie-Joséphine de Galatheau, voir Meyzie P., « La noblesse provinciale à table : les dépenses alimentaires de Marie-Joséphine de Galatheau (Bordeaux, 1754-1763) », Revue d’histoire moderne et contemporaine, n° 54-2, avril-juin 2007, p. 32-54.

40  Desplat C., « Réforme et culture populaire en Béarn du xvie au xviiie siècle », Histoire, économie et société, 1984, 3e année, n° 2, p. 183-202.

41  Frossard C., Discipline ecclésiastique du Pays de Béarn, Paris, Grassart, 1877.

42  Ibid., p. 188.

43  Garisson J., Protestants du Midi, op. cit., p. 105 ; Estèbe J. et Vogler B., « La genèse d’une société protestante : étude comparée de quelques registres consistoriaux languedociens et palatins vers 1600 », Annales. Économies, Sociétés, Civilisations, 31e année, n° 2, 1976, p. 362-388.

44  Lecoutre M., Ivresse et ivrognerie dans la France moderne, Rennes, Presses universitaires de Rennes/Presses universitaires François Rabelais, 2011.

45  Voir, par exemple, à propos du synode du Poitou, Krumenacker Y., op. cit., p. 404.

46  Bolle P., « Une paroisse réformée du Dauphiné à la veille de la révocation de l’Édit de Nantes : Mens-en-Trièves », Bulletin de la société historique du protestantisme, janvier-mars 1965, p. 224-225.

47  El Bounia-Roudet P., Les protestants de Tonneins sous le règne de Louis XIV, TER, université Bordeaux III, 1987, p. 93.

48  de Serres O., Le Théâtre d’agriculture et mesnage des champs dans lequel est représenté tout ce qui est requis et nécessaire pour bien dresser, gouverner, enrichir et embellir la maison rustique, Arles, Actes Sud, 1996, p. 1151.

49  Richard M., La vie quotidienne des protestants sous l’Ancien Régime, Paris, Hachette, 1966, p. 95.

50  Rome C., Les bourgeois protestants de Montauban au XVIIesiècle. Une élite urbaine face à une monarchie autoritaire, Paris, Champion, 2002, p. 73.

51  Voir, par exemple, Vaquier S., Les protestants bordelais à la fin de l’Ancien Régime et au début de la Révolution (1785-1795), TER, Bordeaux III, 1985.

52  Richard M.-E., La vie des protestants français, op. cit., p. 167.

53  Furetière A., Dictionnaire universel, La Haye, A. et R. Leers, 1690. « La huguenote est une marmite de métal, ou de terre qui est sans piez, & qu’on met ordinairement sur un fourneau. C’est aussi un fourneau de terre à faire bouillir le pot » selon Richelet P., Dictionnaire de la langue françoise, ancienne et moderne, Lyon, J. M. Bruyset, 1759.

54  Foa J., « Contribution des guerres de religion à la naissance d’un espace privé », Histoire urbaine, n° 19, août 2007, p. 129-143.

55  AD 47, 5 J 644 (2), registre paroissial de Clairac, 19 septembre 1703.

56  Cité par Pacteau de Luze S., Les protestants et Bordeaux, op. cit.

57  AD 64, B 5444.

58  Hanlon G., L’univers des gens de biens. Culture et comportements des élites urbains en Agenais-Condomois au xviie siècle, Talence, Presses universitaires de Bordeaux, 1989.

59  De Serres O., op. cit., p. 221.

60  Ibid., 2001, p. 1212.

61  Mémoires inédites de Dumont de Bostaquet, gentilhomme normand, Paris, Michel Lévy Frères, 1864, p. 29.

62  Ibid., p. 82, 90, 155 et 226.

63  AD 47, E sup. 2121-2124 ; 20 J 1, état de la dépense de la ville de Clairac pour l’année 1652. Dans certaines villes, ces banquets réunissent jurats protestants et catholiques ; Hanlon G., « Un tableau en demi-teintes : l’équilibre confessionnel en Aquitaine au lendemain de l’édit de Nantes », Bibliothèque de l’école des chartes, 2002, t. 160, livraison 2, p. 629-640.

64  AD 47, E sup 3110, Nérac, pièces justificatives des comptes.

65  Meyzie P., La Table du Sud-Ouest et l’émergence des cuisines régionales (1700-1850), Rennes, Presses universitaires de Rennes, 2007.

66  Meyzie P., « Les cadeaux alimentaires dans la Guyenne du xviiie siècle : sociabilité, pouvoirs et gastronomie », Histoire, Economie, Société, janvier-mars 2006, p. 33-50.

67  AD 47, 20 J 1, état de la dépense pour l’année 1652.

68  De la même manière, on remarque souvent la participation des protestants aux festivités du carnaval.

69  AD 64, B 18.

70  AD 64, B 84.

71  Meyzie P., L’alimentation en Europe, op. cit., p. 243.

72  AD 64, B 2200, mars 1573, frais des jambons envoyés au roi au camp de La Rochelle par la Chambre des Comptes de Pau.

73  AD 64, B 3397.

74  AD 64, B 3248, dépenses faites par les États de Navarre, octobre et novembre 1599.

75  Préaud M. et Join-Lambert S. (dir.), Abraham Bosse : savant graveur (vers 1604-1676), Paris, Bibliothèque nationale de France, 2004.

76  Meller P., Les familles protestantes à Bordeaux d’après les registres de l’État-civil avant 1793, Bordeaux, E. Crugy, Riffaud, 1902.

77  Méaudre de Lapouyade M., « Impressions d’une Allemande à Bordeaux en 1785 », Revue historique de Bordeaux, 1911, p. 269.

78  Meyzie P., « La table de la Jurade, haut-lieu de la gastronomie bordelaise au xviiie siècle », Hubert A. et Figeac M. (dir.), La table et les ports. Cuisine et société à Bordeaux et dans les villes portuaires, Pessac, Presses universitaires de Bordeaux, 2006, p. 63-83.

79  Par exemple, AD 33, 3 E 13238, veuve Vanderhagen, 22 juin 1753 ; 3 E 13551, Sébastien Germé, 16 janvier 1728 ; 3 E 4117, Paul Angrés, 1er juillet 1760.

80  AD 33, 3 E 13237, inventaire après décès de Pierre Meske, 15 mai 1752.

81  Archives municipales de Bordeaux, fonds Mernan, dossiers 4 et 5. La famille Mernan ou Meernan est une famille protestante hollandaise originaire d’Amsterdam installée à Bordeaux depuis le début du xviie siècle. Si certains de ses membres se sont convertis au catholicisme, les Mernan évoluent au cœur des élites protestantes bordelaises notamment par de nombreux mariages. Je remercie vivement Séverine Pacteau de Luze pour ces précieuses indications sur les protestants bordelais.

82  Archives municipales de Bordeaux, fonds Mernan, dossier 6, 6 août 1807.

83  Rambeaud P., op. cit., p. 313.

84  AD 33, G 898 et Boisson D., Les protestants bordelais, op. cit., p. 56-58.

85  Bou S., La communauté protestante de Clairac de 1661 à 1690, maîtrise d’histoire, université Toulouse Le Mirail, 1972.

86  AD 64, B 140 ; Grintchenko M-H., Catherine de Bourbon (1559-1604). Influence politique, religieuse et culturelle d’une princesse calviniste, Paris, Honoré Champion, 2009.

87  Archives départementales du Gard, 1 Mi 87, Fonds Boiffils de Massanne.

88  Meyzie P., La Table du Sud-Ouest, op. cit., p. 279.

89  AD 64, 60 J 408/2, inventaire après décès de Jacques Destandau, 10 juin 1749.

90  Benoist A., « Vie paysanne et protestantisme en « Moyen-Poitou » du xvie siècle à la Révolution », Histoire et sociétés rurales, t. 92, n° 2, 1985, p. 161-182.

91  Meyzie P., L’alimentation en Europe, op. cit., p. 122-130.

92  Richard M. E., La vie des protestants français de l’édit de Nantes à la Révolution, op. cit., p. 97.

93  Richard M. E., La vie quotidienne des protestants, op. cit., p. 193.

94  Wanegfellen T., « La difficile identité des protestants français entre Réforme et Révocation », Belissa M. et al. (dir.), Identités, appartenances, revendications identitaires, op. cit., p. 13-23.

95  À la fin de l’Ancien Régime, la Chambre de commerce de Bordeaux qui réunit le monde du négoce, donne des banquets fastueux auxquels participent aussi bien des marchands catholiques que protestants ; voir Meyzie P., La Table du Sud-Ouest, op. cit., p. 48.

Table des illustrations

Titre Figure 1. – Comparaison des dépenses alimentaires des élites bordelaises protestantes et catholiques au milieu du xviiie siècle.
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Titre Figure 2. – Abraham Bosse, La bénédiction de la table.
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