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Les voies de la richesse ?

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Quatrième partie. Les derniers feux de l’antiphysiocratie au XIXe siècle : les Saint-Simoniens et Tocqueville

Tocqueville, lecteur critique de la Physiocratie

Jean-Daniel Boyer et Ragip Ege

Texte intégral

  • 1  Tocqueville Alexis de, L’Ancien Régime et la Révolution, Paris, GF-Flammarion, [1856] 1988, p. 249
  • 2  Ibid., p. 211.
  • 3  Ibid., p. 218-219.
  • 4  Ibid., p. 249.
  • 5  Ibid., p. 251-252.
  • 6  Ibid., p. 253-254.
  • 7  Ibid., p. 255 et 258.
  • 8  Ibid., p. 255.

1La critique que Tocqueville adresse explicitement à la Physiocratie se retrouve au chapitre 3 du livre III de L’Ancien Régime et la Révolution intitulé « comment les Français ont voulu des réformes avant de vouloir des libertés ». Cette critique est plus largement adressée à ceux à qui l’on a donné « le nom commun d’économistes ou de physiocrates1 ». C’est d’ailleurs ici que se trouve la seule référence explicite au terme Physiocratie. Le terme « économistes » est pour sa part bien plus utilisé. Il apparaît quand Tocqueville s’attache à décrire la situation de l’Ancien Régime, que ce soit pour évoquer la désertion des campagnes par les nobles2, l’inégalité face à l’enrôlement dans la milice pour lesquels « les économistes, grands amateurs d’égalité en tout le reste, ne sont point choqués de ce privilège », ou la croyance selon laquelle la misère est un remède à la fainéantise3. Le terme apparaît également pour décrire les volontés de réformes issues des théories des économistes, leur mépris du passé4, leur foi dans l’instruction publique donnée par l’État comme garantie politique, mais aussi leur volonté d’utiliser l’administration royale pour mettre en œuvre leurs projets5 et celle d’utiliser l’État tout-puissant pour façonner la nation. Enfin, Tocqueville suggère la contemporanéité des idées des économistes avec l’émergence des premiers écrits socialistes6. Au final, les économistes partageraient avec le xixe siècle des traits communs7. Ils sont présentés comme les annonciateurs de l’état social français de cette époque. « Pour Tocqueville, de tous les hommes de leur temps, ce sont les économistes qui paraîtraient le moins dépaysés dans le nôtre ; leur passion pour l’égalité est si décidée et leur goût de la liberté si incertain qu’ils ont un faux air de contemporains8. »

  • 9  Tocqueville Alexis de, L’Ancien Régime et la Révolution, op. cit., p. 191.
  • 10  Ibid., p. 250-252.
  • 11  Ibid., p. 104-105.
  • 12  Ibid., p. 161 et 164, Mirabeau lui-même n’a de confiance que dans l’action du pouvoir central pour (...)
  • 13  Ibid., p. 240.
  • 14  Ibid., p. 249-252. « La situation de la France, dit Letronne, est infiniment meilleure que celle d (...)
  • 15  Ibid., p. 253. « L’État fait des hommes tout ce qu’il veut, dit Bodeau », ibid., p. 253.
  • 16  Ibid., p. 252.
  • 17  « Turgot lui-même, que la grandeur de son âme et les rares qualités de son génie doivent faire met (...)
  • 18  Ibid., p. 119.
  • 19  Ibid., p. 143.
  • 20  Ibid., p. 172.
  • 21  Ibid., p. 183-185.
  • 22  Ibid., p. 216.
  • 23  Ibid., p. 287.
  • 24  Ibid., p. 198.
  • 25  Ibid., p. 222.

2À partir de tels qualificatifs, les économistes pourraient finalement comprendre aux yeux de Tocqueville un ensemble assez hétérogène d’auteurs et s’appliquer partiellement aux membres du cercle de Gournay ou à d’autres essayistes cherchant à traiter des questions économiques dans la deuxième moitié du xviiie siècle. Néanmoins, hormis Forbonnais qui n’est cité qu’une fois9 pour décrire la situation financière et fiscale de la France au Moyen Âge, il n’est pas fait mention d’autres membres du cercle de Gournay. Les seuls auteurs cités dans le corps du texte de L’Ancien Régime et la Révolution sont bien tous des auteurs physiocrates ou proches de la Physiocratie. Quesnay est cité deux fois pour évoquer sa critique du système des contre forces et la nécessité de réformes10. Mirabeau est évoqué pour témoigner de son attachement au pouvoir administratif contre les libertés publiques et les structures d’Ancien Régime11, ou pour sa promotion du centralisme12 et de l’esprit d’irréligion13. Le Trosne (« Letronne » dans le texte) est lui aussi cité pour dépeindre la situation de l’Ancien Régime et pour expliquer la mise en place des communautés industrielles, le délaissement des campagnes, le mépris du passé, la valorisation des réformes14. Baudeau (« Bodeau » dans le texte) est évoqué quant à lui pour sa promotion de la toute-puissance de l’État et des réformes15. Lemercier de la Rivière est évoqué quant à lui une fois pour rappeler les nécessaires réformes du royaume16. À la suite de ces premières évocations, il faut également rappeler la vingtaine de références faites à Turgot17. Celui-ci est d’abord cité quand Tocqueville dresse un tableau de la France d’Ancien Régime. Les écrits de Turgot témoignent en effet de la division des héritages18, de l’incapacité des paysans ignorants à s’administrer19, de l’état de pauvreté de la petite noblesse20, de l’impact de la taille sur l’exode rural des propriétaires roturiers des campagnes, de ce même impact sur « l’hostilité des bourgeois des villes contre les paysans de leur banlieue, et la jalousie de la banlieue contre la ville », de la manière dont les bourgeois étaient parvenus à s’exempter de l’octroi21, de la difficile charge de collecteur22, de l’inégale répartition des impôts23, du peu de souci de l’intérêt commun des Français et de leur tendance à s’isoler24 ou de l’implication du roi dans la gestion des affaires publiques. À partir de la fin du livre II, Tocqueville se fait plus incisif à l’égard de Turgot qui est critiqué pour les libertés qu’il prit et pour les ordonnances illégales qu’il promulgua quand bien même celles-ci avaient vocation à « obliger les propriétaires riches à nourrir leurs métayers jusqu’à la récolte prochaine25 ».

3Au regard des différentes évocations proposées, nous percevons que la critique que Tocqueville adresse aux économistes est bien dirigée contre une certaine perception de la Physiocratie. Elle oublie néanmoins de tenir compte de l’hétérogénéité des positions des auteurs et les amalgame pour les présenter toutes comme relevant d’un courant homogène. À travers sa critique, Tocqueville propose finalement une définition de ce qu’est, à ses yeux, la Physiocratie ; une définition construite essentiellement au regard de caractéristiques politiques.

4Les physiocrates sont en effet tout d’abord présentés comme les promoteurs du « centralisme administratif ». Ils sont alors critiqués en raison de leur défense d’un régime niant les libertés politiques. Ils apparaissent dans un deuxième temps comme les défenseurs du « despotisme démocratique ». Enfin, ils sont présentés comme les promoteurs d’un certain « scientisme » en politique parce qu’ils supposent que la politique est une affaire de savoir. Dans cette perspective, la critique tocquevillienne adressée à la Physiocratie rejoint la critique smithienne de l’« homme de système » que Tocqueville aurait volontiers intégrée dans sa terminologie analytique.

Les physiocrates : promoteurs du centralisme administratif

5Selon Tocqueville, les physiocrates apparaissent comme les promoteurs du centralisme administratif. Ils valorisent un système politique structuré autour d’une administration bureaucratique édictant des règles auxquelles les individus doivent se soumettre. Ces règles sont censées découler des lois immuables de l’ordre naturel. Mais ces dernières ne sont point encore effectives. Seuls le savoir et l’expertise d’un pouvoir éclairé par les enseignements de la doctrine physiocratique peuvent permettre d’accéder à leur intelligence et les rendre effectives. Tocqueville remet donc en cause la promotion d’un système politique structuré autour d’une administration d’État. Celle-ci est, pour les physiocrates, chargée de promulguer un ordre naturel. En effet, pour Quesnay et ses disciples l’enjeu essentiel de la question du pouvoir et de la politique est l’instauration de l’« ordre naturel », des « lois naturelles », du « droit naturel » et non pas des libertés politiques. Comme l’affirmait Quesnay,

  • 26  Quesnay François, « Despotisme de la Chine » [1767], in Christine Théré, Loïc Charles et Jean Clau (...)

« l’observation de ces lois naturelles et fondamentales du corps politique doit être maintenue par l’entremise d’une autorité tutélaire établie par la société, pour la gouverner par des lois positives conformément aux lois naturelles, qui forment décisivement et invariablement la constitution de l’État. » Par conséquent « le gouvernement est l’ordre naturel et positif le plus avantageux aux hommes réunis en société, régis par une autorité souveraine26 ».

  • 27  Tocqueville Alexis de, L’Ancien Régime et la Révolution, op. cit., p. 238.

6Il nous semble que c’est précisément ce que relève Tocqueville. Il s’arrête particulièrement sur cet adjectif « naturel », si abondamment sollicité par les physiocrates27. La référence à la « nature » ou au « naturel » est symptomatique quant au rapport des physiocrates à l’histoire et aux institutions politiques qui ont pris corps tout au long de l’expérience historique. À y regarder de près, selon eux, le passé, tout le passé humain a souffert d’une ignorance : celle du savoir des lois naturelles qui régissent l’ordre naturel. Par conséquent, toute l’histoire n’a été qu’une dérive ou, au mieux, qu’un processus de tâtonnement vers le savoir du gouvernement le plus avantageux au genre humain. Le génie physiocratique avait désormais pénétré le secret de ce savoir. Ce qui restait à faire c’est que l’« autorité tutélaire » assimile correctement la doctrine physiocratique, c’est-à-dire le savoir de l’ordre naturel le plus avantageux au genre humain, et qu’elle en applique les enseignements sans s’égarer dans les impasses de la doctrine pernicieuse des contre-pouvoirs.

  • 28  Ibid., p. 257.

7Pour Tocqueville, la valorisation du centralisme administratif est essentiellement fondée sur la recherche d’« une administration unique et toute-puissante, directrice de l’État, tutrice des particuliers28 ». Les lois promues par une telle administration devaient être inspirées par les prétendues volontés d’une divinité comme le souhaitait Quesnay quand il écrivait :

  • 29  Quesnay François, « Despotisme de la Chine », art. cit., p. 1015.

« Ne nous écartons pas des voies qui nous sont prescrites par l’Éternel, nous éviterons les erreurs de l’humanité qui rompraient l’union essentielle entre le souverain et la nation. Ne cherchons pas des leçons dans l’histoire des nations ou des [monarques] [égarements des hommes], elle ne représente qu’un abîme de désordres ; les historiens ne se sont appliqués qu’à satisfaire la curiosité de leurs lecteurs. Leur érudition trop littérale ne suffit pas pour y porter la lumière qui peut éclairer ce chaos29. »

  • 30  Tocqueville Alexis de, L’Ancien Régime et la Révolution, op. cit., p. 250.
  • 31  Quesnay François, « Maximes générales du gouvernement d’un royaume agricole » [1767], in Christine (...)

8Au regard des révélations de la science physiocratique de l’ordre naturel, l’histoire ne serait qu’un tissu d’erreurs et d’approximations. Plutôt que de vouloir se référer aux enseignements de l’histoire et de s’efforcer péniblement de s’en inspirer, il faut consacrer son temps à réviser les lois positives pour les rendre capables de rendre effectives les lois naturelles dont elles ne sont que les instruments d’exercice. Une telle approche du pouvoir et de la politique est foncièrement négatrice de la liberté politique au sens de Tocqueville. Pour lui, « [les physiocrates] sont, il est vrai très favorables au libre-échange des denrées, au laisser faire ou au laisser passer dans le commerce et dans l’industrie ; mais quant aux libertés politiques proprement dites, ils n’y songent point30 ». En effet, les physiocrates sont des partisans acharnés des libertés économiques comme le libre-échange ; mais la question de la liberté politique ne retient guère leur attention. De ce point de vue, la critique tocquevillienne dénonce implicitement une attitude économiciste, c’est-à-dire une attitude réductrice de la complexité des problèmes sociaux à la seule dimension économique. Les Physiocrates sont convaincus du fait, qu’en assimilant leur doctrine, l’individu accédera naturellement et nécessairement à la liberté et à l’intérêt éclairé. L’idée chère à Tocqueville selon laquelle la liberté politique est un état, une réalité, une condition qui se construit à travers une pratique dont l’impulsion doit nécessairement venir d’en bas, c’est-à-dire de l’existence la plus immédiate, la plus concrète, la plus quotidienne de l’individu est totalement étrangère aux physiocrates. En d’autres termes, c’est la notion de « liberté publique » qui leur est étrangère. Que les citoyens aient la possibilité d’organiser leur existence, de faire leur choix de vie à leur niveau, au sein des institutions appropriées à cet effet, à savoir au sein des parlements de province ou de la commune, constitue le plus grand danger pour les physiocrates. Cette éventualité menacerait en effet l’unité et l’intégrité de la nation en faisant apparaître différents ordres de citoyens et en détruisant l’intérêt général. Elle introduirait en effet « la dissension des intérêts particuliers entre les différentes classes de citoyens31 ». Pour les Physiocrates, de telles initiatives ne feraient que provoquer l’éclatement de l’unité nationale et gaspilleraient les forces vives de la nation dans des querelles et des négociations vaines entre les partis et les factions. C’est ce que souligne Tocqueville quand il écrit que

  • 32  Tocqueville Alexis de, L’Ancien Régime et la Révolution, op. cit., p. 250.

« La plupart [des physiocrates] commencent par se montrer fort ennemis des assemblées délibérantes, des pouvoirs locaux et secondaires, et, en général, de tous ces contre poids qui ont été établis, dans différents temps, chez tous les peuples libres, pour balancer la puissance centrale. “Le système des contre forces, dit Quesnay, dans un gouvernement est une idée funeste.” “Les spéculations d’après lesquelles on a imaginé le système des contre poids sont chimériques”, dit un ami de Quesnay32. »

  • 33  Charles Loïc et Steiner Philippe, « Entre Montesquieu et Rousseau. La Physiocratie parmi les origi (...)
  • 34  Ibid., p. 101-108.
  • 35  Ibid., p. 106.
  • 36  Ibid., p. 106-107.
  • 37  Ibid., p. 144 et suiv.

9En ce sens, Tocqueville se présente comme le continuateur de Montesquieu qui mettait à l’honneur « la situation anglaise autour d’une thèse forte concernant le rôle des passions et leur maîtrise par l’intermédiaire du système d’équilibre des pouvoirs ». Pour Montesquieu, « le déchaînement passionnel, correctement encadré par les institutions politiques, [valait] mieux que la mise en œuvre de la Raison33 ». Les intérêts étaient dès lors canalisés par le système de séparation des pouvoirs et par celui des contre-pouvoirs. De même, chez Tocqueville, c’est la multiplicité des élections et des organes délibératifs qui donne sa vigueur à la démocratie américaine. Or, Quesnay critique une telle conception de l’ordre social34. Il s’agit pour lui de faire en sorte « que l’on passe de l’intérêt simple à l’intérêt éclairé ou raison grâce aux lumières qu’apporte la communication avec la divinité35 ». Dans cette perspective la problématique devient celle visant à faire émerger cet intérêt éclairé. Ainsi, « le législateur devra être éclairé par le savant pour que, grâce à un gouvernement économique conforme aux règles de l’ordre naturel, les intérêts immédiats des agents les fassent agir comme si ils étaient éclairés36 ». De même dans l’ordre politique, il s’agira de veiller à ce que les institutions politiques permettent à l’homme d’État d’être éclairé37.

  • 38  Tocqueville Alexis de, L’Ancien Régime et la Révolution, op. cit., p. 249.

10Selon Tocqueville, il s’agit donc pour les physiocrates d’imposer leurs règles naturelles de gouvernement par le biais d’une administration forte. Et, à ses yeux, « ce qui les gêne dans leurs desseins n’est bon qu’à briser. Les contrats leur inspirent peu de respect ; les droits privés, nuls égards ; ou plutôt il n’y a déjà plus à leurs yeux, à bien parler, de droits privés, mais seulement une utilité publique38 ».

11La Physiocratie est finalement foncièrement anti démocratique au sens tocquevillien du concept en ce qu’elle nie les libertés politiques. Évoquant l’abbé Baudeau, Tocqueville indique que ce dernier lui paraît

  • 39  Tocqueville Alexis de, L’Ancien Régime et la Révolution. Fragments et notes inédites sur la Révolu (...)

« admirer trois choses principalement : 1° Une autorité qui n’est pas dirigée par des lois proprement dites, mais par l’ordre évident et nécessaire, qu’on peut considérer comme le vœu même de la nature, la loi éternelle. 2° Une volonté unique et suprême qui dirige dans l’État l’ensemble des travaux, souvenir de l’art social. 3 ° Un mandarinat administrant sous cette volonté et enseignant et fixant les caractères de cet ordre humain, de cette loi éternelle39».

  • 40  Ibid., p. 380.
  • 41  Ibid., p. 383.

12Ceci se ressent aussi dans la description que fait Tocqueville de la pratique politique de Turgot, « très centralisateur. Non seulement il ne diminue pas la tutelle administrative, mais il l’accroît en la perfectionnant. Les communes ne pouvant [emprunter] sans l’autorisation du conseil et l’avis de l’intendant40 ». Turgot est également critiqué pour sa valorisation de l’administration aux dépens des tribunaux41.

  • 42  Tocqueville Alexis de, De la Démocratie en Amérique, Paris, Gallimard, [1835], 1986, vol. 1, p. 11 (...)
  • 43  Tocqueville Alexis de, L’Ancien Régime et la Révolution. Fragments et notes inédites sur la Révolu (...)
  • 44  Ibid., p. 403.
  • 45  Tocqueville Alexis de, L’Ancien Régime et la Révolution. Fragments et notes inédites sur la Révolu (...)
  • 46  Ibid., p. 405.
  • 47  Ibid., p. 438.

13Au final, Tocqueville laisse penser que les physiocrates furent les théoriciens d’une tendance des gouvernements des sociétés modernes à être constitués autour d’une administration puissante persuadée de la sagesse de ses principes et cherchant à étouffer toute revendication de libertés politiques. A contrario, la supériorité de la démocratie américaine tient à ses yeux dans le fait qu’elle est fondée sur l’expression de ces libertés. La commune est en effet la cellule vivante de la démocratie américaine et par extension de toute démocratie. Elle est le lieu de l’expression des libertés politiques et des élections nombreuses42. Pour lui, cette cellule existait en France avant d’être précisément remise en cause par un centralisme administratif encouragé par les physiocrates. Ainsi, même quand il s’est agi de donner une certaine autonomie à la commune, les libertés en furent absentes. Évoquant à nouveau Turgot, Tocqueville note qu’il souhaitait « préparer les habitants des campagnes à une administration municipale » structurée autour « d’un corps municipal organisé et permanent43 ». Nous sommes ici bien éloignées de l’organisation politique de la commune américaine (township) caractérisée par des élections et des consultations (town meeting) extrêmement fréquentes. Dans cette perspective, la centralisation administrative française, fondée sur le pouvoir des fonctionnaires sur leurs administrés, apparaît comme l’antithèse des libertés politiques communales d’autant qu’elle souhaite véritablement contrôler les populations. Une fois encore, la figure de Turgot est mobilisée à la fois au regard des pouvoirs qu’il octroya aux Intendants mais également à travers ses diverses tentatives pour connaître précisément la situation du peuple et celle des campagnes, pour administrer l’ensemble du devenir de celles-ci, même les plus anodines44, en s’appuyant notamment sur les curés. Tocqueville rappelle aussi la volonté de Turgot de permettre aux Intendants de pouvoir lever l’impôt à leur gré45, ou de modifier les contrats. Pour cette raison ce dernier est présenté comme le « père de la centralisation46 ». Il l’est également en raison de sa contribution à la suppression des corps et des pouvoirs intermédiaires. Évoquant l’abolition des jurandes, Tocqueville affirme que cet édit « démocratise l’industrie en brisant les liens qui étouffaient chaque profession, il ne remplace point cette organisation par aucune autre. À la place de la police de la communauté sur ses membres, il ne substitue que la police de l’État47 ».

  • 48  Ibid., p. 397.

14C’est également le caractère arbitraire d’un tel pouvoir administratif quand bien même celui-ci chercherait à faire le bien qui est remis en cause48.

  • 49  Ibid., p. 408.

« L’idée de faire concourir les gouvernés au gouvernement et de se servir d’eux dans ce but, est une idée qui paraît absente de la tête de Turgot. […] Faire le bien des citoyens sans leur concours c’est sa théorie, comme celle de tous les administrateurs modernes (même les meilleurs)49. »

  • 50  Ibid., p. 409.
  • 51  Ibid., p. 271.
  • 52  Ibid., p. 274.
  • 53  Ibid., p. 281-282.

15Cette tendance est fondée sur la croyance dans l’incapacité des hommes et notamment des peuples des campagnes à se gouverner puisqu’ils sont essentiellement constitués de « paysans pauvres, ignorants et brutaux50 ». Turgot apparaît ainsi progressivement comme l’un des responsables de la Révolution. Il est accusé d’avoir soulevé le peuple en voulant le soulager, d’avoir mis dans la bouche du roi « que le droit de travailler est la plus sacrée de toutes les propriétés ; que toute loi qui lui porte atteinte viole le droit naturel et doit être considérée comme nulle de soi ; que les corporations existantes sont, en outre, des institutions bizarres et tyranniques, produit de l’égoïsme, de la cupidité et de la violence » d’autant que quelques mois plus tard les corporations et la corvée furent rétablies51. Turgot est également critiqué pour être trop soucieux du sort du peuple tout en le méprisant52. Il est enfin accusé de pratiques répressives allant à l’encontre des principes de justice. Finalement, Turgot comme les physiocrates sont accusés d’avoir opéré une révolution administrative ayant elle-même engendré la révolution politique53.

Les physiocrates : promoteurs du despotisme démocratique

16La critique adressée par Tocqueville à la Physiocratie passe dans un deuxième temps par la remise en cause du despotisme démocratique, lequel apparaît comme la conséquence du centralisme administratif. Le despotisme promu par les physiocrates est selon Tocqueville celui qui sacrifie les libertés sur l’autel de l’égalité mais aussi de l’utilité et du bien-être. Sous un tel despotisme, l’État a ainsi la tâche de façonner les consciences individuelles.

  • 54  Tocqueville Alexis de, De la Démocratie en Amérique, vol. 1, op. cit., p. 37.
  • 55  Tocqueville Alexis de, De la Démocratie en Amérique, Paris, Gallimard, [1840], 1961, vol. 2, p. 39 (...)
  • 56  Ibid., p. 407 et 413.
  • 57  Ibid., p. 410.
  • 58  Ibid., p. 397.
  • 59  Ibid., p. 418.
  • 60  Ibid., p. 400.
  • 61  Ibid., p. 397-398.
  • 62  Ibid., p. 423-424.

17Dans De la Démocratie en Amérique, Tocqueville caractérise essentiellement l’état social de la démocratie par l’égalité des conditions54. De cette caractéristique naît une menace nouvelle propre aux âges démocratiques : le despotisme démocratique55. Ce despotisme est caractérisé par la centralisation des pouvoirs56, par la destruction des pouvoirs intermédiaires57 et des contre-pouvoirs58. Le centralisme administratif en est donc l’une de ses composantes. Mais elle n’est pas la seule. Elle s’accompagne d’une tendance de l’État et donc de l’administration à accroître ses prérogatives59 et ce d’autant plus qu’il existe une véritable demande émanant des hommes et des partis politiques des âges démocratiques. En effet, « tous pensent que le gouvernement doit sans cesse agir60 ». Dans un tel cadre, l’intervention de l’État se ferait par l’établissement et l’imposition de règles uniformes quand bien même les situations ou les populations seraient hétérogènes61. La passion réglementaire est en effet une caractéristique propre aux âges démocratiques qui se développe particulièrement dans la sphère économique62. C’est sur ce fondement réglementaire que se construit ce nouveau pouvoir.

  • 63  Ibid., p. 432.

18Le despotisme démocratique est en outre aux yeux de Tocqueville un despotisme doux mais étendu63, à l’écoute des aspirations matérielles et du bien-être des individus. Finalement, nous percevons qu’en démocratie, les libertés politiques risquent d’être délaissées au profit de l’égalité et de la recherche de bien-être individuel lesquelles amènent les hommes à s’en remettre à l’État. Voici d’ailleurs comment Tocqueville imagine cette nouvelle forme de despotisme. Dans le second tome de De la Démocratie en Amérique, il nous dit voir

  • 64  Tocqueville Alexis de, De la Démocratie en Amérique, vol. 2, op. cit., p. 434.

« une foule innombrable d’hommes semblables et égaux qui tournent sans repos sur eux-mêmes pour se procurer de petits et vulgaires plaisirs, dont ils emplissent leur âme. Chacun d’eux, retiré à l’écart, est comme étranger à la destinée de tous les autres. […] Au-dessus de ceux-là s’élève un pouvoir immense et tutélaire, qui se charge seul d’assurer leur jouissance et de veiller sur leur sort. Il est absolu, détaillé, régulier, prévoyant et doux. Il ressemblerait à la puissance paternelle si, comme elle, il avait pour objet de préparer les hommes à l’âge viril ; mais il ne cherche, au contraire, qu’à les fixer irrévocablement dans l’enfance64 »…

19Égalité, recherche de plaisirs individuels, mais aussi pouvoir tutélaire et paternaliste de l’État caractériseraient ainsi le despotisme démocratique. À s’en remettre à Tocqueville les idéaux physiocrates annonceraient ce type de despotisme. En effet,

  • 65  Tocqueville Alexis de, L’Ancien Régime et la Révolution, op. cit., p. 253.

« cette forme particulière de la tyrannie qu’on nomme le despotisme démocratique, dont le Moyen Âge n’avait pas eu l’idée, leur est déjà familière. Plus de hiérarchie dans la société, plus de classes marquées, plus de rangs fixes ; un peuple composé d’individus presque semblables et entièrement égaux, cette masse confuse reconnue pour le seul souverain légitime, mais soigneusement privée de toutes les facultés qui pourraient lui permettre de diriger et même de surveiller elle-même son gouvernement. Au-dessus d’elle, un mandataire unique, chargé de tout faire en son nom sans la consulter. Pour contrôler celui-ci, une raison publique sans organes ; pour l’arrêter, des révolutions, et non des lois : en droit, un agent subordonné ; en fait, un maître65 ».

20Les physiocrates apparaissent comme les annonciateurs d’un despotisme nouveau en ce qu’ils valorisent davantage les principes d’égalité que les libertés. Mais bien davantage, les physiocrates promeuvent également une intervention de l’État chargé d’assurer dans une certaine mesure le bien-être des citoyens. Sacrifiées par les physiocrates sur l’autel de l’égalité, les libertés politiques le seraient donc également au profit de l’utilité publique et du bien-être. La critique adressée par Tocqueville aux physiocrates et à leur promotion du despotisme et du dirigisme est aussi celle du dogmatisme et de la croyance en la perfection des principes administratifs qu’ils proposent. Il s’agit en effet pour les physiocrates d’imposer leur système et d’imposer l’ordre naturel. C’est la raison pour laquelle, il ne s’agit

  • 66  Ibid., p. 252.

« pas de détruire ce pouvoir absolu, mais de le convertir. “Il faut que l’État gouverne suivant les règles de l’ordre essentiel, dit Mercier de la Rivière, et quand il en est ainsi, il faut qu’il soit tout puissant.” – “Que l’État comprenne bien son devoir, dit un autre, et alors qu’on le laisse libre.” Allez de Quesnay à l’abbé Bodeau, vous les trouverez tous de la même humeur66 ».

  • 67  Tocqueville Alexis de, L’Ancien Régime et la Révolution. Fragments et Notes inédites sur la Révolu (...)

21La critique du dirigisme et de l’établissement de règles inflexibles se double ensuite d’une remise en cause d’un certain paternalisme d’État niant la raison et l’initiative individuelles. L’abbé Baudeau est ainsi critiqué pour son admiration de la Chine et pour sa conception de « l’état [qui] n’est à proprement parler qu’une grande famille. […] L’autorité publique n’est que le devoir et le droit de pourvoir à l’instruction, à la protection, à l’administration universelle67 ». Les physiocrates présentent alors le souverain comme une autorité tutélaire à laquelle les hommes doivent se soumettre. Cette figure paternaliste se retrouve également dans la description que Tocqueville fait de Turgot présenté comme

  • 68  Ibid., p. 383.

« le père de la race administrative que nous connaissons (c’est seulement un père très supérieur à ses enfants) : goût de l’ordre, de l’uniformité, de l’égalité sous la main de l’administration ; hostilité contre tous les privilèges et en général contre tout ce qui gêne l’administration bien intentionnée : la vertu publique poussée jusqu’à vouloir le gouvernement juste, égal, actif, prévoyant, bienveillant, se mêlant un peu de tout, mais n’allant pas jusqu’à concéder ou vouloir un gouvernement libre. L’idéal du fonctionnaire dans une société démocratique soumise à un gouvernement absolu. Rien de plus68 ».

22Finalement, Tocqueville remet en cause le peu de confiance que les physiocrates accordent aux initiatives individuelles. Ils pensent en effet les hommes incapables de s’auto-administrer. Ceci explique qu’ils n’ont aucune foi dans les libertés politiques communales. Ainsi,

  • 69  Tocqueville Alexis de, L’Ancien Régime et la Révolution, op. cit., p. 250-251.

« Letronne [Le Trosne], qui déplore si amèrement l’abandon dans lequel le gouvernement laisse les campagnes, qui nous les montre sans chemins, sans industrie, sans lumières, n’imagine point que leurs affaires pourraient bien être mieux faites si on chargeait les habitants eux-mêmes de les faire69 ».

23Mais bien plus, les physiocrates n’ont aucune foi dans la raison et dans les capacités réflexives des individus. C’est pourquoi il s’agit pour eux d’étendre les prérogatives de l’État pour faire plier les consciences individuelles et les soumettre à ses vues.

  • 70  Tocqueville Alexis de, L’Ancien Régime et la Révolution, op. cit., p. 253.

« L’État, suivant les économistes, n’a pas uniquement à commander à la nation, mais à la façonner d’une certaine manière ; c’est à lui de former l’esprit des citoyens suivant un certain modèle qu’il s’est proposé à l’avance ; son devoir est de le remplir de certaines idées et de fournir à leur cœur certains sentiments qu’il juge nécessaires. En réalité, il n’y a pas de limites à ses droits ni de bornes à ce qu’il peut faire ; il ne réforme pas seulement les hommes, il les transforme ; il ne tiendrait peut-être qu’à lui d’en faire d’autres ! “L’État fait des hommes tout ce qu’il veut”, dit Bodeau. Ce mot résume toutes leurs théories70. »

  • 71  Ibid., p. 251.
  • 72  Tocqueville Alexis de, L’Ancien Régime et la Révolution. Fragments et Notes inédites sur la Révolu (...)
  • 73  Tocqueville Alexis de, De la Démocratie en Amérique, op. cit., t. 2, p. 434.

24Pour parvenir à leurs fins, les physiocrates promeuvent l’éducation publique. Or, aux yeux de Tocqueville l’éducation qu’ils valorisent apparaît comme une « sorte de médication intellectuelle71 » qui a pour objectif de faire plier la raison individuelle devant les principes établis. La réforme de l’instruction publique proposée par Turgot est ainsi critiquée à partir de ces principes et compte tenu de ses aspects centralisateurs. Tocqueville s’érige contre l’idée des physiocrates pour qui « l’esprit d’une nation est une espèce de pâte que l’État a le droit de pétrir suivant une certaine vue unique et uniforme dont il est seul juge72 ». C’est également, « le mépris démocratique du droit individuel en matière d’éducation et de l’originalité individuelle » qui est pointé par Tocqueville. L’instruction telle qu’elle est proposée par les physiocrates viserait en effet à uniformiser les consciences individuelles. Tel est un des autres traits du despotisme démocratique que de vouloir rendre « moins utile et plus rare l’emploi du libre arbitre » et de « renferme[r] l’action de la volonté dans un plus petit espace73 ».

25De telles descriptions rejoignent ce que Tocqueville imagine être les caractéristiques du despotisme démocratique dans le second tome de De la Démocratie en Amérique. Selon lui,

  • 74  Ibid., p. 434-435.

« après avoir pris ainsi tour à tour dans ses puissantes mains chaque individu, et l’avoir pétri à sa guise, le souverain étend ses bras sur la société tout entière ; il en couvre la surface d’un réseau de petites règles compliquées, minutieuses et uniformes, à travers lesquelles les esprits les plus originaux et les âmes les plus vigoureuses ne sauraient se faire jour pour dépasser la foule ; il ne brise pas les volontés, mais il les amollit, les plie et les dirige ; il force rarement d’agir, mais il s’oppose sans cesse à ce qu’on agisse ; il ne détruit point, il empêche de naître ; il ne tyrannise point, il gêne, il comprime, il énerve, il éteint, il hébète, et il réduit enfin chaque nation à n’être plus qu’un troupeau d’animaux timides et industrieux, dont le gouvernement est le berger74 ».

  • 75  Tocqueville Alexis de, L’Ancien Régime et la Révolution. Fragments et Notes inédites sur la Révolu (...)
  • 76  Tocqueville Alexis de, L’Ancien Régime et la Révolution, op. cit., p. 250.

26Outre le façonnement des consciences individuelles, l’éducation telle que la valorisent les physiocrates passerait par « un mépris du passé et du présent75 ». Cette éducation, présentée par les physiocrates comme « la seule garantie […] contre l’abus du pouvoir76 », apparaît précisément à Tocqueville comme une soumission aux projets administratifs et comme un trait caractéristique d’un despotisme nouveau. Une telle éducation ne peut en effet selon Tocqueville limiter les abus de l’autorité en ce qu’elle bride les consciences et les libertés individuelles. Elle participe donc du despotisme démocratique.

  • 77  Ibid., p. 255.
  • 78  Ibid., p. 254.

27Nous comprenons pourquoi Tocqueville présente les premiers économistes comme les contemporains des principes socialistes, mais aussi dans un certain sens comme leurs initiateurs. À ses yeux, ce sont en effet eux qui ont façonné l’idée d’un gouvernement tout-puissant capable d’imposer ses vues quelles qu’elles soient. Ce sont également eux qui ont exprimé « une passion pour l’égalité […] si décidée » et « un goût de la liberté si incertain77 ». En ce sens, ils sont ceux qui ont rendu possible l’émergence d’idées socialistes chargeant l’État de façonner la société à partir des principes d’égalité. Même si cette critique est peu approfondie, et même si Tocqueville semble davantage mettre en avant la proximité temporelle des écrits physiocrates d’avec le Code de la Nature de Morelly, il souligne néanmoins la concordance de leurs écrits au regard de la « toute-puissance de l’État », de « l’égalité absolue » ou de « la tyrannie réglementaire et l’absorption complète de la personnalité des citoyens dans le corps social78 ». Tocqueville essaie en outre de rappeler que certains physiocrates condamnaient les richesses matérielles individuelles. Il souligne ainsi que le marquis de Mirabeau a

  • 79  Tocqueville Alexis de, L’Ancien Régime et la Révolution. Fragments et Notes inédites sur la Révolu (...)

« une sorte de colère habituelle contre la richesse, qui lui suggère des idées presque socialistes comme celle-ci : “la richesse privée n’est qu’une violation des droits de la confraternité.” […] Son idéal c’est une société agglomérée, jamais de mélange d’états79 ».

  • 80  Tocqueville Alexis de, L’Ancien Régime et la Révolution, op. cit., p. 232.
  • 81  Ibid., p. 249.

28Promouvant les principes d’égalité et négligeant les libertés individuelles et politiques, promouvant également le centralisme administratif et l’extension des prérogatives de l’État, les physiocrates apparaissent comme les initiateurs du despotisme démocratique. Comme les hommes de lettres, ils étaient « amoureux d’idées générales et de système80 », mais contrairement à eux ils cherchaient à transformer l’organisation de la nation à partir de leurs propres vues et à faire plier les faits à partir des principes abstraits qu’ils avaient imaginés81.

Les physiocrates comme « hommes de système » : critique du « scientisme » des physiocrates

29Au regard de la lecture qu’il fait de ce qu’il appelle la Physiocratie, Tocqueville semble prendre à son compte ce célèbre passage de la Théorie des sentiments moraux sur l’« homme de système ». Pour Smith,

  • 82  Smith Adam, La Théorie des sentiments moraux, trad. française, Paris, Presses universitaires de Fr (...)

« l’homme de système est susceptible par suffisance de se trouver très sage, et il est souvent à ce point amoureux de la beauté supposée de son plan idéal de gouvernement qu’il est incapable de souffrir la moindre déviation par rapport à n’importe laquelle de ses parties. Il cherche à l’établir complètement et dans toutes ses parties, sans se soucier des grands intérêts ou des puissants préjugés qui pourraient s’y opposer. Il semble imaginer qu’il est capable de disposer les différents membres d’une grande société aussi aisément que la main dispose les différentes pièces sur un échiquier. Il ne s’aperçoit pas que les pièces sur l’échiquier n’ont d’autre principe de mouvement que celui que la main leur imprime, alors que sur le grand échiquier de la société humaine chaque pièce a un principe de mouvement propre, entièrement différent de celui que le législateur pourrait choisir de lui imprimer […]. Une certaine idée générale et même systématique de la perfection de la police et du droit est sans doute nécessaire pour diriger les vues de l’homme d’État. Mais insister pour établir et pour rétablir d’un seul coup en dépit de toute opposition, tout ce que cette idée peut sembler exiger, est souvent le plus haut degré de l’arrogance82 ».

  • 83  Smith Adam, Enquête sur la nature et les causes de la Richesse des Nations, trad. française, Paris (...)
  • 84  Ibid., p. 769.

30Ce qui inquiète Smith – et nous croyons que Tocqueville partage cette même inquiétude –, dans l’attitude de l’homme de système exerçant le pouvoir, ce n’est point son absence éventuelle de moralité mais son amour pour son savoir. Il s’agit du savoir qui fonde son système. En termes rawlsiens nous appellerions ce système sa « conception du bien ». Plus le savoir qui sous-tend sa conception du bien lui semble rigoureux, objectif, scientifique, vrai, plus l’attachement à son système se renforce jusqu’au point où le sujet, émerveillé par son savoir, tombe amoureux de son système. À partir de là, le seul et unique objectif, la seule et unique finalité de l’homme de système sera de réaliser son système, c’est-à-dire, en dernière instance, d’instaurer sa conception du bien. Dans cette tâche il sera radical, sans concession ; il n’acceptera pas de « souffrir la moindre déviation par rapport à n’importe laquelle de ses parties ». Le sujet d’une telle radicalité se retire progressivement en lui-même, se coupe du monde, c’est-à-dire de l’autre. La radicalité signifie donc la négation de l’altérité comme telle. Smith reprend d’ailleurs cette même idée dans la Richesse des nations quand il examine les « systèmes agriculturaux » (Agricultural Systems). Même si la critique qu’il fait de la Physiocratie est essentiellement économique83, notamment quand il souligne que « l’erreur capitale » des physiocrates est d’avoir considéré « la classe des artisans, manufacturiers marchands, comme totalement stérile et improductive84 », il nous semble qu’elle se double aussi d’une remise en cause de leur esprit de système qui fait écho à sa conception exposée dans la Théorie des sentiments moraux. Smith affirme ainsi que :

  • 85  Ibid., p. 768-769.

« Certains médecins spéculatifs semblent avoir imaginé que la santé du corps humain ne pourrait être préservée que par un certain régime précis de diète et d’exercice, dont toute violation fût-elle la plus minime entraînerait nécessairement quelque degré de maladie ou de désordre proportionné au degré de la violation. L’expérience semblerait cependant montrer que le corps humain conserve souvent, du moins selon toute apparence, le plus parfait état de santé sous une grande diversité de régimes différents, même sous certains régimes que l’on tient généralement pour être très loin d’être parfaitement salutaires. Mais il semblerait que le corps humain à l’état sain contient en lui-même quelque principe inconnu de conservation, capable de prévenir ou de corriger, à bien des égards, les mauvais effets même d’un régime très défectueux. M. Quesnai, qui était lui-même médecin, et un médecin très spéculatif, semble avoir conçu une idée du même genre concernant le corps politique, et avoir imaginé qu’il ne serait florissant et ne prospérerait que sous un certain régime précis, le régime strict de parfaite liberté et de parfaite justice. Il ne semble pas avoir pensé que dans le corps politique, l’effort naturel que fait constamment chaque homme pour améliorer sa propre condition, est un principe de conservation capable de prévenir et de corriger à bien des égards les mauvais effets d’une économie politique dans une certaine mesure à la fois partiale et oppressive. Quoiqu’une telle économie politique retarde, sans doute, plus ou moins le progrès naturel d’une nation vers la richesse et la prospérité, elle n’est pas toujours capable de l’arrêter totalement, et encore moins de la faire rétrograder. Si une nation ne pouvait prospérer sans jouir de la liberté parfaite et de la justice parfaite, aucune nation au monde n’aurait jamais pu prospérer85. »

  • 86  Tocqueville Alexis de, L’Ancien Régime et la Révolution, op. cit., p. 232.
  • 87  Ibid., p. 232.

31Il est tout à fait remarquable de constater que les critiques que Tocqueville adresse aux physiocrates, sont très proches de celles de Smith. Pour Tocqueville, ces hommes de lettres – auxquels il associe les physiocrates – aimaient les systèmes, « les théories générales et abstraites en matière de gouvernement86 ». Ils étaient « amoureux d’idées générales et de systèmes87 ». Cet amour des systèmes était celui des systèmes abstraits, sans lien avec la réalité. Compte tenu de leur condition sociale, les hommes de lettres étaient en effet peu disposés à s’en remettre aux faits concrets et à confronter leurs systèmes à la pratique.

  • 88  Tocqueville Alexis de, L’Ancien Régime et la Révolution, op. cit., p. 232.

« Aucune expérience ne venait tempérer les ardeurs de leur naturel ; rien ne les avertissait des obstacles que les faits existants pouvaient apporter aux réformes mêmes les plus désirables88. »

32Par ailleurs, ils ne connaissaient pas, à ses yeux, le fonctionnement concret de la vie politique.

  • 89  Ibid., p. 232.

« Le monde des affaires ne leur était pas seulement mal connu, mais invisible. Ils n’y faisaient rien et ne pouvaient même voir ce que d’autres y faisaient. Ils manquaient donc de cette instruction superficielle que la vue d’une société libre, et le bruit de tout ce qui s’y dit, donnent à ceux mêmes qui s’y mêlent le moins du gouvernement89. »

33Mais cet amour des systèmes était surtout celui de leurs propres systèmes. Ces hommes de lettres étaient donc des hommes de système, confiants dans la toute-puissance de leur propre raison. Et Tocqueville d’écrire qu’

  • 90  Ibid., p. 358, note pour la page 232.

« on a dit que le caractère de la philosophie du xviiie siècle était une sorte d’adoration de la raison humaine, une confiance sans bornes dans sa toute-puissance pour transformer à son gré lois, institutions et mœurs. Il faut bien s’entendre : c’était moins encore, à vrai dire, la raison humaine que quelques-uns de ses philosophes adoraient que leur propre raison. Jamais on a montré moins de confiance que cela dans la sagesse commune90 ».

  • 91  Tocqueville Alexis de, L’Ancien Régime et la Révolution. op. cit., p. 230.
  • 92  Ibid., p. 231.
  • 93  Ibid., p. 235.

34L’absence de confiance en la sagesse commune constitue, à nos yeux, le symptôme d’une conviction inébranlable en le fait que la résolution de la question sociale est une pure affaire d’application des lois immuables de « l’ordre naturel évidemment le plus avantageux au genre humain ». Il existe sans doute des différences d’appréciation du bien public parmi les membres de l’École physiocratique, mais Tocqueville estime que « tous pens[aient] qu’il conv[enait] de substituer des règles simples et élémentaires, puisées dans la raison et dans la loi naturelle, aux coutumes compliquées et traditionnelles qui régissent la société de leur temps91 ». Tous « étaient naturellement conduits à vouloir rebâtir la société de leur temps d’après un plan entièrement nouveau, que chacun d’eux traçait à la seule lumière de sa raison92 ». Il s’agissait de faire table rase du passé, de détruire l’ensemble des usages et des lois existantes93.

35Aux yeux de Tocqueville cet amour des systèmes convenait parfaitement aux fonctionnaires et aux individus souhaitant réformer l’administration. Ainsi,

  • 94  Ibid., p. 233.

« tous ceux que la pratique journalière de la législation gênait s’éprirent bientôt de cette politique littéraire. Le goût en pénétra jusqu’à ceux que la nature ou la condition éloignait naturellement le plus des spéculations abstraites94 ».

  • 95  Ibid., p. 233.

36L’esprit des hommes de lettres se diffusa donc dans l’administration française d’autant que l’aristocratie avait favorisé leurs entreprises. Aux yeux de Tocqueville, cet esprit étouffa alors la vie politique française déjà peu vigoureuse. « Chaque passion publique se déguisa ainsi en philosophie ; la vie politique fut violemment refoulée dans la littérature, et les écrivains, prenant en main la direction de l’opinion, se trouvèrent un moment tenir la place que les chefs de parti occupent d’ordinaire dans les pays libres95. » Ceci fait dire à Tocqueville que la Révolution française

  • 96  Ibid., p. 238.

« a été menée précisément dans le même esprit qui a fait écrire tant de livres abstraits sur le gouvernement. Même attrait pour les théories générales, les systèmes complets de législation et l’exacte symétrie dans les lois ; même mépris des faits existants ; même confiance dans la théorie ; même goût de l’original, de l’ingénieux et du nouveau dans les institutions ; même envie de refaire à la fois la constitution tout entière suivant les règles de la logique et d’après un plan unique, au lieu de chercher à l’amender dans ses parties. Effrayant spectacle ! car ce qui est qualité dans l’écrivain est parfois vice dans l’homme d’État, et les mêmes choses qui souvent ont fait faire de beaux livres peuvent mener à de grandes révolutions96 ».

Remarques conclusives

37Tocqueville perçoit les physiocrates comme les initiateurs du centralisme administratif et du despotisme démocratique. Leur dogmatisme s’explique par l’amour qu’ils ont de leur propre système niant les libertés politiques. En ce sens, Tocqueville propose de regrouper sous la dénomination d’économistes ou de physiocrates l’ensemble des auteurs sacrifiant les libertés politiques au profit de règles supposées naturelles d’administration, promouvant le centralisme administratif et le despotisme démocratique. La lecture de la Physiocratie que propose Tocqueville est donc essentiellement politique.

  • 97  Voir Ege Ragip, « Le concept de “lois naturelles” chez François Quesnay », in Arnaud Berthoud, Ber (...)

38Elle remet en cause l’attitude qui consiste à ramener le rapport à l’autre à une question de savoir ; attitude que nous pourrions qualifier de « scientiste ». La fin ultime du scientisme est d’« objectiver » les relations humaines, de conférer au rapport à l’autre la transparence et la certitude d’une « chose » et cette chose ne peut être que la vérité incontestable de la science de l’ordre naturel auquel tout homme sensé est soumis97. La stabilité et la prospérité de l’ordre social dépendent de l’application stricte des enseignements d’une science, celle de l’ordre naturel et de ses lois par une autorité tutélaire. L’échange de points de vue, le débat et la délibération entre les citoyens ne sont que gaspillage de temps et d’énergie qui devraient être mis au service de tâches bien plus utiles à la nation comme le développement économique, l’amélioration des conditions de production agricole, l’instauration et la généralisation du libre-échange.

  • 98  Tocqueville Alexis de, L’Ancien Régime et la Révolution, op. cit., p. 250.

39En bref, pour les physiocrates, la chose politique est l’affaire de l’application d’une science. C’est bien ce trait que Tocqueville dénonce lorsqu’il affirme : « Comme dit encore Quesnay, “le despotisme est impossible si la nation est éclairée”. “Frappés des maux qu’entraînent les abus de l’autorité, dit un autre de ses disciples, les hommes ont inventé mille moyens totalement inutiles, et ont négligé le seul véritablement efficace, qui est l’enseignement public général, continuel, de la justice par essence et de l’ordre naturel.” C’est à l’aide de ce petit galimatias littéraire qu’ils entendent suppléer à toutes les garanties politiques98. »

Notes

1  Tocqueville Alexis de, L’Ancien Régime et la Révolution, Paris, GF-Flammarion, [1856] 1988, p. 249.

2  Ibid., p. 211.

3  Ibid., p. 218-219.

4  Ibid., p. 249.

5  Ibid., p. 251-252.

6  Ibid., p. 253-254.

7  Ibid., p. 255 et 258.

8  Ibid., p. 255.

9  Tocqueville Alexis de, L’Ancien Régime et la Révolution, op. cit., p. 191.

10  Ibid., p. 250-252.

11  Ibid., p. 104-105.

12  Ibid., p. 161 et 164, Mirabeau lui-même n’a de confiance que dans l’action du pouvoir central pour réaliser ses chimères. Ibid., p. 161.

13  Ibid., p. 240.

14  Ibid., p. 249-252. « La situation de la France, dit Letronne, est infiniment meilleure que celle de l’Angleterre ; car ici on peut accomplir des réformes qui changent tout l’état du pays en un moment, tandis que chez les Anglais de telles réformes peuvent toujours être entravées par les partis. »

15  Ibid., p. 253. « L’État fait des hommes tout ce qu’il veut, dit Bodeau », ibid., p. 253.

16  Ibid., p. 252.

17  « Turgot lui-même, que la grandeur de son âme et les rares qualités de son génie doivent faire mettre à part de tous les autres, n’a pas beaucoup plus qu’eux le goût des libertés politiques, ou du moins le goût ne lui en vient que tard, et lorsque le sentiment public le lui suggère. Pour lui, comme pour la plupart des économistes, la première garantie politique est une certaine instruction publique donnée par l’État, d’après certains procédés et dans un certain esprit », ibid., p. 251.

18  Ibid., p. 119.

19  Ibid., p. 143.

20  Ibid., p. 172.

21  Ibid., p. 183-185.

22  Ibid., p. 216.

23  Ibid., p. 287.

24  Ibid., p. 198.

25  Ibid., p. 222.

26  Quesnay François, « Despotisme de la Chine » [1767], in Christine Théré, Loïc Charles et Jean Claude Perrot (éd.), François Quesnay. Œuvres économiques complètes et autres textes, Paris, INED, 2 vol., 2005, vol. 1, p. 1011.

27  Tocqueville Alexis de, L’Ancien Régime et la Révolution, op. cit., p. 238.

28  Ibid., p. 257.

29  Quesnay François, « Despotisme de la Chine », art. cit., p. 1015.

30  Tocqueville Alexis de, L’Ancien Régime et la Révolution, op. cit., p. 250.

31  Quesnay François, « Maximes générales du gouvernement d’un royaume agricole » [1767], in Christine Théré, Loïc Charles et Jean Claude Perrot (éd.), François Quesnay, op. cit., vol. 2, p. 949.

32  Tocqueville Alexis de, L’Ancien Régime et la Révolution, op. cit., p. 250.

33  Charles Loïc et Steiner Philippe, « Entre Montesquieu et Rousseau. La Physiocratie parmi les origines intellectuelles de la Révolution française », Études Jean-Jacques Rousseau, musée J.-J. Rousseau, vol. 11, 1999, p. 83-159, p. 105.

34  Ibid., p. 101-108.

35  Ibid., p. 106.

36  Ibid., p. 106-107.

37  Ibid., p. 144 et suiv.

38  Tocqueville Alexis de, L’Ancien Régime et la Révolution, op. cit., p. 249.

39  Tocqueville Alexis de, L’Ancien Régime et la Révolution. Fragments et notes inédites sur la Révolution, in Alexis de Tocqueville, Œuvres complètes, Paris, NRF-Gallimard, [1856] 1953, p. 371.

40  Ibid., p. 380.

41  Ibid., p. 383.

42  Tocqueville Alexis de, De la Démocratie en Amérique, Paris, Gallimard, [1835], 1986, vol. 1, p. 113 et suiv.

43  Tocqueville Alexis de, L’Ancien Régime et la Révolution. Fragments et notes inédites sur la Révolution, op. cit., p. 384.

44  Ibid., p. 403.

45  Tocqueville Alexis de, L’Ancien Régime et la Révolution. Fragments et notes inédites sur la Révolution, op. cit., p. 398 et 401.

46  Ibid., p. 405.

47  Ibid., p. 438.

48  Ibid., p. 397.

49  Ibid., p. 408.

50  Ibid., p. 409.

51  Ibid., p. 271.

52  Ibid., p. 274.

53  Ibid., p. 281-282.

54  Tocqueville Alexis de, De la Démocratie en Amérique, vol. 1, op. cit., p. 37.

55  Tocqueville Alexis de, De la Démocratie en Amérique, Paris, Gallimard, [1840], 1961, vol. 2, p. 394.

56  Ibid., p. 407 et 413.

57  Ibid., p. 410.

58  Ibid., p. 397.

59  Ibid., p. 418.

60  Ibid., p. 400.

61  Ibid., p. 397-398.

62  Ibid., p. 423-424.

63  Ibid., p. 432.

64  Tocqueville Alexis de, De la Démocratie en Amérique, vol. 2, op. cit., p. 434.

65  Tocqueville Alexis de, L’Ancien Régime et la Révolution, op. cit., p. 253.

66  Ibid., p. 252.

67  Tocqueville Alexis de, L’Ancien Régime et la Révolution. Fragments et Notes inédites sur la Révolution, op. cit., p. 369.

68  Ibid., p. 383.

69  Tocqueville Alexis de, L’Ancien Régime et la Révolution, op. cit., p. 250-251.

70  Tocqueville Alexis de, L’Ancien Régime et la Révolution, op. cit., p. 253.

71  Ibid., p. 251.

72  Tocqueville Alexis de, L’Ancien Régime et la Révolution. Fragments et Notes inédites sur la Révolution, op. cit., p. 417-418.

73  Tocqueville Alexis de, De la Démocratie en Amérique, op. cit., t. 2, p. 434.

74  Ibid., p. 434-435.

75  Tocqueville Alexis de, L’Ancien Régime et la Révolution. Fragments et Notes inédites sur la Révolution, op. cit., p. 418.

76  Tocqueville Alexis de, L’Ancien Régime et la Révolution, op. cit., p. 250.

77  Ibid., p. 255.

78  Ibid., p. 254.

79  Tocqueville Alexis de, L’Ancien Régime et la Révolution. Fragments et Notes inédites sur la Révolution, op. cit., p. 442.

80  Tocqueville Alexis de, L’Ancien Régime et la Révolution, op. cit., p. 232.

81  Ibid., p. 249.

82  Smith Adam, La Théorie des sentiments moraux, trad. française, Paris, Presses universitaires de France, 1999 ; The Theory of Moral Sentiments, [1759], New York, Prometheus Books, 2000, p. 324.

83  Smith Adam, Enquête sur la nature et les causes de la Richesse des Nations, trad. française, Paris, Presses universitaires de France, 1995 ; An Inquiry into the Nature and Causes of the Wealth of Nations, [1776], Oxford, Oxford University Press, 1976, livre IV, chapitre viii.

84  Ibid., p. 769.

85  Ibid., p. 768-769.

86  Tocqueville Alexis de, L’Ancien Régime et la Révolution, op. cit., p. 232.

87  Ibid., p. 232.

88  Tocqueville Alexis de, L’Ancien Régime et la Révolution, op. cit., p. 232.

89  Ibid., p. 232.

90  Ibid., p. 358, note pour la page 232.

91  Tocqueville Alexis de, L’Ancien Régime et la Révolution. op. cit., p. 230.

92  Ibid., p. 231.

93  Ibid., p. 235.

94  Ibid., p. 233.

95  Ibid., p. 233.

96  Ibid., p. 238.

97  Voir Ege Ragip, « Le concept de “lois naturelles” chez François Quesnay », in Arnaud Berthoud, Bernard Delmas et Thierry Demals (éd.), Y a-t-il des lois en économie, Lille, Presses universitaires du Septentrion, 2007, p. 101-120.

98  Tocqueville Alexis de, L’Ancien Régime et la Révolution, op. cit., p. 250.

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