Version classiqueVersion mobile

Politisation du proche

 | 
Stéphanie Dechézelles
, 
Maurice Olive

1re partie. Vouloir rester : comment se mobilise-t-on dans les quartiers populaires en rénovation ?

2. Le lieu comme ressort et ressource dans un conflit d’aménagement

L’exemple d’un quartier populaire en rénovation urbaine : le Petit Bard à Montpellier

Isabelle Berry-Chikhaoui et Lucile Medina

Texte intégral

  • 1  Deboulet Agnès et Lelévrier Christine (dir.), Rénovation urbaine en Europe : quelles pratiques ? Q (...)
  • 2  Collovald Annie et Mathieu Lilian, « Mobilisations improbables et apprentissage d’un répertoire sy (...)
  • 3  Collovald Annie et Mathieu Lilian, loc. cit.

1Dans la copropriété dégradée du Petit Bard à Montpellier, qui constitue l’un des quartiers les plus pauvres de la ville (cf. encadré ci-dessous), la mise en œuvre d’un projet de rénovation urbaine sous-tend de fortes tensions autour du relogement, comme dans bien d’autres quartiers populaires en France1. Au Petit Bard, ces tensions viennent alimenter un conflit avec les pouvoirs publics antérieur à la rénovation urbaine. À la fin des années 1990, les habitants se mobilisent, pour la première fois, pour dénoncer le détournement des charges locatives par plusieurs syndics, la dégradation de la copropriété et l’abandon par la municipalité. Suite à un événement traumatique dans le quartier survenu en 2004 (un incendie dans l’un des bâtiments, le décès d’un homme et des familles sinistrées), ces mobilisations se sont consolidées avec la création d’une association Justice Pour le Petit Bard. Mobilisations que l’on aurait pu croire improbables ou éphémères dans ce quartier populaire où vit une forte majorité d’habitants précarisés et d’origine marocaine, dont des primo-arrivants maîtrisant mal le français ou n’ayant pas le droit de vote. On aurait pu les croire « improbables au regard des critères habituellement retenus en sociologie de l’action collective pour repérer les freins à l’émergence de protestations collectives – rareté des compétences militantes, faiblesse des encadrements collectifs, poids d’une identité collective faiblement valorisée voire stigmatisée2 », mais aussi parce qu’au Petit Bard les relations de dépendance des habitants vis-à-vis des pouvoirs locaux sont prégnantes : clientélisme entre élus et habitants en attente de logements sociaux ou en recherche d’emploi, dépendance financière et matérielle des associations de quartier, encadrement par des associations d’insertion sociale. Pourtant, des mobilisations ont bien émergé dans le quartier à la fin des années quatre-vingt-dix et elles se sont même renforcées en se confrontant au programme de rénovation urbaine lancé par la municipalité en 2005, et n’ont pas cessé depuis. Le Petit Bard est devenu un territoire de mobilisations, contredisant le point de vue général d’une faible capacité ou d’une apathie politique des habitants des quartiers populaires, trop fragiles ou trop préoccupés par leur quotidien pour se mobiliser, et « dépourvus d’expérience et de tradition de lutte3 ».

  • 4  Lussault Michel, « Habiter, du lieu au monde. Réflexions géographiques sur l’habitat humain », in (...)
  • 5  Frémont Armand, Chevalier Jacques, Hérin Robert et Renard Jean, Géographie sociale, Paris, Masson, (...)
  • 6  Staszak Jean-François, « Nouvelles approches du lieu », in Staszak Jean-François et al. (dir.), (...)
  • 7  Entrikin J. Nicholas, « Lieu. Une condition de l’expérience humaine », in Lévy Jacques et Lussault(...)

2Pour expliquer les tensions et les conflits qui opposent pouvoirs publics et habitants du Petit Bard, nous proposons une approche par l’habiter et le lieu comme ressort et ressource des mobilisations. La notion de l’habiter, dont Henri Lefebvre s’est fait le passeur de la phénoménologie de l’espace vers les sciences sociales dans les années soixante, a été largement investie par la géographie sociale française dans son interrogation sur les relations des hommes à l’espace4. Ce dernier est un construit social et, en tant que tel, se caractérise par une dimension subjective ou vécue5. La géographie humaniste anglo-saxonne6 confère à la notion de lieu une force théorique en le définissant comme « une condition existentielle de l’expérience humaine7 » et en insistant sur la dimension d’intimité de la relation au lieu : le lieu est « homologue et constitutif de soi ».

  • 8  Entrikin J. Nicholas, loc. cit.

« Les humains vivent leurs existences dans un lieu et ainsi développent simultanément un sens d’être dans un lieu et hors d’un lieu. L’expérience du lieu implique donc pour une personne à la fois une capacité subjective de participer d’un environnement et la capacité objective de pouvoir observer un environnement comme étant externe et séparé de soi [… ]8. »

  • 9  Di Méo Guy, Géographie sociale et territoires, Paris, Nathan, 1998.
  • 10  Lussault Michel, art. cité.

3Le lieu est une des formes socio-spatiales de l’habiter, entre autres définie par des formes d’appropriation, d’ancrages et d’attachement, et en ce sens il est proche de la notion de territoire, telle que définie par la géographie sociale9. Mais le lieu prend sens aussi à travers les représentations de ceux qui n’en ont pas d’expérience directe et concrète, dans une relation d’extériorité. Ces significations construites hors du lieu par des regards extérieurs, bien que le composant10, interagissent avec celles, généralement plus ordinaires, que construisent au quotidien les hommes et les femmes qui y vivent.

  • 11  Entrikin J. Nicholas, art. cité.

4Pour expliquer comment des mobilisations improbables voient le jour au Petit Bard, il s’agit donc d’inclure dans l’analyse des conflits le domaine subjectif, celui des valeurs, croyances, émotions et appartenances11, et de regarder comment elles imprègnent les lieux concernés. Nous nous situons ainsi dans la perspective définie par J.-Nicholas Entrikin qui invite les géographes à interroger davantage les articulations entre le lieu et la vie collective et individuelle, et plus spécifiquement celles entre le lieu et l’action collective. Cette approche nous conduit à questionner la relation dialectique entre habiter et contester en explorant les différentes formes et significations de la relation des habitants à leurs espaces de vie, la manière dont ces espaces font lieu et simultanément comment les luttes y puisent leur ressort, leur légitimité et leurs ressources, s’ancrent et se construisent dans la familiarité, le quotidien et l’ordinaire, et comment elles renouvellent ainsi le sens des lieux en les habitant. Ce faisant, il s’agit d’éclairer l’émergence de mobilisations improbables par les hiatus entre le lieu des habitants et une politique publique pour laquelle le lieu dans sa dimension d’intimité est à l’inverse un impensé. C’est le cas de la rénovation urbaine qui s’inscrit dans une relation d’extériorité au quartier populaire appréhendé à travers ses seuls dysfonctionnements, réels ou fantasmés, et selon une approche fonctionnaliste.

Encadré 1. Le quartier du Petit Bard
À Montpellier, le Petit Bard est une copropriété dégradée d’un peu moins de 5 000 habitants, édifiée au début des années 1960 pour accueillir des rapatriés d’Algérie. Il fonctionne aujourd’hui comme un parc social de fait pour des populations issues majoritairement de l’immigration marocaine qui arrivent difficilement à accéder au logement social ou privé dans un autre quartier de la ville. Il s’agit du quartier le plus pauvre parmi ceux classés en « zone urbaine sensible » (ZUS), avec un revenu annuel par unité de consommation médian de 6172 euros, soit trois fois moins que pour la ville (18372 euros). 33,4 % de ménages y sont concernés par une allocation-chômage (Source ONZUS, 2009). Le Petit Bard est aussi l’un des quartiers montpelliérains les plus stigmatisés.
Le quartier a fait l’objet d’une convention de rénovation urbaine en 2005 dans le cadre du Programme national de rénovation urbaine (PNRU), ainsi que d’un Plan de Sauvegarde de la Copropriété en 2007. Situé à 3 km du centre-ville, il est desservi par le tramway depuis 2012. Le programme de rénovation du quartier, dont la fin avait été annoncée pour 2009, a cependant pris beaucoup de retard : il est toujours en cours et suscite un nombre important de critiques. Il prévoit la démolition de plusieurs bâtimentsa, la construction de logements privés et sociaux sur site ainsi que la réhabilitation des bâtiments restants.
a. Une barre et une tour, soit un peu plus de 250 logements, ont été détruites entre 2009 et 2014 ; des démolitions partielles de bâtiments concernant une cinquantaine de logements ont eu lieu en 2017, tandis que les dernières démolitions sont programmées entre 2018 et 2019.

5Nous aborderons les mobilisations au Petit Bard en deux temps : dans un premier temps, il s’agira d’envisager le lieu, en l’occurrence ici le quartier et ses lieux, comme ressort des mobilisations et d’un engagement citoyen, mais aussi son dépassement à travers des engagements militants de portée plus générale ; dans un second temps, nous verrons en quoi le lieu constitue une ressource dans l’action, à travers les modalités d’une mobilisation qui entend retourner le stigmate qui pèse sur les habitants en intégrant le quartier dans une dynamique de valorisation sociale, culturelle et politique.

  • 12  Berry-Chikhaoui Isabelle et Medina Lucile, « Chapitre 1. Sentiment d’injustice, lutte pour la cito (...)
  • 13  38 entretiens semi-directifs auprès des acteurs institutionnels, associatifs et habitants, entreti (...)

6Cette analyse s’appuie sur une recherche débutée en 2008, dans le cadre d’un programme sur les enjeux citoyens de la rénovation urbaine12 et sur le suivi des mobilisations depuis cette date. Elle repose sur des entretiens auprès d’acteurs institutionnels de la rénovation urbaine, associatifs, habitants, sur des observations dans le quartier et lors de mobilisations, et sur l’étude de documents divers produits sur le quartier par différents acteurs13.

Le lieu comme ressort des mobilisations : habiter et contester

Le contexte des premières mobilisations : sentiment d’abandon et demande de justice pour le quartier et ses habitants

7Ce sont à la fois la mise au jour de détournements d’argent, la dégradation de la copropriété et sa faillite financière qui ont suscité dans ce quartier une mobilisation d’habitants, à la fois locataires (les plus nombreux) et « petits » propriétaires occupants. Dès la fin des années 1990, des habitants se sont organisés « pour faire respecter leurs droits à être logés et à vivre dignement », dénonçant les dysfonctionnements de la copropriété, interpellant à plusieurs reprises les pouvoirs publics et allant jusqu’à s’engager dans une bataille juridique. En décembre 2001, une centaine d’habitants (selon l’association Justice pour le Petit Bard) porte plainte pour détournement de charges par plusieurs syndics entre 1998 et 2001.

  • 14  Entretien avec un membre de l’association Justice pour le Petit Bard, mars 2008.
  • 15  Entretien avec le chargé de mission PRU Cévennes/Petit Bard, octobre 2007.

8Cette mobilisation va se renforcer à partir de l’incendie qui a détruit en juin 2004 une des cages d’escalier de la plus grande barre du quartier. Le départ de feu et un décès consécutif sont présentés comme l’issue dramatique et malheureusement inévitable de l’absence d’entretien des immeubles et de l’abandon du quartier par les autorités locales et cristallisent les tensions. Le quartier n’avait pas bénéficié jusque-là de dispositifs de la politique de la Ville tels que mis en œuvre dans le parc social voisin (La Pergola, bailleur Hérault Habitat), et surtout dans la ZUP de Montpellier (La Paillade). La mobilisation pour soutenir la vingtaine de familles sinistrées et dénoncer la situation prend alors une forme double : celle d’un collectif rapidement constitué en association après l’incendie, soutenue par le Mouvement de l’Immigration et des Banlieues (MIB) et le Droit Au Logement (DAL), et celle de solidarités de quartier. Pour le nom, à la création de l’association, les leaders de la mobilisation hésitaient entre « Avenir » et « Justice », mais « les gens ont tout de suite adhéré à Justice, les gens ont soif d’égalité de traitement […] Il y a un déficit de justice dans les quartiers, donc les gens le revendiquent assez souvent14 ». Ces mobilisations ont donné un « coup de booster15 » au lancement d’un projet de rénovation urbaine sur le quartier, conjointement promis, dans ce contexte d’urgence, par la nouvelle maire PS de Montpellier, Hélène Mandroux, et par le ministre du Logement de l’époque, Marc Philippe Daubresse, qui avait alors fait le déplacement à Montpellier. La convention entre la ville et l’ANRU est signée en novembre 2005, avant celles des deux autres projets montpelliérains (janvier 2007).

Le renforcement des mobilisations face au programme de rénovation urbaine

9Les mobilisations se sont consolidées à partir de 2006 dans le contexte de la rénovation urbaine. Elles résultent d’un hiatus entre deux représentations du quartier, celle portée par le projet de rénovation urbaine qui entend en maîtriser la transformation physique et sociale, formatée par les référentiels du programme national (PNRU) d’une part, et celle des habitants pour lesquels le quartier et ses lieux, inscrits dans la vie ordinaire, sont familiers et font sens au quotidien d’autre part.

  • 16  Les Maisons pour tous sont des équipements municipaux (22 au total) destinés aux loisirs et à la c (...)
  • 17  Berry-Chikhaoui Isabelle et Medina Lucile, « La mixité sociale dans la rénovation urbaine : une as (...)

10Le projet de rénovation urbaine du Petit Bard ne déroge pas aux principes du programme national. Il repose sur une représentation consensuelle des quartiers populaires, celle du « ghetto » à « casser ». L’intervention sur le bâti, combinée à la mise en œuvre de la « mixité sociale » à travers le relogement des habitants « hors site », est pensée comme le moyen du « désenclavement physique » et, simultanément, de la « déségrégation sociale » et de l’amélioration des conditions de vie des habitants. Or, ces conceptions nient la réalité subjective et complexe du lieu et, ce faisant, occultent l’habiter des gens, leurs existences inscrites dans des lieux, redoublant un sentiment d’exclusion et d’injustice à l’origine des contestations et des mobilisations collectives pour faire reconnaître un droit à habiter. Dans les premiers temps de la rénovation urbaine, ce sentiment est relatif aux choix de priorisation des actions (la construction d’équipements municipaux – médiathèque, Maison pour tous François Villon16 – avant l’intervention sur les logements). Il s’est cristallisé ensuite sur le relogement et les ambiguïtés pesant sur l’enjeu de mixité sociale17.

  • 18  Lelévrier Christine, Mobilités et trajectoires résidentielles des ménages relogés lors d’opération (...)
  • 19  Gilbert Pierre, Les classes populaires à l’épreuve de la rénovation urbaine. Transformations spati (...)

11Le projet de démolition entend améliorer les conditions de vie des habitants en offrant à certains l’opportunité d’une mobilité résidentielle pensée comme ascendante et en favorisant pour les autres une mixité sociale sur place18. Or, nombre de mécontentements et inquiétudes portent précisément sur le risque d’éloignement du quartier, le bouleversement de la vie quotidienne et des ancrages (matériels, sociaux et affectifs) et la perte de certains avantages, comme cela a été observé dans d’autres quartiers en rénovation urbaine19. On peut relever plusieurs registres de revendications : économique d’abord (augmentation des loyers et des charges liée au relogement, faiblesse des indemnités d’expropriation pour les propriétaires occupants et simultanément perte du statut matériel et symbolique que leur procure la propriété) ; domestique ensuite (inadéquations entre les caractéristiques des logements proposés et les attentes ou les usages des habitants), territorial et urbain (risque de rupture avec les sociabilités et les solidarités de quartier et perte de ses aménités présentes et à venir) ; affectif enfin (familiarité et attachement au quartier et à ses habitants). Le sentiment d’injustice est alimenté non seulement par le risque social que fait peser une rupture socio-territoriale, mais aussi par le fait que le relogement prive les habitants des améliorations dans le quartier et qu’en conséquence la rénovation urbaine leur est confisquée alors qu’ils supportent depuis des années des conditions de logement indécentes.

  • 20  Onzus, Dix ans de programme national de rénovation urbaine : bilan et perspectives, Document de l’ (...)
  • 21  Lelévrier Christine, « La mixité dans la rénovation urbaine : dispersion ou reconcentration ? », E (...)

12Le sentiment d’éviction nourrit l’idée que la rénovation urbaine n’est pas faite pour les habitants mais, sous couvert de mixité sociale, pour de nouvelles familles. Ce constat, qui ressort également d’autres enquêtes dans d’autres quartiers en rénovation urbaine20, renforce au Petit Bard un sentiment de discrimination et la perception que le projet vise à « foutre les arabes dehors ». La mixité sociale paraît dès lors ambiguë aux habitants du quartier, méprisante même pour certains dans son objectif de dispersion pour éviter une concentration considérée de l’extérieur comme forcément problématique. À cela s’ajoute la dénonciation d’une « reconcentration21 » dans d’autres ZUS de la ville qui sont de fait les principaux sites de relogement. Certains y voient une double peine, la perte des avantages et des ancrages offerts par le Petit Bard et le risque de s’installer dans d’autres quartiers, non familiers et qui plus est stigmatisés.

  • 22  Charmes Éric, « Pour une approche critique de la mixité sociale. Redistribuer les populations ou l (...)

13On voit bien ici que les conflits ne peuvent être compris que si l’on considère le lieu dans sa double dimension, d’intériorité et d’extériorité. Les lieux prennent sens à travers les pratiques et les représentations des acteurs de l’ordinaire et de la vie quotidienne, résidents ou usagers du lieu, mais aussi dans les représentations de ceux qui n’en n’ont pas d’expérience directe et concrète. Ces représentations se construisent dans une relation d’extériorité au lieu par le biais de diverses médiations, en particulier celles des acteurs politiques et des médias, de plus en plus déterminantes dans la formation d’images et d’opinions (publiques) ; elles le valorisent ou le dévalorisent, l’idéalisent ou le stigmatisent… Ces significations construites hors du lieu mais le composant ne sont pas anodines, surtout lorsqu’elles sont stigmatisantes et décalées par rapport à l’espace vécu. Cette disjonction autour du lieu comme réalité subjective mais aussi comme construit par des regards extérieurs est potentiellement conflictuelle, notamment lorsqu’elle s’incarne dans les politiques urbaines. Le quartier populaire constitue sans doute une figure socio-spatiale emblématique d’une tension autour du lieu. Loin des réalités vécues, le Programme National de Rénovation Urbaine se fonde sur une représentation des quartiers populaires les associant au désordre social, à l’enclavement physique, à la dangerosité, au communautarisme, cristallisée autour de l’image du « ghetto »… justifiant la démolition et le relogement hors site au nom d’une mixité sociale pensée comme allant de soi et mécaniquement vertueuse22.

Ce que signifie se mobiliser lorsqu’on est un habitant pauvre confronté à une politique urbaine agressive : du droit au lieu au droit à la ville

14La rénovation urbaine tant attendue au Petit Bard parce qu’elle laissait envisager des améliorations dans le quartier a non seulement nourri des désillusions, mais elle s’est avérée également agressive, à commencer pour les habitants vivant le relogement comme une éviction et un risque de rupture socio-territoriale, sans gains réels. Dans ces conditions, se mobiliser prend quatre significations à leurs yeux :

  • 23  Castells Manuel, Luttes urbaines, Paris, Maspero, 1973.
  • 24  Sivignon Michel, « Du verbe habiter et de son amère actualité », Revue de Géographie de Lyon, no 4 (...)

15Premièrement, c’est exiger la reconnaissance et la prise en compte des lieux de vie et de l’habiter dans le projet urbain. Les revendications en termes de droit au lieu renvoient au respect des formes et des rythmes de la vie quotidienne23 face à un projet qui invisibilise les habitants et leurs lieux, niant ou occultant leur habiter ou encore leur « droit d’habiter24 ». Ces revendications sont portées par les habitants qui, confrontés au relogement, souhaitent rester au Petit Bard.

  • 25  Castells Manuel, op. cit.
  • 26  La loi instituant le Droit Au Logement Opposable en 2007 a été adoptée sous la pression du mouveme (...)

16Deuxièmement, c’est exiger un accès aux droits fondamentaux25 : logement, travail, éducation…, perçus comme confisqués par des pratiques institutionnelles en partie fondées sur des discriminations par l’origine et le lieu de résidence. « Pour les dossiers HLM, quand on vient du Petit Bard, dès qu’on dépose un dossier, il part direct à la poubelle, ils ne cherchent même pas. Pendant au moins dix ans, jamais personne du quartier n’a eu des propositions » (jeune femme habitant le quartier, 2009). Les luttes autour du relogement dans le cadre de la rénovation urbaine jouent comme une caisse de résonance en publicisant les revendications des habitants en termes de droit au logement. Jusque-là, les batailles autour du logement étaient essentiellement menées individuellement par des ménages voulant accéder au parc social. Elles prenaient, et prennent toujours, à côté des batailles collectives, des formes diverses, celle d’une guerre d’usure auprès des bailleurs sociaux, empruntant au registre de la plainte et jouant sur la corde sensible, passant par l’envoi de courriers recommandés ou par des appels téléphoniques répétés pour se faire entendre et ne pas être oublié… quitte à abaisser ses exigences. L’intermédiation d’acteurs associatifs dans le quartier pour porter la demande auprès d’élus, voire l’interpellation d’un élu en personne, sont aussi des pratiques relatées par des habitants et des associations. Dans le cadre de la rénovation urbaine, le droit au logement prend la forme d’une revendication collective pour un relogement décent dans un quartier choisi, et ne peut donc être dissocié du droit au lieu. Or, les politiques urbaines (dans l’offre de logement social ou la relocalisation comme dans le cas de la rénovation urbaine) se fondent généralement sur l’idée que l’amélioration des conditions de vie des habitants pauvres passe prioritairement par le logement, sans jamais se soucier du fait que le lieu où se trouve le logement compte de manière fondamentale dans l’appréciation qui est faite de ce dernier. La question spécifique du droit au logement devrait comporter une réflexion sur les effets de ces dissociations et sur les articulations existant entre les différentes sphères de la vie quotidienne. L’association Justice pour le Petit Bard dénonce de tels effets dans la mise en œuvre du Droit au logement opposable (DALO26). Par ailleurs, la rénovation urbaine cristallise et publicise les tensions autour du droit au travail. Les habitants et Justice pour le Petit Bard dénoncent la faiblesse des recrutements d’habitants sur les chantiers du quartier, donnant lieu à des mobilisations sporadiques de jeunes, comme le blocage de chantiers. La démolition médiatisée de la tour du quartier en 2014 donne l’occasion à des habitants d’exprimer leurs revendications devant les caméras. Ainsi un vieux monsieur dénonce-t-il :

  • 27  Documentaire réalisé par une association montpelliéraine d’ateliers audio-visuels les Ziconophages (...)

« Ils ont monté un bâtiment là, avec des personnels qui sont venus de l’Espagne, et les jeunes du Petit Bard, ils les regardent, ils les regardent. Est-ce que ça c’est bien ? C’est pas bien ça. Il vaut mieux faire travailler les gens qui sont sur place là, pas amener les autres de l’Espagne, de Taragona, de Barcelona, de Almeria, de Valencia, ils sont venus, ils les ont fait travailler à moitié prix… 20 euros, ils les ont fait travailler [… ]27. »

Illustration 1. Occupation de la Maison Pour Tous dans le quartier du Petit Bard en mars 2010 pour le droit à un logement juste

Illustration 1. Occupation de la Maison Pour Tous dans le quartier du Petit Bard en mars 2010 pour le droit à un logement juste

17Troisièmement, c’est résister à une plus grande précarisation dans un contexte où la rénovation urbaine représente un risque de dégradation des conditions de vie pourtant déjà difficiles, lié à la rupture socio-territoriale, à l’installation dans des logements inadaptés et à la hausse des loyers pour les habitants relogés, ainsi qu’à l’expropriation pour les propriétaires occupants, ou encore à l’augmentation des charges locatives dans le cadre de l’épuration de la dette de la copropriété pour des habitants restant sur place. Ce sont donc avant tout des habitants éprouvés qui se mobilisent, se sentant la « corde au cou » pour reprendre l’expression d’un des militants de l’association Justice pour le Petit Bard à propos des petits propriétaires occupants.

  • 28  Hazfeld Hélène, « Légitimité », Dictionnaire critique et interdisciplinaire de la participation, 2 (...)
  • 29  Lefebvre Henri, Le droit à la ville, Paris, Éditions Anthropos, 1968.

18Enfin, quatrièmement, c’est exiger la reconnaissance d’un droit à la citoyenneté. Derrière l’ensemble des revendications de justice autour d’une égalité de traitement et de droits ainsi que de la reconnaissance de l’habiter et du lieu, se profile une exigence d’expression et de légitimité politiques28. Le sentiment d’être des citoyens de seconde zone est largement partagé par les habitants du Petit Bard. « Ici, on ne vote pas, alors la population est considérée comme inutile » (2009) explique un habitant, soulignant l’effet pervers du non-droit de vote des immigrés aux élections locales. Ce sentiment est renforcé dans le contexte d’une rénovation agressive pour les habitants. En effet, les revendications portent aussi sur le droit à la parole et à la participation face à un projet de rénovation urbaine non concerté et à des acteurs institutionnels refusant aux habitants la légitimité à agir, à s’organiser collectivement pour faire valoir leurs points de vue sur le projet et ses enjeux, préférant les négociations individuelles conduites dans un huis clos dans le cadre du relogement. Ces revendications dessinent une dimension politique du droit à la ville en définissant une conception collective de la ville et des politiques urbaines29. Cette dimension inhérente aux luttes des habitants est surtout explicitée et formalisée par les militants mobilisés dans l’association Justice pour le Petit Bard qui défend une conception démocratique des politiques urbaines. Leurs revendications interrogent en effet un fonctionnement démocratique inégalitaire et plus spécifiquement la place faite dans les villes aux habitants pauvres en tant que citoyens, qui plus est lorsqu’ils sont issus de l’immigration postcoloniale. Elles dénoncent les rapports de domination qui s’incarnent dans les inégalités de traitement de l’espace et dans des projets urbains visant la transformation urbaine aux dépens des citadins les plus pauvres et de leur expression politique.

  • 30  Association française de science politique, Le PRISME/GSPE (Groupe de sociologie politique europée (...)
  • 31  Collovald Annie et Mathieu Lilian, art. cité.

19Nos observations font ainsi écho aux travaux de science politique sur les mobilisations de précaires. Bien que portant sur un conflit territorialisé (et non sur des conditions d’activités professionnelles – les intermittents du spectacle – ou de statuts – les chômeurs, les « sans »), elles corroborent en premier lieu l’idée que ces mobilisations peuvent être « suscitées par une décision publique ou une réforme30 » lorsque celles-ci présentent un risque de plus grande précarisation et sont vécues comme des épreuves. En second lieu, on peut souligner que des sentiments proches habitent des personnes précaires mobilisées dans des contextes de mobilisation pourtant apparemment très éloignés, comme celui d’un quartier en rénovation urbaine d’une part et de grèves dans le secteur des commerces de biens culturels d’autre part31. Dans les deux cas, on retrouve comme conditions de surgissement des mobilisations, les expériences éprouvantes (véritables traumatismes des incendies au Petit Bard, épreuve du relogement), la désillusion et les déceptions par rapport à des attentes non entendues (qu’il s’agisse d’un projet urbain ou d’un travail salarié), la non-reconnaissance des priorités pour les personnes (négation de l’habiter et des attentes ou de compétences professionnelles) ou encore l’absence de considération et le sentiment d’être méprisé.

Intrications entre des engagements territorialisés et des engagements consolidés dans des mouvements nationaux : militants et habitants

  • 32  Siméant Johanna, « Immigration et action collective. L’exemple des mobilisations d’étrangers en si (...)
  • 33  Deboulet Agnès (dir.), La rénovation urbaine entre enjeux citadins et engagements citoyens, rappor (...)
  • 34  Le Mouvement de l’immigration et des banlieues (MIB), le collectif Résistons ensemble contre les v (...)

20Des travaux de science politique montrent que « des mobilisations à l’origine improbables du fait de l’extrême exclusion des populations concernées du champ politique » doivent en partie leur émergence à des alliances avec d’autres catégories de citoyens mobilisés, inscrits dans des réseaux de militance (c’est le cas par exemple des étrangers en situation irrégulière étudiés par Johanna Siméant32). De fait, au Petit Bard, l’émergence, la continuité et le renforcement des mobilisations collectives doivent beaucoup à l’intrication entre des engagements territoriaux liés à la détresse et à la colère d’habitants confrontés à la dégradation du quartier et à des événements traumatisants, puis à une rénovation urbaine vécue comme décalée et violente, et des « engagements stabilisés ou consolidés »33 au sein des mouvements nationaux de lutte contre les discriminations et le racisme institutionnel34. Toutefois ces alliances ont ici la particularié de se nouer en grande partie au sein même du quartier entre habitants (dont des anciens habitants), autour d’enjeux territorialisés et dans le champ du droit au logement. Parmi les personnes mobilisées, on peut distinguer plus finement trois sous-catégories : 1 – les militants inscrits dans des carrières construites localement et à travers des réseaux nationaux de lutte contre les discriminations et le racisme institutionnel (en particulier les deux leaders historiques de l’association, dont un est décédé en 2008, qui sont devenus amis à travers leur engagement commun : double peine, bavure policière, morts suspectes dans les prisons, expulsions de locataires) ; 2 – des militants qui émergent et endossent une carrière de militant dans le cours des mobilisations au Petit Bard en devenant actifs au sein de l’association Justice pour le Petit Bard (l’actuel président de l’association en est une des figures emblématiques) ; 3 – des habitants du quartier, parfois soutenus par des habitants d’autres quartiers populaires de Montpellier, mobilisés le temps d’une ou de plusieurs actions collectives mais avec une capacité de remobilisation dans des situations de très fortes tensions ou se saisissant de l’expérience de mobilisation sur le quartier (une forme de mobilisation en latence comme en témoigne l’occupation de la Maison pour tous du quartier en 2010).

  • 35  Appel au « soutien le plus large et à une mobilisation efficace » aux côtés des habitants dans un (...)
  • 36  Forum Social des Quartiers Populaires.
  • 37  Cette association montpelliéraine, lancée en 2009 autour de « valeurs communes de justice sociale, (...)

21Les interactions entre ces trois sous-catégories sont particulièrement fortes et expliquent les mobilisations collectives. En premier lieu, les engagements des habitants alimentent et confortent la mobilisation associative sur le quartier : c’est un collectif d’habitants autour de la question de la faillite financière de la copropriété à la fin des années 1990 et en soutien des habitants sinistrés lors de l’incendie de 2004 qui est à l’origine de l’association de quartier Justice pour le Petit Bard. Et, c’est parmi les habitants ou anciens habitants du quartier (voire d’autres quartiers populaires de Montpellier) que cette association recrute la plupart de ses membres actifs, majoritairement issus de l’immigration. Du reste, si plusieurs actions ont eu un retentissement important c’est grâce à la mobilisation importante d’habitants qui pour autant ne sont pas devenus des membres actifs et permanents de l’association. En second lieu, les engagements d’échelle nationale, préalablement consolidés (ou en voie de consolidation pour certains) des leaders et membres actifs de Justice pour le Petit Bard, accompagnent et soutiennent les mobilisations des habitants, en apportant des compétences et des ressources construites à travers d’autres batailles et en mettant à disposition des moyens plus importants, y compris en mobilisant d’autres réseaux de militants (et cela depuis les premières grandes mobilisations dans le quartier lors de l’occupation du gymnase où le DAL et le MIB apportent leur soutien à l’action des habitants35 ; le FSQP36 apportera également un soutien financier, en savoir-faire et en hommes à toutes les actions que conduira Justice pour le Petit Bard par la suite, l’association La plate-forme citoyenne de Montpellier37 soutiendra les habitants dans leur occupation de la Maison pour tous en 2010). En outre, les compétences et les ressources de Justice pour le Petit Bard s’articulent à une connaissance fine des situations et des attentes des familles du quartier par un jeu de proximité (vécu similaire du quartier et de ses difficultés, épreuve partagée de la stigmatisation et des discriminations, partage du sentiment d’injustice et d’abandon, même attente et déception face à la rénovation urbaine, constitutifs d’une identité collective…). Cette connaissance intime se voit renforcée à partir de 2011 par l’ouverture d’une permanence dans le quartier, tandis que les compétences et les ressources de l’association en matière de droit au logement se consolident à travers le rapprochement la même année avec d’autres associations à Montpellier (antenne locale de la Fondation Abbé Pierre qui subventionne dès lors Justice pour le Petit Bard ; Habiter Enfin ! créée en 1998).

  • 38  L’un des deux leaders a même une activité associative depuis l’adolescence dans le quartier de la (...)
  • 39  Appel du FSQP, avril 2007.

22Ainsi, si Justice pour le Petit Bard est très ancrée dans le quartier, ses deux leaders historiques, fils d’immigrés maghrébins et issus des quartiers populaires de Montpellier (Petit Bard et La Paillade), militaient déjà, depuis 1996, au sein du Mouvement de l’immigration et des banlieues (MIB)38. Justice pour le Petit Bard et le MIB34 sont jusqu’à aujourd’hui très fortement articulés. Justice pour le Petit Bard a par ailleurs participé activement, avec deux autres associations issues de quartiers populaires à Lyon (DiverCité) et à Toulouse (les Motivé.e.s), à la création du Forum Social des Quartiers Populaires (FSQP) en 2006, organisé en collectifs régionaux (à Montpellier Justice pour le Petit Bard et le MIB34). L’objectif de cette association d’échelle nationale est de faire émerger un mouvement social, culturel et politique qui représente et fait entendre la voix des quartiers populaires (pour « construire une force et une parole collective issus des quartiers39 ») à travers l’organisation régulière de forums dans différentes villes françaises. Les leaders de Justice pour le Petit Bard se sont également impliqués dans des luttes politiques locales et antérieures, notamment à travers le Comité montpelliérain de réflexion et d’innovation (CRI) qui, en 2002, dénonce l’attitude discriminatoire du maire de la ville, Georges Frêche, envers les Français musulmans de Montpellier, et prend part à la critique d’une politique urbaine locale « à double vitesse ». Ainsi Justice pour le Petit Bard a inscrit et consolidé son action sur le quartier grâce à sa double inscription dans des enjeux, des fonctionnements et des actions à la fois territorialisés localement et plus globaux sur la question de la démocratie et de la justice dans les quartiers populaires et la lutte contre le racisme institutionnel.

Le quartier et ses lieux comme ressource dans les mobilisations

  • 40  Bacqué Marie-Hélène, Blanc Maurice, Hamel Pierre et Sintomer Yves, « Ville, action citoyenne et dé (...)

23Les luttes qui viennent d’être étudiées trouvent des espaces d’expression dans le quartier et ses lieux. De statuts variés, ces espaces renvoient à des modalités, des enjeux et des temps différents de la mobilisation, et jouer de ces différences constitue une ressource pour les habitants. Les actions collectives s’expriment et s’incarnent dans des espaces qui font sens au regard des revendications et de la portée attendue, mais aussi des compétences différenciées de s’en saisir, et constituent ainsi les « dispositifs matériels » permettant à « la sphère publique d’exister40 ».

24Il est possible de dresser une typologie des lieux investis, appropriés, et les formes d’engagement et d’expression citoyenne qui y sont en jeu. Au démarrage du projet en 2005, les réunions publiques ont permis à l’association de se saisir d’une tribune et d’interpeller les pouvoirs publics sur la question non réglée des charges sur la copropriété, mais aussi face à la présentation d’un projet ficelé. Mais en raison de la logique de marketing territorial de la concertation réglementaire, les protestataires ont dû trouver d’autres lieux pour s’exprimer, des espaces conquis par la mobilisation pour non seulement se faire entendre mais aussi être écoutés sur les revendications et considérés comme des interlocuteurs politiques légitimes.

L’occupation de locaux d’institutions dans le quartier

25Qu’il s’agisse du gymnase, de la Maison pour tous, d’ACM ou encore des locaux du syndicat professionnel administrant la copropriété, l’occupation de ces lieux permet d’accéder aux acteurs institutionnels et de faire pression sur eux. L’occupation de locaux publics constitue en effet un moyen d’action plusieurs fois mis à l’épreuve dans le quartier, qui a montré la détermination des habitants et a permis d’obtenir des avancées. Ce mode opératoire qui fait écho aux luttes des mal-logés est prôné pour son efficacité en termes de résultat par les membres actifs de Justice pour le Petit Bard qui l’ont expérimenté avant la création de l’association à travers leur participation à des batailles menées dans le cadre du MIB, et développé par la suite.

« Les pouvoirs publics à Montpellier, une chose les fait reculer, ils ne comprennent que le rapport de force. Avec toutes les occupations que l’on a faites, ils ont commencé à nous prendre au sérieux, ils ont vu qu’on ne rigole pas, à force ils ont fait… L’ACM, on a occupé le dernier étage, c’était pendant l’occupation du gymnase, depuis ils ont renforcé la sécurité. On a gâché des spectacles culturels des 13 Vents (théâtre à Montpellier) avec l’aide des intermittents du spectacle […]. On faisait des opérations coup de poing, c’est que ça qui a marché, on croit aux mobilisations qui font un peu scandale. Je pense qu’on a porté une culture, un savoir-faire, maintenant les gens savent comment se défendre, grâce aux affaires du Petit Bard, les gens n’ont plus peur comme avant, on a gagné quelque chose, avant on était dans un système colonial… » (Justice pour le Petit Bard, 2008.)

  • 41  C’est la réforme de la carte scolaire à Montpellier allant dans le sens d’une plus forte ségrégati (...)

26Dans le cadre des batailles au Petit Bard, on observe deux formes d’occupation : des occupations ponctuelles (syndicat de copropriété, ACM), réalisées surtout par les membres actifs de Justice pour le Petit Bard et des occupations longues (plus d’un mois : gymnase, Maison pour tous), familiales, dans lesquelles les femmes occupent une place importante, nécessitant de s’organiser pour habiter les lieux occupés. Par ailleurs, on observe que depuis les premières mobilisations dans lesquelles les militants jouaient un rôle majeur dans l’impulsion et l’organisation des occupations, des habitants se sont emparés de ce mode opératoire pour d’autres occupations : la Maison pour tous autour du droit à un relogement choisi (2010) et les écoles du quartier pour dénoncer les ségrégations à l’école et faire valoir une égalité de traitement et un droit à la mixité sociale au sein du système éducatif (2015)41. Dans ces mobilisations, les femmes jouent un rôle de premier plan. On voit ainsi se dessiner des mobilisations de femmes qui se positionnent en tant que mères pour la défense de la santé, du bien-être, de l’éducation et de l’avenir de leurs enfants, et n’hésitent pas à s’engager dans l’espace public. Elles renouvellent ainsi des pratiques éprouvées avec un certain succès dans le quartier, directement expérimentées pour certaines d’entre elles ou par leurs voisines (les incendies de 2004 et de 2010 ont eu lieu dans la même barre d’immeuble).

  • 42  De la place du marché du Petit Bard à la préfecture. Plus de 1000 personnes selon les organisateur (...)
  • 43  Péchu Cécile, Droit au logement : genèse et sociologie d’une mobilisation, Paris, Dalloz, 2006.

27Le premier lieu de lutte marquant au Petit Bard a été le gymnase Rocca (rasé en 2011), dont l’occupation en 2004 a publicisé la nécessité impérieuse d’une intervention publique. Suite à une manifestation de grande ampleur42, les familles touchées par l’incendie dans la barre A ont occupé le gymnase du quartier jusqu’à obtenir un relogement définitif alors que la mairie proposait un relogement provisoire. Les leaders de Justice pour le Petit Bard ont joué un rôle décisif dans cette occupation dans le cadre d’une mobilisation plus large impliquant d’autres militants aguerris à ce mode opératoire (le DAL notamment43). En organisant la mobilisation (manifestation, délégation montée à Paris, occupation), ils ont contenu les débordements spontanés des jeunes du quartier en colère.

« Suite à l’incendie, un jour après, il y a eu un ras-le-bol des jeunes qui ont commencé à faire des actions spontanées. Au bout du deuxième jour, ils ont fait une action rue de Lodève, les flics ont débarqué et il y a eu des échanges entre les flics et les jeunes. C’est à ce moment-là qu’on est entré avec Abdenour (membre fondateur de Justice pour le Petit Bard). On a fait le tampon entre les flics et les jeunes et on a dit aux jeunes : “ce n’est pas comme ça qu’il faut faire. Il vaut mieux faire un truc qui ait de la gueule, des revendications, des trucs propres.” Tout le monde est entré dans le jeu. » (Justice pour le Petit Bard, 2009.)

28Cette occupation s’est construite à la fois sur les solidarités de quartier (repas, soutien à l’occupation physique, etc.) et sur la mobilisation de militants montpelliérains ou d’autres villes. Se fait jour ici l’importance des conflits à la fois entre les autorités locales et les associations, dans un bras de fer pour obtenir un relogement pérenne, mais aussi, selon Justice pour le Petit Bard, entre acteurs prétendant représenter les habitants : élus « communautaires », parti des Verts et associations. Une coalition prônant une ligne « dure » s’y est dessinée, organisant l’occupation du gymnase et rejetant l’aide des autres protagonistes considérés comme profitant ponctuellement de la situation et, pour ces raisons, non légitimes à défendre les habitants. Ainsi que le raconte un des leaders de Justice pour le Petit Bard (2009) :

« Après une manifestation en ville, on est rentrés occuper le gymnase, avec un mouvement de solidarité : le MIB, DAL, Sud, intermittents du spectacle, le gymnase était encore occupé quand le ministre a annoncé le projet de réhabilitation urbaine au Petit Bard avec l’ANRU. Le maire avec sa clique, le ministre, Domergue [plusieurs fois candidat UMP aux élections municipales à Montpellier] avec sa clique se sont rendus au gymnase, on a suivi le protocole, à notre façon. Les Verts, on les a empêchés de rentrer, […] ils ont crié, on leur a dit : “vous ne rentrez pas, vous avez fait votre beurre avec le Petit Bard.” Pendant 40 jours, ils n’étaient pas là, ni eux, ni aucun parti […]. Mais la CNL était présente autant que d’autres structures : Sud, CCI, PP, CIMADE, LCR. »

  • 44  Garnier Jean-Pierre, « Proximité spatiale et distance politique », Espaces et sociétés, no 112, 20 (...)

29Les occupations de locaux d’institutions ont continué d’être un mode de mobilisation prisé. L’occupation de la Maison pour tous au printemps 2010 est particulièrement emblématique. À l’initiative de familles résidant encore dans la barre A en cours de démolition, elle a duré plus d’un mois. À l’origine, trois incendies à répétition, déclarés en l’espace de trois semaines dans la cage 6 de la barre, ont réactivé une mobilisation de grande ampleur, convertissant, ainsi que l’exprime Jean-Pierre Garnier44, une « non-participation » en « rébellion où les habitants excédés décident de prendre réellement leurs affaires en main ». Les familles résidant encore dans la barre sont allées occuper la Maison pour tous par peur de réintégrer les logements. Cette action, au départ spontanée, s’est muée en une action de dénonciation plus générale sur la lenteur du processus de relogement en cours des habitants de la barre, avec une revendication principale, celle d’un relogement juste (à savoir un logement et un quartier de relogement permettant une amélioration des conditions de vie des habitants et non le contraire).

  • 45  Noyé Christophe, Rapport provisoire ANRU : quartiers de la Mosson et du Petit Bard, janvier 2011.

30Cet événement déclencheur, parce que jugé insupportable (« c’est trop », « c’est plus possible ») et vécu comme une épreuve de plus, rappelle fortement celui de la mobilisation de 2004. L’enchaînement des faits est pratiquement le même : incendie, occupation d’un établissement public par les familles, négociations. Dans le cas présent, le refus de réintégrer les logements se convertit en un moyen de pression pour que toutes les familles de la barre, et pas seulement celles de la cage incendiée, soient relogées rapidement et décemment. L’analyse des négociations sur la durée de l’occupation de la Maison pour tous montre le bras de fer engagé entre pouvoirs publics (préfecture, mairie et SERM) et habitants, et la dénonciation par ces derniers de la faible implication du bailleur social de l’agglomération (ACM) dans le projet de rénovation urbaine dont il est pourtant signataire45. Malgré les pressions verbales, la situation d’attente quotidienne, l’inconfort et la fatigue, les habitants ont maintenu leurs revendications, demandant à la mairie et à la préfecture d’intervenir auprès des bailleurs sociaux pour débloquer la situation en facilitant des relogements rapides. Dans cette lutte, les habitants ont reçu le soutien actif de Justice pour le Petit Bard tout en conservant la décision de continuer ou pas l’occupation.

  • 46  « Vous ne serez pas délogés par la force, mais moi en tant que délégué du préfet, représentant de (...)
  • 47  « On va trouver des solutions individuellement, les familles sont peu nombreuses, les premières pr (...)
  • 48  Dikeç Mustafa, « L’espace, le politique et l’injustice », Revue en ligne Justice spatiale/spatial (...)
  • 49  Gilbert Pierre, « Fragmenter la population et défaire les collectifs militants. La rénovation urba (...)

31Le choix du lieu de la Maison pour tous est à noter. Elle représente une double interface quartier/ville : spatiale dans la mesure où, située en bordure du quartier et fréquentée y compris par des personnes n’habitant pas au Petit Bard, la Maison pour tous est censée faire lien, mais surtout symbolique et politique en tant qu’équipement municipal. Son occupation, médiatisée dans la presse locale, est un moyen de contraindre les pouvoirs publics à l’action. Ceux-ci auraient préféré voir les familles rentrer chez elles ou s’installer dans le gymnase Rocca voué à la démolition et assurer la poursuite des activités de la Maison pour tous46. Les familles ont vivement refusé un tel déplacement parce qu’il signifiait perdre leur visibilité et leur seul avantage dans le rapport de force qu’elles entendaient établir avec la municipalité. Cette occupation signifie le refus pour les habitants de s’enfermer dans une négociation individuelle avec la SERM47, leur volonté de se soustraire à l’espace du huis clos comme « moyen de contrôle et de domination48 », et de tenter de s’imposer comme un acteur collectif du relogement. Dans un des chapitres du présent ouvrage, Pierre Gilbert montre qu’aux Minguettes à Vénissieux, c’est justement la capacité du bailleur social à maintenir les ménages dans des négociations individuelles sur le relogement, « à travers un travail de pacification », qui a entre autres permis de désarmer la mobilisation collective contestataire49.

  • 50  Pruvost Geneviève, « Chantiers participatifs, autogérés, collectifs : la politisation du moindre g (...)
  • 51  Béroud Sophie, Gobille Boris, Hajjat Abdellali et Zancarini-Fournel Michelle, (dir.), Engagements, (...)
  • 52  Les mères d’élèves, leaders de ce mouvement, mettent en avant l’inversion des rôles, leurs maris s (...)

32Durant l’occupation, les femmes plus que les hommes ont joué un rôle moteur dans le déclenchement et la poursuite de l’action, sans doute pour plusieurs raisons qui tiennent au rôle social et aux modes d’habiter. C’est en tant que mères qu’elles s’engagent dans la lutte. Ce sont elles d’abord qui ont contenu la colère de leurs fils (adolescents ou jeunes adultes) leur demandant de se tenir à l’écart, parce qu’elles voulaient maîtriser le cours de l’action. Et c’est bien en tant que mères qu’elles se sont positionnées dans la négociation en faisant valoir leur préoccupation pour leurs enfants et refusant de retourner dans un bâtiment insalubre. Cette action a été portée par les femmes en lien avec la question du logement, tandis que dans d’autres mobilisations, ayant trait aux charges locatives, au recours à la justice, ou à la concertation sur le projet, elles ont été plus en retrait. Leur rôle s’explique aussi par la forme de l’action : les femmes ont autant habité qu’occupé la Maison pour tous, avec leurs enfants, en organisant, entretenant et s’appropriant l’espace intérieur tout au long de la mobilisation. Ce sont elles et non les hommes qui l’ont occupée physiquement jour et nuit de manière continue grâce à un système de relais. Cette occupation au quotidien a impliqué des spécialisations de l’espace de manière à préserver l’intimité des femmes et des enfants des allers-et-venues des hommes du quartier et des personnalités extérieures. C’est en retrait des passages que les femmes ont aménagé leur espace domestique, à l’étage de la Maison pour tous, dans une salle de danse transformée en dortoir, à proximité d’une petite cuisine, tandis que la grande pièce du bas, donnant sur le hall d’entrée, a été consacrée aux réunions avec les acteurs institutionnels. Les gestes et les temps du quotidien se sont ainsi chargés d’une dimension politique et ont permis aux femmes de s’engager dans la sphère publique et la résistance collective, dans un bras de fer avec les pouvoirs locaux. Dans l’espace de la Maison pour tous, elles font l’expérience de la lutte politique : participer à des réunions avec les représentants de différentes institutions (préfecture, ville, SERM, pompiers…), prendre la parole en public, faire valoir un point de vue, se concerter et prendre des décisions collectives sur la suite à donner au mouvement, interpeller les acteurs institutionnels, répondre aux médias, s’organiser pour des actions ciblées… Toutes ne sont certes pas aussi actives, la maîtrise de la langue française constituant une ligne de partage entre celles qui sont plus en retrait et celles qui ne craignent pas de se mettre en avant, endossant un rôle de porte-parole du collectif, que les autorités publiques ont d’ailleurs vite fait de leur contester. Mais l’engagement dans la lutte se poursuit au-delà de l’action politique à proprement parler en investissant les temps des sociabilités ordinaires et les temps d’attente : on y évoque la situation, on commente et décrypte les événements, on s’offusque, on partage des informations glanées ici et là, on fait part de ses inquiétudes ou de sa propre expérience avec la SERM… Les hommes moins présents dans la durée, pris aussi par une occupation professionnelle, restaient pour certains jusqu’à tard dans la soirée mais devant la Maison pour tous, puis rentraient chez eux. Ils ont été davantage sur le devant de la scène dans les situations de face-à-face avec les acteurs institutionnels (par exemple, convoyant Hélène Mandroux lors de sa visite dans le quartier, les femmes se tenant plus à l’écart, ou encore lors de certaines réunions où sont négociées les propositions de relogement, avec la présence active de Justice pour le Petit Bard…). On peut ainsi retenir de cette occupation deux points saillants. En premier lieu, on identifie à travers elle une politisation des gestes du quotidien ou « du moindre geste », observée par Geneviève Pruvost50 (2015) dans des contextes d’engagement certes très différents (chantiers participatifs, ZAD de Notre-Dame-des-Landes) où des pratiques domestiques s’articulent aux revendications politiques, souvent radicales. En second lieu, cette mobilisation fait apparaître le rôle du genre dans l’action collective51, avec une oscillation des implications des hommes et des femmes selon le statut plus public ou privé des objets et des lieux de la mobilisation. Mais cette partition ne doit pas être essentialisée. D’une part, se pose la question des apprentissages dans la mobilisation, aussi bien pour les femmes que pour les hommes, d’autant que certain-e-s sont des primo-arrivant.e.s, maîtrisant mal le français et se sentant souvent illégitimes à contester, comme cet homme mobilisé pendant l’occupation de la Maison pour tous mais s’excusant presque : « On n’est pas là pas pour faire des problèmes. » D’autre part, la question se pose de l’effet de génération. Le combat en cours au Petit Bard « pour une école de la République » montre des dynamiques de recomposition du rapport aux institutions et à la sphère publique : c’est en tant que mères que les femmes s’engagent dans l’espace public et investissent le devant de la scène tout en faisant valoir une citoyenneté pleine et entière52.

Les espaces publics du quartier

  • 53  On peut prendre comme exemple de ce mépris, la déclaration de Georges Frêche à propos des habitant (...)

33Ils ont également constitué des scènes dont les militants et les habitants mobilisés se sont saisis. Outre l’organisation de forums sociaux, les places du quartier ont servi de support à plusieurs mobilisations. Parmi les lieux et moments marquants, l’hommage à Abdenour Tataï (membre fondateur de Justice pour le Petit Bard) en 2009 a constitué un moment de recueillement organisé par l’association et le FSQP dans le petit square jouxtant la barre à démolir, quatre mois après son décès accidentel. Un immense portrait du leader sur fond d’un montage photographique montrant des habitants mobilisés (manifestation de 2004) a été accroché à cette occasion sur la barre en cours de démolition, et sera déplacé par la suite sur un autre bâtiment du quartier, publicisant la mobilisation collective au même titre que divers affichages dans le quartier qui en annoncent les temps forts. D’autres moments ont marqué la contestation, telle l’inauguration sous tension de la nouvelle médiathèque par le maire, Georges Frêche, en avril 2005, dont les déclarations sur le quartier sont vécues par les habitants comme autant de provocations et de manifestations de mépris53. Les visites officielles dans le quartier de représentants des pouvoirs locaux sont aussi des occasions dont les militants se saisissent : être là pour prendre la mesure des choses, être au contact des habitants, les soutenir, mais aussi interpeller les autorités. Cela a été le cas du lancement en grande pompe de la première démolition (par déconstruction) au Petit Bard, en avril 2009, ou encore de la démolition par implosion de la tour en 2014.

  • 54  Céfaï Daniel et Lafaye Claudette, « Lieux et moments d’une mobilisation collective. Le cas d’une a (...)
  • 55  Giband David, « Chapitre 2. Territoires quotidiens et petite fabrique citoyenne dans trois program (...)
  • 56  Bertheleu Hélène et Neveu Catherine, « De petits lieux du politique : individus et collectifs dans (...)
  • 57  Céfaï Daniel et Lafaye Claudette, art. cité, p. 197.
  • 58  C’est en effet sans local que l’association Justice pour le Petit Bard a fonctionné la plupart du (...)
  • 59  Céfaï Daniel et Lafaye Claudette, art. cité.

34Au quotidien, les lieux de voisinage et de rencontres routinières jouent également un rôle à travers les conversations entre voisins, parents et proches du quartier, comme cela a pu être observé dans d’autres contextes de quartiers populaires confrontés à des projets de reconquête urbaine54, y compris dans les périodes de latence de la mobilisation et de moindre intensité apparente du conflit. Des paliers des appartements aux squares et aux commerces en passant par la rue, il s’agit de s’informer et de s’organiser, à travers ces « espaces sans conséquences55 », durant les « petits temps » de l’engagement56, transformant « un espace de cohabitation et d’interconnaissances en un espace de circulation d’une parole publique57 ». Du reste, dans ce contexte précis, les lieux du voisinage et des sociabilités de quartier ainsi que les espaces publics ont suppléé à l’absence de local d’association58, qui constitue un des lieux majeurs dans les interactions propices à la dynamique de mobilisation59. Et quand les tensions montent, les rues du quartier sont rapidement le théâtre de face-à-face tendus, comme fin septembre 2013 lors de l’opposition à l’expulsion musclée d’un ménage de retraités, menée avec le renfort des CRS et de la BAC, suite à laquelle quatre personnes ont été poursuivies pour « outrage et rébellion ». À l’automne 2014, des jeunes, préoccupés par la question de l’emploi, ont bloqué le chantier qui paralyse la principale artère d’accès du quartier pour dénoncer la lenteur des travaux et l’embauche insuffisante d’habitants du Petit Bard.

Illustration 2. Affiche déployée sur la barre vouée à la démolition, en hommage à Abdenour Tataï, leader de Justice pour le Petit Bard, décédé quatre mois plus tôt. 21 mars 2009

Illustration 2. Affiche déployée sur la barre vouée à la démolition, en hommage à Abdenour Tataï, leader de Justice pour le Petit Bard, décédé quatre mois plus tôt. 21 mars 2009

Le quartier comme espace d’expression politique, culturelle et festive : l’ouverture nécessaire

  • 60  Castel Robert, La discrimination négative. Citoyens ou indigènes ?, Paris, Seuil, 2007.
  • 61  Berry-Chikhaoui Isabelle, Chevalier Dominique et Médina Lucile, « Le quartier du Petit Bard dans l (...)
  • 62  Titre du slogan de la campagne de communication initiée par Euro-RSCG en 1986 : « Montpellier la s (...)
  • 63  D’hombres Marie et Lupu Gabriela, Quoiqu’on en dise. Le Petit Bard raconté par ses habitants, Mont (...)
  • 64  La présentation qui a été faite du livre à la Maison pour tous du quartier a cristallisé le mécont (...)
  • 65  [http://fsqp.fr/Le-petit-Bard-emission-de-TV.html] ; [http://fsqp.fr/Radio-sur-le-mouvement-de-sou (...)
  • 66  « Justice pour le Petit Bard », documentaire de Carole Chabert, production Inthemood-France Télévi (...)

35À travers les actions des militants de Justice pour le Petit Bard, les mobilisations s’attachent à montrer différemment le quartier, avec le souci d’en offrir une image valorisée. L’objectif est de retourner le stigmate qui frappe le Petit Bard et ses habitants pour restaurer une fierté des habitants vis-à-vis de leur quartier et, ce faisant, d’eux-mêmes, mais aussi restaurer l’image du quartier vis-à-vis de l’extérieur. Il s’agit donc de ne pas laisser le champ à des images uniquement négatives que la presse contribue largement à véhiculer, et face auxquelles les habitants se sentent « injustement discriminés60 ». Dans l’opinion publique montpelliéraine, le Petit Bard se décline en quelques lieux communs lapidaires : « zone urbaine sensible » ou de « sécurité prioritaire », lieu de relégation et de trafics multiples61… Les clichés s’y révèlent en négatif : un non-lieu pour une zone de non-droit, l’envers du décor de Montpellier la Surdouée62. Même sentiment de stigmatisation des habitants devant un ouvrage financé par le Contrat urbain de cohésion sociale63, qui véhicule une représentation consensuelle des « cités » en donnant à voir la paupérisation et la dégradation progressive du bâti, avec en couverture l’image caricaturale d’un jeune assis devant une cage d’escalier, le visage caché par une capuche64. Pour combattre ces images négatives, les membres de Justice pour le Petit Bard acceptent toujours de s’exprimer, d’expliquer les objets de la contestation et se font entendre désormais d’une presse qui se veut plus critique (L’Agglorieuse, Montpellier Journal) et qui accorde une place croissante aux mobilisations. De même, sur le web, les sites du FSQP65 et du MIB34, ou encore de l’association montpelliéraine d’ateliers audio-visuels, les Ziconophages, présentent des actions culturelles entreprises dans le quartier et des interviews ou des films réalisés. Un film documentaire retraçant l’engagement de Justice pour le Petit Bard au cours des trois dernières années a été diffusé en avant-première en octobre 2015 dans le cinéma Gaumont du centre-ville de Montpellier, puis sur la chaîne télévisée France 366.

36L’organisation de manifestations de type forums sociaux est un autre registre d’action qui vise à faire parler du quartier positivement, à l’ouvrir sur l’extérieur, tout comme à inciter les habitants à se sentir légitimes en tant que citoyens et à investir l’espace public, à débattre sur les places du quartier et à aller à la rencontre d’autres habitants de quartiers populaires ou non. Les espaces publics du quartier deviennent ainsi le temps d’un forum des espaces de débat public. L’organisation de forums a reposé localement sur l’association Justice pour le Petit Bard, épaulée par la logistique et le savoir-faire du FSQP et du MIB. Deux premiers forums de quartier ont eu lieu en 2005, à un moment fort de la mobilisation : une première « journée de mobilisation et de rencontre », organisée en février 2005, autour d’un débat sur les questions de logement, de discrimination et de participation des habitants et d’une projection de film au gymnase Rocca, puis les journées « Le Petit Bard résiste » organisées en juin 2005. En mars 2007, en pleine campagne présidentielle, un autre temps fort a été la présence de José Bové venu participer à un débat sur le logement et la précarité à l’appel de l’association Justice pour le Petit-Bard et du MIB. En 2009, le Petit Bard a accueilli le 3e forum organisé par le FSQP autour de projections et de débats élargis à la question des quartiers populaires, avec notamment Olivier Besancenot (NPA) et Salah Amokrane (Les Motivé.e.s, Toulouse, actuel président du FSQP). Ces différents forums intègrent une dimension festive qui participe de cette même volonté de renverser le stigmate : le quartier devient un lieu d’expression culturelle et de fête (alors que « d’habitude il ne se passe jamais rien ») et en tant que tel, les organisateurs souhaitent l’ouvrir à d’autres populations (ferme pédagogique et animation de contes pour les enfants, concerts gratuits…).

Illustration 3. Forum social des quartiers populaires au Petit Bard en septembre 2009 : stand du MIB

Illustration 3. Forum social des quartiers populaires au Petit Bard en septembre 2009 : stand du MIB

Illustration 4. Forum social des quartiers populaires au Petit Bard en septembre 2009 : projection d’un film documentaire suivie d’un débat sur la dénonciation des bavures policières

Illustration 4. Forum social des quartiers populaires au Petit Bard en septembre 2009 : projection d’un film documentaire suivie d’un débat sur la dénonciation des bavures policières
  • 67  Le cas du Petit Bard est cité dans le rapport d’Hélène Bacqué et Mohamed Mechmache. Bacqué Marie-H (...)
  • 68  « La secrétaire d’État à la ville face aux ratés de la rénovation urbaine », Le Monde, 08/11/2014.
  • 69  On peut considérer comme un autre « lieu » de l’engagement citoyen l’espace hyperréel du web, dans (...)

37La mobilisation compte aussi avec l’interpellation des responsables politiques à l’échelle nationale sur les problèmes du quartier pour montrer que celui-ci « bouge », et que les habitants refusent de se laisser enfermer dans l’oubli ou dans un dialogue de sourds avec les autorités locales. Inviter des responsables nationaux ou les interpeller à l’occasion de leur venue est un moyen d’acquérir une légitimité politique à l’échelle nationale67, avec l’espoir de débloquer les conflits locaux : après Marc-Philippe Daubresse, ministre du Logement venu en 2004, François Lamy, ministre de la Ville, s’est rendu dans le quartier en 2013 à l’invitation de Justice pour le Petit Bard. Dernière visite en date, plus tendue que prévue, celle de Myriam El Khomri, secrétaire d’État à la Ville, en novembre 201468. La contestation est allée également se faire entendre hors des murs du quartier69 : devant l’hôtel de Ville en 2004 après l’incendie mortel dans la barre A, devant le siège social du bailleur social de l’agglomération (ACM) en 2010, devant le tribunal de Montpellier en 2014 pour soutenir quatre personnes interpellées pour s’être opposées à une expulsion, et jusqu’au ministère de la Ville et du Logement pour plusieurs entretiens accordés aux membres de Justice pour le Petit Bard.

Conclusion

  • 70  Hazfeld Hélène, art. cité.

38Au Petit Bard, les luttes articulent donc des expériences d’engagement local et territorialisé à des questions liées au logement et à la rénovation urbaine et des expériences plus larges à travers l’implication de militants dans des réseaux nationaux. Le lieu-ressort est aussi une ressource dans l’action. Les habitants mènent leurs batailles en investissant de manière différenciée divers lieux du quartier en fonction du statut de ces derniers, de leur localisation et selon les revendications qu’ils souhaitent publiciser. En occupant les espaces de la vie ordinaire et quotidienne, ils ouvrent ainsi des « espaces publics partiels, critiques et créatifs70 ». Au-delà de revendications pour plus de justice (droits à) et de reconnaissance de leur habiter et de ses lieux, les militants entendent faire du quartier un lieu de l’engagement politique, citoyen et culturel en y organisant des forums de débat et des manifestations festives et en l’inscrivant dans une dynamique plus générale, à l’échelle nationale, de revalorisation des quartiers populaires. Cette logique d’élargissement des enjeux et de percolation avec des luttes à l’échelle nationale se traduit aussi par l’investissement d’autres lieux que ceux de la vie ordinaire, à Montpellier ou dans d’autres villes, à travers diverses actions et la participation à des forums… Elle conduit également les militants associatifs à investir l’espace des médias et du web pour publiciser leurs revendications et leurs actions. Les luttes entendent ainsi renouveler le sens des lieux et, ce faisant, retourner le stigmate qui pèse sur les hommes et les femmes de ce quartier populaire en faisant du Petit Bard un territoire politique et de mobilisation, loin des clichés.

  • 71  Pour une approche similaire concernant les luttes d’habitants contre des projets industrialo-portu (...)
  • 72  Bourdin Alain, L’urbanisme d’après crise, Paris, L’aube, 2010.

39On voit ainsi, à travers l’exemple du Petit Bard, que les habitants contestent parce qu’ils habitent et habitent en contestant. Nous considérons qu’il est fondamental de travailler sur cette relation dialectique pour comprendre les conflits en aménagement, quels que soient d’ailleurs les types de projets contestés71. Du point de vue de la géographie sociale, il s’agit d’enrichir le questionnement sur l’habiter, qui s’est certes renouvelé au sein de cette discipline depuis une dizaine d’années, mais en occulte souvent la dimension politique. Notre analyse situe l’habiter au cœur de contestations populaires et interroge dans une perspective radicale les politiques publiques d’aménagement de l’espace comme l’émanation de rapports de domination. Les luttes au Petit Bard témoignent de la capacité politique des habitants à faire émerger des problèmes relatifs à la rénovation urbaine et au logement, à ancrer ces revendications dans le champ de la justice sociale, en obtenant parfois des résultats, à participer à la construction d’un autre regard sur les quartiers populaires. Mais elles manifestent tout autant leurs difficultés à se faire admettre comme des interlocuteurs politiques légitimes par les autorités, à faire reconnaître les problèmes qu’ils identifient, alors qu’ils sont maintenus dans un rapport de pouvoir largement asymétrique. Cela pose plus globalement la question de la place qui est faite aux habitants pauvres dans la ville et de la volonté de les maintenir dans des positions de « sans voix », qui plus est quand ceux-ci sont issus de l’immigration postcoloniale. La conception de la rénovation urbaine révèle certes une approche froide, simplificatrice et fonctionnaliste du lieu occultant ce qui fait un lieu, c’est-à-dire la relation toujours particulière qui lie des hommes à un espace. Mais plus que l’effet pervers d’une conception urbaine surplombante, nous y voyons une volonté de normalisation sociale et spatiale des quartiers populaires et un déni de démocratie au sein d’une stratégie plus globale d’invisibilisation de la pauvreté et des populations issues de l’immigration postcoloniale participant d’une vision néo-libérale de l’urbanisme72 et de la ville compétitive.

Notes

1  Deboulet Agnès et Lelévrier Christine (dir.), Rénovation urbaine en Europe : quelles pratiques ? Quels effets ?, Rennes, Presses universitaires de Rennes, coll. « Espace et Territoires », 2014.

2  Collovald Annie et Mathieu Lilian, « Mobilisations improbables et apprentissage d’un répertoire syndical », Politix, no 86, 2009/2, p. 119-143, p. 120.

3  Collovald Annie et Mathieu Lilian, loc. cit.

4  Lussault Michel, « Habiter, du lieu au monde. Réflexions géographiques sur l’habitat humain », in Paquot Thierry, Lussault Michel et Younès Chris (dir.), Habiter le propre de l’humain. Villes, territoires et philosophie, Paris, La Découverte, 2007, p. 35-52.

5  Frémont Armand, Chevalier Jacques, Hérin Robert et Renard Jean, Géographie sociale, Paris, Masson, 1984.

6  Staszak Jean-François, « Nouvelles approches du lieu », in Staszak Jean-François et al. (dir.), Géographies anglo-saxonnes. Tendances contemporaines, Paris, Belin, coll. « Mappemonde », 2001, p. 249-255.

7  Entrikin J. Nicholas, « Lieu. Une condition de l’expérience humaine », in Lévy Jacques et Lussault Michel, Dictionnaire de la géographie et de l’espace des sociétés, Paris, Belin, 2003, p. 557-560, p. 557.

8  Entrikin J. Nicholas, loc. cit.

9  Di Méo Guy, Géographie sociale et territoires, Paris, Nathan, 1998.

10  Lussault Michel, art. cité.

11  Entrikin J. Nicholas, art. cité.

12  Berry-Chikhaoui Isabelle et Medina Lucile, « Chapitre 1. Sentiment d’injustice, lutte pour la citoyenneté et la reconnaissance du quartier. Le cas de la copropriété dégradée du Petit Bard à Montpellier », in Deboulet Agnès (dir.), La rénovation urbaine entre enjeux citadins et engagements citoyens, rapport de recherche PUCA, 2010, p. 27-68.

13  38 entretiens semi-directifs auprès des acteurs institutionnels, associatifs et habitants, entretiens libres, participation à une quinzaine de manifestations ou de réunions et suivi de l’occupation de la Maison pour Tous du quartier (du 22 mars au 6 mai 2010).

14  Entretien avec un membre de l’association Justice pour le Petit Bard, mars 2008.

15  Entretien avec le chargé de mission PRU Cévennes/Petit Bard, octobre 2007.

16  Les Maisons pour tous sont des équipements municipaux (22 au total) destinés aux loisirs et à la culture dans les quartiers, [http://www.montpellier.fr/3791-maisons-pour-tous.htm].

17  Berry-Chikhaoui Isabelle et Medina Lucile, « La mixité sociale dans la rénovation urbaine : une aspiration des habitants ? La copropriété du Petit Bard à Montpellier », in Deboulet Agnès et Lelévrier Christine (dir.), Rénovation urbaine en Europe : quelles pratiques ? Quels effets ?, Rennes, Presses universitaires de Rennes, 2014, p. 269-279.

18  Lelévrier Christine, Mobilités et trajectoires résidentielles des ménages relogés lors d’opération de renouvellement urbain. Synthèse des travaux menés entre 2004 et 2007, Paris, PUCA, DIV, DREIF, 2008.

19  Gilbert Pierre, Les classes populaires à l’épreuve de la rénovation urbaine. Transformations spatiales et changement social dans une cité HLM, thèse de doctorat de sociologie et anthropologie, université Lumière Lyon 2, 2014. Voir aussi Pierre Gilbert dans ce même ouvrage.

20  Onzus, Dix ans de programme national de rénovation urbaine : bilan et perspectives, Document de l’ONZUS no 3, Paris, Les Éditions du CIV, 2013.

21  Lelévrier Christine, « La mixité dans la rénovation urbaine : dispersion ou reconcentration ? », Espaces et sociétés, no 140-141, 2010/1, p. 59-74.

22  Charmes Éric, « Pour une approche critique de la mixité sociale. Redistribuer les populations ou les ressources », laviedesidees.fr, 10 mars 2009.

23  Castells Manuel, Luttes urbaines, Paris, Maspero, 1973.

24  Sivignon Michel, « Du verbe habiter et de son amère actualité », Revue de Géographie de Lyon, no 4, 1993, p. 215-217.

25  Castells Manuel, op. cit.

26  La loi instituant le Droit Au Logement Opposable en 2007 a été adoptée sous la pression du mouvement social construit autour du droit au logement qui a émergé en France à la fin des années 1980 (Péchu Cécile, Droit au Logement, genèse et sociologie d’une mobilisation, Paris, Dalloz, 2006).

27  Documentaire réalisé par une association montpelliéraine d’ateliers audio-visuels les Ziconophages, [https://www.youtube.com/watch?v=PHsqnEcbQ0Y]. Sur le droit à une éducation juste et égalitaire, on peut se reporter aux mobilisations d’un collectif de parents d’élèves du Petit Bard/Pergola revendiquant « une école de la République ». Plusieurs petits films postés sur Youtube depuis 2015 publicisent cette mobilisation.

28  Hazfeld Hélène, « Légitimité », Dictionnaire critique et interdisciplinaire de la participation, 2013, [www. participation-et-democratie.fr].

29  Lefebvre Henri, Le droit à la ville, Paris, Éditions Anthropos, 1968.

30  Association française de science politique, Le PRISME/GSPE (Groupe de sociologie politique européenne), IEP de Strasbourg, colloque international Les mobilisations de précaires, 19 et 20 janvier 2006.

31  Collovald Annie et Mathieu Lilian, art. cité.

32  Siméant Johanna, « Immigration et action collective. L’exemple des mobilisations d’étrangers en situation irrégulière », Sociétés contemporaines, no 20, 1994, p. 39-62.

33  Deboulet Agnès (dir.), La rénovation urbaine entre enjeux citadins et engagements citoyens, rapport de recherche PUCA, 2010.

34  Le Mouvement de l’immigration et des banlieues (MIB), le collectif Résistons ensemble contre les violences policières, le Forum social des quartiers populaires.

35  Appel au « soutien le plus large et à une mobilisation efficace » aux côtés des habitants dans un Communiqué de DAL fédération – Paris le 21 juin [2004] : « Montpellier : les habitants de la cité des petits bards se lèvent pour le relogement immédiat des 21 familles sinistrées, et le droit d’être logés en sécurité et décemment. »

36  Forum Social des Quartiers Populaires.

37  Cette association montpelliéraine, lancée en 2009 autour de « valeurs communes de justice sociale, liberté, laïcité, égalité, solidarité »« pour changer la vie dans les quartiers populaires » (ouverture des états généraux de la citoyenneté, novembre 2009), n’existe plus aujourd’hui. Elle rassemblait des militants venus d’horizons différents : issus de l’immigration maghrébine et fortement impliqués sur la question des quartiers populaires, dont certains originaires du Petit Bard, anciens militants syndicalistes, militants issus de mouvements anarchistes, militants de gauche, travailleurs sociaux).

38  L’un des deux leaders a même une activité associative depuis l’adolescence dans le quartier de la Paillade : dans l’association Jeune Phobos Paillade Nord dont il est membre du conseil d’administration dès l’âge de 16 ans.

39  Appel du FSQP, avril 2007.

40  Bacqué Marie-Hélène, Blanc Maurice, Hamel Pierre et Sintomer Yves, « Ville, action citoyenne et débat public », Espaces et sociétés, no 123, 2005.

41  C’est la réforme de la carte scolaire à Montpellier allant dans le sens d’une plus forte ségrégation au collège pour les enfants du Petit Bard qui a provoqué une importante mobilisation des parents d’élèves.

42  De la place du marché du Petit Bard à la préfecture. Plus de 1000 personnes selon les organisateurs parmi lesquelles des « gens concernés par la personne décédée », des « gens plus largement concernés par les problèmes de logement », des habitants de la cage d’escalier qui a pris feu, « des jeunes descendus des quartiers » (entretien Justice pour le Petit Bard, 2009).

43  Péchu Cécile, Droit au logement : genèse et sociologie d’une mobilisation, Paris, Dalloz, 2006.

44  Garnier Jean-Pierre, « Proximité spatiale et distance politique », Espaces et sociétés, no 112, 2003, p. 119-132, p. 127.

45  Noyé Christophe, Rapport provisoire ANRU : quartiers de la Mosson et du Petit Bard, janvier 2011.

46  « Vous ne serez pas délogés par la force, mais moi en tant que délégué du préfet, représentant de l’État, je pense que la Maison pour tous ce n’est pas une solution, il n’y a pas les conditions d’hygiène, ce n’est pas une solution pour les enfants. Prenez le temps de réfléchir. » (Réunion avec les habitants, Maison pour tous, mars 2010.)

47  « On va trouver des solutions individuellement, les familles sont peu nombreuses, les premières propositions seront sur le A6. […] La SERM va recevoir individuellement les familles. » (Représentant de la municipalité, réunion avec les habitants, Maison pour tous, mars 2010.)

48  Dikeç Mustafa, « L’espace, le politique et l’injustice », Revue en ligne Justice spatiale/spatial justice, no 1, 2009.

49  Gilbert Pierre, « Fragmenter la population et défaire les collectifs militants. La rénovation urbaine comme dispositif de désarmement des mobilisations collectives », art. cité.

50  Pruvost Geneviève, « Chantiers participatifs, autogérés, collectifs : la politisation du moindre geste », Sociologie du travail, no 57, 2015, p. 81-103.

51  Béroud Sophie, Gobille Boris, Hajjat Abdellali et Zancarini-Fournel Michelle, (dir.), Engagements, rébellions et genre dans les quartiers populaires en Europe (1968-2005), Paris, Éditions des Archives contemporaines, 2011.

52  Les mères d’élèves, leaders de ce mouvement, mettent en avant l’inversion des rôles, leurs maris s’occupant des enfants pour qu’elles puissent s’investir dans l’espace public.

53  On peut prendre comme exemple de ce mépris, la déclaration de Georges Frêche à propos des habitants du Petit Bard et de leur occupation de la Maison pour tous du quartier, en 2010 : « Alors, à ACM on propose des appartements, alors maintenant, vous savez, les gens du Petit Bard, ils veulent même pas aller les voir. Et de quoi je me mêle. On leur propose des appartements, s’ils les veulent ils les prennent, s’ils les veulent pas ils la ferment. D’ailleurs le mec qui a mis le feu au Petit Bard, c’est un mec de l’immeuble. Moi je le sais. Tout le monde le sait. Et comme par hasard la police n’est pas au courant. Et comme par hasard la presse ne dit rien. » 7LTVMontpellier, 20 avril 2010.

54  Céfaï Daniel et Lafaye Claudette, « Lieux et moments d’une mobilisation collective. Le cas d’une association de quartier », in Céfaï Daniel et Trom Danny (dir.), Les formes de l’action collective. Mobilisations dans les arènes publiques, Paris, EHESS, 2001, p. 195-228 ; Berry-Chikhaoui Isabelle et Deboulet Agnès, 2007, « Restructurations urbaines à Marseille à l’heure de l’internationalisation : tensions et régimes d’action », in Berry-Chikhaoui Isabelle, Deboulet Agnès et Roulleau-Berger Laurence, Villes internationales. Entre tensions et réactions des habitants, Paris, La Découverte, 2007, p. 139-168.

55  Giband David, « Chapitre 2. Territoires quotidiens et petite fabrique citoyenne dans trois programmes de rénovation urbaine à Perpignan », in Deboulet Agnès (dir.), La rénovation urbaine entre enjeux citadins et engagements citoyens, rapport de recherche PUCA, 2010, p. 69-88.

56  Bertheleu Hélène et Neveu Catherine, « De petits lieux du politique : individus et collectifs dans des instances de “débat public” à Tours », Espaces et Sociétés, no 123, 2005, p. 37-51.

57  Céfaï Daniel et Lafaye Claudette, art. cité, p. 197.

58  C’est en effet sans local que l’association Justice pour le Petit Bard a fonctionné la plupart du temps depuis sa création.

59  Céfaï Daniel et Lafaye Claudette, art. cité.

60  Castel Robert, La discrimination négative. Citoyens ou indigènes ?, Paris, Seuil, 2007.

61  Berry-Chikhaoui Isabelle, Chevalier Dominique et Médina Lucile, « Le quartier du Petit Bard dans la rénovation urbaine : la double peine de la discrimination ethnique et territoriale », in Hancock Claire, Lelévrier Christine, Ripoll Fabrice et Weber Serge, Discriminations territoriales, entre interpellation politique et sentiment d’injustice des habitants, Paris, L’œil d’or, 2016, p. 217-237.

62  Titre du slogan de la campagne de communication initiée par Euro-RSCG en 1986 : « Montpellier la surdouée, berceau du futur ».

63  D’hombres Marie et Lupu Gabriela, Quoiqu’on en dise. Le Petit Bard raconté par ses habitants, Montpellier 1960-2008, Montpellier, Édition Chèvre Feuille Étoilée, 2008.

64  La présentation qui a été faite du livre à la Maison pour tous du quartier a cristallisé le mécontentement des habitants, mêlant le sentiment de dépossession et de réinterprétation de l’histoire de leur quartier et l’exaspération latente face au manque d’avancement du projet.

65  [http://fsqp.fr/Le-petit-Bard-emission-de-TV.html] ; [http://fsqp.fr/Radio-sur-le-mouvement-de-soutien.html] ; [http://fsqp.fr/Petit-Bard-debat-du-29-04-2010.html] ; [http://fsqp.free.fr/archives-2007-2012/video/petitbard.html].

66  « Justice pour le Petit Bard », documentaire de Carole Chabert, production Inthemood-France Télévision, 52 min, 2015.

67  Le cas du Petit Bard est cité dans le rapport d’Hélène Bacqué et Mohamed Mechmache. Bacqué Marie-Hélène et Mechmache Mohamed, Pour une réforme radicale de la politique de la ville. Ça ne se fera pas sans nous. Citoyenneté et pouvoir d’agir dans les quartiers populaires, rapport pour le ministère délégué à la Ville, juillet 2013.

68  « La secrétaire d’État à la ville face aux ratés de la rénovation urbaine », Le Monde, 08/11/2014.

69  On peut considérer comme un autre « lieu » de l’engagement citoyen l’espace hyperréel du web, dans lequel le Petit Bard fait l’objet d’une large médiatisation depuis 2004. L’encyclopédie en ligne Wikipédia consacre depuis 2006 une rubrique au quartier et les articles en ligne sur le Petit Bard (Midi Libre, Montpellier Journal, L’Agglorieuse mais aussi des journaux nationaux) et les posts sont également nombreux ; ils servent de tribunes pour dénoncer les agissements des syndics, du bailleur, des marchands de sommeil, des politiques et des pouvoirs publics. Voir aussi le blog du Petit Bard alimenté de 2005 à 2007 [http://petit-bard.over-blog.com/] par un anonyme.

70  Hazfeld Hélène, art. cité.

71  Pour une approche similaire concernant les luttes d’habitants contre des projets industrialo-portuaires, cf. Berry-Chikhaoui Isabelle et Lavaud-Letilleul Valérie, « Habiter à proximité de la zone industrialo-portuaire de Fos : lire les conflits à partir de la rupture du compromis territorial de l’habitant sur la ZIP, 50 ans après sa création », in Lavaud-Letilleul Valérie (dir.), Développement industrialo-portuaire, enjeux socio-environnementaux et gestion durable des territoires dans les ports de commerce. Réalités françaises, comparaisons internationales, Rapport de recherche Port-Industrie-Société-Territoire-Environnement (PISTE), ministère de l’Écologie, p. 469-498, 2013.

72  Bourdin Alain, L’urbanisme d’après crise, Paris, L’aube, 2010.

Table des illustrations

Titre Illustration 1. Occupation de la Maison Pour Tous dans le quartier du Petit Bard en mars 2010 pour le droit à un logement juste
URL http://books.openedition.org/pur/docannexe/image/146507/img-1.jpg
Fichier image/jpeg, 52k
Titre Illustration 2. Affiche déployée sur la barre vouée à la démolition, en hommage à Abdenour Tataï, leader de Justice pour le Petit Bard, décédé quatre mois plus tôt. 21 mars 2009
URL http://books.openedition.org/pur/docannexe/image/146507/img-2.jpg
Fichier image/jpeg, 83k
Titre Illustration 3. Forum social des quartiers populaires au Petit Bard en septembre 2009 : stand du MIB
URL http://books.openedition.org/pur/docannexe/image/146507/img-3.jpg
Fichier image/jpeg, 47k
Titre Illustration 4. Forum social des quartiers populaires au Petit Bard en septembre 2009 : projection d’un film documentaire suivie d’un débat sur la dénonciation des bavures policières
URL http://books.openedition.org/pur/docannexe/image/146507/img-4.jpg
Fichier image/jpeg, 39k

Auteurs

Isabelle Berry-Chikhaoui
Maîtresse de conférences en géographie à l’université Paul Valéry Montpellier 3, membre de l’UMR 5281 ART-Dev. Elle a notamment publié : « Les comités de quartier en Tunisie. Une illusion démocratique », Mouvements, 2011/2, no 66 ; « Les citadins face aux enjeux d’internationalisation de la ville. Casablanca et Marseille : où est le Nord, où est le Sud ? », Autrepart, 2007/1, no 41 ; Villes internationales. Entre tensions et réactions des habitants (co-direction avec A. Deboulet et L. Roulleau-Berger), Paris, La Découverte, coll. Recherches, 2007 ; « Les compétences des citadins : enjeux et illustrations à propos du monde arabe », L’Homme et la société, 2002/1, no 41. En collaboration avec L. Médina : « La mixité sociale dans la rénovation urbaine : une aspiration des habitants ? La copropriété du Petit Bard à Montpellier », in Deboulet A. et Lelévrier C., Rénovation urbaine en Europe : quelles pratiques ? Quels effets ?, Rennes, Presses universitaires de Rennes, 2014.
Lucile Medina
Maîtresse de conférences en géographie à l’université Paul Valéry Montpellier 3, membre de l’UMR 5281 ART-Dev. Elle est spécialiste des dynamiques de développement des espaces transfrontaliers, particulièrement en Amérique centrale, et des dynamiques sociales dans les quartiers sensibles et les frontières urbaines. Elle a notamment publié : « Les frontières de l’isthme centraméricain, des marges symboliques à des espaces en construction », Espaces et sociétés, 2009/3, no 138.

Le texte et les autres éléments (illustrations, fichiers annexes importés) sont sous Licence OpenEdition Books, sauf mention contraire.

Rechercher dans OpenEdition Search

Vous allez être redirigé vers OpenEdition Search