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Le pouvoir et la foi au Moyen Âge

 | 
Sylvain Soleil
, 
Joëlle Quaghebeur

Réformer

Propagande ducale, réforme grégorienne et renouveau monastique : la production hagiographique en Bretagne sous les ducs de la maison de Cornouaille

André-Yves Bourgès

Texte intégral

  • 1 Bourgès A.-Y., « Le dossier littéraire des saints Judicaël, Méen et Léri », Corona Monastica. Mélan (...)
  • 2 Les vitae de saint Judicaël et de saint Léri, qui rapportent les multiples donations pieuses du roi (...)

1Nous avons jadis suggéré que les conflits intervenus en Bretagne de 1075 à 1093 entre la nouvelle dynastie ducale, issue des comtes de Cornouaille, et plusieurs potentes locaux pouvaient avoir été provoqués par l’application de la Réforme grégorienne1 : au-delà même de motivations religieuses, Hoël puis son fils, Alain IV Fergant, auraient encouragé, soutenu, imposé cette réforme au détriment de leurs barons, pour juguler la puissance de ces derniers2 ; car cette puissance découlait en partie d’un accaparement de biens d’origine ecclésiastique et d’une mainmise lignagère sur les sièges d’évêchés et d’abbayes, comme la maison de Cornouaille en faisait elle-même la démonstration à cette époque, en dépit de son implication précoce dans le mouvement de réforme de l’Église, dès le milieu du xie siècle.

  • 3 Eudon, frère cadet du duc Alain III et qui avait exercé la régence du duché après la mort de ce der (...)
  • 4 C’est déjà le cas d’Arthur de La Borderie, Histoire de Bretagne, t. 3, Rennes-Paris, 1899, p. 24-29 (...)
  • 5 Bourgès A.-Y., « Robert d’Arbrissel, Raoul de la Fûtaie et Robert de *Locunan : la trinité érémitiq (...)
  • 6 Dufief A., Les Cisterciens en Bretagne, Rennes, 1997, p. 81-86.
  • 7 Quaghebeur J., « Prier Notre Dame, protéger la Cornouaille », Mémoires de la Société d’histoire et (...)

2Nous nous proposons aujourd’hui d’approfondir cette hypothèse et de montrer comment la littérature hagiographique de l’époque a pu constituer un véritable outil de propagande au service des ducs de la maison de Cornouaille, plus particulièrement en ce qui concerne la reconquête du pouvoir entreprise dans la partie septentrionale du duché à l’encontre du comte Eudon et de sa progéniture, dont la principauté couvrait approximativement le territoire des récents diocèses de Tréguier et Saint-Brieuc3, également à l’encontre de Geoffroy Grenonat, qui tenait quant à lui le comté de Rennes, patrimoine de l’ancienne dynastie ducale. La personnalité du comte Hoël et le rôle joué par ce prince dans l’histoire du duché, généralement minimisés par la critique historique4, feront à cette occasion l’objet d’une réévaluation et d’une revalorisation. De même le règne d’Alain Fergant, encore très largement méconnu, fera l’objet d’une rapide relecture destinée à mieux comprendre comment la vigoureuse politique du duc s’est elle aussi inscrite dans le cadre de cette profonde réforme religieuse et morale ; nous vérifierons à cette occasion que le père et le fils ont incontestablement joui en leur temps d’une réputation aujourd’hui bien oubliée, mais dont l’écho est largement perceptible dans l’Historia regum Britanniae de Geoffroy de Monmouth ou, un plus tard, dans le lai de Guigemar, composé par Marie de France ou encore dans la légende de Tristan. Enfin, nous rappellerons comment cette action réformatrice a perduré sous le règne de Conan III le Gros au travers du renouveau monastique qui prolonge la floraison érémitique5 : témoigne plus particulièrement de ce renouveau le maillage cistercien, auquel l’appui ducal – durablement incarné à l’époque par la veuve d’Alain Fergant, Ermengarde6 – ne fera jamais défaut, bien au-delà de la période considérée et jusque dans l’implantation géographique de plusieurs de ses abbayes, qui apparaissent comme autant de sentinelles veillant aux limites de la Cornouaille7.

Les ducs de la maison de Cornouaille et la Réforme grégorienne

  • 8 Guillotel H., « La pratique du cens épiscopal dans l’évêché de Nantes. Un aspect de la réforme eccl (...)
  • 9 Idem, « Bretagne et papauté au xie siècle », R. Grosse [éd.], L’Église de France et la papauté (xe-(...)
  • 10 Ibidem, p. 271.
  • 11 Ibid., p. 275.
  • 12 Voir par exemple les revendications insupportables de la femme de l’évêque Orscand, Onwen, à jouir (...)

3Avec la sagacité dont il était coutumier et qui n’excluait pas un certain goût du paradoxe, le regretté Hubert Guillotel a fait justice de l’image d’une Bretagne marginalisée et tardivement touchée par le mouvement de réforme de l’Église auquel le pape Grégoire VII (1073-1085) a attaché son nom8. Au demeurant, ce mouvement avait démarré bien plus tôt, y compris en Bretagne, sous le pontificat de Léon IX (1049-1054) : déjà à cette époque, souligne H. Guillotel dans une étude particulièrement stimulante9, « sur les neuf évêques [sic, lire : évêchés] que compte désormais la principauté, au moins quatre ont des titulaires en pleine communion avec l’Église universelle », à savoir les prélats qui siègent alors à Rennes, Nantes, Tréguier et Quimper10 ; mais c’est à partir de l’accession au pouvoir ducal de la dynastie comtale de Cornouaille que le mouvement de réforme va connaître un développement sans précédent avec l’arrivée aux responsabilités épiscopales à Alet et à Vannes, sous le pontificat d’Alexandre II (1061-1073), de prélats qui s’affirment également en communion avec Rome11. Sans doute le fait que les sièges de Nantes et Quimper étaient à l’époque occupés par des membres de ce lignage n’est-il pas étranger au phénomène : à Nantes, Quiriac (1060-1079) puis Benoît (1079-1111), frères du comte Hoël, ont poursuivi avec vigueur l’œuvre réformatrice entamée par leur prédécesseur, Airard ; à Quimper, Benoît, qui avait succédé sans problème à son père, l’évêque Orscand, le propre frère d’Alain Cainhart, offre quant à lui le profil d’un prélat soucieux de la discipline ecclésiastique et dont le long épiscopat (1064-1113) n’a pas connu les manquements ou les débordements dont celui de son père avait été entaché12.

  • 13 Recueil des historiens des Gaules et de la France, t. 14, p. 596 (Jaffé 5005) : voir la traduction (...)
  • 14 Non tam archiepiscopum quam archilupum ; mais il s’agit là d’une image littéraire assez tardive, ca (...)
  • 15 Duine F., La Métropole de Bretagne, p. 8.
  • 16 Guillotel H., « Bretagne et papauté au xie siècle », op. cit., p. 280. – La préfiguration de ce par (...)

4Reste la situation des évêques de Dol, de Saint-Brieuc et de Léon. Le premier, autoproclamé archevêque et métropolitain de Bretagne, était alors le fameux Juthael, prélat décrié, tout à la fois simoniaque, nicolaïte, concubinaire et concussionnaire, selon la description qu’en donne Grégoire VII en 1076 ou 107713, et dans lequel il faut reconnaître, disent ses contempteurs, « non pas tant un archevêque qu’un archiloup14 ». En réalité, Juthael fut sans aucun doute, comme l’a rappelé F. Duine, « en harmonie avec ses contemporains15 » ; mais, comparé aux évêques qui viennent d’être mentionnés, il incarnait de façon caricaturale le type de prélat dont les papes réformateurs de la seconde moitié du xie siècle cherchaient à expurger l’Église. En outre, Juthael représentait les intérêts de Guillaume le Bâtard contre ceux du comte d’Anjou, allié des Dolois lors du premier siège de cette ville16.

  • 17 Chartularium abbatiae Sancti Georgii Redonensis, p. 272, n° 45.
  • 18 Geslin de Bourgogne J. et Barthélemy A. DE, Anciens évêchés de Bretagne, t. 4, Saint-Brieuc-Paris, (...)
  • 19 Dans cette double perspective, il convient d’examiner avec attention l’épisode interpolé de la vita(...)

5L’évêque de Saint-Brieuc Hamon est mentionné dans un acte relatif à l’abbaye Saint-Georges de Rennes, donné par Geoffroy Grenonat au temps de l’abbesse Hodierne17 ; à peu près à la même époque, il autorise une donation à Saint-Jacut, de concert avec Geoffroy Boterel18. Le siège épiscopal de Saint-Brieuc, à l’instar de celui de Tréguier, était une création encore récente, sans doute de la seconde moitié du xe siècle, et la problématique de ses titulaires était avant tout d’échapper à l’emprise des Eudonides19.

  • 20 Cartulaire de Quimperlé, p. 137, 139, 148. – Sur les raisons de reconnaître dans ce personnage l’au (...)

6Enfin l’évêque de Léon, Omnes, avait appartenu originellement à la familia des comtes de Cornouaille20 : son long épiscopat, comparable en durée à ceux de Quiriac à Nantes et de Benoît à Quimper, n’a pas donné, semble-t-il, de prise à la critique.

  • 21 Cassard J.-C., « Houel, comte de Cornouaille », op. cit., p. 103.
  • 22 Voir néanmoins les prudentes réserves formulées par H. Guillotel, « Bretagne et papauté au xie sièc (...)
  • 23 La Borderie A. de, Recueil d’actes inédits des ducs et princes de Bretagne (xie, xiie, xiiie siècle (...)
  • 24 Idem, Histoire de Bretagne, t. 3, p. 26.
  • 25 Pocquet du Haut-Jussé B.-A. , Les papes et les ducs de Bretagne. Essai sur les rapports du Saint-Si (...)

7Hoël et Alain Fergant sont au cœur de notre approche, surtout le premier de ces deux princes : fils du fondateur de l’abbaye Sainte-Croix de Quimperlé, Hoël fait montre d’une sollicitude particulière à l’égard de ce monastère ; neveu, frère, oncle et cousin d’évêques, il entretient avec les prélats de sa famille une relation d’autant plus confiante et déférente que ces derniers, comme nous venons de le rappeler, sont dignes de cette confiance et méritent cette déférence. Hoël se montre en outre mari empressé et fidèle : veuf à quarante ans, après que sa femme lui eut donné au moins cinq enfants, il ne se remarie pas ; mais il ne prend pas non plus (apparemment) de concubine, comme le souligne J.-C. Cassard21. Sous la plume déliée mais au demeurant assez acérée de cet auteur, dont l’article fondateur a permis de faire sortir quelque peu Hoël de l’ombre, ce prince n’en est pas moins décrit comme un personnage falot qui subit les événements, notamment, à partir de 1075-1076 et jusqu’en 1077, la révolte de ses barons, dont les principaux épisodes militaires sont les sièges de Dol22 et d’Ancenis23. Cette présentation, malgré de nombreuses notations très pertinentes, demeure largement tributaire de l’historiographie du xixe siècle, en particulier des travaux d’A. de La Borderie, particulièrement en ce qui concerne le pèlerinage à Rome effectué par Hoël, afin de « prier pour l’âme de sa compagne sur le tombeau des apôtres » : ce voyage ducal aurait ainsi eu lieu en 1072 ou au plus tard en 1073, tandis que certains seigneurs cornouaillais profitaient de l’absence de leur duc pour se révolter contre lui24 ; cependant, B.-A. Pocquet du Haut-Jussé faisait remarquer dès 1928 que nous ne disposons d’« aucun détail sur la cause ou sur le résultat de ce déplacement », dont au surplus la date n’est pas connue avec précision25.

8Nous pensons pour notre part que le comte Hoël doit être considéré moins falot que discret : cette discrétion s’entretenait quotidiennement au feu d’une dévotion apparemment sincère ; mais elle n’impliquait pas que le personnage manquât de caractère, de convictions, d’énergie ou, moins encore, de volonté. Surtout cette discrétion a longtemps dissimulé que l’action de ce prince procédait d’une véritable vision politique.

9Caractère et convictions se manifestent aussitôt après la mort de la princesse Havoise : sans doute cette disparition a-t-elle suscité chez Hoël une réflexion « existentielle », qu’il aura souhaité soumettre au pape récemment élu ; mais au lieu de se retirer dans un monastère, tentation à laquelle finira par succomber son fils Alain Fergant, Hoël choisit de continuer à vivre dans le siècle pour aider à l’application en Bretagne des principes de la réforme voulue par le nouveau pontife.

  • 26 L’expression est empruntée à J.-C. Cassard, « Houel, comte de Cornouaille », p. 115.
  • 27 H. Guillotel, « Bretagne et papauté au xie siècle », p. 277.
  • 28 Ibidem, p. 281.
  • 29 Recueil des historiens…, t. 14, p. 599 (Jaffé 5021) : voir Duine F., La Métropole de Dol, p. 21.

10Ainsi donc, il convient de resituer « le film du règne26 » ducal du comte Hoël dans le contexte de l’action entreprise par Grégoire VII, lequel, « dès la seconde année de son pontificat… se préoccupe des affaires bretonnes27 ». Cette attention particulière est à mettre en relation avec le concile de 1075 et les circonstances dans lesquelles le pape avait désigné pour occuper le siège épiscopal de Dol à la place du jeune chanoine Gilduin, élu par le chapitre, l’abbé de Saint-Melaine, Even, qui reçut à cette occasion le pallium. Pour reprendre ici une formule proposée par H. Guillotel, qui file la métaphore cinématographique de J.-C. Cassard, « l’enchaînement des événements apparaît dès lors avec une extraordinaire netteté28 ». Son engagement dans l’application en Bretagne de la réforme grégorienne est révélateur de l’énergie dont savait faire preuve Hoël : plusieurs de ses barons ne s’y sont pas trompés, qui ont fomenté contre lui, après mars 1075, une révolte d’envergure ; mais la volonté sans faille du duc a rapidement abouti à la mise au pas des factieux. Le tout en effet aura duré moins de deux années puisque le 1er mars 1077, Grégoire VII témoigne sa satisfaction de constater que les principaux seigneurs de Bretagne ont pris « l’engagement de ne plus pratiquer l’investiture et de ne plus recevoir d’argent pour les élections épiscopales » (ulterius in ordinandis episcopis nec dominium investiturae tenere, nec pecuniae commodum quaerere velle29). L’action menée par Hoël avait donc globalement porté ses fruits : action militaire à n’en pas douter, comme nous l’avons rappelé en mentionnant les sièges de Dol et d’Ancenis ; mais doublée d’une action de nature plus politique, elle-même relayée comme il sera dit un plus bas par une véritable propagande en faveur du prince et de la lignée dont il était issu.

  • 30 Quaghebeur J., « Prier Notre Dame, protéger la Cornouaille », op. cit., p. 448.
  • 31 Ibidem, p. 440.
  • 32 Cartulaire de l’abbaye Sainte-Croix de Quimperlé, 2e édition [par L. Maitre et P. de Berthou], Renn (...)

11Résumons : afin d’asseoir son autorité sur l’ensemble du duché, les ducs issus de la maison comtale de Cornouaille, dont on connaît l’esprit religieux et plus particulièrement la durable dévotion mariale30, ont choisi délibérément de soutenir sans réserve la réforme de l’Église entreprise par la Papauté à partir du milieu du xie siècle : sincèrement animé de cette flamme réformatrice à l’exemple de son père Alain Cainhart31, Hoël, profitant de l’occasion qui lui fut procurée par la révolte de ses barons, s’est ainsi livré à partir de 1075 à une lutte sans merci contre ces derniers. Il semble d’ailleurs qu’il avait entrepris, dès les débuts de son règne, de réduire la noblesse bretonne à un état de dépendance à son égard, ainsi qu’en témoigne l’image gracieuse figurant dans un acte passé à Quimperlé le 27 février 1069 : Hoël souligne comment la somme reçue de l’abbé de Sainte-Croix en contrepartie de ses donations au monastère, servira (dit-il) « au profit de mes chevaliers qui, comme les abeilles vers la ruche, volent jusqu’à moi des confins de toute la Bretagne » (ad compendium militum meorum qui, ut apes ad alvearia, ad me de confinibus totius Britannie circumvolant32). Hoël déniait à ses barons le droit de posséder églises et rentes d’origine ecclésiastique ; mais derrière les aspects religieux, il ne faut pas sous-estimer combien cette action réformatrice du duc lui permettait, après avoir tari une source importante des revenus de ses vassaux, de se présenter à leur égard comme le dispensateur de bienfaits et de se faire conséquemment accepter comme le médiateur de leurs conflits.

  • 33 Cartulaire de Quimperlé, p. 105 : MLXXXIV. Hoel comes moritur. Gaufridus comes Redonensis nothus, i (...)
  • 34 Cf. supra n. 2.
  • 35 La Borderie A. de, Recueil d’actes inédits, p. 46-47. – Le seigneur de Tinténiac, Guillaume l’Ismaé (...)
  • 36 Cartulaire de Quimperlé, p. 265, n° 109.
  • 37 Chroniques annaux, dans Dom Morice, Mémoires pour servir de preuves, t. 1, col. 103 : MXCIII. Obiit (...)

12Cette action vigoureuse sera poursuivie au nom des mêmes idéaux et du même réalisme politique par Alain Fergant : en 1084, l’année même de la disparition de son père, le nouveau duc coupe définitivement le soutien rennais de Raoul II de Gaël en défaisant Geoffroy Grenonat, qui meurt peu après en captivité à Quimper33 ; désormais, Raoul se comportera en vassal soumis du nouveau duc, comme nous l’avons dit34. En 1085, le duc intervient, avec succès semble-t-il, dans l’affrontement entre les seigneurs de Dinan et de Tinténiac35. En revanche, le fils d’Eudon, Geoffroy Boterel, entra en conflit à son tour avec Alain Fergant : nous ne connaissons pas exactement les circonstances, ni la chronologie de cette révolte ; mais nous savons qu’elle obligea le duc à recourir à des aliénations de son domaine pour se procurer les liquidités nécessaires36. En tout état de cause, il faudra attendre 1093 pour voir la disparition de Geoffroy Boterel, tué lors d’un affrontement à Dol37.

  • 38 A. de Courson, dans ses prolégomènes à l’édition des chartes du Cartulaire de Redon, a fait (p. LI- (...)
  • 39 Cartulaire de Redon, p. 323-324 (acte falsifié selon H. Guillotel) et 389-390.
  • 40 Le Baud P., Histoire de Bretagne, p. 176.
  • 41 Cartulaire de Redon, p. 299.

13Réticents à entrer dans le carcan de la dépendance ducale initialement voulue par Hoël, ultérieurement renforcée par Alain Fergant et à laquelle Conan le Gros devait donner ses ultimes développements, plusieurs barons prétendirent, sous le règne de ce dernier, retrouver leurs prérogatives et, par le biais d’exactions, augmenter leurs sources de revenus. Or, l’exaction, outre la violence dont elle était porteuse à l’encontre des biens et des personnes, comportait, dans son principe même, une large dimension d’arbitraire féodal que le duc ne pouvait supporter, sous peine de voir son autorité discutée, sinon même bafouée : à plusieurs reprises, Conan choisit donc de porter le fer dans la plaie en prenant l’initiative d’une intervention contre ses barons. C’est le cas notamment de l’action menée contre le sire de Pontchâteau, lequel, nous dit-on, s’était emparé, après l’avoir pillée, de l’abbaye de Redon, dont il avait ensuite fortifié l’église pour en faire le point d’appui de ses maraudes, avant d’être finalement fait prisonnier et incarcéré à Nantes38. Or Redon, tant par sa position géographique que par son enracinement historique, constituait un véritable symbole auquel les ducs de Bretagne ont toujours été particulièrement attachés ; le cartulaire du lieu conserve un acte qui indique qu’Alain Fergant, dédaignant les monastères « familiaux » de Landévennec et surtout de Quimperlé, se serait ainsi retiré à Redon pendant les dernières années de sa vie39, tandis que Le Baud rapporte que le duc « fut ensepulturé audit monstier à grand et solemnelle pompe40 ». Il s’agissait donc d’un sanctuaire à proprement parler « dynastique », qu’il convenait de purifier et de restaurer : à la demande pressante de Conan, la réconciliation de l’église abbatiale de Redon intervint le dimanche 23 octobre 1127, en présence du légat Girard d’Angoulême et de l’archevêque de Tours, entouré de ses suffragants de Rennes, Quimper, Alet et Léon41 ; on voit par cette énumération que l’un des objectifs de l’auteur de l’acte en question était sans doute d’affirmer les droits de la métropole tourangelle sur celle de Dol, dont la chiche province ecclésiastique, hors son propre diocèse, était désormais réduite à ceux de Saint-Brieuc et Tréguier.

Production hagiographique et propagande ducale (xie-xiie siècles)

  • 42 La Borderie A. de, Histoire de Bretagne, t. 3, p. 29.
  • 43 Idem, Recueil d’actes inédits, p. 36.
  • 44 Ces « jongleurs » constituent une sub-catégorie dans la classification opérée au début du xiiie siè (...)
  • 45 Le Cartulaire de Quimperlé, p. 189, mentionne également un certain « Cadiou le cithariste » (Kadiou (...)
  • 46 Cassard J.-C., « Houel, comte de Cornouaille », p. 105 : « la culture livresque n’est pas toute la (...)

14Sous forme de boutade, A. de La Borderie, soulignant comment Hoël s’était préoccupé de l’entretien des livres liturgiques de la cathédrale de Quimper, écrit que le duc, « en notre temps, eût été évidemment le protecteur, le président d’honneur de la Société des Bibliophiles Bretons42 » ; mais il nous semble que l’érudit, qui associe cette marque d’intérêt princière pour les livres avec la présence en 1079 à Nantes dans l’entourage ducal d’un personnage nommé « Pontel, jongleur attitré du comte » (Pontellus joculator comitis43), n’a pas tiré toutes les conclusions de son rapprochement : compte tenu du terme choisi et de la rigueur morale observée chez Hoël, il est vraisemblable que Pontel appartenait à la catégorie particulière des « jongleurs, qui chantent les gestes des princes et les vies des saints » (joculatores qui cantant gesta principum et vitas sanctorum44), en s’accompagnant d’instruments de musique45, et non à celle des simples amuseurs, dans laquelle préfère le cantonner J.-C. Cassard46.

  • 47 Cartulaire de Quimper, p. 41, n° 13.

15Au-delà de l’attention dont il fait preuve à l’égard des livres liturgiques de la cathédrale de Quimper, Hoël, prolongeant la dévotion de ses parents pour saint Corentin, a tout au long de son existence montré pour ce dernier une grande vénération, dont témoignent pas moins de quatre donations, dont la dernière fut effectuée in articulo mortis ; mais nous retiendrons surtout celle qui concerne le village de Pentrez en Saint-Nic, car elle est consécutive à un premier épisode cornouaillais de la révolte baronale déjà évoquée : de retour de Rome, Hoël, ayant en effet à affronter ses ennemis, à savoir des « chefs » locaux (Cornubie tyrannos), avait promis d’augmenter les biens de l’Église de saint Corentin s’il sortait vainqueur de cette confrontation47. Nous ignorons qui étaient les tyranni en question et l’emploi même de ce terme ambigu – car si tyrannus traduit habituellement le breton tiern, le mot latin a également le sens actuel de « tyran » – permet à l’hagiographe de laisser libre cours à l’interprétation de ses contemporains ; mais l’objet de la donation, Pentrez en Saint-Nic, excentré par rapport aux autres biens du domaine comtal, nous apparaît volontiers comme une « dépouille opime », confisquée peut-être sur le principal fauteur de trouble, dans lequel il conviendrait alors reconnaître le seigneur de Crozon, dont le lignage était pourtant allié à la maison comtale. Au demeurant, Hoël, conscient de ce que cette sorte de « partage de butin » pouvait avoir de choquant, tint à ajouter la dîme d’un village de Coray, dont il détenait la perception.

  • 48 Miracula S. Maglorii [BHL 5142]. Nominoë est également employé, ainsi que son fils Erispoë, dans un (...)
  • 49 Translatio S. Machutis [BHL 5124] ; Miracula S. Martini Vertevensis [BHL 5668]. Alain le Grand est (...)
  • 50 Judicaël et Salomon, réputés saints eux-mêmes, ont chacun fait l’objet es-qualité d’un traitement h (...)
  • 51 La Borderie A. de, « Saint Maudez. Texte latin des deux Vies les plus anciennes de ce saint et de s (...)

16Avec Nominoë48 et Alain le Grand49, Hoël est, à notre connaissance, l’un des rares souverains historiques de la Bretagne dont le nom est employé dans un texte hagiographique contemporain de son règne, mais cependant destiné à célébrer les vertus d’un saint des origines bretonnes50. Il s’agit en l’occurrence de la vita S. Maudeti [BHL 5722], dont l’auteur raconte comment « naguère au temps du comte Hoël » (nuper in tempore Hoeli comitis), ce dernier fut confronté à une forte rébellion de certains de ses barons. Ayant réussi avec son armée à repousser celle des rebelles, Hoël avait acculé ceux-ci dans une gorge sans issue où ils ne tardèrent pas à souffrir de la faim et surtout de la soif : ils envoyèrent alors furtivement un de leurs écuyers chercher de l’eau à la fontaine de saint Maudez ; mais, sur le chemin du retour, comme l’homme portait sur ses épaules le récipient qu’il avait rempli à cette fontaine, il sentit soudain l’eau fraiche devenir au contact de sa peau aussi brûlante que des charbons ardents et, reconnaissant qu’il avait mal agi, il rapporta à la fontaine l’eau qu’il avait puisée. Le miracle ayant été ensuite raconté par cet écuyer, tous ceux qui le virent et l’entendirent célébrèrent Dieu tout puissant et saint Maudez51.

  • 52 Nous avons suggéré le lieu-dit Trévenou, en Langoat, dans notre article sur « Yves de Kermartin hag (...)
  • 53 Cassard J.-C., « Houel, comte de Cornouaille », p. 107.

17Il s’agit là d’un nouvel épisode de la révolte baronale contre Hoël. Le lieu de son déroulement n’est pas connu avec certitude : A. de La Borderie, reprenant une conjecture de dom Lobineau, tient pour vraisemblable qu’il s’agit du Porhoët, tandis que J.-C. Cassard semble plutôt incliner pour sa part à une localisation cornouaillaise ; mais, si les fontaines dédiées à saint Maudez sont sans doute nombreuses en Bretagne, le caractère miraculeux de l’échauffement de son eau paraît avoir été attaché spécifiquement à une fontaine trégoroise, que l’hagiographe désigne, à l’occasion d’un miracle similaire, comme étant celle où avait puisée l’écuyer et qu’il situe à proximité du village de Trevechnou. Quoi qu’il en soit de l’identification précise de celui-ci52, l’action militaire qui a réduit les vassaux révoltés est donc certainement intervenue en Trégor, dans le territoire contrôlé à l’époque par le comte Eudon. Le texte, qui a été rédigé au début du règne d’Alain Fergant, s’adresse par conséquent à Geoffroy Boterel et à ses frères, ainsi qu’à leurs alliés, à qui il rappelle que la nouvelle dynastie ducale jouit de la protection divine et que ce fait est désormais connu des populations locales ; mais l’hagiographe trahit son attachement de partisan et sa manière de courtisan en donnant deux précisions qui auraient plus leur place dans les gesta d’un prince que dans la vita d’un saint, quand il évoque « le susdit consul, né d’une lignée plus que suffisamment illustre de nobles comtes, au pouvoir suzerain de qui obéissait alors cette terre » (Consul itaque praedictus nobilium comitum generosa prole satis abunde progenitus cujus dominio ista tellus tunc temporis parebat obsequio). Quant au titre de consul employé de préférence à celui de comte, il s’agit à l’époque d’une presque « marque de fabrique » cornouaillaise53, comme en témoignent notamment les actes du cartulaire de Quimperlé.

  • 54 Bourgès A.-Y., Le dossier hagiographique de saint Mélar, p. 58 et 65 : Tunc ejus nutrix celeriter c (...)

18Cette reconquête du Trégor, au moins dans les mentalités, est également connue par le témoignage de la première vita de saint Mélar [BHL 5906 c/5904] : cet ouvrage décrit l’accueil chaleureux fait au jeune prince venu depuis la Cornouaille se réfugier en Domnonée auprès de son oncle (par alliance) Commor, dans le « château » de ce dernier, à Boxidus (Beuzit, en Lanmeur) ; il indique également que l’enfant reçut de son protecteur et parent des assurances qui allaient bien au-delà de la simple hospitalité puisqu’il était tout simplement question que Commor prît désormais en charge l’éducation de Mélar. Plus encore, l’oncle promit alors à son neveu de lui donner le château de Beuzit, dont le statut de chef-lieu du « pays » soumis au pouvoir de Commor est, sous la plume de l’hagiographe, très explicite54. La promesse d’une telle donation ne peut se comprendre que dans le contexte de l’accession du comte Hoël au trône de Bretagne en 1066 ; et ce passage de la vita constitue en fait l’affirmation et la justification des droits de la dynastie comtale de Cornouaille sur cette partie du Trégor, passée par la suite sous le contrôle des vicomtes de Léon.

  • 55 Cartulaire de l’Église de Quimper, p. 38, n° 13 (extrait de la « pancarte de Quimper », rapporte de (...)
  • 56 Cartulaire de Quimperlé, p. 191-192, n° 54. – Guillotel H., « Les vicomtes de Léon aux xie et xiie  (...)
  • 57 Lais de Marie de France traduits, présentés et annotés par Laurence Harf-Lancner, 2e éd., Paris, 19 (...)
  • 58 En dehors des témoignages diplomatiques ou annalistiques, un autre témoignage, particulièrement int (...)
  • 59 Ce texte est désormais accessible en ligne à l’adresse : http://cirdomoc.free.fr/VitaMajor.htm

19Ces derniers avaient longtemps entretenu avec la dynastie de Cornouaille des rapports tumultueux, avant une normalisation acquise dès avant 105555. Il paraît en tout cas que ces rapports s’étaient encore améliorés par la suite, comme le montre la charte de 1069 dans laquelle le seigneur de Léon de l’époque, Roland (Rollant de Leün), est mentionné parmi les « chevaliers » (milites) du « comte de Bretagne56 ». Dans le lai de Guigemar, le « sire de Léon » (Liün) est désigné comme un des barons du « roi » Hoël (Hoels) et son fils Guigemar (c’est-à-dire Guyomarc’h) aurait été élevé à la cour avant d’être adoubé par ce prince ; puis « en quête de renommée il gagna la Flandre, où il y avait toujours batailles et guerres » (en Flandres vait pur sun pris querre / la out tuz jurs estrif e guerre57). Quand Hoël s’opposa militairement à ceux de ses barons qui mettaient en cause la légitimité de son autorité, en particulier dans le nord-ouest de la péninsule, il dut s’appuyer sur des fidèles, en l’occurrence les vicomtes de Léon58 ; ceux-ci auront ainsi étendu et renforcé leurs possessions territoriales dans toute la région concernée, en particulier en Trégor et donc au détriment des Eudonides ou des vassaux de ces derniers. Le souvenir confus de ces événements a été conservé par Pierre Le Baud59 qui le rapporte à l’époque du conflit supposé entre Eudon et son frère le duc Alain.

  • 60 Cronicques des Roys, Ducs et Princes de Bretaigne armoricaine, Paris, 1638, p. 150.
  • 61 « Cartulaire de Landévennec », édité par R.F. Le Men et E. Ernault, Mélanges historiques, t. 5, Par (...)

20Appelé à son tour au renfort de la légitimité de la nouvelle dynastie ducale, Gradlon fait alors une percée hagiographique significative et durable hors de la tradition cornouaillaise, dont il était un des plus beaux ornements. Pour les habitants de la Cornouaille aux xie-xiie siècles, l’histoire des origines de leur patrie était en effet associée aux noms glorieux de Gradlon et de trois grands chefs religieux : Corentin, fondateur et premier titulaire du siège épiscopal, Guénolé, fondateur et premier abbé de Landévennec, et enfin Tudi. Comme en témoigne la vita de saint Guénolé, composée par Uurdisten vers les années 87060, il est patent que cette identité cornouaillaise, dans sa double dimension religieuse et politique, avait été construite à l’abbaye de Landévennec, en empruntant à des traditions hagiohistoriographiques plus anciennes, comme celle qui concerne le prototype de saint Tudi, Tugdual, présenté par Uurdisten comme un simple moine et dont l’hagiographe dit explicitement qu’il avait précédé Gradlon, Corentin et Guénolé et ne pouvait être compté pour moins qu’eux. Au-delà d’un texte littéraire traitant sur le mode mythique des origines cornouaillaises, cette « quaternité » correspondait effectivement à l’organisation politique et religieuse de la région mise en place après l’épisode des incursions scandinaves, comme le montre en 955 un acte donné en faveur de Landévennec : cette pièce, dont l’authenticité est assurée bien que sa collation dans le cartulaire de l’abbaye soit fautive, mentionne successivement au premier rang « de nombreux témoins cornouaillais nobilissimes » (coram multis testibus Cornubiensibus nobilissimis), le comte de Cornouaille, l’évêque de Saint-Corentin, c’est-à-dire de Quimper, l’abbé de Saint-Guénolé, c’est-à-dire de Landévennec, et enfin l’abbé de Saint-Tugdual61 ; mais le comte est à cette époque un certain Uurmaelon, dont le lien n’est pas assuré avec la lignée comtale du siècle suivant.

  • 62 Liber miraculorum sancti Maximini abbatis Miciacensis, Patrologia latina, t. 137, col. 808.
  • 63 « Cartulaire de Landévennec », p. 576-577, n° 54.
  • 64 Ibidem, p. 558-559, n° 20.

21Plusieurs potentats locaux ont porté le nom de Gradlon : certains appartiennent à la légende, les autres sont des personnages historiques. Il est souvent assez difficile de faire le départ entre les deux catégories : Gradlon, qui vivait dans la seconde moitié du ixe siècle, qualifié potentissimus Britonum par Létald de Micy et qui aurait terminé sa vie sous l’habit monastique, à Noirmoutier62, a-t-il beaucoup plus d’épaisseur historique que le personnage, apparemment contemporain, qui figure sous le nom de « Gradlon de Plounéour » (Gradlon Plueneuor) à la treizième place dans la liste des comtes de Cornouaille du cartulaire de l’abbaye de Landévennec, compilée comme le reste de l’ouvrage vers le milieu du xie siècle63 ? Plusieurs notices rapportent les donations faites au monastère par un certain roi Gradlon, dont le compilateur du cartulaire, peu soucieux de respecter une chronologie qui laissait déjà fort à désirer, s’est ingénié à faire un contemporain de Charlemagne64. Le titre royal lui avait été attribué par Uurdisten ; mais Gradlon est également désigné rector, moderator, ou encore dux, titres sans doute mieux proportionnés au rôle joué par le personnage. Quant à ses relations supposées avec Charlemagne, il s’agit peut-être d’un marqueur chronologique qui pourrait renvoyer à un troisième Gradlon (Gradlon Flam), lequel figure à la neuvième place dans la liste des comtes de Cornouaille.

  • 65 Bourgès A.-Y., « A propos de la vita de saint Corentin », Bulletin de la Société archéologique du F (...)

22En dehors du dossier littéraire de saint Guénolé, Gradlon apparaît dans cinq textes hagiographiques consacrés, dans l’ordre alphabétique, à saint Corentin [BHL 1954], à saint Gurthiern [BHL 3722], à saint Jacut [BHL 4113], à saint Ronan [BHL 7336] et à saint Turiau [BHL 8342 d]. Le plus tardif d’entre eux est assurément la vita de saint Corentin qui, sous sa forme actuelle, a probablement été composée sous l’épiscopat de Rainaud (1219- 1245) et vraisemblablement par le prélat lui-même65 ; il convient donc, malgré son incontestable intérêt, de l’éliminer de notre champ d’investigation. Les autres textes sont à l’évidence plus anciens et l’époque de leur rédaction paraît s’inscrire dans le cadre de la période que nous avons retenue ; en tout état de cause, ils reflètent la montée en puissance de la maison de Cornouaille et la reprise en main territoriale de la Bretagne par les ducs sortis de cette lignée.

  • 66 Tanguy B., « D’Anaurot à Kemper Ellé. – La Vita sancti Gurthierni », L’abbaye Sainte-Croix de Quimp (...)
  • 67 Cartulaire de Quimperlé, p. 45 : De inventione reliquiarium sancti Gurthierni aliorumque sanctorum (...)
  • 68 Ibidem, p. 153 : Vitale abbate, Liosoco priore, Rannou, Oedri, Daniele, David, Guegono, monachis.
  • 69 Guillotel H., « Sainte-Croix de Quimperlé et Locronan », Saint Ronan et la Troménie. Actes du collo (...)
  • 70 Cartulaire de Quimperlé, p. 45 : Inde volavit fama ipsius usque ad Gradlonum magnum, Cornugallie co (...)

23La notice sur les reliques de saint Gurthiern, combinée dans le cartulaire de Saint-Croix de Quimperlé avec une genealogia [BHL 3720] et une vita [BHL 3721] dont les emprunts à des traditions insulaires sont multiples66, apparaît comme le prototype de toute cette littérature néo-gradlonienne : la découverte des reliques de Gurthiern, ainsi que celles de plusieurs autres saints, était intervenue sur l’île de Groix, sous l’abbatiat de Benoît, à l’initiative d’un moine nommé Oedri67, lequel figure en qualité de témoin dans un acte passé aux années 1057-105968 ; le terminus a quo de la rédaction de cette notice est évidemment l’époque de la compilation du cartulaire par Gurheden, soit les années 1124/1125-112769. Après avoir évoqué l’arrivée de saint Gurthiern sur l’île de Groix, dont lui firent donation à titre d’honor les « nobilissimes » du Kemenet-Heboë (nobilissimi Chemeneth Eboeu), l’hagiographe écrit que « sa renommée vola jusqu’à Gradlon le Grand, consul de Cornouaille, qui lui dépêcha son vicomte pour qu’il vienne devant lui ; et ce consul lui donna Anaurot, là où se rejoignent l’Ellé et l’Isole, ainsi que le territoire situé dans un périmètre de mille pas autour de cette villa, de même que la paroisse de Baye70 ».

  • 71 Cartulaire de l’abbaye de Landévennec, publié par A. de La Borderie, [1re livraison : Texte du cart (...)
  • 72 Cartulaire de Quimperlé, p. 130, charte 1 : Alanus igitur consul Cornubiae gravissimo langore oppre (...)
  • 73 Morice Y., L’abbaye de Landévennec des origines au xie siècle à travers sa production hagiographiqu (...)

24Gradlon reçoit ici l’épithète « grand », qui est l’équivalent de l’adjectif meur accolé au nom du personnage qui figure à la quatrième place dans la liste des comtes de Cornouaille (Gradlon Mur). La dépendance de ce passage de la vita de saint Gurthiern à l’égard de celle de saint Guénolé est d’ailleurs indiscutable, puisque le début du passage que nous avons cité est directement emprunté au texte de Uurdisten71, tandis que l’intervention des « nobilissimes » du Kemenet-Heboe rappelle la présence de « témoins cornouaillais nobilissimes » dans la donation de 955 à Landévennec ; mais à bien des égards, c’est le titre de consul, dont il a déjà été question, qui mérite d’être à nouveau souligné, car c’est celui donné à Alain Cainhart, le fondateur de Sainte-Croix de Quimperlé, dans le premier acte du cartulaire de cette abbaye72 : comme le fait remarquer avec finesse Y. Morice73, « on perçoit ici une volonté semblable à celle du compilateur du Cartulaire de Landévennec d’établir une relation entre le Grallon légendaire et les comtes de Cornouaille des xie et xiie siècles. Ce faisant, n’est-ce pas aussi Landévennec, qui auparavant avait le monopole de la tutelle de ces prestigieux ancêtres, que l’on cherche à concurrencer en parasitant ce circuit ? »

  • 74 Catalogus codicum hagiographicorum latinorum antiquorium saeculo XVI qui asservantur in Biblotheca (...)
  • 75 Merdrignac B., « Saint Ronan et sa vie latine », Saint Ronan et la Troménie, p. 138-140.

25Le dossier hagiographique consacré à saint Ronan témoigne également de ce « parasitage » qui, là encore, s’exerce principalement au détriment de la vieille abbaye cornouaillaise et cette fois à l’avantage de la cathédrale de Quimper. La grande problématique des églises bretonnes au xie siècle, comme le montre a contrario l’invention très opportune attribuée au moine Oedri, c’est en effet le déficit de reliques créé par de graves désordres internes et aggravé par les incursions scandinaves, dont témoigne le récit par l’hagiographe ronanien de la perte des reliques de saint Guénolé et de saint Corentin ; mais ce texte n’est pas du tout clair en ce qui concerne la destinée de celles de saint Ronan74, dont l’écrivain veut avant tout prouver qu’elles étaient conservées exclusivement dans la cathédrale de Quimper à l’époque où il a composé la vita du saint75. L’obscurité qui entoure la véritable intrusion de Ronan au sein de la « quaternité » cornouaillaise ne servirait-elle pas en fait à cacher les circonstances douteuses dans lesquelles ces reliques étaient arrivées à Quimper ?

  • 76 Il s’agit de celles de Saint-Martial de Limoges, conservées dans un manuscrit du xie siècle : cf. T(...)
  • 77 Catalogus codicum hagiographicorum latinorum…, p. 452-454.
  • 78 Ibidem, p. 454-456. – Malgré cette perte, l’oratoire de Ronan est longtemps resté un important lieu (...)
  • 79 Ce nom, hagionyme et/ou substitut du théonyme Cerumnos, est notamment attesté au Mont Saint-Michel (...)
  • 80 Cartulaire de Quimperlé, p. 138-139, n° 4. – Sur le caractère de faux manifeste de cette pièce, voi (...)
  • 81 de la Lande de Calan C., « Mélanges historiques », Revue de Bretagne et de Vendée (1913), n° 2, p.  (...)
  • 82 Largillière R., « Saint Corentin et ses vies latines à propos d’une publication récente », Bulletin (...)
  • 83 Quaghebeur J., La Cornouaille du ixe au xiie siècle. Mémoire, pouvoirs, noblesse, p. 181 et p. 196.
  • 84 Ibid., p. 200. – La vita de saint Ronan avait été attribuée par le regretté H. Guillotel à l’évêque (...)
  • 85 Cartulaire de Quimperlé, p. 218, n° 72 : Rotberth heremita et Christianus socius ejus. — Cet acte p (...)
  • 86 Cartulaire de Quimper, p. 33 [catalogue épiscopal] : Robertus episcopus, qui fuit heremita apud Loc (...)
  • 87 Bourgès A.-Y., « Robert d’Arbrissel, Raoul de la Fûtaie et Robert de *Locunan », p. 18-19.

26En effet le saint était principalement honoré à Hillion, à proximité de Langueux, Trégueux et Saint-Brieuc et son nom est d’ailleurs attesté avec celui de Caoc (éponyme de Langueux et Trégueux), entre Brioc et Tutgual dans la série « domnonéenne » d’anciennes litanies bretonnes76 : Ronan disposait sur place d’un sanctuaire présenté comme son oratoire, amplement doté de reliques pour lesquelles il existait certainement déjà un « mode d’emploi », dont témoigne le récit du miracle du bras coupé77. Pour permettre l’appropriation cornouaillaise du culte de saint Ronan, l’hagiographe a donc soigneusement présenté comme un « retour » le transfert des reliques depuis Hillion jusqu’à Quimper, avec une étape à Locronan, superfétatoire mais avant tout destinée à réinvestir le lieu de sa dimension sacrée, tout en la subvertissant ; cependant, comme en témoigne la vita sur un mode très « hagiographiquement correct », ce transfert, même sanctionné par une procédure judiciaire de nature ordalique qui validait les prétentions du comte de Cornouaille à disposer de ces reliques, ne s’est pas fait sans susciter les vives protestations de ceux à qui on enlevait leur saint patron78. Un vol de reliques, finalement assez banal à cette époque, s’est, dans le cas de Ronan, accompagné, ce qui est plus rare, d’une captation véritablement frauduleuse du culte du saint, peut-être sur la base d’une homophonie avec un toponyme local formé avec le nom Cronan79. L’ensemble de cette opération, qui culmine avec la forgerie impudente, pseudo-datée 1031, que constitue le supposé acte de donation par Alain Cainhart de l’église de saint Ronan à l’abbaye de Quimperlé80, avait sans doute été facilité par la mise au pas des Eudonides, car le sanctuaire de Ronan à Hillion se trouvait au cœur même de leur principauté, à une quinzaine de kilomètres de Lamballe : autant dire que derrière le récit de la translation des reliques du saint se devine l’action du pouvoir incarné à l’époque par les ducs de la maison de Cornouaille. Au demeurant, cet ouvrage accorde une large place à Gradlon, qualifié Britonum rex, présenté comme un monarque très sincèrement chrétien et paré en conséquence de toutes les vertus et qualités, à l’instar du personnage décrit dans le dossier littéraire de saint Guénolé et dans le Cartulaire de Landévennec : on voit ainsi Gradlon se rendre spontanément aux ordres de saint Ronan, en se déplaçant auprès de lui ; mais l’autorité du prince doit s’exercer à l’égard de tous et, compte tenu des graves accusations proférées par Kéban à l’encontre de Ronan, Gradlon n’hésite pas à son tour à convoquer le saint devant sa cour et, là encore, cherche à se forger une opinion par le recours à une procédure judiciaire de nature ordalique. Surtout, l’ouvrage se termine par la description de l’intervention miraculeuse des reliques de Ronan lors d’un incendie qui menaçait d’embraser tout Quimper et dont la vertu du saint permit le contrôle et bientôt l’extinction : l’épisode, contemporain de l’hagiographe, permet ainsi à ce dernier de présenter Ronan comme le saint tutélaire de la cité épiscopale et confirme l’appartenance de l’écrivain au clergé de la cathédrale, car il parle en connaisseur de la « basilique du saint pontife Corentin » ; peut-être même s’agissait-il du membre le plus élevé de ce clergé, c’est-à-dire l’évêque. La vita de saint Ronan ne doit pas être antérieure au premier quart du xiie siècle, sinon Gurheden n’eut certainement pas manqué de l’intégrer, à l’instar des vitae de sainte Ninnoc et de saint Gurthiern, dans le cartulaire de Quimperlé, comme une pièce justificative des possessions de l’abbaye ; or, si la vita de saint Ronan a effectivement été connue à Sainte-Croix de Quimperlé, c’est postérieurement à l’époque à laquelle a travaillé le compilateur du cartulaire : à la suite de R. Latouche, C. de la Lande de Calan a souligné « que l’auteur de la vita Ronani a pu calquer l’histoire de la dispute entre les comtes de Rennes, de Vannes et de Cornouaille » sur la vita de sainte Ninnoc81. De son côté, R. Largillière avait montré que la vita de saint Ronan, tout comme l’ouvrage primitif sur saint Corentin, est sans doute sortie de la plume du compilateur de la « pancarte de Quimper82 », lequel travaillait vers la fin du xie siècle, ou au début du siècle suivant83, voire même dans les années qui suivirent la mort en 1113 de l’évêque Benoît84. Dès lors, il est possible d’attribuer la rédaction de la vita de saint Ronan à Robert [de Loconan], que nous supposons avoir appartenu au chapitre cathédral avant de se faire ermite85 puis enfin de présider, de 1113 à 1130, aux destinées du diocèse de Quimper86 : cet ouvrage donnerait ainsi à voir, de façon sublimée, emblématisée, transcendée, les avanies subies par le prélat au temps de sa carrière érémitique87 ; à tout le moins cette vita, fortement imprégnée d’une telle expérience, pourrait-elle avoir été composée sous sa dictée par le clerc qui a compilé la « pancarte de Quimper ».

27Mais, comme nous l’avons dit, c’est hors de Cornouaille que la présence de Gradlon dans les ouvrages hagiographiques s’avère le marqueur le plus significatif d’une démarche de légitimation des droits des ducs de la maison de Cornouaille ; car si une telle présence n’est évidemment pas incongrue dans les ouvrages consacrés à saint Gurthiern et à saint Ronan, elle est beaucoup plus étonnante dans ceux qui traitent de saint Jacut et surtout de saint Turiau.

  • 88 Vita sancti Uuinuualoei, Lib. I, cap. 4 : Iste [Fracanus] igitur cum agnellis, id est geminis natis (...)
  • 89 Tanguy B., « De Budoc à Budogan ou de l’île Lavret à l’île des Ebihens et des origines de l’abbaye (...)
  • 90 Duine F., La métropole de Bretagne, Paris, 1916, p. 39.
  • 91 Merdrignac B., « Les deux portes du Paradis », La Bretagne et l’Europe préhistoriques. Mémoires en (...)
  • 92 « Les relations entre les abbayes de Landévennec et de Landoac durant le haut Moyen Âge : le palimp (...)
  • 93 À cet égard la mention explicite dans la vita de saint Jacut du monastère normand de Deux-Jumeaux n (...)
  • 94 Un des saints honorés au Moyen Âge à l’abbaye de Landévennec, comme en témoignent les vestiges du m (...)

28La vita de saint Jacut vient apparemment se greffer sur la composition caroligienne consacrée à saint Guénolé, qui précise que les parents du futur fondateur du monastère de Landévennec, Fracanus et Alba, lesquels n’avaient alors que trois enfants (deux jumeaux et une fille : Jacobus, Uueithnocus et Chreirbia) passèrent de l’île de Bretagne en Armorique, où devait naître Guénolé. Uurdisten indique au surplus que la mère, Alba, était surnommée « aux trois mamelles », parce qu’elle avait été dotée de trois mamelles, conformément au nombre de ses enfants ; mais, pressentant qu’il lui faut donner une explication pour que ce sein supplémentaire puisse apparaître véritablement comme un signe de la naissance à venir de Guénolé, l’hagiographe prend soin de préciser que la sœur de Jacob et Guézennec ne doit pas être comptée dans le calcul des mamelles, car il n’est pas coutume dans l’Écriture de retracer la généalogie des femmes88. De son côté, l’hagiographe de saint Jacut, qui donne également à son héros le seul nom de Jacob, ne lui connaît que deux frères et contourne ainsi le problème des trois seins qu’il attribue lui aussi à leur mère ; en outre, il connaît le nom breton de cette dernière, Guen, et sa traduction en latin, Candida. Après avoir salué ardemment mais brièvement la sainteté de saint Guénolé, cet auteur consacre tout le reste de son ouvrage à chanter les prodiges de la gémellité sanctifiée de Jacob et de Guézennec ; c’est dans ce contexte que le duc Gradlon qui « en ce temps là tenait le gouvernail de la Bretagne » (eo tempore tenebat Gradolonus dux regimen Britanniae), se rend en personne auprès des deux saints, dont il entend un sermon qui lui amollit le cœur : inclinant alors sa tête vers le sol en signe d’humilité, il leur promet de faire preuve dorénavant d’une existence plus droite et de renoncer à la cruauté sauvage dont il était jusque-là coutumier. Ce passage est incontestablement à rapprocher des chapitres 15-17 de l’ouvrage de Uurdisten ; mais sa résonance est toute autre si, comme le pense la critique actuelle, la vita de saint Jacut a été composée vers la fin du xie ou le début du xiie siècle et, pour une partie du moins, en utilisant « un texte antérieur aux invasions normandes89 ». Un ouvrage contemporain de la vita, auquel son éditeur a donné le titre de Chronique de Dol pour avoir été rédigé par un clerc dolois au soutien des prétentions archiépiscopales du lieu, inscrit dans la succession royale de Bretagne après Riwal, un Gradalenus vir armis inclitus, lui-même suivi par Daniel, puis Judicaël90 ; or le monastère de Landoac, plus tard Saint-Jacut-de-l’Ile, dont l’actuelle commune de Saint-Jacut-de-la-mer a recueilli l’héritage et où a été écrite la vita de saint Jacut, dépendait de Dol, dont il constituait une enclave dans l’évêché d’Alet. Prolongeant le précédent examen de la vita de saint Jacut par B. Merdrignac91, nous nous attacherons dans un prochain travail92 à vérifier comment d’anciennes traditions « domnonéennes » relatives à l’histoire de deux saints jumeaux93, traditions qui pouvaient remonter à l’époque même de la fondation de Landoac, ont pu être captées à l’époque carolingienne par les hagiographes de Landévennec et associées à saint Guénolé, puis ravivées et recyclées aux xie-xiie siècle, à l’occasion de contacts entre les deux abbayes94 que favorisaient les ducs de la maison de Cornouaille.

  • 95 Duine F., « Vie antique et inédite de S. Turiau, évêque-abbé de Bretagne », Bulletin et mémoires de (...)
  • 96 Ibidem, p. 11.
  • 97 Ibid., p. 30 : Igitur beatissimus Turiavus in regione Britannie fuit in pago Trecoit oriundus.
  • 98 Vallerie E., Communes bretonnes et paroisses d’Armorique, s.l., s. d., [Brasparts, 1986], p. 127, p (...)
  • 99 Duine F., « Vie de S. Turiau », p. 43 : perrexit in insulam parvam Lisbicam ad Budagonum monachum ( (...)
  • 100 Tanguy B., « De Budoc à Budogan ou de l’île Lavret à l’île des Ebihens », p. 282.

29Nous sommes très fortement tentés de localiser au même endroit et à la même époque la composition de la vita de saint Turiau, que l’abbé Duine a publiée en 1911 d’après un manuscrit de la bibliothèque de Clermont-Ferrand95 ; cet ouvrage, « qui sort d’une plume ardemment doloise » comme le souligne son éditeur96 et dont les éléments du récit diffèrent considérablement des autres textes du corpus turiavien, nous montre en effet le saint, explicitement décrit comme étant originaire du Poutrecoët97, agir non seulement dans le diocèse de Dol, mais aussi dans celui d’Alet, principalement dans les enclaves doloises de ce dernier98 : ainsi en est-il de la visite rendue par Turiau à son maître Budoc sur la petite île de Lisbica99, c’est-à-dire « l’île des Hébihens, anciennement Isle Bihan, en face de Saint-Jacut-de-la-Mer100 ».

  • 101 Duine F., « Vie de S. Turiau », p. 34 : Contigit autem tempore Gradalon principis Britannorum, Turi (...)

30C’est dans ce contexte de revendication territoriale que l’hagiographe, rapportant le miracle de la résurrection d’une jeune fille nommée Meldoch, en situe l’action « au temps de Gradlon, prince des Bretons ». L’épisode, destiné manifestement à justifier la construction par le saint, à la suite d’une annonce angélique, d’une église dédiée à saint Pierre sur les bords de l’Oust101, constitue un intéressant témoignage sur la notion médiévale de « voyage dans l’au-delà », dont J. Le Goff a traité dans son ouvrage sur La naissance du Purgatoire ; Gradlon convoque la jeune fille ressuscitée pour qu’elle lui parle de l’autre monde et Meldoch explique au souverain qu’elle a vu la place préparée pour lui en enfer aussi bien que celle qui lui est réservée dans le royaume de Dieu, au côté du roi insulaire Constantin, fils de Patern : à Gradlon donc de choisir durant son existence terrestre l’attitude et le comportement qui conviennent.

  • 102 Ibidem, p. 29 : Gens Britannie, a qua extitit oriundus, bellicis existentibus rebus atque crebresce (...)
  • 103 Ibid., p. 33, § IV et n. 9.
  • 104 L’œuvre hagiographique de Baudri vient de faire l’objet d’une approche renouvelée : Le Huërou A., B (...)
  • 105 Nous empruntons cette formule au titre d’un article du regretté Gw. Le Duc, « Leoteren et le sinueu (...)
  • 106 Merdrignac B., Les saints bretons entre légendes et histoire. Le glaive à deux tranchants, Rennes, (...)

31Ce sont les troubles politiques des années 1075-1093 qui font peut-être l’objet d’une allusion de l’hagiographe dans le prologue de son ouvrage102 : le ton employé à cette occasion, de même que dans le passage qui souligne inprobitatem malignantium Britannorum, n’est pas sans rappeler, comme le soulignait déjà l’abbé Duine, celui de Baudri de Dol103 ; mais nous ne serons pas assez audacieux pour proposer l’attribution de cette vita de saint Turiau au célèbre écrivain104. En revanche, ce texte nous paraît là encore s’inscrire dans le cadre de l’action de propagande relayée, parfois sans doute à leur corps défendant, par les hagiographes contemporains, au profit des ducs de la maison de Cornouaille. Les références à Constantin et à Gereint ouvrent de surcroît des perspectives intéressantes sur l’histoire littéraire de la Bretagne, qui mérite peut-être mieux que les salutaires mais désormais séculaires appréciations hypercritiques dont ses monuments ont jadis fait l’objet : à terme, le décryptage du « sinueux parcours des légendes »105 devrait permettre – pour autant que l’on évite une approche trop strictement historicisante – la redécouverte d’un passé dont les textes hagiographiques, à la manière des palimpsestes, ont conservé de rares mais incontestables vestiges106.

Notes

1 Bourgès A.-Y., « Le dossier littéraire des saints Judicaël, Méen et Léri », Corona Monastica. Mélanges offerts au père Marc Simon [= Britannia Monastica, n° 8 (2004)], p. 91.

2 Les vitae de saint Judicaël et de saint Léri, qui rapportent les multiples donations pieuses du roi Judicaël aux églises et monastères, ainsi que la vita de saint Méen, qui contient en outre un solide avertissement aux « tyrans usurpateurs d’églises » (tyranni ecclesiarum pervasores), ont certainement été composée au temps de la réforme grégorienne et peut-être au moment où Hoël, duc de Bretagne s’efforçait d’enlever à Raoul II de Gaël, allié du fils bâtard du duc Alain III, Geoffroy Grenonat, le contrôle de son fief breton où l’abbaye Saint-Méen-Saint-Judicaël était amplement possessionnée. Cette hypothèse est partiellement empruntée à celle développée par M. Duval lors du colloque annuel du CIRDoMoC, à Landévennec en juillet 1995 ; mais l’opinion de ce chercheur qui, à notre connaissance, n’a pas été publiée, était que la compétition dont il est question était intervenue entre les détenteurs du comté de Rennes et les seigneurs de Gaël, aux années 1085 et suivantes, quand Alain Fergant, après avoir récupéré le comté de Rennes, aurait eu alors à affronter la rébellion de Raoul II de Gaël. Or, il est patent que Raoul s’est comporté en fidèle vassal du duc Alain, comme on le voit notamment lors de l’installation d’Adèle en qualité d’abbesse de Saint-Georges de Rennes en 1085, où le premier souscripteur de l’acte ducal donné à cette occasion en faveur du monastère n’est autre que le « comte Raoul » (comes Radulphus) : cf. Chartularium abbatiae Sancti Georgii Redonensis, édité par P. de La Bigne-Villeneuve, Bulletin et mémoires de la Société archéologique d’Ille-et-Vilaine, t. 9 (1875), p. 263, n° 34.

3 Eudon, frère cadet du duc Alain III et qui avait exercé la régence du duché après la mort de ce dernier, au temps de la minorité de son neveu Conan II, mourut âgé dans les années qui suivirent la révolte baronale des années 1075-1076 ; mais sa succession fut assurée en Bretagne par ses fils Geoffroy Boterel, à qui avait été dévolue la partie orientale de la principauté (Lamballe) et Étienne, qui reçut la partie occidentale (Guingamp). Les autres Eudonides, Brient et les deux Alains, étaient quant à eux possessionnés en Angleterre ; enfin, la destinée des trois autres frères (Guillaume, Robert et Richard) nous échappe. Tout cela bien sûr est dit trop rapidement, car en 1086 encore, à l’occasion de la donation par l’évêque de Tréguier à l’abbaye du Mont-Saint-Michel de biens situés dans la paroisse trégoroise de Plestin, c’est Geoffroy Boterel qui, en vrai chef du lignage, donne son assentiment à cette donation (assensu domini mei Gaufredi comitis. et omnium fratrum eius. filiorum scilicet comitis Eudonis.) ; mais seul Étienne apparaît parmi les souscripteurs (+. Signum Stephani filii Eudonis.), à la suite de son frère et d’un certain vicomte Rivallon (+. Signum Gaufredi comitis. +. Signum Rivalloni vicecomitis.), dans lequel Quaghebeur J. , La Cornouaille du viiie au xiie siècle. Mémoire, pouvoirs, noblesse, Quimper, 2001, p. 382-384, croit reconnaître le premier membre connu de la lignée vicomtale de Poher. Nous empruntons les transcriptions ci-dessus à Morin S., Recherches sur la destinée de la principauté des comtes de Bretagne (1008-1214), thèse de doctorat en droit, Rennes, 2004, n. 688, qui souligne pertinemment à propos de l’absence des autres membres de la fratrie : « probablement n’avaient-ils pu se déplacer pour l’occasion ». – Voir également Guillotel H., « Les origines de Guingamp. Sa place dans la géographie féodale bretonne », Mémoires de la Société d’histoire et d’archéologie de Bretagne, t. 56 (1979), p. 81-100.

4 C’est déjà le cas d’Arthur de La Borderie, Histoire de Bretagne, t. 3, Rennes-Paris, 1899, p. 24-29 et c’est encore celui de Jean-Christophe Cassard, « Houel Huuel, comte de Cornouaille puis duc de Bretagne (circa 1030-1084) », Bulletin de la Société archéologique du Finistère, t. 117 (1988), p. 95-117. Pourtant il n’échappe pas au premier (p. 29) que le comte Hoël s’intéressait aux livres liturgiques, ce qui s’explique d’autant plus facilement si ce prince commanditait une partie importante de la production hagiographique de son temps ; et J.-C. Cassard souligne (p. 116), à propos d’un épisode de la vita de saint Maudez, que ce dernier « tenait assurément pour l’ordre social incarné par Hoël » : il sera question plus loin en détail de ce récit, qui constitue un témoignage important de la mobilisation de certains hagiographes au service de la nouvelle dynastie ducale.

5 Bourgès A.-Y., « Robert d’Arbrissel, Raoul de la Fûtaie et Robert de *Locunan : la trinité érémitique bretonne de la fin du xie siècle », Britannia Monastica, n° 10 (2006), p. 9-19.

6 Dufief A., Les Cisterciens en Bretagne, Rennes, 1997, p. 81-86.

7 Quaghebeur J., « Prier Notre Dame, protéger la Cornouaille », Mémoires de la Société d’histoire et d’archéologie de Bretagne, t. 78 (2000), p. 438.

8 Guillotel H., « La pratique du cens épiscopal dans l’évêché de Nantes. Un aspect de la réforme ecclésiastique en Bretagne dans la seconde moitié du xie siècle », Le Moyen Âge, t. 80 (1974), p. 5-49.

9 Idem, « Bretagne et papauté au xie siècle », R. Grosse [éd.], L’Église de France et la papauté (xe-xiiie siècle). Die Französische Kirche und das Papsttum (10.-13. Jahrhundert). Actes du XXVIe colloque historique franco-allemand organisé en coopération avec l’École nationale des chartes par l’Institut historique allemand de Paris (Paris, 17-19 octobre 1990), Bonn, 1993, p. 265-286.

10 Ibidem, p. 271.

11 Ibid., p. 275.

12 Voir par exemple les revendications insupportables de la femme de l’évêque Orscand, Onwen, à jouir de la prééminence comtale dans la cathédrale de Quimper : Cartulaire de l’Église de Quimper, [édité par P. Peyron], Quimper, 1909, p. 45, n° 14.

13 Recueil des historiens des Gaules et de la France, t. 14, p. 596 (Jaffé 5005) : voir la traduction proposée par Duine F., dans La Métropole de Bretagne, Paris, 1916, p. 25-27, ainsi que le commentaire de Guillotel H., « Bretagne et papauté au xie siècle », p. 280-281, qui précise que cette lettre est « indéniablement postérieure au 27 septembre 1076 ».

14 Non tam archiepiscopum quam archilupum ; mais il s’agit là d’une image littéraire assez tardive, car elle figure dans la vita de saint Gilduin (Acta sanctorum, Janvier, t. 2, p. 791), ouvrage composé après 1171 : voir Duine F., « Catalogue des sources hagiographiques pour l’histoire de Bretagne jusqu’à la fin du xiie siècle », Annales de Bretagne, t. 35 (1921-1922), n° 3, p. 429-430 (notice n° 10). L’hagiographe, un moine de Saint-Père de Chartres, peut donc avoir eu connaissance de l’Ysengrimus de Nivard de Gand, où ce dernier emploie le mot archilupus.

15 Duine F., La Métropole de Bretagne, p. 8.

16 Guillotel H., « Bretagne et papauté au xie siècle », op. cit., p. 280. – La préfiguration de ce parti brito-angevin, qui représente alors les intérêts du roi de France, se voit dès le milieu du xie siècle autour du comte Eudon et de Geoffroy Martel : cf. J.-P. Brunterc’h, « Geoffroy Martel, Conan II et les comtes bretons Eude et Hoël de 1055 à 1060 », Mondes de l’Ouest et villes du monde. Regards sur les sociétés médiévales. Mélanges en l’honneur d’André Chédeville, Rennes, 1998, p. 311-324.

17 Chartularium abbatiae Sancti Georgii Redonensis, p. 272, n° 45.

18 Geslin de Bourgogne J. et Barthélemy A. DE, Anciens évêchés de Bretagne, t. 4, Saint-Brieuc-Paris, 1864, p. 277, n° 1 : Hoc donum confirmavit et auctorizavit Gaufridus comes Boterel et episcopus Briocensis Aemus.

19 Dans cette double perspective, il convient d’examiner avec attention l’épisode interpolé de la vita de saint Brieuc [BHL 1463], où ce dernier obtient la conversion d’un « roi » du nom de Conan : d’une part, l’érection du siège épiscopal de Saint-Brieuc était peut-être intervenue sous le court règne de Conan Ier, qui paraît bien avoir été le dernier souverain breton à porter le titre royal à la fin du xe siècle ; d’autre part, ce rôle de saint tutélaire de la maison de Rennes, si elle favorisait les contacts avec les Eudonides, préservait a priori l’Église de Saint-Brieuc d’une trop grande ingérence de leur part. – En 1079, selon le Chronicon Britannicum, Hamon assista aux funérailles du comte Eudon, inhumé dans la cathédrale de Saint-Brieuc : Dom Morice, Mémoires pour servir de preuves à l’histoire… de Bretagne, t. 1, Paris, 1742, col. 5.

20 Cartulaire de Quimperlé, p. 137, 139, 148. – Sur les raisons de reconnaître dans ce personnage l’auteur de la première vita de saint Mélar, voir Bourgès A.-Y., Le dossier hagiographique de saint Mélar. Textes. Traduction. Commentaires, s.l. [Lanmeur-Landévennec], 1997 (= Britannia monastica, 5), p. 222-225.

21 Cassard J.-C., « Houel, comte de Cornouaille », op. cit., p. 103.

22 Voir néanmoins les prudentes réserves formulées par H. Guillotel, « Bretagne et papauté au xie siècle », p. 280, n. 51, sur l’importance excessive donnée à la révolte de Raoul II de Gaël dans l’approche historiographique des causes du siège de Dol en 1076.

23 La Borderie A. de, Recueil d’actes inédits des ducs et princes de Bretagne (xie, xiie, xiiie siècles), Rennes, 1888, p. 37 : Et hoc factum fuit dum idem Hoellus castellum de Ancenis obsideret. L’éditeur souligne que « ce siège d’Ancenis… n’est connu que par cette pièce, et l’on en ignore la date précise. Le duc Hoël ayant eu à soutenir de rudes guerres contre plusieurs barons de Bretagne en 1076 et 1077 (voir Lobineau, Hist. de Bret., I, p. 100, 101), il y a lieu de rapporter à cette époque le siège d’Ancenis ».

24 Idem, Histoire de Bretagne, t. 3, p. 26.

25 Pocquet du Haut-Jussé B.-A. , Les papes et les ducs de Bretagne. Essai sur les rapports du Saint-Siège avec un état, 2e édition, Spézet, 2000, p. 27.

26 L’expression est empruntée à J.-C. Cassard, « Houel, comte de Cornouaille », p. 115.

27 H. Guillotel, « Bretagne et papauté au xie siècle », p. 277.

28 Ibidem, p. 281.

29 Recueil des historiens…, t. 14, p. 599 (Jaffé 5021) : voir Duine F., La Métropole de Dol, p. 21.

30 Quaghebeur J., « Prier Notre Dame, protéger la Cornouaille », op. cit., p. 448.

31 Ibidem, p. 440.

32 Cartulaire de l’abbaye Sainte-Croix de Quimperlé, 2e édition [par L. Maitre et P. de Berthou], Rennes-Paris, 1904, p. 191-192, n° 54. Hoël prend soin de préciser que l’acte en question est passé « en présence de nombreux nobles de ses princes, [originaires] tant de la cité de Nantes et des confins du Vannetais que des primaties cornouaillaises et léonardes » (coram multis nobilibus meorum principum tam ex Nannetis civitate et Venetis finibus quam ex Cornugalliensibus et Leonensibus primatibus) : échappent encore donc à cette énumération des territoires sur lesquels s’exerce son autorité les possessions du comte Eudon et le comté de Rennes, alors aux mains de Geoffroy Grenonat, qui, sa vie durant, partagea avec Eudon, le goût de la rébellion. Au surplus, souligner la présence de ces différents « nobles », c’est bien marquer que l’autorité du duc s’étend à ses arrière-vassaux. – Notre traduction, qui permet de tirer un certain nombre d’enseignements de ce passage de la charte, doit beaucoup à Mme Armelle Le Huërou, que nous remercions bien vivement.

33 Cartulaire de Quimperlé, p. 105 : MLXXXIV. Hoel comes moritur. Gaufridus comes Redonensis nothus, in captione apud Sanctum Chorentinum moritur.

34 Cf. supra n. 2.

35 La Borderie A. de, Recueil d’actes inédits, p. 46-47. – Le seigneur de Tinténiac, Guillaume l’Ismaélite figure, en compagnie de Raoul II de Gaël, parmi les barons d’Alain Fergant signataires de la donation du duc à l’abbaye Saint-Georges de Rennes en 1085.

36 Cartulaire de Quimperlé, p. 265, n° 109.

37 Chroniques annaux, dans Dom Morice, Mémoires pour servir de preuves, t. 1, col. 103 : MXCIII. Obiit Silvester episcopus Redonensis. Eodem anno IX. Kal. septembris interfectus est comes Gauffridus filius Eudonis ducis apud Dolum archiepiscopatum Britanniae. D’autres sources donnent 1092 ou même 1091.

38 A. de Courson, dans ses prolégomènes à l’édition des chartes du Cartulaire de Redon, a fait (p. LI-LIII) un récit très vivant de ces événements ; récit repris, magnifié et rendu plus vivant encore par A. de La Borderie (Histoire de Bretagne, t. 3, p. 37-38). Cependant, ces auteurs ont tendance à solliciter de manière excessive plusieurs actes du cartulaire (p. 298, 300 et 392-395).

39 Cartulaire de Redon, p. 323-324 (acte falsifié selon H. Guillotel) et 389-390.

40 Le Baud P., Histoire de Bretagne, p. 176.

41 Cartulaire de Redon, p. 299.

42 La Borderie A. de, Histoire de Bretagne, t. 3, p. 29.

43 Idem, Recueil d’actes inédits, p. 36.

44 Ces « jongleurs » constituent une sub-catégorie dans la classification opérée au début du xiiie siècle par Thomas Chobham : Sed notandum quod histrionum tria sunt genera… Est enim tertium genus histrionum qui habent instrumenta musica ad delectandum homines, sed talium duo sunt genera. Quidam enim frequentant publicas potationes et lascivas congregationes ut cantent ibi lascivas cantilenas, ut moveant homines ad lasciviam, et tales sunt damnabiles sicut et alii. Sunt autem alii qui dicunt ioculatores qui cantant gesta principium et vitas sanctorum et faciunt solatia hominibus vel in egritudinibus suis vel in angustiis suis et non faciunt nimias turpitudines sicut faciunt saltatores et saltatrices et alii qui ludunt in imaginibus inhonestis et faciunt videri quasi quedam phantasmata per incantationes vel alio modo. Si autem non faciunt talia sed cantant instrumentis suis gesta principum et alia utilia ut faciant solatia hominibus sicut dictum est, bene possunt sustineri tales, sicut ait Alexander papa… Thomas of Chobham, Summa confessorum (le texte est donné ici d’après l’article de J.W. Baldwin, « The Image of the Jongleur in Northern France Around 1200 », Speculum, vol. 72, n° 3 (1997), p. 643, n. 29.

45 Le Cartulaire de Quimperlé, p. 189, mentionne également un certain « Cadiou le cithariste » (Kadiou citharista), témoin d’une charte passée par Hoël en 1069 ; on relève le nom de Cadiou dans d’autres chartes (p. 223, 226), mais sans la qualité de « cithariste », laquelle au vrai, ne lui était peut-être attribuée que comme « surnom » et n’impliquait nullement que le personnage fût au service du prince.

46 Cassard J.-C., « Houel, comte de Cornouaille », p. 105 : « la culture livresque n’est pas toute la culture d’alors : Hoël ne dédaigne pas de s’esbaudir aux farces mimées de Pontellus, “le jongleur du comte”, ni de prêter l’oreille aux accords plaqués sur son instrument par Cadiou, “le cithariste” » ; mais ces deux artistes ne nous sont pas autrement connus et au demeurant, souligne J.-C. Cassard, « rien de leurs compositions ou de leur savoir-faire ne nous est parvenu, malheureusement ». Au contraire de celui breton de Cadiou, le nom Pontel appartient à l’onomastique romane et sa première attestation, après celle du jongleur, est localisée dans les parages de Saint-Malo, plus précisément à Saint-Méloir-des-Ondes, dont le curé en 1184 s’appelait Jean Pontel ou Pointel : La Borderie A. de, « Origines paroissiales (Ille-et-Vilaine). Canton de Cancale », Revue de Bretagne et de Vendée, t. 29 (1871), p. 391, n. 5 (Joanne Pointello), et p. 397, n. 3 (Johanne Puntello).

47 Cartulaire de Quimper, p. 41, n° 13.

48 Miracula S. Maglorii [BHL 5142]. Nominoë est également employé, ainsi que son fils Erispoë, dans un texte contemporain de leur règne, les Gesta sanctorum Rotonensium [BHL 1945] (lib. I, cap. 1, 7, 10, 11, lib. II, cap. 5, 10, lib. III, cap. 5, 9 de l’édition Brett) ; mais cet ouvrage ne se rapporte pas aux origines bretonnes. Nominoë figure aussi dans la translatio S. Guenaili [BHL 8819] ; mais cet ouvrage pourrait bien avoir été composé assez longtemps après les événements qu’il rapporte. On retrouve enfin Nominoë dans la vita S. Conwoionis [BHL 1946] (§ 5, 7, 9, 10 de l’édition Brett), qui démarque les Gesta sanctorum Rotonensium.

49 Translatio S. Machutis [BHL 5124] ; Miracula S. Martini Vertevensis [BHL 5668]. Alain le Grand est également mentionné, avec son frère Pascwethen, dans la vita S. Gildae [BHL 3541] (§ 32 de l’édition Lot) ; mais cet ouvrage a été composé plus de cent cinquante ans après les événements rapportés dans le chapitre en question.

50 Judicaël et Salomon, réputés saints eux-mêmes, ont chacun fait l’objet es-qualité d’un traitement hagiographique spécifique ; Salomon est également évoqué dans la vita S. Conwoionis (§ 11, 12). Les gesta des autres souverains bretons authentiques employés dans des vitae dont la composition est postérieure de plusieurs siècles à l’époque de leur règne, notamment Méliau, Commor, Guérec, mentionnés par Grégoire de Tours, peuvent être à juste titre soupçonnés d’être apocryphes. Quant aux Riwal, Deroch, Riada, Iona, Judual, Juthael… leur historicité demeure très largement discutée ; la question est également posée pour Gradlon, dont il sera question plus loin.

51 La Borderie A. de, « Saint Maudez. Texte latin des deux Vies les plus anciennes de ce saint et de son très ancien office, avec notes et commentaire historique », dans Mémoires de la Société d’émulation des Côtes-du-Nord, t. 28 (1891), p. 204-205 (§ 8-9).

52 Nous avons suggéré le lieu-dit Trévenou, en Langoat, dans notre article sur « Yves de Kermartin hagiographe et la seconde vita de saint Maudez », Armorik, n° 1 (mai 2003), p. 87, n. 21.

53 Cassard J.-C., « Houel, comte de Cornouaille », p. 107.

54 Bourgès A.-Y., Le dossier hagiographique de saint Mélar, p. 58 et 65 : Tunc ejus nutrix celeriter cum eo fugit usque in Domnoniam, in pago Castelli, in castellum quod vocatur Boxidus ubi erat amita vel matertera illius filia Fortunati cum Commoro comite ; ibique ab eo et a conjuge sive a familia cum honore est susceptus letatusque est in adventu et obviatione illius, et cum gaudio dixit ad eum : « dabo tibi pagum castri ubi sum usque sis vir magnus ad nutriendum te » (texte P). – Nutrix autem ejus verens ne innocens a nocentibus occideretur, interim dum conjux ejus apud Rivoldum [un mot partiellement illisible : .retur], de Cornubia cum alumno suo in Dompnoniam fugit, ubi ejus amita filia Budici cum Commoro comite viro suo morabatur in pago castelli sui quod Bocidus appellatur. In adventu vero illius Commorus comes et uxor ejus et ejus omnis familia valde laetati sunt ; et congratulans adventui ejus Commorus comes dixit ei : « castellum istud in quo nunc habito tibi dabo et donec ad maturam pervenias aetatem cum diligentia magna nutriri te faciam » (texte M).

55 Cartulaire de l’Église de Quimper, p. 38, n° 13 (extrait de la « pancarte de Quimper », rapporte des événements antérieurs à 1058) ; Cartulaire de Quimperlé, p. 137, n° 3 et p. 147-148, n° 9. La datation de ces deux dernières pièces par leurs éditeurs, respectivement 1030-1031 et 1031-1055, a été rectifiée par Guillotel H., « Les vicomtes de Léon aux xie et xiie siècles », Mémoires de la Société d’histoire et d’archéologie de Bretagne, t. 51 (1971), p. 34-35 qui propose entre 1046 et 1055 pour le n° 3 et entre 1047 et 1055 pour le n° 9.

56 Cartulaire de Quimperlé, p. 191-192, n° 54. – Guillotel H., « Les vicomtes de Léon aux xie et xiie siècles », p. 35, ne relève pas le nom de Roland et indique que la charte en question « signale simplement la présence de primates originaires du Léon dans l’entourage du comte » ; J.-C. Cassard, « Houel, comte de Cornouaille », p. 114, qui s’appuie sur cet article de H. Guillotel, en conclut que « Hoël essaye également de débaucher des seigneurs du confins du Vannetais et du Léon, ce qui n’empêche pas les vicomtes de cette dernière région d’affirmer leur complète indépendance ».

57 Lais de Marie de France traduits, présentés et annotés par Laurence Harf-Lancner, 2e éd., Paris, 1992, p. 28, v. 51-52.

58 En dehors des témoignages diplomatiques ou annalistiques, un autre témoignage, particulièrement intéressant parce qu’il parait se rapporter à des événements situés en Bretagne septentrionale, semble pouvoir être extrait de ce qu’écrit Marie de France : après avoir rappelé en cel tens tint Hoels la terre / sovent en pais, sovent en guerre, le récit fait longuement état de la guerre qui oppose Guigemar à un seigneur nommé Meriadu (= Meriadec) d’abord présenté comme un allié de Guigemar et dont le chastel vaillant e fort domine un port (Lais de Marie de France, édition Harf-Lancner, p. 28 et 60-71). On a cru longtemps pouvoir identifier ce château de Mériadec avec la mention de castrum Meriadoci dans la vita de saint Goëznou : Cujus [il s’agit de Conan Mériadec] prima sedes fuit juxta fluvium Guilidonam in finibus Plebis Columbe, in loco qui adhuc dicitur Castrum Meriadoci ; mais il faut noter que l’hagiographe ne mentionne pas explicitement un château, simplement une demeure, située « au lieu qui s’appelle encore Castrum Meriadoci », situé près du fleuve Guilidona, « aux confins de Plougoulm » : il s’agit probablement du toponyme Kermériadec en Tréflaouenan, commune effectivement limitrophe de celle de Plougoulm, même si le village actuel ne se situe pas précisément à leurs confins. Quant au château de Mériadec, il faut peut-être le localiser à Plougasnou où d’ailleurs le souvenir de la domination ultérieure de la maison de Léon se retrouve assez sûrement dans le toponyme Kervescontou, « la ville aux vicomtes » : Saint-Jean-du-Doigt, autrefois trève de Plougasnou, portait originellement le nom de traon Meriadec, « le val de Meriadec », seul vestige toponymique qui ait gardé le souvenir de ce personnage dans la zone d’influence des vicomtes de Léon au xiie siècle.

59 Ce texte est désormais accessible en ligne à l’adresse : http://cirdomoc.free.fr/VitaMajor.htm

60 Cronicques des Roys, Ducs et Princes de Bretaigne armoricaine, Paris, 1638, p. 150.

61 « Cartulaire de Landévennec », édité par R.F. Le Men et E. Ernault, Mélanges historiques, t. 5, Paris, 1886 (Collection de documents inédits sur l’histoire de France), p. 560-562, n° 24 : Coram multis testibus cornubiensibus nobilissimis, Uurmaelon comes [sic] Cornubiae, Huaruuethen episcopo Sancti Chorentini, Benedicto abbate Sancti Uuingualoei, *Uuroet abbate Sancti Tutguali. Suivant en cela l’opinion de F. Lot, Uruoet est corrigé par nous *Uuroet. En revanche, nous ne souscrivons pas à l’opinion de F. Lot, reprise par H. Guillotel, qui veut reconnaître dans cet abba sancti Tutguali, le titulaire de l’abbaye de Tréguier ; les abbés laïques de Saint-Tudi, attestés aux xie-xiie siècles, avaient recueilli les dépouilles de ce monastère, dont la collégiale de Loctudy constituait le prolongement spirituel.

62 Liber miraculorum sancti Maximini abbatis Miciacensis, Patrologia latina, t. 137, col. 808.

63 « Cartulaire de Landévennec », p. 576-577, n° 54.

64 Ibidem, p. 558-559, n° 20.

65 Bourgès A.-Y., « A propos de la vita de saint Corentin », Bulletin de la Société archéologique du Finistère, t. 127 (1998), p. 291-303.

66 Tanguy B., « D’Anaurot à Kemper Ellé. – La Vita sancti Gurthierni », L’abbaye Sainte-Croix de Quimperlé des origines à la Révolution. Actes du colloque de Quimperlé 2-3 octobre 1998, Brest-Quimperlé, 1999, p. 17-33.

67 Cartulaire de Quimperlé, p. 45 : De inventione reliquiarium sancti Gurthierni aliorumque sanctorum tempore Benedicti abbatis et Guigoni filii Huelin de Castro Henpont, in insula Groe ab Oedrio monacho revelatarum.

68 Ibidem, p. 153 : Vitale abbate, Liosoco priore, Rannou, Oedri, Daniele, David, Guegono, monachis.

69 Guillotel H., « Sainte-Croix de Quimperlé et Locronan », Saint Ronan et la Troménie. Actes du colloque international 28-30 avril 1989, s.l. [Locronan-Brest], p. 182.

70 Cartulaire de Quimperlé, p. 45 : Inde volavit fama ipsius usque ad Gradlonum magnum, Cornugallie consulem, qui misit legatum suum ad illum ut ad se veniret, deditque sibi ipse consul Anaurotam, ubi conveniunt Heleia atque Idola, et mille passus terre in circuitu ipsius ville, necnon et Beiam plebem. – Nous traduisons legatus par « vicomte », car enfin, le « lieutenant » ou le « chargé de mission » du comte ne peut être que le vicomte.

71 Cartulaire de l’abbaye de Landévennec, publié par A. de La Borderie, [1re livraison : Texte du cartulaire avec notes et variantes], Rennes, 1888, p. 78 : Interea ad regem volitabat fama Gradlonum.

72 Cartulaire de Quimperlé, p. 130, charte 1 : Alanus igitur consul Cornubiae gravissimo langore oppressus.

73 Morice Y., L’abbaye de Landévennec des origines au xie siècle à travers sa production hagiographique. Cultures et idéologies dans la Bretagne médiévale, thèse de doctorat en histoire, Rennes, 2007.

74 Catalogus codicum hagiographicorum latinorum antiquorium saeculo XVI qui asservantur in Biblotheca Nationali Parisiensi, t. 1, Bruxelles-Paris, 1889, p. 456-457.

75 Merdrignac B., « Saint Ronan et sa vie latine », Saint Ronan et la Troménie, p. 138-140.

76 Il s’agit de celles de Saint-Martial de Limoges, conservées dans un manuscrit du xie siècle : cf. Tanguy B., « Anciennes litanies bretonnes des xe et xie siècles » Bulletin de la Société archéologique du Finistère, t. 131 (2002), p. 474.

77 Catalogus codicum hagiographicorum latinorum…, p. 452-454.

78 Ibidem, p. 454-456. – Malgré cette perte, l’oratoire de Ronan est longtemps resté un important lieu de pèlerinage : on voit par exemple que le duc Jean IV a séjourné à Hillion pendant cinq ou six jours au début de l’été 1394 ; plus tard, sur la base d’une vague homophonie, les prélats posttridentins qui siégeaient à Saint-Brieuc ont fini par substituer sur place le patronage de saint René à celui de saint Ronan.

79 Ce nom, hagionyme et/ou substitut du théonyme Cerumnos, est notamment attesté au Mont Saint-Michel de Brasparts : cf. Deshayes A., Dictionnaire topographique du Finistère, s.l. [Spézet], 2003, p. 30. Nous devons cette référence bibliographique à la courtoisie d’Erwan Vallerie, dont l’argumentation est exposée dans l’article qui figure au présent recueil.

80 Cartulaire de Quimperlé, p. 138-139, n° 4. – Sur le caractère de faux manifeste de cette pièce, voir l’impeccable et implacable démonstration faite par Guillotel H., « Sainte-Croix de Quimperlé et Locronan », p. 176-182.

81 de la Lande de Calan C., « Mélanges historiques », Revue de Bretagne et de Vendée (1913), n° 2, p. 118-119.

82 Largillière R., « Saint Corentin et ses vies latines à propos d’une publication récente », Bulletin de la Société archéologique du Finistère, t. 52 (1925), p. 105-107.

83 Quaghebeur J., La Cornouaille du ixe au xiie siècle. Mémoire, pouvoirs, noblesse, p. 181 et p. 196.

84 Ibid., p. 200. – La vita de saint Ronan avait été attribuée par le regretté H. Guillotel à l’évêque Bernard dit de Moëlan (1159-1167), hypothèse intéressante mais malheureusement impossible à suivre si l’on admet que l’hagiographe est le même que le compilateur de la pancarte de Quimper : ce dernier parle en effet à deux reprises de la comtesse Judith, morte en 1063, comme d’un personnage de son temps (Judith comitissa nostri temporis mulier prudentissima et ailleurs Juzeth comitissa nostri temporis mulier religiosissima) ; en revanche, il ne revendique pas explicitement d’avoir connu Alain Cainhart, mort en 1058.

85 Cartulaire de Quimperlé, p. 218, n° 72 : Rotberth heremita et Christianus socius ejus. — Cet acte passé aux années 1107-1112 consacre la réconciliation entre l’abbaye de Quimperlé et un certain Donguallon, lequel s’était emparé indûment de biens relevant du monastère : la présence de l’ermite Robert, accompagné de son « compagnon », Chrétien, est sans doute la marque de la considération dont le personnage jouissait auprès du clergé cornouaillais, en particulier auprès de l’évêque Benoît, qui patronne cet accord ; mais on peut y reconnaître également un indice de son appartenance antérieure au chapitre cathédral. Il convient de corriger le passage de notre article sur « Robert d’Arbrissel, Raoul de la Fûtaie et Robert de *Locunan », p. 14, où nous indiquons qu’« un chanoine du nom de Robert est mentionné dans un acte du cartulaire de Quimperlé de 1093 » : le personnage en question est un chanoine de Nantes, non de Quimper. On retrouve le même quiproquo aggravé dans une notule intitulée « Miracles de saint Corentin et vita de saint Ronan : l’hagiographie cornouaillaise dans le premier tiers du xiie siècle » [cette notule a fait l’objet d’une publication électronique à l’adresse : http://andreyvesbourges.blogspot.com/2008/05/miracles-de-saint-corentin-et-vita-de.html].

86 Cartulaire de Quimper, p. 33 [catalogue épiscopal] : Robertus episcopus, qui fuit heremita apud Locuuan – Locuuan est à lire *Locunan, aujourd’hui Loconan, village de Trébrivan (C.-d’A), à proximité du lieu-dit Le Nézert, dont le nom renvoie indiscutablement à quelque « désert » érémitique ; soulignons que les abbayes de Locmaria, à Quimper, et de Quimperlé, pour lesquelles Robert a toujours montré un vif intérêt, étaient possessionnées dans les parages immédiats de Loconan.

87 Bourgès A.-Y., « Robert d’Arbrissel, Raoul de la Fûtaie et Robert de *Locunan », p. 18-19.

88 Vita sancti Uuinuualoei, Lib. I, cap. 4 : Iste [Fracanus] igitur cum agnellis, id est geminis natis Uueithnoco Jacoboque vocatis, parenteque eorumdem Alba nomine (quae cognominatur Trimammis, eo quod ternas, aequato numero natorum, habuit mammas ; nam et eorum germana [Chreirbia] non est in mammarum calculo reputanda, quia feminarum non est moris in scriptura texere genealogiam), tandem Armoricam, ubi tunc opacum adhuc sine clade audiebatur siluisse terrae spatium, rate conscensa aggreditur, enatato cum paucis ponto Britannico, tellurem, Circio leniter flante delatus in portum qui Brahecus dicitur.

89 Tanguy B., « De Budoc à Budogan ou de l’île Lavret à l’île des Ebihens et des origines de l’abbaye de saint-Jacut », Bulletin de la Société archéologique du Finistère, t. 124 (1995), p. 283.

90 Duine F., La métropole de Bretagne, Paris, 1916, p. 39.

91 Merdrignac B., « Les deux portes du Paradis », La Bretagne et l’Europe préhistoriques. Mémoires en hommage à P.-R. Giot (= Revue archéologique de l’Ouest, suppl. 2), 1990, p. 385-392.

92 « Les relations entre les abbayes de Landévennec et de Landoac durant le haut Moyen Âge : le palimpseste hagiographique » (travail en cours).

93 À cet égard la mention explicite dans la vita de saint Jacut du monastère normand de Deux-Jumeaux n’est sans doute pas fortuite ; de même le nom de Jacob renvoie-t-il peut-être moins à saint Jacques qu’au célèbre jumeau biblique. Curieusement, un personnage dont le statut n’est pas clarifié, mais qui était en relation directe avec l’abbaye de Deux-Jumeaux aux années 832-833, s’appelle Esaü !

94 Un des saints honorés au Moyen Âge à l’abbaye de Landévennec, comme en témoignent les vestiges du martyrologe du lieu compilé en 1293, n’a pas beaucoup retenu jusqu’à maintenant l’attention des hagiologues : il s’agit de saint Balai/Valai, titulaire localement d’une chapelle dite de Saint-Balay (Dom N. Mars en 1648), Saint-Vallée (fin xviie siècle) et Saint-Valé en 1712. À Beuzec-Conq, où Landévennec détenait le prieuré de Concarneau, il y avait également une chapelle dite de Saint-Vallé en 1540, Saint-Valay en 1542 et Saint-Vallée en 1679. Enfin, le toponyme Lande Vallée en Pont-l’Abbé, qui nous a aimablement été signalé par M. Hervé Torchet, pourrait être également à mettre en relation avec saint Balai/Valai : c’est du moins ce que suggère l’examen des formes anciennes de ce toponyme (Lande Vallay en 1481, Lande Valay en 1494, Lande Vallée en 1833). Saint Balai/Valai a parfois été (tardivement) identifié, mais sans aucun début de preuve, avec le sanctus Biabilius qui figure dans la charte 29 du cartulaire de Landévennec. Plus intéressant au point de vue hagio-historiographique, le culte de saint Balai/Valai à Landévennec et dans ses dépendances paraît constituer une nouvelle démonstration que les influences entre la vieille abbaye cornouaillaise et le monastère de Landoac ne se sont pas exercées dans un seul sens, car il semble que le culte de saint Balai/Valai a fort bien pu être acclimaté à Landévennec entre l’époque de compilation du cartulaire (milieu du xie siècle) et celle de la compilation du martyrologe (fin du xiiie siècle), sous l’influence de l’abbaye de Saint-Jacut-de-l’Ile : ce dernier monastère en effet était largement possessionné (comme il se voit dès 1163 par la bulle de confirmation donnée en sa faveur par Alexandre III) dans la région de Dinan-Ploubalay, et à Ploubalay même, dont le nom est formé avec celui de saint Balai, de même que le nom de Lanvallay à proximité, tandis qu’à Taden, on trouve le village de Saint-Valay (les formes anciennes mentionnées ci-dessus sont tirées des travaux du Père Marc Simon, et de MM. Bernard Tanguy et Albert Deshayes).

95 Duine F., « Vie antique et inédite de S. Turiau, évêque-abbé de Bretagne », Bulletin et mémoires de la Société archéologique d’Ille-et-Vilaine, t. 41 (1911), p. 29-45.

96 Ibidem, p. 11.

97 Ibid., p. 30 : Igitur beatissimus Turiavus in regione Britannie fuit in pago Trecoit oriundus.

98 Vallerie E., Communes bretonnes et paroisses d’Armorique, s.l., s. d., [Brasparts, 1986], p. 127, propose de reconnaître l’enclave de Langan dans le lano campo monasterio que mentionne l’hagiographe. On voit également saint Turiau, retournant à son siège épiscopal après une tournée dans sa province, franchir la Rance dont les eaux s’écartent à son passage : la scène pourrait se situer à Saint-Samson-jouxte-Livet (aujourd’hui Saint-Samson-sur-Rance).

99 Duine F., « Vie de S. Turiau », p. 43 : perrexit in insulam parvam Lisbicam ad Budagonum monachum (on trouve plus loin à deux reprises dans le texte la forme Budoganus).

100 Tanguy B., « De Budoc à Budogan ou de l’île Lavret à l’île des Ebihens », p. 282.

101 Duine F., « Vie de S. Turiau », p. 34 : Contigit autem tempore Gradalon principis Britannorum, Turiavo ab angelo fuisse nunciatum ut super fluvium Ulda in honorem sancti Petri edificasset ecclesiam. Nulle enclave doloise ne peut être localisée à immédiate proximité de l’Oust.

102 Ibidem, p. 29 : Gens Britannie, a qua extitit oriundus, bellicis existentibus rebus atque crebrescentibus seditionibus.

103 Ibid., p. 33, § IV et n. 9.

104 L’œuvre hagiographique de Baudri vient de faire l’objet d’une approche renouvelée : Le Huërou A., Baudri, archevêque de Dol et hagiographe [1107-1130] : édition, traduction et commentaire de quatre textes hagiographiques en prose, thèse de doctorat en histoire, Rennes, 2006.

105 Nous empruntons cette formule au titre d’un article du regretté Gw. Le Duc, « Leoteren et le sinueux parcours des légendes », Mélanges en l’honneur d’André Chédeville, p. 37-40. Dans cet article, Gwenaël se demandait (p. 39) pourquoi Gradlon figure dans la vita de saint Turiau : il nous plaît de penser qu’en rendant ici hommage à H. Guillotel, maître disparu prématurément, nous nous sommes efforcé d’apporter une ébauche de réponse à la question d’un ami qui, lui aussi, nous a quittés trop tôt.

106 Merdrignac B., Les saints bretons entre légendes et histoire. Le glaive à deux tranchants, Rennes, p. 213.

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