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Gaullistes dans l’Ouest atlantique

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Laurent Jalabert

Entretien avec Michel Rabreau1

Texte intégral

  • 1 Suppléant d’Olivier Guichard aux élections législatives de 1968, député de 1968 à 1974. L’entretien (...)

- Pouvez-vous me donner quelques informations sur votre engagement dans le mouvement gaulliste, en commençant par quelques éléments sur votre biographie professionnelle et familiale ?

– Je suis né à La Baule le 6 septembre 1937, mes parents habitaient Guérande. Mes grands-parents maternels étaient de La Baule, une vieille famille bauloise. Mes grands-parents paternels étaient Guérandais. Ma grand-mère était veuve de guerre. Mon père était donc pupille de la nation et avait donc reçu une bourse pour mener ses études. Ma grand-mère l’a poussé vers la carrière médicale, pensant qu’il y avait moins de risque dans le cas d’une nouvelle guerre. Mon père, après ses études secondaires à Redon, a poursuivi ses études à Nantes, en médecine et pharmacie en même temps. Le jour où est arrivé le concours en deuxième année, il a du choisir. Il a pris le plus court, il a choisi pharmacie. Il a terminé son cursus à Strasbourg, car Nantes n’était pas encore une école de plein exercice, une faculté de plein droit. Il s’est installé à Guérande, jusqu’à ce que, à mon tour, je fasse des études de pharmacie, à Nantes, et je le remplace.

J’ai effectué alors mon service militaire à Rennes. Là j’étais dans un laboratoire de biologie, et j’en ai profité pour m’inscrire à la Faculté de Rennes, en biologie. J’ai obtenu un double diplôme, de pharmacien et donc de pharmacien biologiste. Je suis donc ensuite revenu chez moi, après m’être marié avec une étudiante qui était dans le droit, je me suis installé à Guérande et j’ai donc exercé les deux professions en même temps. J’avais la pharmacie, et le laboratoire derrière.

  • 2 Il s’agit ici de la poche de Saint-Nazaire où les combats se poursuivent jusqu’en 1945.

Je ne connaissais pas grand-chose à la politique. Je votais, comme tout le monde, gaulliste, car c’était la tradition dans la famille, mon père ayant fait de la résistance comme d’autres Guérandais, autant qu’on pouvait en faire à Guérande à l’époque, notamment pour aller chercher des médicaments en dehors de la « poche »2. Il était très gaulliste et m’a donc transmis cette fibre-là. Donc, moi, étant étudiant quand j’ai commencé à voter, j’ai voté de Gaulle. J’avais beaucoup d’admiration pour le Général bien sûr. Mais c’est tout. Cela s’est arrêté là. Étant purement scientifique, je n’avais aucune connaissance dans les structures administratives, ou même en droit constitutionnel. Mais bon… c’est le problème de la spécialisation.

En 1968, après les événements, après la dissolution exactement, le directeur de Cabinet d’Olivier Guichard, qui s’appelait à l’époque Jean-Claude Labarre, vient me voir dans mon laboratoire et me dit : « Écoutez M. Rabreau, Monsieur Guichard voudrait vous prendre comme suppléant pour les élections qui ont lieu dans quelques semaines. » J’ai été un peu étonné, parce que mon père ne m’en avait pas parlé. J’ai longuement réfléchi. J’étais à l’époque très remonté, parce que j’étais responsable du syndicat des pharmaciens de la presqu’île guérandaise et on avait des problèmes d’approvisionnement, parce que les communistes tenaient pas mal de structures locales. Pour circuler, notamment pour aller chercher les médicaments à Nantes, il fallait en 1968 des bons d’essence qui étaient distribués par des communistes. Ma grande honte a été d’aller à La Baule voir les « camarades », à qui j’ai eu à demander des bons. Et là, on m’a répondu : « on a oublié la pharmacie ». Et je suis reparti avec des « bons d’épicerie »… Bon bref, il y avait eu des échauffourées à La Baule à cause d’un drapeau rouge sur la gare. On l’a enlevé pour remettre le drapeau bleu blanc rouge… Je me suis rendu compte à cette occasion qu’il y avait des places à prendre dans la vie politique locale. On risquait fort de se retrouver avec un virage plus à gauche que je ne souhaitais pas. Donc je n’ai pas refusé de m’engager auprès de Guichard.

  • 3 Elu en 1962, Pierre Litoux s’est déjà effacé en 1967. Devenu suppléant d’Olivier Guichard, il conti (...)

J’en ai parlé bien sûr après avec mon père. Mon père, qui avait été suppléant gaulliste du député de la circonscription dans les années antérieures – il avait refusé de se présenter titulaire car ma mère soufrait d’une très forte arthrose des hanches – m’a expliqué la situation. « Olivier Guichard, c’est un technocrate, un fonctionnaire, un préfet. Et Pompidou souhaite que ses proches soient élus, pas seulement des administratifs. Il a demandé à Guichard de trouver un point de chute. » Et, comme O. Guichard venait depuis son enfance dans la propriété de son oncle près de Guérande, il connaissait très bien le coin. Il avait des amitiés. Je crois même que son père avait été directeur des chantiers, puisqu’il était ingénieur. Et donc tout naturellement, il a demandé au député en place, Pierre Litoux, dont le suppléant était mon père, de s’effacer. Henri Rey, qui était le secrétaire départemental de l’UNR est arrivé à en convaincre Litoux3 compte tenu de la stature du personnage. On m’a dit que Litoux en avait pleuré, mais bon, en vieux militant, en résistant, il avait cédé et se retrouve suppléant. En 1968, Guichard évince Litoux et me demande à moi comme suppléant. J’en étais gêné car je connaissais Litoux, c’était un ami de mon père. Mais, bon, j’y suis allé. Voilà comment je suis entré en politique.

– Votre père connaissait Guichard ?

– Il le connaissait vaguement, puisqu’il avait participé à quelques réunions politiques avec lui. Moi, je ne le connaissais pas. Je m’étais fait connaître quatre ans auparavant, en 1964, quand je suis arrivé à Guérande. Je militais, si je puis dire, dans la musique, en organisant des concerts. J’ai aussi participé à des activités associatives dans les œuvres sociales, notamment dans « La famille rurale ». Bref, Guichard s’est dit, « voici un jeune, je vais le formater à ma façon. Il a l’air de s’intéresser au niveau local. Allons-y ». En outre, en choisissant « le fils Rabreau », il savait que ça calmerait peut-être les militants du coin. Voilà comment c’est arrivé. En 1968, j’étais sûr d’être député, car il allait être rappelé ministre. Il est appelé ministre de l’Aménagement du territoire…

– En 1968, vous entrez à l’Assemblée nationale ?

– Je débarque à l’Assemblée nationale, ne connaissant rien du tout.

– À 31 ans, donc un des plus jeunes…

– Oui, il y en avait un qui avait moins de trente ans. On était 7 ou 8 entre 30 et 35 ans. Alors, en bon scientifique, je me suis dit qu’il me fallait une bonne teinture de droit. Donc j’ai acheté un manuel de droit, et puis le travail parlementaire fait que l’on se glisse dans la procédure.

– Donc vous siégez de 1968 à 1973

– Oui, je fais la session complète. Je commence la suivante, avant de démissionner en 1974, lorsque Guichard n’est plus ministre. J’ai été aussi conseiller municipal de Guérande, conseiller général. Professionnellement, dès 1968 j’ai vendu mon labo, car il a fallu que je me fasse remplacer. J’ai donné tout mon temps à l’Assemblée. D’autant que Guichard étant ministre, il ne venait que le week-end. Donc j’étais présent dans les 32 communes de la circonscription.

– Vous êtes député au Palais Bourbon, dans l’activité de député…

– Guichard ne me laisse aucune indication, d’ailleurs cela ne l’intéresse pas. Je suis totalement libre à Paris. Localement, il me charge de multiplier les contacts pour lui.

– Comment se passe son implantation, ministre il n’est pas là, il ne siège pas comme député…

– Oui, mais quand il vient, il est très présent. Il est grand, « sympa de contact », on a beaucoup de réunions le week-end. Quand il vient, on a beaucoup de réunions politiques, dans les cantons, les communes. Je prépare le terrain dans la semaine. Il m’a même demandé d’être le secrétaire local du mouvement par souci d’efficacité. La basse besogne, c’est souvent moi qui la faisait. Donc je reçois dans ma permanence, qui est aussi celle de Guichard. Car il ne devient maire de la Baule qu’en 1971.

Localement, nous avions dans les trois principales communes de la circonscription des opposants. À la Baule un extrême droite, au Pouliguen un socialiste et à Guérande un centriste (tendance Lecanuet). Donc, le 14 mars 1971, nous nous présentons à l’élection, lui à la Baule, Labarre, son secrétaire de cabinet au Pouliguen et moi à Guérande. Eux réussissent, moi j’échoue, car le maire sortant avait fomenté une troisième liste de droite, qui me prend des voix. Bref, je rentre dans l’opposition avec trois colistiers, ce qui à une trentaine d’années n’était pas trop mal. Nous n’avons pas cherché à faire une opposition imbécile, mais constructive. Entre-temps le climat a changé, le maire sortant s’est rapproché de Guichard. Aux élections suivantes je suis devenu deuxième adjoint, chargé de l’éducation. Guichard ayant été ministre de l’Éducation nationale sous Chaban-Delmas, on avait obtenu la création d’un CES et d’un lycée technique dans la commune, qui se sont construits sous ma responsabilité. Je me suis retrouvé premier adjoint chargé de l’urbanisme en 1983. Je me suis ensuite retrouvé maire suite au décès du maire, j’ai géré la ville pendant 8 ans de 1985 à 1993. J’ai été conseiller général en même temps.

À l’échelle nationale, je m’efface en 1974 quand Guichard quitte le gouvernement. Il s’oppose en effet à Jacques Chirac et se trouve même accusé de « trahir le gaullisme ». Cela m’a d’ailleurs causé des problèmes localement, puisque je me suis trouvé en minorité, continuant à soutenir Guichard, alors que la majorité avait pris le parti de Chirac. J’étais d’ailleurs membre du Conseil national. J’ai d’ailleurs démissionné avec fracas de mes responsabilités de Président départemental du parti, ne voulant pas trahir Guichard à qui je devais toute ma carrière politique. En plus je n’étais pas du tout d’accord avec Chirac. Mais, avec mes collègues suppléants, on tente un baroud d’honneur, puisqu’à l’époque le statut de suppléant n’était pas fixé au parlement. On voulait qu’il change. Dans mon expérience de parlementaire j’avais fait une observation. Il y avait deux types de députés. Ceux qui restaient à Paris et qui menaient un intense travail parlementaire. Ils ne voyaient jamais leurs électeurs et en général, n’étaient pas réélus. Puis il y avait ceux qui restaient dans leurs circonscriptions, dans les bistrots. On ne les voyait jamais à Paris. Je pensais que l’élection d’une équipe ayant les mêmes droits aurait pu fonctionner. L’un se spécialisant dans les questions parlementaires, l’autre plus présent dans la circonscription… Bref, il y avait un travail pour deux. Ca n’est pas passé, on a traîné un ou deux mois, puis ne voyant rien venir, j’ai démissionné. On s’est représenté avec Guichard, on a été élu. Guichard m’a d’ailleurs remercié. Je sais que certains titulaires ont dans leur coffre-fort à la chambre les lettres de démission de leur suppléant… (rires)… Pour Guichard, ce n’était pas le cas. Il m’a d’ailleurs laissé le choix, me disant, « si vous voulez continuer, continuez… ». J’ai répondu, « non, il n’en ai pas question ». Il a donc des mots assez gentils pour moi, voici la lettre, je vous la donne.

– À cette époque, député, comment percevez-vous le gaullisme, après 1968 ?

– C’est difficile de vous répondre. Au départ, je ne me rendais pas compte de l’attitude d’Olivier Guichard. En reconstituant certains événements, je me suis rendu compte que c’était un grand serviteur de l’État certainement, mais aussi un « égocentrique », comme tous ces gens qui font de la politique à ce niveau, et que pour lui, c’est d’ailleurs la règle, l’objectif était de gravir les échelons et d’aller le plus haut possible. Et là, cela les amène à certaines actions pas toujours correctes. En 1958, il n’a pas été nommé ministre, mais membre du Cabinet, non seulement parce qu’il n’avait été que secrétaire du Général et qu’il n’avait pas pour lui la stature requise encore, mais aussi parce que pour Madame de Gaulle, il avait une vie privée trop tumultueuse. Et donc Madame de Gaulle avait dit, « il n’est pas question que l’on en fasse un ministre ». Il le savait et donc il se retrouve à l’OCRS.

– Il vous l’a raconté…

Non, mais je l’ai lu, et les bruits circulaient… Avec l’arrivée de Pompidou, duquel il est très proche, il est nommé à la DATAR. Quand de Gaulle est réélu président, Guichard aurait dit : « hélas »… (rires). Cela m’a été rapporté. Guichard entre alors en opposition avec Marcellin et Delouvrier, chargés des villes nouvelles. Une fois élu député en 1967, Guichard devient enfin ministre, ce qu’il souhaitait depuis longtemps. En 1969, il joue un rôle important, puisqu’avec Jeanneney, il met en place le projet de référendum. Après l’échec, il ne revoit plus jamais le Général. De Gaulle lui en voulait un peu de cet échec. Enfin, je crois.

– Vous êtes proche de Guichard alors, vous le voyez…

– Bien sûr, on fait campagne ensemble. Il était très pour. J’y croyais aussi beaucoup. L’histoire du Sénat c’était moins net. Mais la régionalisation nous paraissait indispensable. Nos relations étaient donc excellentes tant sur le plan des idées que sur l’action. On se répartissait très bien le travail.

– Donc vous avez une forte implication dans le mouvement gaulliste sur place…

– Nationalement aussi. Je participe aussi aux travaux de la Commission de la défense, je visite les principaux sites. Je m’intéressais au sujet, comme réserviste, même si j’ai quitté l’armée assez vite. Puis je suis passé aux affaires culturelles et aux affaires sociales. J’ai proposé deux projets de loi, notamment l’une que j’avais baptisé « ré mi fa » : « réforme de la fiscalité basée sur la notion de revenu minimum familial ». Giscard était ministre et je lui ai suggéré la réforme, elle est partiellement reprise par Raymond Barre, avec la notion de « revenu différentiel de complément familial ». En voici une seconde, je propose de transformer « le droit à bâtir en valeur mobilière ». En effet, quand les élus décident qu’un terrain est constructible… ils créent une plus-value énorme, qui n’est pas justifiée. Donc j’essayais de résoudre le problème.

– C’est une approche très sociale…

Oui, mais quand on est pharmacien d’officine, surtout à l’époque, on voyait des situations difficiles… Les familles étaient parfois arriérées, certaines femmes portaient encore des coiffes. On me demandait, comme pharmacien, de les toucher… vous savez ce pouvoir, les gens insistaient, je finissais par accepter.

– En 1969, Guichard est proche de Pompidou, vous faites campagne pour lui ?

Oui. Nous fonçons derrière sa candidature… Pour tout vous dire, je ne l’aimais pas trop. Il m’avait reçu comme jeune député, pour savoir comment nous avions compris les événements de 1968. Je lui ai dit qu’il ne fallait pas « mettre le couvercle sur la marmite », et qu’il y avait certainement des choses à prendre. Il n’a rien pris du tout, et donc, j’ai été quand même déçu. Mais, bon, comme tout le mouvement suivait, Guichard suivait, j’ai effacé mes réticences. Mais, je n’ai pas aimé l’homme. Mais, il avait une grande culture.

– 1973, vous siégez de nouveau. Puis vient l’élection présidentielle de 1974. Vous soutenez Chaban ?

– On soutient Chaban. Pompidou se méfiait un peu de Guichard. Il le trouvait trop indépendant et trop proche de Chaban. Guichard savait que sous Pompidou il ne serait pas Premier ministre, ce qui était son ambition. Aussi, il mise sur Chaban assez vite, notamment en 1974. Personnellement, j’avais beaucoup d’admiration pour Chaban, quand il était Premier ministre, il avait été dit des choses indignes sur lui à l’Assemblée. Avec les jeunes députés, on le soutenait. On s’est presque « engueulé » avec les plus anciens dans le mouvement. J’étais très pour la Nouvelle société bien sûr. Je trouve que la « troisième voie », c’est ce que le gaullisme a loupé, malheureusement, à cause de Pompidou.

– C’est important ce que vous me dites là ! Le projet de Nouvelle société a mauvaise presse habituellement…

– Oui, alors que de Gaulle avait bien vu les choses… Est-ce que Chaban avait mal présenté les choses ? Le personnage était particulier, il pouvait déplaire à certains. Sans doute… Mais les idées étaient belles.

– Donc vous faites partie des minoritaires.

– Oui, tout à fait. J’étais targué de gaulliste de gauche. Cela ne déplaisait pas à Guichard, qui était un « baron », taxé plus à droite ; car cela nous rendait complémentaires, on élargissait notre clientèle.

– Comment cela passe-t-il au niveau national, quand on est considéré comme « gaulliste de gauche », dans le mouvement ?

Au niveau des militants, ils y croyaient, ils suivaient le projet de Nouvelle société. Il faut savoir qu’il y avait dans le mouvement gaulliste à l’époque des ouvriers. De gens qui n’étaient pas forcément des notables. C’était très très populaire. Les discours que l’on faisait, il fallait les adapter à notre public, localement. Donc, à mon niveau local, les militants suivaient Chaban à fond. Ils ont été déçus après l’échec de la Nouvelle société, puis en 1974. D’ailleurs, on considérait que Giscard était à notre droite, pas à notre gauche. Parce qu’ils étaient moins nombreux. C’était des notables, des gens relativement nantis. J’avais de bonnes relations avec les Giscardiens du coin. J’ai participé à quelques réunions avec eux. Mais bon, on voyait bien la différence, la façon d’être, la courtoisie, l’habillement… ce n’était pas du tout la clientèle que l’on avait nous parmi les militants gaullistes. Certes, nous en avions aussi, mais ce n’était pas la majorité.

– C’était qui vos militants ?

– Nos militants, c’était des gens de la rue, de tout milieux, assez représentatifs de la société.

– Comment, l’année d’avant, aviez-vous vécu l’épisode Messmer ?

– L’épisode Messmer, bien, c’était un virage à droite. On l’a mal vécu, Guichard aussi d’ailleurs. Il avait de bons contacts avec lui, il avait des bons contacts avec tout le monde d’ailleurs. Mais, il y a eu un virage très net à droite. J’ai perçu directement la concurrence Messmer/Guichard. Pompidou a préféré Messmer, car il voyait une proximité très forte de Guichard avec le projet de la Nouvelle société.

– Guichard y croyait…

– Oui ! Il s’est dit Pompidou est mon « copain ». Il avait été plusieurs fois ministre. Il voyait son tour venir parmi les 5 ou 6 qui pouvaient y aller. Il y croyait. Il a été blessé par Pompidou. Pour le consoler, on lui fait alors un ministère… (rires), sur mesure : l’aménagement du territoire, le logement, le tourisme ! C’était vraiment ce qu’il souhaitait… puis cela dure un an.

– 1974… la présidentielle donc

– Oui, mais, il faut préciser quelque chose d’abord. À l’époque, un bruit courait. Moi je n’en sais rien, je n’avais aucun différent avec Guichard. Il y avait eu l’affaire Markovitch, pas très nette, à cause de Madame Pompidou et ses relations avec un certain milieu. Guichard, qui était assez cavaleur, fréquentait le même milieu (c’est un signe de bonne santé)… Il connaissait même mieux Madame Pompidou que son mari. Bref, quand l’affaire éclate, il n’a pas soutenu Pompidou, ni Madame Pompidou, ni quand elle sera veuve d’ailleurs après. Certains considéraient qu’il avait trahi Pompidou. Est-ce que Pompidou lui en a voulu ? Je n’en sais rien. Le résultat est que… il y a eu cette chose entre eux.

Durant la présidentielle donc, on soutient Chaban, car Guichard espère enfin devenir Premier ministre. Même raisonnement chez Chirac qui soutient Giscard pour les mêmes raisons. Et on perd. Ça été très dur.

– Vous le vivez comment ? Cette « trahison » de Chirac ?

Très mal. Il y avait cette influence très néfaste des amis de Pompidou, ses conseillers qui agissaient par-derrière, Pierre Juillet, Marie-France Garaud. Les barons du gaullisme ont été lessivés, mis sur la touche, cela a été très net à cette époque-là. Donc on s’est ressenti très marginalisé, Guichard, puis moi, indirectement, bien sûr.

– Comment les militants le vivent-ils à la base ?

Ils ont été très favorables à Chirac. C’était un jeune. Il avait beaucoup de prestance. Très efficace, très simple, très chaleureux de contact. Je n’ai pas le souvenir de l’avoir vu dans notre secteur. Moi aussi, j’étais impressionné par son dynamisme. Son efficacité. Je n’avais pas apprécié son coup en 1974, son arrivisme. Mais bon, il faut être réaliste en politique, une fois que c’est arrivé, il faut y aller. On avait quelqu’un de jeune, de dynamique, qui a des idées. Les militants ont appris le refrain Chirac. On a joué la carte Chirac. Guichard jamais ! Mais bon, on a joué le sens du courant. Mais Guichard est évincé des postes ministériels sous Chirac, et donc moi je quitte l’Assemblée nationale. Guichard fait alors campagne pour la région, car le président de la région des Pays de la Loire, Ansquer, devient ministre.

Guichard veut s’arrimer localement. Sa force a été de se dire, « malgré ma stature parisienne on m’accepte localement, mais maintenant que je suis marginalisé à Paris, je dois trouver un crédit régional, pour retrouver un arrimage parisien ». Donc il joue un jeu de bascule subtil. À Paris, il est le président de la région PDL, sur place, il joue le rôle de l’ancien ministre qui vient de Paris. Donc on a appelé ça « la Guichardie », à partir d’octobre 1974. De septembre 1976 à avril 1978, je redeviens député, Olivier Guichard étant ministre d’État, Garde des sceaux. J’ai pour mission de « mettre au pas » les chiraquiens de l’UDR.

– Vous siégez à la région ?

Oui deux ans, à la préfecture. Puis Guichard a fait construire l’Hôtel de région. Cela ne m’intéressait pas. Je n’avais pas d’ambition politique. Après le départ du Général, je suis allé de déceptions en déceptions. D’ailleurs, mes relations avec Guichard se détériorent. Jusqu’en 1980, nous avions d’excellentes relations amicales et politiques. Après, nos relations vont de plus en plus mal, pour une raison simple. En 1990, il me dit, « je ne vais pas me représenter, donc implantez-vous bien ». Je prends la mairie de Guérande. Il me conseille de développer Guérande, ce que je fais. En 1993, je me prépare pour l’élection législative. Guichard refuse de céder sa place. Mais nous repartons quand même ensemble. Entre-temps, j’avais divorcé. Et je n’avais plus été son suppléant dans les années 1980. Il avait pris un conseiller général de Pontchâteau. Mais, il est décédé. En 1993, craignant de ne pas être réélu, il fait appel à moi d’autant plus que l’affaire du « Sivom » de La Baule/Guérande n’est pas loin d’éclater et que nous savions qu’elle allait sortir. Je lui ai rappelé que depuis le début des années 1980, il m’annonce qu’il allait me céder sa place. Il me dit, « encore cinq ans, patientez… ». Je refuse, il évoque les problèmes de son château à Néac, etc. Je refuse, mais les militants font pression sur moi : « vous ne pouvez pas laisser tomber Guichard ». Alors, je cède, bêtement… Je me rappelle que je finissais certains discours à propos de lui, évoquant « un homme honnête, irréprochable, qui avait beaucoup apporté à la région… ». Or, quatre mois après, scandale, un trou de six millions dans les caisses du SIVOM. J’apparais comme le bras droit de Guichard et je le paie aux élections cantonales qui suivent où je suis battu. J’en prends acte, et je ne me représenterai plus aux municipales. Je quitte la vie politique et revient à la pharmacie, par la branche de la pharmacie d’une clinique psychiatrique. Guichard le paiera aussi, puisqu’il quitte la politique en 1995.

– Vos relations sont mauvaises ?

Oui, ce que les gens ignoraient. Tout part d’une affaire locale. Guérande se développe beaucoup à ce moment-là. La Baule stagne à 15 000 habitants, et Guérande se développe passant à 18 000. On a une politique culturelle dynamique, notamment dans la musique classique… La Baule en voulait beaucoup à Guichard. Les militants lui répétaient souvent : « mais pourquoi ne faites-vous pas comme à Guérande ! » Quand il arrivait le week-end, cela l’agaçait beaucoup. Mais surtout, j’ai défendu beaucoup les paludiers pour sauver les marais salants. Cela ne lui a pas du tout plu. J’avais même obtenu des élus du SIVOM leur appui pour la défense du maintien de l’activité (subventions, formations…), contre l’avis de Guichard.

– Pourquoi cette hostilité ?

Parce que depuis son arrivée en 1968, il a l’idée de construire dans les marais, ce qu’il a fait dans le Languedoc-Roussillon, construire des marinas ! Les paludiers vieillissaient, seulement un tiers des marais étaient exploités. Il me présente alors une étude de la CTM (Compagnie des grands travaux de Marseille), qui prévoyait de séparer les terres des marais salants en trois îles. Il y a eu une spéculation terrible sur les terres des marais. Nous n’étions pas d’accord avec les maires voisins. On a essayé de le convaincre que des plages comme à la Baule, les démultiplier ne servait à rien, on n’est pas dans le sud de la France, le soleil manque… Alors que les marais salants c’est unique. On le lui a dit : « c’est votre carte, le sel de Guérande… ». Or cela a effectivement marché, on manque aujourd’hui de marais pour satisfaire la demande. Il m’en a voulu.

Il m’en a aussi voulu pour d’autres dossiers. Un jour lors d’une réunion, il m’a lancé une pique sur des constructions de bâtiments. Je n’ai rien dit. Mais, j’ai répondu lors d’une réunion, de l’assemblée annuelle des maires du Département de Loire-Atlantique, qu’il présidait. Je lui ai posé la question suivante. « Monsieur le président vous défendait l’arc Atlantique qui part de l’Écosse jusqu’au Portugal. C’est une belle idée. C’est bien pour se promener. Mais votre arc il n’a pas de flèche, pourquoi ? Or regardez, les Américains, ils ont fait de Saint-Nazaire leur port principal pour le débarquement de leurs troupes après chaque conflit mondial. Ce port me paraît bien placé. Quand on regarde le kilométrage entre Francfort et Rotterdam et Francfort et Saint-Nazaire, seulement 200 kilomètres d’écart. Pourquoi ne pas créer une grande liaison entre l’Europe allemande et le port de Nantes Saint-Nazaire. Car, en plus le « Channel » est dangereux d’un point de vue de la navigation. La preuve en est que le pipeline de l’OTAN évite la Manche (il passait à Piriac). Si vous ne l’avez pas fait c’est volontaire. Dites-nous pourquoi ? ». Cela a jeté un froid, il m’en a voulu. Car je savais pourquoi. Lyon, si on avait construit cet axe aurait peut-être pris le dessus sur Paris. Or, les Parisiens n’en voulaient pas.

Pouvez-vous revenir sur l’affaire du SIVOM ?

Un administratif pur avait détourné 6 millions je crois. La technique de Guichard, au SIVOM comme à la région, fut de choisir des hommes à lui. Des techniciens. Il se méfiait des élus. Il demandait à ces hommes de gérer la région, la mairie, le SIVOM comme des préfets. Alors quand vous avez des hommes honnêtes ça va. Quand ce n’est pas le cas… Or X avait au SIVOM les coudées franches. Sur le plan financier, la commission des finances ne se réunissait qu’une fois par an. L’administrateur arrivait avec les documents, on entérinait les données en regardant ce qu’il advenait pour nos communes, et il faisait passer ce qu’il voulait. Guichard lui faisait confiance. Or, il s’est fait jouer. On s’est retrouvé aux assises comme témoins. L’administrateur a fait de la prison. Cela a fait beaucoup de bruits à l’époque et a porté tord à Guichard.

– À cette époque vous restez au RPR ?

– Oui, mais… il y a eu encore un mauvais coup… Lorsque je me représente aux cantonales, j’avais un bon bilan, j’avais obtenu pas mal de subventions pour le canton… Bref, il me lance « quelqu’un dans les pattes ». Un jour, un homme vient me voir à la mairie de Guérande et me dit : « je viens me présenter contre vous aux élections cantonales ». Je lui demande : « vous êtes de quel parti ? du même que vous ! Vous vous appelez comment ? Il me donne son nom. Je lui réponds, mais vous n’êtes pas inscrit ici. Non je suis inscrit à Paris ». Il me fera mal. Au premier tour, j’avais le soutien, des RPR du coin, des jeunes RPR, et des giscardiens. J’avais le candidat du PS en face. Et ce type qui pouvait se maintenir. Bref, entre les deux tours, la différence est proche. J’ai reçu des pressions du RPR de Nantes et de Guichard pour me retirer. Et je perds le soutien du RPR. Je réponds alors à Guichard, je préfère l’élection d’un candidat honnête de gauche, qu’un malhonnête de droite. La presse l’a repris. Bref, je choisis de me maintenir, je suis battu de 20 voix. J’ai demandé à Elisabeth Hubert, patronne du RPR local, pourquoi le parti avait changé de candidat entre les deux tours. Elle m’a répondu : « j’ai reçu un coup de téléphone d’Olivier Guichard ».

– C’était bien le Patron du RPR local ?

– Oui ! C’est lui qui manœuvrait les investitures… Cela s’est plutôt mal terminé entre nous. Je ne suis pas allé à ses obsèques. Je quitte le RPR le lendemain de cet échec aux cantonales. Je me retire de la vie politique. Je ne me représente pas à la mairie. Et je retrouve une activité de chercheur.

– 25 ans de vie politique…

– 25 ans de vie politique. 18 très proche de Guichard. 7 avec des tensions, cela se termine en queue de poisson.

– Quel bilan ?

– Au niveau national, ce qu’a pu faire le gaullisme a été important. Au point de vue local, là aussi, le bilan est positif. Grâce à Guichard, on a eu des subventions, on a pu faire beaucoup de choses, c’est certain. Sur le plan personnel, c’est extraordinaire : député, par hasard… cela m’a aussi permis de changer de femme, de me remarier avec une attachée parlementaire…

– Le gaullisme s’est mal implanté dans la région. Pourquoi ?

Parce que l’ouest est très chrétien démocrate. C’est curieux d’ailleurs parce que de Gaulle est très croyant. Mais l’image du couple est trop à droite pour une région très ouvrière, et où le monde paysan est combatif. Moi, les deux fois où j’ai été pris en otage… coincé dans une pièce, cela a été pour une histoire de prix du lait, j’ai dû défiler en tête des dirigeants syndicaux de la FDSEA à Guérande suivi par des camions de fumier. La seconde fois c’était par les paludiers qui voulaient que je fasse pression sur le sous-préfet. Ils étaient de tendance chrétienne. Donc marqués à gauche.

– Le département bascule à gauche. Est-ce que la mal implantation du gaullisme l’explique ?

Guichard n’a rien fait pour implanter le gaullisme, notamment au niveau municipal. Je me souviens d’André Morice, maire de Nantes, qui un été à La Baule me dit, « j’aimerai bien que Guichard prenne ma suite ». Je ramène cela à Guichard. Hors de question, je ne veux pas m’embêter de la gestion d’une grande ville. Et, il se désintéressait totalement de la politique nantaise. Et effectivement, le gaullisme, la droite même, n’a jamais eu de bons candidats à Nantes. Maire de Nantes c’est un sacerdoce. Voir les choses de haut et de loin, oui. Mais s’impliquer dans le local, non, il ne voulait pas…

– Quel est votre regard sur la vie politique aujourd’hui ?

Je suis favorable à Sarkozy ! Je déplore l’implication des fonctionnaires dans la vie politique. Je crains que Sarkozy n’y arrive pas. J’ai une vision assez pessimiste des choses.

Notes

1 Suppléant d’Olivier Guichard aux élections législatives de 1968, député de 1968 à 1974. L’entretien a été réalisé dans le cadre de l’ANR Gaulhore, le 28 avril 2009 par Laurent Jalabert. Durée de l’entretien 1H15.

2 Il s’agit ici de la poche de Saint-Nazaire où les combats se poursuivent jusqu’en 1945.

3 Elu en 1962, Pierre Litoux s’est déjà effacé en 1967. Devenu suppléant d’Olivier Guichard, il continue à siéger, ce dernier étant nommé ministre de l’Industrie.

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