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Connaître l'Antiquité

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Corinne Bonnet
, 
Véronique Krings
, 
Catherine Valenti

Troisième partie. L'entrelacement des réseaux personnels et institutionnels

Jeux d’influence sur le terrain archéologique tunisien (XIXe-XXe siècles) : l’École française de Rome à l’épreuve de l’histoire

Clémentine Gutron

Texte intégral

  • 1 Cf. Jeux généalogiques sur l’Antiquité : l’archéologie en Tunisie (XIXe-XXe siècles), Paris, Karth (...)

1Dans le cadre de mon travail de thèse, je me suis attachée à analyser les différents enjeux (savants, politiques, identitaires, économiques) qui entourent la constitution d’une archéologie institutionnelle en Tunisie, tant coloniale que post-coloniale1. Durant la phase documentaire de cette recherche, que j’ai conduite selon une démarche généalogique, c’est à dire en interrogeant cette histoire à partir d’observations de l’aujourd’hui, l’École française de Rome (notée EFR) s’est rapidement imposée, au regard de la production scientifique à la fois livresque – avec un nombre important de publications – mais aussi sur le terrain – où plusieurs chantiers de coopération sont en cours à Pupput ou Jebel Oust notamment – comme un acteur de premier plan dans cette affaire. Seule une perspective historique permet de comprendre pourquoi cette institution est effectivement fortement présente dans le paysage archéologique tunisien mais aussi pourquoi elle apparaît, par ailleurs, dans les témoignages des chercheurs et des gestionnaires du domaine comme un partenaire de coopération privilégié, jouissant, de surcroît, d’un crédit de sympathie tout particulier.

2Pour inscrire cette contribution dans les axes de recherche énoncés dans le programme sur « L’Antiquité en réseaux », je me suis plus intéressée au comment qu’au pourquoi, c’est-à-dire, à la manière dont l’EFR s’est implantée en Tunisie et a pu, et a su, maintenir une influence prépondérante en traversant des périodes de crises ; autrement dit à la manière dont un réseau fonctionne sur une longue durée, à la manière dont il se construit et se redéfinit si nécessaire. C’est à partir de sources variées (production savante, entretiens avec des acteurs du monde archéologique et documents d’archives) que j’ai pu mettre en relation une histoire générale, politique, de la Tunisie avec une histoire plus particulière, celle des institutions archéologiques, en cherchant à éclairer le rôle joué par l’EFR dans l’évolution des structures de recherche ainsi que dans les inflexions de la politique scientifique riches de résonances sur les relations de coopération franco-tunisiennes.

3J’ai volontairement mis l’accent sur les périodes où les cartes se redistribuent pour retracer la dynamique d’un réseau aux ramifications multiples – scientifiques bien sûr mais aussi diplomatiques ou carrément politiques – et aux incarnations déclinables : le réseau EFR peut se lire à travers l’action de ses directeurs successifs, de ses membres, collaborateurs, courtisans ou rivaux, en sachant qu’en fonction des situations, le rôle des uns et des autres est conduit à évoluer.

De l’établissement du protectorat à la Seconde Guerre mondiale : implantation de l’EFR en Tunisie et pérennisation de son influence

  • 2 Cf. A. Merlin, « L’histoire et l’archéologie de l’Afrique du Nord », in L’Histoire et l’Œuvre de l (...)

4Alors que les possibilités de recherche de l’EFR, fondée en 1873, sont limitées sur le territoire italien après l’Unité, elles se voient considérablement accrues avec l’extension de la colonisation française en Afrique du Nord. Une révolution s’opère : les archéologues détournent leur regard des sites de la péninsule farouchement gardés par le jeune État italien et fixent leur attention Outre-Méditerranée. Rome est étudiée via ses colonies. Les anciennes provinces africaines de l’Empire romain fournissent une matière, neuve et dense, à la science française2. L’EFR, placée sous l’autorité scientifique de l’Académie des inscriptions et belles-lettres, a d’abord conquis le terrain algérien : Alger et son École supérieure des lettres, créée en 1880, deviennent une base pour de nombreux « romains ».

5Avec l’établissement du protectorat français en Tunisie (1881) et la mise en place de structures de recherche, un nouveau pôle vient s’ajouter à l’axe institutionnel de l’archéologie romaine, Paris-Rome-Alger. Un ancien « romain » est placé à la tête du nouveau Service des antiquités de Tunisie créé en 1885 : René-Marie Moulin Du Coudray de La Blanchère, enseignant de la faculté des lettres d’Alger, y conduit une œuvre administrative fondamentale et novatrice en ce qu’il précise le cadre législatif et institutionnel de l’activité archéologique en Tunisie. Il saura, en outre, jeter les bases d’une collaboration resserrée avec l’EFR dont il a été membre (1878-1881). De fait, une pratique s’instaure qui consiste à envoyer, chaque année, une ou deux jeunes recrues du Farnèse effectuer une fouille sur l’un des sites antiques de Tunisie. Jules Toutain au Bou Kornine et à Chemtou, Auguste Audollent à Carthage, Charles Diehl qui fait une tournée étudiant les vestiges byzantins du pays, Léon Homo à Dougga, Jérôme Carcopino à Aïn Tounga sont tous accueillis dans ce cadre et apparaissent, à ce titre, comme les premiers représentants d’une tradition qui va perdurer au-delà du protectorat.

  • 3 Cf. entre autres : Le sanctuaire de Baal et de Tanit près de Siagu, Paris, Leroux, 1910.
  • 4 Publiées respectivement en 1956 et 1958 à Paris chez Corrêa – Buchet/Chastel et Hachette.

6Mais la marque de l’École de Rome sur l’archéologie tunisienne dépasse significativement le cadre limité de missions ponctuelles : quasiment tous les directeurs des Antiquités de Tunisie furent d’anciens « romains » – outre La Blanchère (1885-1890), citons Alfred Merlin (1905-1920), Gilbert Charles Picard (1942-1955) et Edmond Frézouls (1955-1956). Le poids de cette spécialisation en archéologie classique a logiquement influencé les travaux dirigés en Tunisie : une prédilection marquée pour l’étude de la période romaine est manifeste tout au long du protectorat. Orientation qui a évidemment rencontré un accueil favorable dans le contexte politique du moment où se répétait à l’envi que la France était l’héritière légitime de Rome dans les anciennes provinces africaines de son empire. Mais, faire de cette tendance générale une réalité absolue serait une simplification réductrice. Même si leur formation à l’archéologie classique et l’idéologie ambiante invitaient les archéologues à axer leurs recherches sur le niveau romain, la matérialité des vestiges pré et post romains s’imposait à des esprits qui plus est curieux de comprendre l’histoire de la Tunisie antique sur une longue durée. Chaque responsable administratif a pu donner des inflexions significatives à la politique de recherche développée par la petite structure que représentait le Service des antiquités. Merlin s’est ainsi intéressé aux pratiques religieuses carthaginoises3 et Picard a favorisé le développement des études puniques par ses recherches sur les sites de Carthage et de Mactar notamment ; ses synthèses sur la civilisation carthaginoise comme Le monde de Carthage ou La vie quotidienne à Carthage au temps d’Hannibal4, certes qualifiées de romano-centrées aujourd’hui, ont néanmoins participé à faire du domaine punique une spécialité à part entière.

L’après-guerre : quand l’ordre archéologique est ébranlé

7L’École de Rome qui avait réussi à placer progressivement ses pions sur l’échiquier archéologique tunisien rencontre quelques difficultés à l’après-guerre : les revendications nationales s’affirment et l’hégémonie de l’archéologie classique est battue en brèche.

  • 5 Cette instance est créée en 1945, cf. È. Gran-Aymerich, « La Commission des fouilles au ministère (...)
  • 6 « Les circonstances actuelles font que ce statut [celui de la Direction des antiquités], qui n’a j (...)

8Gilbert Charles Picard (membre de l’EFR entre 1938-1940) arrivé dans le pays en 1942 pour assurer, par intérim d’abord, la fonction de directeur des Antiquités – poste vacant depuis le départ à la retraite de Louis Poinssot – est officiellement nommé directeur de cet organisme en 1946. D’emblée, il réfléchit aux dispositions à prendre pour protéger cent ans de recherche française d’une probable accession à l’indépendance de la Tunisie. En effet, la Direction des antiquités, liée au gouvernement tunisien, pourrait échapper à la mainmise française dans un futur qui est alors ressenti comme proche. Dès le mois d’octobre 1947, il alerte l’orientaliste Claude Schaeffer, secrétaire général de la Commission des fouilles du ministère des Affaires étrangères5, de l’urgence des mesures réformatrices à adopter. Il lui soumet le projet de l’établissement d’une mission archéologique française en Tunisie6 – équivalente à celle fondée par Maurice Dunand à Beyrouth en 1946. Cet organisme, entendu comme exclusivement français, constituerait un filet opportun en cas de chute du protectorat. La Mission, mise en place en 1947, vient réparer ce qui, avec le temps, était devenu, aux yeux de l’archéologie française, une erreur stratégique institutionnalisée.

  • 7 René Dussaud, secrétaire perpétuel de l’Académie des inscriptions et belles-lettres, fait part de (...)

9Gilbert Picard cumule ainsi les fonctions de directeur des Antiquités de Tunisie et de chef de la Mission archéologique secondé par Pierre Cintas, respectivement inspecteur et secrétaire général de ces deux organismes. Leurs travaux se concentrent sur les sites de Carthage, d’Utique et de Mactar. Les domaines des études romaine et punique constituent donc l’essentiel de l’activité de la Mission et, par voie de conséquence, de celle de la Direction des antiquités. Or, la prédominance de ces spécialités n’est pas sans irriter les lettrés tunisiens qui revendiquent alors fermement l’identité arabo-musulmane du pays. La censure ayant été supprimée en 1947, les critiques fusent, relayées par une presse à large diffusion7.

  • 8 Sur leur rôle dans l’institution de ce département cf. A. Beschaouch, « En souvenir de William et (...)
  • 9 Chargé de cette fonction à partir de janvier 1948, il s’est vu confirmé dans ce grade en mars 1951 (...)

10Face à la pression nationaliste, l’Instruction publique est invitée à revoir sa politique. La résidence générale adresse un communiqué au Quai d’Orsay suggérant au ministère de recruter un spécialiste du monde arabo-musulman pour le poste de directeur de l’Instruction publique dont dépend la Direction des antiquités. En septembre 1948, Lucien Paye (1907-1972), normalien agrégé de lettres et auteur d’une thèse sur l’enseignement au Maroc, est appelé à cette fonction. Cet ancien socialiste, qui deviendra ministre de l’Éducation dans le gouvernement de Michel Debré (1961-1962), est chargé de mettre à profit ses connaissances sur les questions nord-africaines pour modifier la politique de son service en fonction des revendications syndicales et politiques locales. Une réelle inflexion se profile alors dans le domaine de la recherche archéologique. L’année de sa prise de fonction, un département d’archéologie musulmane est créé au sein de la Direction des antiquités grâce aux démarches insistantes des frères Marçais8. Cette restructuration institutionnelle significative s’accompagne d’une autre mesure inédite : pour la première fois, un Tunisien accède à un poste de responsabilité au sein du Service des antiquités. Slimane Mustapha Zbiss devient inspecteur des Antiquités musulmanes en 19489. Une révolution archéologique est entamée. Archéologues français et tunisiens vont lutter : les uns pour le maintien, coûte que coûte, de leurs positions, les autres pour la conquête de ces dernières.

11Mais la place faite à l’archéologie médiévale dans le Service des antiquités de Tunisie ne répond cependant évidemment pas uniquement à la pression politique ambiante : elle est l’expression d’une évolution assez générale, interne au domaine de l’archéologie qui connaît des mutations profondes après la Deuxième Guerre mondiale avec l’affirmation de nouvelles spécialités. En Tunisie, la domination de l’archéologie romaine est ébranlée à la fin des années 1940. Le temps d’une réorganisation et d’une répartition nouvelle est advenu : après la création de l’inspection des Antiquités puniques, s’ouvrent donc coup sur coup, le département des Antiquités musulmanes et celui des Études préhistoriques. Ce rééquilibrage institutionnel de la représentation des différentes périodes historiques implique des rivalités. Pierre Cintas se fait par exemple l’avocat de la cause de l’archéologie punique :

  • 10 P. Cintas à J. Roche. Lettre du 16/09/1954. Archives de l’Institut français de coopération de Tuni (...)

« Il [Picard] a tenté de me faire croire que l’archéologie romaine primait sur toutes les autres en Afrique du Nord – ce contre quoi je m’inscris en faux, étant bien entendu que seuls les moyens ont manqué aux préhistoriens et aux protohistoriens jusqu’à présent pour leur permettre de démontrer le contraire, qu’incidemment des découvertes fortuites telles celles de Korba ou de Thinissut ont, par exemple, livré une série de statues de divinités dépendant d’un panthéon autrement plus intéressant que celui du Capitole, statues qui, en elles-mêmes, représentent quelque chose d’autrement appréciable que les Vénus romaines de marbre dont les catalogues sont encombrés10. »

L’autonomie interne : vers une nouvelle répartition des pouvoirs archéologiques

12En octobre 1955, Picard quitte Tunis pour l’université de Strasbourg où il est promu maître de conférences en histoire romaine. Le poste de directeur des Antiquités est vacant et la question de sa succession problématique. Avec la signature de la convention culturelle, incluse dans les conventions du 3 juin 1955 chargées de définir les rapports franco-tunisiens à la suite de l’autonomie interne (juillet 1954), les positions archéologiques françaises sont menacées en dehors du cadre de sa Mission.

13Au siège de la direction des Antiquités, situé dans l’ancienne caserne des janissaires de la rue de l’Église à Tunis, l’atmosphère devient pesante. Slimane Mustapha Zbiss, inspecteur des Antiquités musulmanes, brigue ouvertement le poste de directeur de cet organisme. Son rival est Edmond Frézouls. Le contraste entre les deux hommes est grand. Zbiss est Tunisien, Frézouls, Français. Le premier est un autodidacte, le second est le produit archétypique de l’académisme français : élève de l’École normale supérieure, agrégé de lettres, membre de l’École de Rome (1949-1951), pensionnaire de l’Institut de Beyrouth. L’un est spécialiste d’archéologie islamique, l’autre d’archéologie romaine. Si les divisions au sein du monde de l’archéologie française ont été rapidement gommées du fait de l’omnipotence du camp Picard, les divergences agitant le milieu embryonnaire de l’archéologie tunisienne sont lourdes de conséquences. L’appartenance politique de ses membres contribue fortement au dessin du paysage scientifique en cours de construction. La lutte intestine entre bourguiguistes et youssefistes qui divise alors la Tunisie a des répercutions sur le terrain archéologique. Pour Jeloulli Farès, universitaire et militant actif du Néo-Destour qui intègre le nouveau gouvernement formé le 17 septembre 1955 en tant que ministre de l’Enseignement, Zbiss, autodidacte et youssefiste, cumule les mauvais points. Le fervent défenseur de la cause tunisienne préfère donc nommer Frézouls plutôt qu’un compatriote du courant dissident à la direction des Antiquités.

  • 11 Noël Duval a bien voulu nous préciser les choses : à propos de Frézouls « ce cursus qui s’esquissa (...)

14Cette nomination est à mettre en relation avec les choix opérés au musée du Bardo. En vertu de l’accord signé entre l’Instruction publique de Tunisie et l’EFR, le poste de conservateur du Bardo est réservé à un ancien « romain ». Or Pierre Quoniam, en charge de cette fonction depuis 1948, est nommé assistant en Sorbonne. En l’absence de candidat au profil adéquat, ce poste est confié à un intérimaire. En janvier 1954, Jean Bayet, directeur de l’EFR, présente à Lucien Paye, directeur de l’Instruction publique de Tunisie, deux candidats potentiels à la succession de Quoniam : Edmond Frézouls et Maurice Euzénnat. Le second étant appelé à la direction des Antiquités du Maroc, le premier reste en liste. Entre temps, Noël Duval, alors membre de l’EFR, s’est rendu en Tunisie aux mois de mai-juin 1954 pour y effectuer un stage au cours duquel il a pu montrer son intérêt pour l’Afrique du Nord. L’École de Rome et la direction de l’Instruction publique dressent ainsi leur plan : Frézouls sera conservateur au Bardo puis directeur des Antiquités, Duval suivra, en décalé, ce même parcours11. Mais ces projets, dont la prise en compte de l’évolution politique de la Tunisie fait défaut, n’aboutissent pas. C’est à Abdelaziz Driss, professeur d’histoire au collège Sadiki, universitaire et destourien, que revient la direction du Bardo. Le ministre de l’Éducation fait coup double : il satisfait l’opinion publique en nommant un Tunisien au Bardo – et compense ainsi la promotion de Frézouls à la direction des Antiquités – et assure les positions des bourguibistes, grâce à Driss, inquiétées par les ambitions affirmées des youssefistes, représentés par Zbiss. De cette manœuvre, Driss ressort, au début de l’année 1956, conservateur au musée du Bardo, et devient ainsi le premier Tunisien titulaire de ce poste.

L’indépendance ou la nationalisation de l’archéologie ?

  • 12 E. Frézouls à L. Chebbi. Lettre du 20/04/1956. Archives EFR, dossier Tunisie (hors cotation).

15En moins d’un an, la Direction des antiquités va disparaître dans des conditions précisément dramatiques. Rue de l’Église, l’affrontement entre Frézouls et Zbiss gagne en intensité : ce fut une guerre de tous les instants, « une guerre parfois picrocholine » selon Noël Duval qui en a été le témoin. En avril 1956, le directeur des Antiquités s’adresse à Lamine Chebbi, nouveau ministre de l’Éducation nationale, pour demander que son subalterne, inspecteur des Antiquités musulmanes, soit suspendu de ses fonctions. Une telle requête répond à la gravité des agissements reprochés. La prise du pouvoir archéologique n’exclut aucune mesquinerie : « la serrure de la porte extérieure du Service a été changée pendant la nuit et ma clé n’ouvre plus » dénonce Frézouls qui se plaint encore d’espionnage12. Le quotidien du directeur des Antiquités semble infernal et son impuissance face à une situation qu’il n’est plus en mesure de contrôler le désole :

  • 13 E. Frézouls à J. Bayet. Lettre du 03/05/1956. Archives EFR, dossier Tunisie (hors cotation).

« Je suis comme une ombre dans cette Direction, sans autorité réelle, constamment espionné et nargué par ceux qui se croient maîtres de la situation […]. Bref, dans ce poste où je ne tiens que parce qu’il faut, à mes yeux, qu’un Français y reste en ce moment, je me sens absolument seul13. »

  • 14 « Le ministre de l’Éducation nationale a lu avec un grand étonnement un écho publié dans les colon (...)

16La mésentente entre les deux hommes attachés respectivement à la poursuite de la recherche française en archéologie et à la nationalisation de ce domaine aboutit à des situations vaudevillesques. Le matin du 19 avril 1956 dans la médina de Tunis, au sortir de la Direction des antiquités, Frézouls est interpellé par Zbiss qui l’accuse, devant une foule attroupée, de voler des pièces archéologiques de grande valeur. L’événement fait grand bruit : les représentants des plus éminentes autorités françaises – le haut commissariat – et tunisiennes – la présidence du Conseil – sont dépêchés sur place. Grâce à l’intervention de Charles Saumagne, spécialiste distingué de l’Afrique antique mais aussi secrétaire général honoraire du gouvernement tunisien, le ministre condamne officiellement la campagne calomnieuse menée par Zbiss en publiant un démenti dans la presse14. Cette réhabilitation revêt cependant un caractère purement formel : Frézouls est révoqué de ses fonctions de directeur des Antiquités peu après cet incident. Hassan Hosni Abdulwahab, spécialiste d’histoire médiévale, lui succède en devenant, en 1957, directeur du nouvel Institut national d’art et d’archéologie (INAA).

17Pour compenser cette perte d’influence significative, les archéologues français cherchent à renforcer leur Mission. L’idée de mettre en place un institut d’archéologie est notamment formulée par Alfred Merlin, secrétaire perpétuel de l’Académie des inscriptions, ancien membre de l’EFR (1900-1903) et ex-directeur des Antiquités de Tunisie, particulièrement sensible aux questions d’archéologie nord-africaine. Jean Bayet, directeur de l’École de Rome, plaide la cause de ce projet devant Georges Gorse, ambassadeur de France en Tunisie. La prise en compte de la souveraineté de l’État tunisien dicte la conception de l’institution imaginée. Les orientations de recherche sont élargies :

  • 15 J. Bayet à G. Gorse. Lettre du 11/03/1959. Archives EFR, dossier Tunisie (hors cotation).

« Il devrait être nettement spécifié que la préhistoire et la protohistoire relèvent des activités du Centre autant que l’histoire ancienne préislamique (punique, grecque, romaine, paléo-chrétienne, vandale et byzantine). Il resterait à discuter si, sans nuire aux études anciennes, qui restent l’essentiel, on ne pourrait étendre ces activités aux siècles islamiques15. »

18En renonçant à la prédominance de l’archéologie classique, les auteurs du projet pensent se prémunir contre les velléités nationales tunisiennes ; Jean Bayet précise à l’ambassadeur :

  • 16 Ibid.

« Il ne me paraît pas que le Gouvernement tunisien puisse prendre ombrage d’un type d’établissement admis avec avantage par maints pays des plus libres et des plus conscients à commencer par la Grèce et l’Italie : ils y trouvent honneur, enrichissement, relations scientifiques permanentes, émulation sans rivalité, sans nul risque de propagande politique16. »

  • 17 L’ambassadeur rapporte au directeur de l’EFR : « M. Messadi répugne de toute évidence à admettre l (...)
  • 18 Cette carence de spécialistes nationaux constitua en effet un obstacle majeur, plus ou moins recon (...)

19Mais ces aménagements ne suffisent pas à convaincre le nouveau ministre tunisien de l’Éducation nationale, Mahmoud Messadi, instigateur d’une vaste réforme de nationalisation de l’enseignement, qui exprime son opposition catégorique à l’établissement de ce Centre à l’ambassadeur de France17. Il engage la partie française à envisager une nouvelle forme d’action : l’activité de ses archéologues devrait s’exercer dans les structures tunisiennes. L’assistance technique se développe donc, permettant aux Français de maintenir leur présence sur la scène archéologique tunisienne et aux Tunisiens d’attendre de disposer de chercheurs qualifiés dans certains domaines – en archéologie classique principalement18. Les spécialistes français, et notamment les anciens « romains », vont ainsi participer à la formation de leurs futurs homologues tunisiens : les enseignements en histoire ancienne et en archéologie dispensés à l’Institut des hautes études de Tunis (IHET) sont essentiellement à la charge d’anciens membres de l’École de Rome comme Picard, Frézouls, Duval ou Quoniam. De même, les étudiants les plus avancés qui se rendent en France pour poursuivre leur cursus universitaire assistent aux séminaires des maîtres du domaine, traditionnellement liés à l’EFR, comme William Seston ou Jacques Heurgon. Par le biais de la filiation scientifique, des liens forts sont tissés avec l’INAA.

Mise en place d’une coopération bilatérale franco-tunisienne

  • 19 Cf. Procès-Verbal de l’audience accordée le 16 mars 1967 par Chedli Klibi à Gilbert Picard. Archiv (...)
  • 20 L’avenir de l’archéologie française en Tunisie mérite bien quelques concessions et l’ambassadeur d (...)

20Le conflit armé de Bizerte (1961) a provoqué une crise sans précédant sur le terrain archéologique tunisien : la Mission française est brutalement démantelée. Pour tenter de mettre un terme à la période de guerre froide archéologique qui s’en est suivie, Gilbert Picard, devenu professeur en Sorbonne, est délégué par le ministère français des Affaires étrangères à l’effet de mettre au point des offres de coopération dans le domaine de la recherche archéologique avec Carthage – site phare s’il en est – comme terrain privilégié en 196719. Mais cette offre n’est pas isolée. Allemands, Italiens, Hollandais et Américains tentent, eux-aussi, de prendre pied dans le pays. Les enchères sont donc ouvertes : les permis de fouilles seront délivrés aux plus offrants. Dans cette conjoncture de forte concurrence internationale, la France accepte de modifier profondément sa politique archéologique : elle se plie aux exigences tunisiennes en consentant d’accorder, en plus d’une participation au financement des activités de fouilles proprement dites, un crédit conséquent aux travaux de restauration relatifs aux monuments de Carthage20 – commune dont le secrétaire d’État aux Affaires culturelles tunisiennes, Chedli Klibi, est également maire…

  • 21 Outré, Pierre Boyancé, directeur de l’EFR, s’adresse ainsi à Pierre Basdevant, responsable de la D (...)

21Un accord de coopération archéologique franco-tunisien est signé, après plusieurs mois de pourparlers, le 22 décembre 1967. Mais c’est dans un climat houleux que s’est tenue la réunion de la Commission mixte franco-tunisienne, chargée de la bonne marche de la coopération, au printemps 1968. Les représentants de la partie tunisienne en retiennent l’impression désagréable de n’y avoir figurés qu’au titre de simples témoins. Leur vexation est d’autant plus grande qu’ils ont dû réagir aux propos dédaigneux de certains de leurs interlocuteurs dont : « Vous ne devez pas oublier, Messieurs, que nous vous apportons la matière grise21. » Les représentants de la délégation française, quant à eux, trouvent abusives les exigences financières de leurs partenaires tunisiens – ce qu’ils expriment, dans certains cas, dans un style imagé :

  • 22 X à P. Boyancé. Lettre du 09/04/1968. Archives EFR, ibid.

« Les Tunisiens prétendent fixer librement la part de notre budget des fouilles qu’ils s’approprieront pour leurs fouilles et leurs “restaurations”. C’est la coopération idéale avec ces pays, qui nous disent sans nous dire : donne-moi ta montre et je te dirai l’heure22. »

22Cette rencontre est, en somme, un échec cuisant : les partenaires refusent d’honorer la convention de 1967.

  • 23 Ces deux dimensions ont constitué les principaux arguments du directeur de l’École de Rome : « L’a (...)
  • 24 Hédi Slim, secrétaire général de l’INAA, écrit à Pierre Boyancé : « La Tunisie a eu le privilège, (...)
  • 25 Le rôle de l’ambassade est ainsi affirmé : « Je soulignais qu’il était particulièrement nécessaire (...)
  • 26 Le directeur de l’EFR commente : « Mais, au moment où les difficultés se dissipaient à Paris, elle (...)
  • 27 Pierre Laurent, nouveau directeur général des Relations culturelles du MAE en informe Georges Vall (...)
  • 28 « J’aurai à cœur, dans la sauvegarde et la mise en valeur du patrimoine archéologique, d’honorer m (...)

23Renouer après ce revers diplomatique s’annonce difficile et le rôle joué par l’EFR à ce moment précis est déterminant. Par une mesure exceptionnelle souhaitée par Pierre Boyancé, directeur de cet établissement et partisan actif du développement de la coopération archéologique avec les pays maghrébins, Azedine Beschaouch, ancien pensionnaire étranger de l’École normale supérieure (1961-1967) et agrégé de grammaire (1967), est admis, comme membre étranger, à l’École française de Rome à la fin de l’année 1967. Ce recrutement, qui intervient précisément à un moment où les positions archéologiques françaises en Tunisie sont inquiétées, comporte donc une haute dimension stratégique. La prise en charge de la formation d’excellence de cet épigraphiste apparaît comme le vecteur d’une double garantie : le renforcement des liens franco-tunisiens déjà historiquement préférentiels et la démarcation d’avec les autres pays rivaux en matière d’archéologie23. Cette stratégie ne tarde pas à porter ses fruits : sensibles à cette initiative, les archéologues tunisiens affichent aussitôt des dispositions encourageantes pour la recherche française et plus particulièrement pour l’École de Rome24. Dès 1968, cet établissement est sur le point de signer un accord de coopération archéologique avec l’INAA qui porterait sur le site de Bulla Regia. Le ministère français des Affaires étrangères s’estime court-circuité et s’oppose d’abord à ce projet qu’il juge contre-productif à la politique d’ensemble visée25. Mais, embarrassé par l’échec de l’accord général de coopération de 1967, il retire ses objections et autorise l’EFR à engager des recherches à Bulla Regia pour une durée toutefois limitée à deux ans non-renouvelables – soit d’ici à ce qu’intervienne la conclusion d’un accord général dans lequel s’inscrirait cet accord particulier. Si les exigences de la partie tunisienne relatives aux travaux de restauration et de mise en valeur du site, condamnent finalement la mise en œuvre de ce projet26, l’École de Rome parvient néanmoins, grâce à cette action autour de Bulla Regia, à affirmer sa position au sein de l’archéologie française. Jusque-là tenu à l’écart des négociations, le directeur de l’EFR est désormais invité à siéger au sein de la Commission mixte de coopération archéologique franco-tunisienne27. C’est dans ce cadre que l’EFR confirme son rôle de partenaire privilégié, en partie défini par les effets retours de son action en matière de formation. Les disciples tunisiens délivrent en effet préférentiellement les autorisations de fouilles à leurs maîtres « romains » : les trois premiers chantiers de la Commission mixte (1970) sont ainsi dirigés, pour ce qui concerne les équipes françaises, par Picard à Mactar, Euzénnat à Rougga et Duval à Haïdra. De retour en Tunisie, Beschaouch gravit rapidement les échelons administratifs et renforce encore ce partenariat : nommé directeur de l’INAA en 1973, il se dit soucieux d’honorer sa qualité d’« Ancien28 ». Il co-dirige par exemple, avec son camarade Yvon Thébert, les fouilles de Bulla Regia et permet aux équipes françaises d’occuper une place de premier plan dans le cadre de la campagne internationale pour la sauvegarde de Carthage avec la fouille du secteur de la colline de Byrsa. La marque de l’École de Rome sur l’archéologie en Tunisie se lit, plus largement, sur le panorama actuel des recherches conduites dans ce pays : la civilisation romano-byzantine demeure, aujourd’hui encore, et de loin, le secteur le plus développé bien que la mode du carthaginisme sévisse.

24Un « droit d’aînesse » constamment nourri doublé d’une « force d’action » puissante aux ramifications multiples (scientifiques, diplomatiques, politiques), voici autant d’éléments d’explication à la pérennisation de l’influence de l’École de Rome en Tunisie. À cela s’ajoute une remarquable « mètis réactive » qui a fait que cette institution a su transmettre, former et s’ouvrir au gré de l’histoire. Cette lucidité se retrouve également au niveau de l’écriture de l’histoire. Quand tant d’établissements archéologiques font de leurs archives une chasse gardée inaccessible, Michel Gras, directeur de l’EFR, a bien voulu nous ouvrir les archives de cette institution par des paroles comme « cette histoire est ce qu’elle est ; vous faites votre travail d’historienne du contemporain en l’écrivant ». En lançant des projets sur la « Situation internationale de l’archéologie en Méditerranée : évolutions et perspectives », dirigé par Franck Braemer (CNRS), l’École de Rome confirme une ligne de conduite ouverte aux questionnements sur les pratiques archéologiques et leurs enjeux – démarche, à ce titre, exemplaire dans ce domaine.

Notes

1 Cf. Jeux généalogiques sur l’Antiquité : l’archéologie en Tunisie (XIXe-XXe siècles), Paris, Karthala, 2010 (préface d’A. Schnapp).

2 Cf. A. Merlin, « L’histoire et l’archéologie de l’Afrique du Nord », in L’Histoire et l’Œuvre de l’École française de Rome, Paris, De Boccard, 1931, p. 201-225.

3 Cf. entre autres : Le sanctuaire de Baal et de Tanit près de Siagu, Paris, Leroux, 1910.

4 Publiées respectivement en 1956 et 1958 à Paris chez Corrêa – Buchet/Chastel et Hachette.

5 Cette instance est créée en 1945, cf. È. Gran-Aymerich, « La Commission des fouilles au ministère des Affaires étrangères », in Archéologies. Vingt ans de recherches françaises dans le monde, Paris, Maisonneuve et Larose, 2005, p. 31-35.

6 « Les circonstances actuelles font que ce statut [celui de la Direction des antiquités], qui n’a jamais été défini, risque d’être menacé. Il conviendrait donc de le fonder en droit, par la création d’une Mission archéologique française. », lettre du 17/10/1947. Archives de l’Institut national du patrimoine de Tunis (dorénavant signalé INP), carton « Protectorat. Salaires, ouvriers, correspondances », dossier « Correspondances, 1946-1954 ».

7 René Dussaud, secrétaire perpétuel de l’Académie des inscriptions et belles-lettres, fait part de ses inquiétudes à la Direction générale des Relations culturelles du ministère des Affaires étrangères : « Déjà une vive hostilité se manifeste notamment par une insidieuse campagne de presse dans les milieux intellectuels musulmans contre les recherches d’archéologie classique », lettre du 04/11/1947. Archives INP, carton « Protectorat. Salaires, ouvriers, correspondances », dossier « Correspondances, 1946-1954 ».

8 Sur leur rôle dans l’institution de ce département cf. A. Beschaouch, « En souvenir de William et Georges Marçais, promoteurs de la dialectologie tunisienne et de l’archéologie kairouanaise », dans Deux savants passionnés du Maghreb, Paris, Unesco/IMA, 2001, p. 71-80, en part. p. 74.

9 Chargé de cette fonction à partir de janvier 1948, il s’est vu confirmé dans ce grade en mars 1951 à la suite d’un concours dont le jury était composé de Louis Poinssot, Georges Marçais, Henri Terrasse, Hassan Hosni Abdulwahab, Ahmed Abdelssalem et Mahmoud Messadi. Cf. S. M. Zbiss au ministre des Affaires culturelles. Lettre du 23/07/1979 ; fonds privé, papiers Zbiss.

10 P. Cintas à J. Roche. Lettre du 16/09/1954. Archives de l’Institut français de coopération de Tunis (dorénavant signalé IFC), carton 264, dossier « Correspondance générale (1948-1985) », sous-dossier « Correspondance, classement par correspondant ».

11 Noël Duval a bien voulu nous préciser les choses : à propos de Frézouls « ce cursus qui s’esquissait : conservateur au Bardo puis directeur des Antiquités paraissait encore prévu quand Picard est parti […] Comme j’avais montré mon intérêt pour l’Afrique du Nord et que j’avais eu une désillusion à la sortie de l’EFR […], il m’a proposé le poste du Bardo en août en me prévoyant comme directeur des Antiquités au départ de Frézouls ». Courriel, mars 2006.

12 E. Frézouls à L. Chebbi. Lettre du 20/04/1956. Archives EFR, dossier Tunisie (hors cotation).

13 E. Frézouls à J. Bayet. Lettre du 03/05/1956. Archives EFR, dossier Tunisie (hors cotation).

14 « Le ministre de l’Éducation nationale a lu avec un grand étonnement un écho publié dans les colonnes du journal As-Zorah en date du 24 avril dernier au sujet du directeur des Antiquités et des Arts. Il dément catégoriquement les allégations dont M. Edmond Frézouls a été l’objet et profite de l’occasion pour rendre hommage à l’intégrité et aux qualités professionnelles de ce fonctionnaire et lui exprimer toute sa confiance », Dépêche Tunisienne du 13 juin 1956.

15 J. Bayet à G. Gorse. Lettre du 11/03/1959. Archives EFR, dossier Tunisie (hors cotation).

16 Ibid.

17 L’ambassadeur rapporte au directeur de l’EFR : « M. Messadi répugne de toute évidence à admettre l’existence d’une institution étrangère du type de l’actuelle Mission Archéologie française ou du Centre d’études ou de recherches que vous envisagez », lettre du 04/04/1959. Archives EFR, dossier Tunisie (hors cotation).

18 Cette carence de spécialistes nationaux constitua en effet un obstacle majeur, plus ou moins reconnu : « Mais si une telle insuffisance est souvent reconnue de bonne fois par les Tunisiens dans d’autres domaines (l’enseignement), il faut savoir qu’il n’en va pas de même pour l’archéologie, qui est un des points sur lequel aime à s’exprimer un certain nationalisme », note de X sur la situation archéologique en Tunisie en 1959. Archives EFR, dossier Tunisie (hors cotation). Faisant fi de tout orgueil national, Abdelmajid Ennabli, ancien conservateur du musée et du site de Carthage, insiste aujourd’hui sur le « cafouillage » survenu au moment de l’indépendance, faute d’archéologues dûment formés. Carthage, mars 2006.

19 Cf. Procès-Verbal de l’audience accordée le 16 mars 1967 par Chedli Klibi à Gilbert Picard. Archives de l’Institut français de coopération de Tunis (signalé IFC) ; carton 268, dossier « Carthage-Byrsa » (2/2), sous-dossier « Coopération archéologique à Carthage, année 1967 ».

20 L’avenir de l’archéologie française en Tunisie mérite bien quelques concessions et l’ambassadeur de France en Tunisie insiste sur l’urgence des décisions à prendre : « Certes, il ne saurait être question pour nous d’aspirer dans ce domaine à une sorte de monopole, et il est certain que les entreprises en question feront nécessairement appel à des chercheurs français. Mais, la participation de ceux-ci peut être faible, et risque en tout cas d’être subalterne, et l’apparition d’une intense concurrence internationale doit nous inciter à redoubler d’efforts […]. Aussi serais-je reconnaissant au Département de me faire connaître si, comme le professeur Parrot [secrétaire général de la Commission des fouilles] me l’avait laissé espérer, il est possible de dégager, dès 1967, quelques crédits pour une reprise des fouilles à Carthage. Je crois extrêmement important, vu la vigueur de la compétition, que nous puissions préciser dès que possible nos intentions au Secrétaire d’État aux Affaires culturelles. […] Dans le climat actuel, nous pourrons difficilement rester négatifs pour ce qui concerne la restauration ou plutôt la “consolidation” des monuments. » Lettre du 18 janvier 1967 à la Direction générale des Relations culturelles. Archives IFC, Tunis, carton 264, dossier « Correspondance, classement chronologique ».

21 Outré, Pierre Boyancé, directeur de l’EFR, s’adresse ainsi à Pierre Basdevant, responsable de la Direction générale des Relations culturelles du ministère des Affaires étrangères : « Ce mot, je dois le dire est d’autant plus maladroit qu’il est parfaitement injuste puisque la Tunisie compte maintenant ces savants dont je viens de vous rappeler l’existence », cf. sa lettre du 11/07/1968. Archives EFR, carton 44/14, dossier « Tunisie-Beschaouch 1968-1970 ».

22 X à P. Boyancé. Lettre du 09/04/1968. Archives EFR, ibid.

23 Ces deux dimensions ont constitué les principaux arguments du directeur de l’École de Rome : « L’avantage est aussi plus généralement pour la France, car nous lions ainsi plus étroitement à nous la jeune équipe des archéologues tunisiens qui ont été formés au lycée de Tunis et dans nos facultés. » P. Boyancé à la Direction générale des Relations culturelles, MAE. Lettre du 10/03/1969. Archives EFR, carton 44/14, dossier « Tunisie Beschaouch 1968-1970 » ; et : « Ce que je tiens à dire avec beaucoup de force c’est le grand intérêt qu’il y aurait pour notre prestige scientifique en Tunisie qu’une solution favorable puisse être trouvée, on n’ignore pas, en effet, que d’autres influences concurrentes de la nôtre s’exercent à Tunis. » P. Boyancé au conseiller culturel à l’ambassade de France de Tunisie. Lettre du 05/12/1967. Archives EFR, carton 44/14, dossier « Tunisie Beschaouch 1968-1970 ».

24 Hédi Slim, secrétaire général de l’INAA, écrit à Pierre Boyancé : « La Tunisie a eu le privilège, depuis la fin du siècle dernier, de recevoir de grands « Romains » qui ont contribué à la résurrection de son passé et à la mise en valeur des monuments de son histoire. Elle est heureuse d’exprimer aujourd’hui par l’organe de la Commission de la Recherche archéologique son admiration pour l’œuvre accomplie et sa reconnaissance. Cette Commission, qui coordonne et oriente les travaux de fouilles archéologiques et de recherche, espère vivement voir s’établir désormais entre elle et l’EFR une collaboration soutenue, durable et fructueuse. Elle a, dès à présent, le plaisir de compter parmi vos élèves l’un de ses membres, Monsieur Beschaouch, chef du Département d’archéologie classique et d’épigraphie latine. Elle le charge de vous transmettre de la part des archéologues tunisiens leurs vifs remerciements et leurs sentiments de parfaite considération. » Lettre du 17/01/1968. Archives EFR, carton 44/14, dossier « Tunisie Beschaouch 1968-1970 ».

25 Le rôle de l’ambassade est ainsi affirmé : « Je soulignais qu’il était particulièrement nécessaire de veiller à ce que toute négociation avec les autorités tunisiennes et en particulier avec l’INAA soit menée par notre Représentant à Tunis, agissant sur instructions du Département et dans le cadre d’ensemble des relations culturelles franco-tunisiennes. » Lettre du 20/07/68. Direction générale des Relations culturelles du MAE à la Direction des Enseignements supérieurs du ministère de l’Éducation nationale. Archives EFR, carton 44/14, dossier « Tunisie-Beschaouch 1968-1970 ».

26 Le directeur de l’EFR commente : « Mais, au moment où les difficultés se dissipaient à Paris, elles surgissaient en Tunisie. Le ministre de la Culture s’étant rendu compte à la suite d’une démarche de notre ambassadeur que cet accord particulier ne prévoyait pas de restaurations et de mise en valeur du site, enjoignait à ses subordonnés de faire insérer une clause. Or, une telle clause, dans l’esprit où les Tunisiens conçoivent ces restaurations, risque d’imposer à l’École de Rome une charge qui dépasse ses moyens », cf. sa lettre du 25/03/1969 adressée à la Direction générale des relations culturelles. Archives EFR, carton 44/14, dossier « Tunisie-Beschaouch 1968-1970 ». Ces mêmes exigences avaient déjà compromis les fouilles franco-tunisiennes de Carthage en 1967-1968.

27 Pierre Laurent, nouveau directeur général des Relations culturelles du MAE en informe Georges Vallet, nouveau directeur de l’EFR en 1970 : « Je comprends parfaitement l’intérêt que peut légitimement porter l’EFR aux recherches qui se développent en Tunisie et je conçois en même temps que ces recherches et la coopération franco-tunisienne ont beaucoup à gagner à une participation de l’École. Votre arrivée à la tête de l’École française et les heureuses évolutions qui ont pu se produire d’autre part doivent nous permettre d’écarter définitivement des ambiguïtés ou des réticences désormais révolues. J’estime donc non seulement possible, mais souhaitable, une participation établie aux yeux de tous, du Directeur de l’EFR à l’élaboration et à l’orientation des programmes de recherches archéologiques en Tunisie. » Lettre du 27/10/1970. Archives EFR, carton 44/14, dossier « Tunisie-Beschaouch 1968-1970 ».

28 « J’aurai à cœur, dans la sauvegarde et la mise en valeur du patrimoine archéologique, d’honorer ma qualité d’“Ancien” et d’être digne de la confiance de mes camarades et amis », écrit-il ainsi à Georges Vallet, directeur de l’EFR. Lettre du 04/04/1973. Archives EFR, carton 44/16, dossier « Carthage-Byrsa : correspondance, 1972-1974 

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