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Vers un homme nouveau ?

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Emmanuel Droit

Seconde partie. Une école socialiste stabilisée (1959-1989)

Chapitre IX. L’école socialiste face aux défis de l’économie est-allemande

Texte intégral

Sous le signe de la « révolution scientifique et technique »

  • 1 Pour plus de détails sur l’histoire macroéconomique de la RDA, voir Steiner A., Von Plan zu Plan. (...)

1La mise en œuvre de l’éducation polytechnique est placée sous le signe de la « révolution scientifque et technique ». Cette expression constitue en fait un appel à la modernisation, la mécanisation et l’automatisation des entreprises est-allemandes dans le but de faire de la RDA une grande puissance industrielle au même titre que la RFA et en même temps la puissance la plus avancée au sein du COMECON. Lors du cinquième congrès du SED en juillet 1958, Walter Ulbricht a appelé de ses vœux le lancement d’une nouvelle phase de développement de l’économie nationale visant à ce que le niveau de vie des Allemands de l’Est dépasse en quelques années celui des Allemands de l’Ouest. Selon le SED dont le discours scientifique et technique est amplifié depuis les premiers succès spatiaux soviétiques, la fin des années 1950 inaugure le début d’une époque de changements des systèmes de production et cette évolution doit être dirigée et planifiée par l’État. L’expression de « révolution scientifique et technique » est en fait un trompe-l’œil qui permet de cacher le fait que la RDA décide de concentrer ses maigres ressources dans quelques domaines de la recherche de pointe (l’optique, l’électronique…)1. En somme, avec le peu de moyens dont dispose l’économie est-allemande, il s’agit d’être inventif et de rationaliser la production. Pour que cette « révolution » s’accomplisse pleinement, l’École est-allemande doit s’adapter à son temps et accorder la priorité aux disciplines et aux activités extrascolaires scientifiques afin de préparer les élèves à leurs futures obligations professionnelles. Ce mouvement s’accompagne de la mise en place d’écoles d’élites spécialisées – même si le mot « élites » est tabou en RDA depuis 1945 – et de l’approfondissement des liens avec les entreprises.

Le renforcement du poids des disciplines scientifiques

  • 2 Anweisungen des Ministeriums für Volksbildung über die Stundentafeln der allgemeinbildenden Schule (...)
  • 3 Gesetz über die sozialistische Entwicklung des Schulwesens in der DDR vom 2. Dezember 1959, Gesetz (...)

2Au niveau des programmes scolaires, l’introduction du système polytechnique se traduit par un renforcement du poids des matières scientifiques (mathématiques, physique-chimie et biologie) et une redéfinition des programmes qui voit notamment l’introduction de l’astronomie comme discipline obligatoire2. Le préambule de la loi sur le développement socialiste du système scolaire de la RDA du 2 décembre 1959 le rappelle d’emblée : « Sur la base de l’éducation polytechnique, le niveau scientifique de tout l’enseignement sera considérablement augmenté, en particulier en mathématiques et en sciences naturelles3. »

  • 4 Dokumente zur Geschichte des Schulwesens in der DDR 1956-1967/68, Berlin-Est, Volk und Wissen, 196 (...)

3Cette place centrale exprimée dans le discours officiel et les textes normatifs se reflète dans les programmes scolaires de 1958 et 1959. Le graphique ci-dessous témoigne du poids croissant des disciplines scientifiques dans le cursus scolaire. Elles représentent déjà un quart des heures de cours lors des trois premières années de scolarité. Lors des trois dernières années de scolarité obligatoire, elles atteignent 41 % des heures de cours4.

Graphique 19. – Pourcentage d’heures accordées aux disciplines scientifiques dans les POS et les EOS de RDA en 1959.

  • 5 Anweisungen des Ministeriums für Volksbildung über die Stundentafeln der allgemeinbildenden Schule (...)
  • 6 David Hilbert (1862-1943) est l’un des plus grands mathématiciens du XXe siècle. Il réussit la rec (...)
  • 7 Borneleit P., « Lehrplan und Lehrplanarbeitung, Schulbuchentwicklung und-verwendung in der DDR », Z (...)
  • 8 Réfuté dès 1973 par les associations d’enseignants de mathématiques, cet enseignement fut retiré d (...)
  • 9 Comme la politique scolaire relève des Länder en RFA, il est plus difficile d’établir une comparai (...)

4À partir de la 7e classe, les élèves ont autant d’heures de mathématiques que d’allemand, ce qui n’était pas le cas avant 19595. La part des disciplines scientifiques est passée pour les classes de 7-10 de 26 % en 1946 à 32 % en 1955 pour se stabiliser à 41 % en 1959. De nombreux enseignants de mathématiques sont réservés par rapport aux exigences élevées imposées par le ministère de l’Éducation (maîtrise des opérations primaires dès les deux premières années, enseignement des fonctions logarithme et exponentielle en 10e classe, utilisation de l’axiomatisation de la géométrie euclidienne du mathématicien allemand Hilbert6) et continuent à enseigner comme ils le faisaient avant7. L’importance des mathématiques est telle que le bureau politique du SED publie en décembre 1962 un décret relatif à l’amélioration et au développement de cette discipline. Cette décision s’accompagne de la création d’une commission centrale d’État qui doit travailler à la confection de nouveaux programmes qui sont finalement publiés en 1963, puis régulièrement modifiés dans les années 1970. Rappelons qu’à la même époque, en France, le mathématicien français et professeur au Collège de France André Lichnerowicz (1915-1998) dirige une commission créée par Christian Fouchet qui intervient dans l’enseignement des mathématiques par l’introduction des mathématiques dites « modernes » dans le secondaire en 1967, c’est-à-dire l’enseignement de mathématiques formelles reposant sur l’axiomatique (structures algébriques, espaces vectoriels, théorie des ensembles)8. L’entourage du général de Gaulle, comme à peu près l’ensemble des dirigeants des pays occidentaux à cette époque, croit à la nécessité de former des élites scientifiques et techniques plus nombreuses pour accroître la puissance économique. Ce nouveau programme est proche de ce qui se fait en RDA car son esprit ne vise plus à préparer l’enfant aux problèmes numériques de la vie courante (calcul de coûts) mais à commencer l’apprentissage d’une science déductive (d’où une présentation abstraite des notions)9. Il nous est impossible de démontrer clairement l’existence d’influences réciproques mais nous savons que les mathématiciens français et est-allemands se rencontrent dans les années 1960 lors des congrès internationaux. À Bucarest en 1968, à un colloque organisé par l’Unesco et qui a porté sur la modernisation de l’enseignement des mathématiques en Europe, Jacques Fort a présenté les résultats de l’introduction des propositions de la commission Lichnerowicz. Fritz Neigenfind, mathématicien chargé des questions des programmes scolaires au sein de l’APW, a participé à ce colloque.

5Sans vouloir se lancer dans une comparaison de l’efficacité des programmes scolaires des pays socialistes et occidentaux, il apparaît que le niveau en mathématiques des élèves de RDA était nettement plus avancé que celui de leurs camarades ouest-allemands.

6Cette valorisation des disciplines scientifiques s’accompagne d’une volonté de mettre en place une politique élitiste sans le dire officiellement car ce serait contraire à l’esprit de la loi de 1946 qui avait mis fin à la triade Volksschulen-Mittelschulen-Gymnasien et à la propagande officielle égalitariste.

La création d’écoles spéciales ou une formation élitiste

  • 10 Le terme de spécialisation ou d’élites est très mal vu par Margot Honecker et le Comité central du (...)
  • 11 En 1963, la mairie de Berlin-Est crée une école spéciale Werner Seelenbinder à Prenzlauer Berg pou (...)

7Par le décret du 3 juillet 1963, le ministère de l’Éducation autorise la création d ‘ écoles spéciales10, c’est-à-dire d’établissements scolaires de haut niveau qui regroupent les meilleurs élèves dans un domaine précis : les mathématiques, la physique mais aussi le russe, la musique ou le sport11. La loi scolaire de 1965 intègre ces établissements particuliers dans un paragraphe et précise leur mission :

  • 12 Gesetz über das einheitliche sozialistische Bildungssystem der DDR, p. 27.

8« Les écoles spéciales sont des écoles d’enseignement général. Elles servent aux conditions particulières du développement des jeunes doués dans les domaines de l’économie, de la science, du sport et de la culture. Les écoles spéciales accueillent des élèves avec d’excellentes performances et des dons particuliers12. » Ce qu’il est intéressant de noter, c’est que ce texte normatif ne fait à aucun moment référence aux critères politiques (dans la langue officielle, on parle d’« activités sociales utiles ») ou sociaux (« enfants de la classe ouvrière et paysanne »). Sur le papier, les seuls critères avancés sont les performances scolaires et le talent individuel.

  • 13 Un entretien a été conduit le 18 octobre 2005 avec Ernst Brumme, directeur de l’école Heinrich Her (...)

9Ce genre d’établissements est mis en place à Dresde, Riesa, Iena, Ilmenau, Karl-Marx-Stadt, Francfort/Oder, Kleinmachnow et Berlin-Est. Ces écoles spécialisées ne font que recréer de la différenciation sociale censée ne plus exister en RDA. Nous avons eu la chance d’avoir suffisamment de sources concernant une école de ce genre : l’établissement Heinrich Hertz de Berlin-Treptow. À partir de 1965, il accueille en effet les élèves les plus talentueux de la ville en mathématiques. Les besoins économiques semblent primer sur les critères politiques et idéologiques puisque l’analyse de la chronique de cet établissement trouvée au musée local de Friedrichshain et croisée avec un entretien avec le premier directeur de cette école spéciale13 montre que seules les performances scolaires sont prises en compte dans la sélection des élèves. Celle-ci se fait sur la base d’un examen écrit en mathématiques et d’un entretien avec un enseignant de cette discipline sans aucune présence d’un fonctionnaire du SED ou de la FDJ. Le processus classique de recrutement par le biais de commission ne fonctionne pas pour ces écoles spéciales.

  • 14 En 1970, le système universitaire est-allemand « produit » 5 200 ingénieurs diplômés et 15 300 ing (...)

10Cette pépinière de futurs ingénieurs14 et de chercheurs en sciences dures accueille essentiellement des enfants de diplômés. La plupart des parents sont ingénieurs, universitaires ou scientifiques. La proportion d’élèves issus de familles ouvrières est négligeable : pour la période allant de 1965 à 1970, nous avons relevé moins de 5 % des effectifs dont le père est un ouvrier productif. Les critères de performances intellectuelles priment, ce que semble regretter dans un mot introductif de la chronique l’ancien directeur-adjoint de l’école Heinrich Hertz :

  • 15 Heimatmuseum Kreuzberg-Friedrichshain, Schulchronik der Heinrich-Hertz-Oberschule, 1986, non pagin (...)

« Avec la spécialisation croissante, d’autres problèmes ont commencé à apparaître. Beaucoup d’élèves de la classe du Docteur Busse étaient des enfants de docteurs et de professeurs. Souvent, les parents avaient orienté leurs enfants dans une autre école afin de fréquenter un lycée dont la formation complète était de meilleure qualité. Certes, on a conduit des entretiens d’admission, mais seulement pour découvrir s’il existait vraiment un intérêt pour les mathématiques. […] Au moment de la guerre du Vietnam, les enfants de l’intelligentsia ont pris parti pour l’ennemi de classe, quelques-uns se sont enfuis par la suite de RDA. Cette déviance politique était fortement liée à la pensée élitiste passée de ces élèves qui, en raison de leurs performances élevées, ne se voyaient pas obligés de se soumettre à un collectif15. »

  • 16 En France, une expérience pilote est conduite dès 1966 qui est généralisée à partir des années 197 (...)

11Les élèves de cette école reçoivent notamment des cours approfondis par des mathématiciens du centre de recherches de Berlin-Adlershof afin d’être formés aux métiers de calculateur technique, de mathématicien et de physicien. L’informatique est introduite comme matière obligatoire dès la rentrée de septembre 196816. Très rapidement, la concentration de bons élèves aboutit à une augmentation continue du nombre de médailles de Lessing qui en RDA récompensent les meilleurs élèves pour leurs performances scolaires. La chronique présente ainsi cette évolution entre 1969 et 1985 :

  • 17 Heimatmuseum Kreuzberg-Friedrichshain, Schulchronik der Heinrich-Hertz-Oberschule, 1986, non pagin (...)

Tableau 8. – Nombre de médailles Lessing obtenues par des élèves de l’école Heinrich Hertz (1969-1985)17

12Les élèves de cette école décrochent également régulièrement au niveau national et international les premières places aux olympiades de mathématiques, mises en place au début des années 1960.

Les olympiades de mathématiques

  • 18 Le Concours général de mathématiques introduit en France en 1803 correspond de loin à cette manife (...)
  • 19 LAB, C REP 902/982, SED Bezirksleitung Berlin, Abt. Wissenschaft und Bildung, Mathematik-Olympiade (...)

13Le renforcement des disciplines scientifiques dans les programmes scolaires et tout particulièrement l’importance des mathématiques trouvent un prolongement extrascolaire avec l’organisation d’olympiades de mathématiques à partir du début des années 196018. Le département « éducation polytechnique » du ministère de l’Éducation confie aux services scolaires de Berlin-Est et de Leipzig le soin d’organiser en 1960 des expériences pilotes : « Avec les olympiades de mathématiques, la réalisation du programme de mathématiques doit être directement soutenue. Les olympiades de mathématiques doivent susciter une émulation entre tous les élèves des classes 7-10 participant à cette compétition. Nous voulons avec ces olympiades de mathématiques atteindre une augmentation des performances des élèves et une véritable compétition entre classes et entre écoles19. »

  • 20 Une des premières compétitions de mathématiques a eu lieu en Hongrie en 1894 (le concours Kürschak (...)
  • 21 Adam Ries (1492-1559) a développé le « calcul en ligne » créant ainsi notre méthode de calcul et d (...)
  • 22 Cette commission centrale mise sur pied pour organiser la compétition est constituée de deux profe (...)
  • 23 BA, DR 2/6 557, Matheolympiade, 1960-1963, non paginé.

14La RDA prend exemple sur l’URSS où les premières olympiades de mathématiques ont eu lieu en 1934, et sur d’autres pays de l’Est où ce genre de traditions existe depuis longtemps comme en Hongrie20 ou en Roumanie, créatrice de l’Olympiade internationale de Mathématiques en 1959. Ce n’est qu’en 1981 que la RFA met en place le concours Adam Ries ouvert aux élèves de 5e classe21. La mise en place de ces olympiades s’inscrit indéniablement dans l’euphorie suscitée par les succès spatiaux de l’URSS comme le montre cette lettre de la commission centrale des olympiades de mathématiques22 adressée aux élèves participants en 1961 : « Notre patrie a besoin pour la construction du socialisme d’individus qui disposent d’excellentes connaissances mathématiques. Nous voulons sans cesse penser à nos grands modèles que sont Youri Gagarine et German Titov et nous voulons les imiter23 ! » La référence aux deux cosmonautes soviétiques n’est pas innocente : Gagarine et Titov sont à cette époque de véritables héros pour une grande majorité d’enfants et d’adolescents.

  • 24 LAB, C REP 120/2 408, Pionierorganisation Berlin, 1962-1964, p. 19.
  • 25 BA, DR 2/6 557, op. cit., non paginé.
  • 26 LAB, C REP 120/2 408, op. cit., p. 19. Pour les élèves de l’école Heinrich-Hertz, la participation (...)
  • 27 BA, DR 2/6 557, op. cit., non paginé.
  • 28 Ibid.

15Cette compétition interscolaire ouverte au départ aux élèves âgés entre 13 et 16 ans vise donc à la fois à démocratiser les sciences et à repérer les futurs talents scientifiques de demain24. Cette initiative « locale » est étendue au niveau national dès 1961 et élargie aux élèves de 11 à 18 ans. Elle comporte différents tours organisés de façon hiérarchique au niveau des écoles, puis des arrondissements, des Bezirke et de la RDA. Elle est essentiellement prise en charge par les enseignants alors que les fonctionnaires des organisations de jeunesse s’en désintéressent complètement. En dépit du caractère finalement très scolaire de ce concours, la participation ne cesse d’augmenter entre 1961 et 1964, faisant de cette olympiade une véritable « compétition de masse » à laquelle participent environ 450 000 élèves est-allemands25. La participation des élèves de Berlin-Est est passée de 62 % en 1962 à 81,4 % en 1964 et elle est largement supérieure à la moyenne nationale (43,6 % en 1964)26. Berlin-Est est même le Bezirk de RDA où la participation est la plus forte27. Ces bons résultats s’expliquent par l’engagement des enseignants qui contraignent les élèves à participer au premier tour. C’est l’un des problèmes que relève le président adjoint de l’organisation des Pionniers Penzel sous forme de notes en 1963 : « Problème : caractère de contrôle surveillé, caractère d’examen28. »

Graphique 20. – Participation aux olympiades de mathématiques à Berlin-Est, 1962-1964.

16Le premier tour est pris en charge par les écoles à partir d’un test national publié dans les journaux des organisations de jeunesse : Trommel et Junge Welt. Ensuite, l’organisation est assurée par les services scolaires de l’échelon administratif correspondant. La sélection est très sévère puisque seuls les trois meilleurs tests de chaque classe sont qualifiés pour le tour suivant.

17À partir de 1962, la RDA envoie même des représentants aux olympiades internationales de mathématiques ouvertes qui constituent en fait une compétition entre pays du Bloc de l’Est. La première année, trois Berlinois font partie de la délégation est-allemande qui se rend à Prague. Le rapport sur la compétition est proche d’un compte-rendu d’une épreuve sportive. Il laisse transparaître les rivalités nationales fortes au sein du Bloc de l’Est et la soif de reconnaissance de l’encadrement est-allemand :

  • 29 LAB, C REP 902/982, op. cit., non paginé.

« L’équipe s’était réunie quelques jours avant le départ pour Prague pour un entraînement qui s’appuyait sur les expériences faites jusqu’à présent lors de compétitions internationales (Exposés et exercices). Cette préparation a sans nul doute eu un effet positif sur les résultats. […] Contrairement aux autres participants qui pouvaient jeter un coup d’œil sur leurs expériences passées, des connaissances nécessaires à la résolution exacte et complète des problèmes étaient parfois ignorées de nos élèves. En dépit de ce handicap manifeste, tous les participants de notre équipe se sont bien battus. Ils montrèrent sans exception une grande ardeur lors de la préparation et un grand esprit combattant29. »

  • 30 Transcription de l’entretien réalisé avec J. K le 16 mars 2004, p. 10.

18En 1963, J.K. alors élève d’une classe spéciale de l’école Heinrich Hertz de Treptow décroche sa sélection en équipe nationale. Bien qu’il ne soit pas membre de la FDJ, il a été accepté dans cette classe à cause de ses talents en mathématiques. Il revient de façon ironique sur cet épisode : « Je voulais me représenter moi-même, pas la RDA. L’équipe se composait de huit adolescents. Les sept autres étaient évidemment à la FDJ. En tant que représentant [de la RDA], nous devions porter la chemise bleue. Les autres nations étaient en costume. Seule la RDA avait la chemise de la FDJ. Je n’en avais pas. On m’en a procuré une30. »

19Ce discours de mise à distance de la RDA produit dans le contexte présent doit certainement être relativisé. Il est fort possible que J.K. ait tiré une grande fierté de représenter son pays à l’étranger, surtout par rapport à ses camarades de classe. Malheureusement, sa volonté de se démarquer du régime socialiste le conduit à mettre uniquement en valeur sa personnalité un peu part au sein de l’équipe puisqu’il était le seul à ne pas appartenir à la FDJ.

  • 31 Friedrichshain-Kreuzberg Archiv, Schulchronik der Heinrich-Hertz-Oberschule, non paginé.

20Les participants aux olympiades de mathématiques sont majoritairement des élèves des écoles spéciales qui bénéficient de cours de préparation intensifs à cette compétition et qui s’engagent dans des AG mathématiques. La chronique de l’école Heinrich Hertz montre qu’entre 1967 et 1985, ses élèves décrochent quasiment toujours l’un des trois premiers prix au niveau national et sont régulièrement bien placés au niveau international (3e prix en 1964, 1969, 1975 et 1983-1985 ; 2d prix en 1974-1976, 1er prix en 1977)31.

21Cette compétition témoigne d’une véritable volonté politique de promouvoir les mathématiques et de former une élite scientifique capable de contribuer au rayonnement international de la RDA. Dans le même temps, le régime décide de renouveler et d’approfondir le mouvement des parrainages au niveau de l’unité de base des écoles et des entreprises.

Un nouveau système de parrainage : pour un approfondissement des relations entre élèves et ouvriers

22Au cours des années 1950, la pratique des parrainages s’effectuait entre des écoles et des entreprises (ou des institutions et des administrations). L’ambition du régime était de développer principalement des contacts entre le champ scolaire et le monde de la production industrielle et d’intégrer les ouvriers dans le réseau des « éducateurs du socialisme ». Or, la dimension idéologique et éducative de ces parrainages était souvent reléguée au second plan au détriment des aspects matériels et financiers. En outre, l’engagement personnel des ouvriers était limité voire inexistant.

  • 32 BA, DR 2/6 597, Patenschaften zwischen Schulklassen und sozialistischen Betrieben, septembre 1959- (...)
  • 33 SAPMO, DY 24/11 204, Zentralrat der FDJ, Abt. Schuljugend, Patenschaftsarbeit, 1958-1962, non pagi (...)
  • 34 SAPMO, DY 25/587, Beschlüsse und Richtlinien zum Abschluss von Patenschaftsverträgen der VEB mit d (...)
  • 35 C’est en 1958 que le régime est-allemand met en place sur le modèle soviétique les brigades du tra (...)
  • 36 LAB, C REP 120/2 410-1, op. cit., p. 130.

23La mise en place du système scolaire polytechnique à la fin des années 1950 s’accompagne d’un programme de relance et d’approfondissement de la pratique des parrainages32. L’initiative est officiellement lancée au cours du cinquième congrès de la FDGB en mai 195933 puis définie dans le nouveau règlement scolaire de novembre 195934. Les responsables de la confédération syndicale et le ministère de l’Éducation souhaitent changer d’échelle pour que les relations entre les élèves et la « classe ouvrière » soient plus étroites et plus intenses. Le parrainage est désormais aussi organisé au niveau de l’unité de base des écoles et des entreprises, à savoir la classe et la brigade de production35. Les services scolaires de la mairie de Berlin-Est attendent beaucoup de cette nouvelle formule : « C’est seulement à ce niveau que peuvent naître des relations éducatives efficaces36. »

  • 37 LAB C REP 902/978, SED Bezirksleitung Berlin, Pionierorganisation und FDJ an den Schulen, 1958-196 (...)

24Sur le plan quantitatif, le lancement de cette nouvelle formule est relativement difficile à Berlin-Est37.

1960

1967

1968

1970

1975

9,9

15,8

20

60

75

Tableau 9. – Pourcentage des classes des écoles de Berlin-Est liées à une brigade de production (1960-1975).

  • 38 SAPMO, DY 25/842, Halbjahresstatistik 1961, non paginé.
  • 39 LAB, C REP 120/210, FDJ, 1960-1969, p. 87.
  • 40 Chiffre rapportée par Kott S., op. cit., p. 349.
  • 41 Ibid., p. 131-134.

25Alors que le pourcentage de ce nouveau type de contrats de parrainage est d’environ 40 % au niveau national au début des années 196038, il est seulement de 10 % dans la capitale est-allemande39. Le développement de ces parrainages est lent, stagnant tout au long des années 1960. En 1968, 20 % des classes de Berlin-Est ont une relation de parrainage avec une brigade de production contre 78 % dans la ville industrielle d’Eisenhüttenstadt située dans le Brandebourg40. Ce retard « berlinois » n’est jamais expliqué dans les rapports. Il ne tient pas à la faiblesse du tissu industriel de la ville mais peut-être au manque de motivation des entreprises. Dans la première moitié des années 1970, la capitale est-allemande rattrape en partie son retard. Entre 1968 et 1975, le taux de parrainage des classes de Berlin-Est passe de 20 à 75 %, profitant du développement du nombre des brigades du travail socialiste41. Les initiatives de parrainage viennent presque exclusivement des chefs d’établissements. Certaines n’aboutissent pas à partir des années 1970 pour la simple raison qu’une entreprise n’a parfois pas assez de brigades à disposition ! Les enseignants sont quant à eux toujours réticents car ils continuent à y voir une surcharge de travail et un empiètement de leur champ de responsabilités.

26Le changement d’échelle ne s’accompagne nullement d’un changement des pratiques. Les relations de parrainage comportent toujours des aides matérielles très précieuses pour les écoles. L’ambition de ce nouveau type de relation est de développer des contacts personnels réguliers entre les ouvriers et les élèves. Ces échanges sont attestés dans les journaux de classe et sont évoqués sous la forme de récits. Ces derniers sont certes rédigés par les enfants mais le texte est dicté par l’institutrice. En mai 1974, la brigade de la classe 4a de l’école Lénine de Friedrichshain rend visite aux élèves. Le récit de cette rencontre est consigné dans le journal de la classe :

  • 42 SM, Kj 97/478 QQ, 09/05/04/02, Gruppenbuch der Pioniere der Klasse 4a, 12.09.1973-juin 1974, non p (...)

« Le lundi 27 mai 1974, nous avons reçu la visite de la brigade qui nous parraine lors de la deuxième heure de cours. Deux femmes étaient là. Elles nous ont félicités à l’occasion de la journée de l’enfant. Nous avons reçu beaucoup de choses : du papier à écrire, des buvards. Le gâteau nous a surpris le plus. Ensuite, on n’a plus eu cours, juste une heure où nous avons mangé des gâteaux. Nous nous sommes tous réjouis. À la fin, chacun a reçu une masse de papier buvard, de papier dessin. Nous étions fou de joie grâce à la brigade qui nous parraine42 ! »

  • 43 LAB, C REP 903-01-08/599, op. cit., non paginé.

27La dimension matérielle continue de dominer ce type d’échanges et cette réalité inchangée des parrainages est constatée avec lucidité et amertume par des fonctionnaires du SED de Weissensee venus inspecter au milieu des années 1970 l’école Pestalozzi à Weissensee : « Il existe des contrats de parrainage dans trente-six classes qui s’orientent trop souvent encore exclusivement du côté du soutien matériel et de la signature officielle du contrat43. »

28Seule la direction du SED, bien qu’informée, refuse de voir la réalité telle qu’elle est. Elle exalte au contraire la dimension politique et idéologique de cette forme de relation entre les élèves et les ouvriers. Lors du huitième congrès du parti en 1971, le parrainage est élevé au rang de « tradition », preuve de l’attachement très fort des autorités à cette pratique :

  • 44 Cité dans Steudten G., « Für eine höhere Qualität der Beziehungen zwischen Schule und Betrieb », P (...)

« C’est une bonne tradition que les ouvriers dans les entreprises exercent une influence immédiate sur les jeunes individus, leur transmettent leur expérience de la lutte des classes et leur communiquent le sens de l’honneur de travailler. Cette tradition doit être bien entretenue44. »

  • 45 PBM, 0457-99, Patenschaftsvertrag 30. OS, 1987, non paginé.
  • 46 SM, Kj 97/480 Q. Q, Gruppenbuch der Pioniere der Klasse 1a und 2a der Lenin-Oberschule, Septembre (...)

29Sur le plan pratique, le contrat, copie conforme de l’ancienne forme de parrainage, est préparé entre le professeur principal et le chef de brigade, chacun ayant reçu l’autorisation de leur hiérarchie45. La volonté d’établir des relations personnelles entre les ouvriers et les élèves se traduit par le fait que le contrat est officiellement signé en classe par le chef du groupe de Pionniers (ou de la FDJ) et un représentant de la brigade. Auparavant, les contacts étaient limités à certaines occasions ponctuelles comme le jour de la rentrée, la visite de l’entreprise ou la Jugendweihe. Des photographies trouvées dans les livres de groupes de pionniers de l’école Lénine de Friedrichshain illustrent ce genre de cérémonie. Le 26 avril 1974, les élèves de la classe signent leur contrat de parrainage avec une brigade d’ouvriers en bâtiment46. Cette signature s’inscrit dans le cadre d’une cérémonie officielle au cours de laquelle l’élève qui a été élu à la tête du groupe de Pionniers appose au nom de la classe sa signature sur le contrat de parrainage. Ensuite, la classe pose à la fin de la cérémonie avec les adultes pour une photo souvenir. La multiplication de ces gestes symboliques reflète en fait une absence totale de dialogue : les adultes n’ont pas grand-chose à dire aux élèves et souhaitent se limiter à un rôle de soutien matériel ou financier sans s’investir concrètement dans le travail éducatif.

Figure 10. – Cérémonie de parrainage entre la classe 10 de l’école Lénine de Friedrichshain et une brigade d’ouvriers en bâtiment, avril 1974.

  • 47 LAB, C REP 145-13/78, Rat des Stadtbezirkes Treptow, Abt. Volksbildung, Patenschaftsvertrag zwisch (...)

30Cette photo est intéressante dans la mesure où elle reflète la pratique couramment utilisée par les brigades pour faire semblant de s’engager dans le champ scolaire. Le ministère de l’Éducation souhaite que les brigades s’occupent en priorité des élèves âgés de 12 à 18 ans, c’est-à-dire ceux directement concernés par l’éducation polytechnique, l’éducation militaire et l’orientation professionnelle. Or, c’est le contraire qui se produit : les brigades concluent la plupart du temps des contrats de parrainage avec les enfants, délaissant les adolescents. Il est plus facile pour elles d’encadrer des jeunes enfants car cela ne nécessite pas le même engagement, notamment sur le plan idéologique : « De nombreuses brigades veulent parrainer une petite classe parce que c’est plus facile de travailler avec les plus jeunes47. » Le parrainage de classes de lycées impliquerait d’organiser des discussions politiques, des rencontres d’orientation professionnelle. Or, les membres des brigades n’ont souvent ni le temps, ni l’envie de s’engager dans la dimension éducative et idéologique du parrainage.

31En 1970, la direction du SED de Berlin-Est dresse le bilan des relations de parrainage :

  • 48 LAB, C REP 902/2 841, SED Bezirksleitung Berlin, Abt. Wissenschaft und Bildung, Ideologische Arbei (...)

« 60 % de toutes les classes ont un contrat de parrainage : dans les classes supérieures, la relation de parrainage est plus faible. La coopération entre la jeunesse scolaire et les jeunes ouvriers fait défaut48. »

  • 49 Neubert G., Schmidt S., « Für vielfältige Beziehungen zwischen Schülern und Werktätigen », Pädagogi (...)
  • 50 LAB, C REP 910/8 951, Ergebnisse, Erfahrungen und Probleme bei der gewerkschaftlichen Einfußnahmen (...)

32Ce phénomène, déjà dénoncé à la fin des années 1960 par des pédagogues comme « une relation à un oncle gentil49 », perdure jusque dans les années 1980. En 1984, la direction du SED de Marzahn constate ainsi dans son rapport sur les relations de parrainage dans l’arrondissement que des entreprises locales préfèrent continuer à parrainer une classe de jeunes élèves en dehors de l’arrondissement plutôt que de prendre en charge des adolescents scolarisés à Marzahn50 !

  • 51 LAB, C REP 135-13/110, Stadtbezirk Friedrichshain Patenschaftsbeziehungen EOS-Betriebe 1966-1969, (...)

33En outre, l’engagement des brigades ouvrières n’est pas purement gratuit. Il sert des intérêts propres à cette micro-structure. Les fonctionnaires des services scolaires de l’arrondissement de Friedrichshain déplorent ainsi le fait que les brigades ne développent une activité de parrainage que lorsqu’il s’agit de décrocher un titre collectif, c’est-à-dire une prime51.

  • 52 Verfügungen und Mitteilungen des Ministeriums für Volksbildung, 1966, p. 81-84.
  • 53 SAPMO, DY 25/2 505, Statistische Halbjahres-und Jahresberichte der Pionierorganisation Ernst Thälm (...)

34Enfin, la nouvelle formule de parrainage met encore davantage en concurrence dans le champ scolaire que par le passé la « classe ouvrière » avec l’armée. Le 19 novembre 1965, une directive sur la prise d’influence des ouvriers, des paysans et des élites sur l’éducation des enfants par le biais des relations de jumelage, autorise les écoles à conclure des contrats de parrainage entre des classes et des unités de la NVA ou de la police52. Cette pratique se développe et apparaît ponctuellement dans les rapports des services scolaires d’arrondissements mais nous ne disposons d’aucune donnée chiffrée précise. Selon des statistiques émanant des services centraux de l’organisation des Pionniers en 1977, 92 % des contrats sont conclus avec des brigades industrielles à Berlin-Est53. Les brigades ouvrières ont parfois du mal à soutenir la comparaison avec les militaires aux yeux des élèves. Le lustre de l’uniforme et le port des armes exercent une fascination non négligeable sur un certain nombre d’enfants et d’adolescents. J.H. née en 1976 se rappelle qu’elle et ses camarades de classe enviaient la classe voisine jumelée à une unité militaire :

  • 54 Transcription de l’entretien réalisé avec J.H. le 18 décembre 2003, p. 2.

« Plusieurs fois par an, on devait rendre visite à la brigade qui nous parrainait. Et c’était toujours ennuyeux à mourir. C’était une brigade ouvrière du combinat “7 Octobre” qui fabriquait des outils. Ils n’avaient rien à nous dire et nous non plus. On s’asseyait une heure ensemble autour d’une table, on mangeait des gâteaux et on s’ennuyait à mourir. Les enfants parlaient entre eux et les adultes aussi. J’ai toujours envié la classe voisine. Leur brigade de parrainage était une unité de la NVA et ils faisaient des jeux d’orientation et d’autres choses. C’était intéressant, mais la brigade qui nous parrainait était ennuyeuse54. »

35Ce discours a posteriori comporte une importante dimension dépréciative des ouvriers qui s’explique sans doute par la distance sociale exprimée en général par J.H. à l’égard de toute personne différente de son environnement social. Il ne doit cependant pas nous amener à nier cette fascination de nombreux enfants pour l’armée.

36La tentative de renouvellement de la pratique du parrainage sous la forme de l’approfondissement (relations classes-brigades) et de l’élargissement (ouverture aux unités militaires) se donnait pour ambition d’approfondir les contacts entre les générations. La pratique souffre des mêmes déficits observés dans les années 1950 et plus généralement de l’absence de motivation des ouvriers en dehors de la période de compétition pour les primes.

37Outre la fonction de parrainage, les entreprises socialistes doivent désormais encadrer les élèves lors d’heures de travail productif en entreprise. La découverte concrète du monde industriel est pensée comme une forme d’éducation à « l’amour du travail et de la classe ouvrière ».

Le travail productif en entreprise ou l’expérience du désenchantement

  • 55 Hager K., Die weitere Entwicklung der polytechnischen sozialistischen Schule in der DDR. Referat au (...)

38En janvier 1959, le secrétaire du Comité central du SED Kurt Hager caractérise ainsi l’introduction de la journée de cours productif en entreprise en vigueur depuis la rentrée de septembre 1958 : « C’est une nouvelle forme plus élevée d’influence immédiate de la classe ouvrière et de toutes les forces progressistes sur l’éducation socialiste des élèves55. » Le nouveau programme scolaire prévoit pour les élèves âgés entre 13 et 16 ans un enseignement hebdomadaire pratique de quatre heures dans une entreprise industrielle ou une coopérative agricole socialiste (Unterrichtstag in der Produktion, UTP).

  • 56 Greinert W-D., Das deutsche System der Berufsausbildung. Geschichte, Organisation, Perspektiven, Ba (...)
  • 57 Engels F., Marx K., op. cit., p. 53. Les marxistes ont repris à leur compte les théories de « l’édu (...)
  • 58 Nowa Szkoła, no 7/8, 1958, p. 2-7.

39L’entreprise devient donc un lieu éducatif à part entière, cette réalité correspondant à une triple influence. Ce transfert de compétences éducatives aux entreprises s’inscrit d’abord dans la tradition héritée du système de formation allemand né au XIXe siècle avec l’industrialisation et qui se caractérise par l’importance de l’apprentissage dans la culture industrielle allemande56. Ensuite, le régime fait clairement référence à la tradition marxiste exprimée dans le Manifeste du Parti communiste (« combinaison de l’éducation avec la production matérielle57 »). Enfin, les pédagogues est-allemands reprennent les idées de Kroupskaïa qui ont connu en URSS une renaissance depuis la mort de Staline. Ce cours doit permettre de rapprocher le plus tôt possible les élèves du monde du travail industriel. Le transfert de compétences éducatives à l’entreprise ne figure par contre pas dans la pensée de la pédagogie réformée qui insiste plutôt sur le développement d’un travail de type artisanal (et non industriel) dans des ateliers au sein des écoles. Les responsables est-allemands de la politique éducative sont attachés à l’éducation au travail industriel. La RDA semble incarner au sein du Bloc de l’Est un modèle de socialisme industriel très poussé car à la même époque, les dirigeants communistes polonais (Gomułka et son ministre de l’Éducation Bienkowski) refusent l’idée d’un stage pratique en entreprise58.

  • 59 Ce stage peut s’accomplir à la campagne dans les fermes collectives.

40Concrètement, la préparation et l’organisation des heures pratiques en entreprises sont confiées au niveau de chaque école à un conseil polytechnique qui comprend le directeur de l’école, l’enseignant des cours théoriques de production et le chef d’atelier de l’entreprise qui accueille les élèves. Dès 1959, la journée de cours productif est appelée « travail productif » (Produktive Arbeit, PA). Le glissement sémantique d’enseignement ou cours (Unterricht) à travail (Arbeit) est intéressant à observer puisqu’il reflète l’importance de cette valeur pour les autorités éducatives. À partir de l’âge de 15 ans, les élèves combinent des heures hebdomadaires et un stage pratique de quatorze jours pendant les vacances59.

  • 60 LAB, C REP 902/1 991, Systematisierung des polytechnischen Unterrichtes, der schrittweisen Einführ (...)

41Dans la première moitié des années 1960, environ 120 entreprises berlinoises accueillent les élèves des POS et des EOS qui se répartissent selon les branches suivantes60 :

Graphique 21. – Accueil des cours d’UTP par types d’entreprises à Berlin-Est en 1964 (en %).

42Presque deux tiers des élèves berlinois font leurs heures pratiques dans des entreprises de construction mécanique ou d’électronique. Cette répartition résulte de la volonté du SED qui oriente les élèves en fonction des besoins de l’économie est-allemande. Même si c’est difficilement chiffrable et perceptible dans les sources, il semble qu’une différenciation sexuelle du travail existe déjà : les filles travaillent plutôt dans les usines de fabrication textile ou électronique tandis que les garçons travaillent dans des entreprises de construction mécanique.

  • 61 BBF 80.2112, Ministerium für Volksbildung (dir.), Polytechnische Einrichtungen-Handreichung für Be (...)
  • 62 LAB, C REP 903-01-08/599, op. cit., non paginé.

43En raison du manque de postes de travail dans les entreprises, les élèves âgés de 13-14 ans sont rarement accueillis dans les bâtiments mêmes. Ils sont encadrés dans des « cabinets polytechniques » installés à côté des bâtiments principaux par des contremaîtres délégués par l’entreprise61. Ils sont donc très peu en contact avec la production principale. Les lycéens travaillent dans les usines mêmes, généralement au côté des ouvriers. Ils sont intégrés par petits groupes dans les brigades socialistes ou ils se constituent eux-mêmes en brigades de production (Schülerproduktionsbrigaden). Il se peut aussi qu’ils soient séparés des ouvriers et relégués dans un atelier annexe comme le souligne avec amertume le fonctionnaire du SED auteur d’une inspection de l’établissement Pestalozzi de Weissensee en 1973 : « Nos classes 7 à 10 réalisent leur journée de cours productif dans l’entreprise de machines-outils « 7 Octobre ». L’influence directe des ouvriers sur les élèves, l’intégration de ces derniers dans les problématiques de l’entreprise sont cependant insuffisantes car les élèves sont trop peu associés au processus immédiat de production. Ils travaillent isolés des ouvriers dans des ateliers de formation particuliers62. » Cette mise à l’écart traduit souvent le problème pour les directeurs d’entreprises de concilier leur fonction économique de production (c’est-à-dire tenir le plan) et leur tâche éducative. Les cadres des entreprises craignent toujours que l’association des élèves à la production entrave le bon fonctionnement de l’usine.

  • 63 Souvent, la grande majorité des écoles professionnelles est située dans les entreprises.
  • 64 LAB, C REP 902/1 991, Systematisierung des polytechnischen Unterrichtes, der schrittweisen Einführ (...)

44La mise en place de ces cours productifs se heurte en outre à d’importants problèmes organisationnels compliquant la tâche des responsables du personnel de direction des entreprises. L’introduction de ces heures pratiques doublées d’un stage pendant les vacances scolaires pose tout simplement des problèmes de disponibilités de postes de travail. La plupart des entreprises accueillent aussi dans la semaine des élèves d’écoles professionnelles63 ainsi que leurs propres apprentis qui ont quitté l’école supérieure polytechnique. Cette accumulation de jeunes à encadrer engendre des problèmes de planification de la production64. Certaines entreprises vont jusqu’à refuser de mettre à disposition des postes de travail pour des élèves comme le constate un fonctionnaire du service scolaire de Friedrichshain en 1980 :

  • 65 LAB, C REP 903-01-01/960, SED Kreisleitung Friedrichshain, Erziehungseinfluss der Arbeiterklasse. (...)

« En dépit de nombreux efforts effectués par la commission d’arrondissement du plan, par le directeur immobilier de l’arrondissement et par l’inspection académique, nous n’avons pas réussi à obtenir du directeur de l’entreprise de réparations de constructions qu’il mette à disposition des postes de travail pour le cours productif. Dès lors, l’objectif de la direction régionale du SED de faire travailler 10 % des élèves dans le bâtiment n’est pas réalisé. Des difficultés semblables se posent au niveau de l’acceptation du cours productif dans l’entreprise qui assure la fabrication de caoutchouc65. »

  • 66 LAB, C REP 120/2 223, op. cit., p. 87.

45Ces énormes problèmes logistiques et organisationnels débouchent aussi dès les années 1960 sur des critiques formulées par les parents d’élèves par le biais de requêtes. Les parents d’élèves exigent des cours productifs de meilleure qualité et s’inquiètent des conditions de travail66. Ils sont rejoints dans leurs critiques par les enseignants en charge du cours théorique :

  • 67 Ibid., p. 30.

« Une bon nombre de requêtes et de plaintes dénoncent les manques dans la mise en œuvre de la journée de cours productif. Par exemple, les conditions intolérables de l’entreprise Birkholz ont été critiquées. […] Les enseignants ont également protesté auprès de l’entreprise Sécura et de l’entreprise fabriquant des ponceuses, rappelant que les élèves restent là à ne rien faire, qu’ils n’obtiennent aucun travail correspondant au programme, si bien que l’enseignement théorique n’a aucun rapport avec le travail pratique67. »

46Ce travail productif met ainsi régulièrement en contact pour quelques heures (l’espace d’une matinée ou d’un après-midi) des élèves et des ouvriers. Ces derniers ont été présentés en classe comme de véritables héros. Dans les archives officielles du parti et ce, quel que soit l’échelon, les rapports insistent sur l’influence exercée par les ouvriers sur les élèves ainsi que sur les relations de camaraderie qui se développent :

  • 68 LAB, C REP 903-01-01/960, op. cit., non paginé.

« L’influence des travailleurs productifs sur la formation et l’éducation des élèves augmente. On réussit de mieux en mieux à faire prendre conscience aux élèves des questions d’organisation de la production, des problèmes du processus de production et du combat pour une augmentation continue de la productivité. Les élèves font l’expérience des contacts amicaux entre collègues. La plupart des élèves sont contents d’apprendre et de travailler en entreprise parce que leur activité peut être couronnée de succès, que le personnel d’encadrement est à leur côté, les aide amicalement et leur fait prendre conscience de l’utilité de leur travail68. »

47L’image très positive laissée par les rapports officiels, quasiment idyllique, reposant sur les valeurs de camaraderie et d’utilité, mérite d’être nuancée à l’appui d’autres types de sources. Avec toutes les précautions méthodologiques à prendre en raison du discours a posteriori souvent négatif sur la RDA, l’expérience des heures pratiques en entreprise se laisse ainsi très bien reconstruire à l’aide d’entretiens avec des personnes représentant différentes générations. Né en 1944, fils d’un Neulehrer, J.K. fait partie de la première génération de lycéens envoyés dans les entreprises en 1958. Il décrit le choc culturel qu’il a ressenti au cours de son expérience en usine :

  • 69 Transcription de l’entretien réalisé avec J.K. le 16 mars 2004, p. 7-8.

« Tout était horrible. C’était inhabituel pour moi. Nous étions dans une entreprise de fabrication de locomotives et de machines. L’atmosphère était sale, sombre, désordonnée. Les coutumes étaient effroyables. Ce n’était pas agréable. Et il n’y avait pas de pause. […] Pour les ouvriers, nous étions embarrassants, gênants. Ils ne s’intéressaient qu’aux jeunes filles ! Mais les garçons, eux, dérangeaient69. »

48Comme le montrent ses paroles, l’expérience en usine est d’abord une expérience sonore et visuelle traumatisante : l’odeur, la saleté, les bruits, la façon de se comporter des ouvriers. La réalité est souvent très loin de ce que les élèves ont pu entendre à l’école sur la classe ouvrière et les entreprises socialistes. Le discours de J.K. reflète la distance sociale entre son environnement social habituel et le monde de l’entreprise. Il porte un jugement peu flatteur sur les ouvriers présentés comme des « coureurs de jupon », ce qui est une façon de souligner indirectement une forme de jalousie.

  • 70 LAB, C REP 120/2 199, Informationsberichte an das MfV, 1967, p. 55.

49Au-delà des problèmes d’adaptation à un monde différent de celui de l’école, les élèves sont régulièrement confrontés aux problèmes du manque de ressources et donc en fin de compte à l’inactivité. En 1967, le service scolaire de l’arrondissement de Mitte souligne les conséquences directes des difficultés concrètes de l’économie planifiée : « Dans l’entreprise BSG, le flot de production n’est pas assuré à cause du manque de quelques pièces. Pour les élèves des classes 9 et 10, il n’y avait pas assez de travail correspondant au programme à disposition et quelques classes ont été renvoyées à la maison avant la fin du cours70. » Ce manque de ressources est une réalité continue de l’expérience faite par les élèves en entreprise.

50En outre, le travail que les contremaîtres donnent à faire aux élèves est généralement ennuyeux et monotone. Il s’agit de travaux d’appoint très répétitifs. Cela consiste par exemple à compter les boulons, à limer des barres de fer, à percer en une heure six cents trous dans des plaques de métal. L’expérience de la monotonie du travail est relevée par des fonctionnaires de l’organisation des Pionniers de la 11e école de Friedrichshain au milieu des années 1960 :

  • 71 LAB, C REP 120/2 408, Pionierorganisation, 1962-1964, p. 64.

« Les Pionniers des classes 7 et 8 de la 11e école de Friedrichshain critiquent le fait qu’ils liment depuis des mois. Malheureusement, on rencontre cet avis tellement souvent qu’il faut se rendre à l’évidence : l’organisation actuelle de la journée de cours productif n’est pas satisfaisante71. »

  • 72 LAB, C REP 902/1 991, op. cit., non paginé.

51Un fonctionnaire de la direction du SED de Berlin-Est attire l’attention de ses supérieurs en 1964 sur les conséquences de la monotonie sur l’attractivité de certains métiers : « Dans de nombreux cas, les élèves sont occupés à faire largement du travail d’appoint, par exemple dans le travail de la métallurgie, ils passent leur temps à limer, si bien qu’une partie des élèves, particulièrement les filles ont une aversion pour les métiers du métal72. »

Figure 11. – Heure de travail productif dans une entreprise de Prenzlauer Berg, 1986.

  • 73 Né en 1952, cet homme a été jusqu’au milieu des années 1980 professeur de physique et de mathémati (...)

52Cette monotonie s’illustre aussi par le biais de cette photographie prise par Völker Döring73 dans les années 1980 dans une entreprise de Prenzlauer Berg. Des élèves travaillent sous l’autorité d’un contremaître dans une pièce isolée du reste de l’entreprise. La tâche des élèves assis au premier plan est de limer des pièces de métal. Plus que l’attitude de leur corps – ils sont concentrés sur leur tâche –, c’est l’alignement des pièces de métal sur la table et dans les caisses qui souligne cette impression de monotonie. Au-delà de la répétitivité du travail à effectuer, ce qui semble marquer les élèves, c’est de faire l’expérience de la pression des normes.

  • 74 Honecker M., Der gesellschaftliche Auftrag unserer Schule. Referat des Ministers für Volksbildung a (...)
  • 75 LAB, C REP 903-01-01/960, op. cit.

53Au cours des années 1970-1980, les directives des services scolaires des arrondissements mettent l’accent sur l’intégration des élèves dans le « combat pour les normes ». En 1978, dans un discours intitulé « La mission sociale de nos écoles74 », la ministre de l’Éducation Margot Honecker exige que la production des élèves soit intégrée dans la planification de la production des entreprises et que ces adolescents soient finalement considérés comme de la main d’œuvre normale. Un fonctionnaire du SED de Friedrichshain note en 1980 dans son rapport concernant les six entreprises qui accueillent des élèves en cours productif que « le travail productif des élèves est organisé de telle manière qu’ils sont intégrés directement au combat pour l’accomplissement du plan, pour l’augmentation de la qualité des produits et pour la réduction des pièces manquées75 ».

54L’intégration des élèves dans la production planifiée ne cesse de croître dans les années 1970. Nous ne disposons que de données chiffrées sporadiques mais elles attestent toutes de cette évolution. À Friedrichshain, le nombre d’élèves impliqués directement dans la production a augmenté de 66 % entre 1974 à 1981, passant de 255 à 425 personnes. Dans l’entreprise de freins de cet arrondissement (VEB Berliner Bremsenwerk, BBW), la production complète de cylindres de freins (4 000 par mois) et de ventilateurs est assurée par des élèves. De fait, d’initiation au travail manuel, le cours productif se transforme en heures de travail et les élèves deviennent des forces de production gratuites.

  • 76 Transcription de l’entretien réalisé avec T.S. le 8 septembre 2004, p. 6-7.
  • 77 Wiechmann D., Immer bereit ! Von einem Jungen Pionier, der auszog, das Glück zu suchen, Munich, 200 (...)

55Cette dimension de l’expérience en usine est très présente dans les entretiens conduits avec des élèves nés au début des années 1970. T. S. se souvient de cette pression : « Il y avait des choses terribles avec les normes. Terrible. J’étais d’accord avec le travail physique mais ces normes nous ont mis sous pression76. » Cette pression des normes est décrite de façon ironique dans un des nombreux essais autobiographiques sur l’enfance en RDA parus au début des années 2000. Daniel Wiechmann décrit dans un des chapitres de son livre son expérience en entreprise : « Le cours de travail productif ne se déroulait pas pour le plaisir. Chaque activité était réglée par une norme qu’il fallait atteindre. À la fin de l’heure de cours, il y avait une note correspondant au remplissage ou au non remplissage de la norme77. »

56Cette réalité a aussi été photographiée par Volker Döring dans les années 1980. Il nous montre un élève inscrire ses résultats productifs sur le tableau de la salle réservée au personnel d’une brigade. Le fait de mettre les résultats sur un tableau doit susciter chez les élèves un sentiment d’émulation et de compétition.

Figure 12. – Heure de travail productif dans une entreprise de Prenzlauer Berg, 1986.

57Plus que l’expérience de la saleté ou de la pression des normes, les élèves découvrent la distance sociale entre eux et les ouvriers, surtout les élèves issus de familles de fonctionnaires du parti. Le premier exemple est celui de T. S qui exprime très bien ce qu’a pu être cette expérience de désenchantement malgré le fait qu’il n’ait jamais été un jeune socialiste engagé. Né en 1972, il découvre le monde de l’entreprise au milieu des années 1980. C’est avec un certain mépris qui masque sa déception qu’il revient sur le contact avec les ouvriers :

  • 78 Transcription de l’entretien réalisé avec T. S. le 8 septembre 2004, p. 6-7.

« C’était très monotone, dégradant quand on sait calculer des intégrales. J’étais en contact avec des ouvriers qui s’étaient crées une niche. Ils travaillaient à un poste de sciage. Ils travaillaient seulement trois fois par semaine parce que les élèves du cours productif travaillaient à leur place le reste du temps. Ils écoutaient la radio et ils buvaient. Tu allais à l’usine avec l’idée de devenir un ouvrier qualifié et tu pensais trouver du plaisir et tu voyais que tout le monde était sale et saoul, que les ouvriers passaient leur temps à tricher et à voler. C’était ça la réalité du socialisme78. »

58Derrière ces paroles très sévères apparaît toute la distance sociale entre les élèves de lycées et les ouvriers. Derrière les accusations de vols ou de tricherie apparaît chez T.S. toute la méconnaissance du fonctionnement réel d’une entreprise socialiste qui repose sur les arrangements. Il faut une fois encore tenir compte du discours a posteriori très dépréciatif qui est une façon de prendre ses distances avec ce modèle éducatif et avec la RDA.

59Reste que cette distance sociale est réciproquement ressentie et exercée, ce qui nous permet de nuancer l’idée de l’entreprise comme lieu de l’intégration sociale et de la construction de ce lien communautaire entre les générations. Eduquée encore plus que les autres élèves dans la croyance d’une classe ouvrière engagée et motivée dans son travail, la future élite du socialisme découvre des ouvriers qui volent du matériel, écoutent la radio occidentale sur le lieu de travail… Cette expérience conduit les jeunes les moins convaincus à douter du socialisme et de ce que l’école leur apprend. Elle leur ouvre aussi les yeux sur un avenir peu doré en tant qu’ouvrier spécialisé.

60Un cas intéressant d’interaction entre une ouvrière et une lycéenne est mentionné dans le rapport d’une élève qui travaille pour la Stasi comme collaboratrice officieuse à la fin des années 1970. Élève de 11e classe du lycée Gerhart Hauptmann de Köpenick, cette adolescente âgée de seize ans relate un épisode survenu lors du stage en usine pendant les vacances de printemps en 1980 :

  • 79 BStU, MfS, AIM 8330/85, Berichte des IM « Karin Lenz », 1978-1984, p. 42.

« Aujourd’hui dans notre classe, nous avons discuté d’un incident survenu lors du stage. L’élève C. P., dont le père est officier dans les troupes à la frontière, s’est plainte auprès du chef de service compétent dans l’usine de textile à propos d’une femme avec laquelle elle travaillait car celle-ci écoutait la RIAS sur un petit poste radio. Elle n’avait pas parlé auparavant avec cette femme. Le chef de service a dû réprimander sérieusement cette collègue. La direction et notre professeur principal ont fait des compliments à C.P. pour son comportement79. »

61Il est intéressant de constater que ce comportement a été aussi jugé positivement par les autres élèves. Ses camarades lui reprochent par contre d’être allée voir directement le chef d’atelier sans avoir recherché la « confrontation idéologique » (c’est-à-dire le dialogue) avec l’ouvrière. Le rapport de cette élève travaillant pour le compte de la Stasi comme collaborateur officieux montre à quel point la découverte du monde de l’entreprise pouvait contenir de déceptions et de désillusion pour des adolescents engagés. Ces derniers exercent ponctuellement une sorte de contrôle politique plus zélé car ils ne connaissent pas le système de compromis et d’arrangements qui fonctionne au sein des usines entre les ouvriers et la direction.

62L’éducation polytechnique est l’expression de la volonté de l’État de former une génération d’ouvriers qualifiés à partir d’un renforcement des connaissances scientifiques théoriques, des activités extrascolaires techniques et scientifiques et de l’expérience pratique en usine. L’entreprise est renforcée dans ses fonctions éducatives, même si les relations de parrainage et les heures pratiques en usine ne donnent pas toujours les résultats escomptés. C’est ainsi que la découverte de la réalité de l’entreprise socialiste débouche souvent sur un désenchantement des élèves, sentiment qui a dû se renforcer encore après la réunification chez les personnes interrogées. En tout cas, ce modèle éducatif a formé toutes les générations d’élèves nés depuis le début des années 1950 dans un contexte de croyance au progrès scientifique et technique.

Notes

1 Pour plus de détails sur l’histoire macroéconomique de la RDA, voir Steiner A., Von Plan zu Plan. Eine Wirtschaftsgeschichte der DDR, Munich, Deutsche Verlags-Anstalt, 2004.

2 Anweisungen des Ministeriums für Volksbildung über die Stundentafeln der allgemeinbildenden Schulen für das Schuljahr 1958/59, Verfügungen und Mitteilungen des Ministeriums für Volksbildung, 1958, p. 71-74.

3 Gesetz über die sozialistische Entwicklung des Schulwesens in der DDR vom 2. Dezember 1959, Gesetzblatt der DDR, vol. 1, 1959, p. 859-863.

4 Dokumente zur Geschichte des Schulwesens in der DDR 1956-1967/68, Berlin-Est, Volk und Wissen, 1969, p. 241-245.

5 Anweisungen des Ministeriums für Volksbildung über die Stundentafeln der allgemeinbildenden Schulen für das Schuljahr 1955/56, Verfügungen und Mitteilungen des Ministeriums für Volksbildung, 1955, p. 181.

6 David Hilbert (1862-1943) est l’un des plus grands mathématiciens du XXe siècle. Il réussit la reconstruction de la géométrie euclidienne sous forme d’axiomes.

7 Borneleit P., « Lehrplan und Lehrplanarbeitung, Schulbuchentwicklung und-verwendung in der DDR », Zentralblatt für Didaktik der Mathematik, vol. 35, no 4, 2003, p. 134-145.

8 Réfuté dès 1973 par les associations d’enseignants de mathématiques, cet enseignement fut retiré des programmes en 1985 qui marque le retour en force de la géométrie euclidienne et d’un enseignement basé sur l’apprentissage du raisonnement hypothético-déductif, c’est-à-dire que ce dernier s’appuie sur des images non seulement mentales mais aussi visuelles, des objets et des concepts mathématiques. Voir Katz V. J., A History of Mathematics, New York, Addison-Wesley Educational Publishers, 1998.

9 Comme la politique scolaire relève des Länder en RFA, il est plus difficile d’établir une comparaison globale. Sans tomber dans la caricature, nous pouvons tout de même affirmer que les exigences de niveau sont moins fortes à l’Ouest. Dans les années 1980, les élèves des écoles primaires de RDA ont plus d’heures de mathématiques (821 heures à l’année pour les classes 1-4 en RDA contre 753 en Bavière, 772 en Hesse et 618 en Rhénanie du Nord-Westphalie) et sont en avance sur leurs camarades ouest-allemands (apprentissage des opérations de division et de multiplication dès la première année d’école primaire). Voir Griesel H., « Vergleich grundlegender Konzeptionen der Mathematikdidaktik in der BRD und in der DDR », Zentralblatt für Didaktik der Mathematik, vol. 35, no 4, 2003, p. 166-171.

10 Le terme de spécialisation ou d’élites est très mal vu par Margot Honecker et le Comité central du SED.

11 En 1963, la mairie de Berlin-Est crée une école spéciale Werner Seelenbinder à Prenzlauer Berg pour les talents sportifs. Voir Wiese R., « Der Ursprung der Kinder-und Jugendsportschulen der DDR », Deutschland Archiv, vol. 37, no 3, 2004, p. 422-430.

12 Gesetz über das einheitliche sozialistische Bildungssystem der DDR, p. 27.

13 Un entretien a été conduit le 18 octobre 2005 avec Ernst Brumme, directeur de l’école Heinrich Hertz entre 1965 et 1979. Né en 1922 dans une famille ouvrière social-démocrate, il embrasse la carrière d’enseignant de mathématique et de physique en 1945. À partir de 1952, il travaille sur Berlin. Il obtient un poste de directeur à la fin des années 1950 dans un établissement de Pankow avant d’être nommé par la ville de Berlin-Est à l’école Heinrich-Hertz en 1965.

14 En 1970, le système universitaire est-allemand « produit » 5 200 ingénieurs diplômés et 15 300 ingénieurs spécialisés (dont 25 % de femmes) contre respectivement 3 800 et 13 750 ingénieurs en RFA.

15 Heimatmuseum Kreuzberg-Friedrichshain, Schulchronik der Heinrich-Hertz-Oberschule, 1986, non paginé.

16 En France, une expérience pilote est conduite dès 1966 qui est généralisée à partir des années 1970 à la suite d’une recommandation du Centre d’études et de recherches pour l’innovation dans l’enseignement (CERI) de l’OCDE créé en 1968.

17 Heimatmuseum Kreuzberg-Friedrichshain, Schulchronik der Heinrich-Hertz-Oberschule, 1986, non paginé.

18 Le Concours général de mathématiques introduit en France en 1803 correspond de loin à cette manifestation. Depuis 2000, le ministère de l’Éducation nationale français a mis sur pied des olympiades académiques de mathématiques.

19 LAB, C REP 902/982, SED Bezirksleitung Berlin, Abt. Wissenschaft und Bildung, Mathematik-Olympiade, 1960-1962, non paginé.

20 Une des premières compétitions de mathématiques a eu lieu en Hongrie en 1894 (le concours Kürschak).

21 Adam Ries (1492-1559) a développé le « calcul en ligne » créant ainsi notre méthode de calcul et donnant en même temps le coup de grâce au boulier.

22 Cette commission centrale mise sur pied pour organiser la compétition est constituée de deux professeurs de l’université Humboldt, de représentants des organisations de jeunesse et des ministères de l’Éducation et du secrétariat à l’enseignement supérieur ainsi que des pédagogues de l’Institut central allemand de pédagogie.

23 BA, DR 2/6 557, Matheolympiade, 1960-1963, non paginé.

24 LAB, C REP 120/2 408, Pionierorganisation Berlin, 1962-1964, p. 19.

25 BA, DR 2/6 557, op. cit., non paginé.

26 LAB, C REP 120/2 408, op. cit., p. 19. Pour les élèves de l’école Heinrich-Hertz, la participation aux deux premiers tours est obligatoire.

27 BA, DR 2/6 557, op. cit., non paginé.

28 Ibid.

29 LAB, C REP 902/982, op. cit., non paginé.

30 Transcription de l’entretien réalisé avec J. K le 16 mars 2004, p. 10.

31 Friedrichshain-Kreuzberg Archiv, Schulchronik der Heinrich-Hertz-Oberschule, non paginé.

32 BA, DR 2/6 597, Patenschaften zwischen Schulklassen und sozialistischen Betrieben, septembre 1959-juillet 1960, non paginé.

33 SAPMO, DY 24/11 204, Zentralrat der FDJ, Abt. Schuljugend, Patenschaftsarbeit, 1958-1962, non paginé.

34 SAPMO, DY 25/587, Beschlüsse und Richtlinien zum Abschluss von Patenschaftsverträgen der VEB mit den Schulen, 1955-1959, non paginé. La relation est reprécisée dans le règlement scolaire d’octobre 1967 (§ 36-37).

35 C’est en 1958 que le régime est-allemand met en place sur le modèle soviétique les brigades du travail socialiste. Ces brigades, appelés collectifs de travail à partir de 1971, doivent constituer un cadre pour l’organisation collective de la vie productive et sociale au sein de l’entreprise et encourager la formation et l’éducation de chacun des membres afin qu’ils deviennent des individus et des travailleurs socialistes. Voir Roesler J., « Die Produktionsbrigaden in der Industrie der DDR. Zentrum der Arbeitswelt? », Kaelble H., Kocka J., Zwahr H. (dir.), op. cit., p. 144-170.

36 LAB, C REP 120/2 410-1, op. cit., p. 130.

37 LAB C REP 902/978, SED Bezirksleitung Berlin, Pionierorganisation und FDJ an den Schulen, 1958-1962, non paginé; LAB, C REP 120/2 202, op. cit., p. 29 ; SAPMO, DY 25/2 505, Statistische Halbjahres-und Jahresberichte der Pionierorganisation Ernst Thälmann, 1972-1978, p. 192.

38 SAPMO, DY 25/842, Halbjahresstatistik 1961, non paginé.

39 LAB, C REP 120/210, FDJ, 1960-1969, p. 87.

40 Chiffre rapportée par Kott S., op. cit., p. 349.

41 Ibid., p. 131-134.

42 SM, Kj 97/478 QQ, 09/05/04/02, Gruppenbuch der Pioniere der Klasse 4a, 12.09.1973-juin 1974, non paginé.

43 LAB, C REP 903-01-08/599, op. cit., non paginé.

44 Cité dans Steudten G., « Für eine höhere Qualität der Beziehungen zwischen Schule und Betrieb », Pädagogik, vol. 27, no 9, 1972, p. 798.

45 PBM, 0457-99, Patenschaftsvertrag 30. OS, 1987, non paginé.

46 SM, Kj 97/480 Q. Q, Gruppenbuch der Pioniere der Klasse 1a und 2a der Lenin-Oberschule, Septembre 1973-Mai 1975, non paginé.

47 LAB, C REP 145-13/78, Rat des Stadtbezirkes Treptow, Abt. Volksbildung, Patenschaftsvertrag zwischen dem VEB Kali-Chemie und der 4. OS Berlin-Treptow, 1969, non paginé.

48 LAB, C REP 902/2 841, SED Bezirksleitung Berlin, Abt. Wissenschaft und Bildung, Ideologische Arbeit, 1968-1971, non paginé.

49 Neubert G., Schmidt S., « Für vielfältige Beziehungen zwischen Schülern und Werktätigen », Pädagogik, no 4, 1967, p. 319.

50 LAB, C REP 910/8 951, Ergebnisse, Erfahrungen und Probleme bei der gewerkschaftlichen Einfußnahmen der Patenschaftsbeziehung Betrieb-Schule und Arbeitskollekiv-Schulklasse, décembre 1984, non paginé.

51 LAB, C REP 135-13/110, Stadtbezirk Friedrichshain Patenschaftsbeziehungen EOS-Betriebe 1966-1969, non paginé.

52 Verfügungen und Mitteilungen des Ministeriums für Volksbildung, 1966, p. 81-84.

53 SAPMO, DY 25/2 505, Statistische Halbjahres-und Jahresberichte der Pionierorganisation Ernst Thälmann, 1972-1978, p. 205.

54 Transcription de l’entretien réalisé avec J.H. le 18 décembre 2003, p. 2.

55 Hager K., Die weitere Entwicklung der polytechnischen sozialistischen Schule in der DDR. Referat auf der 4. Tagung des ZK der SED, Berlin-Est, Dietz Verlag, 1959, p. 3.

56 Greinert W-D., Das deutsche System der Berufsausbildung. Geschichte, Organisation, Perspektiven, Baden-Baden, Nomos, 1993. Voir aussi Grossewinkelmann J., Zwischen Werk-und Schulbank. Duales System und regionale Berufsausbildung in der Solinger Metallindustrie 1869-1945, Essen, Klartext, 2004.

57 Engels F., Marx K., op. cit., p. 53. Les marxistes ont repris à leur compte les théories de « l’éducation intégrale » des premières générations de socialistes (Fourier notamment) centrée en partie sur l’enfant producteur et la polytechnie de l’apprentissage. Voir Bremand Nathalie, Les socialismes et l’enfance. Expérimentation et utopie (1830-1870), Rennes, PUR, 2008.

58 Nowa Szkoła, no 7/8, 1958, p. 2-7.

59 Ce stage peut s’accomplir à la campagne dans les fermes collectives.

60 LAB, C REP 902/1 991, Systematisierung des polytechnischen Unterrichtes, der schrittweisen Einführung der beruflichen Grundsausbildung und der Einrichtung von Spezialschulen und-klassen von 3.7.1963, non paginé.

61 BBF 80.2112, Ministerium für Volksbildung (dir.), Polytechnische Einrichtungen-Handreichung für Betriebe, Genossenschaften und örtliche Organe zum Bau von Einrichtungen des polytechnischen Unterrichts, Berlin, 1979.

62 LAB, C REP 903-01-08/599, op. cit., non paginé.

63 Souvent, la grande majorité des écoles professionnelles est située dans les entreprises.

64 LAB, C REP 902/1 991, Systematisierung des polytechnischen Unterrichtes, der schrittweisen Einführung der beruflichen Grundsausbildung und der Einrichtung von Spezialschulen und-klassen von 3.7.1963, non paginé.

65 LAB, C REP 903-01-01/960, SED Kreisleitung Friedrichshain, Erziehungseinfluss der Arbeiterklasse. Einschätzung und Bericht von Entwicklung der POS, 1980, non paginé.

66 LAB, C REP 120/2 223, op. cit., p. 87.

67 Ibid., p. 30.

68 LAB, C REP 903-01-01/960, op. cit., non paginé.

69 Transcription de l’entretien réalisé avec J.K. le 16 mars 2004, p. 7-8.

70 LAB, C REP 120/2 199, Informationsberichte an das MfV, 1967, p. 55.

71 LAB, C REP 120/2 408, Pionierorganisation, 1962-1964, p. 64.

72 LAB, C REP 902/1 991, op. cit., non paginé.

73 Né en 1952, cet homme a été jusqu’au milieu des années 1980 professeur de physique et de mathématiques à Prenzlauer Berg. Depuis 1979, il s’est essayé à la photographie en autodidacte. Pour des raisons de santé, il doit quitter l’enseignement en 1984. Il est replacé dans le service scolaire administratif de l’arrondissement de Prenzlauer Berg. Parallèlement, il dirige un « atelier photo » dans la maison des Pionniers. Pour garder un souvenir de sa carrière d’enseignant, il décide au cours de l’année 1986-1987 de photographier le quotidien des écoles de Prenzlauer Berg. Il reçoit une autorisation sans restriction de la part de l’inspection académique pour photographier dans toutes les écoles de cet arrondissement. Cela nous donne un corpus d’environ 3 000 photographies, dont la plupart ont été données au Musée de l’enfance et de la jeunesse de Berlin en 1994. En 1996, il a tiré de son matériel photographique un album accompagné d’un essai de Christoph Dieckmann et de documents rassemblés par la directrice du Musée de l’enfance et de la jeunesse de Berlin Nele Güntheroth. Voir Döring V., Fröhlich sein und singen. Schule vor der Wende, Berlin, Dietz Verlag, 1996; Güntheroth N., Lost C., « Lebensart Schule. Die DDR-Schule in den 80er Jahren im Spiegel eines Fotosatzes », Schmitt H., Link J-W., Tosch F. (dir.), Bilder als Quellen der Erziehungsgeschichte, Bad Heilbronn, Klinkhardt, 1997, p. 334-351.

74 Honecker M., Der gesellschaftliche Auftrag unserer Schule. Referat des Ministers für Volksbildung auf dem VIII. Pädagogischen Kongress, Volk und Wissen, Berlin, 1979, p. 60 et suivantes.

75 LAB, C REP 903-01-01/960, op. cit.

76 Transcription de l’entretien réalisé avec T.S. le 8 septembre 2004, p. 6-7.

77 Wiechmann D., Immer bereit ! Von einem Jungen Pionier, der auszog, das Glück zu suchen, Munich, 2004, p. 104.

78 Transcription de l’entretien réalisé avec T. S. le 8 septembre 2004, p. 6-7.

79 BStU, MfS, AIM 8330/85, Berichte des IM « Karin Lenz », 1978-1984, p. 42.

Table des illustrations

Légende Graphique 19. – Pourcentage d’heures accordées aux disciplines scientifiques dans les POS et les EOS de RDA en 1959.
URL http://books.openedition.org/pur/docannexe/image/126723/img-1.jpg
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Légende Tableau 8. – Nombre de médailles Lessing obtenues par des élèves de l’école Heinrich Hertz (1969-1985)17
URL http://books.openedition.org/pur/docannexe/image/126723/img-2.jpg
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Légende Graphique 20. – Participation aux olympiades de mathématiques à Berlin-Est, 1962-1964.
URL http://books.openedition.org/pur/docannexe/image/126723/img-3.jpg
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Légende Figure 10. – Cérémonie de parrainage entre la classe 10 de l’école Lénine de Friedrichshain et une brigade d’ouvriers en bâtiment, avril 1974.
URL http://books.openedition.org/pur/docannexe/image/126723/img-4.jpg
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Légende Graphique 21. – Accueil des cours d’UTP par types d’entreprises à Berlin-Est en 1964 (en %).
URL http://books.openedition.org/pur/docannexe/image/126723/img-5.jpg
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Légende Figure 11. – Heure de travail productif dans une entreprise de Prenzlauer Berg, 1986.
URL http://books.openedition.org/pur/docannexe/image/126723/img-6.jpg
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Légende Figure 12. – Heure de travail productif dans une entreprise de Prenzlauer Berg, 1986.
URL http://books.openedition.org/pur/docannexe/image/126723/img-7.jpg
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