Version classiqueVersion mobile

Les financiers et la construction de l'État

 | 
Anne Dubet
, 
Jean-Philippe Luis

Troisème partie. L'administration des finances dans l'état

Restaurer la monarchie et restaurer les finances en France, 1815-1830 : le financement de l’expédition d’Espagne

Restaurar la monarquía y restaurar la hacienda en Francia, 1815-1848 : la financiación de la campaña de España

Sébastien Kott

Résumé

La Restauration de la monarchie française qui s’opère entre 1814-1815 et 1830 est une période très riche au niveau financier. S’il s’agit bien de restaurer au sens strict de rétablir dans son état ancien la monarchie française, il ne s’agit pas pour autant de nier que plusieurs caps importants ont été franchis avec la Révolution française. En effet, l’avènement du concept de souveraineté nationale et son corollaire, le parlementarisme, modifient considérablement l’approche politique du phénomène financier. La profonde conscience de ce que des finances publiques sont un élément clé de la pérennité du régime pousse parallèlement à placer « les comptes » au cœur des préoccupations du pouvoir.
Les administrateurs des finances sous la Restauration sont donc soumis à une triple contrainte : prendre en compte une nouveauté : le Parlement ; concevoir un « système financier global » ; intégrer ces nouveautés dans l’ordre ancien, ou au pire, ne pas perturber par ces nouveautés la réintroduction de l’ordre ancien.
Un duo célèbre, Villèle (le politique) et Audiffret (l’administrateur) va tenter de réaliser cet exploit. D’un point de vue politique on sait que l’ordre ancien ne sera jamais complètement rétabli. D’un point de vue financier, l’histoire leur donne raison puisque le « système comptable public » créé dans ces années est censé s’être maintenu jusqu’en 1962.
Pour autant la pratique de ce système comptable dans la première moitié du XIXe siècle reste encore à questionner. Les enjeux politiques de l’époque étaient trop forts pour que les différents commentateurs de ce système financier aient pu en proposer des analyses objectives. Il s’agit ici, à la fois de relever les présupposés véhiculés par le système et d’interroger les descriptions qui en sont faites. Or, le système, théoriquement très convaincant n’a pas forcément été appliqué tel qu’il était censé l’être. Quelle en fut la réalité et quels sont les motifs qui ont poussé à s’écarter de la théorie ? Il s’agit ici de tenter de distinguer le mythe de la réalité des pratiques comptables.

Texte intégral

1En France, en 1815, la « seconde » Restauration de la monarchie voit s’opposer les partisans d’un retour le plus important possible à ce qu’était l’absolutisme et ceux qui était favorable à une forme de monarchie parlementaire. Louis XVIII se trouve paradoxalement sous la contrainte d’« ultraroyalistes » tant sur le plan des réformes à l’intérieur du pays que sur les plans diplomatique et militaire. Parallèlement, en Espagne, le soulèvement libéral de 1820 contre l’absolutisme de Ferdinand VII permet la remise en vigueur de la Constitution de 1812. Les élections de 1822 donnent la victoire aux Cortès aux partisans de Rafael del Riego et une guerre civile éclate dans le nord du pays entre d’une part les royalistes qui ont créé une régence à Urgel et d’autre part les forces constitutionnelles. Ferdinand VII sollicite alors le soutien des souverains européens en rejoignant la Sainte-alliance formée par l’Autriche, la France, la Prusse et la Russie.

  • 1 Chateaubriand, ministre des affaires étrangères du gouvernement Villèle (du 28 décembre 1822 au 6 (...)
  • 2 Le coût global de l’expédition sera supérieur à une année budgétaire aux alentours de 170 000 000 (...)

2Chateaubriand, ministre des affaires étrangères, qui compte parmi les fondateurs du mouvement « ultra », presse Louis XVIII d’intervenir. Il s’agit de restaurer l’absolutisme en Espagne, mais aussi en France. Le duc de Richelieu, chef du gouvernement, fait établir un « cordon sanitaire » le long des Pyrénées autant pour satisfaire les ultras sans déclencher les hostilités que pour éviter le retour des idéologies républicaines sur le territoire national. Le 22 janvier 1823, les « accords de commodité » sont signés sous la forme d’un traité secret lors du congrès de Vérone. La France, dont le territoire est libéré depuis peu des troupes d’occupation, obtient l’accord de la Sainte-alliance pour lancer une opération militaire visant au rétablissement de la monarchie absolue en Espagne. Le 28 janvier, Louis XVIII annonce à la Chambre que « cent mille Français sont prêts à marcher en invoquant le nom de Saint Louis pour conserver le trône d’Espagne à un petit-fils d’Henry IV ». La majorité « ultra » à la Chambre se fissure. Châteaubriand est très favorable à l’expédition, Villèle, devenu chef du gouvernement, est plus réservé. Malgré les assurances du ministre de la guerre, le pouvoir se méfie de la loyauté d’une armée dont les cadres sont issus de l’Empire et dont les soldats vont être confrontés à des forces républicaines. D’un point de vue militaire, l’expédition d’Espagne sera un succès : en quelques mois les libéraux sont défaits. En octobre 1823, fort de la victoire militaire de ses alliés, Ferdinand VII revient sur toutes les évolutions libérales récentes. La monarchie absolue est restaurée en Espagne au grand bonheur des ultra-royalistes français1. Dès sa préparation, le volet financier de l’opération suscite l’attention de Villèle. Le montant de l’opération est lourd pour des finances qui viennent d’assumer le coût des réparations liées aux Cent jours2 : l’expédition ne doit pas tourner au désastre financier. Or, le financement de cette expédition s’effectue selon un schéma à la fois nouveau et classique. La nouveauté résulte de la présence du Parlement dans le schéma institutionnel. Le classicisme vient du recours à un traitant, un financier du royaume. Cette cohabitation d’une pratique ancienne et d’un schéma institutionnel nouveau est d’autant plus délicate qu’elle s’effectue alors que le droit public financier est en pleine rénovation. Comment le tout nouvel ordre comptable va-t-il passer cette épreuve du feu, ses fondements rénovés vont-ils s’en trouver remis en question ?

3On observe une remarquable concordance des temps entre le développement du volet financier de l’expédition et l’évolution de l’ordre juridico-comptable. Ces évolutions vont se manifester autant dans le cadre de la mise en œuvre du droit comptable que de la tentative d’examiner la responsabilité des administrateurs.

Le système financier à l’épreuve du feu

  • 3 « Il fallait l’autorité de la loi, l’influence de l’opinion publique et les secours de la plus hab (...)

4La longévité de Villèle au ministère, d’abord comme ministre des Finances à partir du 14 décembre 1821, puis comme président du Conseil du 4 septembre 1822 jusqu’à sa démission des deux postes le 3 janvier 1828, lui permet d’imprimer un profond mouvement sur l’ordre financier. Il est secondé (guidé ?) en ce sens par Charles Louis Gaston, marquis d’Audiffret, son directeur de la comptabilité générale qui promeut « l’ordre et la lumière » dans les finances de l’État. Face aux ministres et à leurs administrations le Parlement constitue un puissant relais pour ces réformateurs. La transparence des comptes à destination des représentants génère une nouvelle contrainte3. Reprenant l’esprit du parlementarisme financier établi sous la Révolution, c’est la loi, votée par le Parlement, qui fixe le budget de l’État à travers la loi de finances et c’est cette même loi qui viendra établir a posteriori la réalité de l’exécution budgétaire à travers la loi de règlement définitif des comptes. Mais au-delà de la forme de l’acte, c’est tout un système comptable et budgétaire (un système financier) qui se construit entre 1822 et 1828 sous l’impulsion du duo Villèle – Audiffret. Or ce système évolue par à-coups en décembre 1823 et en juillet 1826 au gré des rebondissements du feuilleton politico-financier que constitue l’expédition d’Espagne.

L’ordonnance de 1823 et le renforcement des comptes des ministres

  • 4 Audiffret dit de Villèle, « Après les améliorations successivement introduites dans les divers ser (...)

5La grande novation du nouveau système financier est de soumettre les ordonnateurs à des règles comptables afin d’éviter de retomber dans les errements financiers de la monarchie pré-révolutionnaire4. L’introduction d’une comptabilité des dépenses des ministres est aussi pensée comme un outil structurant pour des administrations qui apparaissent inorganisées.

Une nouveauté comptable de la Restauration : le compte des dépenses ministérielles

  • 5 Loi du 25 mars 1817, article 150 : « Les ministres ordonnateurs de tous les départemens (sic) prés (...)
  • 6 Art. 18 : « Nos ministres établiront leur comptabilité respective d’après les mêmes principes, les (...)

6Le premier texte réellement financier de la Restauration est la loi du 25 mars 1817, qui est une loi de finances autant qu’une loi sur les finances. Son titre XII détaille les « dispositions sur les comptes à présenter aux chambres » et son article 1505 introduit un « compte des dépenses ». Ces comptes budgétaires à vocation « administrative » plus que « juridique » deviendront les « comptes des ministres » avec l’article 186 de l’ordonnance du 14 septembre 1822. Les ordonnateurs sont incités à établir le compte de leurs opérations, c’est-à-dire à imputer comptablement leurs ordonnancements sur les autorisations initiales. Ces comptes de dépenses sont tenus par exercice et permettent de dégager un solde budgétaire disponible. Cette organisation financièrement responsabilisante met chaque ordonnateur en mesure d’évaluer sa consommation budgétaire et donc, de respecter les montants initialement inscrits. Il s’agit autant de respecter l’autorisation législative que de créer les conditions à l’accroissement de la qualité de l’administration de son département par le ministre.

  • 7 Kott, 2007.
  • 8 Lutun (Bernard), notice « Comptabilité matières » dans Legay (dir.), 2010, p. 122-128.
  • 9 Legay (Marie-Laure), notice « extrait de revue » dans Legay (dir.), 2010, p. 213-214.

7La mise en place de la comptabilité publique au sein des administrations se heurte à de nombreuses résistances, au sein même du ministère des finances7 et a fortiori au sein des autres ministères. La « Guerre » représente à ce titre une forteresse de pratiques comptables spécifiques que ses administrateurs pensent incompatibles avec le nouvel ordre comptable. Théoriquement possible, le contrôle des dépenses se révèle pratiquement périlleux à mettre en place. La lente mise en place de la comptabilité-matière8 au XVIIe siècle témoigne des difficultés à prendre en compte la consommation de biens stockés dans la production. Le décompte des hommes lors de revues9 n’apporte jamais pleinement satisfaction laissant un « non-complet », c’est-à-dire une différence entre les chiffres fournis et la réalité des soldats présents.

  • 10 « Je sais plus qu’un autre que le succès, c’est-à-dire notre propre existence, tient en grande par (...)

8Souhaitable à tous les niveaux pour l’administration des finances, l’homogénéisation des pièces justificatives devient une entrave à l’efficacité de l’armée en campagne. Théoriquement planifiables en temps de paix, les dépenses de guerres sont immaîtrisables au cours des opérations. In fine, les pratiques comptables imposées par la voie légale et réglementaire pèsent peu face à l’autorité nécessaire sur le champ de bataille alors que nécessité fait loi10.

La mauvaise administration de la guerre

  • 11 « J’ai dans mes mains, et je me réserve de les soumettre au conseil, les preuves irrécusables que (...)
  • 12 « Nous avons fait cette guerre sans avoir rien de ce qu’il fallait. Tirons-nous-en comme nous pour (...)

9Selon un sentiment commun à la veille du conflit, l’armée est désorganisée au printemps 1823. On pense les troupes mal préparées, mal équipées, mais on redoute plus que tout leur confrontation à des armées républicaines avec lesquelles elles risquent de fraterniser. La logistique enfin est un point sombre qui inquiète jusqu’au plus haut niveau le ministre de la Guerre lui-même, le maréchal de Bellune. Sa lettre adressée au chef du gouvernement atteste des difficultés rencontrées à la frontière. Le 2 avril 1823, soit cinq jours avant le début des opérations, le ministre constate la défaillance des services, s’en justifie et tente de rassurer le chef du gouvernement11. La mauvaise organisation de l’administration de la guerre est un fait avéré jusqu’au plus haut niveau de l’État, le chef du gouvernement s’en entretient même au cours des opérations avec le prince généralissime12.

  • 13 « Également dévoué à l’ordre intérieur et à l’honneur de la monarchie, le ministre déploya les gén (...)
  • 14 « La prudence commandait de fortifier, de perfectionner et de consolider le grand mécanisme de com (...)
  • 15 Ordonnances du 10 décembre 1823, article 4 : « Les comptes que nos ministres doivent publier annue (...)
  • 16 Ordonnance du 10 décembre 1823, article 5 : « Les ministres annexeront à leur compte, 1o) Nos ordo (...)
  • 17 Kott, 2009.

10Audiffret, qui n’évoque pas le financement de l’intervention d’Espagne dans ses mémoires le mentionne dans son système financier à l’occasion des souvenirs sur le comte de Villèle. C’est l’occasion pour lui de rendre hommage au chef du gouvernement et d’insister sur la nécessité dans laquelle il se trouvait de procéder à la généralisation de l’outil comptable afin de corriger les défauts relevés dans l’organisation de l’armée en campagne à l’occasion de l’opération militaire13. Parallèlement, Audiffret insiste sur la nécessité de renforcer l’ordonnance de 182214, ce qui sera fait en 1823. L’intitulé du texte est en soi un programme ; l’ordonnance du 10 décembre 1823 contient « diverses dispositions relatives tant à la publication du compte annuel de l’administration des finances qu’aux comptes à rendre par les ministres des dépenses de leurs départemens (sic) et à la justification des comptes ». Il s’agit bien d’aller plus avant dans la formalisation des comptes des ministres, c’est-à-dire, de généraliser l’obligation comptable. Si le titre Ier de l’ordonnance est consacré aux comptes de l’administration des finances, le titre II est consacré au « compte de dépense de chaque ministère ». Il précise à l’article 415 les conditions de la mise en perspective des exercices. La présentation des comptes des ministres lors de l’année N comprendra la situation définitive de l’exercice N-2 (clos au 31 décembre N-1) et la situation provisoire de l’exercice N-1. Cela permet de suivre la consommation des crédits exercice par exercice et d’encadrer les éventuels dépassements de crédits. L’article 516 de la même Ordonnance établit les pièces qui seront annexées aux comptes des dépenses des ministres afin de justifier ces dépassements de crédits initiaux. Il s’agit pour chaque ministre de préciser « lorsqu’il y aura lieu, l’exposé des motifs qui les auraient forcés à s’écarter » du montant initialement autorisé. Quel que soit le destinataire de cette annexe, elle oblige le ministre à s’expliquer sur son incapacité à respecter le montant des crédits mis à sa disposition. Enfin, le titre III de l’ordonnance est consacré à la justification des comptes. Ce dernier insiste sur la nécessité pour les services de produire les pièces justificatives à l’appui des comptes présentés. Ces comptes seront vérifiés par une commission administrative composée de conseillers d’État et de magistrats de la Cour des comptes. Dans l’esprit d’Audiffret comme dans celui de Villèle, si il s’agit de faire la lumière sur les agissements des ordonnateurs, il ne s’agit pas de confier le contrôle leurs comptes au Parlement mais de le réserver à l’administration17. De fait, la commission administrative constituée par le roi à la demande de Villèle va rendre un rapport très critique sur la gestion de l’expédition d’Espagne. C’est ce texte, porté à la connaissance du Parlement, qui va déclencher une crise politico-financière majeure.

L’ordonnance de 1826 et la volonté d’encadrer l’activité du Parlement

11L’organisation comptable promue sous la Restauration ne constitue pas une simple juxtaposition de comptes. Elle doit être appréhendée comme un véritable système porteur d’information à destination du pouvoir. Or ce pouvoir est maintenant « partagé » entre le gouvernement et le Parlement en vertu de la Charte « octroyée » par Louis XVIII en 1814.

L’émergence du Parlement dans la procédure budgétaire

12Au-delà de l’introduction du compte des ministres, le droit public financier de la Restauration établit un chaînage budgétaire aux conséquences pratiques aussi importantes qu’immédiates. L’ordonnance du 14 septembre 1822 établit l’exercice budgétaire à 24 mois. Cela signifie que le budget voté (et donc les crédits afférents) au titre de l’année 1823 sera exécuté en 1823 et 1824 et que son règlement sera opéré en 1825. Or Louis XVIII décède en 1824. Les comptes de la guerre sont donc présentés par les ministres de Charles X, son successeur.

  • 18 Il s’agit d’indemniser les émigrés, ces nobles et membres du clergé qui ont quitté leurs domaines (...)
  • 19 Il s’agit de distinguer le vol commis chez un particulier du vol commis dans un lieu de culte, le (...)

13Au printemps 1825, une session parlementaire houleuse s’ouvre. La loi d’indemnisation des émigrés18 et la loi sur le sacrilège19 confirment les velléités absolutistes de Charles X. C’est dans un contexte politique très tendu que le premier ministre, Villèle, vient présenter aux chambres le projet de loi de règlement définitif des comptes de 1823, au sein duquel se niche l’épineux problème du financement de l’expédition d’Espagne.

  • 20 « La guerre fut résolue, elle entraîna nécessairement des dépenses extraordinaires ; il y fut pour (...)
  • 21 Sur la distinction entre présenter et rendre des comptes sous la dénomination « demander compte », (...)
  • 22 « L’éloquent organe de votre commission, dans un rapport brillant de style et fort de raison, vous (...)
  • 23 Un munitionnaire est un entrepreneur dont la tâche consiste à fournir des vivres et autres équipem (...)
  • 24 Gabriel Julien Ouvrard (1770-1846) est un financier averti. Spéculateur sous la monarchie, commerç (...)
  • 25 « Un cheval de trait, nourri aux dépens de l’État, rendait par an, à l’entrepreneur, 4 197,50 fran (...)

14D’un point de vue financier, les crédits de l’expédition d’Espagne ont été votés en février 1823. S’agissant d’une opération militaire, la précision étant impossible, les dépassements de crédits ne manquent pas de survenir20. Le circuit budgétaire ayant évolué, le Parlement doit se prononcer sur le règlement définitif de ce budget et tenter, à l’occasion de ce débat, de mettre en œuvre une vérification de l’emploi des fonds. La commission des finances de la Chambre expose son rapport sur le règlement définitif des comptes de 1823 au cours de la séance du 18 avril 1825. M. de Saint-Georges, le rapporteur, détaille le compte de chaque ministère y compris celui du ministère de la Guerre. Les débats font apparaître que le coût de l’expédition se situe aux alentours de 170 millions de francs, mais suite à de nombreuses annulations de crédits, le budget apparaît en excédent de 5 millions. D’un point de vue strictement financier, il y a peu à dire. Les parlementaires se tournent alors vers le rapport de la commission administrative et entreprennent de « demander compte21 » au ministre de son administration22. Or, les parlementaires, à la suite de la commission administrative, notent une série de faits déconcertants dans l’organisation de l’intendance de l’armée. Sicart, l’intendant en chef, a mis 40 jours pour arriver au quartier général à Bayonne. À peine arrivé, il a affirmé que les approvisionnements étaient insuffisants sans les avoir vérifiés. Or d’après la commission, les magasins de la frontière contenaient six mois de vivres au moins. Sicard aurait convaincu sa hiérarchie de confier la tâche d’approvisionner l’armée à un munitionnaire23 au lieu de recourir aux services de l’administration. Ce munitionnaire, Gabriel Julien Ouvrard24, de réputation sulfureuse, était arrivé à Bayonne en même temps que Sicard et avait conclu, le 5 avril et le 2 mai, sans cautionnement préalable, des marchés à titre de munitionnaire général de l’armée. Ces « marchés Ouvrard » sont décriés de toute part. Le ministère de la Guerre, le chef du gouvernement, la commission administrative de vérification des comptes nommée par le roi, la commission des finances et les chambres elles-mêmes s’en émeuvent. Les critiques sont unanimes et reprises sans qu’à aucun moment les chiffres soient contestés. Ainsi, la commission des finances dénonce le coût exorbitant des prestations facturées par le munitionnaire25. Au-delà du prix des prestations manifestement surfacturé, les conditions financières faites au munitionnaire sont troublantes.

  • 26 Rapport sur les comptes du ministère de la Guerre, Archives Parlementaires, deuxième série, t. 45, (...)

« Le munitionnaire doit recevoir des fonds d’avance, et cette avance est fixée à onze douzièmes de la fourniture présumée. Il peut prendre les denrées dans les magasins de l’État ; tous les employés commissionnés par le gouvernement sont mis à sa disposition ; il les conserve, les classe, les renvoie à sa volonté ; et c’est l’État qui les paye26. »

15Enfin, le statut même du munitionnaire pose de nombreuses questions. Ouvrard cumule plusieurs statuts, tantôt entrepreneur susceptible de recourir à des sous-traitants eux mêmes suppléés par des « arrières sous-traitants », tantôt administrateur intéressé, chargé d’acheter sans contrôle fourrages, chauffage, etc. avec les fonds de l’État et recevant une prime de manutention de 2 %. La commission relève enfin qu’il lui était parfois loisible de choisir s’il intervenait en tant qu’administrateur intéressé ou en tant qu’entrepreneur ! Les parlementaires se demandaient

  • 27 Nervo, 1867, t. 3, p. 290.

« qui avait fait venir cet homme à Bayonne, qui lui avait appris que les magasins de la frontière contenaient des approvisionnements considérables, et comment il aurait osé entreprendre sans argent, sans denrées, sans voitures, sans employés, un service de cette importance, s’il n’avait secrètement connu toutes les ressources disponibles et si quelqu’un ne lui avait donné tous ces renseignements. Il y avait donc là au moins trahison, si ce n’est concussion27 ».

Quel contrôle de la qualité de la dépense publique ?

16En dépit des problèmes soulevés par les marchés Ouvrard, la commission des finances souhaite un apurement rapide du budget sur des motifs de pure logique juridique. Dans la mesure où le compte général du ministère de la Guerre comporte des ordonnances en bonne et due forme qui appuient des paiements réguliers... il faut admettre ce compte sans nouvel examen. Cette déclaration de principe s’accompagne cependant d’une volonté d’aller « examiner dans le plus grand détail tous les actes qui avaient signalé cette expédition ». Il s’agit bien de dépasser le contrôle de la régularité juridico-comptable pour aller porter un regard sur la gestion du ministère de la Guerre à l’occasion de l’examen de la loi de règlement ! En séance, le député La Bourdonnaye déplore l’absence des pièces justificatives (retenues par la commission administrative) à l’appui des comptes du ministère de la Guerre pour 1823 :

  • 28 La Bourdonnaye, Archives Parlementaires, deuxième série, t. 45, seconde Restauration, séance du lu (...)

« Ainsi, tout examen de la partie matérielle des comptes de l’administration est interdit aux chambres28. »

  • 29 « De là, ces budgets de la guerre, dans lesquels on vous demande des fonds immenses pour l’entreti (...)

17C’est la vérification du fondement des dépenses de l’expédition d’Espagne, c’est-à-dire de la qualité de la gestion des fonds publics par l’administration, qui est donc concrètement impossible29. Au-delà d’un constat unanime de la piètre gestion administrative de l’expédition, la loi de règlement définitif du budget pouvait devenir le moment de la discussion de la gestion des ministères. Mais, aussi remarquable soit-il sur le plan de la transparence administrative (la « lumière » chère à Audiffret), ce débat n’est pas du goût de Villèle qui bataille à la Chambre.

  • 30 « La Chambre avait à juger un compte, ce compte résultait d’une dépense ordonnancée par un ministr (...)
  • 31 « À l’aide de cette ingénieuse combinaison, on assure à la fois l’entière vérification des actes d (...)
  • 32 « Cette Cour, ainsi associée au travail intérieur du ministère pourra facilement reconnaître sur l (...)

18Villèle a compris la limite de la transparence financière à l’égard des chambres : le contrôle de la dépense des ministres exercé par le Parlement ne saurait s’étendre au contrôle de la qualité de la dépense ! Le Parlement peut contrôler la régularité financière des ordonnancements, c’est-à-dire leur conformité à l’autorisation initiale, mais pas leur destination ! Les débats de la loi de règlement définitif du budget de 1823, discutée au Parlement en avril 1825, en témoignent. Pour Villèle, les rôles dévolus à chacun sont déjà très clairs et Corbière (ministre de l’Intérieur) se fait le relais de cette opinion devant les élus : la Chambre contrôle le montant des ordonnances et non leur destination30 ! Dès lors, il convient de confirmer la Cour des comptes en rempart des ministres contre le Parlement. C’est elle qui doit contrôler la régularité des pièces comptables et qui doit être destinataire des justificatifs dans le système conçu par Audiffret. Mais, face aux revendications des parlementaires qui souhaitent plus de transparence et au peu d’empressement manifeste par Barbé-Marbois, premier président de la Cour, il faut transiger. Le compromis réside en cette commission administrative chargée de vérifier les comptes des ministres, dont on assure qu’elle transmettra ses travaux aux membres de la commission des finances... mais qui maintient les pièces justificatives auprès de la Cour des comptes. C’est bien la Cour des comptes qui constitue le centre de gravité du contrôle financier de la dépense publique... et non le Parlement31. C’est dans cette perspective qu’il faut comprendre l’adoption de l’ordonnance du 9 juillet 1826 sur le contrôle des comptes des ministres32. Ses articles 3, 7 et 8 confirment la mainmise de la Cour des comptes sur les pièces justificatives et organisent les relations entre la Cour et la commission administrative de vérification des comptes des ministres. Le système écarte les parlementaires des pièces permettant de contrôler la gestion d’un ministre et, de surcroît, confie ces pièces à une juridiction incapable de les sanctionner. L’ordre et la lumière sont destinés au pouvoir royal, pas à son contrôle par le Parlement !

  • 33 « Tout le monde sait que la Cour des comptes ne peut exercer aucune juridiction sur les ordonnateu (...)
  • 34 La Bourdonnaye insiste lui aussi sur cet aspect « moral » des comptes. « Déshérité de la question (...)
  • 35 Chambre des pairs, séance du 1er juin 1827, opinion de M. le Comte Roy sur le projet de loi relati (...)

19Dans le contexte du contrôle des finances de l’Expédition d’Espagne, cela revient à valider la proposition selon laquelle les parlementaires devront se satisfaire d’une logique de contrôle politique d’ensemble sans appréhender le détail de l’activité administrative lors de l’examen de la loi de règlement. C’est précisément la remarque que fait Roy en 1827 lors du débat relatif au règlement définitif du budget de 1825 à l’occasion de la discussion du compte du ministre de la Guerre33, avant de conclure que cette nouveauté n’apporte « pas une garantie suffisante pour les Chambres qui doivent apprécier la légalité et la moralité34 de la dépense, bien plus que l’exactitude des chiffres35.

Les déboires financiers de l’expédition d’Espagne. Quels responsables ? Quelles responsabilités ?

  • 36 Il s’agit de la rédaction de l’article 15 de la déclaration des droits de l’homme et du citoyen de (...)

20Lors de la préparation de l’expédition d’Espagne, une caractéristique subtile de la Monarchie se manifeste, la rationalité militaire doit à nouveau composer avec le protocole. Angoulême, le prince héritier, est un piètre généralissime. On lui confie donc le commandement du bataillon de réserve afin de préserver les chances de succès de l’expédition toute entière. Or c’est ce Prince de sang qui va être le signataire des traités Ouvrard ! La Chambre « retrouvée » ne peut pas demander de comptes au Prince, or elle n’entend pas enregistrer les défaillances de l’administration sans réagir. Il faut des responsables et que ces responsables assument leurs responsabilités. Petits administrateurs, fournisseurs, hauts responsables et même ministres, l’appareil d’État tout entier est ébranlé par cet épisode qui sera l’occasion de préciser dans quelles conditions et sous quelles limites le Parlement peut « demander compte à tout agent public de son administration »36.

La disgrâce pour les administrateurs responsables

21À l’occasion du scandale qui suit la révélation des profits réalisés par Ouvrard le pouvoir va sacrifier son financier et son ministre de la Guerre. Selon les usages de la Cour, les hommes ne sont pas emprisonnés ni même condamnés à des réparations, ils tombent en disgrâce.

Ouvrard ruiné

22Ouvrard est un proche de Richelieu, il obtient à Paris le marché d’approvisionnement en vivres et viande de l’armée de la foi. Villèle est pour sa part très réservé tant face au caractère sulfureux du personnage qu’à la place qu’il prend. Il en avertit Angoulême dès le mois d’avril 1823. Pourtant, en dépit des mises en garde, après la viande, Ouvrard obtient le service général de l’armée. La collusion entre le pouvoir et le financier semble établie. La commission administrative désignée par le roi autant que la commission des finances de la Chambre taisent la chose mais leurs propos aboutissent toujours in fine à la même question : pourquoi le prince d’Angoulême a-t-il signé un traité si désavantageux pour le trésor public ? Et c’est sans doute l’art de la litote qui guide la commission des finances quand elle affirme que

  • 37 Rapport sur les comptes du ministère de la Guerre, Archives Parlementaires, deuxième série, t. 45, (...)

« la raison se soulève et s’indigne à la lecture d’un tel acte. On se demande comment on a osé rédiger un pareil traité, comment on a eu l’audace de le présenter à l’auguste signature du prince généralissime37 ».

  • 38 Bourdesoulle, Deshaquets, Duerve, Espariat, Filleul-Baugé, Guillerminot, Moléon, Gabriel-Julien Ou (...)
  • 39 « Selon La Bourdonnaye, Regnault aurait été chargé de la liquidation définitive en tant qu’intenda (...)
  • 40 Bourdesoulle, Étienne comte de (1777-1837). Après une carrière militaire brillante sous l’Empire, (...)
  • 41 Guilleminot, Armand Charles (comte de) commence sa carrière militaire avec la Première Restauratio (...)

23Incapable d’attaquer la tête de l’État, le Parlement va s’acharner sur Ouvrard et sur ses acolytes, quels qu’ils soient, soupçonnés d’avoir participé à une entreprise de sur-facturation de prestations imaginaires. La Bourdonnaye, au cours des débats à l’Assemblée, évoque la compromission des bureaux. Cédant à la corruption, ils auraient permis que s’établissent ces traités si défavorables au Trésor ! Durant les procès destinés à clore cet épisode peu glorieux, ce sont au moins treize personnes38 qui sont poursuivies en plus de Gabriel-Julien Ouvrard, impliquant tous les niveaux de l’administration de la guerre. Regnault, envoyé par le ministre de la guerre pour remettre de l’ordre dans les opérations de liquidation des comptes de cette armée, aurait été secondé par des membres de sa famille et, plus inquiétant, par des proches d’Ouvrard, ce qui laisse planer un doute sur la fiabilité des contrôles opérés39. Un certain Moléon, chargé de procéder à la liquidation des créances Ouvrard, est même convaincu d’être un de ses proches. Sicard, l’intendant en chef nommé dès l’annonce du conflit et qui mit trop de temps à prendre son poste au goût de la commission des finances, est soupçonné d’avoir mis à profit ce temps pour céder aux sirènes d’Ouvrard et même organiser son arrivée. Tous sont poursuivis pour corruption. Si les poursuites étaient restées à ce niveau, elles auraient pu être traitées par les juridictions ordinaires. La Cour royale de Paris qui, saisie, avait commencé l’instruction de l’affaire, a pourtant dû se déclarer incompétente par une ordonnance du 21 décembre 1825 devant la qualité de certains des justiciables impliqués dans l’affaire. Ce sont deux pairs de France, consacrés ensemble lieutenants généraux le 9 octobre 1823 pour leur conduite lors de l’expédition, constituant le cercle le plus proche d’Angoulême, qui sont aussi déférés devant les tribunaux à la suite d’Ouvrard. Le premier, Bourdesoulle40, est le général en chef du corps de réserve de l’armée d’Espagne, placé directement sous les ordres d’Angoulême, généralissime de cette armée des Pyrénées. Le second, Guilleminot41, est le chef d’état major du duc d’Angoulême et directeur du dépôt de la guerre.

  • 42 Wolff, 1992, p. 211-219.

24C’est donc la Cour des pairs qui doit juger l’affaire. Mais dans un arrêt très peu motivé et après des audiences secrètes, cette dernière prononce le 3 août 1826 une relaxe générale. Suite au scandale et après avoir été emprisonné brièvement à la conciergerie, Ouvrard ruiné est placé en faillite42 ; il quitte la France pour l’Angleterre où il meurt vingt ans plus tard.

Bellune démissionné

  • 43 « On craignait l’inexpérience des officiers du corps de l’intendance militaire, et ce sont eux qui (...)

25La victoire aidant, il devient difficile d’accabler une armée qui a ajouté la loyauté au succès militaire. Du point de vue de la logistique, la commission administrative d’enquête renverse même la présomption initiale : Ouvrard n’avait pu accomplir sa mission que grâce au concours des intendants militaires43. Mais si l’armée s’était bien comportée, ce n’était pas sous l’impulsion de son ministre !

26Dès le début des opérations, dans une lettre à Villèle, Angoulême dénonce l’incurie des services de la logistique. Le Prince se décrit « à la tête d’une armée qui manquait de tout, et qui cependant se trouvait placée au milieu d’approvisionnements de tout genre » avant de s’interroger sur la qualité de la gestion de la phase préparatoire :

  • 44 Lettre du duc d’Angoulême à Villèle datée du 13 avril 1823, dans Nervo, 1867, t. 3, annexe VI, p.  (...)

« Comment a-t-on pu ignorer que depuis plus d’un an les ordres du ministre de la guerre n’étaient pas exécutés ? Et comment ne savait-on pas qu’un négociant spéculait sur cette imprévoyance et rassemblait de tous côtés d’immenses approvisionnements44 ? »

  • 45 Ouvrard, 1826.
  • 46 « On m’accuse d’avoir dilapidé la fortune publique ; mais n’y a a-t-il pas en cela quelque chose d (...)
  • 47 « Il y avait peu de chose à dire de la partie purement militaire ; les soldats étaient bien discip (...)

27Ouvrard, de son côté pointe l’incapacité du ministre. Dans un ouvrage signé de son avocat, M. Mauguin45, Gabriel Ouvrard présente en 1826 une défense aux reproches qui lui sont adressés. Tout d’abord, il dénonce une confusion des genres : peut-on reprocher à un entrepreneur de faire des affaires avec l’État ? Peut-on reprocher à un spéculateur de gagner de l’argent ? Ouvrard rappelle qu’il a agi à visage découvert et traité au plus haut niveau de l’État46. Ensuite, Ouvrard décrit une situation catastrophique à Bayonne, au quartier général de l’armée où la logistique est largement défaillante47. La partie est ici facile pour Ouvrard, tant il est patent que les blés commandés en Europe du nord pour les troupes sont encore en mer au moment de l’entrée en Espagne. Il en va de même du pont mobile censé permettre de franchir la Bidassoa, et Ouvrard de railler le ministre qui

  • 48 Mauguin, 1826, p. 14.

« n’a rien oublié ; il a commandé les caissons à Vernon, département de l’Eure, les piquets à Lille, dans le département du Nord ; et l’équipage de pont à Strasbourg, dans le Bas-Rhin. À la vérité, tout cela est un peu loin ; mais aurait-on pu faire des caissons dans les ateliers de Bordeaux ou de Toulouse, trouver des piquets dans les forêts des Landes et des Pyrénées, et préparer un équipage de pont sur les bords de la Garonne ou de l’Adour ? Non, sans doute, et le ministre a montré beaucoup de prévoyance. Nous savons que les caissons, les piquets et l’équipage nous arrivent maintenant en poste de l’autre frontière ; peut-être, il est vrai, arriveront-ils après le départ de l’armée, mais ils resteront là pour une autre expédition ; la prévoyance n’en aura été que plus grande48 ».

28Ouvrard démontre enfin à l’aide des chiffres et données contenues dans le rapport de la commission administrative d’enquête que l’approvisionnement de l’armée en campagne selon le plan du ministre était proprement impossible et que son administration n’a pas su l’en convaincre. Bellune entendait importer les biens de France et faire suivre l’armée par toute son intendance. Ouvrard organise la fourniture à partir d’achats faits aux populations locales. Si les prix unitaires effectivement payés sont supérieurs à ceux du marché... la fraîcheur des aliments et leur prix de revient se révèlent sans comparaison avec celui des produits importés de France à grand frais de transport. Dès lors, pour Ouvrard, s’il y a un coupable, c’est le ministre incapable d’organiser son administration : coupable d’imprévision et de mauvaise gestion.

  • 49 Claude-Victor Perrin, dit Victor (1764-1841), maréchal d’Empire nommé duc de Bellune en 1808.

29Bellune49, ministre de la Guerre depuis le 14 décembre 1821, devient major général de l’armée d’Espagne le 23 mars 1823. À Bayonne, il fait face aux défauts de son administration et perd la confiance d’Angoulême. Ce dernier lui inflige un sévère camouflet en le renvoyant à Paris. Il réintègre alors le ministère le 15 avril 1823 d’où il tente de reprendre la main face à Ouvrard, dont il pressent la mainmise sur les opérations. Bellune missionne alors deux intendants (Regnault et Joinville) pour tenter de remettre de l’ordre dans les affaires de l’armée en marche avec pour ordre, au mieux, de dénoncer les marchés Ouvrard et au pire de les renégocier. Mais Angoulême ne laisse pas la possibilité à Bellune de désorganiser les opérations. Il s’agit de vaincre à tout prix ! Bellune tente alors de rappeler Joinville et réalise que les marchés sont validés au plus haut niveau ! Ni Bellune ni Villèle ne peuvent atteindre Ouvrard. Pire, Bellune doit répondre de son impéritie. Les opérations militaires ne sont pas terminées qu’il perd son ministère le 19 octobre mais reste dans le conseil privé du roi. La sanction est lourde pour un compagnon d’armes de Bonaparte, car le ministre est relégué à des tâches honorifiques et subalternes : c’est la disgrâce. La Bourdonnaye raillera ce ministre, nommé chef d’état major, puis redevenu ministre auquel on aurait imposé une ambassade qu’il ne souhaitait pas...

La responsabilité du chef du gouvernement est politique

30Derrière les profits d’Ouvrard et les piètres qualités d’administrateur de Bellune, on trouve un autre combat typiquement politique. Il s’agit pour les libéraux de mettre Charles X, qui vient d’accéder au trône, en difficulté et pour les ultras partisans de Richelieu d’obtenir le ministère en lieu et place de Villèle. Les affrontements vont se faire jour en 1825, 1826 et 1827, à l’occasion de la discussion du projet de loi de règlement définitif du budget de 1823 et donc des comptes de l’expédition. On entend contre Villèle

  • 50 Nervo, 1867, t. 4, p. 38.

« l’opposition de gauche qui cherchait ainsi à prolonger le débat pour amoindrir le succès de la campagne, l’opposition de droite qui espérait ainsi rejeter sur M. de Villèle toutes les fautes commises et par là le renverser ; enfin, il faut le dire, un peu aussi certains membres de la majorité elle-même qui, apercevant clairement combien l’opinion publique était irritée des dilapidations commises, hésitait à les ratifier par un vote immédiat50 ».

Les manifestations de l’hostilité du Parlement au ministre

31L’émergence du Parlement dans le débat financier est un fait politique nouveau parfaitement intégré par Villèle. Dans sa lettre à Angoulême du 7 avril 1823 il attirait l’attention du Prince sur ce point.

  • 51 Nervo, 1867, t. 3 annexes VI, p. 442.

« Je ne saurais trop répéter à Monseigneur que s’il ne se méfie des hommes qui lui conseilleront des dépenses exagérées, et qu’il ne nous renvoie, sans se gêner, ceux qui ne porteront pas dans les dépenses de l’armée l’ordre et l’économie nécessaires, une ombre d’autant plus aperçue que les formes de notre gouvernement la feront mieux ressortir affaiblira l’éclat de la gloire dont vont se couvrir les troupes confiées à son commandement ; ce qui serait fort grave51. »

  • 52 Nervo, 1867, t. 3, p. 315.

32Dès que les événements sont connus, l’opposition libérale au régime s’attaque logiquement au ministère de Villèle ; Casimir Périer réclame des sanctions. « S’il y a eu une administration imprévoyante, qu’elle soit punie. S’il y a eu deux ministres, qu’on sache pourquoi. [...] S’il y a eu derrière le prince des coupables, qu’on les démasque52. » Le vote de la loi de règlement définitif de l’exercice 1823, qui survient en 1825, est l’occasion de réclamer des têtes au pouvoir. Les libéraux, alliés à certains ultras hostiles à Villèle, menacent de ne pas voter le compte définitif et réclament la démission du ministre de la Guerre (le successeur de Bellune, qui endosse la « responsabilité » du compte qu’il présente à la Chambre) et du chef du gouvernement (Villèle).

  • 53 « La mission du prince était de vaincre et non de supputer le prix de la victoire, c’est ce qu’il (...)

33Lors des débats, M. de Clermont-Tonnerre (successeur de Bellune) essaye de disculper son prédécesseur, ce qui est délicat, avant de rappeler que le chef des armées victorieuses était celui qui est devenu le Prince héritier et que dans le domaine militaire nécessité fait loi !53

34Mais la question de fond est bien celle du type de responsabilité susceptible d’être invoquée lors de la discussion de la loi de règlement. Si c’est bien au moment du vote de la loi de règlement définitif d’un budget que le contrôle de la Chambre est susceptible de s’exercer, Audiffret n’entend pas pour autant justifier un refus de voter les comptes par la mauvaise gestion d’un ministre. Il s’exprime ici sur le même sujet (la responsabilité d’un ministre évoquée lors de la discussion de la loi de règlement) en 1841, alors qu’il est pair de France.

  • 54 Audiffret, 1863-1864, t. 1, « rapport au roi sur l’administration des finances », p. 293.

« Nous devons, sous le point de vue constitutionnel, considérer les ministres bien plus comme des hommes politiques que comme de simples administrateurs [...]. Nous avons tous le droit de poursuivre par nos reproches et d’éclairer par nos avertissements la conduite des affaires publiques ; nous pouvons refuser nos suffrages aux ministres inhabiles et imprévoyants : mais ils ne doivent être accusés, jugés et poursuivis, dans leurs personnes et dans leurs propriétés, qu’avec les formes et pour les délits déterminés par les lois54. »

35L’option est claire : la Chambre peut « censurer » le ministère politiquement, c’est-à-dire obtenir du roi le renvoi du ministre, ou elle peut le cas échéant, renvoyer le ministre devant la Haute Cour pour trahison ou concussion, mais elle ne saurait mélanger les genres en refusant de voter les comptes d’un ministère au motif qu’il aurait été mal géré ! Et par là, Audiffret justifie les propos de Villèle pour qui les comptes de l’expédition d’Espagne devaient être apurés rapidement et ce indépendamment des éventuelles poursuites engagées contre les protagonistes ou du renvoi du ministre concerné !

L’issue très politique de l’affrontement

  • 55 « M. de Villèle, comme président du Conseil des ministres, avait été seul chargé pendant la guerre (...)
  • 56 Bourdonnaye-Blossac (Charles esprit Marie, comte de la) : Pair de France, né à Poitiers le 27 août (...)
  • 57 La Bourdonnaye, Archives Parlementaires, deuxième série, t. 45, seconde Restauration, séance du lu (...)

36La commission des finances de la Chambre intègre cette logique politico-financière. Si ce ne sont pas les comptes qui font tomber Villèle à la suite de Bellune, ce seront des motifs politiques. Le rapporteur de la commission, M. de Saint-Georges, marquis de Verac, un ultra proche de Richelieu, rappelle que les opérations étaient menées sous la responsabilité du président du Conseil des ministres, qui supporte donc la responsabilité de tous les aspects administratifs des opérations55. C’est un autre ultra, La Bourdonnaye56, qui accuse Villèle, lors du débat sur la loi de règlement, de vouloir instaurer une « oligarchie ministérielle » et de tenter de « substituer aux formes constitutionnelles, où tout est public, où tout est écrit les formes secrètes et mystérieuses du conseil des Dix »57.

  • 58 « En réalité, dans la sanction demandée à la Chambre, il n’y avait rien qui fût relatif au moral d (...)

37Pour contenir les débordements de la Chambre, Clermont-Tonnerre, ministre de la Guerre, contre-attaque. Si les ultras reprochent au Conseil des ministres de vouloir instituer une « oligarchie ministérielle », le ministre réplique qu’en refusant le vote de la loi de règlement, ils sont en train de s’ériger en « parti »... c’est-à-dire qu’ils s’opposent au roi lui-même : paradoxe suprême pour des monarchistes58 !

38Mais, in fine, puisque c’est la responsabilité de Villèle qui est recherchée, Villèle l’accepte expressément devant la Chambre, ce dont Casimir Périer lui rend hommage : « J’aime ce langage, disait-il, il est celui des gens d’honneur ! » Mais cette responsabilité, ce n’est pas au Parlement de la mettre en cause, c’est par le roi lui-même qu’elle doit être appréciée. La question devient celle du maintien de Villèle à son poste... Or, on le sait, Charles X maintiendra son ministre en place jusqu’en 1828.

Conclusion

39Soutenu par Louis XVIII et par Villèle, Audiffret met en place entre 1814 et 1829 un nouveau système financier se revendiquant de « l’ordre et la lumière ». Ce système de nature juridico-comptable vise non seulement à garantir la régularité du maniement des deniers publics, mais aussi à permettre une meilleure administration de la fortune publique. Dans la pensée de son concepteur, ce système repose sur une forme d’endo-contrôle de l’appareil administratif : la Cour des comptes (ou son avatar, la commission administrative composée de membres de la Cour et du conseil d’État) doit éclairer la tête de l’État sur la gestion des administrations. Royaliste légitimiste, Audiffret ne souhaite à aucun moment mettre en péril le monarque, mais il ne saisit pas la profonde mutation du système politique qui est en cours. Pour lui, à l’image de ce qu’il sera en tant que pair de France, le Parlement est un lieu de discussion de ce que devrait ou pourrait être l’intérêt du royaume. Il n’intègre pas les nouvelles logiques politiques qui s’y expriment en termes de conquête du pouvoir. Ainsi, les réformes du système financier buttent sans cesse sur les revendications des députés car elles ne leur sont pas destinées. Si Audiffret parvient, en 1823 et en 1826 à circonscrire le périmètre de l’intervention parlementaire, le répit ne sera que de courte durée. Les rapports de la commission administrative de vérification des comptes des ministres et les cahiers d’observation de la Cour des comptes représentent de tels enjeux en matière d’information sur l’administration du royaume que les Parlementaires vont finir par obtenir les seconds en 1832, après le passage en juillet 1830 à une monarchie plus libérale.

Notes

1 Chateaubriand, ministre des affaires étrangères du gouvernement Villèle (du 28 décembre 1822 au 6 juin 1824) : « Enjamber d’un pas les Espagnes, réussir là où Bonaparte avait échoué, triompher sur ce même sol où les armes de l’homme fantastique avaient eu des revers, faire en six mois ce qu’il n’avait pu faire en sept ans, c’était un véritable prodige ! » Mémoires d’outre-tombe, Livre de poche, tome 2, 1973, p. 551. Sur l’expédition des Cent mille fils de Saint-Louis, La Parra, 2007 ; Butrón Prida, 1996.

2 Le coût global de l’expédition sera supérieur à une année budgétaire aux alentours de 170 000 000 de francs.

3 « Il fallait l’autorité de la loi, l’influence de l’opinion publique et les secours de la plus habile expérience, pour soumettre à des principes fixes, à des règles inflexibles, à des méthodes uniformes et à des tributs périodiques d’écritures, non plus des manutenteurs de deniers publics placés sous la main d’un seul chef, mais les premiers mandataires de la couronne, les ordonnateurs des nombreux services de l’État, chargés d’exercer la puissance gouvernementale à tous les degrés de son application, et dès longtemps accoutumés à ne reconnaître d’autre limite et d’autre contrôle que la volonté et les regards du souverain », Audiffret, 1863-1864, t. II, p. 517.

4 Audiffret dit de Villèle, « Après les améliorations successivement introduites dans les divers services des finances et dont il avait suivi les progrès en les secondant par son influence pendant le cours de sa carrière législative, il lui restait une tâche difficile et importante à remplir, celle de contenir l’entraînement habituel des ordonnateurs des dépenses publiques, en soumettant leur administration au joug de l’ordre et à la garantie du contrôle. Il entreprit résolument cette grande réforme, qui avait dès longtemps provoqué la controverse la plus animée entre le Trésor et les dispensateurs trop prodigues de ses ressources, sans qu’il eût été possible, avant lui, d’obtenir une solution favorable à la règle et à l’économie », Audiffret, 1863-1864, t. 4, « souvenirs sur le comte de Villèle », p. 497.

5 Loi du 25 mars 1817, article 150 : « Les ministres ordonnateurs de tous les départemens (sic) présenteront le compte des dépenses qu’ils auront arrêtées pendant le cours de leur administration, et ils en établiront la comparaison avec les ordonnances qu’ils auront délivrées dans le même espace de temps, et avec les crédits particuliers ouverts à chacun des chapitres de leurs budgets. »

6 Art. 18 : « Nos ministres établiront leur comptabilité respective d’après les mêmes principes, les mêmes procédés et les mêmes formes. À cet effet, il sera tenu dans chaque ministère un journal général et un grand livre en parties doubles, dans lesquels seront consignées sommairement et à leur date toutes les opérations concernant la fixation des crédits, la liquidation des dépenses, l’ordonnancement et le paiement. Ces mêmes opérations seront décrites en outre et avec détail sur des livres auxiliaires dont le nombre et la forme seront déterminés suivant la nature des services. Les résultats de ces comptabilités seront rattachés successivement aux écritures et au compte général des finances qui doivent servir de base au règlement définitif des budgets. »

7 Kott, 2007.

8 Lutun (Bernard), notice « Comptabilité matières » dans Legay (dir.), 2010, p. 122-128.

9 Legay (Marie-Laure), notice « extrait de revue » dans Legay (dir.), 2010, p. 213-214.

10 « Je sais plus qu’un autre que le succès, c’est-à-dire notre propre existence, tient en grande partie au chiffre même de la dépense, à l’ordre que cette dépense garantit dans l’armée, à l’appât dont elle doit être pour la population ; et tout grognon que doit être un ministre des Finances à pareille fête, Votre Altesse Royale peut être certaine que, sauf les abus qui partout sont un mal, loin de me plaindre des dépenses utiles que vous ordonnerez, je serais désolé de voir un seul des résultats que vous pouvez obtenir reculé d’un jour par une dispendieuse économie. » Lettre de M. de Villèle à Mgr le duc d’Angoulême du 20 avril 1823, dans Nervo, 1867, t. 3, annexe VI, p. 444.

11 « J’ai dans mes mains, et je me réserve de les soumettre au conseil, les preuves irrécusables que l’administration de la guerre n’a pas exécuté, ou du moins ne l’a fait que fort tard, les ordres qu’elle a reçus de moi au mois de juin, et que j’ai souvent répétés depuis, de fournir aux approvisionnements de l’armée. [...] Cependant on a remédié autant que possible à sa négligence et l’armée sera pourvue. » Lettre de Bellune à Villèle, dans Nervo, 1867, t. 3, annexe VI, p. 441.

12 « Nous avons fait cette guerre sans avoir rien de ce qu’il fallait. Tirons-nous-en comme nous pourrons ; mais n’oublions pas ensuite que nous ne sommes bien montés ni en marine, ni en administration de guerre, et attachons-nous à y pourvoir. » Lettre de M. de Villèle à Mgr le duc d’Angoulême, Paris, 7 juillet 1823, dans Nervo, 1867, t. 3, annexe VI, p. 446.

13 « Également dévoué à l’ordre intérieur et à l’honneur de la monarchie, le ministre déploya les généreux efforts de son énergie administrative pour subvenir aux nécessités pressantes de l’expédition militaire qui a fait triompher, en 1823, les princes de la maison de Bourbon, assis sur le trône d’Espagne, des coupables tentatives de l’anarchie. Sa vigilance infatigable s’est efforcée de prévenir ou de réprimer, en cette grave conjoncture, le désordre et les abus trop souvent reprochés à l’administration des armées, qui se trouvent dépourvues de la protection journalière des contrôles et de la surveillance directe du gouvernement », Audiffret, 1863-1864, t. 4 « souvenirs sur le comte de Villèle », p. 506.

14 « La prudence commandait de fortifier, de perfectionner et de consolider le grand mécanisme de comptabilité administrative qui venait de se fonder dans le sein de chaque ministère. Une ordonnance royale du 10 décembre 1823, détermina donc les cadres et les divisions uniformes des comptes généraux à présenter annuellement aux chambres législatives, et fit reposer leur exactitude sur les registres en parties doubles et sur les pièces justificatives destinées à constater et à démontrer avec authenticité les opérations consommées par les administrateurs et par les comptables », Audiffret, 1863-1864, t. 5, « règlement général sur la comptabilité publique augmenté des lois, ordonnances et décrets rendus de 1838 à 1863 », p. 35.

15 Ordonnances du 10 décembre 1823, article 4 : « Les comptes que nos ministres doivent publier annuellement, en exécution de l’article 150 de la loi du 25 mars 1817, développeront, avec les détails propres à chaque nature de service, les crédits, les dépenses, les ordonnances et les paiemens (sic) qui ne sont que sommairement exposés dans le compte général de l’administration des finances.
Les comptes des dépenses seront soumis à des divisions uniformes. Ils rappelleront les résultats de l’exercice précédent au 1er janvier de chaque année, et présenteront les opérations de l’année courante sur les deux exercices ouverts : ils feront ainsi ressortir la situation définitive de l’exercice clos au 31 décembre ; la situation provisoire de l’exercice suivant, arrêtée à la même époque. »

16 Ordonnance du 10 décembre 1823, article 5 : « Les ministres annexeront à leur compte, 1o) Nos ordonnances annuelles de répartition des crédits, et, lorsqu’il y aura lieu, l’exposé des motifs qui les auraient forcés à s’en écarter ; 2o) Les ordonnances qui accordent provisoirement des supplémens (sic) de crédits ; 3o) Les ordonnances qui autorisent l’imputation sur l’exercice courant, des dépenses de l’exercice expiré qui n’auraient pu être soldées dans les délais prescrits (art. 21 de l’ordonnance du 14 septembre 1822). »

17 Kott, 2009.

18 Il s’agit d’indemniser les émigrés, ces nobles et membres du clergé qui ont quitté leurs domaines durant la Révolution et ont vu leurs biens nationalisés et vendus autoritairement.

19 Il s’agit de distinguer le vol commis chez un particulier du vol commis dans un lieu de culte, le parti sacerdotal demande que le sacrilège soit qualifié de crime, assimilé au parricide et puni par la mutilation. La loi passera sans la mutilation et prouvera l’emprise du parti sacerdotal sur le ministère.

20 « La guerre fut résolue, elle entraîna nécessairement des dépenses extraordinaires ; il y fut pourvu d’abord par des ordonnances royales, que l’on vous proposa ensuite de convertir en lois, à la session dernière. » Rapport sur les comptes du ministère de la Guerre, Archives Parlementaires, deuxième série, t. 45, seconde Restauration, séance du lundi 18 avril 1825, p. 744.

21 Sur la distinction entre présenter et rendre des comptes sous la dénomination « demander compte », voir Kott, sous presse.

22 « L’éloquent organe de votre commission, dans un rapport brillant de style et fort de raison, vous développa les motifs qui avaient déterminé, à l’unanimité, l’adoption de la proposition dans le sein de la commission ; mais il dit, en même temps, que la commission se bornant à voter le subside, laissait à celle des comptes de 1823 le soin d’examiner comment en avait été fait l’emploi. » Rapport sur les comptes du ministère de la Guerre, Archives Parlementaires, deuxième série, t. 45, seconde Restauration, séance du lundi 18 avril 1825, p. 744.

23 Un munitionnaire est un entrepreneur dont la tâche consiste à fournir des vivres et autres équipements à l’armée, il est censé transformer des matières premières, ce qui suppose qu’il possède des ateliers.

24 Gabriel Julien Ouvrard (1770-1846) est un financier averti. Spéculateur sous la monarchie, commerçant avec et pour la Révolution, financier de l’Empire, il est ruiné par l’affaire de la compagnie des négociants réunis. Il réussit cependant à réinvestir les réseaux du pouvoir de la Restauration. Ce serait sur ses conseils que Richelieu souscrivit l’emprunt permettant la libération anticipée du royaume en 1818, ce qui valut à Ouvrard l’annulation de ses dettes et lui aurait permis de récupérer ses biens. De retour en grâce, il offre à sa fille en janvier 1822 un mariage fastueux auquel assistèrent Louis XVIII et les futurs Charles X et Louis-Philippe, Wolff, 1992, p. 177.

25 « Un cheval de trait, nourri aux dépens de l’État, rendait par an, à l’entrepreneur, 4 197,50 francs de loyer, outre la solde, la nourriture et l’habillement du conducteur ; et si ce cheval venait à périr par force majeure, l’indemnité due à l’entrepreneur était de 500 francs ; les cas de force majeure sont définis de telle sorte, que presque toutes les pertes tombaient à la charge de l’État ; dans les cas mêmes où le fournisseur serait reprochable, il était indemnisé. » Rapport sur les comptes du ministère de la Guerre, Archives Parlementaires, deuxième série, t. 45, seconde Restauration, séance du lundi 18 avril 1825, p. 745.

26 Rapport sur les comptes du ministère de la Guerre, Archives Parlementaires, deuxième série, t. 45, seconde Restauration, séance du lundi 18 avril 1825, p. 745.

27 Nervo, 1867, t. 3, p. 290.

28 La Bourdonnaye, Archives Parlementaires, deuxième série, t. 45, seconde Restauration, séance du lundi 25 avril 1825, p. 111.

29 « De là, ces budgets de la guerre, dans lesquels on vous demande des fonds immenses pour l’entretien d’une armée formidable sur le papier, et dont l’effectif misérable ne présente que des cadres de bataillons incomplets, une cavalerie mal montée et hors de service, des arsenaux vides et des fortifications délabrées. De là, cette facilité de multiplier des dépenses déguisées, dont la conscience publique a le sentiment et pénètre si facilement le mystère par leurs résultats, sans qu’il soit possible aux Chambres d’en découvrir les sources et d’en prévenir les abus ». La Bourdonnaye, Archives Parlementaires, deuxième série, t. 45, seconde Restauration, séance du lundi 25 avril 1825, p. 111.

30 « La Chambre avait à juger un compte, ce compte résultait d’une dépense ordonnancée par un ministre, soldé par les agents réguliers du Trésor », Nervo, 1867, t. 3, p. 318.

31 « À l’aide de cette ingénieuse combinaison, on assure à la fois l’entière vérification des actes des comptables et l’examen des opérations de chaque ordonnateur, sans appeler l’administration à la barre d’un tribunal dont la juridiction se maintient dans la sphère spéciale qui lui est tracée. Mais seulement on est ainsi parvenu à fortifier une surveillance indépendante, qui éclaire l’action du gouvernement sans entraver sa marche, et qui présente une garantie indispensable à la sécurité du pays », Audiffret, 1863-1864, p. 521.

32 « Cette Cour, ainsi associée au travail intérieur du ministère pourra facilement reconnaître sur les pièces et les comptes individuels, l’emploi qui a été fait dans les comptes publics de tous les résultats matériels dont elle a la preuve sous les yeux. Il n’échappera pas un seul fait à ses investigations, elle n’en recevra pas un seul sous une expression obscure ou infidèle ; point de réticence ni de dissimulation qui ne doive être aussitôt découverte et révélée ». Exposé des motifs de l’Ordonnance du 9 juillet 1826.

33 « Tout le monde sait que la Cour des comptes ne peut exercer aucune juridiction sur les ordonnateurs ; et que, quand il y a décision du Ministre, ou dispense par lui de produire les pièces justificatives d’une dépense, la Cour des comptes est néanmoins forcée d’allouer la dépense la plus irrégulière ». Chambre des pairs, séance du 1er juin 1827, discussion du projet de loi relatif au règlement du budget de 1825, observations de M. de Villèle.

34 La Bourdonnaye insiste lui aussi sur cet aspect « moral » des comptes. « Déshérité de la question des chiffres, il nous reste encore l’examen de la partie morale des comptes de l’administration ; c’est cet examen que je me propose pour la comptabilité du ministre de la guerre ». Archives Parlementaires, deuxième série, t. 45, seconde Restauration, séance du lundi 25 avril 1825, p. 112.

35 Chambre des pairs, séance du 1er juin 1827, opinion de M. le Comte Roy sur le projet de loi relatif au règlement définitif du budget de 1825.

36 Il s’agit de la rédaction de l’article 15 de la déclaration des droits de l’homme et du citoyen des 20 et 26 août 1789.

37 Rapport sur les comptes du ministère de la Guerre, Archives Parlementaires, deuxième série, t. 45, seconde Restauration, séance du lundi 18 avril 1825, p. 745.

38 Bourdesoulle, Deshaquets, Duerve, Espariat, Filleul-Baugé, Guillerminot, Moléon, Gabriel-Julien Ouvrard, Victor Ouvrard, Poisson, Poissonier, Rollac, Sicard, et Tourton.

39 « Selon La Bourdonnaye, Regnault aurait été chargé de la liquidation définitive en tant qu’intendant en chef à Toulouse, ses bureaux étaient composés de membres de sa famille. Le neveu de l’intendant en chef, M. Henri, aurait été le vérificateur général, son cousin germain, M. Langlois, ancien associé d’Ouvrard et ancien associé de Moléon, autre ami d’Ouvrard, y figurait et un Robert aurait figuré dans le bureau chargé de prononcer en dernier ressort la liquidation, il serait le beau-frère de Regnault », Nervo, 1867, t. 3, p. 326.

40 Bourdesoulle, Étienne comte de (1777-1837). Après une carrière militaire brillante sous l’Empire, il rallie Louis XVIII à Gand. Élu député le 22 août 1815, il siège dans la majorité de la Chambre introuvable et quitte la vie parlementaire en 1816. Proche d’Angoulême, il est fait gentilhomme d’honneur en juillet 1820 avant d’être nommé en février 1823 général en chef du corps de réserve à l’armée d’Espagne. Il établit le blocus de Cadix et prend une grande part à la bataille du Trocadéro. Fait Pair de France le 9 octobre 1823 il ne refusera pas le serment au gouvernement de Louis-Philippe, et restera Pair jusqu’à sa mort.

41 Guilleminot, Armand Charles (comte de) commence sa carrière militaire avec la Première Restauration pour devenir directeur du dépôt de la guerre de 1823 en Espagne et chef d’état major du duc d’Angoulême. C’est en récompense de ses services qu’il est fait pair de France le 9 octobre 1823, grand cordon de la Légion d’honneur, commandeur de Saint-Louis, et envoyé par Louis XVIII comme ambassadeur à Constantinople.

42 Wolff, 1992, p. 211-219.

43 « On craignait l’inexpérience des officiers du corps de l’intendance militaire, et ce sont eux qui, privés de la confiance de leurs chefs, ont fait vivre l’armée à défaut du munitionnaire général ». Rapport de la commission administrative d’enquête, Archives Parlementaires, deuxième série, t. 45, seconde Restauration, séance du lundi 25 avril 1825, p. 114.

44 Lettre du duc d’Angoulême à Villèle datée du 13 avril 1823, dans Nervo, 1867, t. 3, annexe VI, p. 443.

45 Ouvrard, 1826.

46 « On m’accuse d’avoir dilapidé la fortune publique ; mais n’y a a-t-il pas en cela quelque chose de ridicule ? Étais-je chargé de la fortune publique pour la dilapider ? Étais-je directeur général, ministre, ou quelque chose de pareil ? Non, sans doute : j’étais spéculateur, j’ai vendu des denrées, j’ai fait mes prix ; je les aurais fait trop élevés, comme on le prétend, que, même en ce cas, il n’y aurait rien à me dire ; car, enfin, vendre trop cher n’est pas un crime aux yeux des lois. C’était à l’acheteur de s’y connaître », Mauguin, 1826, p. 2.

47 « Il y avait peu de chose à dire de la partie purement militaire ; les soldats étaient bien disciplinés, bien vêtus, bien armés ; mais la partie administrative était dans un état déplorable », Mauguin, 1826, p. 19.

48 Mauguin, 1826, p. 14.

49 Claude-Victor Perrin, dit Victor (1764-1841), maréchal d’Empire nommé duc de Bellune en 1808.

50 Nervo, 1867, t. 4, p. 38.

51 Nervo, 1867, t. 3 annexes VI, p. 442.

52 Nervo, 1867, t. 3, p. 315.

53 « La mission du prince était de vaincre et non de supputer le prix de la victoire, c’est ce qu’il avait fait. Quant à M. de Villèle, à M. de Bellune, tous avaient, par des preuves écrites, protesté contre ces marchés ; ils avaient même fait plus, ils avaient pris des mesures pour qu’ils fussent résiliés, améliorés, pour que le passé et l’avenir fussent régularisés : rien donc, là encore, n’avait été négligé dans l’intérêt du bon ordre », Nervo, 1867, t. 3, p. 323.

54 Audiffret, 1863-1864, t. 1, « rapport au roi sur l’administration des finances », p. 293.

55 « M. de Villèle, comme président du Conseil des ministres, avait été seul chargé pendant la guerre de la correspondance avec M. le duc d’Angoulême ; seul il lui transmettait les ordres du roi, seul il présidait à tous les détails administratifs de l’armée ; c’était donc à lui seul qu’on allait imputer, non seulement les marché d’Ouvrard, mais encore les dilapidations qui en avaient été la triste conséquence », Nervo, 1867, t. 3, p. 294.

56 Bourdonnaye-Blossac (Charles esprit Marie, comte de la) : Pair de France, né à Poitiers le 27 août 1753, mort à Paris, le 22 mai 1840, il émigre avec sa famille à l’époque de la Révolution et fut dès les premiers jours de la Restauration, compris sur la liste des pairs de France, par ordonnance du 17 août 1815. Il soutient le gouvernement royal en toute circonstance et quitte la vie politique après la révolution de juillet 1830.

57 La Bourdonnaye, Archives Parlementaires, deuxième série, t. 45, seconde Restauration, séance du lundi 25 avril 1825, p. 116.

58 « En réalité, dans la sanction demandée à la Chambre, il n’y avait rien qui fût relatif au moral de l’affaire, il ne s’agissait que des payements effectués et en vérité, refuser cette sanction ce ne pouvait être qu’une manœuvre de parti à laquelle la France ne pouvait s’associer », Nervo, 1867, t. 3, p. 325.

Le texte et les autres éléments (illustrations, fichiers annexes importés) sont sous Licence OpenEdition Books, sauf mention contraire.

Rechercher dans OpenEdition Search

Vous allez être redirigé vers OpenEdition Search