Version classiqueVersion mobile

Les pêcheurs bretons durant la Seconde Guerre mondiale

 | 
Jean-Christophe Fichou

Chapitre II. L’État français et le secrétariat d’État à la Marine

Texte intégral

1L’armée française balayée en six semaines, les parlementaires ballottés et incapables de réagir face à la situation, la population en fuite sur les routes de l’exode, un peuple traumatisé… la défaite est totale. L’annonce de la signature de l’armistice est accueillie avec soulagement et l’arrivée du maréchal Pétain à la tête du pays est, pour tous, le dernier espoir de salut. Après la Débâcle et la mise en place du gouvernement de Vichy, on note la part belle faite aux militaires qui ont évité la capitulation, officiers supérieurs des armées de terre et plus encore de mer. Le fait que Hitler ait consenti à épargner la flotte de guerre n’est pas étranger à cette situation :

  • 1 Article 8 de la convention d’armistice franco-allemande du 22 juin 1940.

Le gouvernement allemand déclare solennellement au gouvernement français qu’il n’a pas l’intention d’utiliser pendant la guerre, à ses propres fins, la flotte de guerre française stationnée dans les ports sous contrôle allemand, sauf les unités nécessaires à la surveillance des côtes et au dragage des mines1.

Le ministère de la Marine

  • 2 Masson Philippe, La Marine française et la guerre 1939-1945, Paris, Tallandier, 2000, p. 178.
  • 3 BO Marine marchande, 1941-1, Acte constitutionnel no 4, quater, le 10 février 1941, le maréchal Pé (...)
  • 4 Carré Claude, Histoire du ministère de la Défense, Panazol, Lavauzelle, 2001, p. 351.
  • 5 Paxton Robert, La France de Vichy, Paris, Le Seuil, 1997, p. 150, l’amiral Auphan lors du conseil (...)

2La marine militaire demeure la seule garantie de l’intégrité de la France, le dernier symbole fort de la souveraineté nationale2, un enjeu politique sans doute plus que stratégique. Dès lors, les officiers de Marine sont appelés à jouer un grand rôle dans l’organisation du nouvel État ; déjà la convention de Rethondes est signée par le général Huntzinger, mais aussi le vice-amiral Le Luc, chef adjoint de l’état-major de la Marine ; à Turin, c’est l’amiral Duplat qui mène la délégation française de la commission d’armistice. Par la suite, les officiers supérieurs de la Marine occupent des fonctions aussi diverses qu’importantes ; ainsi, à la tête du secrétariat d’État à la Marine on retrouve le contre-amiral François Darlan qui reste en poste du 12 juillet 1940 au 24 février 1941. Le 10 février, il est nommé à la vice-présidence du Conseil, à la place de Flandin, après la promulgation d’un acte3 qui établit auprès de Pétain son « delphinat »4. Pour la première fois en France, un marin dirige les affaires de l’État. L’amiral détient aussi les secrétariats des Affaires étrangères, de l’Intérieur et enfin de la Défense. En août 1941, jamais autant de pouvoirs n’ont été réunis en aussi peu de mains5. Pour l’aider dans sa tâche, il s’entoure d’un état-major où les officiers, dont l’amiral Maurice Le Luc qui devient son directeur de cabinet, tiennent une large place.

  • 6 Quelques mois après sa nomination, il rédige un ouvrage, Manuel du père de famille, publié chez Fl (...)
  • 7 BO Marine marchande 1944, arrêté de nomination du 19 décembre 1944.

3En avril 1942, Pierre Laval nommé à la place de Darlan, c’est le contre-amiral Paul Auphan, chef d’état-major des Forces maritimes françaises, qui dirige le secrétariat de la Marine du 18 avril 1942 jusqu’au jour de sa démission, le 18 novembre 1942. Le contre-amiral Jean Abrial, ancien gouverneur général de l’Algérie, lui succède ; c’est à lui que revient la charge d’ordonner le sabordage de la flotte à Toulon le 27 novembre 1942. Le 26 mars 1943, il est remplacé par le contre-amiral Henri Bléhaut qui se maintient jusqu’au 20 août 1944. Ajoutons qu’à tous les niveaux du gouvernement de Vichy, dans tous les rouages de l’administration, à la tête de tous les organismes d’État, on retrouve des officiers supérieurs de la Marine. L’amiral Charles Platon, un ardent partisan de la collaboration, considéré même comme un ultra parmi les ultras, est nommé secrétaire d’État aux Colonies (septembre 1940-avril 1942) puis auprès du gouvernement (mai 1942-mars 1943), chargé notamment du Commissariat général à la famille. L’amiral François Michelier est le représentant de Vichy à la Commission d’armistice à Wiesbaden avant d’être nommé à Casablanca à la tête de la flotte au Maroc. L’amiral Hervé de Penfentenyo de Kervereguin devient secrétaire général à la Famille et à la Jeunesse après avoir perdu sa préfecture maritime de Lorient en juin 19406 ; il est ensuite nommé vice-président au conseil d’administration de la Compagnie générale transatlantique7. En février 1941, l’amiral Célestin Bourragué est nommé chef d’état-major de la Défense nationale ; le chef de cabinet aux Affaires étrangères est également un officier de marine, Charles Rochat. Le contre-amiral Jean Jardel est nommé secrétaire général de la vice-présidence du Conseil le 5 septembre 1941 où il reste jusqu’en avril 1942 avant de prendre le Secrétariat général auprès du chef de l’État qu’il conserve jusqu’en janvier 1944 et la direction des services de la Marine marchande. Il succède dans ce poste aux contre-amiraux Le Bigot, Auphan et Broussignac. Le vice-amiral Jean-Pierre Esteva est nommé résident général de la Tunisie le 26 juillet 1940 ; l’amiral Decoux prend le poste de gouverneur général de l’Indochine le 14 juillet 1940 qu’il conserve jusqu’en mars 1945. Le contre-amiral Le Normand est chargé des relations avec l’occupant pour toutes les questions maritimes en Bretagne. À son retour en France, après l’intervention britannique à Mers-el-Kebir, l’amiral Gensoul devient le chef du Service central des œuvres de la Marine (SCOM), le 16 août 1940 ; le contre-amiral Bard est nommé ambassadeur en Suisse le 30 mai 1942 après avoir occupé le poste de préfet de police ; le vice-amiral Le Bigot est à la tête de la Corporation des Pêches maritimes…

  • 8 Malley François, Le Père Lebret, l’économie au service des hommes, Paris, Éditions du Cerf, 1968, (...)

Les amiraux devenaient préfets et lorsqu’un évêque mourait, les humoristes se demandaient par quel amiral il allait être remplacé8.

  • 9 Archives nationales, 3 W 353, Rapport du ministre Krug von Nidda, Vichy, mai 1943 ; cité dans Pujo (...)

4Les Allemands s’inquiètent d’ailleurs de la présence de trop nombreux officiers dans les ministères, civils ou militaires, où bon nombre d’entre eux ont été reclassés après la dissolution de l’armée d’armistice9.

  • 10 Page Lucien, Recueil des conférences inaugurales des cours de l’école du Commissariat de la Marine (...)
  • 11 Gilbert de Bournat refuse de rallier la France libre et il est assigné à résidence jusqu’en févrie (...)

5Pour la plupart de ces officiers, l’engagement aux côtés de Pétain ne pose guère de problèmes moraux. La fidélité au serment prêté au maréchal est pour eux une évidence, le fruit des valeurs d’obéissance, de hiérarchie et de dévouement dont ils sont nourris : « Le règlement ordonne et l’administrateur obéit, le règlement édicte et l’administrateur applique10. » L’alternative ne se présente même pas à leur esprit et les quelques marins réfugiés en Angleterre auprès du général de Gaulle, comme l’amiral Muselier, restent, pour la grande majorité d’entre eux, considérés au mieux comme des égarés ou des dissidents, au pire comme des voyous et des déserteurs, passibles, s’ils sont officiers supérieurs, du peloton d’exécution. Le ton est donné lorsque l’amiral Platon, alors secrétaire d’État aux Colonies, publie un communiqué dans la presse en janvier 1942 pour accueillir le gouverneur de Saint-Pierre et Miquelon, Gilbert de Bournat, chassé après la prise de l’île (ou sa libération selon le camp dans lequel on se trouve) par les forces navales de la France Libre, le 24 décembre 194111.

  • 12 Paris, janvier 1942, l’amiral Platon ; cité dans <www.GrandColombier>, encyclopédie de Saint-Pierre et Miquelon.

Au moment où, victime de l’acte le plus honteux et le plus absurde qu’ait encore enregistré l’histoire des crimes des traîtres gaullistes, vous abordez l’Europe et bientôt la France, je tiens à vous exprimer ma satisfaction de la fière et ferme attitude que vous avez opposée à la trahison et vous adresse mon message de cordial accueil12.

  • 13 Masson Philippe, « La belle marine de 1939 », dans Corvisier André (dir.), Histoire militaire de l (...)

6La tradition, ou bien le mythe13, d’une marine commandée par des catholiques traditionalistes, conservateurs, voire réactionnaires, et anglophobes persistent encore aujourd’hui. S’il convient sans doute de modérer ce propos, on peut cependant affirmer que les officiers supérieurs partagent, dans l’ensemble, les mêmes valeurs que le vieux maréchal et qu’ils adhèrent à la révolution nationale sans trop se faire prier, même après deux années d’Occupation qui ne laissaient plus guère planer de doute sur les intentions allemandes. Il en est pour preuve le discours de l’amiral Auphan, secrétaire de la Marine, prononcé en septembre 1942 :

  • 14 L’amiral Auphan lors du conseil des ministres, le 15 septembre 1942.

La politique actuelle […] de collaboration est basée sur les espérances suivantes : nous sommes vaincus et envahis comme rarement un peuple l’a été dans l’histoire. Toute revanche est impossible […]. Soit que l’Allemagne sorte victorieuse du conflit, soit qu’elle fasse une paix de transaction, il faut mériter son indulgence, et si possible sa reconnaissance, au jour du traité de paix en lui rendant certains services pour que, dans une certaine mesure, elle nous ménage […]. Cette politique implique, pour le gouvernement français, de toujours satisfaire, dans la mesure du possible, les demandes allemandes […] et d’assumer à côté des Allemands en France et en Europe, l’impopularité des mesures exigées par eux14.

  • 15 AN F1 IIIc1198, novembre 1942, synthèse des rapports des préfets.
  • 16 Page Lucien, Recueil des conférences, op. cit., Conférence du commissaire Sourrieu prononcée en 19 (...)
  • 17 Masson Philippe, La Marine française et la guerre 1939-1945, Paris, Tallandier, 2000, p. 412.
  • 18 Baruch Marc-Olivier, Servir l’État français, Paris, Fayard, 1997, p. 561.
  • 19 Paxton Robert, La France de Vichy…, op. cit., p. 368.

7Sans être absolue, la confiance des officiers de marine est renouvelée au lendemain de l’occupation de la zone libre par les troupes allemandes ; elle se lézarde quelque peu après le sabordage de Toulon, mais les défections sont toujours aussi rares. « L’Armée restait un symbole, la Marine une sorte de prestige15. » Pour la majorité des officiers, la route à suivre est relativement simple : « Un phare éclaire votre route : le commandement. Ses désirs sont des ordres et vous vous empressez16. » Et si les Forces maritimes d’Afrique (FMA) finissent par se ranger aux côtés des Alliés, « une atmosphère trouble règne » en leur sein17. En revanche, pour les amiraux restés sur le sol de France, il n’est absolument pas question d’envisager un quelconque rapprochement avec de Gaulle dont aucun ne reconnaît l’autorité. Au fil des mois, alors que la défaite allemande est consommée, alors que les troupes alliées progressent inéluctablement, les derniers fidèles parmi les fidèles, sont encore bien souvent des officiers de Marine ; ils resteront jusqu’au bout, pénétrés de cette notion forte de loyalisme ancrée dans le culte de la personne de Pétain, comme le capitaine de vaisseau Tracou ou les amiraux Fernet et Auphan18. C’est d’ailleurs à ce dernier que Pétain demande, le 11 août 1944, de prendre contact avec de Gaulle, afin de négocier « une solution politique, de nature à empêcher la guerre civile19 ».

  • 20 Abzac-Epezy Claude d’, « Épuration et rénovation de l’armée », dans Baruch Marc-Olivier (dir.), Un (...)
  • 21 Par exemple, Marcel Gensoul quitte le service actif en octobre 1942. Il est cependant convoqué dev (...)
  • 22 Novick Peter, L’Épuration en France, 1944-1949, Paris, Le Seuil, 1985, p. 335-338. Charles Platon, (...)

8Ils paieront très cher leur attachement au Maréchal puisque sur les 36 amiraux recensés dans l’Annuaire de la marine en 1941, « aucun amiral n’est réemployé » après le conflit20 sinon l’amiral Raymond Fenard ; 9 d’entre eux sont révoqués, 7 sont mis à la retraite d’office. Il est vrai qu’un certain nombre ont déjà atteint la limite d’âge21. Plus grave encore, un tiers d’entre eux seront jugés et, généralement, condamnés22.

Les marins pêcheurs, une population choyée

  • 23 Pétain Philippe, entrevue accordée pour Gringoire, le 14 novembre 1940 ; cité dans Baruch Marc-Oli (...)

9Paul Reynaud démissionnaire, le maréchal Pétain est désigné comme président du Conseil, le 16 juin 1940. Il demande l’armistice dont les conventions sont signées le 22 juin à Rethondes et le 23 à Rome. Le 10 juillet, l’Assemblée, réunie à Vichy, vote les pleins pouvoirs à Pétain qui, dès le lendemain, promulgue trois actes constitutionnels supprimant de fait la IIIe République, fondant l’État français et marquant le début de la « révolution nationale ». Il s’agit de façonner un pays nouveau, de procéder à une réforme en profondeur de la société et plus particulièrement de ses institutions, de reconstruire une nation où « tout était pourri23 ».

  • 24 Pétain Philippe, « Appel du 25 juin 1940 », dans Discours aux Français, 17 juin 1940-20 août 1944,(...)

Notre défaite est venue de nos relâchements. L’esprit de jouissance détruit ce que l’esprit de sacrifice a édifié. C’est à un redressement intellectuel et moral que, d’abord, je vous convie. Français, vous l’accomplirez et vous verrez, je vous le jure, une France neuve surgir de votre ferveur24.

  • 25 Cépède Michel, Agriculture et alimentation en France durant la Seconde Guerre mondiale, Paris, Gen (...)

10La Marine française ne cesse d’affirmer qu’elle n’a pas été vaincue par l’armée allemande. À ce titre, elle se pose en garant de la légitimité du nouvel État. Elle est particulièrement encline à approuver le maréchal dans cette voie de la reconstruction d’une nation écrasée. Elle s’appuie en effet non pas sur un ensemble de soldats amalgamés au gré de rouages administratifs, mais sur un corps de professionnels fiers de leur uniforme et de leur arme, ordonnée en escadres, un modèle qu’il convient, par analogie, de suivre pour l’organisation du ministère, du gouvernement et du pays tout entier. Les organes principaux de commandement ont été déménagés à Vichy auprès de l’Amirauté logée dans l’hôtel du Helder. Les organes d’exécution administratifs et financiers restent cantonnés à Paris. En fait, les pêcheurs n’auront jamais à se plaindre de la direction bicéphale, de la main-mise des militaires ou de la multiplication des bureaux intervenant dans le domaine des pêches. Comme dans tant d’autres domaines, une nuée de mesures s’abat sur eux, mais leur efficacité se révélant inversement proportionnelle à leur nombre25, ils n’en tiennent pas toujours compte et, comme par le passé, privilégient la relation directe avec les chefs des quartiers maritimes, leurs uniques interlocuteurs.

La société française dans un même bateau

  • 26 L’amiral Auphan, Paris, le 7 août 1941, discours inaugural du Comité central corporatif des Pêches (...)
  • 27 Capitaine Hamon (chef du bureau de l’apprentissage maritime en zone occupée), Conférence prononcée (...)
  • 28 BO Marine, 1942-1, décret du 17 avril 1942.

11La fonction protectrice que doivent assurer le maréchal Pétain et l’État français, composante primordiale du système de représentation de Vichy, est particulièrement puissante au ministère de la Marine où elle est pratiquée comme un sacerdoce. Ce ministère retrouve des fonctions élargies, perdues au cours des premières années du XXe siècle, et regroupe de nouveau les trois marines, de guerre, de commerce et de pêche : « le sacrifice en commun des deux Marines, avant l’Armistice comme après, pour le ravitaillement des familles françaises et la défense du patrimoine national, cimente à jamais une union qui avait été organisée par Richelieu et Colbert et qui n’aurait jamais dû être rompue26 », ce dont témoigne l’appellation qui lui est, à dessein, restituée, d’Amirauté : « l’Amirauté française constitue ce que l’on appelait naguère le ministère de la mer27 ». Au cours de ses deux premières années de fonctionnement, ledit ministère ne cesse de renforcer sa position pour toutes les questions qui touchent de près ou de loin le monde de la mer : en avril 1942, les services centraux de la Marine marchande fusionnent avec ceux de la Marine militaire et relèvent de l’autorité d’un ministre amiral28.

  • 29 La Mission de restauration paysanne est créée dès le mois d’août 1940 par le premier ministre de l (...)
  • 30 Masson Philippe, La Marine française…, op. cit., p. 282.
  • 31 Paxton Robert, L’armée de Vichy…, op. cit., p. 73.
  • 32 Maréchal Pétain, discours du 31 décembre 1941.
  • 33 Rousso Henry, Vichy, l’événement, la mémoire, l’histoire, Paris, Gallimard, 2001, p. 15.

12Le mythe maréchaliste de la « mission de restauration paysanne29 » est adapté aux professions maritimes et plus particulièrement à celle des pêcheurs. La Marine, en vertu de ses qualités traditionnelles de cohésion, de discipline, de professionnalisme, d’efficacité et d’honneur, doit devenir l’exemple par excellence, le modèle de la nouvelle société en construction30. En conséquence, le ministère de la Marine reçoit la haute main sur la politique sociale et familiale applicable à la profession et reprend les grandes campagnes menées à l’initiative de Pétain pour sauver la population nationale en faisant des marins, de « bons Français31 ». Cette œuvre régénératrice s’effectuera au sein d’un régime autoritaire, selon un « ordre sévère, exigeant de tous les mêmes disciplines, fondés sur la prééminence du travail, la hiérarchie des valeurs, le sens des responsabilités, le respect de la justice, la confiance mutuelle au sein de la profession32 », un ordre permettant à tout travailleur de la mer de se conformer à l’image du marin, idéale mais peu réaliste, véhiculée par l’Amirauté. Les officiers de marine sont les premiers à désirer une réforme en profondeur de la société française, selon une stratégie consciente et volontaire33, qui doit s’appliquer en premier lieu au monde paysan dans le cadre de la révolution nationale. Force est de constater que cette politique ne fut pas couronnée de succès auprès des marins, eux aussi concernés. L’organisation générale de la profession, conçue en 1936 et appliquée en 1940, est cependant conservée à la Libération.

Une jeunesse encadrée

13Un nouveau régime est en train de naître. La jeunesse forme la base essentielle de la révolution nationale et il est urgent, si ce n’est d’en préparer les cadres futurs, pour le moins d’en former les nouveaux acteurs. L’armée ne peut plus remplir ce rôle puisque la conscription n’existe plus. Les directives allemandes à ce sujet sont très claires : seulement 100 000 hommes, officiers et soldats, pour l’armée d’Armistice et interdiction du service militaire. Il s’agit donc de contrôler l’éducation et d’encadrer la formation de la jeunesse française. Peut-être aussi de juguler le chômage qui s’aggrave à la fin de l’été 1940. Toujours est-il que la jeunesse devient l’objet de soins attentifs.

  • 34 Maréchal Pétain, message à la jeunesse, le 29 décembre 1940, cité dans Veillon Dominique, Vivre et (...)

L’atmosphère malsaine dans laquelle ont grandi beaucoup de vos aînés a détendu leurs énergies, amolli leurs courages […]. Mais vous, engagés dès le jeune âge dans les sentiers abrupts, vous apprendrez à préférer aux plaisirs faciles les joies des difficultés surmontées34.

  • 35 Giolitto Pierre, Histoire de la jeunesse sous Vichy, Paris, Perrin, 1991, p. 551.
  • 36 Ibid., p. 231.
  • 37 Maréchal Pétain, « Message à la jeunesse de France », 29 décembre 1940.
  • 38 La Porte Du Theil Joseph de, Un an de commandement des chantiers de la jeunesse, Vichy, Sequana, 1 (...)

14L’une des premières mesures prises par le gouvernement de Vichy est la création d’une direction générale à la Jeunesse, le 12 juillet 1940, deux jours après le vote des pleins pouvoirs ; cette simple direction devient Secrétariat général à la jeunesse le 6 septembre. La décision intervient une semaine après l’ordre donné par le secrétaire d’État à la guerre, le général Louis Colson, de réunir les derniers contingents de Français incorporés au début du mois de juin et qui se retrouvent en zone libre, démobilisés et sans affectation. Il confie cette tâche au général Joseph de La Porte du Theil, un ancien scout et chef des Scouts de France, qui propose de les regrouper dans des centres appelés d’abord « Camps de la Jeunesse » puis « Groupements de Jeunesse » et enfin « Chantiers de Jeunesse ». Ils naissent officiellement le 30 juillet 1940 et le gouvernement prend grand soin de les rattacher à un ministère civil, le secrétariat de la Jeunesse, pour ne pas heurter les sensibilités allemandes qui pourraient y voir une forme déguisée de reconstitution de l’armée française35. En fait, les Chantiers ne seront jamais des unités paramilitaires clandestines36 même s’ils sont organisés sur la base d’un système militaire. Sous la responsabilité et le commandement de civils, les jeunes apprennent à vivre en pleine nature et « à travailler en commun, à réfléchir en commun, à obéir en commun, à prendre [leurs] jeux en commun, en un mot, [à] cultive[r] parmi [eux] l’esprit d’équipe37 ». Il faut donner aux « jeunes hommes de France, toutes classes confondues, un complément d’éducation morale et virile qui, des mieux doués, fera des chefs et, de tous, des hommes sains et honnêtes, communiant dans la ferveur d’une même foi nationale38 ».

  • 39 BO Marine, 1941-1, le 25 février 1941, l’amiral Darlan.

15Les premiers chantiers organisés par le général de La Porte s’avèrent une réelle réussite si bien que le gouvernement décide de pérenniser l’expérience engendrée dans le désordre le plus complet. Le 18 janvier 1941, est promulguée la loi instituant définitivement cet organisme. L’année de leurs vingt ans, tous les jeunes Français habitant en zone libre, à quelques exceptions près, doivent effectuer un stage de huit mois dans l’un des 46 camps situés en zone libre ou en Algérie. A priori, les inscrits maritimes définitifs restent exemptés de ce service civil ; par contre, les jeunes marins de pêche ou de commerce sans embarquement en zone non occupée (ZNO) sont tenus de l’effectuer. Le ministère de la Marine décide, dès la création officielle des camps de jeunesse, de préparer un projet de structure d’accueil spécifique pour tous les jeunes marins qui résident en ZNO. Il est prévu d’appliquer ces dispositions ultérieurement dans les territoires occupés. Le texte interministériel du 18 janvier prévoit notamment que les « inscrits maritimes et les élèves des écoles de navigation sont convoqués dans les chantiers administrés par le service de la marine marchande », qu’eux-mêmes et les élèves officiers « accomplissent dans les chantiers de jeunesse de la Marine, administrés par les services de la Marine marchande, le stage obligatoire de huit mois prévu par la loi39 ».

  • 40 Dubard Pierre, « Pour une marine de qualité : les jeunes des chantiers-France ont retrouvé un idéa (...)

16Le premier contingent de jeunes marins, nés entre le 1er avril et le 30 septembre 1920, se présente en mars 1941 aux administrateurs des quartiers maritimes dont ils dépendent et qui leur apprennent leur destination finale, Banyuls, Narbonne-plage ou le cap Matifou aux abords d’Alger. La vie en communauté, au grand air, sous la férule d’officiers de marine, doit permettre aux novices de développer des qualités d’endurance, de solidarité et d’obéissance, forces essentielles de la Marine future. Certains cours sont communs à tous les jeunes : les exercices d’embarcation, l’école de présentation, les manœuvres, une croisière de quinze jours ou trois semaines sur un cargo mixte acheté par les Chantiers, et bien sûr des exercices d’éducation physique. Les corps de métiers déjà constitués, timoniers, gabiers, mécaniciens, électriciens, pêcheurs, bénéficient de cours professionnels spécifiques. Le pêcheur va à la pêche ; « il ravitaille le centre en poisson, il répare les engins ; il apprend à fabriquer, voiles, cordages, filets40 ». À plus long terme, l’éducation de la jeunesse maritime oisive et le développement du sport doivent permettre aussi de combattre le fléau de l’alcoolisme. Une vaste enquête est menée avant de se lancer dans la fondation de centres et de maisons pour les jeunes inscrits au chômage dans la zone occupée. En Bretagne méridionale, où les marins de commerce sont peu nombreux, le chômage est faible ; ainsi sur les 907 inscrits de 13 à 21 ans que compte le quartier du Guilvinec à cette date, ils sont 888 à travailler à la pêche, tous sont embarqués et ne sont donc pas, officiellement, au chômage.

  • 41 SHD Marine Brest, 3 P 2-20, Le Guilvinec, le 7 mai 1941, l’administrateur Québriac au délégué régi (...)

Mais comme ils ne sortent que quelques jours par mois par suite de la pénurie de carburant, ils sont réduits à l’oisiveté pendant le reste du temps. Un centre de jeunesse maritime aurait certainement son utilité sur cette partie du littoral éloigné des grands centres et un peu délaissée jusqu’ici41.

17Dès lors, le but ultime est de regrouper tous les inscrits dans des centres spécifiques, les Chantiers de Jeunesse de la Marine, sous l’autorité d’officiers de marine démobilisés, et sous le patronage du ministère non de la Jeunesse mais de la Marine. Le conflit ouvert entre les deux départements tourne rapidement à l’avantage de celui de la Marine.

  • 42 Capitaine Hamon, Conférence prononcée à la session de formation…, op. cit., p. 6.

Le Secrétariat général de la jeunesse affirme que rien de ce qui est jeune ne lui est étranger, même ce qui est marin. En même temps, l’Amirauté affirme que rien de ce qui est marin ne lui est étranger, même ce qui est jeune. Et l’Amirauté l’emporte42

18D’ailleurs, à de nombreuses reprises, les autres ministères dénoncent cette inégalité de traitement et demandent l’intégration obligatoire de tous les jeunes hommes aux Chantiers, quelles que soient leurs origines. Le ministère de la Marine intervient alors pour rappeler les avantages consentis aux inscrits :

  • 43 Archives des Affaires maritimes de Brest, Vichy, le 5 septembre 1942, l’administrateur général de (...)

Pour répondre à une question fréquemment posée, je précise que l’accomplissement du stage dans les Chantiers de la Jeunesse est, pour tous les Français de 20 ans se trouvant en zone libre, une obligation qui résulte de la loi du 18 janvier 1941. Les inscrits maritimes […] accomplissent le stage dans les Chantiers dépendant du Secrétariat d’État à la Marine, où ils ont l’occasion de développer, dans un milieu maritime, leur formation professionnelle en même temps que leur formation générale43 (illustration 1).

Illustration 1. Un défilé de jeunes recrues des Chantiers de jeunesse de la Marine
(Source : Almanach du marin 1943, p. 66.)

  • 44 SHD Marine Brest, 7 P 1-62, Paris, septembre 1943.
  • 45 Dubard Pierre, « Pour une marine de qualité… », art. cité, p. 2.
  • 46 SHD Marine Brest, 2 P 2-7, Morlaix, le 16 février 1944, l’administrateur.
  • 47 À la même époque, durant l’été 1943, les élèves de l’École navale sont transférés de Toulon à Clai (...)
  • 48 Le Phare, quotidien régional de Nantes, le 9 novembre 1943.

19Après le 11 novembre 1942 et la démobilisation des personnels de la Marine, l’encadrement de ces chantiers devient pléthorique. Il s’agit pour le ministère de reclasser comme il le peut les officiers et les officiers mariniers qui se retrouvent sans emploi et menacés par le Service du travail obligatoire (STO). Les chantiers de la Jeunesse font savoir « qu’ils mettent à la disposition de ce personnel un certain nombre de places : 25 postes de commissaires, 100 emplois de commis, 20 chefs ouvriers, 100 maîtres moniteurs, 20 moniteurs de cuisine44 ». La presse autorisée est unanime pour glorifier la démarche ministérielle. Les articles encenseurs se font chaque semaine plus nombreux pour dépeindre une jeunesse forte et joyeuse : « Ces jeunes gens ne sont pas des copains en vacances. Ils sont, avec d’autres, notre raison de croire en l’avenir ; ils sont un aspect de la France nouvelle et de volonté de vivre avec beauté45. » Mais la réalité est sans doute moins idyllique si l’on en croit certains rapports d’administrateurs amenés à plusieurs reprises à se prononcer sur l’attitude de leurs jeunes inscrits impertinents, élèves insolents. Les « rouilles », comme on les surnomme, ne se plient pas aux règlements de bonne grâce. Il s’agit pour la plupart d’entre eux de jeunes inscrits de la ZO, sans embarquement, qui préfèrent rejoindre les Chantiers plutôt que risquer l’enrôlement par le STO. Les chefs des chantiers souhaitent d’ailleurs les éliminer en leur enlevant leur livret matricule et les exclure définitivement de la Marine. Mais une telle action n’est pas possible sans l’assentiment des chefs de quartier de rattachement qui veillent jalousement sur leurs novices. Ainsi, le jeune Tréguer est menacé de radiation de la matricule parce qu’il a déserté un chantier de la Marine. Immédiatement l’administrateur de Brest intervient pour dénoncer une telle peine : « il n’y a pas lieu de lui appliquer cette sanction puisque ses antécédents sont bons46 ». En 1943, les centres installés dans des ports méditerranéens sont évacués sur l’ordre des Allemands qui y prennent position. Les Chantiers de la Marine sont alors regroupés dans le Tarn, à Ramondeus, et perdent leurs caractéristiques maritimes47. C’est ainsi que 400 jeunes Bretons se retrouvent dans la Montagne Noire : « En principe il s’agit de préparer de futurs marins, mais actuellement les jeunes de la Marine font beaucoup de forestage48. » Une grande partie d’entre eux participent ensuite au déblayage de la ville de Nantes après les bombardements de septembre 1943.

  • 49 AD Finistère, 200 W 41, Quimper, le 23 janvier 1943, le délégué du secrétariat d’État à la Jeuness (...)
  • 50 SHD Marine Brest, 2 P 1-192, Paris, le 28 février 1944, le CF Baudet.

20Les délégués du secrétariat d’État à la Jeunesse mettent les circonstances à profit pour tenter de regagner leur autorité sur les jeunes inscrits. En Bretagne notamment, où le responsable dénonce le peu d’effort effectué par la Marine pour exhorter la jeunesse maritime à un soutien sans équivoque du régime de Vichy. Il faut entretenir sur le terrain des rapports plus forts et plus constants afin « d’élaborer un vaste programme en vue de gagner ces jeunes marins à l’ordre nouveau que la plupart ignore encore49 ». De toute manière, en février 1944, les Chantiers de la Jeunesse et ceux de la Marine cessent toutes leurs activités, « devant passer en prenant une orientation et probablement une appellation nouvelles sous le contrôle du ministère secrétariat d’État au Travail »50.

  • 51 Ropers Louis, La Crise sardinière. Condition économique et sociale du pêcheur sardinier, Paris, Bo (...)
  • 52 Roché Georges, « École professionnelle pour les marins pêcheurs », RM, t. 121, 1894, p. 455-464.

21L’Amirauté engage parallèlement un vaste programme pour favoriser ou créer des écoles de pêche, le moyen jugé le plus sûr pour relever le « niveau général intellectuel et moral des populations51 » maritimes. Sous ce vocable général d’écoles de pêche, sont regroupées des institutions diverses répondant à des situations très différentes : s’il s’agit bien, dans tous les cas, de dispenser un enseignement professionnel pour apprendre à mieux pêcher, à mieux naviguer, à mieux comprendre la mer, les publics concernés vont des jeunes élèves dont la formation initiale est jugée insuffisante, à des inscrits confirmés qui souhaitent se perfectionner et qui trouvent là une réponse ciblée à leurs besoins professionnels, « une grande œuvre d’économie sociale52 ».

  • 53 Archives CCI Lorient, Lorient, séance du 14 février 1895.
  • 54 RM, t. 129, 1896, p. 384.
  • 55 Enquête effectuée à Audierne en 1903 et citée dans Vauclare Claude, « Naissance d’une industrie », (...)
  • 56 JO, « Annales de la Chambre des Députés », séance du 31 janvier 1913, le député de l’Estourbeillon
  • 57 Siegfried André, Tableau politique de la France de l’Ouest sous la Troisième République, Paris, Am (...)

22La première école du genre est ouverte à Groix en février 1895 sous la responsabilité de l’instituteur Guillard53. Le modèle est rapidement imité et le 23 mars 1896 est ouverte l’école municipale d’enseignement technique des pêches des Sables-d’Olonne54. La même année, celle de Dieppe accueille ses premiers élèves, puis celles de Boulogne, du Croisic, d’Arcachon et de Marseille en 1897, celle de Fécamp en 1899. Le gouvernement n’est pas indifférent à ces expériences d’initiative privée et, en 1898, le ministre de l’Instruction publique fixe le programme alors que le ministère de la Marine prescrit de créer, dans toutes les écoles élémentaires du littoral, des cours complémentaires de navigation, de pêche et d’hygiène. De la sorte, « il n’y aura bientôt plus d’illettrés parmi nos marins55 ». Mais cet enseignement spécifique est long à se mettre en place, les cours restent rares et trop théoriques et tous les ports ne possèdent pas d’école. Malgré toutes les bonnes volontés, l’expérience s’essouffle, non seulement pour des raisons techniques, mais aussi pour des questions de personnes. Les instituteurs chargés des cours sont souvent socialistes, voire communistes après la Grande Guerre, et s’opposent aux édiles locaux généralement conservateurs. « Les écoles de pêche, qui eussent permis aux populations maritimes d’acquérir des connaissances suffisamment générales pour s’adapter à d’autres métiers que celui de sardiniers, sont encore aussi à l’état embryonnaire56. » Mais convient-il d’apporter une trop grande instruction à ces pêcheurs ? Beaucoup d’hommes politiques conservateurs se posent la question : « Nul en effet n’est plus révolutionnaire, plus anarchique qu’un Breton émancipé57. »

  • 58 SHD Marine Brest, 7 P 1 – 57, Vichy, le 31 mai 1941, l’amiral Auphan aux directeurs des arrondisse (...)

23Les écoles survivent tant bien que mal et l’on s’accorde pour constater que les écoles de pêche n’apportent pas aux pêcheurs toutes les bases techniques et scolaires nécessaires à leur évolution ni même à leur reconversion. À la veille de la Seconde Guerre mondiale, le niveau d’étude des marins pêcheurs reste faible, une ignorance dont se plaint leur protecteur tutélaire, la Marine nationale. Le gouvernement de Vichy ne peut rester inactif dans ce domaine car « pour une famille, pour une corporation, pour une nation, il n’est pas de richesse plus grande ni de valeur plus stable que celle d’avoir fait de chacun de ses enfants des hommes de métier58 ». En conséquence, il prépare un grand projet national, l’instauration des écoles d’apprentissage maritime (ÉAM).

  • 59 Paxton Robert, L’Armée de Vichy…, op. cit., p. 207.
  • 60 Giolitto Pierre, Histoire de la jeunesse…, op. cit., p. 61.
  • 61 Barreau Jean-Michel. Vichy contre l’école de la République, Paris, Flammarion, 2000, p. 229.

24Si les chantiers de jeunesse, conçus dans la confusion et la précipitation, sont destinés à résorber le chômage des jeunes et à éviter les désordres sociaux, ils n’ont pas été créés pour former professionnellement les participants, pas même à l’entraînement militaire59. Cette forme assez sommaire d’encadrement n’est pas jugée suffisante par les amiraux qui souhaitent élaborer un programme éducatif spécifique adapté aux besoins des jeunes marins, une partie des futurs équipages de la Flotte. Cette volonté d’apprentissage spécialisé s’inscrit dans la conception pétainiste très élitiste de l’enseignement qui veut que les études longues universitaires soient réservées à une très petite minorité, la majorité des jeunes devant se tourner vers des programmes plus concrets, plus manuels60. Ce sont désormais les ateliers, les jardins, les champs, les bateaux de pêche, ou les cuisines pour les femmes, qui sont à l’honneur dans l’école de la Révolution nationale61. De son côté, la Jeunesse maritime chrétienne (JMC), créée en 1930, a préparé un projet d’écoles spécifiques pour l’apprentissage des jeunes marins et elle le soumet à l’Amirauté, l’armistice tout juste signé. Le programme d’étude est chaudement accueilli par les officiers de marine qui ont d’ailleurs participé à son élaboration dans une perspective toute saturée de connotation chrétienne.

  • 62 SHD Marine Brest, 7 P 1-57, Vichy, le 24 janvier 1941, l’amiral Auphan aux directeurs des arrondis (...)

La formation professionnelle, et l’éducation morale et physique de la Jeunesse maritime retiennent toute mon attention. Elles font l’objet de divers projets (Chantiers de la Jeunesse de la Marine, centres d’apprentissage, etc.) pour l’étude et la mise en application desquels il serait fait appel à votre concours le moment venu. Je vous signale que j’ai créé, pour l’étude de tout ce qui concerne la jeunesse maritime, un Bureau de l’apprentissage maritime […]. J’envisage la réorganisation très prochaine des Écoles de pêche et le développement au maximum de leurs moyens d’encadrement et d’enseignement62.

  • 63 Paxton Robert, L’Armée de Vichy…, op. cit., p. 207.
  • 64 Lebret Louis Joseph, Moreux René, Les Professions maritimes, à la recherche du bien commun, Paris, (...)
  • 65 Le Doaré Alain, La Naissance des prêtres marins (1938-1955), thèse d’histoire contemporaine, unive (...)
  • 66 L’amiral Estéva à l’amiral Darlan, le 23 juin 1940 ; cité dans, Paxton Robert, L’Armée de Vichy…, (...)
  • 67 SHD Marine Brest, 5 P 1-84, Vichy, le 31 mai 1941, l’amiral Auphan.

25Pour préparer la relève dans les meilleures conditions possibles, disposer d’une base de recrutement élargie et contrôler l’instruction des jeunes marins, les « officiers de[viennent] maître d’école63 ». Une concordance de vue s’établit entre l’Amirauté, le père Lebret, René Moreux et Ernest Lamort, tous trois à l’origine du mouvement social maritime né en France à la fin des années 1920. La recherche du bien commun des professions maritimes, et plus particulièrement des marins pêcheurs, s’établit sur les recherches de l’ancien officier de marine devenu dominicain64. Le temps de l’incertitude, des doutes et du chômage doit cesser pour laisser place à celui de la formation : il apparaît comme un moment providentiel pour lancer des initiatives destinées à bâtir un monde maritime nouveau65. Pour beaucoup d’officiers, la période de déclin dans laquelle le pays se retrouve après la défaite résulte des lacunes de notre système éducatif qu’il convient donc d’améliorer, voire de reconstruire. La Marine doit « contribuer à la grandeur de la France, non seulement en tant qu’organe de la défense nationale, mais en instruisant son personnel militairement, moralement, spirituellement66 » et quelqu’éprouvée qu’elle soit, il lui faut se redresser et se développer pour devenir « une Marine de qualité »67.

  • 68 Secrétariat dÉtat à la Marine, Almanach du marin, 1942, Vichy, Édition du Secrétariat général à l (...)

26Dès lors, un gros effort pour renforcer et organiser l’enseignement et l’apprentissage maritime est accompli par le ministère de la Marine alors que ceux de la Jeunesse et de l’Instruction restent très effacés dans cette réforme qui leur revient normalement de droit. Les officiers de marine chargés de présenter un projet en ce sens s’appuient sur deux modèles antinomiques. D’une part, ils évoquent avec nostalgie la « bonne vieille époque de la marine à voile […] où le capitaine, le second, le bosco ou le patron prenaient le temps d’enseigner aux mousses » la façon correcte de pousser l’aiguille et l’art de manier un épissoir : « On formait des hommes dans ce temps-là, des hommes qui savaient écouter, regarder et penser68. » D’autre part, les officiers reprennent à leur compte les travaux de réflexion menés par les cadres de la JMC qui se sont réunis en janvier 1941 dans le Morbihan, sur l’île de Berder, pour définir l’organisation pratique des centres de formation. Le 31 mai 1941, est publiée une circulaire du contre-amiral Auphan qui précise les dispositions à prendre en ce sens et crée le certificat d’apprentissage maritime, le CAP des jeunes marins pêcheurs :

  • 69 SHD Marine Brest, 7 P 1 – 57, Vichy, mai 1941, l’amiral Auphan aux directeurs des arrondissements (...)

Une des causes, techniques autant que morales, de la décadence de la marine marchande dans l’entre-deux-guerres, se situe incontestablement dans l’absence de tout apprentissage sérieux […]. Or sans l’apprentissage, il ne saurait y avoir de qualité dans le travail accompli. J’ai décidé, pour ces raisons et pour contribuer accessoirement à résorber le chômage des jeunes, de favoriser sur la côte l’éclosion d’Écoles d’apprentissage maritime soutenues par l’État69.

  • 70 « Propos d’enseignement », Le Yacht, septembre 1941, p. 234.
  • 71 Capitaine Hamon, Conférence prononcée à la session de formation des cadres…, op. cit., p. 4.
  • 72 AD Côtes d’Armor, 1311 W 226, Saint-Brieuc, le 18 février 1941, l’administrateur Le Bras.

27Le but poursuivi « n’est rien de moins que de contribuer au recrutement des marins du commerce, en même temps que de veiller à l’aménagement de leur qualité70 ». Beaucoup d’officiers de marine considèrent que rien n’est fait pour apprendre comment pêcher aux hommes d’équipage. Seules les écoles du littoral dispensent un enseignement dans ce domaine en vue de l’obtention du brevet de patron pêcheur, « mais le métier de pêcheur n’y est pas ou n’y est que peu enseigné71 ». L’Amirauté décide donc de prendre en charge la formation, essentiellement technique, des jeunes marins, tenus d’apprendre à obéir. Les administrateurs de l’Inscription maritime, cheville ouvrière de l’organisation, approuvent sans condition les propositions du ministère, « une très bonne idée72 » selon l’un d’eux, mais ils observent aussi que si les jeunes inscrits trouvent facilement des embarquements, les sorties en mer n’occupent pas tout leur temps, d’autant plus que l’absence de carburant les pousse à l’inactivité forcée. Au Guilvinec, pendant ces journées,

  • 73 SHD Marine Brest, 3 P 2-20, Le Guilvinec, le 5 mars 1941, l’administrateur Québriac.

tous ces jeunes gens, qui n’ont pas la possibilité de travailler le moindre petit jardin, car il n’en existe pas, regardent la mer d’un air désolé, certains iront à l’Abri du marin, mais c’est une minorité et c’est précisément celle qui en a le moins besoin. Il existe bien des Écoles de pêche, mais comme j’ai eu l’occasion de le dire… celles-ci n’ouvrent que le soir de 19 heures à 21 heures73.

  • 74 SHD Marine Brest, 3 P 2-20, Le Guilvinec, février 1941, l’administrateur Québriac.
  • 75 SHD Marine Brest, 8 P 1-64, Paris, le 13 septembre 1941, programme d’examen pour le certificat d’a (...)
  • 76 Secrétariat dÉtat à la Marine, Almanach du marin, 1942, op. cit., p. 94.

28D’autre part, les administrateurs précisent qu’une telle organisation ne peut porter ses fruits que dans la mesure où les écoles disposent de grands locaux, de professeurs et des fonds nécessaires à leur bon fonctionnement. Dans un premier temps, on répertorie et on signale au ministère les écoles existantes qui méritent de recevoir le titre d’ÉAM. En effet, les écoles de pêche en activité avant la guerre continuent d’accueillir des élèves : au Guilvinec on en compte 78, 70 à Saint-Guénolé, autant à Lesconil et 80 à Kerity. À l’époque, « ces écoles fonctionnent normalement74 », mais la réussite des élèves, dans bon nombre d’entre elles, repose sur les épaules de l’instituteur local, pas toujours disposé à soutenir la révolution nationale. Le ministère se charge donc de nommer les directeurs, d’accréditer les personnels instructeurs et de les rémunérer. Les écoles délivrent un certificat d’aptitude professionnelle aux élèves ayant fait preuve de connaissances suffisantes. « La partie théorique comprend : la formation générale, des éléments de navigation, des notions de mécanique, puis la pêche. En toutes ces matières, [le programme] se borne à l’indispensable75. » L’introduction de l’instruction religieuse dans les programmes apparaît comme allant de soi car la matière est inscrite sans susciter de discussion. Dans toutes les écoles doit aussi officier un professeur d’éducation physique chargé du développement des corps car « il faut […] à la Marine des gars bien plantés76 ». Des cours de physiologie élémentaire et d’hygiène, sont aussi dispensés, le tout selon les principes de la méthode mise au point par l’officier de marine, Georges Hébert :

  • 77 SHD Marine Brest, 2 P 1-191-3, Vichy, le 22 novembre 1941, le CV Darrieus, directeur adjoint des s (...)

J’attache la plus haute importance à l’éducation physique qui sera donnée suivant la méthode nationale c’est-à-dire l’hébertisme, augmentée de mouvements d’assouplissement […]. Les séances seront menées de manière à augmenter la valeur physique, la résistance à la maladie, à faire naître et accroître la virilité (résistance au froid, à la fatigue) et à développer le goût du risque (sports violents)77.

  • 78 Barreau Jean-Michel, Vichy contre l’école…, op. cit., p. 229.

29La conformité du programme à l’idéologie de la révolution nationale prônée par le maréchal Pétain et Vichy est parfaite : l’école doit s’en tenir au physique, à l’artisanat78, à l’obéissance, au nom des valeurs que sont le Travail et la Patrie, deux éléments du triptyque maréchaliste. Quant à l’instruction religieuse, elle est censée faire le lien entre les différentes matières enseignées tout en préparant les esprits à la reconnaissance du nouveau régime.

30Pour la réalisation concrète du projet, le ministère de la Marine se fonde, dans un premier temps, sur les organisations catholiques liées au monde maritime et, plus particulièrement, à celui de la pêche. L’alliance objective de l’état-major de la Marine avec l’épiscopat français pour tenter d’apporter la bonne parole aux marins pêcheurs est scellée en août 1927 lors de la tenue du premier congrès d’apostolat maritime tenu à Port-en-Bessin. Organisé par la Fédération des œuvres catholiques françaises pour marins, présidé par le vice-amiral Auvert, le congrès est ouvert par monseigneur Quirié, vicaire général de l’évêché de Rennes. Les débats sont dirigés par l’amiral Merveilleux du Vignaux qui déclare :

  • 79 Fédération des œuvres catholiques françaises pour marins, Premier congrès d’apostolat maritime, Po (...)

C’est une œuvre de défense sociale autant que d’apostolat religieux que la vôtre, […] car nous savons à quelle trop réelle propagande sont en butte aujourd’hui les marins de nos côtes, aussi bien que les marins de l’État, propagande antireligieuse, antipatriotique et antisociale, propagande active, puissante et riche, qui favorise les pires instincts, éloigne le marin de sa famille comme de l’Église et par la même de son vrai bonheur et même du bonheur temporel79.

31Les années suivantes, les officiers de marine encouragent les efforts du père Lebret dans son projet de création d’une organisation de la jeunesse maritime sur le modèle de la Jeunesse ouvrière chrétienne (JOC). Le discours du père dominicain est très apprécié dans ce milieu et lorsqu’il présente les bases sur lesquelles fonder son association, les officiers applaudissent.

  • 80 Le RP Lebret dans Fédération des œuvres catholiques françaises pour marins, Deuxième congrès d’apo (...)

Il est capital de créer une élite parmi les jeunes marins qui veulent être capitaines ; il faut bien remarquer que l’apostolat des marins se fera par une élite au cœur ardent, mais à l’esprit cultivé ; il nous faut des hommes supérieurs. Pour former cette élite, il appartient aux prêtres qui le peuvent de diriger vers des écoles de navigation, les meilleurs de leurs paroissiens, fils de marins […]. Il faudra alors que d’autres prêtres encadrent les jeunes élèves des écoles de navigation et constituent entre eux une association80.

  • 81 Premier congrès social maritime Breton, La Bretagne maritime, sa structure économique, sa détresse (...)
  • 82 Le Doaré Alain, La Naissance des prêtres marins…, op. cit., p. 117 et suiv. René Tannay conserve l (...)

32Le rêve du père Lebret est réalisé en janvier 1930, lorsque les statuts de la JMC sont déposés. Le discours proclamé est simple : « vraies valeurs humaines : la femme, les enfants, la fidélité […] vraie valeur humaine, l’éducation » et par-dessus tout « le don de soi »81. Le message convient parfaitement à la grande majorité des cadres de la Marine… si bien qu’en 1941, l’Amirauté n’a plus qu’à reprendre les travaux de la JMC et des secrétariats sociaux maritimes ; elle s’appuie aussi sur les réseaux établis par les membres de ces deux organismes dans tous les ports de France. Par ailleurs, beaucoup des adhérents formeront les premiers cadres des EAM. René Tannay, compagnon de route du père Lebret abandonne la présidence de la JMC, organisation a priori interdite par Vichy, pour prendre le secrétariat général de l’Association de gérance des écoles d’apprentissage maritime (AGÉAM) dont les bureaux restent dans le même bâtiment, au 12 de la rue Sœur-Rosalie à Paris, où siège aussi la JOC82. Dans le contexte de la révolution nationale, la fondation de ces nouvelles écoles est une expérience qui doit être couronnée d’un succès indéniable ; pour ce faire tous les moyens sont mis en œuvre.

33Bien épaulé par les cadres jeunes et actifs de la JMC travaillant au sein de l’AGÉAM, mais aussi par l’association des commandants de la Compagnie générale transatlantique et par des officiers de marines très liés aux mouvements de jeunesse catholique, l’amiral Auphan peut se féliciter de la tournure des événements :

  • 83 BO Marine, 1941-2, p. 567, l’amiral Auphan, le 21 octobre 1941.

Je vous informe que j’ai pris récemment les dispositions nécessaires pour faire ouvrir dans les moindres délais une première série d’écoles d’apprentissage maritime. En zone occupée, à Grand-Fort-Philippe, Fécamp, Grand-camp, Port-en-Bessin, Paimpol, Quiberon, Étel, Île-de-Groix, Saint-Gilles-Croix-de-Vie, Beauvoir, Île-d’Yeu, La Rochelle, Saint-Jean-de-Luz83.

  • 84 Archives des Affaires maritimes de Brest, Vichy le 1er septembre 1941, l’amiral Auphan.
  • 85 Corporation des Pêches maritimes, Procès-verbal de la Commission mixte de l’apprentissage maritime (...)
  • 86 Le Doaré Alain, La Naissance des prêtres marins…, op. cit., p. 151.
  • 87 BO Marine, circulaire du 26 août 1942, le directeur Broussignac.
  • 88 Le Paimpolais, le 22 octobre 1942.

34Les ouvertures des écoles de Dieppe, de Douarnenez, de Poulgoazec et des Sables-d’Olonne sont annoncées. À la rentrée d’octobre 1941, 14 ÉAM sont ouvertes dont 10 gérées plus ou moins directement par la JMC, sous l’autorité de l’AGÉAM. La direction des écoles doit être confiée aux communautés locales des pêcheurs artisans créées conformément à la loi du 13 mars 1941 instituant la Corporation des pêches maritimes84, mais ces associations n’existent pas encore dans les ports concernés. Cependant, le fonctionnement des diverses écoles ne semble pas donner toute satisfaction au secrétariat d’État ; certaines ont même perdu des élèves par rapport aux effectifs d’avant-guerre, notamment en Bretagne occidentale. Dans ces conditions, il est prévu que certains établissements qui existent depuis longtemps et qui sauront « se plier avec compréhension aux principes posés par le secrétariat d’État à la Marine et aux règlements corporatifs » puissent fonctionner en bénéficiant de l’aide du gouvernement. Le capitaine Darrieus cite l’exemple des établissements libres tenus par les frères de Ploërmel ou les écoles fondées par les chambres de commerce85. Amirauté et Église sont en définitive unies pour la formation des jeunes marins de commerce ou de pêche, une union beaucoup trop marquée aux yeux de parents de plus en plus nombreux à dénigrer l’institution naissante et lui reprocher son aspect « sabre et goupillon86 ». Le secrétariat à la Marine, dont l’amiral Auphan estime qu’il ne peut ignorer ni l’action de l’association ni celle de tout autre mouvement susceptible d’agir « dans le sens d’une amélioration de la moralité sur l’esprit des jeunes marins », se voit dans l’obligation de préciser sa position et d’expliciter les rapports qui unissent la marine marchande et la JMC. Leurs liens sont évidemment parallèles à ceux qui existent entre l’Église catholique et la Marine même si celle-ci ne peut admettre officiellement, au sein des ÉAM, « aucune section spéciale de JMC », ni « aucun apostolat, ni aucune propagande » de la part d’un de ses membres. Officieusement, de très nombreux cadres de ces écoles continuent, pendant toute l’Occupation, et après la Libération, de dépendre de l’association catholique mais aucun des rapports d’inspection consultés ne mentionne cette participation et encore moins ne la dénonce. D’ailleurs les services de la Marine ont l’ordre de reconnaître et d’aider les organes locaux de JMC « à condition qu’ils restent dans cette limite87 ». Et pour preuve de la bienveillance de l’État, la présentation au Maréchal, le 30 septembre 1942, d’une importante délégation de mousses et de novices dont l’amiral Auphan résume en ces termes le parcours : « le mousse en apprentissage quitte sa famille pour entrer dans une autre famille qui est la Corporation, la Jeunesse maritime88 ».

  • 89 BO Marine, circulaire du 22 février 1943, le CV O’Neil.

35Mais la mainmise des officiers de marine et de la JMC sur les écoles officielles est trop lourde à supporter pour des marins de moins en moins favorables au pouvoir en place. Le ministère est parfaitement conscient de l’appréciation mesurée des pêcheurs qui se traduit par une érosion des effectifs. Au début de l’année 1943, les services de la marine marchande tentent de pallier ce déficit en améliorant le statut des élèves qui doivent dorénavant être considérés comme des marins à part entière et non plus comme de simples mousses89.

  • 90 SHD Marine Brest, 2 P 1-192, Paris, le 28 février 1944, le CF Baudet.
  • 91 Bulletin de liaison de l’AGÉAM, 1941.

36Alors que les écoles maritimes affichent clairement leur attachement à Vichy, les écoles municipales créées avant guerre connaissent, du moins certaines d’entre elles, un recrutement plus important, surtout en 1943, et surpassent en effectifs les ÉAM. On peut penser que de nombreux pêcheurs ne souhaitent plus envoyer leurs fils dans des établissements ouvertement favorables au régime du Maréchal. Le directeur général de l’institution, le capitaine de frégate (CF) Baudet le reconnaît lui-même en des termes choisis. À Concarneau, l’ÉAM n’est pas assez « vigoureuse pour que l’intégration de l’école des pêches dans les ÉAM se fasse ». À Étel, l’école municipale de pêche constitue le prolongement naturel de l’école primaire et il n’existe donc pas d’ÉAM. À Cancale, « dans l’état actuel des choses, cette intégration n’est pas souhaitable. Elle choquerait inutilement de vieilles habitudes ». À Douarnenez non plus, la fusion des deux écoles n’est pas à l’ordre du jour90. Les directeurs d’école de ces communes pensent que c’est le genre même de l’instruction qui ne plaît pas aux parents et dénoncent « salut aux couleurs, chants, hébertisme, visites médicales qui leur font dire l’éternelle rengaine ; trucs pour embrigader les jeunes, etc.91 ».

  • 92 « Propos d’enseignement », Le Yacht, septembre 1941, p. 235.
  • 93 Loi du 13 décembre 1926, art. 115, modifié par les lois du 15 août 1941 et du 11 avril 1942 sur l’ (...)

37Les pêcheurs sont aussi accusés de retenir à bord les garçons, dès leurs douze ans révolus, en qualité de mousses et d’avancer tous les prétextes possibles pour ne pas les envoyer à l’école. Dans ces conditions, avec des périodes de fréquentation scolaires rares ou écourtées, les enfants demeurent dans l’ignorance « et nous voyons arriver au service une incroyable proportion d’illettrés provenant de l’Inscription maritime92 ». Pour cette raison, le gouvernement de Vichy décide de fixer à 14 ans l’âge auquel les enfants peuvent désormais présenter le certificat d’études primaires (CEP), interdisant ainsi l’embarquement à titre professionnel des enfants qui n’auraient pas satisfait aux obligations de la loi93. Une telle décision est très mal acceptée par les pêcheurs bretons qui protestent et demandent une dérogation à la loi générale qui leur est accordée par le secrétariat à la Marine marchande :

  • 94 Secrétariat général de la Marine marchande, Recueil des connaissances générales utiles aux personn (...)

Toutefois l’embarquement des enfants âgés de 12 ans au moins est autorisé à la pêche artisanale pour la durée des vacances scolaires et cette autorisation est étendue à la pêche industrielle et au commerce quand un proche parent, père, frère, oncle ou tuteur du mousse est présent à bord94.

  • 95 On peut noter par ailleurs un très grand flottement dans la fixation des dates des vacances scolai (...)

38Mais ce n’est pas encore assez. Au cours de l’été 1942, les pêcheurs thoniers se plaignent parce que les cours des écoles primaires ne sont pas terminés alors que la campagne a déjà commencé et qu’ils ne peuvent embarquer des mousses. Qu’à cela ne tienne, le ministère de la Marine intervient pour faire avancer la date des vacances scolaires95 et, parce qu’il sait se montrer suffisamment persuasif ou qu’il détient une réelle puissance au sein du gouvernement, il obtient gain de cause.

  • 96 SHD Marine Brest, 7 P 1-59, Paris, le 31 août 1942, le chef du bureau des Gens de mer, Noirot.

Afin de permettre aux garçons de 12 ans d’embarquer sur les thoniers – excellente école d’apprentissage – j’ai demandé au ministre secrétaire d’État à l’Éducation nationale de faire coïncider dans les ports de pêche au thon, les dates de ces vacances scolaires avec celles de la campagne de thon96.

  • 97 SHD Marine Brest, 7 P 1-60, Assemblée générale des cadres des EAM, Paris, le 2 juin 1942.
  • 98 SHD Marine Brest, 2 P 1-191-5, Paris, le 10 juillet 1942, l’amiral Auphan.

39La volonté d’améliorer la formation des jeunes inscrits maritimes se traduit au cours de l’été 1942 par l’obligation, pour les élèves, d’effectuer un embarquement sur le cargo mixte De Grasse, acquis par la Marine à cet effet et basé à Nantes. Bien sûr, la formation sérieuse des novices est certainement le motif premier des membres de l’Amirauté lorsqu’ils décident de créer les ÉAM, mais l’apprentissage de la vie maritime n’est pas la seule fonction des nouvelles écoles. Sans jamais l’avouer franchement, le secrétariat à la Marine profite de l’occasion qui lui est offerte pour proposer des emplois à un très nombreux personnel au chômage, démobilisé ou en congé. Il est clairement défini par Vichy que les moniteurs techniques doivent être recherchés « parmi les anciens officiers mariniers de la Marine nationale et parmi les bons maîtres de la Marine marchande. Sauf cas de nécessité, les candidats étrangers à la Marine sont à rejeter97 ». Pour le ministère, il semble que l’expérience tentée soit un véritable succès et des félicitations sont adressées à tous les administrateurs de l’Inscription maritime, aux directeurs et aux professeurs pour l’organisation et la mise en place de ces écoles : « Je compte sur vous pour achever l’œuvre commencée et pour lui faire prendre, définitivement dans la réorganisation de la marine marchande, sa place capitale98. »

40Cependant, la réalité est un peu moins brillante. En effet, les origines militaires et ecclésiastiques des écoles sont suffisamment évidentes pour éveiller la méfiance de la plupart des pêcheurs bretons. Et puis se pose un problème auquel personne n’avait songé : les familles qui connaissent de grosses difficultés matérielles hésitent à placer leurs fils dans ces écoles. Les élèves doivent cesser pendant trois à quatre mois tout travail rémunérateur pour retourner en classe et les parents ne disposent pas toujours des moyens suffisants pour supporter une telle charge.

  • 99 SHD Marine Brest, 6 P 2-15, Lannion, le 17 mars 1942.

Il a été mis sur pied dans le centre de pêche de Locquémeau une ÉAM et sur 40 élèves inscrits, à peine une dizaine réussissent à suivre les cours régulièrement. Ainsi une veuve n’ayant que sa pension de réversion avec 8 enfants à charge, m’a déclaré ne pouvoir les envoyer à l’école quel que soit son désir99.

41Les jeunes marins inscrits dans les ÉAM ne semblent pas non plus partager l’enthousiasme, ni des membres des conseils d’administration, ni des amiraux et officiers supérieurs chargés de la présidence et de l’inspection. Il est vrai qu’on comprend mieux les réticences des élèves à la lecture des rapports d’inspection de ces écoles, animées par

  • 100 SHD Marine Brest, 7 P 1-62, Circulaire ministérielle, Paris, le 1er avril 1943.

le souci supérieur de l’éducation des mousses qui doivent être dressés pour la vie à l’ordre et à l’économie… Ce n’est que lorsqu’il sera parfaitement dégraissé que [le mousse] sera autorisé à travailler sur du neuf et il faudra lui faire comprendre que cet accès à la toile neuve, au filet neuf, à un beau fil à voile, est une récompense à son savoir-faire100.

  • 101 Archives des Affaires maritimes d’Audierne, Audierne, le 1er mai 1943, l’administrateur Plusquelle (...)

42Au fil des mois, les récriminations sont de plus en plus fréquentes et virulentes à propos des conditions d’hébergement qui s’avèrent rapidement lamentables : nourriture insuffisante et trop pauvre, logements non chauffés et insalubres, encadrement à la compétence variable, enseignements inadaptés. Les plaintes s’accumulent sur les bureaux des administrateurs maritimes. Les plus revendicatifs parmi les élèves ne se contentent pas de protester verbalement, ils choisissent délibérément de quitter les salles de classe et de trouver un embarquement. À Audierne, il est finalement décidé de fermer l’école : « Le manque d’assiduité des élèves a été la cause de cette décision. En effet, sur 36 mousses inscrits, 10 s’étaient embarqués et seulement 17 suivaient les cours d’une façon régulière101. »

  • 102 BO Marine marchande, 1943, circulaire du 20 avril 1943.
  • 103 SHD Marine Brest, 2 P 2-7, Landéda, le 20 janvier 1944, le directeur Kerboull.
  • 104 SHD Marine Brest, 2 P 2-7, Morlaix, le 29 avril1944, l’administrateur.
  • 105 SHD Marine Brest, 3 P 2-20, Le Guilvinec, le18 février 1944, l’administrateur.
  • 106 Ibid.
  • 107 Rousso Henry, Vichy, l’événement…, op. cit., p. 284.

43Et le défaut d’assiduité est un moindre mal car toutes les écoles sont obligées de revoir les règlements intérieurs et de prendre des mesures disciplinaires à l’égard des élèves les plus dissipés ; le gouvernement en vient même à publier, en avril 1943, une « circulaire sur le régime disciplinaire des ÉAM102 ». Ainsi, à Landéda, le directeur se plaint auprès de son ministère que les jeunes marins de sa commune ne fréquentent plus son établissement et surtout qu’ils « ne sont pas l’objet de sanctions103 ». Il impose une règle selon laquelle « les jeunes marins ne peuvent naviguer à part entière qu’après avoir rempli leurs obligations d’apprentissage maritime104 ». Qu’à cela ne tienne, les jeunes élèves embarquent, qu’ils le soient à la demi-part ou à la part entière. De la même façon, au Guilvinec, les abandons scolaires sont de plus en plus fréquents si bien que l’équipe pédagogique se réunit pour connaître le « degré de culpabilité des élèves de seconde année qui ne se sont pas présentés à l’école » et déterminer « le dosage des punitions à leur infliger ». Comme il s’agit, dans la plupart des cas, de récidivistes, les peines sont plus lourdes, allant de 15 jours à six mois d’interdiction de naviga105, mais elles sont rarement appliquées. Le nombre des élèves qui avait connu un fort accroissement au cours des deux premières années d’existence des ÉAM stagne ensuite ; il passe de 409 en 1941-1942 à 713 en 1942-1943 et se maintient à 711 l’année scolaire suivante106, des chiffres très modestes qui représentent entre 10 et 15 % des jeunes marins âgés de 14 à 17 ans. On ne peut donc souscrire à l’idée fréquemment émise qui considère ces écoles comme des « leurres pour l’occupant », permettant aux jeunes d’échapper au service du travail obligatoire. Ils sont d’ailleurs trop jeunes pour partir en Allemagne. En revanche, il est vrai que l’encadrement reste bien souvent pléthorique et permet, dans une certaine mesure, de reclasser des personnels militaires démobilisés en novembre 1942. Il répond aussi à la volonté « obsessionnelle » de Vichy de transformer la société en éduquant la jeunesse à sa manière107.

  • 108 BO Marine marchande, 1946-2, Circulaire du 29 juillet 1946.

44Cependant l’institution présente de réelles qualités car elle est conservée intacte par le Gouvernement provisoire en septembre 1944. Le rôle de l’AGÉAM est même renforcé puisque l’association devient, en 1946, l’organisme unique responsable de la gestion des écoles de pêche108.

  • 109 SHD Marine Brest, 2 P 1-192, Paris, le 20 septembre 1944, Anduze-Faris.

Les ÉAM rouvriront leurs portes à la fin des vacances d’été [1944], aux dates qui avaient été antérieurement prévues, ou à défaut dès que la libération du territoire le permettra. En attendant que leur statut soit définitivement fixé par le GPRF, elles continuent à fonctionner suivant leurs errements antérieurs, tant au point de vue administratif qu’au point de vue de la formation des mousses et novices109.

  • 110 SHD Marine Brest, 6 P 2-18, Lannion, le 14 juin 1945, l’administrateur.

45Après une première année d’activité sous la Libération, les rapports des inspecteurs et du secrétaire d’État sont tous élogieux et il est décidé de conserver le réseau d’écoles créé sous Vichy en lui fournissant même des moyens supplémentaires. En juin 1945, une petite fête est organisée lors de la fermeture estivale des ÉAM de Ploumanac’h et de Tréguier et toutes les personnalités présentes se disent impressionnées par la tenue et le dévouement des instructeurs ainsi que par les résultats obtenus. Les officiers de la marine militaire ou marchande qui y assistent « ont été unanimes à reconnaître que ces écoles étaient nécessaires et que les jeunes gens qui en sortaient avaient une formation professionnelle supérieure à celle de beaucoup de marins actuellement embarqués110 ».

Des attentions nombreuses

  • 111 Robert-Muller Charles, Pêches et pêcheurs de la Bretagne Atlantique, Paris, Armand Colin, 1944, p. (...)
  • 112 SHD Marine Brest, 2 P 1-191-4, Paris, le 11 mars 1941, le directeur adjoint Willaumé.

46Objet de toutes les attentions, les jeunes marins ne sont pas les seuls à bénéficier des sollicitudes de l’État ; tous les pêcheurs bretons bénéficient du soutien permanent et massif de l’Amirauté. Sous des formes d’Ancien Régime, l’essence du système imaginé par Colbert en 1668 est toujours bien vivante en 1940. Pour s’assurer des équipages de guerre, il s’agissait d’accorder un régime civil de faveur à une population choyée et encadrée ; trois siècles plus tard, la situation reste inchangée111. Il faut, par exemple, rappeler que les inscrits sont les premiers Français à profiter des assurances vieillesse et maladie, sous des vocables différents, versées par l’Établissement national des Invalides maritimes et ils perçoivent aussi les allocations familiales. Mais ces droits à prestations ne les empêchent pas de se plaindre alors que le ministère rappelle à toute occasion les efforts produits pour « améliorer la situation des populations maritimes et les résultats qu’[il] a déjà obtenus112 ».

  • 113 SHD Marine Brest, 7 P 1 – 56. Vichy, le 19 décembre 1940, l’amiral Auphan aux directeurs des arron (...)
  • 114 SHD Marine Brest, 2 P 1-191-3, Vichy, le 18 mars 1942, l’amiral Broussignac, directeur adjoint des (...)
  • 115 Yann Fouéré, La Bretagne, 6 juillet 1941.

47La Marine militaire reprend une habitude ancienne, renforcée sous le gouvernement de Vichy, qui consiste à traiter avec la plus grande attention les marins pêcheurs considérés comme de grands enfants irresponsables. De plus, dans un climat de révolution nationale, c’est une obligation morale pour le ministère de la Marine « d’opérer le redressement qui s’impose ». Les administrateurs de l’Inscription maritime et leurs agents « fortement armés par la loi113 » disposent dorénavant de tous les atouts pour réussir dans ce domaine. Il convient tout autant d’élever les âmes que de nettoyer les corps : « l’hygiène physique est gravement affectée par le séjour habituel dans un milieu malpropre et désordonné et l’hygiène morale en est aussi défavorablement influencée114 ». Le ministère de la Marine est fortement encouragé dans son action d’assistance notamment par les nationalistes bretons qui profitent des circonstances pour demander des aides car les « pêcheurs n’ont pas bénéficié dans le passé, de la part des pouvoirs publics, de la sollicitude nécessaire. Il en est de même pour les industries diverses et notamment celle de la conserve115 ».

Des avantages de toutes natures

  • 116 Ministère de la Marine marchande, direction des pêches maritimes, Paris, le 28 avril 1934, le mini (...)

48Au fil des semaines, la situation matérielle devient de plus en plus difficile et de nombreux bateaux désarment plus rapidement que souhaité par suite de la réduction des attributions de combustibles, de la difficulté de se procurer du matériel de pêche et de l’avitaillement ou des obligations imposées par les autorités occupantes. Les membres d’équipage sans embarquement et chargés de famille cessent de percevoir les allocations familiales. Parfois, si le nombre de journées d’embarquement est insuffisant, ils ne peuvent réunir les conditions prévues par la loi pour bénéficier des assurances maladie, invalidité ou maternité. Il existe un moyen pour améliorer le sort des marins, qui consiste à ne plus réprimer la navigation « fictive », c’est-à-dire les jours de mer déclarés par les inscrits, en fait restés à terre. Cette pratique, assez répandue chez les pêcheurs côtiers, avait été vivement combattue après 1932, le ministère exigeant une surveillance active de la part des syndics et administrateurs116. Des décisions strictes d’annulation des rôles avaient même été prises à l’encontre des récidivistes. Pourtant, en 1941, la situation a bien changé :

  • 117 SHD Marine Brest, 2 P 2-5, Paris, le 10 septembre 1942, le secrétaire d’État à la Marine, l’amiral (...)

[les marins pêcheurs] n’étant nullement responsables de cette situation, il convient d’y obvier dans toute la mesure du possible, notamment en appliquant provisoirement d’une manière libérale les textes en vigueur concernant l’activité de la navigation et la répression de la navigation fictive […]. Le retour au droit commun interviendra lorsque les conditions d’exercice de pêche seront redevenues normales117.

  • 118 BO Marine marchande, 1940-1, décret du 9 janvier 1940.
  • 119 SHD Marine Brest, 7 P 1 – 55, Paris, le 12 septembre 1939, le ministre, secrétaire d’État de la Ma (...)
  • 120 SHD Marine Brest, 5 P 2 – 35, Saint-Brieuc, le 5 avril 1940, le préfet.

49Plus généralement, l’entrée en guerre de la France suspend une législation des pêches très restrictive, votée en 1936 : était alors prévue une période de transition de trois années avant d’imposer les règlements contraignants. Pour la pêche des coquilles Saint-Jacques, par exemple, l’usage des dragues à dents devait être interdit à compter du 1er septembre 1939. La mesure est reportée compte tenu des événements et le ministère convient de la suspendre après avoir été « saisi de nombreuses requêtes118 ». Les engins destructeurs sont par conséquent autorisés pendant toute la durée des hostilités. Certains patrons, propriétaires de leur bateau, demandent que, pendant leur mobilisation, leurs fils mineurs puissent en prendre le commandement afin d’en assurer l’exploitation. En raison des circonstances, le ministre autorise les chefs des quartiers maritimes « à donner satisfaction aux requêtes qui leur seraient présentées à cet effet par les familles des marins pêcheurs » pour les seuls bateaux d’un tonnage inférieur à 6 tonneaux119. De même, le décret concernant la restriction des ventes de viandes est revu à l’attention des marins puisque les maires des communes portuaires peuvent « autoriser la livraison à bord des bâtiments de commerce ou des bateaux de pêche maritime, des quantités de viande ou de triperie nécessaires à l’avitaillement de ces navires120 ».

  • 121 AD Morbihan, 2 W 15 821, Lorient, le 12 octobre 19840, l’administrateur Andrieux.

50Une législation souple adaptée aux circonstances n’est pas le seul avantage dont jouissent les marins pêcheurs, bretons et autres. Le régime de Vichy reprend à son compte le régime de faveurs dont bénéficient les pêcheurs, leur offre des avantages supplémentaires ou vole à leur secours en cas de conflits. En octobre 1940, un désaccord oppose les armateurs lorientais et leurs équipages qui refusent de prendre la mer après la décision de supprimer la prime de participation accordée à tous les marins de chalutiers. Les pêcheurs s’insurgent d’autant plus que la fameuse prime est prévue dans les contrats d’engagement, signés par les deux parties. L’administrateur du quartier intercède pour dénoncer l’attitude des armateurs et cette tentative pour réduire les salaires est jugée « très inopportune surtout qu’ils ont choisi pour le faire le moment où les navires sautent sur des mines121 ». Le ministère de la Marine intervient à son tour et réclame des armateurs qu’ils honorent leurs engagements sans attendre… et ils s’exécutent.

  • 122 SHD Marine Brest, 2 P 2 – 5.
  • 123 AD Côtes d’Armor, 5 W 96, Service des réquisitions, la préfecture de Saint-Brieuc, le 26 novembre (...)
  • 124 SHD Marine Brest, 2 P 1-191-3, Paris, le 5 novembre 1941, le directeur adjoint Willaumé.
  • 125 Archives des Affaires maritimes de Brest, Paris, le 14 octobre 1941, le ministère de l’Intérieur.
  • 126 Ibid., Paris, le 26 octobre 1942, le directeur Sicé. Pour mémoire l’Organisation Todt se définissa (...)

51Dans le domaine salarial encore, en mars 1941, il est décidé de verser une indemnité journalière pour perte de salaire aux marins pêcheurs de la grande pêche et de la pêche au large122. Les pêcheurs côtiers qui victimes des interdictions de sorties décidées par les Allemands, peuvent percevoir quotidiennement « des indemnités de chômage » qui s’élèvent à 37,50 F pour un patron, 30 F pour les matelots, 20 F pour les novices et 15 F pour les mousses123. Le 12 avril 1941, est présentée une loi dont une des dispositions permet de compter, pour le double de sa durée, le temps de navigation accompli entre le 3 septembre 1939 et la date de la cessation légale de l’état de guerre « en raison des conditions dangereuses dans lesquelles continue de s’exercer la navigation de pêche124 ». Lorsque les maires des communes littorales procèdent, en octobre 1942, à la réquisition de jeunes marins de 17 à 21 ans pour des travaux agricoles ou forestiers, la réaction du secrétariat à la Marine est immédiate : dans les départements côtiers cet ordre n’a aucune valeur et l’amiral Auphan intervient aussitôt auprès de son collègue de l’Intérieur pour que cessent immédiatement les réquisitions de jeunes inscrits en appelant « son attention sur les répercussions fâcheuses sur la main-d’œuvre maritime, et, par suite, sur le ravitaillement général ». En conséquence, les préfets des départements côtiers doivent veiller à ce qu’il ne soit procédé à aucune réquisition de ce genre dans leur région125. De la même manière, les inscrits « assurant un service d’intérêt national », doivent aussi rester en dehors « du champ des réquisitions allemandes », et plus particulièrement de celles de l’Organisation Todt126.

52Mais c’est surtout dans le domaine de l’approvisionnement alimentaire que le ministère et les agents de l’Inscription maritime œuvrent pour satisfaire au mieux les besoins de leurs protégés. En mai 1941, il est prévu de fournir un supplément de matières grasses pour les équipages des navires de grande pêche, c’est-à-dire absents plus de douze jours de leur port d’attache. Souvent, il n’existe aucun navire concerné dans les quartiers bretons, ce qui n’empêche pas les administrateurs d’intervenir pour tenter d’obtenir ces faveurs pour les pêcheurs locaux :

  • 127 SHD Marine Brest, 5 P 2-37, Tréguier, le 30 mai 1941, l’administrateur.

Je demande cependant s’il n’y a pas lieu d’envisager la possibilité d’accorder non seulement un supplément de matière grasse mais encore de pain aux équipages rentrant chaque soir au port […]. Une amélioration des restrictions dans ce sens ne pourrait avoir qu’un effet salutaire pour une population maritime parmi laquelle sévissent de nombreux cas de tuberculose127.

  • 128 SHD Marine Brest, 7 P 1-58, circulaire du 30 juin 1941.

53Il est des avantages cependant qui bénéficient à toute la profession. La circulaire du 5 février 1942 nous apprend, par exemple, que la ration de vin accordée au marin pêcheur inscrit sur un rôle s’élève à 5 litres par semaine. Cette ration comprend le litre du consommateur ordinaire, le litre attribué aux travailleurs de force et les 3 litres supplémentaires accordés aux seuls pêcheurs. On peut noter que ce cadeau du ministère est en totale contradiction avec la croisade anti-alcoolique menée par le maréchal Pétain. De même, les services du ravitaillement sont chargés d’assurer l’embarquement de rations exceptionnelles pour les bateaux de pêche au large, de plus de 25 tonneaux et pour des marées de plus de 72 heures, c’est-à-dire tous les thoniers, chalutiers et langoustiers bretons. Il est attribué aux équipages des suppléments de mer, en sus des rations T2 destinées aux travailleurs de force, soit 100 grammes de pain et de viande128.

  • 129 Ibid.

54Le secrétaire d’État justifie le geste en faveur des marins de pêche hauturière par la nécessaire prise « en considération de l’appoint appréciable qu’ils peuvent apporter au ravitaillement national129 ». Cette circulaire nous renseigne par ailleurs sur les destinations des bateaux et notamment sur les voyages effectués en Mauritanie pour la pêche de la langouste rose mais il n’y a pas d’interdit formel pour que les équipages partent pour plusieurs mois, une procédure habituelle pendant toute la durée de l’Occupation.

Des œuvres sociales agissantes

  • 130 Loi du 4 août 1940.
  • 131 SHD Marine Brest, 9 P 1-191-2.
  • 132 SHD Marine Brest, 7 P 1-57, Vichy, le 30 janvier 1941, l’amiral Gensoul.
  • 133 Almanach du Marin, 1944, Secrétariat d’État à la Marine, Vichy, 1944, p. 156. En 1881, elle distri (...)

55Le sentiment de reconnaissance nationale à l’égard des marins et de leurs familles, entretenu par les nombreux amiraux en poste dans les différents ministères et secrétariats d’État, à l’État-major, à Vichy, débouche sur la création du Service central des œuvres de la marine (SCOM)130. Cet organisme s’appuie sur des associations privées déjà existantes avant-guerre et « dont le développement est indispensable ». Il s’agit en premier lieu de l’Association pour le développement des œuvres sociales maritimes (ADSOM), créée à Paris le 7 juin 1939 pour venir en aide aux « personnels civil, militaire et ouvrier du département » et qui fonctionne dès le début du conflit sous la présidence de l’amiral Grandclément131. L’association s’appuie sur un réseau composé de nombreuses œuvres privées maritimes dont les plus importantes sont l’Union sociale maritime (USM) et le Secrétariat social maritime (SSM) qui gère, à l’époque, les postes d’assistantes sociales ambulantes dans les régions où travaillent une majorité de pêcheurs artisanaux. L’ADSOM peut aussi compter sur l’Association des armateurs de la marine et de la pêche industrielle qui a pour but le développement, sur la côte, et en particulier dans les ports de pêche industrielle, d’un réseau de postes d’assistantes sociales. Ou encore sur l’association des Abris du marin, qui entretient, en 1940, onze abris et quelques assistantes sociales, « présence qu’elle a l’intention de généraliser à tous les abris132 » ; la Société des œuvres de mer, propriétaire du navire-hôpital Saint-Yves, accueille les marins au Havre. La Société Alfred du Courcy, quant à elle, distribue des secours en espèces aux familles des marins victimes d’événements de mer ou de guerre133. À la lecture de cette liste, on constate le caractère très catholique ou patronal des associations autorisées qui mettent tout en œuvre pour participer efficacement à la création du marin nouveau voulu par Vichy, le Maréchal et ses amiraux.

  • 134 Association pour le développement des œuvres sociales de la Marine, Statuts, Paris, Duvinage et Le (...)
  • 135 « Les œuvres de la Marine », Le Yacht, septembre 1941, p. 231.
  • 136 Lasterle Philippe, « Marcel Gensoul (1880-1973), un amiral dans la tourmente », Revue historique d (...)
  • 137 Archives Affaires maritimes Audierne, Brest, le 31 octobre 1939, le commissaire Lalardy.

56Les décrets du 4 août 1940 sur les associations d’entraide et du 10 novembre 1940 portant création du SCOM remettent en lumière l’intérêt que la Marine porte à tout son personnel, militaire ou civil, et son souci de lui ménager en toutes circonstances une assistance efficace134. Le Service des œuvres « a déjà atteint sous l’énergique impulsion des chefs de notre armée de mer un développement et une activité qui pourraient servir de modèles à d’autres groupements135 ». Les bureaux du service central sont installés à Vichy sous la direction de l’amiral Gensoul, présenté dans la presse comme le héros de Mers-el-Kebir alors que, en coulisse, il est ostracisé par les membres du gouvernement136. Des services locaux des œuvres de la marine (SLOM) sont créés dans tous les ports de quelque importance. Très rapidement, le service travaille avec l’ADOSM dont le but est « d’apporter assistance sous toutes ses formes, aux personnels civils, militaires et ouvriers de la marine et à leurs familles, de contribuer également à la création et au développement de tous les organismes d’assistance, d’hygiène, d’éducation et d’entraide ». En fait, si l’association est privée, les cadres sont tous des officiers de la marine nationale et elle bénéficie du soutien actif du ministère de la Marine. Lorsque la section locale de Brest est créée en octobre 1939, son secrétaire, le commissaire principal Lalardy, demande à tous les administrateurs de l’Inscription de donner la plus grande publicité à cette annonce afin d’obtenir le plus grand nombre de dons : « il suffira de nous les [les dons en nature] signaler, nous en ferons prendre livraison par un véhicule de la Marine137 ».

  • 138 BO Marine marchande, 1941-1, Instructions sur les colonies de vacances, le 7 mars 1941.

57Le Service des œuvres s’occupe, à l’origine, uniquement des personnels de la marine nationale, mais très rapidement il étend son champ d’action à tous les marins et leurs familles ; il organise notamment, avec le concours de l’ADSOM, des camps et des colonies de vacances pour les enfants des marins dont le SCOM assure le fonctionnement pour la première fois du 1er juillet au 30 septembre 1941138 :

  • 139 Archives Affaires maritimes Audierne, Audierne, le 1er août 1943, l’administrateur.

Le SLOM de Brest ayant accepté la suppression de la participation des familles, environ 120 filles sont inscrites à la garderie de vacances [d’Audierne]. Le directeur de l’école publique de Plogoff a organisé une colonie de vacances pour les enfants de la région. Le SLOM accorde des crédits qui permettent aux enfants de marins de bénéficier de cette œuvre139.

  • 140 Franck Bernard, « La Marine et ses œuvres sociales », L’Illustration, 9 août 1941, p. 487-488.

58L’amiral Gensoul dirige le service avec intérêt et son activité lui vaut d’ailleurs le surnom désobligeant de première assistante sociale de la Marine. Le personnel d’encadrement appartient à la Marine nationale ; une manière comme une autre de placer en mission des hommes démobilisés. Subventionnés par le ministère de la Marine et le Secours national, les SLOM aident l’action des assistantes sociales maritimes, les Abris du marin, les foyers du marin, les Orphelins de mer… mais ils répondent aussi aux demandes de secours effectuées par des particuliers, le plus souvent des veuves ou des femmes dont le mari est absent. Les actions menées par le service sont reprises et encensées par la presse maréchaliste qui le présente comme l’archétype des organisations à bâtir pour encadrer la société française nouvelle, soucieuses de « rendre le plus de services possible et non de donner des aumônes140 ». Bien dans l’esprit du temps, il est demandé à tous les représentants de l’État d’intervenir rapidement pour faire connaître l’action du SCOM et louer les efforts de Vichy auprès de la population maritime :

  • 141 SHD Marine Brest, 7 P 1-60, Vichy, le 4 juin 1942, l’amiral Gensoul.

Pour être efficace, l’action sociale doit être prompte et il importe, spécialement dans ce domaine, de rompre avec la routine, la lenteur et le formalisme administratif. Il faut toujours se souvenir que dans les questions d’assistance, un secours même modique donné sans retard est bien souvent plus utile qu’une somme plus importante allouée au bout d’un long délai141.

59Ainsi doit être réglé le cas des familles dont l’un des membres est en Angleterre et se pose la question de savoir sous quel régime est retenu l’inscrit maritime. Est-il un « prisonnier ou un dissident » selon la terminologie de Vichy ? En fait, l’Amirauté est extrêmement gênée pour trancher si bien que l’intendance maritime continue de payer des délégations à des familles d’équipages de navires de pêche réquisitionnés par elle à Douarnenez ou à Paimpol et qui sont retenus dans des ports anglais.

  • 142 SHD Marine Lorient, 9 P 5-30.
  • 143 Archives des Affaires maritimes de Brest, Paris, sd (15 décembre 1942), LV De Razilly.
  • 144 Laffere Max, Le Siège de Brest, Quimper, Librairie Le Goaziou, 1945, non paginé.
  • 145 Archives Affaires maritimes Brest, Royat, le 14 décembre 1942, affectation du médecin de la Marine (...)

60Les SLOM interviennent massivement après le sabordage de la flotte et la démobilisation des personnels embarqués142 pour placer ces hommes et leur éviter de partir en Allemagne avec le STO. Des sections spéciales, les sections de placement du personnel démobilisé, sont créées pour rechercher et proposer des emplois et des embarquements à ces marins licenciés et désouvrés. Elles publient un bulletin où figurent les offres d’emplois disponibles, administratifs ou privés, et les conditions pour y accéder143. Certains des directeurs des SPPD déploient un tel zèle pour maintenir au port les marins que les autorités d’occupation en prennent ombrage. Le capitaine Cloarec, en poste à Brest, est arrêté et interné à Fresnes pour sa trop grande ardeur à refuser les départs vers l’Allemagne144. S’il n’y a aucun emploi adéquat pour des officiers, on n’hésite pas à créer des postes supplémentaires comme celui de médecin chef des conserves qui échoit au médecin Bergot jusqu’alors affecté au corps de santé en poste à Toulon145. Les médecins démobilisés peuvent par ailleurs aider la Marine dans ses missions hygiénistes :

  • 146 SHD Marine Brest, 7 P 1-59, Vichy, le 18 mars 1942, directeur adjoint de Broussignac.

Il ressort de divers rapports d’inspection qu’à bord des navires de pêche, sauf de rares exceptions, la propreté laisse beaucoup à désirer et que de nombreuses infractions à la réglementation sur l’hygiène y sont relevées. La tenue des postes d’équipage, notamment, y est généralement déplorable146.

  • 147 BO Marine marchande, 1942-1, arrêté du 20 février 1942.
  • 148 Perrin Paul, L’Alcoolisme : problèmes médico-sociaux, problèmes économiques, Paris, L’expansion sc (...)

61Il faut remédier à cet état de choses et pousser les patrons pêcheurs à entretenir l’intérieur de leur bateau avec le plus grand soin, comme ils ont appris à le faire et à le respecter pendant leur service militaire sur les bateaux de l’État afin « que tout l’équipage dispose de locaux d’habitation propres et sains, donnant le goût de l’ordre et d’une tenue digne ». L’attribution d’une prime de bon entretien, comprise entre 100 et 500 francs, destinée aux membres d’équipage les plus appliqués est même prévue par l’Amirauté147. De la même manière, tous les personnels du ministère et des associations proches sont invités à relayer les directives adoptées dans le cadre de la grande croisade anti-alcoolique, combat cher à Vichy. Pour sauver la race de la dégénérescence, il faut par tous les moyens limiter la consommation d’alcool très — trop — forte dans le monde maritime, conformément aux recommandations des médecins hygiénistes parmi lesquels Paul Perrin, l’un des chefs de file. Il n’hésite pas à écrire en 1939 que la nette augmentation de la consommation constatée depuis 1936 est la conséquence « du mauvais usage des loisirs et des augmentations de salaires148 ». Encore une fois le Front populaire est responsable de l’affaiblissement généralisé de la Nation et de ses enfants les meilleurs, les marins ! Et pourtant, nous l’avons souligné, le régime de Vichy intervient pour favoriser l’avitaillement en vin des navires, non pour le diminuer.

  • 149 BO Marine marchande, 1942-1, circulaire du 14 novembre 1942 sur la pratique du sport par les marin (...)

62L’Amirauté s’intéresse aussi à l’hygiène physique et encourage la pratique des sports, notamment au sein des associations sportives des ports d’attache qui sont invitées à accorder aux marins des cotisations à tarifs réduits dont le montant doit être réglé par la Corporation149. La guerre fait rage de tous côtés, de Stalingrad à l’Afrique du Nord et, pendant ce temps, l’Amirauté organise un championnat de football pour les marins pêcheurs…

La part réservataire

  • 150 BO Marine marchande, 1941-1, décret du 19 avril 1941.
  • 151 Ibid., circulaire du 30 avril 1941.

63Il est une autre libéralité dont bénéficient les pêcheurs, qu’ils soient côtiers ou hauturiers. Ils sont autorisés à s’octroyer une part de leurs prises dans les mêmes proportions qu’avant-guerre : 200 kg pris au filet ou 50 kg pris à la ligne pour les embarcations de moins de 3 tonneaux de jauge150. Pour le ministère, une telle mesure n’est que justice envers une population éprouvée et respect d’une tradition séculaire : « Il ne semble pas qu’une dérogation ainsi limitée aux règles de la répartition puisse avoir de graves répercussions sur le marché de Paris151 ». Ce cadeau ou plus exactement cette « franchise », comme on l’appelle à l’époque, est surtout considérée comme une mesure simple destinée à favoriser la petite pêche et à accroître les tonnages débarqués. En fait, si l’on considère qu’une chaloupe sardinière sort quotidiennement pendant la saison qui dure cinq à six mois, l’équipage de 6 à 10 hommes reçoit pratiquement tout le produit de la pêche, 400 à 500 kg, à distribuer chaque jour pour son propre compte. Ajoutons que certains, plus… opportunistes, n’hésitent pas à sortir deux fois par jour et font valoir leurs droits sur les deux pêches.

  • 152 Baudin Louis, Esquisse de l’économie française…, op. cit., p. 125.
  • 153 AN F1a 3728, cité dans Veillon Dominique, Vivre et survivre…, op. cit., p. 173.
  • 154 Delumeau Jean (dir.), Histoire de la Bretagne, Toulouse, Privat, 2000, p. 505.
  • 155 AD Finistère, 200 W 41, Quimper, le 7 juillet 1942, le commissaire aux RG.
  • 156 AD Finistère, 200 W 43, Quimper octobre 1943, statistiques des denrées expédiées au départ des gar (...)
  • 157 Michel Henry, Paris allemand, Paris, Albin Michel, 1981, p. 222.
  • 158 Lefébure Antoine, Les conversations secrètes des Français pendant l’Occupation, Paris, Plon, 1993, (...)

64Le ministère de la Marine présente cette franchise comme un moyen supplémentaire pour répondre à la demande permanente de ravitaillement des marchés — parallèles, libres, gris ou noirs. Ainsi, pendant toute la durée du conflit, une bonne part des produits alimentaires transite par les colis dits « familiaux », un qualificatif usurpé dans la mesure où aucune justification de parenté n’est demandée à l’expéditeur ou au consommateur152. Le préfet des Côtes-du-Nord précise en décembre 1941 que plus de « 5 000 colis, dont 1 700 colis express, partent chaque jour [du] département, ce qui, en estimant le poids moyen d’un colis, représente 10 tonnes de denrées153 ». En 1942, selon le quotidien La Bretagne, plus de 20 000 colis familiaux quittent la Bretagne chaque jour154 — 9 000 partent du Finistère selon la préfecture de Quimper155 — un mouvement qui ne tarit pas les années suivantes puisque, entre octobre 1942 et octobre 1943, ce sont plus de 448 900 colis qui sont expédiés au départ des gares SNCF du Finistère156. La part du poisson dans ces envois est certainement réduite, mais pas absente puisque, légalement, il est permis d’envoyer 10 kg de poissons frais sur les 50 prévus par le Ravitaillement général157. De plus, le salage, le fumage et le séchage des poissons sont des techniques parfaitement connues et pratiquées, le poisson pêché et réservé pouvant être préparé durant l’été et vendu tout l’hiver sans subir de dommages pendant le transport non plus d’ailleurs que les produits cuits de haute valeur, comme les langoustes ou les homards, destinés à une population aisée des grandes villes158. Enfin, la part réservée — il s’agit toujours du poisson de la meilleure qualité qui ne parvient jamais aux bureaux du Poisson — se retrouve directement dans les assiettes des mareyeurs, des grands restaurateurs ou des familles disposées à en donner un bon prix.

  • 159 SHD Marine Brest, 2 P 2 – 5, Morlaix, le 22 octobre 1941, l’administrateur du quartier de Brest re (...)
  • 160 SHD Marine Brest, 5 P 1-85, Paris, le 6 octobre 1941, le directeur Sicé.
  • 161 SHD Marine Brest, 7 P 1-60, Paris, le 10 juin1942, Willaumé. La part des crevettes est ramenée à 5 (...)
  • 162 SHD Marine Brest, 7 P 1-62, Vichy, le 30 mars 1943, le directeur vice-amiral Broussignac.

65Le secrétariat d’État de la Marine n’est d’ailleurs pas dupe et demande, à de nombreuses reprises, de mettre un peu d’ordre dans une pratique de plus en plus occulte. Dès 1941, le secrétariat d’État au Ravitaillement souhaite réduire la fameuse part réservataire, notamment pour les pêcheurs de crustacés des côtes nord de la Bretagne : 50 kg par bateau représentent en effet une réelle fortune quand il s’agit notamment de langouste ou de homard, 2 500 francs par marée, soit plus de 25 000 francs les mois les plus favorables. Les marins concernés poussent de hauts cris auxquels la Marine réagit rapidement en arguant que la limitation des quantités de crustacés réservés n’offre aucun intérêt : « Étant donné les cours actuels, il n’est sur la côte à peu près personne qui puisse s’offrir le luxe de manger de la langouste ou du homard, même du crabe, d’une façon régulière159. » Les petits caseyeurs continuent donc à soustraire 50 kg de toute la pêche effectuée, une part qui n’est, bien sûr, pas vendue aux populations locales, mais aux viviers extrêmement nombreux entre Le Conquet et Paimpol. Les homards et langoustes ainsi récupérées peuvent évoluer plusieurs mois dans les bassins avant de se retrouver sur une grande table parisienne. Cependant le ministère du Ravitaillement constate que les quantités pêchées n’atteignent souvent pas 50 kg si bien que leurs produits ne parviennent jamais sur les marchés de la répartition : il demande que la part réservataire soit fortement diminuée pour tous les pêcheurs de crustacés. L’Amirauté tergiverse : « pour répondre au même esprit de bienveillance que celui dans lequel a été prise [pour le poisson], la question se pose de savoir quelle part doit être réservée aux pêcheurs de crustacés160 ». En juin 1942, après le départ de Darlan, il est finalement décidé que la part réservée ne peut représenter plus du quart de la pêche totale, sans dépasser un maximum de 5 kg pour les homards, les langoustes et les langoustines, 25 kg pour les dormeurs et les araignées et 15 kg pour les crevettes. Une seule attribution par jour et par bateau est autorisée161. Mais en ce qui concerne le poisson réservé, les quantités ne changent pas pendant toute la durée de la guerre, malgré de nombreuses interventions des ministères des Finances et du Ravitaillement. La seule obligation faite aux pêcheurs est de vendre leur part par l’intermédiaire d’organismes collectifs qu’ils ont eux-mêmes constitués à cet effet et qui sont agréés par les communautés de pêcheurs162. Rien ne prouve qu’elle ait été parfaitement respectée.

  • 163 SHD Marine Lorient, 9 P 5-29, paris, le 27 mars 1942, le directeur adjoint Willaumé.

66Mais, si abus il y a, ils ne sont pas l’apanage des gens de mer. En effet, les multiples attentions que le secrétariat d’État à la Marine prodigue aux inscrits maritimes suscitent des rattachements abusifs sur les matricules de l’Inscription maritime de personnes ne pratiquant aucune activité maritime et dont plusieurs exercent même des professions incompatibles avec le métier de pêcheur. « Dans l’esprit des intéressés, cette procédure d’inscription, constituerait un moyen détourné devant leur permettre d’obtenir, le cas échéant, la qualité d’armateur ainsi que la carte professionnelle prévue à la loi sur l’organisation de la Corporation des Pêches maritimes163. »

Des privilèges dénoncés

  • 164 SHD Marine Brest, 7 P 1 – 59. Vichy, juillet 1942, le directeur des Pêches maritimes Terrin.
  • 165 Circulaire du 30 avril 1941.
  • 166 SHD Marine Brest, 7 P 1-58, Paris, juillet 1941, le directeur Sicé.

67Au sein du gouvernement, un certain nombre de ministres commencent à dénoncer les mesures en faveur des pêcheurs qui s’apparentent dans certains cas à de véritables privilèges. Il semble nécessaire de fixer les attributions respectives de la Marine et du Ravitaillement : les compétences du secrétariat d’État à la Marine s’étendent jusqu’à la première vente dans les ports et/ou jusqu’à la sortie des usines ou des ateliers pour le poisson destiné au salage, saurissage, séchage et conserves, au-delà, c’est le Ravitaillement qui prend les affaires en main164. Mais si les domaines de compétence sont relativement bien définis, les points d’achoppement sont nombreux, la part réservataire restant un sujet de discorde permanent entre la Marine, le Ravitaillement mais aussi les Finances. Ce dernier ministère demande instamment que les pêcheurs artisanaux et leurs familles disposent d’une carte professionnelle émise par ses services et délivrée par et l’entremise de la préfecture pour écouler légalement leurs poissons réservés165, une directive applaudie par le Ravitaillement car elle offre l’intérêt de mettre un peu d’ordre dans des ventes qui s’effectuent le plus souvent sans aucun contrôle. Bien entendu, la Marine s’empresse de rejeter cette mesure contraire au principe du droit « reconnu depuis des siècles aux inscrits maritimes et aux membres de leurs familles de vendre eux-mêmes les produits de leur pêche166 ».

  • 167 AD Finistère, 200 151, Concarneau, le 11 septembre 1943, le commissaire de police.

68La question de la part réservée reste toujours en suspens, au grand dam des agents du Ravitaillement. Les pêcheurs sont accusés de nombreuses pratiques malhonnêtes : d’opérer une sélection précise des poissons pêchés, les espèces les plus recherchées et, partant, les plus chères, étant conservées par les pêcheurs pour la vente libre ; d’effectuer une bonne part de leurs ventes dans les cafés des ports où les petits marchands viennent se procurer le poisson commandé d’avance et payé au-dessus de la taxe ; de vendre directement aux particuliers et, impunément, à des prix excessifs ; de dissimuler une partie de la pêche pour échapper au contrôle et/ou tenter de s’y soustraire ; de tricher sur la part réservée et de confondre la traditionnelle cotriade avec un trafic organisé. Avec le temps, les contrôleurs dissimulent mal leur colère quand ils constatent que les équipages débarquent, sans même se cacher, des parts personnelles bien supérieures à celles qui sont tolérées par l’usage. À Concarneau, sans soute révolté par ces excès, le contrôleur du poisson récupère pour la vente les 36 thons que l’équipage se réservait. Immédiatement le patron intervient auprès de l’administrateur et du commissaire de police pour dénoncer ce geste. « On aurait pu nous laisser notre cotriade destinée à alimenter nos seules familles et nos prisonniers… » après l’avoir portée chez un charcutier concarnois pour y être mise en conserves ! Plus de 200 kg de thon, de plus en conserve, pour les seuls membres des familles… le contrôleur s’interroge sur la véracité des propos167.

  • 168 SHD Marine Brest, 7 P 1-58, Paris, circulaire du 3 octobre 1941.
  • 169 SHD Marine Brest, 2 P 1-191-3, Paris, le 24 août1941, le directeur adjoint Willaumé.
  • 170 Paris, le 27 octobre 1942, réunion du Comité consultatif de la Répartition interprofessionnelle de (...)
  • 171 Paris, le 25 novembre 1942, le directeur adjoint Willaumé.

69Comme il n’est pas question de limiter cette fameuse part réservataire sans encourir les foudres des amiraux, on cherche à l’aménager. Ainsi parvient-on à obliger les pêcheurs à livrer toute la pêche aux répartiteurs, « y compris l’allocation réservée168 ». Cette mesure ne concerne ni les crustacés ni les coquillages et les contrôleurs sont prompts à condamner des pêcheurs qui « refusent de se laisser contrôler169 ». Fort de ce premier succès relatif, le Comité consultatif de la Répartition des produits de la pêche maritime revient à la charge quelque temps plus tard. Il se réunit en octobre 1942 pour examiner la question de « la modification éventuelle de la part de 50 kg réservés par bateau et par sortie aux marins-pêcheurs artisanaux170 » : il s’agit de la réduire pour alimenter le circuit légal, ce que les pêcheurs ne sauraient entendre et l’on s’en tient au statu quo : « La réglementation en vigueur est appréciée des pêcheurs, et si elle n’est pas parfaite, elle a le mérite d’être d’une application simple et facile171. »

70Le ministère du Travail commence lui aussi à dénoncer les privilèges accordés aux inscrits maritimes notamment en ce qui concerne les réquisitions, françaises ou allemandes, de main-d’œuvre. Dans un premier temps, les services centraux de l’Inspection du travail acceptent de répondre aux exigences de l’Amirauté et laissent les inscrits en dehors du champ d’application de la loi du 4 septembre 1942, dite « loi sur l’utilisation et l’orientation de la main-d’œuvre ». Cependant, il devient extrêmement difficile au secrétariat à la Marine d’expliquer pour quels motifs les marins du commerce ou de la pêche, momentanément sans embarquement, occupant ou non un emploi, peuvent aussi bénéficier de l’exemption.

  • 172 Archives des Affaires maritimes de Brest, Paris, le 29 octobre 1942, le directeur adjoint Willaumé

Il est certain que pour la sauvegarde de tous les intérêts en cause y compris, bien entendu, ceux de la main-d’œuvre terrestre elle-même, il convient de laisser au marin son caractère de spécialiste et, tout en le soumettant aux règles générales d’utilisation de la main-d’œuvre, de laisser au secrétaire d’État à la marine le soin d’apprécier et de décider seul les modes d’utilisation de la main-d’œuvre maritime au mieux des intérêts de la nation172.

  • 173 SHD Marine Brest, 5 P 1-87, Vichy, le 29 juin 1942, le capitaine de frégate Le Blanc.
  • 174 SHD Marine Brest, 2 P 1-12, Brest, le 1er octobre 1941, l’administrateur.

71Un tel statut privilégié est dénoncé par les autres marins, ceux qui ne pêchent pas et ne bénéficient donc pas des avantages accordés par l’Amirauté et les revendiquent aussi pour eux : les équipages des sabliers, par exemple, réclament la même ration supplémentaire de vin à laquelle ils n’ont pas droit ; dans les Côtes-du-Nord, les patrons paimpolais du Cormoran et du Brizeux vont encore plus loin et portent plainte auprès des services de la Marine marchande pour tenter d’obtenir une part équivalente compensatrice… qu’ils ne reçurent jamais173. Il n’est pas jusqu’aux administrateurs de l’inscription maritime qui ne dénoncent les avantages des pêcheurs ; à Brest, le chef de quartier se demande s’il est vraiment utile de conserver la ristourne sur les carburants qui leur est octroyée. Les salaires perçus permettent, sans problème, d’acheter le précieux combustible au prix fort : « Il est beaucoup de patrons qui refuseraient d’échanger leur part de pêche contre ma solde d’administrateur en chef même avec toutes ses allocations accessoires174. »

Les dérives du système : des trafics multiples et variés

  • 175 Badin Louis, Esquisse de l’économie française…, op. cit., p. 139.
  • 176 SHD Marine Brest, 2 P 1-191-3, Vichy, le 4 février 1941, l’amiral Auphan.
  • 177 SHD Marine Brest, 2 P 1-133, Paris, le 21 mai 1941, le directeur Sicé.

72Les critiques ministérielles ne se limitent pas à la dénonciation de privilèges jugés immoraux en la circonstance, des affaires plus graves de trafics en tout genre viennent ternir l’image du marin courageux, loyal et honnête promue par l’Amirauté. Les attaques les plus virulentes proviennent des agents du ravitaillement qui n’apprécient ni les largesses octroyées aux pêcheurs, ni les ventes clandestines avérées, notamment d’essence, que les services de l’Inscription ne répriment pas avec tout le zèle requis. Certains pêcheurs, en effet, n’hésitent pas à vendre une part du combustible qui leur est alloué, le bénéfice ainsi réalisé dépassant nettement celui généré par la vente du poisson175. Pour remédier à ces pratiques, il est demandé à tous les agents de l’Inscription de surveiller les livraisons afin de « supprimer la délivrance de carburant aux pêcheurs marrons pratiquant déjà un autre métier et dont la pêche n’est qu’un accessoire176 ». Mais il apparaît que certains personnels de l’Inscription même sont impliqués dans le trafic. Le directeur des pêches maritimes signale aux administrateurs généraux que le commandement militaire et le secrétariat d’État à la Production industrielle lui ont fait savoir que « des tickets de carburants destinés à la pêche seraient utilisés à d’autres fins177 », tous mouvements qui ne peuvent s’effectuer qu’avec la bienveillance des agents de l’Inscription et auxquels il convient de mettre un terme au plus vite. Mais il semble que les menaces ministérielles soient vaines car, trois mois plus tard, les agents du ravitaillement se plaignent de nouveau :

  • 178 SHD Marine Brest, 7 P 1-58, Quimper, le 29 août 1941, le directeur départemental du ravitaillement

Il m’est signalé que de nombreux pêcheurs de la côte reçoivent par les soins de l’Inscription maritime une quantité d’essence bien supérieure à leurs besoins et se servent de l’excédent pour obtenir à la campagne divers produits de la ferme, notamment du beurre178.

  • 179 Circulaires des 28 août 1940 et 4 février 1941.

73Le trafic dénoncé porterait sur de telles quantités que certains pêcheurs se servent des excédents de beurre obtenus pour fabriquer du savon. Les administrateurs de l’Inscription confirment les faits et le ministère ne peut feindre de les ignorer d’autant plus que le carburant devient au fil des semaines une denrée aussi précieuse que rare. « Outre le caractère délictueux de ce trafic, la pêche est ainsi privée d’une part de carburant qui lui est nécessaire. » En conséquence, les marins surpris à vendre clandestinement leur essence sont passibles de trois mois de suspension de livraison, puis de la suspension définitive179. Le problème des carburants se règle de lui-même après 1942 car les stocks sont si bas qu’on n’alloue plus de carburant qu’aux bâtiments les plus productifs et aux pêcheurs dont les rendements sont les meilleurs.

  • 180 SHD Marine Brest, 2 P 2-6, Morlaix, le 20 janvier 1943, l’administrateur Gilbert replié.

74Dans ces conditions, les stratagèmes imaginés par les marins pour recevoir des approvisionnements rares sont de plus en plus perfectionnés. Citons par exemple, Jean Quillien, armateur du dundee Reine-des-Flots, qui demande, en 1942, un rôle de pêche pour son bateau de plaisance, La Méduse, une démarche qui n’aboutit pas car l’administrateur est persuadé, et la communauté des pêcheurs aussi, que le patron « de ce bateau ne ferait pas réellement la pêche et qu’il ne serait armé que pour obtenir une attribution d’essence sur la dotation de la pêche180 ».

  • 181 SHD Marine Brest, 7 P 1-58, Quimper, le 20 août 1941, l’intendant directeur du ravitaillement.
  • 182 SHD Marine Brest, 2 P 1-191-4, Vichy, le 7 mai 1942, l’amiral Broussignac.
  • 183 Archives Affaires maritimes Audierne, Audierne, le 28 juin 1941, l’administrateur Cacaud.

75Par ailleurs, le directeur départemental du ravitaillement du Finistère, dénonce l’attitude de patrons pêcheurs langoustiers et thoniers qui partent en mer deux mois au moins pour les premiers et deux semaines pour les seconds et reçoivent des denrées alimentaires proportionnelles à ces durées ; mais « ils ont le devoir, surtout par les ces temps pénibles, de n’utiliser que ce qui leur est nécessaire et ne pas gaspiller le reste181 ». Or, les patrons donnent des dates de retour de campagne assez vagues et embarquent sciemment la nourriture nécessaire pour une durée annoncée plus longue que la réalité. Ainsi, le langoustier Le Douarneniste touche son avitaillement pour quatre mois de mer et revient à son port d’attache au bout de deux mois seulement ; Le Ner, le patron, ose alors demander un nouvel approvisionnement complet pour une seconde sortie ! « Une telle manière de faire est scandaleuse à l’heure actuelle », conclut l’intendant qui dresse la liste des matières fournies à l’équipage pour les deux mois de navigation fictive : 6,6 kg de savon, 40 kg de porc salé, 14 kg de fromage, 22 kg de sucre, 11 kg de café, 9 kg de riz, 1 000 kg de pommes de terre, 11 kg de pâtes, 11 kg de légumes secs. Les équipages des grands bateaux ne procèdent pas différemment pour récupérer des conserves auxquelles ils n’ont pas droit : il est en effet prévu que, pour des voyages de plus de trois jours, les patrons embarquent des vivres de réserve constitués en partie par des conserves dont la consommation ne doit normalement intervenir qu’en cas de prolongation involontaire de la durée normale de la sortie, par suite d’avarie, de tempête ou de tout autre cas de force majeure. Cependant, après chaque débarquement, les marins emportent les précieuses conserves pour leur consommation personnelle à terre. Une telle manière d’agir est vivement condamnée par la préfecture de Quimper qui demande aux autorités maritimes d’intervenir pour qu’elle cesse. Ce n’est qu’en avril 1942 qu’un décret interdisant cette pratique est promulgué ; de plus le renouvellement des réserves est soumis à l’autorisation des services locaux du ravitaillement du port d’attache182. Pour les fils de coton et la toile à voile, les pêcheurs ont aussi tendance à procéder de la même façon afin de se faire délivrer des quantités supérieures à leurs besoins réels. C’est un fait que dès qu’un produit est contingenté, les utilisateurs gonflent, et souvent sans mesure, les chiffres de leurs demandes. « De plus il est toujours à craindre que les pêcheurs tentés par des offres du marché noir, n’écoulent vers d’autres usages que la pêche, une partie du coton qui leur est délivré183. »

  • 184 SHD Marine Brest, 5 P 1-84, Paris, le 14 août 1941, le ministre secrétaire d’État au Ravitaillemen (...)
  • 185 SHD Marine Brest, Paris, le 3 février 1944, le directeur Broussignac.

76Avec le temps et les privations, les fraudes de toutes natures s’intensifient et le secrétariat d’État à la Marine marchande demande aux personnels de l’Inscription de se livrer à des enquêtes approfondies pour tenter de déjouer les trafics. L’attitude des agents du ravitaillement se durcit et lorsque l’amiral de la Flotte, ministre, secrétaire d’État demande à son collègue du Ravitaillement une aide supplémentaire pour les pêcheurs, celui-ci répond qu’il n’était plus possible « en cette période où nos ressources sont aussi réduites de faire davantage en faveur des équipages des bateaux de pêche184 ». Les agents du contrôle économique interviennent à leur tour pour dénoncer le laxisme des fonctionnaires de la Marine et réclamer la possibilité de participer à la surveillance de la collecte du poisson. Ils n’obtiennent ce droit que très tardivement, en février 1944, en échange d’une augmentation du prix des poissons185. Pour le Contrôle économique, il ne fait aucun doute que l’intensité du marché noir qui touche, de près ou de loin, les pêches maritimes est en grande partie la conséquence de la complaisance des services de la Marine marchande à l’égard des inscrits.

« Le malaise des fonctionnaires de l’État »

  • 186 « Le Malaise des fonctionnaires de l’État, le 27 février 1942 », cité dans Baruch Marc-Olivier, Se (...)

Ce serait une faiblesse pour le gouvernement, un malheur pour le pays si l’administration française s’affaiblissait, si les fonctionnaires éprouvaient moins impérieusement leur goût de servir, si leur zèle, leur vocation s’atténuaient. Or, un grand malaise pèse actuellement sur une partie importante des fonctionnaires de l’État ; ce malaise tient à des causes morales, à des causes matérielles. Il convient de le dissiper sans retard, pour que la fonction publique retrouve confiance et allant186.

  • 187 Premier congrès social maritime breton, La Bretagne maritime…, op. cit., p. 241.
  • 188 SHD Marine Lorient, 9 P 5-29, Nantes, le 16 janvier 1942, l’administrateur de l’arrondissement.
  • 189 SHD Marine Brest, 2 P 1-191-4, Bordeaux, le 9 décembre 1941, Marec, directeur de l’IM de Bordeaux.

77L’administration de l’Inscription maritime dénonce une attitude de plus en plus agressive des marins à son égard. Les pêcheurs semblent se satisfaire pleinement de la liberté nouvelle octroyée par le système corporatif mis en place par Vichy et des prévenances soutenues de l’Amirauté à leur égard. Par contre, ils supportent de moins en moins bien les rappels à l’ordre des administrateurs et des agents de l’Inscription et, fait nouveau, expriment leur mécontentement. Les griefs sont déjà anciens et, à plusieurs occasions, les pêcheurs ont rappelé leur souhait que les dispositions du code disciplinaire et pénal de la Marine marchande relatives à la procédure préalable à la poursuite soient étendues à tous les délits de pêche. En bref, ils souhaitent que les administrateurs de l’Inscription perdent tous leurs pouvoirs d’officiers judiciaires187. Les circonstances de guerre aidant, ils s’enhardissent et refusent tout net d’obéir ou de se plier aux injonctions et sommations des agents de l’Inscription. Lorsque des agents de la police de la navigation ou de la pêche sont appelés à constater des infractions, ils se trouvent fréquemment confrontés aux « difficultés que ne manquent pas de soulever les délinquants, peu soucieux de décliner leur identité et d’obtempérer à leurs ordres ». Les gardes assermentés peuvent apprécier leur chance lorsqu’ils ne se heurtent pas à l’hostilité manifeste des pêcheurs, et ne sont pas insultés voire menacés. De tels comportements sont condamnés, car il « importe pour la discipline et pour le prestige de l’autorité maritime locale que des fautes de cette nature ne soient jamais passées sous silence et qu’elles soient rigoureusement répri188 », mais dans les faits, les poursuites sont peu nombreuses189.

78Cet irrespect croissant des pêcheurs se remarque aussi parfaitement dans le ton des correspondances adressées aux chefs des quartiers, notamment par les présidents des syndicats ou des communautés de pêcheurs, et par les représentants de la Corporation des Pêches maritimes. Il est fréquent d’y noter des expressions telles que « nous ne pouvons admettre », « il est inadmissible » ou « nous réclamons »… Les agents de l’Inscription maritime qui supportent de plus en plus mal cette liberté de ton et d’action la signalent à plusieurs reprises au secrétariat d’État qui, en l’occurrence, montre beaucoup de tiédeur pour défendre ses agents et rappeler aux pêcheurs leurs devoirs. On se contente de réconforter les chefs de quartier en leur conseillant de pardonner de simples erreurs de jeunesse :

  • 190 SHD Marine Brest, 2 P 1-191-4, Paris, le 13 février 1942, le directeur Sicé.

Les erreurs éventuelles doivent être redressées sans acrimonie et sans que vous puissiez craindre, comme vous le faites, d’être sous le manteau de la corporation, ramené à une époque que l’on pensait révolue et qui avait annihilé le principe d’autorité190.

  • 191 SHD Marine Brest, 7 P 1-59, Paris, le 10 décembre 1942, le directeur Sicé.

79Ces bons conseils se révèlent sans effet, et les agents de l’Inscription maritime se plaignent tous les jours davantage de l’attitude des pêcheurs. Ainsi peut-on lire sous la plume de l’un d’eux : « Vous serez certainement d’accord avec moi pour estimer qu’il ne peut être toléré plus longtemps de voir des pêcheurs employer de pareils termes », termes qui semblent prouver que l’autorité « des administrateurs de l’Inscription est de plus en plus méconnue »191. Pourtant, à Paris, il n’est pas question de remettre en cause les pouvoirs grandissant de la Corporation, clé de voûte de l’organisation nouvelle des pêches, et de la société en gestation.

  • 192 SHD Marine Brest, 2 P 2-5, Morlaix, le 21 janvier 1943, l’administrateur du quartier de Brest, rep (...)

80Plus les mois passent et plus la revendication, par la Corporation des Pêches maritimes, de son autonomie est clairement affichée, allant de pair avec l’élimination de tous les pouvoirs de contrôle, de direction et de police jusqu’alors exercés par l’Inscription maritime : « tout cela devrait être confié uniquement aux organismes corporatifs qui ne devraient être contrôlés et surveillés par aucun autre service d’État192 ». Le ministère lui-même s’alarme de cette proposition qui frise l’insubordination et prend conscience qu’il devient urgent d’imposer des principes stricts à ces organismes corporatifs des pêches de plus en plus influents et qui, partenaires écoutés, s’adressent directement aux Allemands pour régler les problèmes de la profession.

  • 193 SHD Marine Brest, 7 P 1-62, Bordeaux, le 25 juin 1943, l’administrateur en chef Marec.

Il faut qu’une réaction se fasse et que partout où il y a un représentant de la Marine (administrateur, chef de préposât, syndic, garde maritime) celui-ci recherche les occasions de se mettre en avant et de se manifester aux yeux de l’autorité allemande comme le seul représentant responsable193.

Le cas particulier des pêcheurs plaisanciers194

  • 194 Fichou Jean-Christophe, « Pêche professionnelle, pêche récréative », Annales de Bretagne et des pa (...)
  • 195 Loture Robert de, Les Pêches maritimes modernes, Paris, SEGMC, 1946, p. 27.

81Le domaine de l’Inscription maritime comprend le rivage, c’est-à-dire la bande de terre ou estran, que la mer couvre et découvre lors des plus hautes mers de vives-eaux, et les eaux territoriales. Ces dernières s’étendent jusqu’à 3 milles (5 556 mètres) à partir de la laisse de plus basse mer. Les fleuves sont intégrés à la zone maritime jusqu’au premier obstacle à la navigation, généralement le tablier d’un pont. Toutes les opérations liées de près ou de loin à la pêche dans cette zone sont formellement interdites aux individus qui ne sont pas inscrits maritimes. De jure, le ramassage d’une praire ou la capture d’une étrille est un délit s’ils sont effectués par un ramasseur occasionnel, un pêcheur amateur. En fait, une large tolérance est accordée à ces non professionnels à condition qu’ils se gardent de tout abus et ne tirent aucun profit d’une activité à considérer comme un moyen d’améliorer ou de varier le repas familial195.

  • 196 SHD Marine Brest, 6 P 2-14, Lannion, le 17 mai 1940, l’administrateur.
  • 197 Kerlévéo Jean, Paimpol au temps de l’Islande, Douarnenez, Le Chasse-Marée-Armen, 1998, p. 319 (1re(...)
  • 198 Circulaire ministérielle du 25 janvier 1909.
  • 199 Loi du 14 juillet 1908, article 4.

82Les pêcheurs plaisanciers — on en comptait environ 3 500 en 1900, guère plus en 1939 —, n’exercent à cette époque aucune pression sur les stocks et ne gênent en rien les habitudes et le travail des professionnels. Un certain nombre d’entre eux sont des pêcheurs retraités qui ont choisi l’armement à la plaisance pour échapper à la taxation des caisses de l’ENIM196. Mais les « restrictions de 1940-1943 ont changé cette manière de voir et les plaisanciers sont devenus d’authentiques pêcheurs, non pas tellement dans le dessein de vendre leur poisson que de ravitailler leur table197 ». En réalité c’est dès 1940 que le problème du nombre commence à se poser, lorsque les premiers pêcheurs de loisir abandonnent le rivage pour s’adonner à la pêche en mer, un moyen très simple de pallier les restrictions. Les sorties se multiplient au fur et à mesure que la guerre s’intensifie et que l’on doit affronter un rationnement de plus en plus draconien. Dès le début des hostilités, le ministère de la Marine marchande doit préciser les droits et devoirs de chacun et revient sur la définition de la petite pêche et de la navigation côtière qui doit constituer le principal moyen d’existence du marin198 ; il faut qu’elle soit exercée au moins un jour sur trois et sans interruption de plus de huit jours consécutifs199 sauf cas de force majeure. Dans tous les autres cas, on ne peut parler de pêche professionnelle.

  • 200 SHD Marine Brest, 3 P 2-19, circulaire du 15 mai 1940.
  • 201 Circulaire ministérielle du 27 mars 1944.

83Par ces temps troublés, de nombreux habitants du littoral souhaitent compléter leur ration alimentaire de plus en plus succincte ; en conséquence, les eaux côtières se couvrent de flottilles disparates composées de petites embarcations à voile ou à moteur dont un bon nombre sont menées par des non-inscrits. Les pêcheurs professionnels apprécient peu cette concurrence sourde, mais bien réelle selon eux. À cette occasion, le Gouvernement Reynaud publie une circulaire pour signaler qu’il n’est prévu aucune mesure spéciale pour faciliter les déplacements des bateaux de plaisance et notamment en matière de livraison de carburant200. Le gouvernement de Vichy rappelle fermement les droits et obligations de chacun, d’autant plus que la pêche des amateurs échappe totalement aux contrôles du Bureau national du Poisson. Le problème n’est pas résolu pour autant et les amateurs continuent de sortir. Un décret d’avril 1942, précise pour la première fois la nature des deux catégories de pêcheurs, professionnels et amateurs. Le second groupe doit se munir d’une carte de circulation pour naviguer et, très vite, l’État se voit dans l’obligation de rappeler à l’ordre certains pêcheurs à la retraite qui enfreignent la loi : « les titulaires de cartes de circulation, doivent faire l’objet d’une surveillance spéciale et être poursuivis s’ils se livrent à la pêche à titre professionnel et non plus à titre de passe-temps201 ».

  • 202 Décret du 1er avril 1942.
  • 203 « La Chasse sous-marine », Le Yacht, mars 1941, p. 117.

84Si la pêche ne peut être interdite aux amateurs, il n’est plus question pour eux d’utiliser du gros matériel et surtout de vendre le produit de leurs sorties202. La pêche de loisir est donc autorisée, mais les conditions restrictives de son exercice sont claires : elle doit être pratiquée de manière accidentelle, à titre de passe-temps et sans vente des produits capturés. Très rapidement, les autorités insistent sur la limitation des genres et du nombre des engins de pêche autorisés. Dans un premier temps, le choix est très réduit puisque les non-professionnels sont tenus de n’embarquer qu’une ligne à main. La pêche sous-marine est tolérée sous certaines conditions, l’Inscription maritime délivrant des autorisations de « pêche au harpon en plongée ». Mais dans ce cas-là aussi les « pêcheurs professionnels témoignent d’une jalousie sans limite à l’égard des chasseurs203 ».

  • 204 Décret du 1er avril 1942.

85En 1942, le gouvernement de Vichy reprend les textes antérieurs et renonce aux tolérances passées : dorénavant seules deux lignes sont autorisées204, sauf pour ceux des plaisanciers qui souhaitent utiliser d’autres engins après avoir versé au Trésor une redevance annuelle et demander une autorisation au chef du quartier. Cependant, les pêcheurs réunis au sein du Comité corporatif des pêches maritimes réclament une fermeté accrue et l’annulation des dérogations :

  • 205 Vichy, le 24 septembre 1942, commentaire de l’amiral Auphan sur la décision ministérielle du 24 se (...)

compte tenu des difficultés d’approvisionnement en engins de pêche rencontrées par les professionnels, j’ai décidé de réduire sensiblement les possibilités d’action des titulaires de rôles de plaisance et de permis de circulation… J’ai renoncé à toute énumération et jugé plus opportun de laisser aux chefs de quartiers le soin de déterminer, d’accord avec les organismes corporatifs locaux, les seuls engins dont l’usage serait permis205

  • 206 Vichy, décret du 23 août 1940.
  • 207 SHD Marine Brest, 2 P2-6, Morlaix, février 1943, l’administrateur Gilbert replié.
  • 208 SHD Marine Brest, 2 P 2-7, Ouessant, le 23 janvier 1944, PV de la communauté des pêcheurs.

86Il est clair pour tout le monde que l’intégralité des efforts d’armement doit porter sur la pêche professionnelle si bien que la pêche de plaisance, présentée comme des promenades en mer, et les sorties touristiques sont formellement prohibées206. Il est d’ailleurs décidé, en avril 1942, que plus une seule goutte de combustible ne peut être attribuée aux bateaux de plaisance. La pêche en mer des amateurs devient pratiquement impossible… et pourtant, les statistiques prouvent que les demandes sont de plus en nombreuses. Dans le quartier de Brest, en 1942, 154 nouveaux bateaux ont été immatriculés dont 58 de pêche et de commerce et 96 de plaisance207. La pression de ces pêcheurs, qui n’ont d’amateurs que l’appellation, est de plus en plus forte et d’autant plus qu’elle s’exerce dans de petits ports où leur concurrence est immédiatement sensible. Ainsi la communauté des pêcheurs d’Ouessant intervient à plusieurs reprises pour limiter l’accès à la ressource des plaisanciers. Face au mécontentement général des pêcheurs de l’île qui dénoncent « l’écoulement clandestin du poisson pêché par certains plaisanciers, le nombre assez important de canots armés à cette pêche, l’emploi exagéré de casiers, palangres et filets de quelques plaisanciers qui font une pêche professionnelle plutôt qu’une pêche d’agrément, l’impossibilité de leur dresser procès-verbal208 », l’administrateur décide d’imposer le respect de la circulaire du 24 septembre.

  • 209 Archives municipales de Brest, 4 H 4-43, ordonnance du 10 mars 1944, Paris, le MBF.
  • 210 Décret du 15 mai 1946.
  • 211 Renard Maurice, La Pêche à la mer, Paris, Albin Michel, 1949, p. 174.

87En fait, les moyens de coercition sont pratiquement inexistants et les entorses aux règlements sont légions. Il faut attendre une ordonnance allemande de mars 1944 pour interdire formellement l’utilisation « des bateaux de sport » dans la zone côtière209. Au lendemain de la guerre, un nouveau décret reprend la législation antérieure, mais l’assouplit pour répondre aux pratiques en vigueur et aux exigences des temps de rationnement et de disette. Réservés aux seuls navires titulaires d’une carte ou d’un permis de circulation obtenus après acquittement d’une redevance de pêche, les engins autorisés sont les suivants : un filet trémail, 3 casiers à crustacés et 25 hameçons pour des lignes à main ou une palangre210 : « tous les autres engins sont interdits ». Reste à savoir si les obligations légales sont respectées : « Il semble que sur notre littoral les garde-pêche ne se montrent pas très sévères pour les amateurs qui excipent de leur bonne foi. Ceci ne constitue, bien entendu, qu’un renseignement, non un conseil211… » En fait, les habitudes de laxisme prises pendant la guerre perdurent.

  • 212 Paxton Robert, L’armée de Vichy, op. cit.
  • 213 Masson Philippe, La Marine française…, op. cit., p. 295.
  • 214 Azéma Jean-Pierre, Le Monde, 19 août 1989.
  • 215 Kerlévéo Jean, Paimpol…, op. cit., t. 2, p. 412.

88Quoi qu’il en coûte, il faut donner le change au pays, donner l’illusion au peuple qu’il est défendu par le gouvernement paternel du Maréchal, fermement mais avec bienveillance : les membres du ministère de la Marine, de l’Amirauté, s’y emploient. Pour réaliser ce rêve, l’état-major est prêt à accorder tous les privilèges possibles aux pêcheurs qui acceptent avec enthousiasme l’aubaine. Pendant toute la durée de l’Occupation, on assiste à la tentative de prise en main de la société française par des cadres de l’Armée et plus particulièrement par des officiers de Marine. On parle alors de marinisation212 ou de navalisation213 de la communauté maritime considérée dans son ensemble comme une société solidaire à mille lieues de la réalité. S’il est difficile d’évaluer ses pouvoirs et son influence, la réalité de l’omniprésence, voire l’omnipotence, des officiers de la marine nationale dans les différents rouages du ministère de tutelle des Pêches maritimes ne peut être niée. Ce sont eux qui ont mis en place la politique d’encadrement des inscrits, pêcheurs, novices et mousses et ont impulsé une orientation particulière de la politique nationale à l’égard des populations maritimes et notamment des inscrits. La force de l’organisation, l’ensemble des efforts fournis et l’importance des libéralités accordées aux marins pêcheurs témoignent de la volonté de l’État français de réussir à ne pas s’aliéner cette population louée pour son attachement à la valeur travail, son amour du métier, son abnégation, son mépris du danger214… On peut penser que l’expérience a valeur de test et que sa réussite finale est un gage de succès pour l’extension du modèle à toute la population française. Une telle conception du monde maritime n’est pas l’apanage de l’Amirauté et de nombreuses voix se mêlent au discours tenu par les officiers de marine, l’approuvent et l’enrichissent. Ainsi, monseigneur Kerlévéo, à l’époque jeune abbé, dans la tourmente de la défaite puis de l’Occupation, considère qu’une telle situation peut être profitable aux pêcheurs. La volonté affichée du gouvernement d’aider les inscrits et de favoriser les ports moyens permet d’éviter la « concentration démographique autour des grandes cités… où [les pêcheurs] vont grossir la masse prolétarienne ». En leur fournissant un emploi, « du travail chez eux, dans l’horizon de leur pays et leur maison familiale, la France garderait ses hommes de mer et sauverait sa race de marins qui fit jadis son orgueil et sa force215 ».

  • 216 Rousso Henry, Vichy, l’événement…, op. cit., p. 57.

89Quelles sont les retombées des actions entreprises auprès des pêcheurs sur l’élaboration de la mythique fusion sociale dont rêve le maréchal ? En butte à la méfiance grandissante des marins, patrons comme équipages, des armateurs, des pêcheurs artisanaux ou industriels, des agents de l’Inscription maritime, le grand dessein entrevu par l’Amirauté s’avère un échec. En fait, les marins pêcheurs, porteurs involontaires de valeurs ancestrales « qui elles ne mentent pas », jouissent de toutes les libertés accordées et des avantages octroyés par leur ministère sans réellement se préoccuper de la construction d’un monde nouveau ou du triomphe de la révolution nationale. Le respect des structures « naturelles d’encadrement », la Nation, la profession, la famille216, ne sont sûrement pas plus développées dans le monde des pêcheurs que dans celui des autres corps de métier. Ils profitent de la situation, mais n’adhèrent pas pour autant à l’idéal prôné par les tenants du régime en place. Ils font preuve au mieux d’un attentisme prudent au début de l’Occupation qui se mue en révolte sourde puis en rébellion ouverte dès 1942, mais, sur toutes les côtes de France, on note la faible adhésion des marins pêcheurs à l’idéologie de Vichy, bien que communauté jugée remarquable dans la France du Maréchal.

Notes

1 Article 8 de la convention d’armistice franco-allemande du 22 juin 1940.

2 Masson Philippe, La Marine française et la guerre 1939-1945, Paris, Tallandier, 2000, p. 178.

3 BO Marine marchande, 1941-1, Acte constitutionnel no 4, quater, le 10 février 1941, le maréchal Pétain. « Si pour quelque cause que ce soit avant la ratification de la nouvelle Constitution, nous sommes empêché d’exercer la fonction de chef de l’État, M. l’amiral de la Flotte Darlan l’assumera de plein droit. »

4 Carré Claude, Histoire du ministère de la Défense, Panazol, Lavauzelle, 2001, p. 351.

5 Paxton Robert, La France de Vichy, Paris, Le Seuil, 1997, p. 150, l’amiral Auphan lors du conseil des ministres, le 15 septembre 1942.

6 Quelques mois après sa nomination, il rédige un ouvrage, Manuel du père de famille, publié chez Flammarion et préfacé par le Maréchal dont le propos s’inscrit parfaitement dans la ligne de pensée conservatrice et catholique défendue par le régime de Vichy. Il faut pourtant rappeler que l’amiral de Penfentenyo refuse toute idée de collaboration et s’en défend ouvertement, ce qui lui vaudra d’être arrêté en février 1943 par la Gestapo, mais sans conséquence, alors que son ami lorientais, le colonel de La Roque connaîtra, lui, la déportation.

7 BO Marine marchande 1944, arrêté de nomination du 19 décembre 1944.

8 Malley François, Le Père Lebret, l’économie au service des hommes, Paris, Éditions du Cerf, 1968, p. 62.

9 Archives nationales, 3 W 353, Rapport du ministre Krug von Nidda, Vichy, mai 1943 ; cité dans Pujol Louis, « Arrestations de personnalités civiles et militaires par les Allemands en août 1943 et mai 1944 », Guerres mondiales et conflits contemporains, no 207, 2002, p. 97.

10 Page Lucien, Recueil des conférences inaugurales des cours de l’école du Commissariat de la Marine, 1931-1963, Brest, Commissariat à la Marine, [s.d.], p. 149-1960 ; conférence du commissaire Sourrieu prononcée en 1941.

11 Gilbert de Bournat refuse de rallier la France libre et il est assigné à résidence jusqu’en février 1942, puis via l’Irlande, la Grande-Bretagne, le Portugal et l’Espagne, il est rapatrié en métropole en avril 1942 où il sert comme délégué au ministre des Colonies.

12 Paris, janvier 1942, l’amiral Platon ; cité dans <www.GrandColombier>, encyclopédie de Saint-Pierre et Miquelon.

13 Masson Philippe, « La belle marine de 1939 », dans Corvisier André (dir.), Histoire militaire de la France : de 1871 à 1940, Paris, PUF, 1992, p. 457.

14 L’amiral Auphan lors du conseil des ministres, le 15 septembre 1942.

15 AN F1 IIIc1198, novembre 1942, synthèse des rapports des préfets.

16 Page Lucien, Recueil des conférences, op. cit., Conférence du commissaire Sourrieu prononcée en 1941.

17 Masson Philippe, La Marine française et la guerre 1939-1945, Paris, Tallandier, 2000, p. 412.

18 Baruch Marc-Olivier, Servir l’État français, Paris, Fayard, 1997, p. 561.

19 Paxton Robert, La France de Vichy…, op. cit., p. 368.

20 Abzac-Epezy Claude d’, « Épuration et rénovation de l’armée », dans Baruch Marc-Olivier (dir.), Une poignée de misérables : l’épuration de la société française après la Seconde Guerre mondiale, Paris, Fayard, 2003, p. 450.

21 Par exemple, Marcel Gensoul quitte le service actif en octobre 1942. Il est cependant convoqué devant le vice-amiral Sablé, président de la commission d’épuration de la Marine, qui conclut à l’inopportunité des poursuites.

22 Novick Peter, L’Épuration en France, 1944-1949, Paris, Le Seuil, 1985, p. 335-338. Charles Platon, fusillé par la Résistance le 19 août 1944. Jean de Laborde, condamné à mort (gracié) ; Paul Auphan et Edmond Derrien condamnés aux travaux forcés à perpétuité ; Jean-Pierre Estéva condamné à la détention à perpétuité ; Jean Abrial et Georges Robert condamnés à 10 ans de travaux forcés ; Henri Bléhaut condamné à 10 ans de détention par contumace ; André Marquis condamné à 5 ans de détention ; Félix Michelier, non-lieu.

23 Pétain Philippe, entrevue accordée pour Gringoire, le 14 novembre 1940 ; cité dans Baruch Marc-Olivier, Servir l’État français…, op. cit., p. 47.

24 Pétain Philippe, « Appel du 25 juin 1940 », dans Discours aux Français, 17 juin 1940-20 août 1944, éd. établie par Jean-Claude Barbas, Paris, Albin Michel, 1989, p. 65-66.

25 Cépède Michel, Agriculture et alimentation en France durant la Seconde Guerre mondiale, Paris, Genin, 1961, p. 66.

26 L’amiral Auphan, Paris, le 7 août 1941, discours inaugural du Comité central corporatif des Pêches maritimes (CCPM), dans La Corporation des pêches maritimes, [s.l.], 1941, p. 13-14.

27 Capitaine Hamon (chef du bureau de l’apprentissage maritime en zone occupée), Conférence prononcée à la session de formation des cadres pour l’Apprentissage maritime du 7 au 20 décembre 1941, p. 4.

28 BO Marine, 1942-1, décret du 17 avril 1942.

29 La Mission de restauration paysanne est créée dès le mois d’août 1940 par le premier ministre de l’Agriculture de Vichy, Pierre Caziot.

30 Masson Philippe, La Marine française…, op. cit., p. 282.

31 Paxton Robert, L’armée de Vichy…, op. cit., p. 73.

32 Maréchal Pétain, discours du 31 décembre 1941.

33 Rousso Henry, Vichy, l’événement, la mémoire, l’histoire, Paris, Gallimard, 2001, p. 15.

34 Maréchal Pétain, message à la jeunesse, le 29 décembre 1940, cité dans Veillon Dominique, Vivre et survivre en France, Paris, Payot, 1995, p. 223.

35 Giolitto Pierre, Histoire de la jeunesse sous Vichy, Paris, Perrin, 1991, p. 551.

36 Ibid., p. 231.

37 Maréchal Pétain, « Message à la jeunesse de France », 29 décembre 1940.

38 La Porte Du Theil Joseph de, Un an de commandement des chantiers de la jeunesse, Vichy, Sequana, 1941, p. 1516.

39 BO Marine, 1941-1, le 25 février 1941, l’amiral Darlan.

40 Dubard Pierre, « Pour une marine de qualité : les jeunes des chantiers-France ont retrouvé un idéal », Le Yacht, janvier 1943, p. 2-4.

41 SHD Marine Brest, 3 P 2-20, Le Guilvinec, le 7 mai 1941, l’administrateur Québriac au délégué régional du Secrétariat général à la Jeunesse à Brest, Hervieu.

42 Capitaine Hamon, Conférence prononcée à la session de formation…, op. cit., p. 6.

43 Archives des Affaires maritimes de Brest, Vichy, le 5 septembre 1942, l’administrateur général de l’IM, Letourmy.

44 SHD Marine Brest, 7 P 1-62, Paris, septembre 1943.

45 Dubard Pierre, « Pour une marine de qualité… », art. cité, p. 2.

46 SHD Marine Brest, 2 P 2-7, Morlaix, le 16 février 1944, l’administrateur.

47 À la même époque, durant l’été 1943, les élèves de l’École navale sont transférés de Toulon à Clairac, dans le Lot-et-Garonne, eux aussi bien loin de la mer ; voir Geistdoerfer Patrick, « La formation des officiers de marine », Techniques et Cultures, no 45, 2005, p. 134.

48 Le Phare, quotidien régional de Nantes, le 9 novembre 1943.

49 AD Finistère, 200 W 41, Quimper, le 23 janvier 1943, le délégué du secrétariat d’État à la Jeunesse.

50 SHD Marine Brest, 2 P 1-192, Paris, le 28 février 1944, le CF Baudet.

51 Ropers Louis, La Crise sardinière. Condition économique et sociale du pêcheur sardinier, Paris, Bonvalot-Jouve, 1906, p. 89.

52 Roché Georges, « École professionnelle pour les marins pêcheurs », RM, t. 121, 1894, p. 455-464.

53 Archives CCI Lorient, Lorient, séance du 14 février 1895.

54 RM, t. 129, 1896, p. 384.

55 Enquête effectuée à Audierne en 1903 et citée dans Vauclare Claude, « Naissance d’une industrie », dans Mollat Michel (dir.), Histoire des pêches maritimes en France, Toulouse, Privat, 1987, p. 268.

56 JO, « Annales de la Chambre des Députés », séance du 31 janvier 1913, le député de l’Estourbeillon.

57 Siegfried André, Tableau politique de la France de l’Ouest sous la Troisième République, Paris, Amand Colin, 1913, p. 148.

58 SHD Marine Brest, 7 P 1 – 57, Vichy, le 31 mai 1941, l’amiral Auphan aux directeurs des arrondissements maritimes.

59 Paxton Robert, L’Armée de Vichy…, op. cit., p. 207.

60 Giolitto Pierre, Histoire de la jeunesse…, op. cit., p. 61.

61 Barreau Jean-Michel. Vichy contre l’école de la République, Paris, Flammarion, 2000, p. 229.

62 SHD Marine Brest, 7 P 1-57, Vichy, le 24 janvier 1941, l’amiral Auphan aux directeurs des arrondissements maritimes.

63 Paxton Robert, L’Armée de Vichy…, op. cit., p. 207.

64 Lebret Louis Joseph, Moreux René, Les Professions maritimes, à la recherche du bien commun, Paris, 1939, Dunod, « Études corporatives », p. 188.

65 Le Doaré Alain, La Naissance des prêtres marins (1938-1955), thèse d’histoire contemporaine, université Rennes 2, 1998, p. 133 et suiv. Ce passage sur les ÉAM doit beaucoup aux recherches d’Alain Le Doaré et à nos entretiens.

66 L’amiral Estéva à l’amiral Darlan, le 23 juin 1940 ; cité dans, Paxton Robert, L’Armée de Vichy…, op. cit., p. 214.

67 SHD Marine Brest, 5 P 1-84, Vichy, le 31 mai 1941, l’amiral Auphan.

68 Secrétariat dÉtat à la Marine, Almanach du marin, 1942, Vichy, Édition du Secrétariat général à l’Information, 1942, p. 62.

69 SHD Marine Brest, 7 P 1 – 57, Vichy, mai 1941, l’amiral Auphan aux directeurs des arrondissements maritimes.

70 « Propos d’enseignement », Le Yacht, septembre 1941, p. 234.

71 Capitaine Hamon, Conférence prononcée à la session de formation des cadres…, op. cit., p. 4.

72 AD Côtes d’Armor, 1311 W 226, Saint-Brieuc, le 18 février 1941, l’administrateur Le Bras.

73 SHD Marine Brest, 3 P 2-20, Le Guilvinec, le 5 mars 1941, l’administrateur Québriac.

74 SHD Marine Brest, 3 P 2-20, Le Guilvinec, février 1941, l’administrateur Québriac.

75 SHD Marine Brest, 8 P 1-64, Paris, le 13 septembre 1941, programme d’examen pour le certificat d’aptitude professionnelle.

76 Secrétariat dÉtat à la Marine, Almanach du marin, 1942, op. cit., p. 94.

77 SHD Marine Brest, 2 P 1-191-3, Vichy, le 22 novembre 1941, le CV Darrieus, directeur adjoint des services.

78 Barreau Jean-Michel, Vichy contre l’école…, op. cit., p. 229.

79 Fédération des œuvres catholiques françaises pour marins, Premier congrès d’apostolat maritime, Port-en-Bessin, le 8 août 1927, Paris, 1928, p. 17.

80 Le RP Lebret dans Fédération des œuvres catholiques françaises pour marins, Deuxième congrès d’apostolat maritime, Boulogne-sur-Mer, 22 au 23 septembre 1929, Paris, 1930, p. 67.

81 Premier congrès social maritime Breton, La Bretagne maritime, sa structure économique, sa détresse, somment la sauver, Paris, SEGMC, 1933, p. 211.

82 Le Doaré Alain, La Naissance des prêtres marins…, op. cit., p. 117 et suiv. René Tannay conserve la présidence de l’association jusqu’en 1978 ; voir aussi Biget Denis, Histoire des écoles de pêche maritime, Spézet, Coop Breizh, 1997, p. 86.

83 BO Marine, 1941-2, p. 567, l’amiral Auphan, le 21 octobre 1941.

84 Archives des Affaires maritimes de Brest, Vichy le 1er septembre 1941, l’amiral Auphan.

85 Corporation des Pêches maritimes, Procès-verbal de la Commission mixte de l’apprentissage maritime tenue à Paris les 15 et 16 septembre 1942, p. 9

86 Le Doaré Alain, La Naissance des prêtres marins…, op. cit., p. 151.

87 BO Marine, circulaire du 26 août 1942, le directeur Broussignac.

88 Le Paimpolais, le 22 octobre 1942.

89 BO Marine, circulaire du 22 février 1943, le CV O’Neil.

90 SHD Marine Brest, 2 P 1-192, Paris, le 28 février 1944, le CF Baudet.

91 Bulletin de liaison de l’AGÉAM, 1941.

92 « Propos d’enseignement », Le Yacht, septembre 1941, p. 235.

93 Loi du 13 décembre 1926, art. 115, modifié par les lois du 15 août 1941 et du 11 avril 1942 sur l’organisation de l’enseignement primaire.

94 Secrétariat général de la Marine marchande, Recueil des connaissances générales utiles aux personnels chargés d’assurer la police de la navigation et des pêches maritimes, Paris, Imprimerie nationale, 1946, p. 41.

95 On peut noter par ailleurs un très grand flottement dans la fixation des dates des vacances scolaires par le gouvernement de Vichy. En ce domaine, comme en beaucoup d’autres, on navigue à vue, comme le remarque Pierre Giolitto, Histoire de la Jeunesse sous Vichy…, op. cit., p. 343.

96 SHD Marine Brest, 7 P 1-59, Paris, le 31 août 1942, le chef du bureau des Gens de mer, Noirot.

97 SHD Marine Brest, 7 P 1-60, Assemblée générale des cadres des EAM, Paris, le 2 juin 1942.

98 SHD Marine Brest, 2 P 1-191-5, Paris, le 10 juillet 1942, l’amiral Auphan.

99 SHD Marine Brest, 6 P 2-15, Lannion, le 17 mars 1942.

100 SHD Marine Brest, 7 P 1-62, Circulaire ministérielle, Paris, le 1er avril 1943.

101 Archives des Affaires maritimes d’Audierne, Audierne, le 1er mai 1943, l’administrateur Plusquellec.

102 BO Marine marchande, 1943, circulaire du 20 avril 1943.

103 SHD Marine Brest, 2 P 2-7, Landéda, le 20 janvier 1944, le directeur Kerboull.

104 SHD Marine Brest, 2 P 2-7, Morlaix, le 29 avril1944, l’administrateur.

105 SHD Marine Brest, 3 P 2-20, Le Guilvinec, le18 février 1944, l’administrateur.

106 Ibid.

107 Rousso Henry, Vichy, l’événement…, op. cit., p. 284.

108 BO Marine marchande, 1946-2, Circulaire du 29 juillet 1946.

109 SHD Marine Brest, 2 P 1-192, Paris, le 20 septembre 1944, Anduze-Faris.

110 SHD Marine Brest, 6 P 2-18, Lannion, le 14 juin 1945, l’administrateur.

111 Robert-Muller Charles, Pêches et pêcheurs de la Bretagne Atlantique, Paris, Armand Colin, 1944, p. 471.

112 SHD Marine Brest, 2 P 1-191-4, Paris, le 11 mars 1941, le directeur adjoint Willaumé.

113 SHD Marine Brest, 7 P 1 – 56. Vichy, le 19 décembre 1940, l’amiral Auphan aux directeurs des arrondissements maritimes.

114 SHD Marine Brest, 2 P 1-191-3, Vichy, le 18 mars 1942, l’amiral Broussignac, directeur adjoint des services de la Marine marchande.

115 Yann Fouéré, La Bretagne, 6 juillet 1941.

116 Ministère de la Marine marchande, direction des pêches maritimes, Paris, le 28 avril 1934, le ministre William Bertrand.

117 SHD Marine Brest, 2 P 2-5, Paris, le 10 septembre 1942, le secrétaire d’État à la Marine, l’amiral Auphan.

118 BO Marine marchande, 1940-1, décret du 9 janvier 1940.

119 SHD Marine Brest, 7 P 1 – 55, Paris, le 12 septembre 1939, le ministre, secrétaire d’État de la Marine marchande.

120 SHD Marine Brest, 5 P 2 – 35, Saint-Brieuc, le 5 avril 1940, le préfet.

121 AD Morbihan, 2 W 15 821, Lorient, le 12 octobre 19840, l’administrateur Andrieux.

122 SHD Marine Brest, 2 P 2 – 5.

123 AD Côtes d’Armor, 5 W 96, Service des réquisitions, la préfecture de Saint-Brieuc, le 26 novembre 1942.

124 SHD Marine Brest, 2 P 1-191-3, Paris, le 5 novembre 1941, le directeur adjoint Willaumé.

125 Archives des Affaires maritimes de Brest, Paris, le 14 octobre 1941, le ministère de l’Intérieur.

126 Ibid., Paris, le 26 octobre 1942, le directeur Sicé. Pour mémoire l’Organisation Todt se définissait elle-même comme « un corps chargé de constructions militaires dans un but défensif ».

127 SHD Marine Brest, 5 P 2-37, Tréguier, le 30 mai 1941, l’administrateur.

128 SHD Marine Brest, 7 P 1-58, circulaire du 30 juin 1941.

129 Ibid.

130 Loi du 4 août 1940.

131 SHD Marine Brest, 9 P 1-191-2.

132 SHD Marine Brest, 7 P 1-57, Vichy, le 30 janvier 1941, l’amiral Gensoul.

133 Almanach du Marin, 1944, Secrétariat d’État à la Marine, Vichy, 1944, p. 156. En 1881, elle distribuait 24 950 francs de secours ; en 1941, 838 000 francs.

134 Association pour le développement des œuvres sociales de la Marine, Statuts, Paris, Duvinage et Lemonnier, 1941, 13 p.

135 « Les œuvres de la Marine », Le Yacht, septembre 1941, p. 231.

136 Lasterle Philippe, « Marcel Gensoul (1880-1973), un amiral dans la tourmente », Revue historique des armées, 2000, 2, p. 71-91 ou < www.servicehistorique.sga.defense.gouv.fr>, p. 14.

137 Archives Affaires maritimes Audierne, Brest, le 31 octobre 1939, le commissaire Lalardy.

138 BO Marine marchande, 1941-1, Instructions sur les colonies de vacances, le 7 mars 1941.

139 Archives Affaires maritimes Audierne, Audierne, le 1er août 1943, l’administrateur.

140 Franck Bernard, « La Marine et ses œuvres sociales », L’Illustration, 9 août 1941, p. 487-488.

141 SHD Marine Brest, 7 P 1-60, Vichy, le 4 juin 1942, l’amiral Gensoul.

142 SHD Marine Lorient, 9 P 5-30.

143 Archives des Affaires maritimes de Brest, Paris, sd (15 décembre 1942), LV De Razilly.

144 Laffere Max, Le Siège de Brest, Quimper, Librairie Le Goaziou, 1945, non paginé.

145 Archives Affaires maritimes Brest, Royat, le 14 décembre 1942, affectation du médecin de la Marine, Bergot.

146 SHD Marine Brest, 7 P 1-59, Vichy, le 18 mars 1942, directeur adjoint de Broussignac.

147 BO Marine marchande, 1942-1, arrêté du 20 février 1942.

148 Perrin Paul, L’Alcoolisme : problèmes médico-sociaux, problèmes économiques, Paris, L’expansion scientifique française, 1950, p. 243 ; cité dans Fillaut Thierry, Les Bretons et l’alcool (XIXe-XXe siècle), Rennes, Éditions ENSP, 1991, p. 228.

149 BO Marine marchande, 1942-1, circulaire du 14 novembre 1942 sur la pratique du sport par les marins du commerce et de la pêche.

150 BO Marine marchande, 1941-1, décret du 19 avril 1941.

151 Ibid., circulaire du 30 avril 1941.

152 Baudin Louis, Esquisse de l’économie française…, op. cit., p. 125.

153 AN F1a 3728, cité dans Veillon Dominique, Vivre et survivre…, op. cit., p. 173.

154 Delumeau Jean (dir.), Histoire de la Bretagne, Toulouse, Privat, 2000, p. 505.

155 AD Finistère, 200 W 41, Quimper, le 7 juillet 1942, le commissaire aux RG.

156 AD Finistère, 200 W 43, Quimper octobre 1943, statistiques des denrées expédiées au départ des gares.

157 Michel Henry, Paris allemand, Paris, Albin Michel, 1981, p. 222.

158 Lefébure Antoine, Les conversations secrètes des Français pendant l’Occupation, Paris, Plon, 1993, p. 86.

159 SHD Marine Brest, 2 P 2 – 5, Morlaix, le 22 octobre 1941, l’administrateur du quartier de Brest replié à Morlaix.

160 SHD Marine Brest, 5 P 1-85, Paris, le 6 octobre 1941, le directeur Sicé.

161 SHD Marine Brest, 7 P 1-60, Paris, le 10 juin1942, Willaumé. La part des crevettes est ramenée à 5 kg par le décret du 25 juin 1942.

162 SHD Marine Brest, 7 P 1-62, Vichy, le 30 mars 1943, le directeur vice-amiral Broussignac.

163 SHD Marine Lorient, 9 P 5-29, paris, le 27 mars 1942, le directeur adjoint Willaumé.

164 SHD Marine Brest, 7 P 1 – 59. Vichy, juillet 1942, le directeur des Pêches maritimes Terrin.

165 Circulaire du 30 avril 1941.

166 SHD Marine Brest, 7 P 1-58, Paris, juillet 1941, le directeur Sicé.

167 AD Finistère, 200 151, Concarneau, le 11 septembre 1943, le commissaire de police.

168 SHD Marine Brest, 7 P 1-58, Paris, circulaire du 3 octobre 1941.

169 SHD Marine Brest, 2 P 1-191-3, Paris, le 24 août1941, le directeur adjoint Willaumé.

170 Paris, le 27 octobre 1942, réunion du Comité consultatif de la Répartition interprofessionnelle des produits de la pêche maritime.

171 Paris, le 25 novembre 1942, le directeur adjoint Willaumé.

172 Archives des Affaires maritimes de Brest, Paris, le 29 octobre 1942, le directeur adjoint Willaumé.

173 SHD Marine Brest, 5 P 1-87, Vichy, le 29 juin 1942, le capitaine de frégate Le Blanc.

174 SHD Marine Brest, 2 P 1-12, Brest, le 1er octobre 1941, l’administrateur.

175 Badin Louis, Esquisse de l’économie française…, op. cit., p. 139.

176 SHD Marine Brest, 2 P 1-191-3, Vichy, le 4 février 1941, l’amiral Auphan.

177 SHD Marine Brest, 2 P 1-133, Paris, le 21 mai 1941, le directeur Sicé.

178 SHD Marine Brest, 7 P 1-58, Quimper, le 29 août 1941, le directeur départemental du ravitaillement.

179 Circulaires des 28 août 1940 et 4 février 1941.

180 SHD Marine Brest, 2 P 2-6, Morlaix, le 20 janvier 1943, l’administrateur Gilbert replié.

181 SHD Marine Brest, 7 P 1-58, Quimper, le 20 août 1941, l’intendant directeur du ravitaillement.

182 SHD Marine Brest, 2 P 1-191-4, Vichy, le 7 mai 1942, l’amiral Broussignac.

183 Archives Affaires maritimes Audierne, Audierne, le 28 juin 1941, l’administrateur Cacaud.

184 SHD Marine Brest, 5 P 1-84, Paris, le 14 août 1941, le ministre secrétaire d’État au Ravitaillement au ministre secrétaire d’État à la Marine.

185 SHD Marine Brest, Paris, le 3 février 1944, le directeur Broussignac.

186 « Le Malaise des fonctionnaires de l’État, le 27 février 1942 », cité dans Baruch Marc-Olivier, Servir l’État français…, op. cit., p. 676.

187 Premier congrès social maritime breton, La Bretagne maritime…, op. cit., p. 241.

188 SHD Marine Lorient, 9 P 5-29, Nantes, le 16 janvier 1942, l’administrateur de l’arrondissement.

189 SHD Marine Brest, 2 P 1-191-4, Bordeaux, le 9 décembre 1941, Marec, directeur de l’IM de Bordeaux.

190 SHD Marine Brest, 2 P 1-191-4, Paris, le 13 février 1942, le directeur Sicé.

191 SHD Marine Brest, 7 P 1-59, Paris, le 10 décembre 1942, le directeur Sicé.

192 SHD Marine Brest, 2 P 2-5, Morlaix, le 21 janvier 1943, l’administrateur du quartier de Brest, replié.

193 SHD Marine Brest, 7 P 1-62, Bordeaux, le 25 juin 1943, l’administrateur en chef Marec.

194 Fichou Jean-Christophe, « Pêche professionnelle, pêche récréative », Annales de Bretagne et des pays de l’Ouest, mars 2008, 115-1, p. 167-188.

195 Loture Robert de, Les Pêches maritimes modernes, Paris, SEGMC, 1946, p. 27.

196 SHD Marine Brest, 6 P 2-14, Lannion, le 17 mai 1940, l’administrateur.

197 Kerlévéo Jean, Paimpol au temps de l’Islande, Douarnenez, Le Chasse-Marée-Armen, 1998, p. 319 (1re éd., 1944).

198 Circulaire ministérielle du 25 janvier 1909.

199 Loi du 14 juillet 1908, article 4.

200 SHD Marine Brest, 3 P 2-19, circulaire du 15 mai 1940.

201 Circulaire ministérielle du 27 mars 1944.

202 Décret du 1er avril 1942.

203 « La Chasse sous-marine », Le Yacht, mars 1941, p. 117.

204 Décret du 1er avril 1942.

205 Vichy, le 24 septembre 1942, commentaire de l’amiral Auphan sur la décision ministérielle du 24 septembre 1942 concernant la restriction des droits de pêche des plaisanciers.

206 Vichy, décret du 23 août 1940.

207 SHD Marine Brest, 2 P2-6, Morlaix, février 1943, l’administrateur Gilbert replié.

208 SHD Marine Brest, 2 P 2-7, Ouessant, le 23 janvier 1944, PV de la communauté des pêcheurs.

209 Archives municipales de Brest, 4 H 4-43, ordonnance du 10 mars 1944, Paris, le MBF.

210 Décret du 15 mai 1946.

211 Renard Maurice, La Pêche à la mer, Paris, Albin Michel, 1949, p. 174.

212 Paxton Robert, L’armée de Vichy, op. cit.

213 Masson Philippe, La Marine française…, op. cit., p. 295.

214 Azéma Jean-Pierre, Le Monde, 19 août 1989.

215 Kerlévéo Jean, Paimpol…, op. cit., t. 2, p. 412.

216 Rousso Henry, Vichy, l’événement…, op. cit., p. 57.

Table des illustrations

Légende Illustration 1. Un défilé de jeunes recrues des Chantiers de jeunesse de la Marine(Source : Almanach du marin 1943, p. 66.)
URL http://books.openedition.org/pur/docannexe/image/123813/img-1.jpg
Fichier image/jpeg, 212k

Le texte et les autres éléments (illustrations, fichiers annexes importés) sont sous Licence OpenEdition Books, sauf mention contraire.

Rechercher dans OpenEdition Search

Vous allez être redirigé vers OpenEdition Search