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Les villes et le monde

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Martine Acerra
, 
Guy Martinière
, 
Guy Saupin
, 
et al.

Première partie. Mondialisation et fabrique de l’urbain

Naissance d’une ville-port atlantique : Saint-Nazaire, avant-port et entrepôt (1845-1883)

Guy Saupin

Texte intégral

  • 1 Classification retenue pour les villes britanniques par Peter Clark (dir.), The Cambridge Urban Hi (...)
  • 2 Daniel Sicard, « Saint-Nazaire », catalogue d’exposition, L’estuaire de Nantes à Saint-Nazaire. Hi (...)
  • 3 Bernard Michon, L’aire portuaire de Nantes aux XVIIe et XVIIIe siècles, thèse d’université, Nantes (...)

1L’expression de ville-port1 pour caractériser la naissance de Saint-Nazaire convient tout particulièrement tant la forme urbaine qui surgit de façon accélérée est intrinsèquement liée à celle du port en construction à l’embouche de la Loire. Trois facteurs se sont additionnés, et en même temps contredits, pour assurer ce décollage d’une nouvelle ville portuaire adaptée aux conditions du trafic maritime du milieu du XIXe siècle dans l’estuaire de la Loire et sur la façade atlantique française2. La place commerciale nantaise, centre de commandement d’une vaste aire portuaire construite au cours des XVIIe et XVIIIe siècles3, avait besoin d’un nouvel avant-port car les conditions d’accès à Paimbœuf, trop avancé à l’intérieur de l’estuaire, ne répondaient plus aux exigences techniques générées par la hausse des tonnages des navires. L’État avait besoin de mettre en place un système de messageries transatlantiques maritimes pour ne pas laisser aux mains de la concurrence étrangère le système de transport en direction des marchés américains en plein essor. Dans ce schéma, il paraissait évident que les trois grands complexes portuaires établis sur les trois grands fleuves atlantiques avaient leur rôle à jouer. Si l’accès à Bordeaux était garanti par la Gironde et si Le Havre s’était libéré de la tutelle de Rouen dans le cours du XVIIIe siècle, il n’existait pas de place portuaire digne de ce nom à l’entrée de la Loire. Depuis la visite de l’Empereur Napoléon Ier en 1808, le site était également retenu comme favorable pour un aménagement militaire d’appui à la marine de guerre.

  • 4 Anne Vauthier-Vezier, L’estuaire et le port. L’identité maritime de Nantes au XIXe siècle, Rennes, (...)
  • 5 Marthe Barbance, Histoire de la Compagnie générale transatlantique. Un siècle d’exploitation marit (...)

2Il fallut un certain temps pour se rendre compte de l’impossibilité de satisfaire en même temps ces trois objectifs, le militaire devant céder la place aux trafics commerciaux. L’évolution de l’avant-port posait immédiatement la question de la relation avec Nantes car les milieux d’affaire de la grande place commerciale entendaient bien soumettre le nouvel outil dont ils avaient besoin à leur stricte autorité, freinant autant que faire se peut les velléités d’industrialisation pour éviter tout risque de concurrence4. La chambre de commerce de Saint-Nazaire ne fut créée qu’en 1879. Pour les investisseurs privés des Messageries maritimes, l’intérêt pour Saint-Nazaire était principalement lié à sa capacité à s’imposer dans un rôle d’entrepôt, capable d’assurer son propre pôle de rassemblement de marchandises et de passagers dans la circulation entre la France et les Amériques5. Dans cette perspective, Saint-Nazaire, freiné par Nantes dans son autonomisation et soumis à la concurrence de Bordeaux et du Havre, n’allait pas tarder à apparaître comme le point faible du système pour le capitalisme maritime français.

3Pendant longtemps, la ville fut d’abord un immense chantier installé pour la construction du port. Si les plans retenus pour le creusement des bassins livrèrent les grandes directions du développement urbain, la réglementation urbanistique ne put suivre au début le rythme des implantations spontanées. C’est seulement au bout de quinze ans que les pouvoirs publics furent en situation de conduire réellement l’orientation de la ville-champignon. D’où cette collision entre la marque des modèles urbanistiques connus au milieu du XIXe siècle et des irrégularités en discordance, signes d’un rattrapage incomplet.

4La justification du titre retenu tient dans l’examen des conditions d’émergence d’une ville née de son port, au sein d’une interaction à la fois coopérative et conflictuelle entre la fonction d’avant-port de Nantes et d’entrepôt français sur l’Atlantique, dans une fabrique urbaine dans laquelle les acteurs privés eurent longtemps le dessus sur les autorités publiques. C’est au sein de cette dialectique complexe, rythmée par les aléas économiques issus des contextes locaux et nationaux, que la ville nouvelle de Saint-Nazaire commença à exister pour elle-même.

Une ville née de son port, de sa construction et de son activité

Le bassin de Saint-Nazaire (1845-1856)

  • 6 Marthe Barbance, Saint-Nazaire, le port, la ville, le travail, Moulins, Crépin-Leblond Éd., 1948, (...)

5L’aménagement du port de Saint-Nazaire fut réellement engagé suite à l’approbation par le ministre des Travaux publics du projet préparé par les ingénieurs en chef des ponts et chaussées, Cabrol et Jégou, le 10 mai 1845. La loi votée par les Chambres, le 19 juillet 1845, ouvrait un crédit de 7 millions de francs pour la création, dans l’anse de Saint-Nazaire, d’un port d’échouage et d’un bassin à flot de 10,5 hectares, le tiers devant être réservé aux besoins de la marine militaire ou aux paquebots transatlantiques. Un crédit spécial de 5,5 millions de francs, destiné aux fortifications, portait le total de l’opération à 12,5 millions de francs6. Le programme retenu, sur les quatre proposés, comportait un bassin avec une écluse et un chenal compris entre deux jetées. Il fallut deux années d’études et de réunions des commissions nautiques pour la rédaction des plans définitifs. Les propositions des ingénieurs Jégou et La Gournerie, situant le bassin au plus proche de la rive de l’anse, avec un meilleur ancrage sur le rocher à l’ouest, parurent plus satisfaisantes que celles de l’ingénieur Cabrol l’éloignant davantage vers la vasière.

  • 7 René Kerviler, « Notice sur le port de Saint-Nazaire », dans Notices des ports de France, 1881, t.(...)

6Le projet approuvé par le ministère en décembre 1847 correspondait à un grand rectangle de 580 m de long sur 160 m de large, agrandi sur le long côté ouest d’un autre rectangle de 140 m sur 90 m, soit un périmètre total de 1 600 m et une superficie de 10 hectares 54 ares. Ce bassin était divisé en quatre zones de mouillage offrant quatre profondeurs allant de 4,68 m à 7,59 m. Le bassin devait être défendu par une enceinte fortifiée. L’entrée se faisait par deux écluses dont une seule avait un sas de 60 m sur 13. Deux jetées en maçonnerie, écartées de 55 m, protégeaient le chenal d’accès à entretenir dans la vasière. Entre ces jetées et l’ancien môle portant le vieux bourg se trouvait le port d’échouage7.

  • 8 Daniel Sicard, « La création du port de Saint-Nazaire, un siècle de travaux (1835/1935) », Revue 3 (...)

7La construction exigea huit ans de travaux, avec de nombreuses et importantes modifications8. Dès novembre 1849, la volonté de réduire les coûts entraîna la suppression du port d’échouage, une extension de la zone la moins creusée, la réduction d’un mètre pour la hauteur des murs de quais, la disparition de deux ponts tournants sur les écluses et le remplacement des jetées maçonnées du chenal par des estacades en charpente. Le premier navire fit son entrée dans le bassin de Saint-Nazaire le jour de Noël 1856. Il restait toutefois beaucoup de travaux complémentaires pour les aménagements du pourtour, ce qui nécessita l’attribution d’un nouveau financement de 1,2 million de francs.

La concurrence des projets pour un second bassin (1857-1860)

  • 9 Henri Moret, Histoire de Saint-Nazaire et de la région environnante, Bruxelles, Éd. Culture et Civ (...)
  • 10 Il existait 1 607 mètres de quais utilisables pour le commerce dans le premier bassin. L’encombrem (...)

8La chambre de commerce de Nantes avait dénoncé l’insuffisance de l’équipement dès le 5 novembre 1856 : « Le bassin de Saint-Nazaire n’est pas encore mis à la disposition du commerce et déjà son insuffisance est patente pour tous les yeux. Le département de la Marine réclame toute la partie amont du bassin pour les bâtiments de l’État, et d’un autre côté la Compagnie de chemin de fer sollicite la concession de ce qui reste de la partie Nord et Ouest des quais, de telle sorte qu’il ne resterait en définitive pour le commerce que la partie du quai regardant vers la Loire entre les portes du bassin et la ville de Saint-Nazaire. Il est à remarquer de plus que l’espace est tellement rétréci sur ce quai par les fortifications qu’il n’y a de place pour aucun atelier, magasin ou chantier, en un mot pour aucun des établissements indispensables aux navires9. » Cet avis était partagé par toutes les autorités politiques locales : les municipalité de Nantes et de Saint-Nazaire et le conseil général de Loire Inférieure avaient déjà défendu l’obligation de l’adjonction d’un second bassin, ce qui conduisit le Ministère des transports à ordonner des travaux d’études après le vote du conseil municipal nazairien en faveur d’une extension dans l’anse alluviale de Penhoët, jouxtant le premier bassin10.

9L’instigatrice de ces démarches était la Compagnie des chemins de fer d’Orléans, en plein essor depuis la fusion des compagnies du Centre, d’Orléans à Bordeaux et de Tours à Nantes. Travaillant à la jonction ferrée Nantes-Saint-Nazaire achevée en 1857, elle désirait un équipement portuaire optimal pour y implanter sa gare maritime, un quai de 235 m à usage exclusif devant lui être réservé. Le problème majeur restait la concurrence entre les vocations militaire et commerciale du site nazairien. Les ministères de la Guerre et de la Marine entendaient fixer le second bassin à l’intérieur de l’enceinte fortifiée et se réserver les 2/5 des quais du nouvel équipement. Construire le second bassin dans l’enceinte fortifiée augmentait les coûts car cela obligeait à s’attaquer à des zones rocheuses. C’était surtout réduire à presque rien la superficie prévue pour la ville et ses activités industrielles et commerciales.

  • 11 René Kerviler, op. cit., p. 42-44.

10Les projets des ingénieurs des ponts et chaussées Wattier et Jégou se ressemblaient car tous deux établissaient la communication des deux bassins par une écluse à sas et prévoyaient l’alimentation par une prise d’eau spéciale sur la rivière de façon à éviter autant que possible les emprunts aux eaux troubles de la mer. Ils ne différaient que par le pertuis d’alimentation pour la prise d’eau, l’établissement de cales à l’intérieur ou à l’extérieur et la position des formes de radoub11. Le quai nord devait être conçu pour recevoir ultérieurement une grande écluse d’accès à un troisième bassin. Obligé d’abandonner l’enceinte fortifiée et ses fossés, le Génie militaire fut soucieux de préserver au mieux ses positions en conservant le tiers de l’espace sur les fronts de mer entre la rade et les bassins.

  • 12 Marthe Barbance, Saint-Nazaire…, op. cit., p. 50. Plan représenté.

11Cependant, d’autres forces économiques privées soutenaient un contre-projet en aval de la pointe du vieux bourg, dans l’anse du grand Traict ouvrant directement sur l’océan. La Société des docks et entrepôts de Saint-Nazaire et Nantes, constituée pour promouvoir l’opération, publia en mai 1858, sous l’autorité de l’ingénieur anglais Lowe, un projet de bassin à darses échelonnées, relié au premier réalisé soit par un canal à travers l’isthme, soit par un chenal maritime protégé par une digue extérieure contournant ce dernier. L’ingénieur des ponts et chaussées Leferme critiqua sévèrement cette dernière solution en soulignant le danger d’envasement de l’entrée du premier port. L’ingénieur Lowe retoucha son travail pour présenter, en mars 1860, un plan décalant le second bassin à flot dans l’ancien golfe du grand marais comblé au sud-ouest de la ville, mieux protégé à l’intérieur du grand Traict. Même si la digue était rapprochée de la côte, cette ouverture maritime maintenait le problème de deux bassins nettement séparés, ce qui fut vivement critiqué par les défenseurs de l’anse de Penhoët. La société des docks et entrepôts présenta cependant son projet en deux temps au ministère des Travaux publics, les 29 mai et 12 juin 1860, en le justifiant par une référence aux équipements de Liverpool12. En intégrant le port ouvert en décembre 1856, on obtenait une ceinture de bassins à flot, de canaux et de voies ferrées formant un arc de sept kilomètres. Le gouvernement refusa en décembre 1860 devant l’énormité des dépenses et la crainte d’une modification du régime des atterrissements et de l’envasement.

Figure. 1. – Projet de la ville nouvelle et de ses deux bassins vers 1862. ADLA 1 Fi Saint-Nazaire, cliché écomusée de Saint-Nazaire.

  • 13 Marthe Barbance, Saint-Nazaire…, op. cit., p. 48.

12L’avant-projet de l’ingénieur Leferme, respectant les obligations de 1858, avait été présenté le 30 janvier 1860, deux mois avant le second projet Lowe. Il plaçait le second bassin dans l’anse de Penhoët, en alignement du premier, en prévoyant une possibilité d’extension par un troisième bassin de docks et de darses dirigé vers l’embouchure du Brivet, petite rivière débouchant dans la Loire. La surface d’eau totale aurait ainsi atteint 48 hectares pour un coût de construction évalué à 40 millions de francs13. Trois formes de radoub (125 mètres sur 25 et 7,5, 85 mètres sur 16 et 7, 113 mètres sur 13 et 4,5) prenaient leur ouverture dans le mur central du côté est du bassin de Penhoët, perpendiculaires à son axe. L’ensemble fut validé le 18 février 1860 par l’ingénieur en chef des ponts et chaussées qui substitua seulement un dock flottant à la plus petite forme de radoub. Les commissions techniques ministérielles validèrent le projet en octobre 1860, en exigeant une extension de la longueur des quais du nouveau bassin, de 1 200 à 2 080 mètres.

Le bassin de Penhoët (1861-1881)

13Tout ce programme fut officialisé dans le décret impérial du 5 août 1861 qui ne retenait du militaire que l’hypothèse d’un réseau de forts détachés. Les fronts de mer bastionnés furent remplacés par de simples parapets de terre continus qui eurent le mérite d’abriter les navires des vents du sud-est. Le ministère approuva le 10 mars 1862 le déplacement des formes de radoub du centre du grand redan, très favorable à la création de docks et d’entrepôts, vers le quai est, assurant de meilleures fondations sur le rocher. En 1870, la digue de fermeture de l’anse était construite, l’écluse bien avancée. La guerre et la défaite contre la Prusse et ses alliés ralentirent le financement et les travaux. Le creusement du second bassin ne fut achevé qu’en 1874, mais l’écluse de jonction, devant servir provisoirement de forme de radoub, avait accueilli son premier paquebot en décembre 1873.

  • 14 Cette institution n’admet pas « que le conseil général de Loire-Inférieure ait le droit d’engager (...)
  • 15 Marthe Barbance, Saint-Nazaire…, op. cit., p. 56-65.

14La situation politique et financière paraissait si incertaine que les entrepreneurs s’étaient portés devant le tribunal administratif pour obtenir la résiliation de leurs contrats, ce qui inquiétait vivement la municipalité de Saint-Nazaire. L’initiative majeure vint du Conseil général de Loire-Inférieure qui résolut en août 1874 de lancer un emprunt destiné à faire une avance à l’État afin de relancer les travaux. Les débats furent difficiles suite aux réticences exprimées par la chambre de commerce de Nantes14, mais ce volontarisme fut appuyé par une majorité de l’assemblée. Ce relais financier permit de relancer la construction avec quelques améliorations dont bénéficièrent les trois formes de radoub qui furent aménagées entre 1878 et 1881. L’inauguration officielle du bassin de Penhoët eut lieu le 8 mai 1881, en présence de Sadi Carnot, ministre des Travaux publics. La possibilité de la création d’une deuxième sortie par le nord grâce à la construction d’un canal de 1 500 mètres était concrétisée dans l’avant-projet livré par l’ingénieur Kerviler, le 23 avril 1881. Le bassin de Saint-Nazaire, avec ses 10,5 ha en eau, avait exigé 10,5 millions de francs ; celui de Penhoët, fort de ses 22,5 ha en eau, 22,5 millions de francs, soit un coût constant à l’unité de surface15. La décision ministérielle du 21 mars 1881 avait rattaché tous les travaux d’aménagement périphérique au service de construction du chemin de fer de Saint-Nazaire à Châteaubriant dont la prolongation vers Le Mans permettait la liaison directe avec Paris. La voie ferrée fut inaugurée le 18 mai 1885, faisant de Saint-Nazaire le port atlantique le plus proche de Paris.

L’avant-port de Nantes : la prépondérance du transbordement

  • 16 René Kerviler, op. cit., p. 202.

15Il est délicat d’établir exactement le mouvement portuaire au XIXe siècle car les statistiques douanières introduisent un biais suite à l’adoption d’un régime particulier dit régime de la Loire16, le 6 décembre 1842. Ce règlement permettait aux destinataires de cargaisons de navires déchargeant à Saint-Nazaire de faire leur déclaration de douane à Nantes car la place nazairienne n’était définie que comme avant-port du centre de commandement. Cela provoquait l’immixtion de courtiers nantais dans les affaires qu’auraient dû traiter leurs confrères nazairiens. Tout ceci entraînait une sous-évaluation de l’importance du transbordement en direction de Nantes. La création d’une chambre de commerce indépendante en 1879 n’y changea rien et il fallut attendre 1902 pour obtenir l’abrogation du régime de 1842, bien que la municipalité nazairienne l’ait demandée depuis 1892.

Tableau 1. – Le mouvement du port.

  • 17 La jauge moyenne s’établissait à 360 tonneaux en 1867, alors qu’elle n’était que de 150 au Havre e (...)

16La reconstitution du mouvement du port montre un bel essor avec un peu plus d’un quintuplement du tonnage en deux décennies, dans un rapport très déséquilibré de trois contre un entre importations et exportations. Cet ensemble plaçait Saint-Nazaire au cinquième rang des ports français en terme de tonnage transporté en 1880, la nouveauté des installations favorisant l’accueil des gros tonnages17. Toutefois, le rapport interne entre trafic maritime et trafic fluvial a évolué défavorablement au profit du dernier, reflétant un manque d’attractivité du port dans le transport international. Deux compagnies de transport par eau ont bien résisté à la concurrence du rail jusqu’en 1875, mais ont ensuite perdu de l’importance en valeur relative (38 % contre 62 % en 1880) malgré une belle progression en nombre de navires et en tonnage transporté. Le nouveau port a connu le basculement de la voile à la vapeur puisque c’est en 1878 que s’établit l’équilibre en terme de nombre de navires, avec toutefois un volume triple de marchandises au bénéfice des seconds.

  • 18 Évolution : 1860 : 124 voiliers pour 23 760 t. ; 1865 : 276 navires (50 % voiliers, 50 % vapeurs) (...)

17L’élément majeur du commerce direct était l’importation du charbon de Cardiff assuré par les grands caboteurs à vapeur de 800 à 1 300 tx qui trouvaient à Saint-Nazaire toutes les facilités18, ce qui concentra sur le port 11 % des importations françaises en 1880. Les compagnies d’Orléans et de l’Ouest distribuaient la houille en direction de la Bretagne et du Poitou, mais aussi dans toute la vallée de la Loire jusqu’à Orléans. En second lieu venaient les importations de bois de Norvège, puis du Canada, dont les principaux destinataires étaient Lorient, mais aussi les villes ligériennes. Progressivement, l’importation des blés américains s’imposa comme la troisième activité, en concurrence avec le guano d’Amérique du sud et les arachides des côtes africaines. Finalement, les entrées coloniales classiques telles que les sucres, le café, l’indigo, le coton, le tabac, qui avaient fait la fortune de Nantes au XVIIIe siècle, ne pesaient plus beaucoup en tonnage, même si leur appréciation en valeur leur conférait un rôle essentiel. Jusque vers 1880, le trafic fut réparti à peu près à égalité entre navires français et étrangers, mais ensuite tout bascula en faveur des seconds.

18La limitation à la fonction de transbordement n’était que la conséquence de l’étroite surveillance à laquelle les milieux d’affaires nantais soumettaient leur nouvel avant-port. N’y étaient débarqués que les produits énergétiques ou les matières premières n’impliquant pas une transformation sur place, mais destinés à une redistribution régionale immédiate, en sus de la consommation locale. L’essentiel des produits agricoles, et principalement les produits coloniaux, passait d’abord par le port de Nantes avant de revenir ensuite sur place. À l’exception de la construction navale, les industriels nantais se gardaient bien d’ouvrir des filiales à Saint-Nazaire et faisaient tout leur possible pour y empêcher toute implantation concurrente. C’est dans l’espoir de desserrer cet étau que le conseil municipal nazairien soutint en février 1876 l’initiative d’ouverture par la compagnie d’Orléans d’une ligne ferroviaire directe en direction de Paris, via Châteaubriant et Le Mans. Sa mise en fonction en 1885 ne produisit pas des résultats à la hauteur des espérances formulées.

Saint-Nazaire dans la distribution des lignes postales transatlantiques

Succès nazairiens dans une première phase

  • 19 Rotier, Notice historique sur la CGT, Paris, décembre 1913.

19Les premières messageries maritimes furent établies en Angleterre à la fin des années 1830. En France, la priorité fut accordée au Levant avec une compagnie fondée dès 1836, mais il était évident qu’il fallait surtout prendre sa place dans l’Atlantique en direction des Amériques, espace majeur des échanges de l’économie mondiale19. La loi du 16 juillet 1840 établit en principe trois lignes postales, dont une pour Saint-Nazaire en direction de Rio-de-Janeiro, Montevideo et Buenos-Aires. C’était une projection dans l’avenir puisqu’il n’existait encore aucun équipement portuaire adapté à l’embouchure de la Loire. Devant la non-concrétisation des objectifs, le gouvernement de Louis-Philippe, dans son projet de loi du 29 mars 1845, demanda aux Chambres l’autorisation de traiter avec des compagnies commerciales pour l’exploitation de quatre lignes principales partant du Havre, de Saint-Nazaire, de Bordeaux et de Marseille. L’affaire s’étant une nouvelle fois enlisée, une relance de 1847 fut presque immédiatement effacée par la Révolution de 1848. Ce ne fut qu’en 1855 que le Second Empire réouvrit le dossier avec un appel d’offres pour la création de trois lignes en direction de New York, des Antilles et du Brésil. Aucune des sept compagnies qui soumissionnèrent ne reçut d’agrément.

  • 20 René Laurent, La Compagnie Générale Transatlantique, Paris, Presses de l’imprimerie transatlantiqu (...)
  • 21 L’argumentation fut défendue par le vice-consul de l’Uruguay E. Callès. Journal de Saint-Nazaire, (...)

20La loi du 17 juin 1857 précisa les conditions en dégageant une subvention de 1,4 million de francs sur 20 ans pour l’établissement de trois lignes : Le Havre-New York, Bordeaux-Brésil et Buenos-Aires, Saint-Nazaire-Antilles, avec prolongements vers le Mexique, l’isthme de Panama et Cayenne. Cette troisième ligne avait été fort convoitée, non seulement par Le Havre et Bordeaux, mais aussi par Lorient et Cherbourg, d’où un lobbying massif auprès de la commission parlementaire20. L’inauguration du nouveau port s’ajouta à l’argument de l’ancienneté des liens commerciaux de Nantes avec les Antilles pour orienter la décision21, mais il paraît évident que l’arbitrage gouvernemental a surtout pris en compte un principe de répartition des activités entre les trois grands ports de l’Atlantique, dans une phase historique où le développement basé sur la première révolution industrielle aboutissait à un net déclin relatif d’une façade maritime qui avait connu une éclatante prospérité au siècle précédent. La ventilation des soutiens sur les trois grands complexes estuariens s’est imposée comme une obligation politique, en dépit des milieux d’affaires du transport maritime qui trouvaient cette dispersion géographique excessive.

  • 22 Henri Moret, op. cit., p. 725-728.

21Une convention du 1er février 1858 confia la gestion des lignes de New York et des Antilles à l’Union maritime, compagnie fortement soutenue par la Compagnie des chemins de fer d’Orléans qui faisait alors pression pour la création d’un second bassin. N’étant pas parvenue à réunir le capital nécessaire à sa mission, l’Union maritime dut se désister le 16 octobre 1860 en faveur d’Émile Pereire, agissant au nom de la Compagnie Générale Maritime, autorisée par décret du 2 mai 1855 « pour travailler au relèvement de la marine commerciale française tombée dans un état d’infériorité en face de l’Angleterre et des États-Unis » selon la formulation du Journal officiel. Cette opération était naturellement appuyée par la Société Générale du Crédit Mobilier, puissante banque d’affaires intéressée par le transport maritime. La convention du 20 octobre 1860 réglant le transfert de soumission fut validée par la loi du 3 juillet et le décret impérial du 22 juillet 186122. Le 25 août 1861, le nouvel opérateur changeait de nom en devenant la Compagnie générale transatlantique. Il s’engageait à mettre en service 16 bâtiments de puissance diverse.

  • 23 La Louisiane et la Floride étaient des navires neufs de 1 800 tonnes de déplacement avec une vites (...)

22L’intervention militaire française au Mexique (décembre 1861) nécessitait des transports de troupes et de matériel. Pour Saint-Nazaire, l’organisation de la première ligne fut précisée par la convention du 17 février 1862 établissant la liaison avec le port de La Vera-Cruz, avec escales en Martinique et à Cuba. L’achat de quatre navires en Grande-Bretagne23 permit au Louisiane d’inaugurer la ligne en sortant du port le 14 avril 1862. C’étaient des bâtiments à coque métallique mus par une machine à vapeur actionnant une hélice. Ils pouvaient respectivement embarquer 210, 152 et 135 passagers pour les deux derniers. Ils pouvaient entrer en réparation à Lorient ou dans les arsenaux voisins.

  • 24 Port de l’État de Panama sur la mer des Antilles, à l’entrée du futur canal interocéanique.
  • 25 Henri Chevreau, Saint-Nazaire, son avenir. Nantes, 1865. Cité par Marthe Barbance, Saint-Nazaire, (...)

23L’hostilité des États-Unis ayant obligé Napoléon III à rappeler ses troupes, une nouvelle convention passée le 17 avril 1865 enregistra la nouvelle donne. La ligne du Mexique se recentra sur les Antilles avec escales à Santander et La Corogne, la liaison vers Vera-Cruz n’étant plus qu’un prolongement plus épisodique. Par contre, un second service vers l’isthme de Panama (port de Colon, plus tard Aspinwall24) fut ouvert en septembre, avec des escales en Martinique et au Vénézuela. Cette destination fut augmentée d’une desserte vers la Nouvelle-Orléans à partir de la Martinique, décision prise en mars 1866 pour une ouverture réelle en février 1867. Cette amplification et cette redistribution conduisirent la compagnie à ouvrir une agence à Fort-de-France en obtenant du ministère des colonies la création de nouveaux quais et équipements pour ses paquebots. En juin 1868, le projet d’une desserte de la côte orientale pacifique de l’Amérique du sud, de Panama à Valparaiso au Chili, vint soutenir les espérances. Prévue pour le 1er janvier 1870, sa mise en service fut repoussée d’un an à cause des préparatifs de guerre contre la Prusse et ses alliés. Le choix de Saint-Nazaire comme tête de ligne transatlantique en direction des Caraïbes et l’Amérique centrale, avec toutes ces connexions, pouvait être perçu comme un facteur particulièrement dynamique pour le développement nazairien puisqu’il confortait le rôle d’entrepôt maritime de la ville en la dégageant partiellement d’une relation de subordination avec Nantes comme avant-port. La politique économique et les arbitrages du Second Empire furent donc très favorables à l’essor nazairien, certainement à cause de l’engagement sans réserve du préfet de Loire-Inférieure, Henri Levreau, qui pensait, dès 1859, le développement du site en référence permanente avec Liverpool. Son mémoire, publié à Nantes en 1865, mérite d’être cité pour caractériser cette ambition25.

« Il faut créer à Saint-Nazaire des entrepôts et des docks ayant pour but le bon marché, semblables à ceux de Liverpool, établis le plus près possible de bassins simples, vastes et spacieux. On y emploiera le plus possible le travail à vapeur avec peu d’employés, mais bien payés. C’est par le bon marché de ses magasinages, de ses manutentions et de ses frets que Saint-Nazaire pourra attirer dans son port les marchandises et les affaires. Il faudrait y organiser un régime de ventes publiques à des époques fixes pour les denrées d’importation. C’est un système qui se pratique depuis plus de cinquante ans à Londres pour les indigos et les thés, à Liverpool pour les cotons, à Amsterdam et à Rotterdam pour les cafés. […] Ce serait le moyen infaillible d’attirer à Saint-Nazaire des masses de marchandises et des acheteurs de l’intérieur de la France et de l’étranger, le moyen de créer de grandes lignes de navires vers l’Asie, l’Amérique et l’Océanie. »

24Misant sur le trajet plus court de trois jours avec la côte nord-est des États – Unis par rapport au Havre, le préfet place de grands espoirs dans le commerce avec cette puissance montante sortant de la guerre civile. « Déjà les services postaux avec l’Amérique centrale ont créé des relations et des richesses nouvelles et se sont assuré une clientèle riche. Il faudra établir à Saint-Nazaire des lignes de clippers de fort tonnage pour les marchandises et les émigrants vers les États-Unis, le golfe du Mexique, les Antilles, La Vera Cruz, La Nouvelle Orléans, le Brésil, l’Océan Pacifique, la Chine, Manille, Sumatra, les Indes orientales, l’Île Bourbon, Madagascar. »

Le blocage et la régression relative de Saint-Nazaire dans une seconde phase

25L’ouverture des pourparlers pour la révision des conventions postales offrit à la Compagnie Générale Transatlantique l’opportunité de relancer le débat initial sur les avantages économiques du regroupement de toutes les lignes dans un même port de départ, dans un contexte de haute concurrence internationale. Lors de l’élaboration de la loi de 1857, ce principe avait déjà été défendu, sans obtenir l’approbation du gouvernement qui, sur le modèle anglais, entendait soutenir l’ensemble des grands ports. Toutes les autorités publiques de la Loire estuarienne faisaient front commun pour défendre cette orientation politique, s’appuyant sur le succès commercial des deux lignes, plus net en ce qui concerne le trafic des marchandises que pour le transport des passagers, plutôt stagnant vers Panama et même en profond déclin après 1866 sur la ligne du Mexique.

Tableau 2. – Importance comparée des deux lignes transatlantiques.

  • 26 L’Avenir de l’arrondissement de Saint-Nazaire, 31-12-1882.
  • 27 Le document rappelle les « refus réitérés de l’Administration supérieure de consentir à l’abandon (...)

26La Compagnie souhaitait regrouper toutes ses lignes au Havre, mais s’était toujours heurtée au refus de l’État comme le mentionne le rapport remis aux actionnaires lors de leur assemblée générale le 28 avril 187326. Une lutte sévère s’enclencha pour la localisation d’un troisième service postal subventionné vers les Antilles demandé par la Compagnie qui déclarait que ses deux départs mensuels avec leurs 2 000 t de capacité étaient insuffisants27. En pointant la faiblesse nazairienne comme port de redistribution à échelle internationale, la CGT proposait de dédoubler la tête de cette troisième ligne entre Le Havre et Bordeaux afin de mieux soutenir la compétition européenne en s’appuyant sur des réseaux commerciaux déjà bien établis. Son argumentation était d’autant plus redoutable qu’elle déclarait accepter une réduction de sa subvention si l’obligation du départ nazairien était abandonnée.

27La menace fut prise très au sérieux par la chambre de commerce de Nantes qui sollicita la protection du ministre du commerce qui écrivit à son collègue des finances pour contrebalancer le poids de l’argument financier. Cette intense mobilisation de juin à décembre 1873, basée sur le maintien du principe de répartition géographique des messageries entre les trois grands complexes portuaires atlantiques, ne parvint pas à contrer les arguments de la compagnie de transport.

  • 28 Délibération de la chambre de commerce du 6 avril 1875.

28La loi du 22 janvier 1874 correspondit à une réduction d’influence pour Saint-Nazaire qui n’obtint pas le troisième service effectivement réparti sur Bordeaux et Le Havre et qui connut même une amputation dans ses connexions annexes à partir des Antilles cédées au nouveau service. Par ailleurs, la ligne de Panama était menacée d’érosion, suite à la fermeture de sa liaison pacifique sur tout le littoral andin jusqu’au Chili. Cet affaiblissement fut même aggravé par la circulaire du 18 février 1875 qui rattachait au troisième service les connexions avec Puerto Rico et Haïti, perte symboliquement très dure à supporter pour les milieux d’affaire nantais étant donné le rôle essentiel de la grande île de Saint-Domingue dans la fortune coloniale du port au XVIIIe siècle28.

  • 29 Délibération de la chambre de commerce du 31 mars 1883.

29Même si l’établissement d’une ligne de transit entre les trois ports français, avec connexion sur Rotterdam et Hambourg, pouvait passer pour une certaine compensation pour les ports de la Loire, l’ouverture de l’agence de la CGT à Bordeaux par le créateur de celle de Saint-Nazaire manifestait symboliquement cette perte d’influence. Les craintes exprimées immédiatement par la chambre de commerce de Nantes allaient être vite confirmées par la politique commerciale de la Compagnie qui refusa à l’agence nazairienne l’extension du privilège accordé à ses agents de Liverpool, Londres et Hambourg de délivrer des connaissements directs pour toutes les destinations desservies par ses paquebots, quel que fut leur point de départ29.

  • 30 En 1883, pour le trafic avec les Antilles, les coûts d’exportation revenaient à 45 francs le m3 au (...)

30Progressivement, le marché de l’Amérique centrale et des Caraïbes se dérobait pour Saint-Nazaire suite à l’ouverture en 1877 d’une liaison Marseille-Antilles, via Barcelone, Cadix et Ténériffe, avec connexion ultérieure vers la Nouvelle-Orléans, puis Colon et ensuite La Havane. Le déclassement fut confirmé par la défaite qui sanctionna l’échec du lobbying massif engagé lors de la création du quatrième service atlantique pour les Antilles en 1883. Malgré des interventions de toutes les autorités locales en direction de tout ce qui comptait à Paris, soutenues par une manifestation de la population nazairienne conduite par le maire en personne, la nouvelle ligne fut de nouveau attribuée au couple Bordeaux-Le Havre, avec une simple escale à Saint-Nazaire. Par ailleurs, la politique fiscale étatique tendit à concentrer les trafics sur les ports du Havre et de Bordeaux, en abaissant leur coût de fret30.

L’impact sur le développement urbain

31Même si les réalités n’ont pas confirmé les espérances initiales, l’attribution de deux lignes en direction des Antilles avec prolongation vers le Mexique et surtout Panama a contribué à soutenir l’essor de la ville naissante. Le soutien au mouvement portuaire est demeuré marginal car les chiffres de passagers et de marchandises ont stagné au niveau de la fin des années 1860, les progrès sur la ligne de Panama servant à compenser l’effritement sur celle du Mexique. L’ensemble ne dépassait pas 1 % des entrées et 10 % des sorties en terme de tonnage, certainement plus en valeur. Jamais le complexe portuaire Nantes-Saint-Nazaire n’est parvenu à jouer le rôle d’entrepôt qui l’aurait imposé dans le schéma des messageries françaises. L’explication est à chercher dans les mutations considérables qui ont présidé à la redistribution géographique des activités économiques sur le territoire français au XIXe siècle. Toute la façade atlantique a pâti de son éloignement des mines de charbon et de fer ; les intérêts nationaux interdisant le développement d’une sidérurgie portuaire sur charbon et minerais importés. Le Havre s’est doublement imposé comme le port d’approvisionnement de l’agglomération parisienne et des liaisons entre la France et les États-Unis. Bordeaux, relativement protégé par son éloignement de Paris et du Nord-Est, bien assis sur le commerce de ses vins, s’est mieux maintenu comme porte d’entrée et de sortie pour le grand quart sud-ouest français. Par rapport à son rôle du XVIIIe siècle, Nantes a largement perdu sa fonction de second pôle d’approvisionnement de Paris comme en témoigne le déclin de la ville d’Orléans, mais aussi de sortie fluviale de toute la partie nord du Massif Central, l’achèvement des connexions par canaux avec la Seine et le Rhône, renforcé ensuite par l’étoile ferroviaire centrée sur Paris, réorientant bien des trafics vers Lyon et Marseille et la capitale.

32Les apports essentiels de la présence des messageries sont à chercher dans deux fonctions majeures et complémentaires pour le devenir de Saint-Nazaire : la forme du port et l’installation des constructions navales.

  • 31 Forme 1 : 140 m de longueur, 25 m de largeur, 7,5 m de profondeur. Forme 2 : 150 m, 18 m, 7,5 m. F (...)

33Dans la conception du premier bassin à flot de 10,5 hectares, il était prévu que le tiers devait être réservé aux besoins de la marine militaire ou aux paquebots transatlantiques. Considérant que l’écluse du bassin de la Floride au Havre avec ses 21 m était à peine suffisante pour les grands bâtiments à vapeur transatlantiques, on pensa l’établir à 27 m en 1852, finalement réduit à 25 m par décision ministérielle du 19 novembre 1853. La décision d’attribuer à Saint-Nazaire les deux lignes des Antilles en juin 1857 pesa très lourd sur la conception du second bassin. Le ministère précisa dès le 24 juin 1758 que l’écluse assurant la jonction entre les deux bassins devait être construite en premier lieu, avec un sas droit d’au moins 25 m de largeur et 130 m de long, de manière à servir provisoirement de forme sèche et de radoub pour les paquebots transatlantiques. Le bassin spécial aux paquebots et à la marine militaire ne devait plus être rejeté au nord-est dans la vasière, mais placé en plein rocher dans le milieu du côté occidental. L’écluse dotée d’une paire de portes métalliques de 25 m à deux vantaux, adjugée à la compagnie des Forges et Aciéries de l’Océan récemment rétablie par la CGT, accueillit son premier paquebot en décembre 1873. Les travaux furent complétés par l’adjonction de deux autres paires de portes métalliques et l’installation d’un pont roulant à deux voies prévu pour traverser l’écluse d’une seule volée, au lieu d’un pont tournant qui aurait causé une gêne considérable. Ce type d’installation, imité de la technique anglaise, mis en place en 1883, était à cette date une première en France. L’impact fut aussi déterminant sur la construction des formes de radoub. À partir de l’expérience concrète acquise dans l’écluse de Penhoët utilisée comme forme provisoire, on modifia l’aménagement intérieur. Les dimensions initiales prévues en 1878 furent revues à la hausse31, surtout pour la troisième forme édifiée en 1880-1881, spécialement destinée à l’usage des transatlantiques

  • 32 Daniel Sicard, « L’espace industriel des chantiers navals de Saint-Nazaire : caractéristiques d’un (...)

34Le contrat signé avec l’État imposait à la CGT de composer sa flotte pour moitié de bateaux français. En décembre 1861, elle décida l’implantation d’un chantier de construction navale à Saint-Nazaire, mission confiée à une entreprise écossaise Scott et Cie. L’essor du chantier de Penhoët fut rapide puisqu’il disposait de quatre cales et rassemblait 1 800 ouvriers dès 186332. Il en sortit cinq paquebots avec des machines à vapeur construites au Creusot (Schneider), les quatre premiers propulsés par des roues, le dernier à hélice, premier exemple en France. Pourtant, l’entreprise fit faillite en 1867. La CGT choisit alors de traiter avec la Société des Chantiers de l’Océan, basée à Bordeaux, qui lança le Ville de Brest en 1870 (2 676 tonneaux de jauge, moteur de 2 600 chevaux), premier navire à deux hélices construit en France. L’activité s’interrompit. Ce fut la politique volontariste de l’État pour relancer le transport maritime français, concrétisée dans la loi du 25 août 1881, qui décida la CGT à relancer son site de construction navale nazairien. Il s’agissait d’un plan ambitieux pour un grand équipement sur 100 000 m2 de surface, disposant de 7 cales de construction et prévoyant 7 000 m2 d’ateliers. La mise en place fut réalisée sous la direction de l’ingénieur Andrade, sous le contrôle de la Société des Chantiers de l’Océan.

Une ville-port à croissance rapide difficilement maîtrisée

Une première urbanisation mal contrôlée jusqu’en 1863

  • 33 Daniel Sicard, « Les projets de fortifications de Saint-Nazaire au XIXe siècle ou les tentatives d (...)

35Les trois plans d‘alignement demandés par la municipalité de Saint-Nazaire n’ont été officialisés par l’État qu’en 1863. Cette absence de reconnaissance est la conséquence directe des hésitations sur le degré d’importance militaire à conférer au nouveau port et des luttes d’influence que se sont livrées les services du Génie militaire et des ponts et chaussées33. Pendant quinze ans, le maire et son conseil municipal se sont donc trouvés en difficulté pour encadrer réellement les initiatives privées, leurs divers schémas d’aménagement urbain ne disposant pas du caractère d’obligation juridique.

  • 34 ADLA, 7.0.56. Saint-Nazaire, voirie urbaine.

36La municipalité dirigée le médecin Guillouzo, venu s’installer à Saint-Nazaire en 1847 et maire de 1848 à 1870, disposait pourtant dès le 8 mars 1848 du premier plan d’alignement élaboré à sa demande par l’ingénieur en chef des ponts et chaussées Jégou34. Son travail était directement influencé par celui des ingénieurs militaires qui avaient déjà proposé deux tracés depuis 1847, dans une vision prioritaire de port militaire protégé par une enceinte fortifiée. Le premier avait retenu 34 ha pour une petite ville de 6/8 000 habitants ; le second avait même réduit la surface à 29 ha pour une ville de 8/10 000 habitants. Le plan Jégou, réalisé à partir de ces données, était une sorte de compromis prévoyant 7/9 000 habitants sur 30 ha à installer selon un plan classique totalement orthonormé construit à partir de la forme du premier bassin à flot, avec des rues parallèles et perpendiculaires. Lorsqu’en août 1850, le ministère de la Guerre ne retint pas le projet de l’enceinte fortifiée, la municipalité en profita pour solliciter l’homologation de son plan de ville et, devant la non-réponse du gouvernement, en adopta officiellement les dispositions le 18 août 1851 car la non-réglementation gênait doublement le développement de la ville, en freinant l’arrivée des nouveaux acteurs économiques – individus et entreprises qui hésitaient à s’installer devant tant d’incertitude sur le devenir exact de la ville – et ouvrant la porte à une installation sauvage, au gré des propriétaires qui se basaient sur le cadastre napoléonien sans se soucier outre mesure de la prévision des nouvelles rues. La municipalité ne restait cependant pas inactive, lançant la construction du nouvel hôtel de ville en 1850, au bout de la rue Villès-Martin ouverte en 1852, tracée dans le prolongement vers l’ouest du côté sud du bassin à flot, considérée alors comme l’axe ordonnateur du développement urbain.

37Les années 1850 voient l’apparition de la nouvelle ville dont l’émergence se lit dans la ventilation du mouvement général de la population. En 1836, la population communale d’environ 4 000 habitants était au trois quarts rurale, le vieux bourg regroupé autour de son église au bout de l’isthme séparant la Loire de l’océan rassemblant surtout des actifs liés au trafic maritime et estuarien, dominés par les pilotes et les douaniers. En 1851, la population agglomérée s’est renforcée, mais le vieux bourg (1 169 habitants) domine encore la nouvelle ville (791 habitants) formée principalement de baraques en bois, souvent appelées « cases », dressées hâtivement autour du chantier. En 1857, la population urbaine devient majoritaire dans la population globale.

  • 35 ADLA, 7.0.56. Saint-Nazaire, voirie urbaine.

38Devant cet afflux de population et l’aspect désordonné de l’extension de l’espace urbain qui a valu à Saint-Nazaire l’appellation de « petite Californie bretonne » selon René Fourcade dans la Revue des Deux Mondes en 1858, la municipalité a demandé à l’ingénieur des ponts et chaussées Alexandre Wattiez d’améliorer l’ancien plan d’alignement. Son projet, livré le 1er février 1854, n’a pas pu toutefois se libérer du corset dans lequel le Génie militaire tenait enfermé le devenir urbain35, et qui prétendait récupérer de l’espace près du bassin pour la création d’une place d’armes nommée Napoléon. La surface laissée à la ville tombait même à son point le plus bas, avec seulement 25 hectares. Ses propositions se limitaient donc à une modification du tracé des rues perpendiculaires pour obtenir une réduction du déversement des eaux pluviales dans le port et à centrer le cœur de ville autour de la place du Bassin, formé sur son côté sud, au départ de la rue Villès-Martin. Le plan fut approuvé par le préfet le 14 décembre 1855, sans que le gouvernement ne confirme cette validation.

Figure. 2. – Extrait du plan cadastral du canton de Saint-Nazaire. Plan réalisé par J.-F. Pinson, publié par Charles de Tollenare, 1855. ADLA 7.0.56. Cliché Écomusée de Saint-Nazaire.

  • 36 ADLA, Fi Saint-Nazaire 2.

39En 1857, alors que s’initiaient les projets d’étude du second bassin et qu’était inaugurée la ligne de chemin de fer reliant Nantes, l’ingénieur des ponts et chaussées Leferme était chargé par la municipalité de penser un troisième plan de développement à l’échelle des nouveaux équipements portuaires. La priorité affichée à la création d’un grand port de commerce permit de changer totalement de dimensions en éliminant le cadre asphyxiant de l’enceinte fortifiée. Son schéma d’aménagement (17 octobre 1858) couvrait 150 hectares36, soit une multiplication par cinq ou six par rapport aux projets antérieurs, pour une ville d’environ 25 000 habitants, niveau atteint au milieu des années 1890. La nouvelle délimitation à l’ouest était donnée par un boulevard en arc permettant de joindre les côtés sud et nord. Outre ce changement d’échelle, la principale mutation résidait dans le déplacement de la colonne vertébrale de la ville vers le nord, pour tenir compte du futur bassin de Penhoët et de l’hypothèse de sa prolongation par un troisième bassin. Ainsi, l’axe ordonnateur de développement glissait de la rue Villès-Martin, prolongement du côté sud du premier bassin, à la rue de la Paix, ouverte en 1859, tracée en perpendiculaire de l’axe central de ce même bassin, en prolongement de la zone réservée aux transatlantiques. La nouvelle place du Prieuré (ensuite Marceau), ainsi nommée car on voulait l’orner de l’église principale de la ville (Saint-Gohard, 1873), décalait logiquement la future centralité urbaine. L’ingénieur conservait la place Napoléon, mais en la redéfinissant comme carrefour d’organisation de la circulation et d’accès à la gare de voyageurs, simplement livrée en 1866.

Figure. 3. – Plan d’alignement de la ville de Saint-Nazaire dressé par l’ingénieur Leferme, 20 juin 1862. ADLA 7.0.56. Cliché Écomusée de Saint-Nazaire.

  • 37 Daniel Sicard, Saint-Nazaire, un exemple d’urbanisme volontaire de 1848 à 1960, mémoire dactylogra (...)

40Ce projet fondant vraiment pour la première fois l’avenir de la ville sur son essor comme grand port commercial atlantique rencontra non seulement les critiques attendues du Génie militaire, mais aussi des familles anciennement installées sur la commune, propriétaires des terrains à construire, pourtant largement bénéficiaires du quintuplement de surface, certaines déjà largement enrichies par la vive spéculation foncière, qui trouvaient cependant que le plan était trop généreux pour les espaces publics, restreignant ainsi leur profit par les obligations de l’expropriation. Bien que ces familles rurales anciennes fussent bien représentées dans la municipalité, celle-ci adopta le plan Leferme le 5 décembre 1858, toujours sans officialisation gouvernementale ultérieure. Après que l’ingénieur ait corrigé son projet en 1859 en introduisant quelques rues en diagonale pour « briser l’aspect triste et monotone du parallélisme », les années 1860-1861 se passèrent en négociations avec le Génie militaire qui obtint un élargissement du boulevard de ceinture à 40 mètres, sa prolongation jusqu’à la rivière Brivet et l’aménagement d’une place d’armes en son milieu, au point de rencontre avec le prolongement de la rue de la Paix. La municipalité put ainsi valider son troisième plan d’urbanisme le 26 mars 1862, puis en solliciter la reconnaissance par l’État en juin suivant. Il fallut encore un an pour que Napoléon III, qui avait ordonné la construction du second bassin de Penhoët dans son décret du 8 août 1861, se décide à arbitrer en faveur d’une ville portuaire à fonction commerciale, en lui conférant l’obligation réglementaire dans son décret du 30 juin 186337.

Une lente affirmation des autorités publiques

41La municipalité disposait dorénavant de l’outil juridique indispensable pour prétendre mener à bien sa politique de développement urbain. Il était grand temps car elle devait affronter des problèmes croissants de police urbaine liés à une poussée rapide de la population dans la ville nouvelle. L’indice d’entassement, représentant la moyenne du nombre d’habitants par maison révèle l’accumulation des travailleurs du port dans la zone neuve au plus proche du chantier.

* Moyenne du nombre d’habitants par maison.
Tableau 3. – Le décollage démographique urbain de Saint-Nazaire.

  • 38 Daniel Sicard, La naissance d’une ville : le développement de Saint-Nazaire de 1789 à 1870, mémoir (...)

42Pourtant, l’établissement de son autorité ne fut pas immédiat car elle dut composer avec des projets immobiliers de grande taille menés par des sociétés privées et imposer son droit à tous les propriétaires qui avaient construit leurs édifices sans se soucier du schéma de voirie des trois plans d’alignement. Autant, il pouvait paraître assez aisé de faire disparaître toutes les baraques de planches qui avaient poussé dans tous les lieux, même sur les places publiques, autant il était plus délicat de faire détruire des maisons ou des immeubles en pierre, qu’ils soient résidentiels ou de travail. Les contestations, les négociations, les procès furent très nombreux et ralentirent les opérations38. Finalement la municipalité tira profit de revers financiers de sociétés immobilières spéculatives et aussi des difficultés financières liées à la guerre de 1870-1871 et à ses conséquences politiques qui provoquèrent un fort ralentissement des travaux du port, d’où une contraction sensible de la population d’environ 17 900 habitants en 1866 à 14 000 en 1874. Elle parvint également dans ce même temps à augmenter de manière stratégique le potentiel de développement urbain en adjoignant aux fonctions économiques portuaires un rôle administratif majeur en obtenant le transfert de Savenay à Saint-Nazaire de la sous-préfecture du premier arrondissement de la Loire-Inférieure en janvier 1868, incluant le tribunal d’instance. Cela récompensait une offensive ouverte en 1860 et maintes fois renouvelée depuis. Cela couronnait la volonté d’implanter de véritables services urbains à hauteur des ambitions affichées, tels qu’un hôpital ouvert en 1867, des halles et des abattoirs installés en 1871.

43Le premier problème de construction d’une plus grande cohérence urbaine vint très vite avec un énorme projet urbanistique privé soumis à la municipalité par le riche armateur et banquier Alphonse Cézard en février 1863, puis de manière nettement plus élaborée le 24 février 1864. Appuyé sur des réseaux financiers extérieurs et sur une société de promotion qui finit par prendre le nom de Société de Commerce de France en 1865, il proposait une extension de la ville vers le sud-ouest, à la rencontre de la mer, sur l’emplacement du contre-projet Lowe de création du second bassin. L’ingénieur Leferme avait rencontré une réelle opposition alternative dans certains milieux d’affaire lors de la conception du second bassin de Penhoët. S’agissait-il d’une sorte de résurgence sur la forme à donner à la ville ? La municipalité ne l’entendit pas ainsi, en considérant ce projet comme une ampliation et une accélération du développement nazairien qui ne contredisait pas les orientations fondamentales du plan d’urbanisme. Cette juxtaposition de tout un nouveau quartier aux côtés de la ville prévue était en effet conforme à la lecture socio-économique de l’espace de l’ingénieur basée sur une opposition assez classique entre une zone sud et ouest, tournée vers la mer, résidentielle et bourgeoise, et une zone est et nord, centrée sur le port et la Loire, active et ouvrière. Le projet dressé par l’ingénieur Opperman dessinait un quartier d’habitations dans un paysage de verdure, avec tous les équipements basiques de quartier autonome, augmentés toutefois d’équipements culturels qui pouvaient prétendre ajouter à la ville une nouvelle fonction balnéaire. Le contrat stipulait que la ville se chargeait de la voirie et que tout le reste des équipements publics était à la charge des promoteurs qui devaient rentabiliser l’opération par la vente des terrains disposés dans 84 îlots à construire. L’opération ne se fit pas car la société fut entraînée dans la faillite du Crédit mobilier, la célèbre banque d’affaires des frères Pereire sous le Second Empire. Il fallut attendre 1884 pour une relance de l’urbanisation sous forme différente à partir de l’implantation de la sous-préfecture.

Une forme urbaine née du port

  • 39 Daniel Sicard, « L’industrie navale et le développement de la ville de Saint-Nazaire, 1862-1939 », (...)

44Il apparaît assez logique que la forme première de la ville soit née du port pour une double raison structurelle : la position du premier bassin, qui a prévalu au choix de l’emplacement du second bassin dans son prolongement vers le nord, a préexisté à la naissance de la ville nouvelle, et ce sont les mêmes ingénieurs des ponts et chaussées qui ont dressé en parallèle, et finalement en anticipation, les plans du port et de la ville. La présence de l’ancien bourg, même si ce dernier a été rapidement marginalisé du point de vue fonctionnel, n’a pas été sans effet puisqu’elle a imposé le premier axe de développement urbain, en privilégiant le côté sud du premier bassin, avec la place du Bassin comme jonction entre vieux bourg et ville nouvelle et la rue Villès-Martin comme ligne d’expansion vers l’intérieur pour tout ce qui relevait de la direction du commerce et des services, puis de l’administration. C’est en 1867 que cette dernière est prolongée vers l’ouest au-delà de la place de Nantes. La grande longueur intérieure du premier bassin, doublée par la voie de chemin de fer reliant à Nantes, a donné l’axe de croissance du travail portuaire et des transports en direction du nord, entraînant dans son élan toutes les activités industrielles et de services induites, ce qui s’est rassemblé sur la rue de Nantes, la plus longue de la ville. Le choix de l’anse de Penhoët pour le second bassin a simplement légèrement déplacé l’axe central d’expansion perpendiculaire au port au profit de la rue de la Paix, mutation fort lente qui ne devint vraiment opératoire qu’avec le plan de 190539. Le lieu reconnu comme cœur de ville a ainsi lentement migré de la place de Nantes à la place du Prieuré, au croisement des axes fondateurs.

*

45Ce schéma urbain a mis du temps à s’imposer devant une occupation assez irrégulière de l’espace urbain car il lui a fallu quinze ans pour acquérir la force de la contrainte réglementaire. Ce caractère de front pionnier lui est venu des hésitations de l’État quant à la définition des priorités fonctionnelles de la ville-port et du flux massif de migrants venus s’embaucher pour le creusement des bassins, auxquels se sont rajoutés les appétits de la spéculation foncière de la population originaire ou des groupes de financiers intéressés par les opérations immobilières. Il en est resté des séquelles avec une dispersion géographique des édifices publics et une absence d’ampleur dans la voirie surprenante pour une ville postérieure au modèle hausmannien : les places de Nantes et du Prieuré (réalisée en 1878) sont demeurées limitées et la place Napoléon n’a jamais vu le jour. Pourtant la rue de Nantes et la rue de la Paix sont restées les deux axes structurants du développement nazairien jusqu’à la Seconde Guerre mondiale. C’est la nouvelle logique urbanistique de la reconstruction qui a coupé l’expansion urbaine de sa matrice portuaire, avant que le projet actuel Ville-Port, engagé dans les années 1980, n’entende refonder sur de nouvelles bases cette dynamique initiale.

Notes

1 Classification retenue pour les villes britanniques par Peter Clark (dir.), The Cambridge Urban History of Britain, Cambridge, CUP, 2000-2001, 3 tomes. Curieusement, la récente Histoire de l’Europe urbaine ne s’intéresse guère à cette entrée comme en témoigne son index thématique qui ne retient que « villes de résidence, villes frontières, villes industrielles, villes marchés et villes minières ». Jean-Luc Pinol (dir.), Histoire de l’Europe urbaine, t. ii, De l’Ancien Régime à nos jours, Paris, Le Seuil, 2003. Rapide mention, p. 53.

2 Daniel Sicard, « Saint-Nazaire », catalogue d’exposition, L’estuaire de Nantes à Saint-Nazaire. Histoire d’un port, Nantes, musée du Château des ducs de Bretagne, 1987, p. 147-167.

3 Bernard Michon, L’aire portuaire de Nantes aux XVIIe et XVIIIe siècles, thèse d’université, Nantes, 2005, 2 tomes dactylographiés. Édition remaniée aux Presses universitaires de Rennes en 2011.

4 Anne Vauthier-Vezier, L’estuaire et le port. L’identité maritime de Nantes au XIXe siècle, Rennes, PUR, 2007.

5 Marthe Barbance, Histoire de la Compagnie générale transatlantique. Un siècle d’exploitation maritime, Paris, Arts et Métiers graphiques, 1955.

6 Marthe Barbance, Saint-Nazaire, le port, la ville, le travail, Moulins, Crépin-Leblond Éd., 1948, p. 39.

7 René Kerviler, « Notice sur le port de Saint-Nazaire », dans Notices des ports de France, 1881, t. v, p. 30-31.

8 Daniel Sicard, « La création du port de Saint-Nazaire, un siècle de travaux (1835/1935) », Revue 303, no 3, p. 10-23.

9 Henri Moret, Histoire de Saint-Nazaire et de la région environnante, Bruxelles, Éd. Culture et Civilisation, 1925, p. 704.

10 Il existait 1 607 mètres de quais utilisables pour le commerce dans le premier bassin. L’encombrement dépassait largement les normes admises (250 tonnes par mètre) et cela ne fit que s’aggraver passant de 320 tonnes par mètre en 1865, à 357 tonnes en 1872 et 650 tonnes en 1880. L’ouverture de Penhoët fit passer à 4 091 mètres de quais, ce qui fit redescendre à 350 tonnes par mètre.

11 René Kerviler, op. cit., p. 42-44.

12 Marthe Barbance, Saint-Nazaire…, op. cit., p. 50. Plan représenté.

13 Marthe Barbance, Saint-Nazaire…, op. cit., p. 48.

14 Cette institution n’admet pas « que le conseil général de Loire-Inférieure ait le droit d’engager pour vingt ans le commerce nantais dans une combinaison financière dont Saint-Nazaire recueillera exclusivement le bénéfice et qui semble impliquer l’abandon de la Loire maritime, l’abandon du port de Nantes ».

15 Marthe Barbance, Saint-Nazaire…, op. cit., p. 56-65.

16 René Kerviler, op. cit., p. 202.

17 La jauge moyenne s’établissait à 360 tonneaux en 1867, alors qu’elle n’était que de 150 au Havre et de 330 à Liverpool, le port de référence. Cela signifiait une forte proportion de navires de mer à voiles ou à vapeur de 2 000/3 000 tonneaux, dans une flotte où ceux jaugeant autour de 1 000 tonneaux étaient très banalisés.

18 Évolution : 1860 : 124 voiliers pour 23 760 t. ; 1865 : 276 navires (50 % voiliers, 50 % vapeurs) pour 90 796 t. ; 1880 : 389 navires (98 % vapeurs) pour 426 433 t.

19 Rotier, Notice historique sur la CGT, Paris, décembre 1913.

20 René Laurent, La Compagnie Générale Transatlantique, Paris, Presses de l’imprimerie transatlantique, 1959, p. 6-9.

21 L’argumentation fut défendue par le vice-consul de l’Uruguay E. Callès. Journal de Saint-Nazaire, 22/02/1858.

22 Henri Moret, op. cit., p. 725-728.

23 La Louisiane et la Floride étaient des navires neufs de 1 800 tonnes de déplacement avec une vitesse de 11 nœuds. La Vera Cruz et Tampico, de construction récente, affichaient 1 200 tonnes et 10 nœuds. C’étaient des bâtiments à coque métallique mus par une machine à vapeur actionnant une hélice. Ils pouvaient respectivement embarquer 210, 152 et 135 passagers pour les deux derniers.

24 Port de l’État de Panama sur la mer des Antilles, à l’entrée du futur canal interocéanique.

25 Henri Chevreau, Saint-Nazaire, son avenir. Nantes, 1865. Cité par Marthe Barbance, Saint-Nazaire, op. cit., p. 71.

26 L’Avenir de l’arrondissement de Saint-Nazaire, 31-12-1882.

27 Le document rappelle les « refus réitérés de l’Administration supérieure de consentir à l’abandon des ports de la Loire », tout en valorisant les efforts « qui rendront moins sensible à la Compagnie l’impossibilité où elle s’est trouvée de reporter au Havre les deux lignes de Saint-Nazaire et d’y concentrer tout son établissement naval ». Marthe Barbance, Saint-Nazaire…, op. cit., p. 80.

28 Délibération de la chambre de commerce du 6 avril 1875.

29 Délibération de la chambre de commerce du 31 mars 1883.

30 En 1883, pour le trafic avec les Antilles, les coûts d’exportation revenaient à 45 francs le m3 au Havre contre 50 à Saint-Nazaire, les coûts des importations à 67,5 francs à Nantes contre 62,5 francs au Havre.

31 Forme 1 : 140 m de longueur, 25 m de largeur, 7,5 m de profondeur. Forme 2 : 150 m, 18 m, 7,5 m. Forme 3 : 150 m, 13 m, 5 m.

32 Daniel Sicard, « L’espace industriel des chantiers navals de Saint-Nazaire : caractéristiques d’un aménagement estuarien entre 1862 et 1942 », Archéologie industrielle, no 14, 1986, p. 29-50.

33 Daniel Sicard, « Les projets de fortifications de Saint-Nazaire au XIXe siècle ou les tentatives d’enfermement d’une ville nouvelle », Vision contemporaine, université de Nantes, 1987.

34 ADLA, 7.0.56. Saint-Nazaire, voirie urbaine.

35 ADLA, 7.0.56. Saint-Nazaire, voirie urbaine.

36 ADLA, Fi Saint-Nazaire 2.

37 Daniel Sicard, Saint-Nazaire, un exemple d’urbanisme volontaire de 1848 à 1960, mémoire dactylographié, écomusée Saint-Nazaire, 1990.

38 Daniel Sicard, La naissance d’une ville : le développement de Saint-Nazaire de 1789 à 1870, mémoire dactylographié, écomusée Saint-Nazaire, 1990, 25 p.

39 Daniel Sicard, « L’industrie navale et le développement de la ville de Saint-Nazaire, 1862-1939 », dans Saint-Nazaire et la construction navale (Actes du colloque de 1990), Saint-Nazaire, Écomusée éd., 1991, p. 52-61.

Table des illustrations

Légende Figure. 1. – Projet de la ville nouvelle et de ses deux bassins vers 1862. ADLA 1 Fi Saint-Nazaire, cliché écomusée de Saint-Nazaire.
URL http://books.openedition.org/pur/docannexe/image/123696/img-1.jpg
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Légende Tableau 1. – Le mouvement du port.
URL http://books.openedition.org/pur/docannexe/image/123696/img-2.jpg
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Légende Tableau 2. – Importance comparée des deux lignes transatlantiques.
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Légende Figure. 2. – Extrait du plan cadastral du canton de Saint-Nazaire. Plan réalisé par J.-F. Pinson, publié par Charles de Tollenare, 1855. ADLA 7.0.56. Cliché Écomusée de Saint-Nazaire.
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Légende Figure. 3. – Plan d’alignement de la ville de Saint-Nazaire dressé par l’ingénieur Leferme, 20 juin 1862. ADLA 7.0.56. Cliché Écomusée de Saint-Nazaire.
URL http://books.openedition.org/pur/docannexe/image/123696/img-5.jpg
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Légende * Moyenne du nombre d’habitants par maison.Tableau 3. – Le décollage démographique urbain de Saint-Nazaire.
URL http://books.openedition.org/pur/docannexe/image/123696/img-6.jpg
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