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Vers l’armée nationale

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Annie Crépin

Première partie. Les levées du Directoire en Seine-et-Marne

Chapitre I. La Seine-et-Marne post-fructidorienne

Texte intégral

L’esprit public en Seine-et-Marne après le coup d’État

  • 1 Jean-René Suratteau, « Les élections de l’an V… », op. cit., p. 44.
  • 2 Achille Étienne Marie Gigault de Crisenoy (1756-1802), avocat au Parlement puis maître des requête (...)
  • 3 Jean Pierre Rataud (1752-1831), propriétaire à Montereau, en devient le premier maire. Il est élu (...)
  • 4 Vincent Marie Viénot de Vaublanc (1756-1845), officier de l’armée royale, acquiert une propriété à (...)

1C’est après le coup d’État du 18 fructidor an V (4 septembre 1797) que commencent les discussions qui vont aboutir au vote de la loi Jourdan. Cette période ne marque pas une rupture pour la Seine-et-Marne même si, au lendemain du coup d’État, elle se retrouve parmi les quarante-neuf départements dont les élections sont annulées1. Gigault de Crisenoy2 et Rataud3 qui représentaient la Seine-et-Marne, le premier au Conseil des Anciens, le second aux Cinq-Cents, sont donc exclus de ces assemblées et Viénot de Vaublanc4, élu de la Seine-et-Marne en l’an IV, est frappé de déportation.

2Si le coup d’État met fin, mais seulement dans une certaine mesure, aux espoirs qu’avait pu concevoir la minorité royaliste, il n’en ranime pas pour autant l’ardeur de la population du département dont la grande majorité garde son apathie coutumière. Le nouveau commissaire du Département, l’énergique Mathieu, ancien chef du bureau des Émigrés du District de Nemours, devenu ensuite commissaire du Pouvoir exécutif auprès du tribunal correctionnel de Fontainebleau, en convient dans le premier rapport qu’il adresse au ministre de l’Intérieur, au cours de la première décade de nivôse an VI.

  • 5 Arch. nat., F1c III Seine-et-Marne 6, an VI-1852, Premier rapport au ministre de l’Intérieur de la (...)

« Si l’on entend par esprit public cet amour ardent de la liberté, cet attachement de préférence au système social adopté par la Nation, le concours de toutes les volontés et de tous les efforts à la maintenir, ce dévouement généreux qui fait toujours céder l’intérêt particulier à l’intérêt général, il faudra convenir qu’il y a peu d’esprit public dans le département de Seine-et-Marne. L’insouciance y domine, la masse du peuple y est fanatique par entêtement sans être religieuse par principe. Son inaptitude aux fonctions publiques et son indifférence pour l’exercice des droits de citoyen favorisent puissamment les menées des royalistes qui, par ce fait, se trouvent les plus forts dans les assemblées patriotiques quoique leur nombre soit réellement inférieur à celui des Républicains. […] La journée du 18 Fructidor a produit plus d’hypocrisie que de conversions sincères. […] Les paysans sont dans une profonde ignorance, sensibles aux prêtres catholiques [mais] je ne saurais me persuader que les habitants des campagnes puissent jamais perdre de vue tout ce qu’ils ont gagné à la Révolution et tous les avantages que leur procure encore le régime constitutionnel5. »

  • 6 Simon Nicolas Guyardin (1760-1842), vicaire épiscopal dans l’évêché de Meaux, est élu député suppl (...)

3Il est vrai que cette apathie était plutôt absence de volonté que mauvaise volonté et que, même s’il existait une certaine dose d’opportunisme chez les administrateurs du Département et leurs commissaires – ils cherchaient à accepter le fait accompli et certains n’avaient pas encore été destitués –, leur constat immédiat n’était pas dépourvu de vérité. Très peu de temps après le coup d’état, le commissaire Guyardin6, prédécesseur de Mathieu auprès de l’administration centrale, écrit au ministre de l’Intérieur :

  • 7 Arch. nat., F1c III Seine-et-Marne 10, Lettre du commissaire du Pouvoir exécutif près de l’adminis (...)

« Le tableau qu’elle [l’administration centrale] vous fera de la situation de ce département sera sans doute au-dessous du portrait digne d’envie que vous tracez du département des Vosges mais il sera encore plus éloigné de l’affreuse peinture de la situation de plusieurs départements. Ici, nous n’avons à déplorer aucun de ces crimes dont le royalisme a souillé d’autres contrées malheureuses7. »

  • 8 Ibid., Lettre des administrateurs de Seine-et-Marne au ministre de l’Intérieur, 22 fructidor an V.

4Deux jours après, les administrateurs confirment ces remarques au ministre : « La plus grande tranquillité règne dans notre ressort8. »

  • 9 André Lalande était géomètre quand éclata la Révolution. Sergent de la garde nationale de Boissise (...)
  • 10 Nicolas Michel Foix, prévôt de Chaumes, devient membre du directoire du District de Melun en 1790 (...)
  • 11 Amable Jacques Babée, originaire de Provins, élu en septembre 1791 administrateur du Département, (...)
  • 12 Michel Frézet, employé de la régie des Aides pendant quatorze ans, est ensuite inspecteur de la fa (...)
  • 13 Mathurin Prieur de la Comble, procureur-syndic du District de Nemours en 1791, devient la même ann (...)
  • 14 Il s’agit sans doute de Gervais Rochereau, administrateur municipal de Fontainebleau, qui, en l’an (...)
  • 15 Arch. nat., F1b I Seine-et-Marne 2, Lettre de Lalande, 20 fructidor an V.
  • 16 Voir le discours virulent qu’il prononce le 14 juillet 1791 à propos de la fuite de Louis XVI, Ann (...)

5L’ancien procureur-syndic du District de Melun, Lalande9 se déchaîne contre les administrateurs dans un texte virulent (qui sera suivi d’une pétition tout aussi véhémente examinée plus loin), par lequel il dénonce Foix10, actuel président de l’administration, comme un « tartuffe », Babée11 comme une « nullité » incapable de discuter et « ne voulant pas être mis dans l’obligation de le faire », Frézet12, sans caractère, « trembleur », « vendu » à Foix, à Prieur13 ainsi qu’à Rochereau14 pour lequel Lalande n’éprouve guère plus de sympathie, Guyardin, à ce moment encore commissaire auprès du Département, qui, dans des circonstances difficiles, n’aurait pas le courage nécessaire parce qu’il est « ci-devant prêtre15 ». Mais il convient de faire la part de la rancune personnelle et d’observer que n’apparaissent pas nettement des griefs à proprement parler politiques dont il aurait eu beau jeu de faire état. Au demeurant, Lalande était familier des outrances verbales16.

  • 17 Heinrich Blomeke, Revolutionsregierung und volksbewegung (1793-1794), Die « Terreur » im départeme (...)
  • 18 Arch. nat., F1b I Seine-et-Marne 2, Lettre de Senez à Geoffroy, 11 brumaire an VI.
  • 19 Ibid., Lettre des patriotes de Melun au ministre de l’Intérieur, s. d. Homme de loi à Bois-le-Roi (...)

6Senez, qui fut membre de l’ancien comité révolutionnaire de Fontainebleau et lecteur du Tribun du peuple17, s’empresse lui aussi de condamner l’attitude de Guyardin, « ci-devant prêtre », qui tente à l’unisson de l’administration, toujours selon Senez, de rétablir la religion « de ses pères » pour mieux rétablir la royauté ; les fêtes publiques auxquelles il participe en tant que commissaire ne seraient que des simulacres d’obéissance18. C’est en vain enfin que des « patriotes de Melun » proposent au ministre de l’Intérieur une liste de ceux qu’ils jugent valables pour devenir administrateurs, tels Vincent, Girardot et Bezout19. Ce dernier semblait incarner la frange la plus avancée du mouvement révolutionnaire dans le département d’autant qu’il avait failli être compromis dans le désarmement des « terroristes » en l’an III. En fait, dénoncé par le nouveau procureur-syndic du District de Nemours comme indigne de faire partie de la Convention car désarmé en vertu de la loi du 21 germinal an III, il avait renversé la situation et avait accusé à son tour son dénonciateur et le maire de Nemours d’être royalistes. Cela lui avait valu de conserver son siège à l’Assemblée et de devenir délégué du Comité de sûreté générale puis commissaire extraordinaire du Directoire dans l’Allier et la Nièvre pour agir contre les menées des prêtres réfractaires et des royalistes.

  • 20 Louis Étienne Billot fut maire de Crouy-sur-Ourcq, administrateur du District de Meaux, commissair (...)
  • 21 Arch. nat., F1b I, Seine-et-Marne 2, Extrait des registres du Directoire exécutif, 13 vendémiaire (...)
  • 22 Un vif échange de vues l’oppose alors au négociant Vieux, qui avait été commissaire pour la levée (...)
  • 23 Arch. nat., F1c III Seine-et-Marne 6, Premier rapport…, nivôse an VI, op. cit.
  • 24 Isser Woloch, Jacobin Legacy The democratic movement under the Directory, Princeton, 1970 ; Bernar (...)
  • 25 Isser Woloch, Jacobin Legacy…, op. cit., p. 104.

7Le Directoire ne suit qu’avec réticence les suggestions des patriotes de Melun. Certes, le 13 vendémiaire an VI (4 octobre 1797), il finit par destituer l’administration centrale dont il fustige la mollesse ainsi que l’inertie mais essentiellement en ce qui concerne la police des cultes, l’observation des fêtes nationales et de celles qui ont pour objet les institutions républicaines. Il ne souffle mot de l’effort de guerre qui a été accompli. La composition de la nouvelle administration s’apparente plutôt à un savant rééquilibrage qu’à un bouleversement. Frezet est maintenu, Girardot, nommé certainement à la grande joie des « patriotes de Melun », se retrouve en compagnie de Billot et d’Hédelin qui furent administrateurs du temps de Maure, voire de Guillemardet ou réintégrés par eux20. C’est parce qu’Hédelin n’accepte pas sa nomination que Bezout le remplace21. Il faut d’ailleurs se souvenir que Mathieu, sincère républicain si on en juge à l’aune de son action ultérieure, avait eu maille à partir avec les « terroristes » qu’il voulait désarmer dans l’ancien district de Nemours22. Il est vrai qu’il déplore officiellement, quelques mois plus tard, dans son rapport déjà cité de nivôse an VI23, qu’il n’existe que quatre cercles constitutionnels dans toute l’étendue du département, dont un à Melun, les autres à Fontainebleau, Nangis et Moret – on sait par les historiens Isser Woloch et Bernard Gainot24 que ces cercles constitutionnels devinrent le fer de lance d’un jacobinisme rénové. Il n’en reste pas moins qu’une certaine tension est perceptible entre l’administration centrale et le cercle constitutionnel de Melun dont on peut supposer, sans en avoir la certitude, que l’embryon était composé des « patriotes de Melun » dont il a été question plus haut. En effet, le ministre de la Police, Sotin, fut critiqué par l’administration centrale de Seine-et-Marne parce que le club constitutionnel de Melun s’était organisé sans lui en référer et en alléguant une lettre de ce même Sotin25.

8De toute façon, cela ne change rien à l’indifférence de la population, dans laquelle semblent s’engloutir, au milieu de l’apathie générale, les événements parisiens, voire les quelques changements qui s’étaient produits parmi les administrateurs. Cette indifférence n’avait jamais été un obstacle à l’effort de guerre pendant la première période directoriale. Elle ne l’est pas davantage après le 18 Fructidor, même si celui-ci n’insuffle nul élan à l’esprit public.

9Fructidor, en un sens, ne marque pas fondamentalement une étape nouvelle dans l’effort de guerre qui était fourni par la Seine-et-Marne mais relance l’aspect financier de cet effort. Par ailleurs et surtout, et on en verra les conséquences bien après, jusqu’au début de la période consulaire, la lutte contre les déserteurs se poursuit.

La souscription pour le débarquement en Angleterre

10Le 16 nivôse an VI (5 janvier 1798), l’administration centrale du Département s’adresse en ces termes aux habitants de Seine-et-Marne :

  • 26 Arch dép., L 84, Délibérations de l’administration centrale du Département, 16 nivôse an VI.

« La République Française a donné la paix et la liberté au Continent, la mer encore esclave attend le même bienfait de son courage et de sa générosité. L’heure de son affranchissement approche […] la liberté venait de naître, qui a rassemblé contre elle de nombreux ennemis pour l’étouffer au berceau ? N’est-ce pas le gouvernement anglais ? […] Citoyens, voilà les crimes que nous avons à punir, la Justice nationale l’ordonne, notre intérêt ne l’exige pas moins. Voulons-nous que notre commerce refleurisse ? Réprimons ce brigandage maritime que le gouvernement anglais décore du beau nom de commerce et qui n’est que le plus outrageant mépris du droit des nations. […] Voulons-nous obtenir enfin cette paix précieuse qui doit nous assurer la jouissance de nos droits et de notre liberté ? Hâtons-nous d’éteindre ces torches de discorde que le gouvernement anglais promène dans toute l’Europe et qui ne cessent de s’agiter au milieu de nous pour profiter de nos malheureuses dissensions. Citoyens, tant d’avantages seront-ils achetés trop cher par quelques sacrifices ? Empressez-vous de déposer sur l’autel de la Patrie les dons que vos facultés vous permettent de lui offrir, vos Magistrats vous en donneront l’exemple […] nous rappellerons ainsi les beaux jours de la Révolution où tous les Français n’avaient qu’un cœur pour la Patrie26. »

11Cette adresse a pour but l’application de la loi du 16 nivôse an VI qui lance un emprunt national, en réalité une souscription, pour la descente en Angleterre. Effectivement, l’administration centrale ouvre un registre et demande à chaque commune d’en faire autant. Bien plus, recevant une lettre du 27 nivôse (16 janvier) du ministre de l’Intérieur qui recommande aux administrations centrales de publier la loi du 16 nivôse avec la plus grande solennité, et même avec une pompe particulière, celle de Seine-et-Marne réitère son appel :

  • 27 Ibid., 3 pluviôse an VI.

« Considérant que le gouvernement anglais a comblé la mesure des crimes envers la France et que rien ne peut égaler sa perfidie […] considérant que, victorieuse de tant d’ennemis conjurés, il ne reste plus à la République Française qu’un dernier effort dont le succès est garanti par tous les prodiges dont elle a étonné l’Univers, considérant que les citoyens qui n’ont pas pu ou qui n’ont pu que faiblement répondre à l’invitation que l’administration leur a fait de contribuer aux frais de l’expédition contre 1’Angleterre, saisiront avec empressement les ressources que la loi leur présente de suppléer à l’insuffisance de leurs moyens par un prêt aussi avantageux pour eux-mêmes qu’utile à la Patrie27. »

12Elle arrête de réimprimer la loi du 16 nivôse et de publier dans tout le ressort du département le présent arrêté avec « toute la pompe nécessaire ».

  • 28 Arch. nat., C 680, Adresse de l’administration du Département de Seine-et-Marne au Conseil des Anc (...)

13Des dons sont effectués. Ainsi l’administration centrale peut-elle annoncer au Conseil des Cinq-Cents le dépôt sur l’autel de la Patrie d’une somme de 580 francs, qu’elle considère comme le produit du dévouement et du patriotisme de ses membres et de celui des employés de ses bureaux. Quelques jours plus tard, le Canton d’Égreville verse 73 livres 8 sols pour « abaisser l’orgueil du cabinet anglais, l’ennemi le plus détestable que la République Française ait eu à combattre28 ». Lorsque l’administration du Canton de Provins, à laquelle se sont joints tous les fonctionnaires civils et judiciaires, les administrateurs des hospices et des établissements de bienfaisance, les préposés de l’arrondissement, les conservateurs des hypothèques et agents forestiers, offre 424 francs, elle proclame :

  • 29 Ibid., Adresse des autorités civiles et judiciaires, du commissaire du Directoire exécutif, des ad (...)

« Oui, Citoyens Législateurs, deux puissances tutélaires également victorieuses, la Raison et la Liberté, vont guider le moderne Scipion de l’Italie, ce génie des batailles, créateur de la liberté ; Bonaparte enfin va par ses conceptions heureuses, son audace réfléchie, et l’intrépidité des invincibles Français, voler bientôt sur la Tamise, arborer nos drapeaux tricolores et buriner sur la Tour de Londres “ici les Français libres ont soumis Albion et affranchi les mers”29. »

  • 30 Ibid., C 679, Adresse des maîtres de poste de la route de Fontainebleau au Conseil des Anciens, 30 (...)
  • 31 Arch. dép., L 84, Délibérations de l’administration centrale du Département, 5 pluviôse an VI.

14Il n’est pas jusqu’aux maîtres de poste de la route de Fontainebleau qui n’abandonnent au profit de la République, à titre de don patriotique pour la descente en Angleterre, les indemnités qu’ils pourront toucher pour l’an VI30. Les brigades de gendarmerie du département « manifestent […] le plus ardent désir de contribuer chacune aux frais de la descente en Angleterre et tous demandent qu’on prélève, sur leur solde de ce mois, les sommes pour lesquelles ils ont envoyé leur soumission », ce qui revient à offrir 437 francs31.

  • 32 Arch. nat., C 679, Adresse de l’administration cantonale de Dammartin au Conseil des Anciens, Proc (...)
  • 33 Ibid.

15Certaines administrations cantonales marquent la circonstance par une fête. L’administration de Dammartin réunit le 10 germinal toutes les autorités constituées et les instituteurs ainsi que les élèves de la maison d’éducation de Juilly. « L’arrivée inattendue de quelques guerriers suspend leurs chants32. » Ces guerriers dépeignent les horreurs commises par l’Angleterre, des cris de guerre s’élèvent contre elle dans toute la salle, « les bergers et les guerriers s’entremêlent et se concertent ensemble, bientôt l’un d’eux se détache et peut déposer sur l’autel de la Patrie une bourse renfermant 300 francs, heureux, [ajoute-t-il], de pouvoir, en faisant le sacrifice de nos plaisirs, contribuer à la prospérité et à la gloire de notre pays et à la destruction de ses ennemis. Le citoyen Bacquet, président de l’administration, donne 30 francs […] le citoyen Lavallée, notaire public à la résidence de Dammartin, remplit l’engagement qu’il avait contracté le 11 nivôse dernier en présence de l’administration municipale et dépose 30 francs sur le bureau33 ». La fête républicaine se termine par des questions sur la Constitution que le président de l’administration cantonale pose aux jeunes citoyens qui en seront les défenseurs. Il encourage vivement les instituteurs à leur enseigner les droits de l’homme.

  • 34 Ibid., F1cIII Seine-et-Marne 6, an VI-1852, Deuxième rapport au ministre de l’Intérieur, pluviôse (...)

16Malgré ces témoignages, l’enthousiasme semble de commande et le commissaire du Directoire près du Département n’hésite pas à avouer dans un rapport au ministre de l’Intérieur daté de pluviôse : « Les souscriptions pour la descente en Angleterre ne s’élèvent guère au-dessus de 2 563,19 francs et la majeure partie a été fournie par les fonctionnaires publics. Mais le peuple des campagnes ne profite guère de ses droits politiques, étant presque insensible à la gloire de la Nation34. »

La lutte contre la désertion

  • 35 Cette chronique a été publiée par les soins de Jean-Michel Desbordes. Jean-Michel Desbordes, La ch (...)

17De cette lassitude qui pourrait avoir aussi des incidences sur l’effort de guerre, La chronique villageoise de Varreddes35, tenue depuis 1652 jusqu’en 1830 par une famille de maîtres d’école et de vignerons et conservée par ses descendants, en donne un témoignage. L’orthographe et la ponctuation de cette chronique ont été volontairement respectées.

  • 36 Jean-Michel Desbordes, La chronique villageoise…, op. cit., p. 41.

« 1797 il est revenu quantitez de soldat au pey, plusieurs on rachetez leur congée, les autres on eté obligez de repartir quant il on party la premier fois il chantoit vive la nations le roy est un poltrons, la seconde fois quil on party il chantoit vive la République presentement il ne chante plus il revienne dune aire bien triste et Bien malle vetue il voudroit bien ne plus partir, on parloit de faire la paix, les Bataile ne son pas sy rude quau commancement de la guere36. »

18Pourtant la lutte contre les déserteurs se poursuit sans relâche et on est même frappé à cet égard de la continuité qui se manifeste dans ce domaine, quelles que soient les vicissitudes politiques et quelles que soient les transformations opérées au sein du personnel administratif.

  • 37 Arch. Nat., F1c III Seine-et-Marne 6, Tableau politique des commissaires du Directoire exécutif, p (...)

19Comme lors du premier Directoire, les commissaires sont la cheville ouvrière de cette lutte. Certains sont maintenus après Fructidor mais la majorité change sans que cette circonstance autorise à penser qu’il s’agisse d’un bouleversement politique prononcé. Un tableau politique de ces commissaires insiste davantage sur leurs compétences et sur leur position sociale37. Ces marchands, ces hommes de loi, ces anciens prêtres que sont en majorité les commissaires du second Directoire près des administrations cantonales de Seine-et-Marne, font preuve, pour beaucoup d’entre eux, de la même énergie que leurs prédécesseurs.

  • 38 Arch. dép., L 1411, Délibérations de l’administration cantonale du Châtelet-en-Brie, 10 vendémiair (...)
  • 39 Ibid., L 1423, Correspondance du commissaire près… du Canton de Fontainebleau…, op. cit., 10 vendé (...)
  • 40 Ibid., L 418-4, Instruction aux commissaires du Directoire près les administrations centrales et m (...)
  • 41 Ibid., L 418-5, Extrait des registres du Directoire, 8 vendémiaire an VI.
  • 42 Arch. nat., AD XVIII B, Conseil des Cinq-Cents, tome 187, 25 brumaire an VI.

20Dès le 5 vendémiaire an VI, le commissaire près de l’administration centrale du Département envoie une lettre aux administrations cantonales pour leur rappeler de faire partir sur-le-champ tous les « volontaires » de la première réquisition38. Dans cette lettre il annonce qu’une proclamation du 4e jour complémentaire an V (20 septembre 1797) révoque une fois de plus toutes les exemptions provisoires39. Une instruction était d’ailleurs jointe à la proclamation40. Sous la responsabilité des commissaires, des dépôts doivent être formés au chef-lieu du département pour recevoir tous ceux à qui il était enjoint de partir avant le 15 vendémiaire. On tirerait de ces dépôts des détachements de quinze à vingt hommes que l’on dirigerait sur les quartiers généraux des armées. Quelques jours plus tard41, un arrêté du Directoire reprend toutes les mesures annoncées par la proclamation. Enfin, une loi du 24 brumaire an VI (14 novembre 1797) aggrave encore, en les assortissant d’amendes, les peines encourues par ceux qui encourageaient la désertion42.

21Une fois encore les administrations cantonales pressent leurs agents municipaux d’agir. Ainsi le Canton de Mormant :

  • 43 Arch. dép., L 1435, Délibérations de l’administration cantonale de Mormant, 12 vendémiaire an VI.

« La ruse et la mauvaise foi de nos ennemis nous forcent, citoyens, à reprendre les armes. Nous devons de concert redoubler d’efforts pour qu’il ne reste plus au 15 de ce mois aucun réquisitionnaire, aucun militaire quelconque de ce canton, quelle que soit la cause pour laquelle ils ont quitté leurs drapeaux43. »

22Quant à l’actif commissaire de Fontainebleau, devançant l’administration centrale, il envoie lettre sur lettre aux agents de son ressort :

  • 44 Ibid., L 1423, Correspondance du commissaire près… du Canton de Fontainebleau…, op. cit., lettre a (...)

« Je vous ai écrit le 9 de ce mois et je reviens sur le sujet des militaires rentrés dans leur commune sans permission. Vous connaissez vos devoirs à cet égard (les lois du 10 thermidor an III et du 4 nivôse an IV), ma lettre du 22 ventôse dernier vous le rappelle expressément, d’après l’arrêté du 25 pluviôse du Directoire. N’épargnez aucun moyen pour mettre votre responsabilité à couvert de tout reproche, non seulement de connivence avec les militaires dont il s’agit et leurs parents, si d’aucuns en recelaient […], mais même d’insouciance et de simple négligence qui en seraient de votre part un très grave dans ce moment où, pour forcer les ennemis de la République à la paix, et à une paix honorable, il faut se présenter à eux d’une manière à leur faire craindre plus que jamais la guerre44. »

  • 45 Ibid., L 1411, Délibérations de l’administration cantonale du Châtelet-en-Brie, 17 vendémiaire an (...)
  • 46 Ibid., 15 brumaire an VI.

23Que le délai imparti aux « déserteurs » fût irréaliste, malgré le zèle des administrations à les faire partir, on en a la preuve dans la correspondance entre le commissaire du Département et ceux des Cantons. Non seulement le commissaire écrit encore trois jours avant la date fixée pour presser le départ des volontaires45 mais le 5 brumaire, après qu’ils sont – en principe – partis, il recommande à ces mêmes commissaires d’exercer la « plus grande surveillance sur les volontaires de la première réquisition qui cherchent des moyens de se soustraire à la loi46 », preuve que beaucoup se terraient encore dans le département.

  • 47 Ibid.

24L’immensité et la complexité de la tâche amenaient parfois des défaillances volontaires ou involontaires qui en ralentissaient la bonne marche. L’agent municipal de Valence se justifie auprès de l’administration cantonale du Châtelet. Il dit qu’il essuie des reproches de Duval, officier de gendarmerie à Montereau : les autres communes font partir les volontaires avec diligence tandis que, pour le canton du Châtelet et particulièrement à Valence, il ne disposait pas encore de liste. L’agent affirme avoir remis la liste de sa commune et celle d’Échouboulains au commissaire du Directoire qui lui déclare qu’il n’avait pas encore reçu le procès-verbal de l’officier de santé. L’administration envoie cette déclaration au commissaire, à charge pour lui de presser l’officier de santé47.

  • 48 Arch. nat., F1b II Seine-et-Marne 2, Extrait des registres de délibérations du Directoire exécutif (...)
  • 49 Arch. dép., L 1458, Délibérations de l’administration cantonale de Voulx, 15 messidor an VI.

25Plus graves sont les cas d’un agent municipal de La Chapelle-Rablais, prévenu d’avoir donné asile à un déserteur et destitué en ventôse an VI sur demande de l’administration centrale48 et du secrétaire de l’administration de Voulx, Bourdon ; on découvre en messidor an VI que ce dernier aurait reçu de l’argent de divers « volontaires » pour se rendre à Paris solliciter avec eux la permission de rester dans leurs foyers. Plusieurs citoyens de la commune de Villemaréchal, en effet, devaient présenter des mémoires au ministre de la Guerre, alléguant leurs infirmités. Le commissaire, ne pouvant les accompagner, ordonna au secrétaire de le faire à sa place en lui remettant une somme d’argent pour son voyage. Bourdon se défend en affirmant que ce sont les volontaires eux-mêmes qui, surpris de la modicité de son indemnité, y ajoutèrent quelque chose sans aucune intention de le corrompre49.

26Enfin certains commissaires ne sont pas à la hauteur de leur tâche. Le commissaire du Département écrit au ministre de l’Intérieur à propos de celui de Faremoutiers.

  • 50 Arch. nat., F1b II Seine-et-Marne 2, Lettre du commissaire du Pouvoir exécutif près de l’administr (...)

« Il est inculpé, entre autres choses, d’avoir empêché le départ des volontaires, par faiblesse, par insouciance, par intérêt et peut-être par des motifs plus puissants encore. Une lettre que je reçois à l’instant confirme la prévarication de ce fonctionnaire en attestant qu’il soutire de l’argent des réquisitionnaires pour les laisser paisiblement dans leurs foyers et qu’il ne dirige les poursuites de la gendarmerie que contre ceux qui ne peuvent acheter sa complaisance50. »

27Quelques jours auparavant d’ailleurs, pressentant la tournure des événements, ce commissaire, prétextant de ses devoirs familiaux, avait offert sa démission.

28Il n’est pas jusqu’aux gendarmes qui ne soient susceptibles de reproches. Dans la pétition que présente Lalande, et dans laquelle il retrace à sa façon l’histoire politique du département depuis le 9 Thermidor, décrite sans nuances comme uniformément réactionnaire, il accuse le jury chargé de réorganiser la gendarmerie nationale d’y avoir placé des jeunes gens de la première réquisition qui sont en réalité des déserteurs.

  • 51 Ibid., Pétition de Lalande, procureur-syndic du ci-devant District de Melun au ministre de la Poli (...)

« Je vois des anciens militaires, capables de servir encore un grand nombre d’années, à qui l’on offre une retraite qu’ils n’ont point sollicitée et dont la solde ne suffit pas pour les faire vivre eux et leurs familles, et je vois un Lecestre, jeune homme riche que l’on a fait entrer dans la gendarmerie pour le tirer de la première réquisition […] je vois le fils Mathon, déserteur du régiment ci-devant de Berry Cavalerie, étant tout au plus âgé de vingt-deux ans51. »

29Mais il ne faut pas oublier que cette pétition s’apparente au pamphlet et que l’explication ou le prétexte de ces défaillances, qui ne sont d’ailleurs pas le fait de la majorité des administrateurs, réside bien davantage dans la politique gouvernementale à l’égard de ceux qui revenaient dans leurs communes munis de congés. Politique dont les hésitations, voire l’incohérence, se reflètent dans l’avalanche de lois, arrêtés, circulaires, venus se superposer les uns aux autres depuis le 4 ventôse an IV (24 janvier 1795) et qui provoquent la perplexité même chez les administrateurs les plus efficaces et les plus honnêtes.

30Ainsi, le 10 vendémiaire an VI, le commissaire de Fontainebleau écrit-il à Mathieu :

  • 52 Arch. dép., L 1423, Correspondance du commissaire… du Canton de Fontainebleau, lettre au commissai (...)

« À l’égard des exemptions que vous accordez sur les certificats des officiers de santé, voici la première fois que vous m’apprenez que l’adresse que vous m’en faites est moins pour que j’en fasse la remise à ceux qui en sont l’objet, que pour vérifier moi-même si vous n’aviez pas été induit en erreur. J’avoue que je n’avais pas deviné cette intention. Je n’ai d’ailleurs aucune capacité à discuter des certificats dont je n’ai aucune connaissance […] et qui d’ailleurs sont basés sur une science occulte [sic]. Je dois de croire plus que vous encore qu’ils sont très réguliers et à l’abri de tout soupçon de fraude52. »

  • 53 Ibid., L 1418-6, Extrait des registres du Directoire, 9 brumaire an VI.

31Et, le 9 brumaire an VI, le Directoire juge « qu’il faut mettre la plus grande sévérité dans la délivrance des congés absolus » en arrêtant que les volontaires munis d’exemptions provisoires seront obligés de se rendre à l’hospice militaire le plus proche et de se faire visiter par les deux officiers de santé en chef s’ils veulent obtenir des congés absolus. Ceux qui ne pourraient s’y transporter recevront un certificat de visite rédigé par deux officiers de santé en présence d’un agent de leur commune, et visé par l’administration municipale du Canton53. En somme, il aurait fallu une double vérification, celle du commissaire du Département sur le rapport des officiers de santé, puis une seconde, celle du commissaire du Canton.

  • 54 Ibid., L 1418-8, Circulaire du ministre de la Guerre aux commissaires du Directoire exécutif près (...)

32Encore le ministre de la Guerre est-il obligé d’expliciter la volonté du Directoire par des instructions qui se veulent autant de réponses aux problèmes qui assaillent les administrations départementales et cantonales ; les exemptions provisoires maintenues ou transformées en congés définitifs sont celles qui ont été accordées par arrêté du Directoire et non les exemptions ou réquisitions émanées de toute autre autorité54. Aucune solution idéale ne semble avoir été mise en place pendant la période directoriale pour lutter contre la fraude qu’occasionnait la délivrance des congés. Peut-être faut-il y voir aussi l’absence d’un corps compétent de médecins.

  • 55 Arch. nat., F1c III Seine-et-Marne 6, an VI-1852, Deuxième rapport…, pluviôse an VI, op. cit.
  • 56 Ibid., C 680, Adresse des Républicains de Nangis aux Anciens, reçue le 4 pluviôse an VI.
  • 57 Cette question demeure sensible. Le commissaire du Canton de Tauves dans le Puy-de-Dôme le constat (...)

33Pourtant le bilan nuancé que le commissaire du Département retrace de la lutte perpétuellement recommencée prouve qu’en Seine-et-Marne, malgré les obstacles législatifs, les hésitations gouvernementales, l’impréparation des administrateurs à cette tâche nouvelle, enfin le fait qu’ils soient souvent livrés à leurs propres forces, leur volonté de surmonter les obstacles et leur persévérance font que, somme toute, le département ne se situe pas au cœur des zones principales de désertion. Certes, dans son rapport de pluviôse déjà cité, le commissaire avoue que « le peuple des campagnes redoute de s’armer pour sa propre défense dans la crainte d’être appelé à celle de la Patrie dont il recèle tous les déserteurs55 ». Les Républicains de Nangis – autrement dit, le cercle constitutionnel – suggèrent d’ailleurs dans une adresse aux Anciens un remède pour ranimer l’enthousiasme. « Assurez pour toujours aux défenseurs de la Patrie et à leurs familles indigentes une garantie contre le besoin56. » Ils souhaitent donc un retour à la politique égalitaire de la Convention montagnarde et aussi la réalisation complète d’un vœu devenu mythe, celui du milliard des vétérans57.

34Mais outre que le commissaire ne juge pas que le nombre des déserteurs est un problème majeur en Seine-et-Marne – ce serait plutôt l’inertie de la population qui, même après le coup d’état, peut favoriser encore des menées royalistes – il écrivait quelques semaines auparavant :

  • 58 Arch. nat., F1c III Seine-et-Marne 6, an VI-1852, Premier rapport…, nivôse an VI, op. cit.

« Cependant c’est à tort qu’on entretient le gouvernement dans l’idée que la police générale est nulle en Seine-et-Marne : la poursuite des malfaiteurs se fait avec activité […] la recherche des déserteurs et des réquisitionnaires existant dans leurs foyers se fait avec un zèle infatigable mais avec moins de succès que si la force armée était suffisante58. »

  • 59 Arch. dép., L 418-10, Lettre du ministre de la Guerre aux commissaires du Directoire près les admi (...)

35Et force est de reconnaître que, jusqu’à l’application de la loi Jourdan, la Seine-et-Marne exécute ponctuellement toutes les directives qu’elle reçoit du gouvernement. Le 5 germinal an VI (25 mars 1798), le Directoire prend un arrêté, complété par une circulaire du 9 germinal, d’ailleurs fort ambiguë, adressée aux commissaires près des administrations centrales et municipales59. Tous les militaires absents de leurs corps, car porteurs de congés limités délivrés jusqu’à ce jour, sont tenus de rejoindre tout de suite, avant même l’expiration de leur congé. Le 1er floréal an VI, l’administration cantonale de Voulx applique cette directive peut être avec plus de fermeté encore que ne le prévoyait le ministre. Elle décide de dresser un état de tous les militaires rentrés, un état de ceux qui sont mariés, enfin un état qui constate leur utilité par rapport à leur famille.

  • 60 Ibid., L 1458, Délibérations de l’administration cantonale de Voulx, 1er floréal an VI.

« L’administration […] considère que si le Directoire exécutif s’occupe de la prospérité de l’agriculture, il n’en est pas moins nécessaire pour l’intérêt de la Nation que de lâches déserteurs ne jouissent pas d’un avantage inconsidéré, arrête que dans les quatre jours […] chacun des jeunes gens sera tenu de se présenter à l’administration, d’y apporter les permissions qui lui ont permis de quitter son corps, dans le cas où ils seraient mariés, un extrait de délibération de leur mariage60. »

36Si cette ferme volonté n’est pas toujours couronnée de succès, c’est que l’ambiguïté dans la délivrance des congés continue à représenter un obstacle. Le commissaire du Département s’en plaint amèrement dans un rapport où il dénonce « en filigrane » à la fois une certaine incohérence de la politique gouvernementale mais aussi le laxisme des administrations cantonales et, sur ce point, on peut penser qu’il noircit le tableau, faute de pouvoir s’en prendre uniquement au gouvernement. Il flétrit surtout l’incompétence et l’absence d’esprit civique des officiers de santé.

  • 61 Arch. nat., F1c III Seine-et-Marne 6, an VI-1852, Troisième rapport au ministre de l’Intérieur, me (...)

« Une lettre du ministre appelant le tableau des jeunes gens utiles aux arts et à l’agriculture pour les dispenser de rejoindre est venue fournir un nouveau moyen de déjouer tous les efforts. Tandis que j’hésitais à donner des exemptions provisoires pour cause de maladies aux militaires rentrés en foule dans leurs foyers, ne m’y croyant pas suffisamment autorisé et sentant combien ces soldats exercés étaient précieux pour les armées, mes collaborateurs s’empressaient de les comprendre sur les tableaux demandés dont, à la vérité, le ministre de la Guerre ne les avait pas encore exclus, comme il l’a fait depuis. Ils publiaient sur les lois une exception qui doit demeurer secrète, ils consultaient sur son application les agents municipaux toujours portés à favoriser la désertion […] aujourd’hui, les abus se multiplient à un point vraiment désespérant, on me trompe de tous côtés, les officiers de santé font un trafic scandaleux de leurs certificats d’infirmité. Mes collaborateurs eux-mêmes contrarient les réquisitoires très positifs que je donne à la gendarmerie et font mettre en liberté les militaires que j’ai recommandé d’arrêter. Dès qu’un militaire séjourne dans les prisons d’une commune pour attendre le jour où la correspondance de la gendarmerie doit l’escorter dans sa route, des hommes de l’art complaisants sont appelés […] on m’assure aussi que des courtiers de corruption font un infâme commerce des congés absolus ou limités. Je n’en ai point la preuve mais on m’a promis de me l’administrer61. »

37Si c’est à juste titre que le commissaire du Département s’en prend aux officiers de santé, il est au contraire parfaitement secondé dans l’ensemble par les administrations cantonales et leurs commissaires. Celui de Fontainebleau écrit dès le 9 thermidor au commandant de la gendarmerie :

  • 62 Arch. dép., Correspondance du commissaire… du Canton de Fontainebleau…, op. cit., lettre au comman (...)

« Le commissaire du Pouvoir exécutif près de l’administration centrale est informé de toutes parts que sa religion est surprise par la fausseté ou la cupidité des officiers de santé assez peu délicats pour délivrer des certificats d’infirmité aux lâches déserteurs de nos armées […] qu’on voit ensuite figurer dans toutes les danses ou se livrer aux exercices les plus pénibles en vertu des exemptions provisoires qui lui ont été extorquées62. »

  • 63 Ibid., Lettre au commissaire près le Département, 9 thermidor an VI.

38Il requiert d’arrêter tous les militaires qui, munis d’exemptions provisoires, seraient trouvés en train de danser ou de se livrer à des travaux qui prouveraient justement qu’ils sont valides et le même jour il affirme au commissaire du Département que, s’il ne doute pas qu’un grand nombre d’officiers de santé prévaricateurs aient délivré de faux certificats d’infirmité, il n’en existe aucun dans le canton63.

39Enfin, par un arrêté du 18 thermidor an VI (5 août 1798), le Département donne une plus grande solennité à la loi du 24 brumaire an VI qui, elle, s’attaquait aux complices et receleurs de fuyards.

Notes

1 Jean-René Suratteau, « Les élections de l’an V… », op. cit., p. 44.

2 Achille Étienne Marie Gigault de Crisenoy (1756-1802), avocat au Parlement puis maître des requêtes ordinaire de l’Hôtel du Roi sous l’Ancien Régime, est élu en germinal an V. En juin 1800, il devient membre puis président du conseil général de Seine-et-Marne.

3 Jean Pierre Rataud (1752-1831), propriétaire à Montereau, en devient le premier maire. Il est élu par la Seine-et-Marne à la Législative. Le 18 octobre 1795, il est nommé juge au tribunal de Melun et, le 15 août 1796, commissaire du Gouvernement près le tribunal de Melun. Le 8 septembre 1797, après son exclusion des Cinq-Cents, il devient juge au tribunal de cassation. Il proteste contre le coup d’État de Brumaire et vit désormais à la retraite.

4 Vincent Marie Viénot de Vaublanc (1756-1845), officier de l’armée royale, acquiert une propriété à Dammarie-les-Lys sous l’Ancien Régime. Représentant de la noblesse du bailliage de Melun en 1789, il est membre de l’administration du Département de Seine-et-Marne en 1790 et devient président du directoire du Département. Élu en 1791 à la Législative, il siège à droite parmi les Feuillants dont il est un des porte-parole. De la fin de 1792 au 9 Thermidor, il se cache en divers lieux en France. Il joue un rôle actif lors de l’insurrection du 13 vendémiaire an IV, ce qui lui vaut d’être condamné à mort par contumace mais ne l’empêche pas d’être élu au même moment par la Seine-et-Marne au Conseil des Cinq-Cents (voir plus haut note 41 de l’introduction). Il lui faut attendre l’abrogation de son jugement en août 1796 pour pouvoir siéger, ce qu’il fait dans les rangs des Clichyens. Après sa condamnation à la déportation, il s’exile en Suisse puis en Italie. Il se rallie à Bonaparte après Brumaire et, de 1800 à 1805, il est membre du Corps législatif où il représente le Calvados. Le collège électoral de Seine-et-Marne en fait son candidat au Sénat mais il n’est pas retenu. De 1805 à 1814, il devient préfet de la Moselle. Rallié à la monarchie restaurée, il est ministre de l’Intérieur, de septembre 1815 à mai 1816, grâce à l’influence du comte d’Artois et il redevient député du Calvados, de tendance ultra-royaliste, de 1820 à 1827.

5 Arch. nat., F1c III Seine-et-Marne 6, an VI-1852, Premier rapport au ministre de l’Intérieur de la situation du département pendant la première décade de nivôse an VI.

6 Simon Nicolas Guyardin (1760-1842), vicaire épiscopal dans l’évêché de Meaux, est élu député suppléant à la Convention et devient membre du conseil général de Seine-et-Marne à l’automne 1792. Il se déprêtrise et se marie en l’an II. Nommé commissaire près de l’administation centrale de Seine-et-Marne, il est destitué le 11 brumaire an VI. Le 11 germinal an VIII (1er avril 1800), il est nommé conseiller de préfecture mais refuse ce poste. Toutefois, le 20 ventôse an XI (11 mars 1803), il devient secrétaire général de la préfecture de Seine-et-Marne jusqu’en août 1815. Il est alors renvoyé car il avait été élu par l’arrondissement de Melun pour siéger à la Chambre des Cent-Jours. Il se retire à Fontainebleau où il meurt. Il était le frère d’un député de la Haute-Marne à la Convention.

7 Arch. nat., F1c III Seine-et-Marne 10, Lettre du commissaire du Pouvoir exécutif près de l’administration de Seine-et-Marne au ministre de l’Intérieur, 20 fructidor an V.

8 Ibid., Lettre des administrateurs de Seine-et-Marne au ministre de l’Intérieur, 22 fructidor an V.

9 André Lalande était géomètre quand éclata la Révolution. Sergent de la garde nationale de Boissise-la-Bertrand en 1791, surnommé Jean Bart, il devient procureur-syndic du District de Melun. Il tente de dissoudre la société populaire de Melun et est destitué par le représentant en mission Dubouchet envoyé en Seine-et-Marne le 7 septembre 1793 ; à l’initiative de Métier, délégué de Dubouchet, il est arrêté par le comité révolutionnaire de Melun avec lequel il avait eu maille à partir car, au mois de juin précédent, il avait permis à des volontaires revenus indûment dans leurs foyers, ce à quoi le comité s’était opposé, de prolonger leur « séjour ». Voir Edmond Campagnac, « Le comité de surveillance de Melun », Annales révolutionnaires, tome I, 1908, p. 467-482, tome II, 1909, p. 32-54, p. 541-566. Lalande, qui en l’an II avait pris le prénom de Libre, se pose désormais en « pur révolutionnaire ».

10 Nicolas Michel Foix, prévôt de Chaumes, devient membre du directoire du District de Melun en 1790 et en 1791, où il est alors dénommé propriétaire, puis membre du directoire du Département en l’an III. En 1801, il est juge suppléant puis juge en 1803.

11 Amable Jacques Babée, originaire de Provins, élu en septembre 1791 administrateur du Département, puis membre du directoire du Département. Il avait été commissaire de la levée de septembre 1792 et en 1793 membre du comité de surveillance de la section nord de Provins.

12 Michel Frézet, employé de la régie des Aides pendant quatorze ans, est ensuite inspecteur de la fabrication des assignats pendant trois ans avant de devenir administrateur du Département. Voir Arch. Nat., F1b 34 Seine-et-Marne, Personnes qui demandent des places en l’an VIII.

13 Mathurin Prieur de la Comble, procureur-syndic du District de Nemours en 1791, devient la même année procureur-général syndic du Département.

14 Il s’agit sans doute de Gervais Rochereau, administrateur municipal de Fontainebleau, qui, en l’an VI et en l’an VII, est électeur du canton de Fontainebleau.

15 Arch. nat., F1b I Seine-et-Marne 2, Lettre de Lalande, 20 fructidor an V.

16 Voir le discours virulent qu’il prononce le 14 juillet 1791 à propos de la fuite de Louis XVI, Annie Crépin, Révolution et armée nouvelle…, op. cit., p. 72.

17 Heinrich Blomeke, Revolutionsregierung und volksbewegung (1793-1794), Die « Terreur » im département Seine-et-Marne, Francfort-sur-le-Main, Peter Laug, 1989, p. 473.

18 Arch. nat., F1b I Seine-et-Marne 2, Lettre de Senez à Geoffroy, 11 brumaire an VI.

19 Ibid., Lettre des patriotes de Melun au ministre de l’Intérieur, s. d. Homme de loi à Bois-le-Roi en 1792, Girardot avait été nommé par le conseil général du Département commissaire pour la levée de 1792 puis commissaire pour la levée des trois cent mille hommes. Étienne Louis Bezout (1760-1822), neveu d’un mathématicien, ancien administrateur du District de Nemours et fondateur de la société populaire de Nemours, avait appartenu à l’entourage de Métier dont on a vu plus haut (note 9) le rôle de bras droit de Dubouchet. Élu député suppléant à la Convention, il est du nombre des douze suppléants appelés à la Convention par tirage au sort selon la loi du 5 floréal an III.

20 Louis Étienne Billot fut maire de Crouy-sur-Ourcq, administrateur du District de Meaux, commissaire pour la levée du 22 juillet 1792, et membre du directoire du Département à partir de l’automne 1792. Le 15 floréal an VIII (5 mai 1800), il devient conseiller de préfecture jusqu’en 1815. Hédelin fut major-général des gardes nationales de Seine-et-Marne en 1791, commissaire pour la levée de 1791 pour le district de Nemours puis commissaire pour les levées de 1792.

21 Arch. nat., F1b I, Seine-et-Marne 2, Extrait des registres du Directoire exécutif, 13 vendémiaire an VI. Bien qu’il ait été critique envers le coup d’état de Brumaire, Bezout devient conseiller de la préfecture de Seineet-Marne le 11 germinal an VIII (1er avril 1800) jusqu’en juillet 1810.

22 Un vif échange de vues l’oppose alors au négociant Vieux, qui avait été commissaire pour la levée de la Vendée au printemps 1793 et qui, à ce titre, avait joué à Moret un rôle décisif pour le succès des enrôlements. Voir Annie Crépin, Révolution et armée nouvelle…, op. cit., p. 343.

23 Arch. nat., F1c III Seine-et-Marne 6, Premier rapport…, nivôse an VI, op. cit.

24 Isser Woloch, Jacobin Legacy The democratic movement under the Directory, Princeton, 1970 ; Bernard Gainot, 1799, un nouveau jacobinisme ?, Paris, Éditions du CTHS, 2001. Voir aussi Philippe Bourdin, « Pouvoir civil, pouvoir militaire dans le Puy-de-Dôme de l’an V », La République directoriale…, op. cit., p. 827-848, dans lequel l’auteur met l’accent sur les liens entre cercles constitutionnels, militaires patriotes et volontaires face au « front du refus » que rejoignent les déserteurs et les insoumis et au laxisme des administrateurs devant ce « front du refus ». Les choses semblent plus complexes en Seine-et-Marne, étant donné le rôle des administrateurs dans l’effort de guerre, quels que soient les aléas de l’évolution politique du département.

25 Isser Woloch, Jacobin Legacy…, op. cit., p. 104.

26 Arch dép., L 84, Délibérations de l’administration centrale du Département, 16 nivôse an VI.

27 Ibid., 3 pluviôse an VI.

28 Arch. nat., C 680, Adresse de l’administration du Département de Seine-et-Marne au Conseil des Anciens, 22 nivôse an VI.

29 Ibid., Adresse des autorités civiles et judiciaires, du commissaire du Directoire exécutif, des administrations des hospices et des établissements de bienfaisance, des préposés de l’arrondissement, des conservateurs des hypothèques et agents forestiers au Conseil des Anciens, 16 nivôse an VI.

30 Ibid., C 679, Adresse des maîtres de poste de la route de Fontainebleau au Conseil des Anciens, 30 ventôse an VI.

31 Arch. dép., L 84, Délibérations de l’administration centrale du Département, 5 pluviôse an VI.

32 Arch. nat., C 679, Adresse de l’administration cantonale de Dammartin au Conseil des Anciens, Procès-verbal de la fête du 10 germinal an VI.

33 Ibid.

34 Ibid., F1cIII Seine-et-Marne 6, an VI-1852, Deuxième rapport au ministre de l’Intérieur, pluviôse an VI.

35 Cette chronique a été publiée par les soins de Jean-Michel Desbordes. Jean-Michel Desbordes, La chronique villageoise de Varreddes (Seine-et-Marne). Un document sur la vie rurale des XVIIe et XVIIIe siècles, Paris, Éditions de l’École, 1961, préface de Victor L. Tapie.

36 Jean-Michel Desbordes, La chronique villageoise…, op. cit., p. 41.

37 Arch. Nat., F1c III Seine-et-Marne 6, Tableau politique des commissaires du Directoire exécutif, prairial an VI.

38 Arch. dép., L 1411, Délibérations de l’administration cantonale du Châtelet-en-Brie, 10 vendémiaire an VI.

39 Ibid., L 1423, Correspondance du commissaire près… du Canton de Fontainebleau…, op. cit., 10 vendémiaire an VI.

40 Ibid., L 418-4, Instruction aux commissaires du Directoire près les administrations centrales et municipales et chefs d’état-major des armées pour la proclamation du Directoire, 4e jour complémentaire an V.

41 Ibid., L 418-5, Extrait des registres du Directoire, 8 vendémiaire an VI.

42 Arch. nat., AD XVIII B, Conseil des Cinq-Cents, tome 187, 25 brumaire an VI.

43 Arch. dép., L 1435, Délibérations de l’administration cantonale de Mormant, 12 vendémiaire an VI.

44 Ibid., L 1423, Correspondance du commissaire près… du Canton de Fontainebleau…, op. cit., lettre aux agents municipaux, 19 fructidor an VI.

45 Ibid., L 1411, Délibérations de l’administration cantonale du Châtelet-en-Brie, 17 vendémiaire an VI.

46 Ibid., 15 brumaire an VI.

47 Ibid.

48 Arch. nat., F1b II Seine-et-Marne 2, Extrait des registres de délibérations du Directoire exécutif, 25 ventôse an VI.

49 Arch. dép., L 1458, Délibérations de l’administration cantonale de Voulx, 15 messidor an VI.

50 Arch. nat., F1b II Seine-et-Marne 2, Lettre du commissaire du Pouvoir exécutif près de l’administration de Seine-et-Marne au ministre de l’Intérieur, 22 frimaire an VI.

51 Ibid., Pétition de Lalande, procureur-syndic du ci-devant District de Melun au ministre de la Police, 3 vendémiaire an VI.

52 Arch. dép., L 1423, Correspondance du commissaire… du Canton de Fontainebleau, lettre au commissaire près du Département, 10 vendémiaire an VI.

53 Ibid., L 1418-6, Extrait des registres du Directoire, 9 brumaire an VI.

54 Ibid., L 1418-8, Circulaire du ministre de la Guerre aux commissaires du Directoire exécutif près les administrations départementales et municipales.

55 Arch. nat., F1c III Seine-et-Marne 6, an VI-1852, Deuxième rapport…, pluviôse an VI, op. cit.

56 Ibid., C 680, Adresse des Républicains de Nangis aux Anciens, reçue le 4 pluviôse an VI.

57 Cette question demeure sensible. Le commissaire du Canton de Tauves dans le Puy-de-Dôme le constate amèrement en l’an VII : les conscrits du lieu répugnent à se faire enregistrer « parce qu’ils voient leurs frères, leurs parents, leurs amis revenir des frontières couverts de gloire et d’honorables blessures, forcés d’implorer les secours publics pour pourvoir à leur subsistance à la sueur de leur front », Bruno Ciotti cité par Philippe Bourdin, « Pouvoir civil, pouvoir militaire… », op. cit., p. 831.

58 Arch. nat., F1c III Seine-et-Marne 6, an VI-1852, Premier rapport…, nivôse an VI, op. cit.

59 Arch. dép., L 418-10, Lettre du ministre de la Guerre aux commissaires du Directoire près les administrations centrales et municipales.

60 Ibid., L 1458, Délibérations de l’administration cantonale de Voulx, 1er floréal an VI.

61 Arch. nat., F1c III Seine-et-Marne 6, an VI-1852, Troisième rapport au ministre de l’Intérieur, messidor an VI.

62 Arch. dép., Correspondance du commissaire… du Canton de Fontainebleau…, op. cit., lettre au commandant de gendarmerie, 9 thermidor an VI.

63 Ibid., Lettre au commissaire près le Département, 9 thermidor an VI.

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