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Les noblesses normandes

 | 
Alain Hugon
, 
Ariane Boltanski

Deuxième partie. Noblesses engagées, noblesses protestantes et noblesses dissidentes

Noblesse et protestantisme dans la généralité d’Alençon au XVIIIe siècle : la résistance d’une minorité sociale et religieuse

Didier Boisson

Texte intégral

  • 1 Voir en particulier les travaux de Francis Waddington, Le protestantisme en Normandie, Paris, 1862 (...)
  • 2 Didier Boisson, « Étouffement et résistance du protestantisme dans la généralité d’Alençon de la r (...)
  • 3 Cité par É.-G. Leonard, « La résistance protestante en Normandie au XVIIIe siècle », op. cit., p.  (...)

1Parmi les trois généralités composant la Normandie, celle d’Alençon constitue un cas à part dans l’histoire du protestantisme au XVIIIe siècle. C’est incontestablement la généralité dans laquelle les communautés réformées sont les plus minoritaires en 1685 et leur amenuisement numérique ne fait que s’aggraver dans les décennies suivantes1. À l’exception des Églises du bocage normand, à cheval sur les généralités d’Alençon et surtout de Caen, il n’existe plus de communauté réformée structurée dans la généralité d’Alençon à la fin de l’Ancien Régime2. Étudier dans de telles conditions la noblesse protestante peut paraître un défi, mais les sources sont demeurées suffisantes pour éclairer les comportements de ce groupe social ou de certains de ses membres. Outre quelques sources parisiennes, en particulier dans la correspondance entre l’intendant et le contrôleur général des finances, les archives départementales de l’Orne possèdent des fonds intéressants, que ce soit les archives de l’intendance ou des archives privées, comme celles concernant la famille Frotté. L’objectif de cette communication est d’éclairer certains aspects des comportements de la noblesse protestante de la généralité d’Alençon entre la révocation de l’édit de Nantes et la fin de l’Ancien Régime et de s’interroger sur les formes de résistance, même si ce groupe est désormais sous une forme résiduelle et ne peut survivre que grâce aux alliances avec les familles protestantes des autres généralités de Normandie. Ainsi, à la fin de l’Ancien Régime, Louis de Frotté fait tenir ce discours à Charles-Gabriel-Daniel de Frotté : « Je suis le seul gentilhomme un peu marquant qui ait persévéré dans leur religion3. »

  • 4 Arch. nat., G7 71, mémoire du 3 août 1682.

2« Réduire » la noblesse protestante, c’est-à-dire obtenir sa conversion au catholicisme, ne paraît pas un objectif insurmontable après 1685 pour les autorités civiles et religieuses. En effet, à la veille de la révocation de l’édit de Nantes, les familles protestantes issues de la noblesse sont dispersées sur l’ensemble de la généralité et semblent numériquement peu importantes. En 1682, une enquête de l’intendant Barrillon de Morangis indique le nombre de feux réformés par élection et précise également celui des familles nobles4.

Élections

Nombre de feux réformés

Familles nobles

Alençon

610

28

Argentan

191

10

Domfront

Aucune

Aucune

Falaise

170

19

Lisieux

12

4

Bernay

Aucune

Aucune

Conches

Aucune

Aucune

Verneuil

70

10

Mortagne

50

4

Total

943a

65b

a. Le total est en réalité de 1 103 familles.
b. Le total est en réalité de 75 familles.

  • 5 Le document indique un total de 943 familles, dont 65 nobles, soit 6,89 %. Les totaux réalisés à p (...)
  • 6 Yves Gueneau, Protestants du Centre, 1598-1685, thèse de 3e cycle, université de Tours, 1982.
  • 7 Voir en particulier Didier Boisson et Hugues Daussy, Les protestants dans la France moderne, Paris (...)
  • 8 Philip Benedict, « Alençon’s Huguenots, 1620-1685 : the Social Transformation of a Reformed Commun (...)

3Il existe une différence entre les résultats donnés par le document (943 familles dont 65 nobles) et les totaux que l’on peut effectuer (1 103 familles dont 75 nobles), mais la proportion de nobles parmi les familles recensées en 1682 reste la même (environ 6,8 %)5. En comparant ces chiffres avec d’autres régions du nord de la Loire, cette forte présence de la noblesse n’est pas étonnante. Dans la province synodale d’Orléanais-Berry, le second ordre représente environ 15 % des familles dans les Églises de La Charité-sur-Loire et de Corbigny, près de 10 % dans celle de Châtillon-Coligny ; il est également fortement implanté dans les communautés dunoises et beauceronnes de Bazoches-en-Dunois, Dangeau et Marchenoir6. Il faut également replacer cette caractéristique dans un contexte de domination par les élites de nombreuses communautés protestantes urbaines. C’est le cas dans de nombreuses cités des provinces d’Orléanais-Berry, d’Anjou-Touraine-Maine, d’Île-de-France-Champagne-Picardie et de Normandie7. À Alençon, les travaux de Philip Benedict ont même mis en évidence un renforcement des élites réformées au cours de la première moitié du XVIIe siècle8.

  • 9 Michel-André Jubert de Bouville (1645-1720) est intendant de la généralité d’Alençon de 1683 à 168 (...)

4La répression qui s’abat sur la généralité d’Alençon prend avant tout une forme particulière, ce sont les enlèvements d’enfants, beaucoup plus que toutes les autres persécutions. Tous les milieux sociaux sont touchés et les familles nobles ne sont pas épargnées. Dès 1687, l’intendant Jubert de Bouville9 déclare dans un mémoire sur les Nouveaux Convertis :

  • 10 Arch. nat., G7 71, mémoire de 1687.

« Les prétendus réformez de la généralité d’Alençon n’ont souffert aucun mauvais traittement pour les obliger à faire leur abjuration et depuis leur conversion ceux qui n’ont pas bien fait leur devoir n’ont esté punis ny par amande ny par logemens de trouppes, on a cru qu’il suffisoit de faire enfermer dans des couvents pendant un temps quelques unes de leurs filles pour leur faire connoistre que tandis qu’ils ne voudroient pas estre instruits des véritez de la Religion, on prendroit soin de l’éducation de leurs enfans en les esloignant d’eux.
Ce moyen, quoy que très doux employé dans un temps que des missionnaires très capables et pleins de charité preschoient dans les églises et visitoient les NC dans leurs maisons avoit produit de si bons effets qu’on ne distinguoit plus les anciens d’avec les nouveaux catholiques, que par les exemples de modestie que ces derniers donnoient aux autres dans les églises et aux processions du Saint Sacrement, mais le temps de le récolte ayant empesché la continuation de cette mission et ces NC s’estant trouvez réduits aux seules instructions généralles qu’on fait dans les paroisses pendant que quelques gens mal intentionnez les accabloient de repproches, une bonne partie d’entre eux est malheureusement retombée dans son aveuglement également funeste à eux et à leurs enfans qui prennent des impressions dont il seroit difficile par la suite de les dissuader si on les laissoit plus longtemps sans secours10. »

  • 11 Benjamin Robert, « Une liste de protestants alençonnais, au lendemain de la révocation de l’édit d (...)
  • 12 Benjamin Robert, La maison des Nouveaux Catholiques à Alençon de 1686 à 1755, Alençon, 1942. Nicol (...)

5La solution préconisée par l’intendant est de poursuivre et d’intensifier les missions et d’accroître les enfermements de filles et de garçons de couples réformés. En effet, dans une enquête commanditée par le même Jubert de Bouville sur les Nouveaux Convertis d’Alençon, une liste nominative des familles protestantes est dressée, rue par rue. Les familles nobles de la ville ne sont pas alors touchées par de telles mesures : soit elles ne semblent pas avoir de jeunes enfants, comme Alexandre de Gandeuil, écuyer, sieur de la Roche, et sa femme Madeleine Courtin, qui sont désignés comme « pauvres, à assister » ; soit ils font correctement leurs devoirs de catholiques, c’est le cas de Jean Barbier, écuyer, sieur de La Bourdonnière, et de sa femme qui ont quatre enfants nés en 1668, 1671, 1672 et 1677, dont un est même dit mousquetaire, signe d’un ralliement à la confession du roi. Quant à Jacques Dornant et à sa femme, l’enquête indique qu’ils « s’en sont allés avec une fille de treize ans, et ont laissé un garçon de deux ans qui est chez le sieur Bonnebos, ancien catholique », mention qui signifie qu’ils ont rejoint un pays du Refuge. Bouville suggère d’enfermer vingt et une jeunes filles et quatorze garçons. Mais il y aurait déjà, à cette même date, dix-neuf jeunes filles et neuf garçons Nouveaux Convertis accueillis dans les deux couvents nouvellement créés pour les recevoir11. En effet, en 1675, est fondée la maison des Nouvelles Catholiques par Élisabeth de Farcy, la fille d’un trésorier du bureau des finances de cette ville. En 1680, c’est un établissement pour garçons, le couvent des Nouveaux Catholiques qui ouvre12. L’objectif est donc de retirer des enfants à des parents mal convertis, jugés « opiniâtres », et les élever dans la religion catholique. Le raisonnement de Bouville et de ses successeurs est qu’il est difficile de convertir un adulte, ce qui serait moins le cas des enfants.

  • 13 Les archives départementales de l’Orne ont conservé un important dossier sur cette famille, en par (...)

6L’application de cette politique demeure mal connue jusque dans les années 1720, à l’exception d’une affaire qui touche les Frotté en 1718. Par de nombreux aspects, cette famille symbolise la résistance de la noblesse protestante13. Originaire du Bourbonnais, arrivée en Normandie en 1434, elle est divisée, aux XVIIe et XVIIIe siècles, en deux principales branches : la branche aînée, les Couterne, et la branche cadette, les La Rimblière. Ainsi, les trois fils de Samuel de Frotté de La Rimblière, décédé en 1716, et de Suzanne de Cleray, sont enlevés par une lettre de cachet datée du 28 novembre 1718 et mis au couvent des Nouveaux Catholiques d’Alençon. À la demande de leur mère, ils en sont ensuite retirés et confiés à Michel Foucher de la Rairie, greffier de l’élection d’Alençon qui est chargé de leur éducation, l’aîné devant également se rendre au collège royal d’Alençon tenu par les Jésuites. Leur oncle, émigré en Irlande, s’est inquiété de cette éducation catholique et, dans une lettre datée du 3 mai 1724, il écrit à sa belle-sœur :

  • 14 Cité par L. Duval, Un gentilhomme cultivateur au XVIIIe siècle […], op. cit., p. 207-208.

« Je donne, par mon testament, cent livres sterlings à celuy de vos enfans qui voudra venir vivre et exercer la religion réformée dans ces royaumes. […] Je vous prie présentement de bien réfléchir que ce que je fais c’est en veue de leur salut, que je souhaiterois qu’ils vinssent pour estre mieux instruits, quoyque je ne doute pas que vous ne donniez tous vos soins à les mettre dans le droit chemin ; mais je connois la jeunesse qui est aisément débauchée quand elle n’est pas retenue par les prédications. Nostre âme a besoin de nourriture aussy bien que nos corps. Voyez donc, ma chère sœur, ce que nous pouvons faire ensemble pour tâcher d’en faire venir un icy14. »

  • 15 Ibid., p. 209.

7Toutefois, plusieurs signes indiquent qu’ils ne sont catholiques que de façade. En 1726, le second des fils, Pierre-Jean, appelé de la Perrière, quitte la maison de Foucher de la Rairie et se réfugie chez sa mère qui ne semble pas pressée de renvoyer son fils fugueur. Foucher écrit ainsi à l’intendant d’Alençon que Suzanne de Cleray « luy tesmoigna qu’elle n’avoit jamais pu l’obliger de revenir, et mesme que pour engager son dit enfant de le faire, elle l’avoit mis plusieurs fois hors de chez elle, n’estant nullement participante de cette absence15 ». Suzanne de Cleray cherche en tout cas à retirer ses enfants de la maison de Foucher de la Rairie. Elle fait cette demande à l’intendant d’Alençon pour deux d’entre eux, sans que l’on sache exactement lesquels, mais probablement les deux plus jeunes. Voici ce qu’elle écrit :

  • 16 Ibid., p. 210.

« Supplie humblement Suzane de Cleray, veuve Samuel de Frotay, sieur de la Rimblière, demeurant en la paroisse de Damigny ; et nous remontre qu’elle a deux garçons, l’un âgé de dix ans et l’autre d’onze, lesquels ont esté mis par vostre ordre en la maison du sieur Fouchet de la Rairie, greffier de l’Élection de ce lieu, à la pension de cent cinquante livres pour chacun des dits enfans, laquelle fut arbitrée mesme par ledit Foucher qui en a esté toujours payé de quartier en quartier et par avance, jusques au 5 de ce mois qu’il fit refus de recevoir le payement du cartier écheu audit jour, disant qu’il vouloit davantage, sans dire d’autres raisons16. »

  • 17 Ibid.
  • 18 Ibid. Placet adressé par Samuel de Frotté de La Rimblière à Chauvelin, Garde des sceaux.
  • 19 Ibid., p. 212.

8Suzanne de Cleray s’oppose à l’augmentation de la pension, cent cinquante livres pour chacun des enfants, car « ladite dame n’a de quoy vivre que très médiocrement et que ses enfans n’ont aucuns biens ». Elle demande donc qu’ils soient retirés et placés « sur le mesme pied de cent cinquante livres chez un ancien catholique de cette ville dont le fils est ecclésiastique lequel aura soin d’élever les enfans et les instruire beaucoup mieux que ledit Fouchet17 ». En octobre 1727, l’aîné, Samuel, peut se retirer chez sa mère justifiant ainsi sa demande : « Il est grand temps présentement qu’il veille à ses affaires, parce que sa mère est toujours malade et ne peut plus avoir le soin du peu de bien qu’ils ont, quoique son inclination le porte à servir Sa Majesté, lorsqu’il trouvera une place, à l’exemple de ceux de sa famille18. » En fait, Samuel n’a pas attendu la décision du roi pour rejoindre sa mère, ce que regrette l’intendant qui écrit : « C’est à la vérité un jeune homme de dix-huit ans qui ne sent pas les conséquences de sa désobéissance, mais qui mériteroit, au moins, une sévère réprimande. » Toutefois, aux yeux de l’intendant, comme des jésuites et de Foucher de la Rairie, Samuel apparaît comme un bon catholique, étant « assez instruit des principes de la religion catholique pour qu’il n’y ait nul inconvénient à luy accorder la grâce qu’il demandait19 ». Louis Duval, dans son étude sur Samuel de Frotté, suit cet avis en affirmant que sa catholicité semble bien établie. Il donne comme preuve sa présence comme parrain lors d’un baptême, à Damigni, en 1728. Rien n’est moins sûr. Cet acte peut être un moyen de ne pas éveiller les soupçons et une preuve de son nicodémisme.

  • 20 N. Clolus, Répression et conversion. La politique de l’intendant Lallemant de Lévignen […], op. ci (...)

9En 1726, est nommé à la tête de la généralité d’Alençon un nouvel intendant, Louis-François Lallemant de Lévignen qui reste quarante ans à la tête de cette circonscription. Au cours de cette période, il pratique deux types d’enlèvements. Les uns peuvent être qualifiés de ponctuels, ils dépendent du comportement de telle ou telle famille ; ce sont surtout des jeunes filles issues de familles aisées qui sont enlevées à leurs parents. Lallemant de Lévignen procède également à des enlèvements groupés, c’est-à-dire que des listes sont établies par ses subdélégués ou des ecclésiastiques et des soldats sont chargés de procéder aux arrestations et de conduire les enfants soit à l’Hôpital général de Falaise, soit dans les couvents des Nouveaux et des Nouvelles Catholiques d’Alençon ; les protestants du village de Crocy sont les plus touchés par de telles procédures20.

  • 21 Cette même année, cinq autres jeunes filles sont envoyées au couvent des Nouvelles Catholiques : L (...)
  • 22 Arch. dép. Orne, C 629. Les arrestations sont, cependant, beaucoup moins nombreuses après 1766, qu (...)
  • 23 Arch. dép. Orne, C 625.
  • 24 Ibid., p. 144. Arch. dép. Orne, C 617.

10Les familles nobles subissent uniquement des enlèvements ponctuels, à l’image de ce qu’ont connu les Frotté en 1718. C’est le cas, par exemple, de Marguerite de Vervaines de Saint-Denis qui est retirée à ses parents en 172821. De tels enlèvements se poursuivent, cependant, jusque dans les années 1770 puisque, le 20 novembre 1773, le roi ordonne l’enfermement de Marie-Charlotte de Calménil d’Orval22. Toutefois, les arrestations ne réussissent pas toujours. Ainsi, en 1754, ordre est donné de faire arrêter le fils de Dumerle, gentilhomme décédé, résidant à Soligny près de Mortagne-au-Perche. Il ne peut être enfermé dans un premier temps, sa mère l’ayant éloigné de son domicile. Mais, quelques mois plus tard, le garçon, ses deux sœurs et leur mère sont arrêtés et enfermés à Alençon23. Existent également des placements volontaires de la part des parents qu’il ne faut surtout pas confondre avec les enlèvements, même si les historiens comme Alfred Galland ou Émile-G. Léonard ont souvent procédé à cet amalgame. Ainsi, en janvier 1746, la dame de la Bellière demande deux places aux Nouvelles Catholiques pour deux de ses filles. Cette femme serait née dans une famille de « gens de la RPR » et se déclare Nouvelle Convertie. Être issu d’une famille protestante pourrait devenir ainsi un avantage par l’obtention d’une pension pour l’éducation de ses enfants. Une enquête est menée par le subdélégué La Fresnaye fils, qui informe l’intendant que « c’est une famille qui n’a que pour seul bien la noblesse » : la requête de la mère peut être, selon lui, accordée sans problème. Dans une lettre adressée à l’intendant, d’Argenson fait remarquer que « l’attention ne pouvant estre trop grande pour réserver ces sortes de places aux enfants qui sans ce secours seraient élevées dans l’erreur ». Permettre ainsi leur entrée, ce serait éviter qu’elles deviennent calvinistes. Saint-Florentin refuse en fait cette autorisation24. Vingt ans plus tard, de nouveaux enfants Frotté sont retirés à leurs parents dans des conditions comparables. En 1767, l’épouse catholique de Jacques de Frotté de La Rimblière demande à l’intendant que deux de ses trois filles soient confiées aux Nouvelles Catholiques d’Alençon. Le 28 janvier 1767, l’évêque de Sées reçoit une lettre du contrôleur général des finances, Bertin, qui lui écrit :

  • 25 Cité par É.-G. Leonard, « La résistance protestante en Normandie au XVIIIe siècle », op. cit., p.  (...)

« J’ai l’honneur, Monseigneur, de vous envoyer les ordres du roi pour retenir dans le couvent des N. C. d’Alençon les deux demoiselles Frotté, que vous avez eu le talent de déterminer à s’y rendre d’elles-mêmes. Ces ordres que vous aurez la bonté de faire remettre à la supérieure, […] resteront ignorés tant que ces jeunes filles ne réclameront pas leur liberté. Par là, tout éclat est évité et c’est à votre prudence, Monseigneur, qu’on en aura obligation25. »

  • 26 Ibid.

11La mère obtient également que son second fils, Pierre-Jean, soit placé à Alençon. En 1783, il était porté sur l’état de gratification de 150 livres accordées par le roi aux Nouveaux Catholiques26.

  • 27 Arch. dép. Orne, C 618.
  • 28 Il s’agit de Suzanne-Charlotte-Adélaïde, d’Henriette-Thérèse, de Catherine et de Marguerite.
  • 29 Pour ces différentes affaires, voir arch. dép. Orne, C 612, C 616 et C 620.
  • 30 Arch. dép. Orne, C 629.
  • 31 Arch. dép. Orne, C 627 et C 630.
  • 32 Arch. dép. Orne, C 618.
  • 33 É.-G. Leonard, « La résistance protestante en Normandie au XVIIIe siècle », op. cit., p. 73.

12Au total, les jeunes filles issues de familles nobles sont au nombre de six sur vingt-huit, en 1746, parmi celles dont le roi paie la pension27. À la même date, sur vingt garçons, cinq d’entre eux ont un père qualifié de gentilhomme. Quel est le résultat de ces enfermements et placements dans des établissements religieux ? Il est plutôt positif pour le pouvoir. Certaines jeunes filles deviennent religieuses. En 1736 et 1737, quatre jeunes filles de la famille Duménil du Clos ont obtenu des dots28. En août 1744, c’est une Saint-Denis Vervaine qui reçoit 150 livres de dot pour entrer au couvent de la Visitation d’Alençon29. Marie-Anne de Frotté demande au roi, en janvier 1771, une pension pour lui permettre ainsi d’entrer comme religieuse aux Nouvelles Catholiques30. D’autres sortent considérées comme bien converties, comme Marie-Charlotte de Calménil d’Orval31. Parmi les garçons enfermés en 1746, un seul est qualifié négativement. Il s’agit de René de Tilly : « Peu d’esprit, sujet inutile dont il ne semble pas qu’on puisse rien espérer si ce n’est quelques fruits tardifs32. » Toutefois, la conversion de telle ou telle personne demeure souvent une énigme. C’est le cas, par exemple, de celle de Jacques de Frotté de La Rimblière qui, malgré les nombreuses preuves d’adhésion à la confession réformée, se convertit au catholicisme deux mois avant de mourir, le 3 octobre 1784, alors que les persécutions sont désormais beaucoup plus rares dans le royaume33.

  • 34 Ibid., p. 56. Voir en particulier arch. dép. Orne, C 612, C 624, C 627, C 628 et C 629. Par exempl (...)

13Ainsi, hormis les enlèvements d’enfants, les autres types de mesure à l’encontre des Nouveaux Convertis semblent rares. Les enfermements peuvent permettre les conversions et éviter une des principales craintes des autorités : l’émigration. C’est dans ce contexte qu’il faut comprendre, pour les familles nobles de Normandie, comme pour toute famille protestante du royaume, le contrôle de nombreux actes économiques, en particulier des ventes. C’est ce qui arrive à plusieurs reprises aux Calménil d’Orval, comme en 1740, 1743, 1748, 1767 ou 1772. Pour chaque vente d’un bien, le Nouveau Converti doit demander la permission et s’adresser à l’intendant, la décision étant officiellement prise par le ministre chargé des affaires protestantes. Toutefois, l’avis du subdélégué semble être essentiel. Ainsi, en juillet 1767, Calménil d’Orval souhaite emprunter 10 000 livres pour rembourser une dette en raison de loyers impayés d’une ferme. Le ministre Bertin veut refuser une telle requête, car il estime que le protestant veut fuir ! L’avis du subdélégué, contraire à celui du ministre, l’emporte34.

  • 35 Cité par L. Duval, Un gentilhomme cultivateur au XVIIIe siècle […], op. cit., p. 199-200.
  • 36 D. Boisson, Les protestants de l’ancien colloque du Berry de la révocation de l’édit de Nantes à l (...)

14La noblesse protestante de la généralité d’Alençon, par certaines attitudes, donne des preuves de son adhésion au calvinisme. C’est le cas, tout d’abord, à l’occasion des mariages, des baptêmes et des sépultures. Les Frotté de La Rimblière constituent un exemple intéressant, se comportant de la même façon que leurs autres coreligionnaires. Ainsi, Samuel épouse en 1710 Suzanne de Cleray, fille de feu Jean de Cleray, sieur de la Perrière, et de demoiselle Suzanne Herbron. Les articles de mariage sont accordés sous signature privée le 15 mars 1710. Le dépôt des articles est fait le 8 juin suivant dans une étude d’Alençon, chez maîtres Choisne et Bidon. Toutefois, aucun mariage catholique légal n’a jamais été célébré. L’union s’est déroulée à la Haye dans le diocèse d’Évreux. En effet, lors du baptême du premier enfant, le curé ajoute au sujet des deux parents : « Qui ont dit avoir été mariés en la paroisse de la Haye, diocèse d’Évreux, demeurant actuellement en cette paroisse35. » Quel type d’union est-ce ? Ce n’est probablement pas un mariage réformé célébré par un pasteur clandestin, comme l’affirme Louis Duval. Dans une telle région où les communautés réformées sont peu nombreuses après la révocation de l’édit de Nantes, il est peu courant de voir des ministres venus du Refuge. En revanche, le couple a plutôt été marié illégalement par un curé complaisant qui accepte de les unir bien qu’aucun des deux époux ne soit de sa paroisse, alors que la loi l’y oblige. De tels curés n’inscrivent pas le mariage illégal dans le registre paroissial, mais délivrent seulement aux nouveaux époux un certificat de mariage. En Normandie ou dans des régions limitrophes, des exemples sont connus, que ce soit à Haussez dans le diocèse de Beauvais ou à Aillères, près de Mamers, dans celui du Mans36. Des couples réformés acceptent souvent cette solution car leur curé refuse d’unir deux religionnaires qui acceptent une conversion de façade pour respecter la loi, mais qui retournent dans la confession réformée le soir même de la cérémonie. Faute de mariage valide, ils préfèrent un mariage catholique illégal plutôt que pas de mariage catholique du tout.

  • 37 É.-G. Leonard, « La résistance protestante en Normandie au XVIIIe siècle », op. cit., p. 73.

15Un des fils de Samuel de Frotté et de Suzanne de Cleray, Jacques, épouse une catholique, Anne Le Pistre, en 1745. Ce mariage demeure bigarré, dans la mesure où elle reste catholique et lui protestant. En 1760, le subdélégué de Sées écrit au sujet de Jacques de Frotté : « Je connais M. de La Rimblière pour si obstiné dans son erreur que, s’il a quelque débouché pour soustraire ses enfants à l’éducation catholique, il n’en profite afin de les faire élever dans la religion protestante dont il leur inspire sans doute les principes37. » Un accord est-il intervenu entre les deux époux sur l’éducation religieuse de leurs enfants, les garçons dans la confession du père et les filles dans celle de la mère ? C’est possible. En 1767, le même subdélégué ajoute :

  • 38 Ibid.

« M. de Frotté est de famille protestante, et sans le zèle que madame sa femme a pour la religion catholique et le salut de ses enfants, il les aurait tous élevés dans les principes du protestantisme qu’il leur inspire tant qu’il peut. Ces enfants sont au nombre de cinq, deux garçons et trois filles. Deux de celles-ci sont à la pension du roi dans la maison des N. C. Le fils aîné, âgé de 21 ans, n’a point encore fréquenté les sacrements, ce qui fait fortement soupçonner qu’il est imbu des erreurs de son père. Ce soupçon fait craindre à la mère qu’il en soit de même pour son second fils, qui est un jeune homme qui parait avoir d’heureuses dispositions38. »

16Mais nous avons vu qu’elle réussit à le placer au couvent des Nouveaux Catholiques d’Alençon.

17Pierre-Henri de Frotté de La Rimblière a un comportement en partie identique. Il épouse en premières noces une catholique Agathe Clairambault du Penhoët. De ce couple naît en 1766 un garçon, Louis, le futur chef royaliste, élevé dans la confession de son père. Toutefois, veuf en 1772, Pierre-Henri rentre dans le rang en s’unissant, en 1777, selon le rite réformé, à Suzanne Dumont, parente d’Isaac Dumont de Bostaquet. Conformément à l’édit de novembre 1787, leur mariage est réhabilité à Caen le 17 février 1789.

  • 39 L. Duval, Un gentilhomme cultivateur au XVIIIe siècle […], op. cit., p. 199-200.

18En ce qui concerne les baptêmes, il ne faut pas s’étonner de l’attitude de cette famille Frotté. Samuel de Frotté de La Rimblière et Suzanne de Cleray ont eu trois enfants : Samuel, né le 12 mai 1711, et baptisé dans l’église de Damigni le lendemain ; Pierre-Jean, né le 8 septembre 1713, et baptisé le 10 septembre ; Jacques, né le 14 mai 1716, et baptisé le 15 mai. Les couples réformés acceptent très souvent – surtout dans le Nord du royaume et malgré, plus tard, les recommandations des synodes nationaux – d’aller à l’église faire baptiser leurs enfants, non pas parce que l’édit de Fontainebleau les y oblige, mais en raison de l’absence de pasteur dans ces premières années du XVIIIe siècle et du fait que ce sacrement a la même valeur pour les deux confessions. À chaque naissance, il n’y a probablement pas la célébration de deux baptêmes, un catholique et un protestant, comme le suggère Louis Duval39, mais les parents choisissent deux parrains et deux marraines, deux catholiques qui apparaissent sur le registre paroissial et deux protestants. Ainsi, à l’occasion du baptême de leur troisième fils, Samuel de Frotté de La Rimblière et Suzanne de Cleray font inscrire dans le registre paroissial Jean Houel et Marie Boul comme parrain et marraine catholiques ; le livre de raison de la famille révèle que deux protestants sont également désignés, Jacques de Frotté, son oncle exilé en Irlande, et Jacqueline du Perche, femme de Louis des Loges, écuyer, sieur du Fresne. Ainsi, apprenant la future naissance de son filleul, Jacques de Frotté écrit dans une de ses lettres :

  • 40 Ibid., p. 202. Lettre du 30 janvier 1716.

« J’accepte avec plaisir l’honneur que vous me faites de nommer l’enfant que Dieu vous promet. Je ne l’accepterois pas si je n’étois persuadé que vous l’éleveres dans la crainte de Dieu, comme le reste de vostre famille. Vous estes née avec la connoissance de la vérité ; si vous ne la communiques pas à vos enfans, vous répondrès devant Dieu de la perte de leurs âmes, mais j’espère mieux de vous40. »

19Enfin, à l’égard des décès, les comportements des nobles protestants ne sont pas surprenants non plus. Quand il apprend les décès de sa mère et de son frère, Jacques de Frotté, depuis Dublin, écrit :

  • 41 Ibid., p. 203.

« Vous pouvès aisement comprendre, ma très chère sœur, combien a esté grande ma douleur lorsque j’apris, en mesme jour, la mort de ma chère mère et celle de mon cher frère. J’ay trouvé consolation en aprenant qu’ils ont esté enterrés dans nostre jardin, car je voy par là qu’ils sont morts au Seigneur41. »

20Ce sont donc des sépultures clandestines qui ont été organisées : elles se déroulent souvent la nuit pour ne pas éveiller les soupçons. Toutefois, personne n’est dupe. Le curé a le droit d’assister aux derniers moments de tout Nouveau Converti et de lui proposer les derniers sacrements. En cas de refus, le mourant est considéré comme un relaps et peut être jugé – ou son cadavre s’il décède – pour ce crime.

  • 42 Cette déclaration royale permet d’obtenir d’un juge une autorisation de sépulture à la suite du dé (...)
  • 43 N. Clolus, Répression et conversion. La politique de l’intendant Lallemant de Lévignen […], op. ci (...)

21Les nobles protestants sont également présents lors des déclarations de décès autorisées par la loi. Ainsi, le 22 janvier 1754, en application d’une déclaration de 173642, Jacques-Philippe-Henry de Forges, sieur de Préménil, conseiller du roi, lieutenant général, bailli civil et criminel au bailliage d’Alençon, enregistre la déclaration de sépulture de Suzanne-Marie-Catherine Missant, épouse de Gabriel de Calménil d’Orval. Ce dernier déclare que sa femme a toujours professé la confession réformée et qu’elle est inhumée dans son château ; les domestiques confirment le décès43. Samuel de Frotté de La Rimblière meurt en 1789 dans la confession réformée. Conformément à l’édit de tolérance de 1787, le curé enregistre la déclaration de son décès comme il suit :

  • 44 Ibid., p. 232.

« Nous, Samuel Poulet, Conseiller du Roi et de Monsieur leur Commissaire de police en la ville d’Alençon et dépendances du bailliage d’Alençon, y demeurant, soussigné, certifions à qui il appartiendra que ce jourd’hui, 21e jour du mois d’août 1789, sur les viron de sept heures du matin, avons vu mis en terre le corps de deffunt messire Samuel de Frotté, écuyer, sieur de la Rimblière, paroisse de Damigny, veuf de Marie-Anne Castaing. Fait et délivré le présent [en] présence des parents et amis du deffunt qui ont signé avec nous le dit jour et an, pour leur servir et valoir ainsi qu’il aviseront bien, conformément à l’édit du Roi de 178844. »

  • 45 Voir en particulier D. Boisson, « Étouffement et résistance du protestantisme dans la généralité d (...)
  • 46 Francis Waddington, Le protestantisme en Normandie, Paris, 1862.
  • 47 Didier Boisson, Consciences en liberté ? Itinéraires d’ecclésiastiques convertis au protestantisme (...)
  • 48 A. Galland, Essai sur l’histoire du protestantisme à Caen et en Basse-Normandie […], op. cit., p.  (...)
  • 49 Ibid., p. 477.

22Enfin, il est nécessaire de s’interroger sur le protestantisme des nobles protestants, en particulier des Frotté. En fait, sont-ils réellement protestants ? Il ne fait aucun doute que cette famille se dit protestante et revendique son adhésion au calvinisme. Toutefois, leur foi demeure largement inconnue, leur participation au culte réformé également. Cette question se pose sur différents plans. En effet, une famille comme les Frotté ne cherche pas à participer aux assemblées publiques clandestines organisées dans les principales communautés de la région comme dans le bocage normand ou à Crocy et même, au contraire, souhaite les éviter45. Ce comportement est tout à fait classique parmi les élites sociales durant la période du Désert. La noblesse organise des assemblées privées au cours desquelles le culte est célébré, des sermons lus et des psaumes chantés. Dans une généralité comme celle d’Alençon, l’isolement confessionnel est encore plus grand, en raison du faible nombre de Nouveaux Convertis. La seule issue possible est de participer à des assemblées clandestines hors de la généralité, en particulier avec d’autres familles de la région de Caen. Le deuxième comportement des élites réformées normandes, en particulier celles demeurant dans les villes, est leur refus du départ et leur résistance à participer à la réorganisation des Églises du Désert. Celles de Haute-Normandie, en particulier dans le pays de Caux, commencent à être restaurées au cours des années 1740, plus particulièrement grâce à l’action des pasteurs André Migault et Michel Viala46. En Basse-Normandie, les Églises du bocage sont dirigées, entre 1744 et 1750, par un prédicant originaire du Poitou, Pierre Morin, dit L’Épine, qui installe des consistoires et convoque des colloques réunissant ces Églises, mais en dehors de la réorganisation du système presbytéro-synodal dirigé, depuis Lausanne, par Antoine Court. En 1750, le nouveau pasteur envoyé en Normandie par Lausanne est Pierre Boudet, dit Gautier, un ancien ecclésiastique converti au protestantisme et devenu pasteur47. Ce dernier se rend dans les communautés du bocage en décembre 1750 et réunit un colloque, le 26 décembre, au cours duquel les anciens acceptent l’organisation synodale. Il effectue même un second séjour auprès des Églises du bocage en décembre 1752. Cette présence de Gautier en Normandie est importante, car il se soucie de rallier également les réticentes communautés urbaines et les élites. En effet, Gautier est accueilli au château d’Ifs par Eugène Costard d’Ifs, en particulier pour célébrer la Cène aux fêtes de Noël 1752 et 1753. Là, le propriétaire reçoit la noblesse protestante de Basse-Normandie, les Frotté par exemple dont il a épousé une de ses membres48. C’est dans ce même château qu’est élevé dans la foi réformée, Louis de Frotté, entouré de deux de ses tantes49.

  • 50 Sur cette question, voir Didier Boisson et Hugues Daussy, Les protestants dans la France moderne, (...)

23Ainsi, en dehors de tout contrôle pastoral et sous l’influence des Lumières, le protestantisme de ces familles nobles du XVIIIe siècle est probablement différent de celui de leurs ancêtres qui ont connu la révocation de l’édit de Nantes. Cette évolution n’est en rien propre à la noblesse normande mais mérite d’être soulignée50. Pierre-Henri de Frotté de La Rimblière, l’époux de Suzanne Dumont de Bostaquet, semble, par exemple, un fervent partisan du magnétisme. Un de ses parents écrit :

  • 51 Cité par É.-G. Leonard, « La résistance protestante en Normandie au XVIIIe siècle », op. cit., p.  (...)

« Le père Frotté veut à présent nous magnétiser. Un de ses amis, nommé chevalier de Malherbe, vient d’arriver de Strasbourg où est actuellement la grande école de magnétisme, qui lui a rempli la tête de toutes les chimères de Mesmer. Bref, il voulut magnétiser M. [Chatry] de La Fosse, qui n’éprouva rien. Il s’empara aussi de moi, sans réussir51. »

  • 52 Ibid., p. 75.
  • 53 Daniel Ligou, « Franc-maçonnerie et protestantisme », Dix-Huitième Siècle, 1985, p. 41-51.
  • 54 Éric Saunier, Révolution et sociabilité en Normandie au tournant des XVIIIe et XIXe siècles, Rouen (...)

24Toutefois, ce même parent ajoute : « Mais cela ne l’empêche pas d’être zélé et d’avoir une foi inébranlable52. » Sa participation à la franc-maçonnerie, « culte de substitution53 » et moyen d’intégration dans les élites locales, ne doit pas étonner54.

25Quelle que soit la foi de cette noblesse réformée normande, un élément fondamental de son identité est la transmission d’une mémoire et d’une histoire familiales inscrites dans le protestantisme et les persécutions subies. Le discours qu’aurait tenu Charles-Gabriel-Daniel de Frotté de Couterne à Louis de Frotté est à cet égard significatif :

  • 55 Cité par L. de La Sicotière, Louis de Frotté et les insurrections normandes […], op. cit., p. 68-7 (...)

« Depuis près de cent cinquante ans, notre religion nous a malheureusement exclus des bontés du monarque. Non seulement nous n’avons pu obtenir aucune grâce, mais nous avons été persécutés à outrance. Le grand-oncle de votre père, qui avait bien fait la guerre, fut obligé de s’enfuir en Irlande. Votre grand-père et vos grands-oncles ont été enfermés après avoir été enlevés des bras de leur mère. Mon grand-père et mon père l’ont été également. Pour éviter de l’être, j’ai été habillé en fille et caché jusqu’à quatorze ans. Votre cousine que voici a été comme moi cachée longtemps et lorsque les rigueurs qu’on exerçait sur les réformés commençaient à s’adoucir, un ordre arbitraire de l’intendant, qui nous haïssait, l’arracha d’ici […]. Repoussés par notre patrie, humiliés par des défiances injustes, nous aurions pu, comme tant d’autres familles, chercher refuge à l’étranger ou quitter notre religion pour prendre celle du prince. Mais nous étions trop attachés à notre pays et à nos principes pour en changer55. »

*

26Pour conclure, il faut souligner que, si certaines familles de la noblesse conservent la confession réformée dans la généralité d’Alençon, progressivement beaucoup l’abandonnent, comme dans de nombreuses autres provinces du royaume. Toutefois, l’existence d’une noblesse réformée en Normandie à la fin de l’Ancien Régime constitue une exception au nord de la Loire. Le protestantisme dans la généralité d’Alençon au XVIIIe siècle demeure encore mal connu et reste en grande partie à étudier, en particulier dans la ville d’Alençon. Cependant, comme le constatait Charles-Gabriel-Daniel de Frotté, les membres de cette famille apparaissent comme les seuls gentilshommes protestants « un peu marquants » de la généralité à la veille de la Révolution.

Les Frotté de La Rimblière.

Notes

1 Voir en particulier les travaux de Francis Waddington, Le protestantisme en Normandie, Paris, 1862 ; Alfred Galland, Essai sur l’histoire du protestantisme à Caen et en Basse-Normandie de l’édit de Nantes à la Révolution, Paris, Grassart, 1898, rééd. Paris, Éditions des Bergers et des Mages, 1991 ; É.-G. Leonard, « La résistance protestante en Normandie au XVIIIe siècle », Cahier des Annales de Normandie, no 34, 2005.

2 Didier Boisson, « Étouffement et résistance du protestantisme dans la généralité d’Alençon de la révocation de l’édit de Nantes à la Révolution (1685-1789) », Bulletin de la Société historique et archéologique de l’Orne, 2007, p. 5-23.

3 Cité par É.-G. Leonard, « La résistance protestante en Normandie au XVIIIe siècle », op. cit., p. 70.

4 Arch. nat., G7 71, mémoire du 3 août 1682.

5 Le document indique un total de 943 familles, dont 65 nobles, soit 6,89 %. Les totaux réalisés à partir des chiffres donnés par l’intendant donnent plutôt 1 103 familles, dont 75 nobles, soit 6,79 %.

6 Yves Gueneau, Protestants du Centre, 1598-1685, thèse de 3e cycle, université de Tours, 1982.

7 Voir en particulier Didier Boisson et Hugues Daussy, Les protestants dans la France moderne, Paris, Belin, 2006. Didier Boisson, « La place et le rôle des protestants dans les villes françaises », Jean-Pierre Poussou (dir.), Les sociétés urbaines au XVIIe siècle, Paris, PUPS, 2007, p. 221-233.

8 Philip Benedict, « Alençon’s Huguenots, 1620-1685 : the Social Transformation of a Reformed Community », The Faith and Fortunes of France’s Huguenots, 1620-85, Aldershot, Ashgate, 2001, p. 9-33.

9 Michel-André Jubert de Bouville (1645-1720) est intendant de la généralité d’Alençon de 1683 à 1689. Marié à la fille de Jean Desmarets et de Marie Colbert, son fils devient également intendant d’Alençon entre 1708 et 1713.

10 Arch. nat., G7 71, mémoire de 1687.

11 Benjamin Robert, « Une liste de protestants alençonnais, au lendemain de la révocation de l’édit de Nantes », Bulletin de la Société historique et archéologique de l’Orne, 1937, p. 156-222. C’est le cas de Madeleine Lesage, six ans, des sœurs Marguerite et Élisabeth Taunay, âgées de 21 ans et de 18 ans, filles de Jean Taunay, marchand d’Alençon, ou de Titus Legendre, douze ans, fils de Marguerite Boullay et de défunt Salomon Legendre.

12 Benjamin Robert, La maison des Nouveaux Catholiques à Alençon de 1686 à 1755, Alençon, 1942. Nicolas Clolus, Répression et conversion. La politique de l’intendant Lallemant de Lévignen envers les protestants de la généralité d’Alençon (1726-1766), mémoire de maîtrise, université du Maine, 2004.

13 Les archives départementales de l’Orne ont conservé un important dossier sur cette famille, en particulier la correspondance entre des membres de la famille, qui a été publiée en partie par Léon de La Sicotière, Louis Duval et Émile-G. Léonard. Léon de La Sicotiere, Louis de Frotté et les insurrections normandes, 1793-1832, Paris, Plon et Nourrit, 1889, 3 volumes. Louis Duval, Un gentilhomme cultivateur au XVIIIe siècle. Samuel de Frotté de La Rimblière, membre de la Société royale d’agriculture d’Alençon. Son livre de compte, Alençon, Imprimerie alençonnaise, 1908 ; publié également dans le Bulletin de la Société Historique et Archéologique de l’Orne, 1908, p. 197-232. Émile-G. Leonard, « La résistance protestante en Normandie au XVIIIe siècle », Cahier des Annales de Normandie, no 34, Caen, 2005.

14 Cité par L. Duval, Un gentilhomme cultivateur au XVIIIe siècle […], op. cit., p. 207-208.

15 Ibid., p. 209.

16 Ibid., p. 210.

17 Ibid.

18 Ibid. Placet adressé par Samuel de Frotté de La Rimblière à Chauvelin, Garde des sceaux.

19 Ibid., p. 212.

20 N. Clolus, Répression et conversion. La politique de l’intendant Lallemant de Lévignen […], op. cit. ; Didier Boisson, « Étouffement et résistance du protestantisme dans la généralité d’Alençon de la révocation de l’édit de Nantes à la Révolution (1685-1789) », Bulletin de la Société historique et archéologique de l’Orne, 2007, p. 5-23.

21 Cette même année, cinq autres jeunes filles sont envoyées au couvent des Nouvelles Catholiques : Louise Alix de Grand-Champ, Marthe de la Fontenelle, Marguerite et Louise Caget, et Marie Montménil. Voir arch. dép. Orne, C 614 et N. Clolus, Répression et conversion. La politique de l’intendant Lallemant de Lévignen […], op. cit., p. 67.

22 Arch. dép. Orne, C 629. Les arrestations sont, cependant, beaucoup moins nombreuses après 1766, quand Julien remplace Lallemant de Lévignen ; Nicolas Clolus n’en compte que 5 entre 1767 et 1789, ibid., p. 88.

23 Arch. dép. Orne, C 625.

24 Ibid., p. 144. Arch. dép. Orne, C 617.

25 Cité par É.-G. Leonard, « La résistance protestante en Normandie au XVIIIe siècle », op. cit., p. 73.

26 Ibid.

27 Arch. dép. Orne, C 618.

28 Il s’agit de Suzanne-Charlotte-Adélaïde, d’Henriette-Thérèse, de Catherine et de Marguerite.

29 Pour ces différentes affaires, voir arch. dép. Orne, C 612, C 616 et C 620.

30 Arch. dép. Orne, C 629.

31 Arch. dép. Orne, C 627 et C 630.

32 Arch. dép. Orne, C 618.

33 É.-G. Leonard, « La résistance protestante en Normandie au XVIIIe siècle », op. cit., p. 73.

34 Ibid., p. 56. Voir en particulier arch. dép. Orne, C 612, C 624, C 627, C 628 et C 629. Par exemple, le 25 mai 1740 : « Nous avons Monsieur présenté un placet a la cour en qualité de nouveaux convertis, pour qu’il nous soit permy de vendre une petite ferme scituée dans la paroisse de Boissay prest St Pierre sur Dive, élection de Falaise […]. Comme Monsr de la Frainais votre subdélégué à Falaise fera sans doubte l’examen des raisons aléguées au ministre […] » (arch. dép. Orne, C 612).

35 Cité par L. Duval, Un gentilhomme cultivateur au XVIIIe siècle […], op. cit., p. 199-200.

36 D. Boisson, Les protestants de l’ancien colloque du Berry de la révocation de l’édit de Nantes à la fin de l’Ancien Régime (1679-1789), ou l’inégale résistance de minorités religieuses, Paris, Honoré Champion, 2000.

37 É.-G. Leonard, « La résistance protestante en Normandie au XVIIIe siècle », op. cit., p. 73.

38 Ibid.

39 L. Duval, Un gentilhomme cultivateur au XVIIIe siècle […], op. cit., p. 199-200.

40 Ibid., p. 202. Lettre du 30 janvier 1716.

41 Ibid., p. 203.

42 Cette déclaration royale permet d’obtenir d’un juge une autorisation de sépulture à la suite du décès d’un Nouveau Converti, si cette demande est faite par deux témoins. En application de cette loi, des registres peuvent être alors tenus par la justice.

43 N. Clolus, Répression et conversion. La politique de l’intendant Lallemant de Lévignen […], op. cit., p. 26.

44 Ibid., p. 232.

45 Voir en particulier D. Boisson, « Étouffement et résistance du protestantisme dans la généralité d’Alençon de la révocation de l’édit de Nantes à la Révolution (1685-1789) », Bulletin de Société historique et archéologique de l’Orne, 2007, p. 5-23. Les assemblées les plus connues sont organisées dans la paroisse de Frênes en avril 1691 (arch. nat., TT 272) et à Crocy en avril 1696 (arch. dép. Orne, 3 B 77). Sur Crocy, Rose-Blanche Le Meur, « La communauté protestante de Crocy aux XVIIe et XVIIIe siècles », Bulletin de Société historique et archéologique de l’Orne, no 4, décembre 1986, p. 107-135.

46 Francis Waddington, Le protestantisme en Normandie, Paris, 1862.

47 Didier Boisson, Consciences en liberté ? Itinéraires d’ecclésiastiques convertis au protestantisme (1631-1760), Paris, H. Champion, 2009.

48 A. Galland, Essai sur l’histoire du protestantisme à Caen et en Basse-Normandie […], op. cit., p. 388.

49 Ibid., p. 477.

50 Sur cette question, voir Didier Boisson et Hugues Daussy, Les protestants dans la France moderne, Paris, Belin, 2006.

51 Cité par É.-G. Leonard, « La résistance protestante en Normandie au XVIIIe siècle », op. cit., p. 75.

52 Ibid., p. 75.

53 Daniel Ligou, « Franc-maçonnerie et protestantisme », Dix-Huitième Siècle, 1985, p. 41-51.

54 Éric Saunier, Révolution et sociabilité en Normandie au tournant des XVIIIe et XIXe siècles, Rouen, 1998. Id., « Protestantisme et franc-maçonnerie en Normandie au temps de la transition révolutionnaire (1750-1830) », Protestantisme et franc-maçonnerie : de la tolérance religieuse à la religion de la tolérance, Paris, 2000.

55 Cité par L. de La Sicotière, Louis de Frotté et les insurrections normandes […], op. cit., p. 68-70.

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