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Histoire de l'UDF

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Gilles Richard
, 
Jean-François Sirinelli
, 
Sylvie Guillaume

L’UDF et l’Europe

Christine Manigand

Texte intégral

  • 1 Pour une analyse plus approfondie, nous nous permettons de renvoyer à Anne Dulphy et Christine Man (...)

1La France et les Français ont toujours entretenu une relation ambivalente à l’égard de l’Europe et de la construction européenne : depuis la Seconde Guerre mondiale, la France a joué à certains moments le rôle d’un véritable frein à toute avancée communautaire et à d’autres en a été le principal moteur. Dans cette perspective, la Ve République s’est inscrite dans le droit fil de sa devancière. Force est de constater que si la France a été à l’origine de grandes avancées, elle s’est signalée aussi par des ruptures, des blocages et des coups d’arrêt importants1. Certains observateurs ont donc à juste titre souligné un comportement français à l’égard de l’Europe caractérisé par une forte dose d’hypocrisie, voire à bien des égards par ce que Robert Frank appelle une « cyclothymie européenne », Samy Cohen une attitude « schizophrénique ».

2Pour tenter de comprendre cette contradiction, on peut convoquer la nature même du projet européen et ses logiques à l’œuvre, le degré d’engagement des élites et des familles politiques ou la concordance et la discordance des opinions. Or, l’UDF – ses différents leaders et ses militants et sympathisants – semble avoir été presque épargnée par les lignes de fracture, même ténues, qui ont traversé les différents partis politiques français et leur attitude face au processus communautaire. La réunion au sein d’un même parti, en 1978, de trois courants aux cultures politiques, aux origines et aux composantes diverses aurait pu toutefois être propice à des déchirements : ils n’ont existé qu’à la marge. Le 1er février 1978, lorsque Valéry Giscard d’Estaing créa l’Union pour la démocratie française (UDF), ayant besoin d’une formation plus élargie que celle des Républicains indépendants, il la présenta comme « libérale, centriste et européenne », mais l’UDF ne rassembla pas que des libéraux, elle attira aussi des démocrates-chrétiens et des radicaux.

  • 2 Nicolas Roussellier, L’Europe des libéraux, Bruxelles, Complexe, 1991, p. 204.

3Ces trois courants se retrouvent en réalité sur un certain nombre d’enjeux majeurs, notamment la nécessaire construction européenne. La proximité idéologique des programmes libéral et démocrate-chrétien en matière internationale est indéniable : le thème de l’unification politique de l’Europe, encore plus pour ceux des libéraux qui ont adopté le fédéralisme, est devenu un thème majeur et porteur à l’instar du rôle joué par le président Valéry Giscard d’Estaing à la tête de la Convention pour l’avenir de l’Europe en 2002-2003. Nicolas Rousselier avait bien raison, il y a quelques années, d’écrire que « le constitutionnalisme européen […], par son flou et les questions qu’il suscite, semble pouvoir jouer le même rôle dans l’histoire du libéralisme politique que celui assuré au XIXe siècle par la naissance indécise du parlementarisme et du régime représentatif à l’âge des nationalités2 ».

4L’unification communautaire occupe quant à elle une place centrale dans la culture politique démocrate-chrétienne qui renvoie au rôle essentiel joué dès les débuts du processus par les « Pères de l’Europe ». Fondée sur les notions de paix, de démocratie, de libre adhésion, de réconciliation franco-allemande, la famille démocrate-chrétienne ne se départit pas de son europhilie. Si la fédération fut et reste l’objectif préconisé, on peut toutefois penser que l’application du principe de subsidiarité, emprunté à la doctrine sociale de l’Église, régule l’intervention des États qui de la sorte conserve une certaine autonomie.

  • 3 Sylvie Guillaume (dir.), Penser et construire l’Europe de 1919 à 1992, Paris, Ellipses, 2007, p. 1 (...)

5Enfin, l’Europe a toujours figuré parmi les préoccupations dominantes du Parti radical et des radicaux. Certes, son intensité a varié selon les époques, mais le ralliement l’a largement emporté. Somme toute, cette Europe radicale tendue vers l’engagement pour une Europe fédérale est identifiable aux notions de solidarité, de droits de l’homme, de laïcité et d’Europe sociale reprenant ainsi les principes chers à Léon Bourgeois, le fondateur du solidarisme. Certes, on peut trouver des nuances au-delà de ces convergences : les familles libérales et notamment les républicains indépendants sont « moins fédéralistes que les démocrates-chrétiens […] et proposent une évolution de l’Europe par “étapes” vers une confédération3 » ; mais, dans l’ensemble, les libéraux s’identifient à la construction d’une Europe économique fondée sur les règles du libre-échange et du marché, qui ne négligerait pas la dimension sociale, ainsi qu’à la mise en place d’institutions communautaires démocratiques, tandis que les démocrates-chrétiens s’engagent pour une Europe politique et même pour des États-Unis d’Europe et la formation d’un espace social européen.

6L’Europe constitue donc bien – sans être évidemment le seul référent – un marqueur identitaire de l’UDF, qui toutefois ne peut suffire, en dépit du moment privilégié de la présidence de la République de Valéry Giscard d’Estaing, à constituer un dénominateur commun à toutes ces composantes, capable de réduire les fractures internes. D’une part, aucun parti ne réduit son programme à la seule ligne européenne, d’autre part, on sait le poids peu important dans les consultations électorales en France des problèmes touchant aux affaires étrangères et européennes.

L’Europe, un marqueur identitaire pour l’UDF

  • 4 Agnès Alexandre et Xavier Jardin, « From the Europe of Nations to the European nation? Attitudes o (...)

7L’historiographie en sciences politiques a pourtant totalement délaissé cet aspect au sein des études sur l’UDF ; ce sont les statuts, l’organisation spécifique en confédération, les scissions et les rapports tumultueux avec le RPR qui sont au cœur des préoccupations des chercheurs : à cet égard le seul ouvrage traitant du sujet envisage à partir de sondages le comportement de parlementaires gaullistes et UDF à l’égard de la construction européenne et met en évidence le potentiel d’opposition latente qui existe dans ces partis4. Pourtant, dans les scissions (Démocratie libérale en 1998), il aurait pu être intéressant d’évaluer la pesée des enjeux de la construction européenne.

8L’aventure européenne a été incarnée par un certain nombre de personnalités qui ont marqué dans la mémoire collective cet engagement européen, par l’importance des thématiques européennes au sein des programmes électoraux et enfin par des moments électoraux et référendaires de cristallisation européenne, soulignant les clivages internes et zones de friction avec les autres partis de droite.

Deux figures emblématiques : Jean Lecanuet et Raymond Barre

  • 5 Bernard Denni, « Les discours des partis du centre et de la droite traditionnelle », Regards sur l (...)

9Si le choix est naturellement arbitraire car bien d’autres noms pouvaient être évoqués, ces deux hommes témoignent toutefois bien de la permanence d’une sensibilité centriste aux fortes convictions européennes du MRP au CDS, de 1965 à 1988, dates de leurs deux campagnes présidentielles. Le thème de l’unification européenne fut présent chez Jean Lecanuet dès 1965 et chez Raymond Barre qui bénéficia en 1988 du soutien de l’UDF et surtout du CDS qui se reconnaissait dans ses principaux thèmes de campagne5. Les convictions européennes du candidat qui fut commissaire européen furent soutenues par la famille politique à laquelle appartint Robert Schuman. On pourrait trouver des filiations plus longues encore entre le Centre démocrate créé par Jean Lecanuet en 1966 comme « parti de l’Europe » et son lointain héritier l’UDF, refondée par François Bayrou en 1998 qui a défendu une « Europe fédérale à haut degré de subsidiarité ». Jean Lecanuet a en outre été ministre d’État, chargé du Plan et de l’Aménagement du territoire en août 1976, président de l’UDF de 1978 à 1988 et soutien de Raymond Barre à l’élection présidentielle de 1988. Élu en 1979 sur la liste conduite par Simone Veil, il siégea au Parlement européen jusqu’en 1988, date à laquelle il renonça à tous ses mandats sauf à celui de la mairie de Rouen.

  • 6 Philippe Priol, « Jean Lecanuet et la question européenne », dans Jean Lecanuet ou la passion du c (...)
  • 7 Op. cit., p. 36.

10Le concept européen résonna comme un leitmotiv dans la trajectoire politique de Jean Lecanuet : « De 1951, date de son premier mandat à l’Assemblée nationale à 1992, date du référendum sur le traité de Maastricht, il ne cessera de mettre toute son énergie sur ce terrain-là6. » Si sa conception européenne était héritée des pionniers de l’Europe, elle s’était enrichie au fil des années de la nécessité d’une union politique, corollaire du succès du marché commun ; il fut de plus en plus convaincu que l’Europe ne saurait être uniquement un espace économique organisé, elle devait devenir politique et juridique ; « il conviendrait donc de rapprocher les législations au sein d’une même communauté ayant les mêmes valeurs de civilisation, une même conception de l’Homme et de la Société7 ». Cette Europe humaniste, pierre angulaire de sa pensée, devait non seulement être une puissance commerciale, mais politique et militaire ; la question de la défense européenne fut au cœur de ses préoccupations, et depuis 1954, Jean Lecanuet pensait que l’Europe devait disposer de moyens de défense et de dissuasion dignes de ce nom afin de faire émerger une Europe indépendante, égale des États-Unis au sein de l’Alliance atlantique.

  • 8 La philosophie des deux Plans Barre de février et d’octobre 1969, reprise ensuite par la Commissio (...)
  • 9 Georges-Henri Soutou, Notice sur la vie et les travaux de Raymond Barre, séance du 12 avril 2010 d (...)
  • 10 Georges-Henri Soutou, « Raymond Barre et l’Europe », dans Raymond Barre, un homme singulier dans l (...)
  • 11 Cité par Sylvie Guillaume, « Le chef du gouvernement », dans Raymond Barre…, op. cit., p. 133.

11Raymond Barre, avant d’incarner aussi les convictions européennes d’une famille politique, les avait mises en pratique : nommé par le général de Gaulle commissaire européen à Bruxelles, puis succédant en 1967 à Robert Marjolin comme vice-président de la Commission, il réussit très vite à gagner dans un contexte difficile l’estime de ses collègues. Son œuvre à Bruxelles fut importante et on en a retenu avant tout la série de mémorandums dans lesquels il suggéra, à partir de février 1968, de créer une Union économique et monétaire8. Pour lui et il ne dévia jamais de ses orientations, « le projet d’union économique était bien plus important. Et il devait être accompagné d’une Union politique, une Union d’États sur le modèle du Plan Fouchet de 1961 dont il regrettait l’échec. En effet, pour lui la Communauté ne serait jamais une Fédération, mais évoluerait en direction d’une Confédération de plus en plus organisée9 ». Certes, il se prononça pour une Europe à géométrie variable devant tous les élargissements successifs, mais ses réserves ou ses inquiétudes ne pouvaient masquer ce qui était primordial pour lui : il était foncièrement européen. Une fois devenu Premier ministre, il participa pleinement à la création du nouveau « Conseil des chefs d’États et de gouvernements » créé à l’initiative de Valéry Giscard d’Estaing à la fin de l’année 1974. En même temps, il parvint à trouver une espèce de compromis assurant une coopération entre la Commission et le Conseil européen afin que « la Commission de Bruxelles ne fût pas mise à l’écart et ne subît pas une réduction de ses prérogatives, ce qui était incontestablement l’arrière-pensée de certains à Paris depuis le début, dès l’époque du Plan Fouchet10 ». Inutile de rappeler la part qu’il prit dans le lancement du Système monétaire européen créé en 1979, prolongement de ses projets lorsqu’il était vice-président de la Commission. Bien que n’appartenant à aucun parti politique, il soutint la liste menée par Simone Veil lors des élections européennes de juin 1979, alors que Jacques Chirac conduisait celle du RPR. C’était pour lui tout à fait légitime de défendre cette liste qui correspondait à la politique européenne qui était définie par le président et qu’il mettait en place à la tête du gouvernement, tandis qu’il combattait dans ce domaine les thèses du RPR et qu’il n’avait pu oublier les vigoureux débats deux ans plus tôt à l’Assemblée nationale où il avait essuyé les âpres critiques de Michel Debré à propos de l’élection du Parlement européen au suffrage universel. Le Premier ministre explicita lui-même sa prise de position de 1979 en rejetant la faute de la division sur le RPR, tout en se défendant d’avoir une position partisane : « Je n’ai pas pris position en faveur de la liste Veil par préférence partisane, je n’appartenais pas à l’UDF, quelle que fût l’estime que je lui portais. Je ne soutenais pas la liste de l’UDF : je soutenais la liste de l’Union pour la France en Europe, conduite par un ministre de mon gouvernement, rassemblant des personnalités de provenances très diverses et qui se prononçait sans équivoque pour notre politique européenne11. » La liste soutenue par Raymond Barre obtint un bon score (27,5 % des suffrages) tandis que celle de Jacques Chirac ne recueillit que 16,2 % des suffrages ce qui ne pouvait que contribuer à la détérioration des relations entre l’UDF et le RPR.

  • 12 Pierre Albertini dans Jean Lecanuet…, op. cit., p. 73.
  • 13 « Raymond Barre l’Européen », dans Proposer et répondre, hors série, Paris, 1er trimestre 1988, p. (...)

12C’est Pierre Albertini qui, dans son allocution de clôture au colloque sur Jean Lecanuet en 2006, retraça le mieux les directions de son action : « Jean Lecanuet disait et répétait que “faire l’Europe ce n’est pas défaire la France c’est la parfaire”. Cette vision est extrêmement forte : elle implique la nécessité pour la France, de retrouver la grandeur dans un projet qui au lieu d’affaiblir l’identité française la rendrait plus forte. Il y a des citoyennetés qui se complètent et non qui s’affrontent : ce fut son combat12. » Raymond Barre, plus pragmatique, proposa quant à lui dans son discours de Metz, en février 1988, sept propositions capables de favoriser l’évolution vers une Confédération européenne, qui lui était chère : créer un système de réserve monétaire européen, nommer une personnalité de stature internationale à la tête du secrétariat politique européen, constituer un pôle européen de défense, porter de 2 à 3 % du PIB d’ici 1992 les dépenses européennes de recherche et de développement, croiser les systèmes européens de formation, mettre en place une société européenne de création et de diffusion audiovisuelle, instituer un service civil de coopération13.

La place éminente des thématiques européennes dans les programmes de l’UDF

  • 14 Dominique Baudis, L’Union UDF-RPR : Toulousain, Français, Européen, Paris, Robert Laffont, 1994, p (...)
  • 15 Le projet de l’Union pour la France, Paris, 1993, p. 20.
  • 16 François Bayrou, Projet d’espoir, Paris, Plon, 2007, p. 44.

13Si l’on examine certains programmes électoraux, force est de constater que les thèmes européens figurent en bonne place au sein des différentes publications. En examinant les documents électoraux pour les élections législatives de 1993, pour les européennes de 1994 ou le programme de François Bayrou pour les présidentielles de 2002 ou de 2007, outre la place occupée par l’Europe, on peut constater la récurrence d’un certain nombre d’idées propres à définir une certaine conception de l’Europe. Certaines peuvent être détaillées. Dans l’amélioration du fonctionnement des institutions européennes, c’est vers l’accroissement des pouvoirs du Parlement européen que se portent les souhaits. Ainsi Dominique Baudis proposa-t-il en 1994 dans le cadre du projet européen « l’accroissement du Parlement européen composé des représentants des citoyens : un contrôle plus étroit de l’Assemblée de Strasbourg sur la Commission européenne et une participation accrue du Parlement à l’élaboration de la législation communautaire14 », tout en réclamant un nouveau mode de scrutin dans un cadre régional des parlementaires européens de façon à « rapprocher l’électeur de l’élu », qui fut mis en place par le gouvernement de Jean-Pierre Raffarin. Le deuxième thème, corollaire du premier, est l’attachement au principe de subsidiarité essentiel pour le citoyen puisqu’il garantit une nécessaire proximité : « L’Europe doit être dotée des compétences nécessaires à l’exercice de ses missions. Celles-ci, pour être efficaces, doivent être limitées et clairement définies. La France devra veiller au strict respect du principe de subsidiarité : rien de ce qui peut être fait par la France ne doit être fait par l’Europe15. » Le leit-motiv de la participation des citoyens semble une priorité de l’UDF, et François Bayrou dans sa campagne présidentielle de 2007 de s’engager dans ce sens : « Lorsque le moment viendra d’opter pour la forme et l’avenir de l’Europe, je soumettrai à référendum la décision à prendre. Le peuple français ayant pris la décision de ne pas accepter le texte du premier traité constitutionnel, c’est lui qui arrêtera le choix définitif du pays. Je n’accepterai pas que l’on creuse le fossé entre les citoyens et l’Europe qui est faite pour eux16. » Il ne cesse de réclamer une Europe plus lisible, plus compréhensible et transparente afin de favoriser l’émergence d’une démocratie européenne à inventer.

L’Europe, un dénominateur commun ?

14A priori, ces positionnements semblent constituer des facteurs de consensus à l’intérieur de l’UDF. En fait, un certain nombre de variables interfèrent pour rendre moins évident ce postulat de départ.

Une unanimité par l’Europe ?

  • 17 Intervention de Valéry Giscard d’Estaing, dans Serge Berstein et Jean-François Sirinelli (dir.), L (...)
  • 18 Thierry Chopin, « Le Parlement européen », dans Les années Giscard, op. cit., p. 153-189.

15De 1978 à 1981, le thème européen a été un facteur d’unité et d’unanimité au sein de l’UDF et de ses composantes. Tout d’abord en raison des réalisations opérées. On ne peut, en effet, passer sous silence ces logiques européennes à l’œuvre. Le septennat de Valéry Giscard d’Estaing incarna des avancées substantielles auxquelles les leaders comme les militants de l’UDF purent faire référence pour se présenter comme un vrai parti défenseur de l’Europe : l’institutionnalisation du Conseil européen réunissant chefs d’États et de gouvernements à l’issue du sommet de Paris de décembre 1974, saluée par Jean Monnet comme la « mesure la plus importante qui ait été prise par l’Europe depuis la signature du traité de Rome17 » ; la décision après une longue bataille juridique et politique d’élire le Parlement européen au suffrage universel18 ; enfin, la mise en place, dans laquelle Raymond Barre a joué un rôle important, du Système monétaire européen (SME) en 1979. Le septennat giscardien a bien été placé sous le signe d’un primat européen et a de facto engagé la France dans la voie d’une interdépendance communautaire allant au-delà de la seule coopération intergouvernementale. Si la naissance du Conseil européen devait permettre à la fois de donner ses grandes impulsions à la construction européenne et d’affirmer le rôle de l’Europe sur la scène mondiale, la question de l’élection du Parlement européen au suffrage universel fut beaucoup plus épineuse et donna lieu à des joutes avec les parlementaires gaullistes estimant que les transferts de souveraineté portaient atteinte à l’indépendance de la France.

  • 19 http://www.france-politique.fr/elections-europeennes-1984.htm.
  • 20 http://www.france-politique.fr/elections-europeennes-1994.htm.
  • 21 http://www.france-politique.fr/elections-europeennes-2004.htm.

16Lors des moments électoraux, l’Europe a toutefois pu être un commun dénominateur à toutes les composantes de l’UDF et même à une liste unique UDF-RPR. Ce fut le cas lors des échéances électorales de juin 1984 où la liste commune fut conduite par Simone Veil. Cette liste « Union de l’opposition UDF et RPR » recueillit 43,03 % des suffrages exprimés et 41 élus au Parlement européen19 sur les 81 eurodéputés français. Il est vrai qu’en 1984, la consultation européenne était devenue un prétexte au choc frontal entre majorité et opposition ; les lignes de faille à l’intérieur de chaque groupe avaient disparu et chaque camp tendait à se différencier de l’autre, en l’occurrence par volonté d’opposition. En 1994, elle fut conduite sous le sceau de « l’Union UDF-RPR » par Dominique Baudis et recueillit 25,58 % des suffrages exprimés, soit 28 élus à Strasbourg20. Toutefois, l’union interne et face aux composantes externes de la majorité semble moins parfaite puisqu’une liste UDF dissidente souverainiste conduite par Philippe de Villiers réalisa un bon score (12,34 % des suffrages exprimés et 13 élus). La liste autonome et homogène présentée aux élections européennes de juin 2004 a confirmé l’implantation de l’UDF avec près de 12 % des voix et 11 élus21.

  • 22 Dominique Reynié, « 29 mai 2005, un paysage dynamité », dans La Lettre de la Fondation Robert Schu (...)
  • 23 La Croix, 7 novembre 1997.
  • 24 Ibidem.

17On peut également citer parmi les temps d’unanimisme et de forte europhilie des leaders, militants et sympathisants UDF, le moment référendaire du 29 mai 2005. On sait que le soutien au Traité constitutionnel a résulté de plusieurs facteurs comme une certaine tradition catholique, l’ancrage à droite ou encore la forte présence de catégories aisées et diplômées dans des zones urbaines constituant des centres de décision et ouvertes sur l’international. Selon les analyses de Dominique Reynié22, si l’on examine l’évolution du « oui » entre le 20 septembre 1992 (référendum sur le Traité de Maastricht) et le 29 mai 2005 (référendum sur le Traité constitutionnel), en s’intéressant à la variable partisane UDF, l’écart des « oui » entre ces deux dates est de + 17 % : 59 % des proches de l’UDF s’étaient prononcés pour le « oui » en 1992, contre 76 % en 2005. Ce vote sanctionnait l’approbation de l’orientation donnée par François Bayrou depuis la refondation de l’UDF en 1998 sur les bases de Force démocrate, créée à partir du Centre des démocrates sociaux (CDS) en 1995, et qui défendait une Europe fédérale à haut niveau de subsidiarité avec une revendication fédéraliste claire appelant à la constitution des États-Unis d’Europe. Le ferme soutien à cette architecture de l’Europe lors de la campagne pré-référendaire de 2005 s’accompagnait d’un accord sans réserve sur l’élargissement à l’Est, assorti toutefois du refus de l’adhésion de la Turquie car elle risquait de changer la nature même de l’Union. Enfin, François Bayrou reprenait, en 2005, l’idée lancée en 1997 de la constitution de « nations citoyennes » au nom d’une indispensable souveraineté européenne. Dans une interview à La Croix23, le président de Force démocrate avant de devenir celui de l’UDF, avait écrit que pour sortir de l’impasse et rendre l’Europe plus lisible, « il est temps d’écrire pour le XXe siècle, en termes simples, compréhensibles pour tous une véritable Constitution pour l’Europe […] car nos nations et nos États doivent être assurés de leur avenir. Ils sont la réalité même de l’Europe. Leur langue, leur identité culturelle et politique doivent être garanties dans leur volonté de vivre. Leur liberté politique aussi ». Il appelait à l’établissement « d’une véritable responsabilité des dirigeants européens » permettant de définir « le lien politique de la souveraineté européenne démocratique » et aux peuples européens « de vivre ensemble leurs histoires particulières24 » ; pour ce faire, il appelait de ses vœux une assemblée constituante européenne, donnant naissance à une autorité politique commune, elle-même porteuse d’un projet de société partagé.

18On comprend dès lors, devant cet engagement de l’UDF en 2005, les raisons qui ont poussé maints observateurs à comparer les résultats du 29 mai 2005 et la crise de la CED de 1954. Toutefois, les trajectoires européennes des différentes composantes de l’UDF peuvent également être objets de frictions, de dissensions et la question se pose du poids des questions européennes dans les différentes scissions qui ont affecté ce parti politique.

Une division par l’Europe ?

  • 25 http://www.france-politique.fr/elections-europeennes-1979.htm.

19Les conceptions européennes divergentes ont été l’occasion de chocs frontaux à l’intérieur des partis de la majorité. Ainsi en 1979, après l’« Appel de Cochin » lancé par Jacques Chirac, les deux listes de l’UDF (« Union pour la France en Europe ») et du RPR (« Défense des intérêts de la France en Europe ») se sont-elles opposées violemment. Celle conduite par Simone Veil l’emporta largement avec 27,61 % des suffrages exprimés et 25 élus, contre 16,31 % des suffrages et 15 élus25 pour celle conduite par Jacques Chirac. La violence des attaques de Jacques Chirac et de Michel Debré contre la Communauté européenne et la politique suivie par le gouvernement a vraisemblablement desservi la liste du RPR et favorisé celle de Simone Veil qui soutenait l’action européenne du président Valéry Giscard d’Estaing. Simone Veil fut alors la première présidente du Parlement européen élu au suffrage universel.

  • 26 http://www.france-politique.fr/elecctions-europeennes-1989.htm.

20Au scrutin de 1989, signalons qu’à la liste unitaire UDF-RPR menée par Valéry Giscard d’Estaing qui remporta 28,88 % des suffrages exprimés et 26 élus26, s’opposa une liste UDF dissidente menée par Simone Veil (8,43 % des suffrages et 7 élus) qui témoignait de la volonté d’une présence centriste autonome. Dans la conjoncture de ces années-là, le CDS a en réalité cherché à reprendre son autonomie après l’échec de Raymond Barre aux élections présidentielles et le ralliement de l’UDF à certains thèmes du RPR (le libéralisme conservateur, le débat sur l’immigration et une marche tiède vers l’Europe). Dans cette perspective, le CDS a accordé son soutien à la liste de Simone Veil qui combattait celle du RPR et des autres composantes de l’UDF dirigée par Valéry Giscard d’Estaing.

  • 27 Colette Ysmal, « L’UDF », dans Jean-François Sirinelli (dir.), Dictionnaire historique de la vie p (...)

21Contrairement au référendum de 2005, celui de Maastricht avait révélé des trajectoires divergentes au sein de l’UDF, évolution à laquelle les fissures entre les conceptions européennes respectives ne furent pas totalement étrangères. En 1992 le Parti républicain (PR), qui n’a plus les mêmes convictions européennes qu’au début de l’aventure de l’UDF, et où « une importante fraction s’est prononcée pour le non au traité de Maastricht aux motifs que la France perdrait à terme sa liberté de manœuvre, qu’elle serait submergée par les étrangers, Européens compris, qui viendraient prendre des emplois qualifiés (médecins, avocats, cadres des entreprises qui constituent, il est vrai une grande partie des militants du PR), enfin qu’elle ne pourrait plus contrôler du fait de la mise en place de l’espace de Schengen, des flux migratoires étrangers à la CEE, encore plus menaçants. De fait, les sympathisants du PR s’opposent aussi à ceux du CDS puisque seuls 51 % d’entre eux ont voté oui27 ». Or, 81 % des Français qui se déclarent proches du CDS ont choisi le « oui ». Ces différences de positions à l’intérieur de l’UDF ne rendent pas compte directement de son éclatement, mais peuvent y jouer un rôle.

  • 28 La liste RPR-DL (12,82 % des suffrages exprimés et 12 élus) est devancée par celle de Charles Pasq (...)
  • 29 Stéphanie Abrial, « Entre libéralisme et centrisme », dans Pierre Bréchon (dir.), Les partis polit (...)

22Ainsi, dans les deux « scissions » de 1999, peut-on observer des clivages entre des conceptions européennes divergentes : Démocratie libérale (DL), qui a quitté l’UDF en 1998, a rejoint la liste RPR pour les européennes de juin 1999 conduite conjointement par Nicolas Sarkozy et Alain Madelin (« liste d’Union pour l’Europe, l’opposition unie avec le RPR et Démocratie libérale »), tandis que Philippe de Villiers qui a fondé le MPF (Mouvement pour la France) en 1994 s’est allié avec Charles Pasqua dans une liste souverainiste (« Rassemblement pour la France et l’Indépendance de l’Europe »). Face à eux, François Bayrou conduit une liste UDF (« Avec l’Europe, prenons une France d’avance »)28. La liste qu’il conduit obtient 9 élus et c’est la centriste Nicole Fontaine qui devient présidente du Parlement européen. L’Europe de François Bayrou n’a plus de points communs avec la pensée souverainiste de Philippe de Villiers, mais même avec Démocratie libérale, il semble bien que le clivage soit devenu plus important. La conception européenne de DL est ambivalente et s’efforce de concilier supranationalité, sans « échelon étatique centralisateur au niveau continental », et préservation de l’identité de chaque structure nationale29. Pour renouer avec l’idéal des « Pères fondateurs » et défendre au centre la vocation fédérale de l’Europe, François Bayrou a choisi de quitter en 2004 le Parti populaire européen (PPE) pour fonder, avec Francesco Rutelli, le Parti démocrate européen (PDE) dont les eurodéputés siègent avec ceux du Parti européen des libéraux, démocrates et réformateurs (ELDR) dans l’Alliance des démocrates et des libéraux européens (ADLE).

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23Par ses personnalités, par son soutien aux avancées européennes, par la place de l’Europe dans sa culture politique, l’UDF a apporté un soutien indéniable au processus communautaire : au sein de l’UDF, la famille démocrate-chrétienne a été plus particulièrement l’initiatrice d’une politique fondée sur la paix, la démocratie, le rapprochement franco-allemand, c’est-àdire à la fois une inspiratrice de la politique communautaire et une véritable force d’entraînement. Toutefois, même sur ce sujet a priori consensuel, l’UDF n’a pas su éviter les frictions et les comportements politiques divergents voire rivaux, alors que la matrice européenne était pourtant commune aux différents courants de la famille UDF.

Notes

1 Pour une analyse plus approfondie, nous nous permettons de renvoyer à Anne Dulphy et Christine Manigand, La France au risque de l’Europe, Paris, Armand Colin, 2006.

2 Nicolas Roussellier, L’Europe des libéraux, Bruxelles, Complexe, 1991, p. 204.

3 Sylvie Guillaume (dir.), Penser et construire l’Europe de 1919 à 1992, Paris, Ellipses, 2007, p. 145.

4 Agnès Alexandre et Xavier Jardin, « From the Europe of Nations to the European nation? Attitudes of French Gaullist and Centrist parliamentarians », dans British Elections and Parties, 1997, vol. 7, p. 185-206.

5 Bernard Denni, « Les discours des partis du centre et de la droite traditionnelle », Regards sur l’actualité, no 176, déc. 1991, p. 3-9.

6 Philippe Priol, « Jean Lecanuet et la question européenne », dans Jean Lecanuet ou la passion du centre, Paris, Beauchesne, 2006, p. 34.

7 Op. cit., p. 36.

8 La philosophie des deux Plans Barre de février et d’octobre 1969, reprise ensuite par la Commission dans le cadre du Plan Werner, proposait la création d’un véritable espace économique sans frontières, y compris pour les capitaux, les services et les personnes, et d’un système monétaire non pas unique mais commun avec une unité de compte, l’Ecu.

9 Georges-Henri Soutou, Notice sur la vie et les travaux de Raymond Barre, séance du 12 avril 2010 de l’Académie des sciences morales et politiques (http://www.asmp.fr/travaux/notices/barre_soutou.htm).

10 Georges-Henri Soutou, « Raymond Barre et l’Europe », dans Raymond Barre, un homme singulier dans la vie politique française, Paris, Académie des sciences morales et politiques, Fondation nationale des sciences politiques, Institut Aspen France, 2010, p. 77.

11 Cité par Sylvie Guillaume, « Le chef du gouvernement », dans Raymond Barre…, op. cit., p. 133.

12 Pierre Albertini dans Jean Lecanuet…, op. cit., p. 73.

13 « Raymond Barre l’Européen », dans Proposer et répondre, hors série, Paris, 1er trimestre 1988, p. 31.

14 Dominique Baudis, L’Union UDF-RPR : Toulousain, Français, Européen, Paris, Robert Laffont, 1994, p. 38.

15 Le projet de l’Union pour la France, Paris, 1993, p. 20.

16 François Bayrou, Projet d’espoir, Paris, Plon, 2007, p. 44.

17 Intervention de Valéry Giscard d’Estaing, dans Serge Berstein et Jean-François Sirinelli (dir.), Les années Giscard, Valéry Giscard d’Estaing et l’Europe 1974-1981, Paris, Armand Colin, 2004, p. 141.

18 Thierry Chopin, « Le Parlement européen », dans Les années Giscard, op. cit., p. 153-189.

19 http://www.france-politique.fr/elections-europeennes-1984.htm.

20 http://www.france-politique.fr/elections-europeennes-1994.htm.

21 http://www.france-politique.fr/elections-europeennes-2004.htm.

22 Dominique Reynié, « 29 mai 2005, un paysage dynamité », dans La Lettre de la Fondation Robert Schuman, no 215, juin 2005.

23 La Croix, 7 novembre 1997.

24 Ibidem.

25 http://www.france-politique.fr/elections-europeennes-1979.htm.

26 http://www.france-politique.fr/elecctions-europeennes-1989.htm.

27 Colette Ysmal, « L’UDF », dans Jean-François Sirinelli (dir.), Dictionnaire historique de la vie politique française au XXe siècle, Paris, Presses universitaires de France, 1995, p. 1029.

28 La liste RPR-DL (12,82 % des suffrages exprimés et 12 élus) est devancée par celle de Charles Pasqua et de Philippe de Villiers (13,06 % des suffrages et 13 élus) alors que celle de François Bayrou recueille 9,29 % des suffrages et 9 élus.

29 Stéphanie Abrial, « Entre libéralisme et centrisme », dans Pierre Bréchon (dir.), Les partis politiques français, La Documentation française, 2005, p. 88.

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