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Le peuple de la forêt

 | 
Sébastien Jahan
, 
Emmanuel Dion

Brisures d’existence

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Géographique :

France

Texte intégral

Résistance des hommes, fragilité des femmes

  • 1 Un accident de ce type s’était déjà produit au même endroit un an auparavant. Mais rien n’indique (...)
  • 2 Entre 1679 et 1709, un seul charbonnier est soigné à la Maison-Dieu de Montmorillon : il s’agit de (...)
  • 3 Signalons le cas exceptionnel de Mathurin Adam, « natif de la paroisse de Chaillan, province du Ma (...)
  • 4 Indre, arrondissement et canton du Blanc.
  • 5 Les informations contenues dans ce paragraphe sont toutes extraites des registres paroissiaux (Leu (...)

1Les tâches épuisantes ou dangereuses, l’exposition fréquente aux intempéries, la précarité de l’abri, l’absence d’hygiène et l’alimentation frugale sont autant d’indices préjugeant la rudesse de la vie forestière. Les risques du métier semblent pourtant bien maîtrisés. L’arbre terrassé n’a guère l’occasion de punir ses bourreaux, à moins que ceux-ci ne soient trompés par un pas hésitant ou une oreille qui n’aurait su distinguer les premiers craquements. C’est peut-être ce qui coûta la vie à ce vieillard de 75 ans, Pierre Chevalier, écrasé « par la cheuste d’un chesne » que ses confrères fendeurs dans la forêt de la Guerche ont abattu un jour de janvier 16861. La prudence est de mise aussi dans le maniement des outils : le geste du bûcheur ou du fendeur est sûr, du moins si l’on en juge par la fréquentation rarissime des hôpitaux2 et l’absence de toute mention d’infirmités ou de mutilations dans les registres paroissiaux3. Le charbonnier, lui aussi, sait dompter le feu même s’il arrive à celui-ci de se rebeller, pour tuer par surprise : le 23 septembre 1669, en forêt de Rancogne, on ramasse ainsi « une partie du corps » d’un malheureux cuiseur « qui s’est brûlé dans sa loge ». La cabane de branchages, à peine desséchée, est une proie trop facile pour les flammes qui, surgies de la maladresse ou de la malveillance, dévorent en un clin d’œil les hommes épuisés, trahis par leur sommeil : le 29 mars 1750, Jean Bernier, un bûcheur de 34 ans, « trouvé brûlé la nuit précédente dans une loge des bois de Senevault », près de Rosnay4, en a fait les frais. C’est finalement plutôt lorsque l’attention se relâche, dans les circonstances les plus anodines, que le danger menace : le 24 décembre 1662, le charbonnier Antoine Marcadier se blesse mortellement dans la forêt de Preuilly « en faisant des couppeaux à un arbre pour faire son echousse (sic) de Noël »5.

Tableau 8
L’âge moyen au décès des forestiers du Centre-Ouest (1650-1799)

Tableau 8L’âge moyen au décès des forestiers du Centre-Ouest (1650-1799)
  • 6 Ont été retenus tous les forestiers relevés et répertoriés en Poitou, Berry et Touraine dont l’âge (...)
  • 7 Charente, arrondissement de Confolens, canton de Confolens Sud.

2Mais le travail peut nuire plus sournoisement : il livre à la fournaise de la meule éventrée les poumons du charbonnier qui en extrait la braise, il abandonne aux rigueurs de l’hiver les corps trempés de sueur, affaiblis par l’effort. C’est d’ailleurs durant cette saison que la mort rôde le plus sur le chantier. Il reste qu’encore une fois, le forestier semble être à même de parer l’agression de la nature : si l’on se fonde sur les âges mentionnés au décès de 240 ouvriers6, il apparaît qu’une fois passé vingt ans, ils avaient en moyenne l’espoir de vivre encore plus de trois décennies (tableau 8). Cette endurance est équivalente voire supérieure à celle des hommes du terroir et n’a pas cessé de se renforcer tout au long du siècle, sans doute à la faveur d’un réchauffement du climat et des meilleures conditions d’hygiène et de nutrition que permet la disparition du nomadisme. Au bout du compte, ces organismes aguerris et robustes résistent aux fatigues du labeur et aux morsures du froid. Mais le prix de cette vigueur s’affiche sur des corps précocement meurtris et caducs. La comparaison des âges annoncés dans l’acte de sépulture et de la réalité montre une tendance à vieillir les plus anciens. Jean Genet que le curé de Brillac7 déclare décédé à 80 ans n’en avait en fait que 68. Quant à Thomas Launay, on lui attribue à sa mort en 1721 le même statut d’octogénaire alors qu’il vécut 17 années de moins…

  • 8 Haute-Vienne, arrondissement de Bellac, canton du Dorat.
  • 9 Indre, arrondissement du Blanc, canton de Mézières-sur-Issoire.

3Milieu érosif, milieu violent aussi. Des coups de feu retentissent parfois dans la forêt, rompant la rythmique familière des cognées et des coutres. Il arrive qu’on relève des hommes blessés par balle. Grégoire Richard, sacquetier de charbon fut ainsi tué « d’un coup de fusil » en 1683 à Verrières. François Darnac, fendeur dans la forêt de Lussac, « blessé d’un coup de pistolet dans la capacité de la poitrine » entrait en août 1696 à la Maison Dieu de Montmorillon où les soins prodigués par les augustins le maintinrent en vie pendant neuf mois. C’est aussi un coup de pistolet qui abrégea les jours de Paul Simonet, fendeur à Oradour­Saint-Genest8 en 1676. Dans tous ces cas, le coupable n’est jamais désigné. Peut-être parce qu’il n’a pas été dénoncé par ses pairs, en vertu d’une sorte de loi du silence. A Sainte-Gemme9, en Berry, le curé qui enterre « le nommé Poirier, bûcheur de la forêt » signale juste qu’il a été « tué par un de ses camarades ». Faute de procédures judiciaires, on ne sait donc trop comment expliquer ces drames : accidents au cours d’une banale partie de braconnage ? règlements de compte ? exécutions des sentences d’une justice interne ? simples querelles entre forestiers qui tournent mal ? Il y a de fortes chances, en tout cas, pour que cette violence germe du terreau favorable épandu par l’alcoolisme. Un penchant pour la bouteille que dénoncent les conseils de Robert de Beauchamp, recommandant de choisir des charbonniers « actifs et point ivrognes ». L’alcool inhibant la réaction de l’organisme à une chute des températures, le risque de décès par hypothermie guette aussi celui qui, l’hiver, cherche un peu de chaleur dans le vin ou l’eau-de-vie. C’est ce qui foudroie le 27 décembre 1743, Jean Bouleaud, un maître fendeur de 70 ans, tombé raide mort à Couhé, « étant ivre » et « saisi par le froid ».

4Par petites touches, les registres livrent l’image d’une société fort peu policée. Dans cet univers viril et brutal, la position des femmes est délicate à saisir. Face à la mort, en tout cas, elles sont clairement désavantagées. Elles vivent en moyenne près de dix ans de moins que leurs conjoints et cet écart s’amenuise à peine tout au long de la période. L’abondance des décès entre 20 et 40 ans tendrait à accentuer l’effet d’une mortalité liée aux conditions précaires de l’enfantement : comme aucun acte de baptême ne vient attester de l’intervention d’une matrone, on peut supposer que l’accouchement restait l’affaire des femmes les plus expérimentées de la forêt… Or, à y regarder de plus près, seuls 11 cas de sépultures sur les 99 concernant des épouses décédées à moins de 45 ans sont manifestement consécutives à une naissance. Passé ce cap difficile, la forestière atteint en outre bien plus rarement que son mari des âges vénérables (graphique 3). Dans cette vie aux horizons plus incertains et aux perspectives plus courtes que ceux de sa semblable du terroir, la femme des forêts souffrait sans doute aussi de la privation d’un refuge domestique digne, comme de toute continuité affective en dehors du cadre conjugal.

Graphique 3
Femmes et hommes face à la mort

Graphique 3Femmes et hommes face à la mort

Ruptures et reconstitution du couple

  • 10 En fait nettement moins puisque ses parents se sont mariés en 1686 : il ne pouvait avoir plus de 9 (...)

5La mort précoce d’une épouse rend d’autant plus fréquents les remariages. Sur 928 forestiers dont on a pu retrouver les unions, 212, soit un peu moins d’un quart, ont convolé une ou plusieurs fois après avoir perdu leur première conjointe. Encore ce nombre ne constitue-t-il qu’un seuil minimum, étant donné la pauvreté des informations sur certains personnages pour qui on ne dispose que d’une seule mention. Les triples alliances ne sont pas rares (26) et l’on rencontre certains ouvriers qui ont contracté quatre mariages, voire six comme le voiturier Jean Blanchet décédé 4 ans après sa dernière épouse, en 1779, « âgé de cent ans », assure le curé de Luchapt10.

Les six mariages de Jean Blanchet :

  1. avant 1723 avec Marguerite PACTA, fille de Pierre et de Charlotte Phelippard
  2. au Vigeant le 29 janvier 1728 avec Marguerite Cognet
  3. à Bussière-Poitevine le 6 janvier 1735 avec Madeleine Lerouge, fille de Nicolas et de Jacquette Charpentier, décédée à Millac le 4 décembre 1740 à l’âge de 32 ans
  4. à Millac le 13 février 1741 avec Marie Secheresse (alias Beigneuse), veuve de Jean Doitee, décédée à Asnières-sur-Blour le 2 septembre 1759 à l’âge de 60 ans
  5. à Asnières-sur-Blour le 22 octobre 1759 avec Françoise Deleyrat, veuve de Jean Courivaud, décédée à Asnières le 23 mars 1762 à l’âge de 60 ans
  6. 6.à Luchapt le 5 juillet 1762 avec Renée Vignaud, veuve de Louis Puisseau, forgeron, décédée à Luchapt le 29 avril 1775 à l’âge de 70 ans
  • 11 Le nombre de forestiers pour lesquels on n’a pas trouvé de conjointe est de 123. La plupart d’entr (...)

6La cellule conjugale semble bien s’imposer comme une structure forte et absolument nécessaire au forestier. Seuls quatre ou cinq célibataires ont été recensés : autant dire qu’ils sont quantité négligeable11. Quant aux veufs, leur empressement à trouver une nouvelle compagne répond visiblement à des besoins qui dépassent la simple chaleur de la couche. Il s’agit d’abord de donner une mère à des enfants en bas âge que l’éloignement des collatéraux et l’isolement occasionnel de l’habitat soumettent à la seule responsabilité d’un homme astreint à un travail accaparant. Dès lors, on ne s’étonnera pas de voir, quand bien même le délai de décence d’un an ne vaudrait en pays de coutume que pour les femmes, près des deux tiers des veufs se remarier dans les six mois. Le cas le plus stupéfiant étant sans contredit celui de Léonard Tavenne, charbonnier qui le 18 février 1730, cinq jours seulement après avoir enterré Marie Vasseur, épousait à Cromac Jeanne Pouvereau, une jeune fille de seize ans qui dut prendre en charge au moins deux des enfants issus de son premier lit.

  • 12 Mairie de Vendoeuvres (36), registre paroissial de Vendoeuvres, sépulture du 21 juillet 1715.

7La place du sentiment au sein de ces foyers où la mort vient plus souvent rompre les liens et où la vie contraint à combler les vides avec promptitude devient du coup singulièrement problématique. Comment ces hommes choisissaient-ils la nouvelle maîtresse de la loge ? Ces mariages décidés dans le mois pouvaient-ils s’accompagner de la moindre justification affective ? La question se pose d’autant plus que les conjoints n’avaient pas eu, contrairement aux gens du finage, la possibilité d’entretenir une quelconque familiarité de voisinage depuis leur prime jeunesse. Elle se pose aussi dans la mesure où la norme homogamique dans un contexte de chantier devait singulièrement restreindre l’éventail du choix. Pourtant, certains de ces hommes dont on a imaginé sans peine l’âpreté aurait bien pu nous surprendre par l’attachement envers celle qui a partagé leur vie de pérégrinations et de séparations. Le suicide apparent de Pierre Boudin, « voiturier à la forge de la Caillaudière, mort subitement de chagrin de la perte de sa femme (...) ayant pourtant toujours vécu bon chrétien et fait son devoir pascal »12 vient nous rappeler la place essentielle de la femme et du couple, seuls points d’ancrage dans un univers où défilent les paysages et les gens, où s’enchaînent les adieux…

Des unions précoces, des familles fécondes

  • 13 Indre, arrondissement du Blanc, canton de Saint-Benoît-du-Sault.

8L’établissement des enfants est, en effet, souvent synonyme de dispersion définitive des familles. Jeanne Bernard, veuve du charbonnier Maurice Depasse, qui, en 1732 marie sa fille aînée de seize ans, ne la reverra plus. L’exemple est d’ailleurs révélateur de la précocité de ces alliances. En moyenne, un garçon prend femme autour de 25 ans, une fille abandonne le foyer paternel peu avant sa vingt-et-unième année, ce qui est très largement en deçà des normes statistiques du terroir (tableau 9). On comprend aisément cette spécificité pour les hommes qui, comme dans les milieux de l’artisanat, n’ont pas à attendre que la mort du père libère un patrimoine foncier pour s’installer. En ce qui concerne ces jeunes filles promues au rang de femmes à peine entrées dans l’âge de la puberté, l’urgence est parfois dictée par le décès du dernier parent survivant : Marie Sérieux venait de perdre sa mère cinq mois auparavant lorsque son frère la maria à quatorze ans avec un voiturier de charbon à Saint-Gilles13. D’une manière générale, on peut supposer que la dissolution fréquente des couples et leur recomposition accéléraient le départ des rejetons d’un premier lit, d’autant que la promiscuité dans les cahutes ne devait pas faciliter les cohabitions plus ou moins imposées. Les conditions matérielles du vivre et du couvert sont vraisemblablement aussi ce qui explique que des adolescentes disposant encore des ressources d’une famille complète, soient si tôt chassées du toit familial. Le mariage à Ardentes de Françoise Guinot, quinze ans, avec Pierre Dufour, a sans nul doute soulagé ses parents dans la loge desquels s’entassaient encore quatre autres enfants âgés de 7 à 17 ans.

Tableau 9
L’âge moyen au mariage des hommes et des femmes de la forêt

Tableau 9L’âge moyen au mariage des hommes et des femmes de la forêt

9Il est tentant de s’imaginer que cette population qui se privait du recours au mariage tardif comme « arme contraceptive » se retrouvait du coup pourvue d’une large progéniture. La vérification de l’hypothèse achoppe néanmoins sur la difficulté d’une reconstitution totale de ces familles dont la mobilité empêche de connaître avec certitude le nombre d’enfants. Il existe toutefois une bonne vingtaine de couples dont le parcours est suffisamment balisé pour autoriser quelques conclusions provisoires (tableau 10).

Tableau 10
Quelques descendances de couples des forêts

Tableau 10Quelques descendances de couples des forêts

10La fécondité moyenne de l’échantillon est d’environ 7 à 8 enfants ce qui est clairement au dessous des possibilités théoriques. La cause en est évidemment l’allaitement maternel et l’aménorrhée provisoire qu’il provoque : la durée des intervalles séparant la naissance des enfants de Jeanne Ravisé ou de Marie Veau est presque toujours supérieure à 2 ans sauf lorsque le nourrisson décède durant ses tout premiers mois ce qui a contrario montre bien le rôle régulateur de l’allaitement. Marie Veau qui perd ses deux aînés à 5 et 45 jours a pu ainsi se retrouver enceinte dans un délai plus bref. Il paraît, par ailleurs, évident d’invoquer l’influence de cette mortalité précoce des femmes qui détruit prématurément les couples et limite de ce fait leur fécondité : sept ou huit des 24 conjointes considérées ici ont disparu avant la ménopause ce qui rend d’autant plus remarquable leur performance en matière de fécondité. On a vu aussi que l’homme se remariait très rapidement : comme cela s’opérait souvent avec une femme plus jeune que celle qui venait de lui être ravie, sa postérité définitive s’en trouvait considérablement rallongée. Pierre Charpentier eut ainsi au moins treize enfants de ses deux mariages, tandis que Maurice Depasse, en quarante années d’existence procréa à neuf reprises.

  • 14 La démographie des nomades de la forêt n’est pas sans rappeler celle des colons de la Nouvelle-Fra (...)

11Ramené aux justes proportions d’une vie féminine hâtée vers le mariage et vers la mort, ce chiffre de 7 à 8 enfants par couple paraît au total plutôt important. Il est d’ailleurs supérieur aux moyennes des familles du terroir. Pour bien en apprécier le poids dans le quotidien des forestiers, notamment en matière de contraintes matérielles liées à l’espace disponible et aux ressources alimentaires, il est nécessaire de prendre en considération le tribut qu’y prélève la mort. Or, sur ce point, force est d’admettre à nouveau la faible fiabilité des renseignements en notre possession, du fait surtout de l’absence de certitude concernant la destinée d’un bon nombre d’enfants. Il est fort probable que parmi ces indéterminations, une majorité se résolve en fait dans le sous enregistrement des sépultures de nourrissons ou dans un décès isolé sur le territoire de telle ou telle paroisse d’étape… L’éventualité d’un mariage lointain ou qui aurait échappé à notre vigilance ne saurait néanmoins être exclue : nos remarques n’en deviennent que plus impressionnistes. Si l’on s’en tient, pour commencer, aux cas les plus certains, l’éventail des situations se déploie largement. Sept des huit enfants de Noël Launay ont survécu à leur père, mais Mathurin Monbruneau qui engendra neuf fois, a lui laissé en chemin six petites tombes14.

La famille de Mathurin Monbruneau, maître charbonnier, et de Jeanne Ravisé

  1. Françoise, baptisée à Verrières (86) le 7 septembre 1681, mariée à Lauthiers (86) le 23 août 1695 avec Sylvain Sarrazin
  2. Marie, baptisée à Chitray (36) le 17 septembre 1684 ; inhumée à Lauthiers le 16 janvier 1700
  3. Jean, baptisé à Chitray le 29 décembre 1686 ; inhumé à Lauthiers le 11 décembre 1699
  4. Jean, baptisé à Vendoeuvres (36) le 17 février 1689, voiturier, marié à Abilly (36) le 3 février 1711 avec Marie Luneau
  5. Jeanne, baptisée à Lauthiers le 25 décembre 1692 ; inhumée à Lauthiers le 6 janvier 1693
  6. Jean, baptisé à Lauthiers le 3 janvier 1694 ; inhumé à Lauthiers le 16 juillet 1694
  7. Louis, baptisé à Lauthiers le 6 novembre 1695 ; inhumé à Lussac-les-Châteaux (86) le 11 octobre 1702
  8. Mathurin, baptisé à Lauthiers le 11 mai 1698, marié à Mailhac-sur-Benaize (87) le 3 octobre 1719 avec Louise Faizant
  9. René, baptisé à Lauthiers le 19 janvier 1701 ; inhumé à Lauthiers le 23 janvier 1701
  10. Jeanne Ravisé est décédée à Lauthiers le 30 janvier 1702 à l’âge de 42 ans.
  • 15 Cher, arrondissement de Saint-Amand-Montrond, canton du Châtelet.
  • 16 Arch. dép. Cher, registre paroissial de Morlac, sépulture du 10 juillet 1709. Joseph Desbois est d (...)

12Entre ces extrêmes, et en incluant les disparus au nombre des morts en bas âge, les évaluations paraissent s’approcher des moyennes bien connues de la mortalité infantile au xviiie siècle : dans les forêts, il fallait aussi deux enfants pour produire un adulte. On s’attendait presque à pire, eu égard à la vulnérabilité de ces petits corps soumis aux aléas d’un accouchement sans assistance médicale, immergés dans l’hygiène précaire et le confort fruste des loges, quand ils ne sont pas ballottés sur les longues routes séparant deux chantiers… Une fois en âge de marcher, il est de plus vraisemblable que l’enfant des bois se laissait facilement tenter par les sollicitations périlleuses de la nature. Mais la vigilance des parents, en particulier de la mère, n’était peut être pas si lâche qu’on pourrait le croire. Les trois mentions de décès accidentels relevés dans les registres paroissiaux ne suffisent, en effet, guère à accréditer l’idée d’une enfance livrée à elle-même. C’est la fatalité, plus que l’imprudence, qui emporte l’adolescent Joseph Desbois, fils d’un fendeur de la forêt de l’Eperse, près de Morlac15 : alors qu’il s’était réfugié sous un arbre pendant une violente averse, « il vint un tourbillon de vent qui renversa l’arbre et l’écrasa »16. La noyade d’un petit garçon de sept ans, Michel Hugreau, « dans l’étang de la forêt » de la Guerche en 1690 ne fait que confirmer la fascination souvent fatale de cet âge pour les eaux. Quant à la mésaventure atroce de Catherine Boucher, fille d’un charbonnier de Niherne, retrouvée en 1696 « tuée et mangée par les cuisses apparemment par une beste qui en a gasté d’autres du costé d’Ardentes », elle est étonnamment unique. La peur du loup n’est déjà plus qu’un fantasme d’une forêt sécurisée mais pas encore pleinement désenchantée…

13Les mortalités infantiles et juvéniles réduisent donc les effets du mariage précoce, mais, on l’a dit, accélèrent aussi le rythme des grossesses. Sur 928 couples de forestiers recensés, nous n’en connaissons que 41 qui ont élevé au moins quatre enfants jusqu’à l’âge mûr : une proportion évidemment amoindrie par notre perception fragmentaire des itinéraires. Tout laisse en fait penser que la descendance finale de ces familles fut en définitive bien copieuse. La contrainte démographique ne jouait d’ailleurs ici qu’un rôle minime en matière de reproduction sociale puisque celle-ci échappait à la nécessité du partage immobilier et à la rigidité d’un apprentissage réglé. Par sa souplesse et sa fécondité, ce monde portait en lui les conditions biologiques de son autosuffisance. Les seules véritables pesanteurs liées à la famille nombreuse étaient plutôt sensibles dans le cadre matériel du quotidien. Il n’est pas utile d’y revenir, sinon pour souligner que le paysage humain s’en trouvait évidemment tributaire : la hutte ne pouvant servir que d’abri, l’espace privé débordait sans doute bien au-delà, mêlant l’agitation et les cris de la jeunesse aux remous sonores du labeur des adultes.

Notes

1 Un accident de ce type s’était déjà produit au même endroit un an auparavant. Mais rien n’indique que la victime, Jacques Guillet, ait fait partie du monde de la forêt.

2 Entre 1679 et 1709, un seul charbonnier est soigné à la Maison-Dieu de Montmorillon : il s’agit de Jean Balthazar, charbonnier, « natif du bourg de Juigné, proche de la ville de Nantes, travaillant à la forge de Goberté ». Amené à l’Hôpital le 2 octobre 1704, « incommodé d’un grande tumeur à la jambe gauche », il en est sorti guéri le 6 novembre suivant (Arch. dép. Vienne, 3H2/10).

3 Signalons le cas exceptionnel de Mathurin Adam, « natif de la paroisse de Chaillan, province du Maine, mort d’un coup de hache » et inhumé à La Peyratte, en Poitou, le premier décembre 1669. On ignore toutefois si le coup lui fut porté par un autre ouvrier ou s’il s’est blessé en travaillant.

4 Indre, arrondissement et canton du Blanc.

5 Les informations contenues dans ce paragraphe sont toutes extraites des registres paroissiaux (Leugny (86) 22 janvier 1689, Rancogne (16) 23 septembre 1669, Rosnay (36) 29 mars 1750, Bossay-sur-Claise (37) 24 décembre 1662).

6 Ont été retenus tous les forestiers relevés et répertoriés en Poitou, Berry et Touraine dont l’âge au décès est connu. Les enfants, les jeunes hommes sans profession et les jeunes filles non mariées sont exclus des calculs. Les âges pris en compte sont ceux déclarés et non ceux qui ont pu être reconstitués.

7 Charente, arrondissement de Confolens, canton de Confolens Sud.

8 Haute-Vienne, arrondissement de Bellac, canton du Dorat.

9 Indre, arrondissement du Blanc, canton de Mézières-sur-Issoire.

10 En fait nettement moins puisque ses parents se sont mariés en 1686 : il ne pouvait avoir plus de 92 ans. Notons que la longévité était de mise dans la famille puisque le père de Jean Blanchet, prénommé aussi Jean, mourut en 1746 lui aussi « âgé de 100 ans », selon le prieur curé de Millac : là encore ce seuil symbolique n’avait d’évidence pas été atteint, les parents du vieillard ayant célébré leur union au mois de novembre 1648.

11 Le nombre de forestiers pour lesquels on n’a pas trouvé de conjointe est de 123. La plupart d’entre eux, cependant, ne nous sont connus que par une seule mention ou bien sont décédés avant l’âge de 30 ans. Les célibataires définitifs avérés dont on suit assez bien le parcours se nomment : Jean Desbleds, Secondin Gervais, Louis Roux et Simon Roy.

12 Mairie de Vendoeuvres (36), registre paroissial de Vendoeuvres, sépulture du 21 juillet 1715.

13 Indre, arrondissement du Blanc, canton de Saint-Benoît-du-Sault.

14 La démographie des nomades de la forêt n’est pas sans rappeler celle des colons de la Nouvelle-France : « Au xviie siècle, dans la vallée laurentienne, pour peu que l’on réussisse à trouver une conjointe, l’on se marie jeune et l’on a beaucoup d’enfants ». Si le mariage précoce stabilise le migrant et éloigne de lui l’idée de retour, le nombre important d’enfants parvenant à l’âge adulte est, en revanche, un puissant moteur de mobilité et d’ouverture de nouveaux fronts pionniers (Mathieu (Jacques), La Nouvelle-France. Les Français en Amérique du Nord (xvie-xviiie siècles), Paris, Belin, 1991, p. 76-77).

15 Cher, arrondissement de Saint-Amand-Montrond, canton du Châtelet.

16 Arch. dép. Cher, registre paroissial de Morlac, sépulture du 10 juillet 1709. Joseph Desbois est décédé à l’âge de treize ans.

Table des illustrations

Titre Tableau 8L’âge moyen au décès des forestiers du Centre-Ouest (1650-1799)
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Titre Graphique 3Femmes et hommes face à la mort
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Titre Tableau 9L’âge moyen au mariage des hommes et des femmes de la forêt
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Titre Tableau 10Quelques descendances de couples des forêts
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