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Métiers et marginalité dans la littérature

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Arlette Bouloumié

Avant-propos

Arlette Bouloumié

Texte intégral

1Ce trentième numéro des Recherches sur l’imaginaire fait suite à un numéro consacré aux Figures du marginal dans la littérature. Nous avons prolongé notre étude par celle des activités marginales où s’illustrent les personnages de roman. Le mot métier associé à marginalité dans le titre de ce numéro peut surprendre puisque le métier est le moyen de s’insérer dans la société, d’y obtenir une reconnaissance liée à l’activité exercée, au pouvoir qu’elle représente. Comment un métier pourrait-il être marginal ?

2Ceci entraîne une interrogation sur le sens à donner au mot marginal. Implique-t-il que l’activité est estimée secondaire, sans importance, décriée ou au contraire que ces activités sont interdites ou tolérées car suffisamment importantes pour inspirer l’inquiétude ou l’effroi devant des pouvoirs mystérieux ? Le dictionnaire Robert indique le sens courant de : qui est en marge, non conforme aux normes d’un système donné. Mais la marginalité est relative à une époque et ce qui est méprisé aujourd’hui peut être valorisé demain.

  • 1 Nouveau dictionnaire étymologique du français, Hachette/Tchou, par Jacqueline Picoche.
  • 2 Dictionnaire historique de la langue française, Le Robert, Paris, s. d. Alain Rey, article : métier

3Il convient aussi de définir le mot métier et de se demander s’il s’applique à tous les types d’activités, si l’on peut l’employer à l’égal des mots profession, art, fonction ou gagne-pain. Le mot métier vient du latin ministerium : service, office. Il s’applique d’abord au ministère divin. Le prêtre est le ministre du culte, le serviteur de Dieu. Le mot minister est formé à l’imitation de magister, mais à partir de minus, moins1. Il souligne l’idée de soumission au service. Cette idée prévaut dans le mot métier, doublet de ministère, puis le mot prend le sens de fonction, service, appliqué à des situations diverses, d’abord en parlant du métier des armes (vers 1165) puis d’un service procurant une rémunération (vers 1200). Il désigne particulièrement ceux dont le métier exige des connaissances, c’est-à-dire des lettrés (vers 1180) avant de prendre le sens d’artisan puis d’ouvrier (aux xve et xvie siècles2).

  • 3 Ibid., article : profession.

4Profession a un sens plus restreint et s’applique plutôt à un « métier ayant un certain prestige par son caractère intellectuel ou artistique, ou par la position sociale de ceux qui l’exercent3 ».

5Art signifie « habileté acquise par l’étude ou la pratique ». Cette notion de moyen, méthode, connaissance, fait qu’en latin médiéval le mot s’appliquera à la sorcellerie et aux sciences occultes. Puis au xiiie siècle, le mot prend le sens d’activité professionnelle et manuelle, que l’on retrouve dans « artisan ». Ce sens technique apparaît dans l’expression « un homme de l’art ». Il contiendra des notions opposées associées à l’utilité ou à l’agrément et une idée de beauté et d’esthétique lui sera ultérieurement attachée.

6Nous prendrons le mot métier au sens large d’activité rémunérée ou pas, choisie ou imposée et nous chercherons à dégager différents axes impliquant une marginalisation. Il y a les métiers liés à ce qui est perçu comme sale et qui est rejeté comme impur, tel le métier d’éboueur par exemple. Très proche, mais avec une nuance supplémentaire d’effroi, sont les activités liées à la mort : le fossoyeur, le croque-mort ; au sang : le boucher, le bourreau ou le chirurgien ; au sexe : la prostituée.

7La connaissance a longtemps fait l’objet d’un interdit dans la tradition chrétienne, d’où l’aura inquiétante qui entoure l’alchimiste, l’astrologue, le savant en général souvent assimilé au sorcier, au magicien s’adonnant aux sciences occultes et commerçant avec le diable. Parmi les femmes, la guérisseuse a souvent payé de sa vie la connaissance des simples et ses fonctions d’avorteuse.

8L’artiste a fait l’objet d’un ostracisme non moins évident, qu’il s’agisse du comédien appelé avec mépris « un histrion » et excommunié au xviie siècle, ou de l’homme de lettres tourné en dérision comme « le poète famélique », le musicien « raté », le peintre « méconnu ».

9Les métiers itinérants impliquant l’errance ont été souvent marginalisés : qu’il s’agisse des gens du cirque, des comédiens ambulants, des saltimbanques ou montreurs d’ours allant de ville en ville (tel Vitalis dans Sans famille de Hector Malo), des chemineaux ou enfin des colporteurs qui eurent un rôle économique et socioculturel important au xixe siècle. Ces nomades ont toujours été marginalisés par les sédentaires.

10Enfin il est des métiers rares, disparus aujourd’hui que l’on peut dire marginaux comme celui du carillonneur, du nain de cour, souvent assimilé au bouffon, ou certains petits métiers comme le rémouleur, le taupier.

11Les écrivains se sont donnés à cœur joie le plaisir d’inventer des métiers insolites comme celui de l’inquiéteur, du divorceur et la science fiction n’a pas manqué d’y ajouter une liste aussi poétique que fantaisiste : sculpteur de mots, sculpteur de continents, bouc émissaire professionnel, lecteur de rêves.

12Dans la littérature, cette galerie est révélatrice des valeurs d’une époque, des préjugés qui l’ont habitée et des forces vives qui l’ont fait évoluer.

Notes

1 Nouveau dictionnaire étymologique du français, Hachette/Tchou, par Jacqueline Picoche.

2 Dictionnaire historique de la langue française, Le Robert, Paris, s. d. Alain Rey, article : métier.

3 Ibid., article : profession.

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