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Les carlistes espagnols dans l'Ouest de la France, 1833-1883

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Emmanuel Tronco

Deuxième partie. Les carlistes espagnols en France et dans l'Ouest interdit (1833-1880)

Chapitre I. L’Ouest, une dangereuse région d’accueil pour les « chouans d’Espagne » ?

Texte intégral

1Les premiers réfugiés arrivent en France dès le début des événements. Contraints par les autorités à s’éloigner de la frontière, certains se rendent dans l’Ouest.

L’accueil des réfugiés de la première guerre carliste (1833-1840)

2En 1833, le ministère de l’Intérieur, dirigé par le Comte d’Argout, tente dans un premier temps, malgré l’afflux croissant de réfugiés, de leur laisser plus de liberté. L’objectif étant qu’ils puissent eux-mêmes subvenir à leurs besoins.

  • 1 ADV 4M169, MI aux Préfets, 27 mars 1834.

3Les carlistes ont été internés dans trois villes de l’intérieur : Tulle, Guéret et Châteauroux. « La plupart ont demandé, ou qu’on les traitât comme les autres réfugiés subventionnés, ou qu’on leur laissât la faculté de résider dans les localités où ils pouvaient se procurer des moyens d’existence. » L’Administration n’ayant aucun fonds affectés, elle décide en mars 1834, que ceux qui sont déjà internés et ceux qui se présenteraient encore seraient pleinement libres de se rendre en Angleterre, en Belgique, ou bien de se fixer en France. Cependant, dès le début, une vaste zone méridionale se voit interdite aux Espagnols. Il s’agit de l’espace compris entre Pyrénées, Garonne et canal du Midi, soit dix départements : Basses-Pyrénées, Hautes-Pyrénées, Haute-Garonne, Ariège, Pyrénées-Orientales, puis Aude, Gers, Landes, et enfin le sud du Lot-et-Garonne et de la Gironde (voir carte)1.

4Cet espace interdit se justifie : « Dans l’intérêt de la paix sur une partie de la frontière méridionale, il était indispensable d’éloigner des Pyrénées des hommes qui auraient pu, sans cela correspondre facilement avec les insurgés de leur pays et se livrer à des intrigues plus ou moins répréhensibles. » Le ministère rajoute un onzième département, la Seine, pour interdire l’accès à la capitale. Il correspond aux actuels départements des Hauts-de-Seine, de Paris, de Seine-Saint-Denis et du Val-de-Marne. Les carlistes doivent être tenus en observation. Ils ne peuvent, sous aucun prétexte, obtenir un passeport sans l’autorisation de l’Intérieur pour rentrer en Espagne, ou résider dans la zone prohibée. Ils n’ont droit à aucun subside sauf cas extraordinaires. Ces dérogations particulières demeurent une constante dans les rapports des réfugiés en général avec l’Administration.

Des premiers réfugiés dans l’Ouest au double exil massif (1833-1840)

5Dans notre zone située au nord des Charentes, la Vienne devient probablement le premier lieu d’internement. Elle accueille tout d’abord, dès 1834, une poignée de réfugiés des deux camps antagonistes.

6Au début de la guerre, les autorités tentent de régler au cas par cas le sort des nouveaux exilés suivant la position sociale, le rôle joué dans le conflit, les bonnes relations qu’ils peuvent avoir en France… Puis face à un afflux croissant, le gouvernement ne pouvant nier l’existence de ce courant migratoire doit prendre des décisions pour uniformiser les règles de l’accueil.

  • 2 Les Espagnols ont même leur chapelle à Nantes dès le Moyen Âge.

7A priori on considère que la présence ibérique fut insignifiante dans le Nord-Ouest de la France. Il est vrai qu’elle fut numériquement négligeable. Cependant, les liens entre les deux péninsules demeurent anciens. En effet, par leur vocation maritime les Bretons entretiennent des contacts avec l’Espagne. Les villes de l’Atlantique et même de la Manche commercent au Moyen Âge avec des ports ibériques et notamment basques2.

  • 3 Chateaubriand, Mémoires d’outre-tombe, Paris, 1973, vol. I, p. 67.
  • 4 E. LeroyLadurie, Histoire de France des régions, Paris, 2001, p. 81 et 83.

8Si des Français partent s’installer au sud des Pyrénées, à l’époque du « Siècle d’Or » puis des premiers Bourbons, peu d’Espagnols font le chemin inverse. Pourtant, des légendes anciennes courent dans l’Ouest, comme sur le peuplement du pays d’Olonne par des Maures d’Espagne. Des villes bretonnes accueillent des commerçants ibériques. Ainsi, Chateaubriand évoque les familles négociantes de Saint-Malo originaires d’Andalousie et des Malouins installés à Cadix. Le poète va plus loin, en trouvant des airs de ressemblance entre ces deux cités3. Si la mise en évidence de points communs entre une ville armoricaine et andalouse peut surprendre, les similitudes entre la côte bretonne et la côte atlantique du Pays basque jusqu’à la Galice, paraissent évidentes. Côtes rocheuses, climat océanique, consommation traditionnelle de cidre (et non de vin), importance de la maison et de la terre des ancêtres, répugnance à la quitter et paradoxalement des vocations maritimes vers des contrées lointaines. Le Galicien joue de la gaïta proche du biniou, les « rias » rappellent les abers bretons… À ce tableau, brièvement esquissé, il faut ajouter l’importance de la religion. La Galice a aussi ses austères calvaires et ses « romerías », l’équivalent des pardons ou pèlerinages bretons. On retrouve comme dans l’Ouest, l’austérité traditionnelle du culte, teinté d’aspects souvent morbides, mélangé aux fastes étincelants du baroque de la Contre-Réforme. Emmanuel Le Roy Ladurie estime que la Bretagne des siècles d’or fait quelque peu penser à cette autre péninsule, avec cette « même incapacité à moderniser en profondeur l’arrière-pays » et cette « domination d’un catholicisme de choc à coloration jésuitique4 ».

9Les provinces occidentales de la France ne voient ensuite pour l’essentiel que des militaires et des prisonniers espagnols, jusqu’au début du XIXe siècle. Des soldats de cette nation se retrouvent en Bretagne, du côté de la Ligue ultra-catholique à l’époque des guerres de religion. Ces troupes de Philippe II occupent certains points du territoire durant quelques années. Après Rocroi en 1643 des vaincus des fameux tercios, réputés jusqu’alors invincibles, restent quelques temps en captivité dans des villes de l’Ouest.

  • 5 Duc de Castries, Les hommes de l’émigration, Paris, 1976, p. 153.
  • 6 Abbé J. P. G. Blanchet, Le clergé charentais pendant la révolution, Angoulême, 1898.

10Durant la Révolution, un grand nombre d’émigrés de cette partie de la France et notamment les nombreux prêtres insermentés bretons ou vendéens, se rendent dans la très catholique Espagne. Les prélats de cette riche Église, savent se montrer généreux envers leurs hôtes5. La marquise de La Rochejaquelein, auteur de fameuses mémoires, commence à les écrire lors de son exil en Espagne. Quelques-uns parmi ces émigrés prennent les armes du côté espagnol contre la Révolution et ses héritiers6. C’est sûrement le premier cas de fraternité d’armes entre partisans de la monarchie et donc de sa légitimité, de France et d’Espagne, contre la Révolution. Cette alliance de gentilshommes des deux pays, est appelée à perdurer tout au long du XIXe siècle.

  • 7 Voir R. Aymes, Les Espagnols en France 1808-1814, Lille III, 1984.

11À l’époque du Premier Empire, des prisonniers ont été rassemblés dans des dépôts, un peu partout en France7. Elle reçoit ensuite ses afrancesados avec la chute des Bonaparte, puis ses réfugiés libéraux, comme à Rennes ou à Nantes de 1823 à 1833. Des dépôts sont constitués comme pour les Portugais ayant fui leur pays aux mains de Dom Miguel.

  • 8 Il est possible de le constater lors des recensements sous le Second Empire que nous avons étudiés

12De tous ces étrangers, très peu semblent être restés dans l’Ouest8. La Charente, à la limite de notre zone d’étude, apparaît comme une exception, car un nombre relativement important d’Espagnols s’est intégré dans ce département du Centre-Ouest.

Aide et surveillance des réfugiés : principes des subsides et système des dépôts

13Vu l’état de misère dans lequel arrivent de plus en plus d’exilés, les sommes attribuées à titre exceptionnel, constituent rapidement une assistance ordinaire, avant que le ministère ne mette en place en juin 1835 des subsides avec une grille de tarifs spécifiques pour les carlistes.

  • 9 ADV 4M169, MI aux Préfets, 6 juillet 1833.
  • 10 ADV 4M165, id., 25 janvier 1834.

14Dès le début, Paris souhaite s’en débarrasser, en les incitant à partir à l’étranger. Cependant, les autorités helvétiques s’élèvent contre cette pratique9. On ne peut plus les diriger également vers divers États allemands10. On encourageait ces départs afin d’économiser les deniers publics. Cet argument financier revient sans cesse sous les différents régimes qui se succèdent durant notre période. Ainsi, le ministère donne une plus grande liberté aux « internans » (terme rapidement supplanté par celui d’interné) pour qu’ils puissent choisir leur lieu de résidence et ne demeurent pas une charge pour le Trésor public.

  • 11 Ibidem, 5 septembre 1834.
  • 12 G. Noiriel, Réfugiés et sans-papiers : La République face au droit d’asile (XIXe-XXe siècle), Pari (...)

15Thiers reconnaît que les migrations italienne et polonaise ont chaque jour moins besoin de l’aide de l’État, grâce à leur travail11. Cependant, le ministre de l’Intérieur constate qu’à l’inverse il a fallu aider les carlistes. Quatre millions avaient été votés l’année précédente pour 5 500 réfugiés et l’exercice budgétaire de 1834 doit en subventionner encore plus avec un crédit moindre. Comme le constate Gérard Noiriel, sous la monarchie de Juillet : « Pour la première fois, un régime parlementaire est mis dans l’obligation d’affronter le problème des réfugiés12. » Cette politique d’accueil se justifie alors en tant que « version laïcisée de la bienfaisance ».

  • 13 ADV 4M165, MI aux Préfets, 18 février 1835.

16En février 1835, Thiers va plus loin en dressant un bilan assez décevant, selon lui, des émigrations politiques. Italiens et Polonais constituent les deux seules nations représentées de manière conséquente à cette période13. Il estime que davantage de réfugiés auraient dû se créer une existence indépendante après plusieurs années de séjour en France, « où ils ont constamment ressenti les effets de la sympathie des populations » et bénéficié des ressources que l’État leur offrait afin d’embrasser des études ou des travaux de toute sorte. Sur 5 076 réfugiés (plus 352 femmes et enfants) 600 à peine suivraient des études et 1 000 se consacreraient à l’apprentissage ou à l’exercice d’une profession. Pour Paris, il faut « exhorter » au travail tous les réfugiés, lorsqu’ils sont sans ressources et si besoin est, en « faciliter » l’obtention. Souvent les autorités municipales et préfectorales n’ont pas pu faire autrement que de donner un premier secours.

17Le système qui se met en place, celui des « dépôts », n’est pas nouveau. Toutefois, les internés ne représentent qu’une poignée d’individus dans l’ouest et quelques centaines ailleurs avant les grandes défections dans le camp rebelle de septembre 1839 et de 1840.

18Il ne faut pas imaginer un dépôt d’internés fonctionnant comme une maison d’arrêt ou une sorte de camp de détention, ou même de « concentration » comme ce fut le cas pour l’accueil des républicains espagnols de 1939. Cette modalité d’internement que l’on pourrait plutôt qualifier d’« assignation à résidence » s’utilise à la même époque pour des réfugiés de la péninsule italienne et surtout pour les nombreux Polonais, souvent tentés eux aussi de recourir une aventure politique.

  • 14 J. Sarrailh, « Réfugiés espagnols en France au XIXe siècle : Le dépôt de Montmorillon (1831-1833)  (...)

19Le principe demeure le même que celui utilisé précédemment avec les prisonniers de guerre sous l’Empire. Sous la Restauration, des dépôts se constituent à nouveau pour accueillir des réfugiés14.

20Grâce à l’amnistie du 15 octobre 1832 accordée par Madrid, les « libéraux » regagnent leur patrie. Ils ne sont pas encore tous rentrés quand arrivent les premiers carlistes. Ennemis des partisans de Don Carlos, ils ont pour la plupart quitté l’Espagne à la suite de la restauration de l’absolutisme en 1823.

21Les trois impératifs de l’Administration à l’égard de ces personnes venues se réfugier en France sont : la surveillance, l’assistance et la réalisation d’économies dans la gestion de cette immigration.

  • 15 ADV 4M165, MI aux Préfets, 5 septembre 1834.

22Principe intangible les subsides sont nécessairement temporaires15. Ainsi, les différents régimes politiques ne considèrent pas les secours versés aux exilés comme un droit inaliénable, mais toujours comme une aide pouvant être réduite ou supprimée au gré des événements. Les parlementaires votent la part du budget attribuée aux réfugiés. Les fonctionnaires préfectoraux, de la gendarmerie et de la police doivent vérifier par une discrète enquête s’il y a toujours lieu de leur verser de l’argent.

  • 16 Ibidem, MI au Pr. de la Vienne, 10 janvier 1834.

23Des Polonais qui réclamaient une augmentation des subsides pour la saison hivernale, la période la plus difficile pour tous les proscrits, reçoivent une réponse claire de l’Intérieur : « Les besoins qu’amène l’hiver devraient être moins pressants pour eux […] il serait juste d’étendre la même faveur aux Italiens et aux Espagnols envers lesquels elle serait plus justifiable encore16. » Il est clair que les Méditerranéens se plaignent davantage des rigueurs climatiques…

  • 17 ADCh 4M150, « La Surveillance et la direction des Dépôts d’étrangers réfugiés », MI aux Pr., 19 ma (...)

24Les instructions du 19 mars 1833 ont fixé en 22 articles les règles concernant l’accueil des exilés et l’internement dans les « Dépôts d’étrangers réfugiés17 ».

25Les commandants militaires demeurent responsables, comme à l’époque où ces dépôts étaient constitués de « prisonniers de guerre », de la discipline, conjointement avec les préfets qui doivent surveiller quant à eux tout ce qui a un rapport avec la « politique » (activisme verbal ou écrit, « mauvaises fréquentations »…). Les préfectures se chargent en réalité de la police de ces regroupements de réfugiés. Elles proposent éventuellement au ministère des punitions comme la prison ou l’expulsion du royaume. Les exilés ne peuvent quitter leur lieu d’internement sans une autorisation venant de Paris.

26Dès 1834, d’autres textes permettent de laisser les internés choisir un autre dépôt, sans demander l’autorisation au ministère, s’ils justifient là-bas d’une source de revenus (un métier, l’aide d’une personne charitable…). S’ils désirent quitter la France, ils bénéficient de passeports gratuits et d’indemnités de route (équivalentes à deux mois de subsides). Cet argent doit leur laisser le temps de trouver une activité rémunératrice. Avant de partir, ils doivent signer une renonciation à toucher leurs subsides. Tout interné qui abandonne son dépôt sans autorisation est censé avoir renoncé aux secours et son signalement doit être transmis au ministère.

27Afin de ne pas payer des subsides à des réfugiés qui n’ont pas le grade ou l’emploi qu’ils déclarent avoir eu avant l’exil, des commissions de révision des titres peuvent être mises en place.

  • 18 ADV 4M165, MI aux Préfets, 15 juin 1835.

28Le 15 juin 1835, par le biais d’une circulaire ministérielle, les carlistes se voient enfin reconnus au même titre que l’émigration polonaise ou italienne. L’administration les appelle les « réfugiés de la Navarre », car ils proviennent majoritairement du pays basco-navarrais, principal foyer d’insurrection18.

29Selon le député de Côte-d’Or Vatout, il faut encourager les Polonais à entrer dans la Légion. Quant aux Espagnols il constate que la commission parlementaire « n’a point vu sans quelque effroi pour nos finances le commencement d’émigration qui […] peut finir par inonder nos provinces du Midi ». Cet orléaniste convaincu pose la problématique suivante : « Votre commission croit qu’il y aurait quelque chose d’injuste et d’impolitique à traiter sur le même pied celui qui soutient les principes analogues à ceux de notre gouvernement, et celui qui les repousse […]. Aussi, dans les Espagnols insurgés, nous ne reconnaissons ni soldat, ni officier, nous ne voyons en eux que des hommes ; ils sont malheureux à ce titre ; mais à ce titre seul on doit les secourir. En effet ne serait-il pas politique et juste de les soumettre aux mesures de surveillance dont on a affranchi les Polonais ? Ne serait-il pas juste et politique de les traiter moins favorablement dans la répartition des secours ? Cette différence témoignerait aux yeux du pays de la sympathie que les uns inspirent, tandis qu’envers les autres nous ne faisons qu’obéir à un devoir d’humanité. »

  • 19 C. Mondonico-Torri, « Les réfugiés sous la monarchie de Juillet : L’impossible statut », Revue d’H (...)
  • 20 G. Noiriel reconnaît comme nous ce fait, op. cit., p. 47.

30En effet, le tarif diffère. Les carlistes se répartissent en cinq classes correspondant chacune à une catégorie sociale et à une quotité de subside. Les sommes perçues sont inférieures à celles que touchent les Italiens et Polonais de rangs équivalents. Le ministre de l’Intérieur justifie cette faiblesse du subside en raison des contraintes budgétaires. Nous constatons comme Cécile Mondonico-Torri que les carlistes deviennent les « mal-aimés » parmi les émigrations politiques19. Nonobstant ce jugement, les autorités du Roi Bourgeois ne se permettent pas d’ignorer la hiérarchie sociale du camp rebelle20. En attribuant les secours en fonction des grades et qualités des réfugiés au moment de l’exil, le Gouvernement reconnaît ainsi les décisions d’un contre-État légitimiste.

  • 21 Bibliothèque administrative de la Ville de Paris, Archives parlementaires tome 95, année 1835.

31Cependant, Thiers dans son projet de loi veut éviter que les secours attribués ne deviennent « une prime au désœuvrement21 ». Pour lui, la dissémination des réfugiés dans tous les départements reste préférable aux dépôts « où ils languissaient dans l’oisiveté et les mauvaises habitudes qui la suivent ». Selon Paris, plus de 500 combattants espagnols se voient éloignés du théâtre de la guerre de par leur assignation à résidence dans les départements du centre de la France. « Là ils ont cherché, mais en vain du travail, et bientôt arrivés au dernier degré de la misère, ils ont redemandé comme une faveur d’être remis en présence des terribles chances qui les attendaient. » On juge nécessaire de leur verser des subsides, en invoquant le but de la Quadruple alliance qui doit empêcher l’accroissement des forces rebelles. Au début de cette année 1835, on en recense 516 et 262 reçoivent des secours.

  • 22 ADV 4M165, MI au Pr. de la Vienne, 29 avril 1835.

32Quelques rares carlistes sont internés à Poitiers avant 1839. Quant aux déserteurs christinos, le gouvernement désire encore moins les rétribuer que les autres, car : « Ce serait accorder une prime à la désertion dans une armée que nous avons intérêt à voir forte et unie22. » Les autorités craignent de voir les forces défendant une cause amie, se rétrécir comme une peau de chagrin.

33Les tentations peuvent être fortes pour des militaires et conscrits rétribués avec difficulté, dans une Espagne appauvrie. De plus, les combats qui les opposent à des compatriotes sont rudes, d’où la lassitude probablement pour les moins politisés d’entre eux. Paradoxalement en apparence, mais fort logiquement en vérité, les orléanistes préfèrent se voir contraints à payer des internés carlistes, plutôt que des hommes qui défendaient la monarchie sœur.

  • 23 Ibidem, Pr. des Basses-Pyrénées au Pr. de la Vienne, 10 février 1836.
  • 24 Ibid., Pr. de la Vienne au MI, 20 février 1836.

34Le motif de la désertion peut être des plus simples, comme pour ces deux soldats christines qui ont déclaré se réfugier en France « par suite des fatigues de la guerre23 ». Le préfet ne peut leur proposer que du terrassement. Ils demandent finalement à rentrer dans la Légion étrangère24.

  • 25 Aucun réfugié ne semble avoir été forcé pour entrer dans ce corps, contrairement à ce qui se prati (...)

35Les Espagnols se voient généralement proposer des travaux de force ou un engagement dans la Légion25. Ce corps militaire a été créé en 1831 dans le but d’utiliser les énergies guerrières des réfugiés politiques au service des intérêts de la France.

  • 26 ADV 4M169, M. Mévolhon au Pr., 3 juillet 1835.

36Cependant, la présence de ces cristinos ne s’explique pas toujours par un refus pur et simple de poursuivre la guerre, mais parfois par un cas de force majeure. La personne s’enfuit car elle se voit menacée de mourir d’une manière certaine ou d’être détenue. C’est le cas semble-t-il de Pablo Toledano. Selon l’avocat qui prend la défense de cet officier, qui ne peut sûrement pas le rétribuer pour ses démarches, son détachement aurait été attaqué par les carlistes près du pont d’Irun, le contraignant à franchir la frontière en mars 183526. Conduit à Poitiers, il s’en échappe mais il est arrêté en Charente et ramené à son lieu d’internement. Il désire servir à nouveau la Régence, comme volontaire dans la légion du colonel Suarce, levée à Paris. Il loge et travaille au café de Castille, tenu par un de ses compatriotes. M. Abello, ancien réfugié de tendance libérale, qui sert occasionnellement d’interprète entre l’Administration et les nouveaux venus.

37Un autre Espagnol déclare à Montmorillon que fait prisonnier en Navarre par les rebelles et atteint de dysenterie, il a été envoyé à l’hôpital. Il en aurait profité pour se sauver. Cependant, cet homme ne s’est pas présenté aux autorités, car il déclare : « On est persuadé sur la frontière que l’on fait rétrograder les hommes qui s’y présentent. » Ayant de l’argent sur lui, il s’en serait servi pour éviter les villes et manger chez des paysans. Cet étranger a pu traverser tout le Sud-Ouest de la France sans être interpellé. Des personnes parviennent à rester longtemps inconnues des autorités. On les soupçonne parfois d’œuvrer secrètement pour Don Carlos.

  • 27 P. Mérimée, « Les Espagnols en Danemark » (1820) dans Carmen et autre nouvelles espagnoles, Paris, (...)

38Dès 1835 des « agents carlistes » sont internés. Certains de ces Espagnols viennent d’Angleterre, deux autres semblent sortir tout droit d’une œuvre de Mérimée, car ils arrivent du Danemark27.

  • 28 ADV 4M165, Nicolas Osores à Poitiers, 15 octobre 1835.
  • 29 Ibidem, Pr. de la Vienne, 26 février 1836.

39Un lieutenant-colonel porteur d’une dépêche pour Don Carlos a été arrêté à la frontière alors qu’il se rendait de Navarre en Catalogne28. Il réclame sa liberté, car selon lui il n’est pas venu demander un asile à la France et il n’est pas non plus prisonnier de guerre. Il obtient finalement un passeport pour l’Italie29. Des carlistes passent d’une zone insurgée à l’autre en longeant la frontière française, car il n’y a pas de continuité territoriale entre les principaux foyers rebelles.

40Ici comme ailleurs les internés ne se résignent pas toujours. Les « départs furtifs » désignent dans le vocabulaire administratif le fait de partir illégalement. Le terme d’évasion s’emploie rarement car il relève plutôt des personnes figurant dans la catégorie des prisonniers ou des bagnards. Il est vrai que les réfugiés ne peuvent pas quitter leur dépôt comme ils l’entendent, ni aller forcément vers la destination qu’ils désirent. Ils doivent demander l’autorisation pour tout départ de leur zone de résidence.

41Les départs illégaux s’avèrent une constante dans la vie de ces dépôts. Les autorités s’en aperçoivent souvent le lendemain ou parfois plusieurs jours après. Tous les fugitifs ne se rendent pas forcément en Espagne. Certains se dirigent vers une destination non autorisée par l’Administration. Les départs se font davantage à la belle saison et souvent à deux ou plusieurs.

42Les autorités madrilènes critiquent la fréquence de ces fuites alimentant la rébellion. L’Administration française ne cesse de plaider son impuissance face à ces départs, en raison du mode d’internement adopté. Les moyens de surveillance sont jugés insuffisants avec un tel système.

  • 30 Ibid., Pr. de Charente-Inférieure au Pr. de la Vienne, 29 août 1835.
  • 31 Ibid., MI aux Préfets, 26 février 1838.
  • 32 Ibidem, 16 avril 1840.
  • 33 Le Charentais, 16 mai 1840.
  • 34 ADCh 4M150, Pr. au MI, 13 mai 1840.

43José Morens parti furtivement de Poitiers avec deux compatriotes, se voit finalement arrêté. Il détient des lettres pour la princesse de Beira30. Durant l’hiver 1837-1838 Don Carlos a ordonné aux Espagnols qui sont en France de venir le rejoindre dans les provinces insurgées. Cependant, la rigueur de la saison aurait fait différer l’exécution de cet ordre31. En 1840, alors que la guerre est terminée dans le pays basco-navarrais, Paris informe ses préfets « que l’on met tout en œuvre pour les décider à s’évader, et beaucoup d’entre eux prêtent l’oreille à ces sollicitations32 ». L’hémorragie devient telle en Charente que le préfet réunit les Espagnols en mai et leur demande par écrit leur promesse de ne pas quitter leur résidence sans autorisation. « Presque tous ont répondu que l’honneur ne leur permet pas de prendre un pareil engagement33. » En conséquence, il met des réfugiés en prison, puis 21 d’entre eux sont évacués par la gendarmerie vers le nord34.

44Avec la fin de la guerre, les réfugiés deviennent plus nombreux. Deux exils massifs se produisent à près d’un an d’intervalle.

L’arrivée massive des carlistes en France en deux vagues (1839-1840)

45La signature du Convenio de Vergara, du 31 août 1839 entraîne un premier exil massif. Certains rebelles du pays basco-navarrais refusant de l’accepter, passent en France en suivant leur prétendant.

  • 35 R. Gonzalez de la Cruz, Historia de la emigración carlista, vol. I, Madrid, 1846, p. 86.

46Paris envoie Don Carlos à Bourges. Il voyage en compagnie de la princesse de Beira, de son fils aîné, le prince des Asturies et de son neveu don Sebastian. Une petite suite contenue au total dans quatre voitures les accompagne. On évoque des manifestations populaires de sympathie sur leur passage à travers le Sud-Ouest35.

  • 36 AMAE, M&D suppl. 29, 21 février 1837.

47Un hôtel particulier est laissé à leur disposition place de l’Arsenal, à quelques pas de la cathédrale. Don Carlos s’installe pour un exil d’une durée indéterminée dans cette petite ville du Berry. Une mauvaise ambiance s’installe entre don Sebastian, qui estime la Cause définitivement perdue et son oncle. Ce dernier, considéré comme apathique, ne semble s’occuper que de pratiques de dévotion. Don Carlos demande à partir à Salzbourg où sa femme est propriétaire. Son neveu désire se rendre à Naples. À Madrid, on ne veut pas d’un départ du Prétendant sans qu’il ait signé préalablement un renoncement à la couronne. Cette condition lui paraît inacceptable. Louis-Philippe ne souhaite pas prolonger une captivité qu’il juge « odieuse36 ». Cependant, il reste une importante zone factieuse à éradiquer : la Catalogne et le Maestrazgo. Cette résistance est dirigée par le Comte d’Espagne et plus au sud, par Ramón Cabrera.

48Les conséquences du Convenio de Vergara ne cessent de gonfler les effectifs des Espagnols en France. On les interne pour éviter toute reprise de la guerre civile au sud des Pyrénées. Ce tournant décisif dans l’histoire des carlistes se manifeste également dans les Charentes et dans l’Ouest.

  • 37 Le Charentais, 5 octobre 1839.

49La Charente tout d’abord, accueillerait près de 1 500 exilés37. Angoulême est fixée pour résidence aux officiers supérieurs et capitaines. Les principales villes du département accueillent les internés : Barbezieux et Chalais au sud, Cognac à l’Ouest, Confolens ainsi que Ruffec au nord. Ce ne sont pas les habitants ou encore moins les municipalités qui en font la demande. Le préfet, en accord avec Paris, décide de cette répartition. Lorsque le chef-lieu semble saturé par le nombre d’internés, on les répartit vers d’autres villes. Cette règle obéit à des impératifs économiques et de sécurité publique. Les nouveaux venus doivent en effet, pouvoir chercher un travail, et on tâche d’éviter une trop grande concentration d’étrangers.

  • 38 ADCh 4M150, S-Pr. de Barbezieux au Pr., 29 mars 1840.

50La Charente présente de multiples avantages pour les recevoir. Assez loin de l’Espagne, ce qui laisse le temps en cas de fuite de prévenir les départements méridionaux, elle reste également assez près de leur pays pour éviter de trop grands frais de route. Chalais, nouveau dépôt, comme Aubeterre, se trouve à la limite avec la Dordogne. Cette petite ville, dominée par le château familial du fameux Talleyrand, fief d’un prélat bien impie, abrite en cet hiver 1840 les réfugiés « les plus exaltés, de ceux surtout que fanatise l’esprit religieux38 ». Finalement, on considère ce département saturé dans ses capacités d’accueil. Le 21 décembre 1839, Paris décide d’envoyer des Espagnols en Charente-Inférieure.

  • 39 ADChM 4M4/3, Rapport confidentiel du Pr. au MI, 9 septembre 1841.

51À l’opposé de l’image de La Rochelle comme ville rebelle sous Louis XIII, son département : « Placé à une des époques les plus critiques de notre histoire, entre la Vendée un moment victorieuse, et le fédéralisme de la Gironde, il a constamment donné l’exemple d’une inébranlable fidélité et peut-être son attitude ferme et calme en opposant une double digue à la révolte de l’Ouest et du Midi, a-t-elle empêché une conflagration générale39. » Dans leur très grande majorité, les habitants de l’actuelle Charente-Maritime, sont décrits comme attachés à l’ordre assuré par le régime de Juillet. Il n’y a que quelques légitimistes inoffensifs, parmi les couches aisées, attachés à cette cause par « le prestige du souvenir », par « vanité » ou « amour propre ».

  • 40 ADChM 5M6/15, Mie de La Rochelle au Pr., 2 janvier 1840.
  • 41 Ibidem, Pr. de Charente-Inférieure au MI, 9 janvier 1840.
  • 42 Ibidem, à la S-Pr. de Saintes, 20 janvier 1840.
  • 43 Ibid., au MI, 21 mars 1840.

52En ces terres bien différentes de la Vendée militaire, on interne à La Rochelle et à Saint-Jean-d’Angély 25 déserteurs de l’armée de la Reine. Ils n’ont bien sûr pas le droit de recevoir des secours du Gouvernement. Cependant, les six premiers internés prétendent avoir déserté la rébellion40. Ils n’ont pu, malgré leurs démarches, se procurer la moindre occupation et demandent à être dirigés ailleurs41. La région a connu des troubles frumentaires en janvier 1839, dans lesquels l’Intérieur croit déceler la marque des légitimistes. Les nouveaux internés vivent de la charité des habitants et des bureaux de bienfaisance42. Deux mois plus tard, il n’en reste plus que huit dans le département43. José Pujol travaille au collège de Saint-Jean-d’Angély, Gregorio Tarin occupe une place d’aumônier au château de Sengnac près de Pons et un officier carliste réside à Rochefort. Enfin, cinq déserteurs se trouvent encore à La Rochelle, où ils font des travaux de terrassement.

  • 44 ADV 4M169, Pr. de la Vienne au MI, 9 octobre 1839.

53La Vienne reçoit également ses plus importantes arrivées de réfugiés après le Convenio de Vergara. Depuis le 22 septembre, 44 réfugiés sont recensés à Poitiers plus deux femmes et une fille44. Difficile à évaluer dans le reste de l’Ouest, les arrivées se multiplient.

  • 45 Le Charentais, 11 juillet 1840.

54En juin et juillet 1840, se produit la défection des dernières forces armées de la rébellion implantées en pays catalan et valenciano-aragonais, ainsi que celle de la dernière bande conséquente de Navarre. Ramón Cabrera résiste dans le Maestrazgo jusqu’au 30 mai. Lors de sa retraite, le Tigre poursuit le combat un moment dans les environs de Berga en Catalogne, jusqu’au 6 juillet45. Il est question, plus qu’à l’habitude, de vols et d’assassinats, durant ces derniers jours du conflit.

55Dans la nuit du 9 juin, les autorités françaises arrêtent 3 ou 400 carlistes à la frontière dans les Pyrénées-Orientales, du côté de Puigcerda et Osseja. Les gendarmes auraient même dirigé sur Bourg-en-Bresse les sœurs ainsi que le jeune frère de Cabrera. Tentant de cacher leur identité, ils ont fini par avouer leur véritable nom. Ils seraient porteurs de 50 000 francs en or.

  • 46 Ibidem, 4 juillet 1840.

56Balmaseda se voit contraint à passer par Larrau dans les Basses-Pyrénées, le 28 juin avec 380 hommes, 2 000 étant annoncés pour le lendemain46. Saint-Jean-de-Luz reçoit finalement 1 183 fantassins et 123 cavaliers, logés dans un château. Ainsi 900 armes de toutes espèces et 366 chevaux et mulets auraient été remis aux autorités espagnoles.

  • 47 Ibid., 11 juillet 1840.

57La faction d’Aragon, forte d’environ 8 000 hommes, arrive avec Cabrera. Les Catalans tiennent encore47. Le célèbre cabecilla du Maestrazgo se voit finalement envoyé dans la citadelle de Lille. Il obtient peu après l’autorisation d’être transféré plus au sud, invoquant des raisons de santé face aux frimas du Nord.

  • 48 Ibid., 18 et 22 juillet 1840.

58Vers le 10 juillet, on estime que 13 000 réfugiés ont déjà passé la frontière dans les Pyrénées-Orientales. Il y aurait à ce moment 27 000 carlistes en France. La presse juilletiste reprend le discours officiel, en précisant que le Gouvernement : « Leur a offert les moyens d’assurer définitivement leur sort en prenant du service dans la légion étrangère48. »

  • 49 Ibid., 25 juillet 1840.

59Le 25 juillet, 2 500 carlistes sont arrivés dans les Pyrénées-Orientales et le lendemain 3 500 de plus. Venant des campements du Haut-Roussillon, ils proviennent tous de la « faction catalane, les vrais guérilleros de l’armée. Ici plus d’uniformes, la boïne (boïna ou béret basque) a fait place au bonnet rouge (la barretina), et la cape a remplacé la capote du soldat. Bon nombre vont nu-tête ou portent un mouchoir roulé à la manière des orientaux49 ». Le caractère vestimentaire de l’Est de la péninsule se remarque au premier coup d’œil.

  • 50 A. Pirala y Criado, op. cit., tome VI, p. 88.
  • 51 Ibidem, p. 90.
  • 52 ADV 4M169, MI aux Préfets, 1er août 1840.

60Selon Antonio Pirala, les carlistes s’estiment trahis par le fait d’être considérés comme des prisonniers. Ils accusent le gouvernement de ne pas avoir respecté la convention présentée à Cabrera. Elle précisait que tous les hommes seraient conduits vers des dépôts désignés par les autorités, où ils seraient traités comme réfugiés et qu’ils auraient tous le droit de choisir un autre pays. Enfin, selon l’article 4, « qu’ils rendraient les armes et chevaux, exceptés ceux des généraux, chefs et officiers, étant de leur propriété particulière, ainsi que les bêtes de somme et les bagages50 ». En quoi ces clauses n’auraient-elles pas été respectées par la France ? Les chefs éminents ont été internés sans qu’on leur laisse le choix de partir vers un autre pays. Pour le reste, il semble bien que dans les grandes lignes les conditions de la venue sur le territoire français aient été respectées. Cependant, des susceptibilités ont été sûrement froissées, le statut de réfugié ressemblant par bien des aspects à celui du prisonnier de guerre, voire même, durant certains transferts, à celui de détenus de droit commun. Certains réfugiés se rendent également dans le petit État du Val d’Andorre. Au total, en juillet, ce seraient 17 000 puis 21 000 exilés qui passent en France51. Ce chiffre s’ajoute aux nombreux Espagnols déjà en exil, depuis la retraite de Don Carlos. Les autorités semblent un peu dépassées par cet afflux. Les premières mesures adoptées ont dû être modifiées, ce qui entraîne notamment des changements de destinations pour les convois de réfugiés52. Paris précise progressivement les départements qui leur sont interdits.

L’Ouest interdit aux carlistes d’Espagne en 1840 : expulsions et prohibitions

La première expulsion des réfugiés espagnols de l’Ouest

61La présence massive des réfugiés de l’autre Légitimité ne provoque pas l’indifférence. Les libéraux des Deux-Sèvres s’inquiètent de leur venue. Dans ce département la césure politique fut importante durant la Révolution entre un sud républicain aux fortes minorités protestantes et une zone bocagère contre-révolutionnaire puis légitimiste.

  • 53 ADDS 1N23, Session du Conseil général du 26 août 1840.

62Les conseillers généraux, lors de la séance du 26 août 1840, se préoccupent de la situation des deux arrondissements du nord : celui de Bressuire et de Parthenay, où « les bruits de guerre y ont jeté des inquiétudes ». La crainte concerne quelques réfractaires qui pourraient devenir le noyau de bandes hostiles. Les représentants du département demandent d’urgence de ramener au complet les effectifs des différentes brigades de gendarmerie dans cette zone. Aussi : « Le Conseil général appelle plus particulièrement l’attention du gouvernement sur les dépôts de réfugiés espagnols établis à Angers et à Poitiers. Il pense qu’il serait d’une sage prévoyance d’éloigner de l’ancien théâtre de nos guerres civiles des étrangers dont les opinions sympathisent avec celles de quelques ennemis de nos institutions, et dont la présence deviendrait dangereuse par le concours qu’on pourrait en espérer53. » On dénonce une nouvelle fois la dangereuse collusion entre légitimistes et carlistas, dans la région des anciennes guerres de Vendée.

  • 54 ADDS 4M43/I, Léon de Malleville sous-secrétaire d’État au MI aux Pr. des Deux-Sèvres, du Maine-et- (...)

63Le 2 septembre, en réponse à ces inquiétudes, Paris demande aux préfets d’Angers, de Poitiers et de Niort d’évacuer immédiatement sur Chartres tous les carlistes espagnols de leur département respectif54. Cette mesure exceptionnelle se justifie par « les circonstances actuelles ». Nous pouvons nous interroger sur le caractère véritablement alarmant de cette présence dans le Poitou et en Anjou, où se sont déroulées plusieurs guerres civiles de 1792 à 1832 et où quelques chouans continuent à sévir dans les campagnes. Cependant, pourquoi les Deux-Sèvres et la Vienne sont-ils interdits et non la Vendée voisine ? De plus, la Vienne n’a jamais fait partie de la Vendée militaire.

64Il faut estimer l’importance de cette présence étrangère, afin de vérifier si les inquiétudes ne paraissent se justifier que pour ces trois départements.

65Les effectifs dans l’ancienne Vendée militaire paraissent bien maigres pour représenter un danger. Au total nous n’avons recensé qu’une cinquantaine d’internés espagnols, dans les départements de la Vienne, le même nombre au maximum dans le Maine-et-Loire et trois carlistes seulement dans les Deux-Sèvres. On peut juger que la psychose du péril « blanc » se révèle encore largement présente dans les esprits de l’Ouest, huit années après le soulèvement manqué.

  • 55 ADMay 4M266, aucun chiffre donné par S. Firmino, op. cit., p. 495.
  • 56 ADMbh 4M385, confirmation dans S. Firmino, op. cit., p. 495 qui donne 60 réfugiés en Loire-Atlanti (...)
  • 57 ADCal 3M103 et ADOr M1167 et M1168, respectivement jusqu’à 110 et 140, selon S. Firmino, op. cit.

66Dans le Maine et en Bretagne, seules des estimations peuvent être faites, confirmées parfois par les chiffres donnés dans la thèse de Sophie Firmino. Dans la Mayenne, il semble qu’il n’y ait qu’une demi-douzaine d’Espagnols tout au plus55. Dans la Sarthe, il est difficile de pouvoir affirmer qu’il y ait eu des réfugiés de cette nation avant 1842. Il paraît certain que l’Ille-et-Vilaine en accueille plus que les Deux-Sèvres. Par contre, aucun n’est signalé dans les archives du Morbihan avant 184256. Dans le Finistère, ou les Côtes-d’Armor quelques documents attestent la présence d’une poignée de carlistes. Pour la Manche, les archives départementales ont brûlé lors des combats de la Libération. Des carlistes résident dans le Calvados et dans l’Orne, en nombre plus important que dans les Deux-Sèvres57.

67Nous pouvons donc constater que l’Ouest se révèle loin d’être envahi par de nombreux carlistas. L’interdiction pourrait se justifier dans le Maine-et-Loire et la Vienne mais pas pour les Deux-Sèvres.

68Cette évacuation s’explique par un passé mouvementé certes, mais également par un contexte bien particulier : la crise politique que traverse à ce moment la monarchie de Juillet.

1840, l’année de tous les dangers pour la monarchie de Juillet ?

69Le contexte politique deviendrait trop explosif dans l’Ouest pour que les autorités ne puissent tolérer la présence de quelques carlistes espagnols.

70Il est nécessaire d’expliquer ce que signifient les « circonstances actuelles » mises en avant en septembre 1840, pour justifier l’expulsion collective. Depuis juillet, la guerre carliste apparaît pourtant bel et bien terminée. Il ne subsiste que quelques petites bandes, dans les montagnes catalanes, dont l’action endémique s’avère négligeable. Les derniers guérilleros finissent par être confondus avec les bandits de grand chemin ou trabucaires. Il ne faut donc pas chercher au-delà des Pyrénées un contexte justifiant les craintes des élus deux-sévriens.

71Les autorités administratives et militaires perçoivent une certaine effervescence en France face à la crise politique que traverse le régime, dès 1839. Elle culmine en 1840 en raison de la question d’Orient. Certains symptômes apparaissent indubitablement dans l’Ouest, rappelant dangereusement les signes avant-coureurs du soulèvement de 1832.

  • 58 ADDS 4M6/13, S-Pr. de Melle au Pr., 9 janvier 1839.
  • 59 Ibidem, 6 avril 1839.
  • 60 Ibid., Pr. au MI, 3 février 1839.

72À Paris, l’on s’inquiète pour cette région dès janvier 1839. Selon le sous-préfet de Melle : « La paix dont nous avons joui depuis 1830 n’a pas assez complètement calmé les passions politiques pour n’avoir rien à redouter de l’émeute qui vient de surgir dans la chambre des députés58. » En avril, il constate une baisse des transactions commerciales en raison selon lui de la « crise politique », car les commerçants redoutent de graves événements59. En février 1839, selon le nouveau préfet des Deux-Sèvres les chefs de parti « se réveilleraient bientôt, si une occasion favorable se présentait, c’est-à-dire si la guerre s’allumait sur nos frontières60 ». Il n’y a pas à ce moment de menace précise. Mais de nombreux observateurs (élus, gendarmes, fonctionnaires) estiment le manque d’engouement des populations « désabusées » pour de futures insurrections. De plus, les velléités guerrières peuvent être refroidies par la surreprésentation militaire assurée dans cette région jugée peu sûre par le pouvoir.

73La crise de 1839 débute lorsque le comte de Molé, proche de Louis-Philippe, rencontre une vive opposition qui le pousse à démissionner, le 22 janvier. Le roi dissout la Chambre des députés. Les opposants, légitimistes et républicains, ainsi que les adversaires de Molé, gagnent les nouvelles élections. Cependant, cette opposition triomphante ne se montre pas assez unie sur un programme commun et le pays connaît une grave crise ministérielle. Les républicains en profitent pour tenter une insurrection à Paris les 12 et 13 mai. Le mouvement parisien se voit promptement maté et le maréchal Soult, fidèle philippiste, se comporte au gouvernement sans tenir compte de l’opposition majoritaire.

  • 61 Ibid., MI aux Préfets de l’Ouest, 5 avril 1839.
  • 62 ADM&L 29M27 « Chouannerie : correspondance, situation politique 1836-1839 ».
  • 63 ADDS 4M6/13, Pr. au MI, 5 avril 1839.
  • 64 ADVée 4M443, MI au Pr. de Vendée, 25 mai 1839.
  • 65 Ibid., Pr. de Vendée au MI, 6 juin 1839.
  • 66 Ibid., 4M394, Rapport de Gendarmerie, mai 1839.

74Durant cette crise politique, l’agitation se concrétise dans les départements occidentaux par quelques désordres dans le Morbihan. Ils concernent surtout le canton d’Elven, au nord de Vannes61. Dans le Maine-et-Loire, on craint que les légitimistes ne profitent de la situation62. Des émissaires parcourent les campagnes pour dissuader les jeunes de remplir leurs obligations militaires. Les maires ne veulent pas les dénoncer dans la crainte d’être assassinés. Dans la Gâtine deux-sévrienne, l’agitation a eu lieu dans la plus pure tradition des soulèvements antirévolutionnaires, lors d’un tirage au sort pour le nouveau contingent63. À la suite de l’insurrection parisienne, l’Intérieur se préoccupe davantage, de la situation dans l’Ouest. La surveillance des condamnés politiques amnistiés, ou graciés s’accroît64. Ces derniers n’attendraient qu’une occasion pour manifester leurs mauvaises intentions65. À Saint-Étienne-du-Bois des hommes réunis dans un cabaret auraient chanté les chansons de Charette et crié « vive la république ! vive Henry V66 ! » La cause républicaine se trouve régulièrement associée à celle des aînés des Bourbons, en un même combat contre Louis-Philippe.

75Les autorités surveillent plus que jamais les faits et gestes de la noblesse vendéenne. Plusieurs lettres tendent à présenter le château de Clisson à Saint-Aubin-de-Baubigné, dans l’arrondissement de Bressuire, comme un probable foyer de conspiration.

  • 67 ADDS 4M613, le commandant de la gendarmerie de Niort au Pr., 14 décembre 1838.
  • 68 M. Denis, op. cit., p. 157-160.

76Le marquis de La Rochejaquelein serait le seul à pouvoir « faire mouvoir les masses » dans les Deux-Sèvres et en Vendée. Cependant, son influence aurait beaucoup diminué, en raison de « son peu de fixité dans le caractère », de sa non réussite en diverses entreprises, mais surtout par l’augmentation des prix de ses fermes67. Malgré une infinité de démarches et de nombreux sacrifices d’argent, il n’a pu reconquérir son ancienne aura. On touche ici la question importante de l’influence de la noblesse sur la paysannerie de l’Ouest, mise en lumière par l’historiographie du XXe siècle. Selon des études récentes, on peut expliquer en partie les relations particulières entre nobles et paysans, par l’importance du système du fermage ou métayage, laissant les exploitants dépendants de leurs antiques seigneurs. Il est dans l’intérêt de ces propriétaires traditionnels de ne pas se montrer aussi avides que les bourgeois. La Révolution n’a pas supprimé du jour au lendemain la puissance foncière des anciennes familles aristocratiques, malgré les ravages des guerres civiles et l’importance de l’« Émigration ». Au moment de la vente des biens nationaux, issus de l’immobilier et du foncier confisqués aux nobles, des hommes de paille ont été chargés de les racheter pour les céder ensuite à leurs anciens propriétaires68. La vague de démissions, au lendemain des événements de juillet 1830, a renforcé la présence de la noblesse de l’Ouest sur ses terres. Beaucoup ne restent cependant sur leurs domaines qu’une partie de l’année. Ils se partagent bien souvent entre la belle saison à la campagne et un hiver en ville, à Paris parfois, mais également dans des villes de province comme Poitiers. Il y a ainsi chaque année une sorte de migration saisonnière des propriétaires nobles.

  • 69 ADDS 4M6/13, gendarmerie de Bressuire, 23 janvier 1839.
  • 70 Ibidem, le Commandant de la Gendarmerie de Niort au Pr., 15 décembre 1838.
  • 71 Ibidem, 27 février 1839.
  • 72 Élève à Saint-Cyr, officier de cavalerie participant à la campagne de 1823, il combat les Turcs da (...)
  • 73 ADLA 1M515, MI au Pr., 3 octobre 1840.

77L’antique château familial des de La Rochejaquelein, incendié durant la « Grand’ Guerre » de Vendée, n’est habité en campement que par un régisseur et depuis décembre 1838 par un officier ayant tout juste quitté l’armée de Don Carlos69. Adrien d’Argy, membre d’une famille très légitimiste des Ardennes, est présenté également en qualité d’homme de lettres70. Plusieurs de ses frères avaient servi dans la péninsule ibérique, après la révolution de Juillet. Finalement, en février, il part travailler à Nantes comme capitaine d’un bâtiment à vapeur appartenant à son hôte71. La « compagnie des bateaux inexplosibles » embauche au moins un carliste espagnol. Le fils de Louis de La Rochejaquelein, Henri Auguste (1805-1867) comme d’autres aristocrates de la région se lance dans des initiatives économiques, pas uniquement agricoles72. Plusieurs déserteurs ou réfractaires de l’Ouest seraient employés, sous de faux passeports73.

78Si la surveillance des maisons nobles ne décèle rien d’important, les craintes des autorités de Juillet s’accroissent pourtant durant l’année 1840.

79La crise s’amplifie lorsque le maréchal Soult est mis en minorité en janvier 1840. Il se voit donc contraint de quitter la présidence du Conseil. Louis-Philippe doit appeler Adolphe Thiers, qu’il n’apprécie guère. Les événements qui suivent au niveau national et international se répercutent dans l’Ouest.

  • 74 ADDS 4M6/13, MI au Pr. des Deux-Sèvres, 21 mars 1840.

80Des rapports indiquent que dans certains départements, l’attitude du parti légitimiste deviendrait « plus malveillante74 ». Leurs principaux chefs se tiendraient prêts à toute éventualité. On cite parmi eux le général de La Rochejaquelein, les fils du maréchal de Bourmont ou un neveu de Charette. Ce n’est pas la première fois depuis 1830 que des bruits de cette nature circulent ; cependant, le soulèvement de 1832 a prouvé qu’ils n’étaient pas toujours le fruit de l’imagination. L’apparition récente de quelques bandes de chouans dans le département du Maine-et-Loire devient l’un des signes les plus tangibles de cette effervescence.

  • 75 Le Charentais, 1er août 1840.

81La situation internationale tend à amplifier les tensions observées dans cette partie de la France. En effet, le pays se heurte une fois encore aux intérêts de l’« ennemi héréditaire ». Paris soutient la volonté d’expansion de l’Égypte aux dépens de l’Empire ottoman et l’Angleterre contrecarre cette politique. L’affront suprême se concrétise par la signature du Traité de Londres. La tension induite n’est pas seulement diplomatique. Les passions belliqueuses se ravivent contre le pays du duc de Wellington. Plus encore que les « affaires d’Espagne », la Question d’Orient enflamme les passions françaises. Une véritable fièvre belliciste, entretenue par Thiers et la presse, gagne les deux pays qui se préparent à la guerre. Le Charentais, dans un élan très cocardier, précise que la France « n’a rien à craindre de l’Europe armée, elle l’a prouvé déjà, et s’il le fallait encore, elle le prouverait au besoin75 ». Le souvenir de la gloire napoléonienne demeure très vivace sous la monarchie de Juillet, qui s’efforce de se montrer la digne héritière des exploits de Bonaparte, dont les cendres sont ramenées en grande pompe aux Invalides en 1840.

82On fait le bilan des effectifs militaires, Thiers entreprend la construction des fortifications de Paris. Plus d’hommes que de coutume, depuis la fin de l’empire, se voient appelés sous les drapeaux.

  • 76 A.-J. Tudesq, « L’opposition légitimiste en Languedoc en 1840 », dans Annales du Midi, 1956, p. 39 (...)
  • 77 Ibid., Les Grands notables en France (1840-1849) Étude d’une psychologie sociale, Paris, 1964, p.  (...)
  • 78 Ibid., L’opposition …, op. cit., p. 404-406.

83Comme le résume bien André-Jean Tudesq, la crise de 1840 apparaît à la fois diplomatique, politique et constitutionnelle76. Il a pris justement cette année-là comme point de départ de sa célèbre thèse, car elle « marque la période de crise la plus violente et aussi le début de la phase la plus stable » du régime de Juillet. Il passe du « tumultueux » Thiers à la « stabilité » de Guizot77. Les légitimistes, ceci apparaît très clairement dans la presse du Midi languedocien, expriment leur hostilité à l’égard de la politique menée par le président du Conseil. Ils critiquent plus l’attitude de la France que l’Angleterre lors de la Question d’Orient, et accusent les orléanistes de spéculer en bourse durant cette crise. Alors que Thiers se voit désigné comme un fauteur de guerre, la presse légitimiste reproche également à Guizot et Soult, qui ont mis un terme à ces projets bellicistes, de sacrifier l’honneur du pays78.

84On s’inquiète évidemment dans l’Ouest durant cette période de tensions internationales. Des bruits typiques de l’Ancien Régime circulent sur des « accapareurs » qui stockent de grandes quantités de céréales pour faire monter les prix… Cette inflation a tendance à accroître également les délits et chauffe à blanc des régions habituées à se soulever. On redoute les chouans qui rôdent près des châteaux.

  • 79 AN F7/6784, Mie de Maisdon, 6 août 1840.
  • 80 Ibid., MI au Pr. de la Loire-Inférieure, 18 août 1840.
  • 81 ADDS 4M6/13, MI au Pr., 26 août 1840.

85Le maire de Maisdon-sur-Sèvre conseille de ne pas faire partir en même temps les différentes classes79. Cette ponction importante en hommes reste mal vue dans les campagnes de l’Ouest. De l’argent serait répandu avec des promesses pour accroître le nombre des réfractaires et déterminer les jeunes des classes de 1836 et 1839 à ne point se rendre sous les drapeaux. Le retour de l’ancien généralissime miguéliste, le maréchal de Bourmont, semble raviver ces manœuvres. Paris paraît pourtant à peu près rassurée sur la situation dans cette région, au mois d’août. Les arrondissements de Segré, au nord-ouest du Maine-et-Loire et de Château-Gontier, au sud-est de la Mayenne, ne paraissent pas, contrairement à des nouvelles alarmistes, particulièrement menacés. Des bandes se sont pourtant montrées dans le Morbihan, avec généralement à leur tête des chouans déjà compromis. L’arrondissement d’Ancenis, semble renfermer des ferments de rébellion plus nombreux qu’ailleurs80. Cependant, quelques vigoureuses démonstrations suffisent à disperser les « malfaiteurs » des troubles de Loire-Inférieure et du Morbihan81.

  • 82 Ibidem, 14 août 1840.

86Le ministre de l’Intérieur, Charles de Rémusat, considère que les « quelques démonstrations isolées » ne sont pas bien dangereuses, mais qu’il faut se préparer à une éventuelle « levée de boucliers82 ». En conséquence les individus suspects, les réunions politiques qui peuvent avoir lieu dans les châteaux ou dans les fermes, doivent être particulièrement surveillés. Les ecclésiastiques méconnaissant leurs devoirs doivent être signalés. Depuis le Concordat de 1801, les prêtres rémunérés par l’État doivent observer un droit de réserve dans le domaine politique. Nous voyons ici cette dangereuse trinité du légitimisme actif : le château, les fermes et les cures des paroisses surtout rurales.

  • 83 Le Charentais, 29 août 1840.

87Dans l’ancien Poitou, comme en Bretagne, la crainte du complot des châtelains et des desservants, réel ou fantasmé, préoccupe régulièrement la gendarmerie et les autorités. Enfin, les « étrangers au pays », Français ou non, se voient vite soupçonnés de mauvaises intentions, surtout lorsqu’ils sont connus pour leurs opinions légitimistes. De même pour les natifs de la région, qui reviennent d’exil grâce à l’amnistie, comme Diot, ancien de 1832 et du Portugal. Sur le marché de Thouars « la patriote », l’ancien chef de bande doit s’enfuir de peur d’être lynché par la foule aux cris de « À bas le chouan ! À bas le brigand83 ! »

  • 84 ADDS 4M6/13, le commandant des forces armées du département au Pr., 30 août 1840.

88Dans ce contexte, le maréchal de camp commandant le département des Deux-Sèvres écrit au préfet qu’il a rendu compte : « Des prévenances dont les officiers carlistes Espagnols sont l’objet de la part des légitimistes du pays, et de l’opportunité qu’il y aurait que ces réfugiés ne demeurassent pas plus longtemps dans la province84. » Cette inquiétude, reprise par les élus deux-sévriens, provoque l’évacuation des trois départements.

89L’effervescence se poursuit de septembre à novembre en raison de l’enrôlement obligatoire des conscrits de 1839, mais surtout des classes de réserve de 1834 et 1835. Les nostalgiques de la branche aînée semblent attiser ce ressentiment populaire contre cette levée en masse.

  • 85 ADLA 1M515, MI au Pr., 27 août 1840.
  • 86 Ibid., Pr. de Vendée au Pr. de Loire-Inférieure, 23 novembre 1840.
  • 87 Ib., S-Pr. de Paimbœuf au Pr., 2 novembre 1840.

90En septembre, l’Intérieur demande à son représentant à Nantes de vérifier l’existence d’un complot légitimiste dont Le Croisic serait le centre85. En novembre, la mobilisation rencontre des difficultés en Vendée. Dans certaines communes, la situation devient extrêmement tendue, les maires se font conspuer86. Comme à chaque poussée de tension dans l’Ouest, des bruits courent sur le retour de la Duchesse de Berry87.

  • 88 Ib., Pr. d’Ille-et-Vilaine au Pr. de Loire-Inférieure, 2 décembre 1840.

91Dans cette période de tension, le préfet d’Ille-et-Vilaine désire employer des réfugiés aux travaux du bassin à flot de Redon, comme cela se fait déjà pour celui de Saint-Malo et Saint-Servan, où plus de 200 carlistes dorment dans des baraques aménagées. Il demande à son collègue de Nantes : « Si l’on peut sans danger placer à Redon, sur la limite des deux départements de la Loire-Inférieure et du Morbihan, trois ou quatre cents Espagnols carlistes, peut être plus, qui pourraient donner de l’embarras dans un temps de troubles politiques88. » La réponse nantaise ne tarde pas : « Dans l’état d’excitation ou tout au moins de préoccupation de l’esprit public occasionné par les complications de la politique extérieure, et jusqu’à ce que la question de paix ou de guerre soit définitivement résolue, je ne verrai pas sans quelque appréhension se former dans nos contrées un rassemblement aussi nombreux d’étrangers dont on pourrait chercher à exploiter les passions. » Le particularisme de cette France occidentale est mis en avant : « Si jusqu’à ce jour les dépôts d’Espagnols réfugiés établis dans d’autres localités paraissent n’avoir donné lieu à aucun sujet de plainte, au moins sous le rapport politique, il serait peut-être à craindre que le séjour de ces étrangers au milieu d’une population comme celle de la Bretagne fournit aux meneurs légitimistes un moyen de renouveler leurs manœuvres pour essayer de troubler le pays. » Redon ne se trouve-t-elle pas dans une zone sensible, marquée par son passé contre-révolutionnaire ?

  • 89 ADI&V 1M114, Lettre de Louis de Cadoudal à la duchesse de Berry, 17 février 1831.

92Louis de Cadoudal pensait à la veille du soulèvement de 1832 pouvoir mobiliser 40 à 50 000 hommes en Bretagne, si les princes s’exposaient à tous les dangers89. Il demandait des moyens pécuniaires pour que des émissaires puissent faire éclater en même temps un soulèvement dans l’Ouest, dans le Midi et dans le Nord. Sinon, un mouvement partiel dans le Morbihan ou dans la Vendée entraînerait selon lui son écrasement par des forces supérieures. Il jugeait l’entrée en guerre des puissances étrangères nécessaire, car « l’usurpation ne peut se maintenir, même momentanément, qu’en révolutionnant les pays qui l’environnent. » « Que l’Espagne franchisse les Pyrénées, que l’Autriche, la Russie, la Prusse passent le Rhin ». Insistant davantage sur le rôle de Madrid, le conspirateur breton espérait l’arrivée de 60 ou 80 000 hommes sur la frontière du Midi, avec à leur tête le duc d’Angoulême. En cas d’intervention d’Espagnols dans ce plan d’ensemble : « Cette nation produirait un effet étonnant dans la Bretagne, si elle y débarquait 5 à 6 000 hommes de troupes régulières. S’il en était ainsi, cette province tomberait sous peu en notre pouvoir. » Nous pouvons constater le retour de l’alliance catholique du temps de la Ligue, entre Bretagne et Espagne. Espérant deux navires de munitions de Sa Majesté Catholique, Louis de Cadoudal concluait ainsi son propos : « Tous les regards se portent vers ce pays qui a pour reine la sœur de la mère de notre roi. » Avant la Pragmatique sanction, Marie-Christine, sœur de la Duchesse de Berry, apparaît encore bien vue des légitimistes français.

93On peut comprendre l’inquiétude des « patriotes » de l’Ouest, lorsqu’ils voient arriver quelques années plus tard les Espagnols de la Sainte Cause.

  • 90 ADDS 4M6/13, Pr. au MI, 28 juin 1841.

94Pour expliquer cette évacuation des réfugiés, reprenons les cinq raisons avancées par le préfet de Niort90 :

  • les risques d’un conflit international ;
  • la renaissance des troubles dans l’Ouest (contre le rappel des réserves de conscrits, le regain d’activité des bandes de chouans…) ;
  • les contacts des Espagnols avec des partisans notoires de la dynastie déchue ;
  • la précarité de la situation des réfugiés ibériques, devenus les obligés en quelque sorte de leurs protecteurs légitimistes et susceptibles ainsi de se faire entraîner par eux dans une aventure politique ;
  • les carlistas sont des guérilleros expérimentés.
  • 91 E. Gabory, op. cit., p. 970.

95Il y a toujours eu quelques étrangers du côté de la Contre-Révolution et ce dès 1793, des Allemands et des Suisses notamment, appartenant aux régiments de l’Ancien Régime. En 1831, les conspirateurs de l’Ouest ont tenté d’embaucher des soldats helvétiques de l’ancienne Garde de Charles X91.

96Avec la crise politique, le risque de guerre qui affaiblirait le pouvoir constitue une porte ouverte à toutes les aventures politiques : légitimiste, éventuellement soutenue par des guérilleros carlistes, ou républicaine. Les vieux démons agitent à nouveau les départements occidentaux. On rechigne davantage à la conscription, on s’attaque aux symboles nés de la Révolution.

97Les autorités s’inquiètent surtout dans le Morbihan, la Loire-Inférieure et les Deux-Sèvres. Nous n’avons pas retrouvé dans la Vienne des documents qui nous laissent cette même impression d’activisme agité et d’inquiétude avouée. À l’opposé, les craintes demeurent si vives dans la plaine niortaise, face au bocage menaçant, que les réfugiés des deux départements voisins sont expulsés.

L’évacuation de septembre 1840

  • 92 ADV 4M169, Pr. d’Eure-et-Loir au Pr. de la Vienne, 8 septembre 1840.

98Les réfugiés des Deux-Sèvres, du Maine-et-Loire et de la Vienne doivent être internés finalement dans trois villes d’Eure-et-Loir : Châteaudun, Chartres et Dreux92.

  • 93 ADDS 4M43/I, Pr. au MI, 11 septembre 1840.

99Le préfet de Niort s’interroge sur la pertinence de cette évacuation93. Il avait reçu une lettre de l’Intérieur où il lui était recommandé de « ne rien négliger pour procurer du travail aux Espagnols ». Le lendemain on lui demandait de les diriger sur Chartres. Il rappelle qu’il n’y a que trois individus concernés, deux volontaires pour la Légion étrangère et le troisième travaillant comme domestique. Selon lui, le conseil général a sûrement eu envie « d’écarter du voisinage de la Vendée les détachements nombreux de ces hommes » et non quelques individus isolés.

  • 94 Ibidem, Mie de Niort au Pr., 7 mars 1840.

100En mars 1840, le maire de Niort considérait que si le Gouvernement désirait que ces étrangers restent, il fallait lui en donner les moyens financiers. Il craignait qu’ils ne soient de « mauvais sujets94 ».

  • 95 Id., Pr. au MI, 3 octobre 1840.
  • 96 Id., 9 novembre 1840.

101Finalement, deux carlistes des Deux-Sèvres doivent se rendre à Chartres le 2 octobre95. Le troisième, Juan Muniz, se voit autorisé par exception ministérielle à rester, tant que sa conduite sera exempte de reproches. En octobre, pris de doutes sur le fait de renoncer aux subsides, il change d’avis et part pour l’Eure-et-Loir. « Cette résolution, selon le préfet, n’a rien de surprenant pour un jeune homme qui ayant commencé l’étude de la médecine, ne pouvait que difficilement s’habituer à un service domestique96. »

  • 97 ADV 4M169, liste de la Pr., 11 septembre 1840.

102À Poitiers, sur 49 carlistes 35 reçoivent leur passeport pour Châteaudun et 5 autres ont dû rester temporairement pour cause de maladie97. Ainsi, des exceptions subsistent comme à chaque fois qu’une décision est prise à l’encontre des réfugiés. Un vieil aumônier, Félix Urrecho, attaché à l’église Sainte-Radegonde, peut rester, ainsi que Manuel Micho et Ramon Bautista travaillant et mariés à des Poitevines. Deux internés intéressés par leur rapatriement, attendent la réponse.

103On peut le constater à plusieurs reprises, les fonctionnaires de Juillet se font assez accommodants avec les autorités ecclésiastiques. Au total, le ministère a donc accordé trois exceptions sur près de cinquante individus. Le ministère semble considérer le mariage avec une Française comme une garantie pour la sûreté publique, un garde-fou contre l’activisme et les projets belliqueux. L’union matrimoniale avec une personne du pays d’accueil n’est elle pas, après l’exercice d’un travail, le second pas vers l’intégration et la meilleure garantie de sa durabilité ? Dans un esprit plus pragmatique, le ministère, à défaut de voir partir ces exilés préfère qu’ils travaillent. Il évite alors de perturber ce processus, pour ne pas avoir à nouveau à les entretenir s’ils ne retrouvaient pas d’ouvrage.

  • 98 ADM&L 32M1, état nominatif, 1840.

104Quant au Maine-et-Loire, le nombre de réfugiés semble s’accroître rapidement après l’exil de Don Carlos98. On dénombre 45 hommes, le reste étant constitué par les familles et deux domestiques (dont une femme) non comptabilisés comme « réfugiés ». Trois personnages importants mentionnés ne sont peut-être pas venus à Angers. Le duc de Grenade et sa famille semblent être restés à Toulouse et deux maréchaux de camp, Miguel Gomes et Bartholomé Guibelalde, paraissent avoir reçu quant à eux l’autorisation de ne pas quitter Bordeaux.

105L’évacuation de 6 officiers pour Chartres, à la suite de la décision du 2 septembre, s’inscrit sur le registre. On ne peut avoir la certitude que d’une exception à la règle : José Marco del Pont, autorisé à rester avec sa belle-sœur et une domestique. Cet ex-ministre des Finances de Don Carlos, dans le dernier gouvernement rebelle en pays basco-navarrais de février à août 1839, est l’un des personnages les plus éminents de l’émigration espagnole ayant séjourné dans un département de l’Ouest.

106Après cette évacuation, tolérant la présence de quelques carlistes espagnols, les trois départements de l’Ouest, maintiennent-ils cette prohibition ?

107Dès septembre 1840, les trois préfets concernés ne doivent pas ménager leurs efforts pour faire respecter cette nouvelle mesure, pas toujours connue ou comprise dans les autres départements.

  • 99 ADV 4M165, Pr. au MI, 24 novembre 1840.
  • 100 Ibidem, 2M350, année 1840.
  • 101 Id., 4M170, MI au Pr., 6 février 1841.

108En novembre, 12 carlistes figurent pourtant sur un état nominatif du département de la Vienne99. Leur chiffre reste inférieur à celui des 107 Polonais recensés100. Dès janvier 1841, on constate le retour de trois officiers supérieurs évacués de septembre. Le nouveau ministère, composé depuis octobre 1840 de Charles Marie Duchâtel et André Passy comme Secrétaire d’État, à l’instar de Pilate s’en lave les mains : « Mon prédécesseur vous a fait part le 2 septembre dernier des motifs qui exigeaient alors que les réfugiés carlistes fussent éloignés du département de la Vienne. Les circonstances ne paraissent plus être les mêmes101. » La décision d’accepter ou non ces trois anciens du dépôt est laissée au libre arbitre du préfet de la Vienne, qui accueille favorablement les demandes. Manuel de Craywinckel entretient pourtant des relations privilégiées au sein de la noblesse la plus légitimiste de la région. Le contexte politique est-il si différent ? La conjoncture apparaît plus sereine. Les risques de guerre avec le Royaume-Uni sont écartés. Le nouveau Gouvernement paraît moins soucieux de la présence de quelques carlistas dans l’Ouest des « anciennes guerres civiles »… pour quelques mois seulement. La suspicion demeure pourtant forte à l’encontre de cette région jugée trop légitimiste.

Une région dangereusement carliste ?

Les raisons d’une contre-révolution

109Quand éclatent la crise de succession espagnole, les autorités ne considèrent pas encore avoir éradiqué complètement la chouannerie, ni surtout la menace d’un futur soulèvement légitimiste. L’Ouest depuis 1793 est la zone rebelle par excellence, celle qui s’est soulevée à maintes reprises contre l’État, durant la Révolution, en 1815 puis en 1832 avec la duchesse de Berry.

  • 102 J. Delumeau, Histoire de la Bretagne : Portrait de la France Moderne, vol. II, 1976, p. 146.
  • 103 M. Denis, op. cit., p. 55.

110Les Deux-Sèvres, la Loire-Inférieure, le Maine-et-Loire ou la Vendée départementale font partie, mais pas intégralement, de la fameuse « Vendée militaire ». Il est abusif de considérer que tout un département est « vendéen » dans le sens contre-révolutionnaire du terme. Nous pouvons remarquer d’ailleurs que la distinction qui s’opérait entre « vendéens » et chouans, n’est plus de rigueur aux yeux des non spécialistes. En Vendée le « chouan » n’apparaît qu’avec la lutte de quelques irréductibles, jugés asociaux, constituant des bandes sous la monarchie de Juillet. Il est logique pourtant que cette appellation ait remplacé partout celle de « vendéen », pour pouvoir les distinguer des autres habitants de Vendée, pas forcément favorables à la chouannerie ou au royalisme. Les véritables chouans se trouvent dans les anciennes provinces de Bretagne, du Maine et de Normandie, ainsi qu’en Anjou sur la rive droite de la Loire. La chouannerie ne constitue pas une armée comme celle de la Vendée militaire, mais se compose de bandes agissant de manière très sporadique. Elle a cependant connu une organisation beaucoup plus rationnelle qu’on ne l’imagine, en bénéficiant notamment de l’encadrement d’officiers102. Pour Michel Denis les premiers chouans ne sont pas royalistes. Des hommes favorables au retour de la monarchie ne dirigèrent ces mouvements armés qu’à partir de 1799103.

  • 104 L.-M. Clénet, La Contre-Révolution, Paris, 1992, p. 3.
  • 105 Article « Contre-Révolution » in A. Soboul, Dictionnaire historique de la Révolution française, Pa (...)
  • 106 C. Lucas serait à l’origine de cette nuance, dans un colloque Mouvements populaires et conscience (...)

111Selon Louis-Marie Clénet : « En présentant la Contre-Révolution comme l’envers pur et simple de la Révolution, elle exclut de son champ tous les opposants qui souhaitent rompre avec l’Ancien Régime mais prennent leurs distances avec un processus révolutionnaire dont ils ne partagent ni les modalités, ni les finalités104. » Pour Roger Dupuy, spécialiste de la chouannerie bretonne : « Il semblerait qu’il faille distinguer […], une anti-Révolution populaire, hostile seulement à certains aspects et excès de la Révolution d’une Contre-Révolution classique, essentiellement nobiliaire et socialement réactionnaire105. » En 1793, le premier mouvement incarnerait donc un rejet de l’État-Nation, qui mobilise les conscrits, sans volonté de retour à l’Ancien Régime106. La chouannerie constituerait quant à elle une tentative d’associer l’anti et la contre-révolution.

  • 107 E. Gabory, La Révolution et la Vendée, op. cit., p. 114.
  • 108 J.-R. Colle, La chouannerie dans les Deux-Sèvres et la Vendée orientale, op. cit., p. 13.
  • 109 A. Soboul, La révolution française, Paris, 1984, p. 287.

112L’antimilitarisme des paysans est une raison très largement avancée pour expliquer paradoxalement l’insurrection armée contre la levée en masse de 300 000 hommes réclamés sur tout le territoire français en 1793. Ceux qui ne voulaient pas devenir soldats se muèrent en guerriers forts redoutés. Émile Gabory évoque « l’horreur antimilitariste » des Bocains107. Jean-Robert Colle lui fait écho sur les habitants de la Gâtine : « Le Vendéen est réfractaire par nature, il n’aime pas quitter son pays et a horreur du service militaire108. » En effet, comme beaucoup d’autres Français, ils désiraient ne pas quitter leur région et détestaient ce système qui leur rappelait trop la milice, « l’institution de l’Ancien Régime la plus détestée des campagnes109 ».

  • 110 Témoignage d’un officier espagnol cité dans Le Charentais, 27 juin 1835.

113Les Basques et Navarrais révoltés défendent également leur droit de n’avoir à envoyer combattre à l’extérieur que des volontaires. Les rebelles du nord rechignent, comme les vendéo-bretons, à porter le combat hors de leurs terres110. La célèbre « Virée de Galerne » est la seule grande sortie de l’Armée catholique et royale hors du Bocage. Lors de ce périple au nord de la Loire, elle reçoit l’aide de la « Petite Vendée », dont celle du chouan Georges Cadoudal (1771-1804). Incapables de s’emparer du port fortifié de Granville en novembre 1793, les insurgés sont finalement écrasés en revenant vers la Loire, à Savenay le 23 décembre. La Vendée insurgée n’est plus, mais le feu de la chouannerie embrase sporadiquement des contrées plus septentrionales.

114L’Ouest fait partie de cette France du refus, où la population se méfie des « faux » prêtres constitutionnels imposés par le pouvoir pour remplacer les « réfractaires ».

  • 111 A. de Wismes, Histoire de la Vendée, Paris, 1985, p. 125.

115N’oubliant pas de rappeler que le Poitou a été fortement touché par le développement du calvinisme puis par les efforts de la Contre-Réforme, avec l’action en particulier de l’abbé Louis-Marie Grignion de Montfort (1673-1716) à l’origine de la fondation de plusieurs congrégations. Ce prédicateur breton a favorisé le développement du culte du Sacré-Cœur dans l’Ouest, à partir de la Visitation de Nantes111.

  • 112 Le fait que ces prêtres soient expulsés manu militari par des gens des villes aggrave la frustrati (...)
  • 113 F. Furet et D. Richet, La Révolution française, Paris, 1989, p. 190.

116La fermeture d’églises, considérées en surnombre, provoque un grand bouleversement dans la vie sociale de paysans à l’habitat dispersé112. Pourtant, malgré une « ambiance de catholicité tridentine » évidente, « rien n’indique que l’attachement au culte fut plus fort qu’en d’autres régions, qui, pourtant, restèrent patriotes113 ».

117La révolte vendéenne fut longtemps présentée comme une croisade, sous le signe du Sacré-Cœur, de combattants arborant chapelets et scapulaires. Les carlistas adoptant les mêmes symboles religieux incarnent également l’image de « croisés » en lutte contre les libéraux « impies ».

  • 114 J.-F. Sirinelli, Les droites françaises : De la Révolution à nos jours, Paris, 1995, p. 52.

118En Bretagne, une partie de la population revendique le retour de la « constitution bretonne », qui faisait notamment de cette province la moins imposée fiscalement. L’ancien duché a en effet perdu son régime privilégié, qu’il avait conservé lors de son rattachement au royaume de France au XVe siècle. D’autres provinces ont également perdu leurs privilèges, comme les trois provinces basques du côté français restées patriotes. Paul Vidal de La Blache considère néanmoins que les anciens pays d’État perdurent « par un retentissement obscur dans la mentalité des habitants114 ».

  • 115 Ibid., p. 40. Selon A. Gérard, cité par J. Péret, La Terreur et la Guerre : Poitevins, Charentais (...)

119Les soulèvements auraient également pour origine la désillusion fiscale après les événements de 1789. Le Bocage serait ainsi surimposé par rapport à la Plaine. Les Marches, ces zones frontalières entre provinces, ont perdu les avantages de leur ancienne situation, qui générait une importante contrebande… C’est là que l’on trouve les noyaux durs de l’insurrection115.

  • 116 Cette « haine paysanne » est rappelée par F. Furet, op. cit., p. 191.
  • 117 J. Delumeau, op. cit., p. 145.
  • 118 A. Gérard dans son étude du bocage au XVIIIe siècle, J. Péret, op. cit., p. 29.

120Il faut ajouter au refus de servir loin de chez soi, une autre rancœur. Les bourgeois patriotes, qui ont pris la tête des nouvelles institutions municipales, départementales et des gardes nationales, ne devraient-ils pas être les premiers à partir défendre la République ? Le paysan voit donc d’un mauvais œil celui qui lui demande ce sacrifice, pour une patrie bien abstraite. Cet état d’esprit contre ces « messieurs de la ville » n’est pas nouveau116. L’opposition ville-campagne comme facteur de l’insurrection vendéenne souvent mis en avant dans l’historiographie, semble même avoir joué en Bretagne, plus qu’ailleurs117. Cependant, des études récentes tendent à montrer que les habitants du Bocage avaient plus de contacts avec l’extérieur qu’on ne l’a souvent dit, malgré la pauvreté des voies de communication118.

121Comme dans la Péninsule ibérique, une haine s’accumule, croissante, contre des bourgeois qui menacent de remplacer les propriétaires traditionnels de la terre moins exigeants, moins obsédés par la rentabilité. L’Église parfois détestée, notamment certains monastères, s’avère souvent moins abhorrée que ces nouveaux venus qui rachètent ses biens. Sans chercher à idéaliser, il semble que des « vendéens » préfèrent également des nobles impliqués, paternalistes, à des comptables trop tracassiers. Néanmoins, il ne faut pas généraliser la présence sur leurs terres des nobles de l’Ouest à l’inverse de ce qui se passerait dans le reste du royaume. Michel Denis ou Paul Bois ont démontré dans leurs thèses l’absentéisme des aristocrates dans la Mayenne et dans la Sarthe.

  • 119 J. Delumeau, op. cit., p. 145.

122En Bretagne, « la zone contre-révolutionnaire correspond, en gros, aux régions où le prélèvement nobiliaire sur les biens-fonds n’était ni trop fort ni trop faible119 ». Faible dans l’ancien évêché de Rennes, il était au contraire élevé dans ceux de Basse-Bretagne, région où la chouannerie se développe peu.

123Les femmes jouent également un rôle important dans le déclenchement de l’insurrection, comme en Espagne. Dans la culture basco-navarraise, moins fondée sur le schéma traditionnel méditerranéen, elles détiennent un pouvoir plus grand que leurs voisines castillanes.

  • 120 Pour Jules Michelet, « Femme et prêtre, c’est là tout, la Vendée, la guerre civile », dans son His (...)
  • 121 ADI&V 1M127, rapport au Pr., 22 novembre 1830.

124L’influence de l’Église sur le sexe dit faible, est critiquée tout au long du XIXe siècle120. Elles « qui par nature sont sensibles, faibles et faciles à séduire [sic] et à entraîner […] peuvent par leur influence ramener leurs maris, leurs fils, leur frère et autres et faire des partisans121 ». On dénonce le pouvoir du confessionnal qui présente Louis-Philippe comme « un protestant, un impie, un libertin impudique ». Chez les contre-révolutionnaires de France ou d’Espagne, le lien paraît évident entre le protestantisme et le libéralisme. Ils considèrent la Révolution et l’idéologie libérale comme des filles de la Réforme.

  • 122 J.-R. Colle, op. cit., p. 14.
  • 123 Selon le Guide pittoresque du voyageur en France, Paris (1838), 1997.
  • 124 Le premier titre, Le Dernier Chouan, rappelait celui d’un fameux roman de James F. Cooper.
  • 125 V. Hugo, Quatre-vingt-treize, Paris, 1996, p. 174.
  • 126 R. Oyarzun, op. cit., p. 19.

125On a souvent justifié le soulèvement contre la République par les mœurs plus « arriérés » des paysans de l’Ouest. Pour Jean-Robert Colle aucune région n’a connu aussi longtemps que la Vendée la croyance aux sorciers, loups-garous, farfadets, chênes sacrés ou sources miraculeuses122. Pourtant, quel paysan n’est pas présenté à l’époque comme superstitieux ? Dans le Berry il est même question de sorcellerie, pourtant il n’y a pas de mouvements d’une ampleur comparable. Le paysan charentais, acceptant fort bien la Révolution, considéré comme « peu religieux », se voit jugé superstitieux et crédule dans les histoires de loups-garous ou de diables123. Honoré de Balzac dans Les chouans se délecte de leur caractère sauvage, sorte de derniers indiens d’un western manichéen124. On aurait pu ailleurs montrer du doigt d’autres régions « arriérées » et peu alphabétisées. Pourtant, illustrant bien ce mélange d’admiration et de répulsion, Victor Hugo considère que la lutte du « sauvage » breton contre la Révolution incarne : « Cette Guerre des Ignorants, si stupide et si splendide125. » Román Oyarzun répond aux accusations des libéraux en rappelant que les provinces qui se mobilisèrent le plus pour la Cause étaient « les plus cultivées126 ». Si le Nord de l’Espagne s’avère effectivement plus alphabétisé que les terres du Sud de l’Ebre, retrouve-t-on vraiment les gens les plus instruits dans les rangs de la rébellion ?

  • 127 V. Hugo, op. cit., p. 188.
  • 128 A. Siegfried, op. cit., p. 214.

126Selon Donald Shuterland, les sentiments contre-révolutionnaires dans l’Ouest ne s’expliqueraient pas par la naissance de la chouannerie. À l’instar de Michel Lagrée, il estime que le légitimisme a des racines bien plus anciennes et que déjà les paroisses de Bretagne fidèles à la Ligue au XVIe siècle, soutiennent ensuite les chouans. Des troupes de Sa Majesté Catholique luttèrent dans le camp de la Ligue en Bretagne. Victor Hugo immortalise cet affrontement séculaire des Bretons contre le pouvoir central en constatant que : « La Bretagne est une vieille rebelle127. » Pour André Siegfried : « Cette lutte entre la notion d’ordre représentée par l’État français et l’anarchie latente du milieu breton n’est-elle pas un peu la continuation du duel séculaire entre l’organisation romaine et la fantaisie celtique128 ? »

127Cependant, cet esprit de rébellion est-il une exclusivité de l’Ouest ? Dans le Midi on retrouve la nostalgie pour les vieilles provinces, les attaques contre la centralisation parisienne et en plus des épisodes de guerre civile contre les protestants. Mais deux particularités concernent l’Ouest : sa résistance inattendue contre les troupes venues réprimer l’insurrection, et les ravages provoqués par les « colonnes infernales » républicaines, de janvier à mai 1794, alors que l’Armée catholique et royale n’est plus depuis Savenay, qui font de la Vendée une région martyre.

  • 129 F. Furet : « Il y a des mythes qui font l’Histoire réelle : le complot aristocratique en fut un »,(...)
  • 130 Le « complot de La Rouërie » du marquis de Fougères n’avait pas prévu les paysans dans son projet (...)
  • 131 J. Péret, Histoire de la Révolution française en Poitou-Charentes (1789-1799), Poitiers, 1988, p.  (...)

128Tous les spécialistes de la Vendée s’accordent désormais à rejeter les thèses des autorités révolutionnaires qualifiant le soulèvement de complot aristocratique129. Les conspirations ont été démantelées avant de pouvoir agir130. Ce n’est qu’après s’être rassemblés dans des intentions belliqueuses, que les « vendéens » partent chercher des nobles pour les placer à leur tête. Ces derniers sont souvent les seuls à avoir une expérience militaire et une pratique du commandement en tant qu’officier. Nonobstant ces événements, l’image de cette guerre, reprise tout au long du XIXe siècle, est celle de paysans « fanatisés », entraînés par la faction aristocrato-cléricale. On retrouve la même accusation en Espagne, mais comme en France, l’historiographie plus récente démontre le caractère spontané et populaire de ces mouvements de révolte. Jacques Péret résume ainsi cette nouvelle orientation historiographique valable également pour les études sur les chouans du nord de la Loire : « Longtemps représentés comme les défenseurs de la Foi et du Roi, les Vendéens incarnent plutôt aujourd’hui la France réelle populaire et paysanne, défendant son pays et sa culture contre la tyrannie révolutionnaire, idéalisation de la Vendée qui rend l’analyse d’autant plus délicate131. » Cette interprétation conviendrait bien aux analyses récentes du carlisme plébéien.

Un légitimisme armé menaçant ?

  • 132 Sur l’esprit contre-révolutionnaire à Marseille, voir Ph. Vigier, La vie quotidienne en province e (...)
  • 133 E. Gabory, op. cit., p. 978.
  • 134 Termes employés dans le manifeste de « la Régente » aux populations de l’Ouest, ADI&V 1M114, mai 1 (...)

129La duchesse de Berry échoue lamentablement en avril 1832 avec une soixantaine de conjurés au lieu des 2 000 prévus, dans la région de Marseille, reconnue pourtant très favorable à la Légitimité. Elle s’enfuit et parvient à provoquer plusieurs affrontements sérieux dans l’Ouest132. Cependant, la réalité est loin des 200 000 vendéens que Charette s’engageait à mobiliser133 ! De fin mai à début juin, le « peuple de héros » comme le dit Marie-Caroline, constitué de volontaires « vendéens », bretons et mainiotes se fait rapidement écraser134.

  • 135 ADG 1M357, MI au Pr., 5 décembre 1832.
  • 136 La Gazette de l’Ouest, 29 janvier 1833.

130L’ardente duchesse est capturée à Nantes où elle se cachait, alors que beaucoup l’imaginaient déjà hors de France. On la garde prisonnière sous la garde de nombreux soldats dans la citadelle de Blaye, au bord de la Gironde. Une légion secrète nommée Marie-Caroline se formerait à Bordeaux pour permettre son évasion135. Il n’est pas un seul numéro des feuilles légitimistes où l’on ne parle de la duchesse. Des paparazzis avant l’heure observent ses moindres faits et gestes, armés de longues-vues. On s’inquiète notamment pour sa santé. En son nom, on met en place des souscriptions et des loteries, comme à Poitiers où une de ses robes a rapporté 150 francs pour les pauvres136.

  • 137 L’Auxiliaire Breton, 18 juin 1833.
  • 138 La Gazette de l’Ouest, 21 juin 1833.

131Finalement, un événement inattendu sort Louis-Philippe de l’impasse. Marie-Caroline est enceinte et le terme traduit littéralement de l’espagnol, embarazada, « embarrassée » conviendrait mieux à la situation dans laquelle se trouve celle qui revendiquait le trône pour son fils, sans l’accord de Charles X. Elle accouche d’une fille le 10 mai 1833. L’événement couvre de quolibets le parti carliste français, on va même jusqu’à douter de la véritable paternité du duc de Berry, dont l’« enfant du miracle » est le fils posthume. Louis-Philippe peut se permettre alors de laisser repartir cette princesse déconsidérée. La veille de son départ pour Palerme, Le Moniteur publie la levée de l’état de siège dans l’Ouest137. Cette mesure touchait depuis l’ordonnance royale du 3 juin : la Loire-Inférieure, la Vendée, les Deux-Sèvres et le Maine-et-Loire. La mesure concerne également, ce qui est souvent oublié, les arrondissements chouans de Laval et Château-Gontier dans la Mayenne, ainsi que celui de Vitré en Ille-et-Vilaine. Le ministre de l’Intérieur Montalivet justifiait la mesure prise dans ces trois dernières entités administratives, par la volonté d’« étouffer avec rapidité les mouvements insurrectionnels138 ».

  • 139 Ibidem, 8 novembre 1834.

132Marie-Caroline conserve malgré tout des admirateurs. On propose encore le « beau portrait de S.A.R » dans la presse légitimiste139. On vend toujours ses robes, à l’instar de la petite armure de cuirassier portée par son fils au départ de l’exil. Elle nous apparaît moins diminuée dans l’estime des partisans des aînés des Bourbons, que ne l’ont dit certains historiens. Après 1832, la duchesse de Berry devient ce phœnix que les autorités de Juillet croient voir renaître sans cesse et même dans l’Espagne nouvellement insurgée.

133Durant l’hiver et le printemps 1833 les autorités surveillent les va-et-vient de légitimistes vers la péninsule ibérique, ou entre Paris, l’Ouest et le Sud.

  • 140 ADG 1M357, MI au Pr., 28 avril 1833.

134Différents rapports annoncent que les chefs du parti légitimiste dans le Midi ont reçu l’avis qu’une « insurrection sérieuse » en faveur de Don Carlos, éclaterait en Espagne, le 16 mai 1833, le jour de l’Ascension140. Ferdinand VII n’est pas encore mort à ce moment-là, mais il a décidé de léguer son trône à sa fille. Ce mouvement se combinerait avec celui des carlistes français qui aurait lieu simultanément à Bordeaux, Toulouse et Nîmes, soit dans trois foyers importants du légitimisme méridional. Un redoublement de vigilance est demandé. Cette insurrection simultanée du Midi de la France et de l’Espagne ne se produit pas, mais nous pouvons constater la crainte de leur collusion. Les inquiétudes des autorités de Juillet s’élargissent par la suite à l’Ouest.

  • 141 ADVée 4M444, S-Pr. des Sables au Pr., 17 juillet 1833.
  • 142 Ibidem, S-Pr. de Fontenay-le-Comte au Pr., 18 juillet 1833.

135Les symptômes de reprise d’une guerre civile se manifestent dès le mois de juillet en Vendée. Le sous-préfet des Sables dresse un bilan de cette agitation : « Les chefs légitimistes ont été effrayés des menaces qui leur ont été faites par des réfractaires auxquels ont avait cessé de donner la solde promise […] la solde a été rétablie et il a bien fallu accompagner ce payement de paroles d’espérance qui ont relevé l’audace des misérables qui n’ont de moyens d’existence ou de salut que dans la continuation des troubles141. » En effet la persistance de la chouannerie est due au fait que des hommes se sont marginalisés avec le soulèvement ou l’espoir d’une lutte à venir. Des mobiles différents peuvent motiver le commencement de cette vie hors-la-loi. Les élites légitimistes semblent dépassées par la tournure des événements. Ces « desperados » de ce « Far-West » français, ont tout intérêt à vivre une époque troublée. Lorsqu’ils ne sont plus « soudoyés », ils commettent des actes qui ressemblent plus à des délits de droit commun qu’à une véritable action politique, mais comme dans l’arrondissement de Fontenay-le-Comte : la « frayeur panique qui s’empare des esprits au seul nom des chouans est un obstacle insurmontable à la répression de leur brigandage142. » Le sous-préfet des Sables estime que « les affaires de Portugal » constituent le point de mire des agitateurs, et que « si Bourmont obtenait des succès, les chefs vendéens ne manqueraient pas de répéter aux bandes que le maréchal, qui après avoir défait l’armée de Don Pedro, reviendra se mettre à leur tête ». Il ajoute ce que pense progressivement de nombreux fonctionnaires en poste dans l’Ouest : « Les masses ne veulent pas de guerre civile, et elle n’éclaterait dans la Vendée que si des événements de la plus haute importance menaçaient nos frontières. » Ce cas de figure s’est présenté dangereusement durant l’année 1840, avec la Question d’Orient.

  • 143 Ib., un officier de Gendarmerie au baron Rousseau, commandant les forces du département, 19 août 1 (...)

136Des renforts de gendarmerie sont attendus en Vendée, en juillet 1833, pour mettre fin à cet « état d’inquiétude et de malaise ». Au mois d’août, à l’intérieur du Bocage « les gens de la campagne, ont l’air d’attendre quelque chose ». Selon un officier de gendarmerie, ils « désirent un événement qui renverse le Gouvernement actuel, car il ne faut pas s’y tromper les Vendéens sont comme les Espagnols très entêtés, et ne renoncent jamais au parti qu’ils ont embrassé ; cela va de père en fils, et s’ils l’oubliaient un moment, les bons curés sont là, pour les rappeler à l’ordre143 ». La même chose pourrait être dite en effet des carlistas. Ce militaire est-il un ancien de la campagne de 1823 ? De nombreux représentants de la force armée, en poste dans la Vendée militaire, ont participé à des combats dans la péninsule ibérique.

  • 144 ADDS 4M6/10, S-Pr. de Bressuire au Pr., 13 septembre 1833.

137Le sous-préfet de Bressuire constate lui aussi un regain de l’agitation en faveur de la dynastie déchue en septembre144. Elle vise le recrutement de la classe 1832. « Cet état de choses, cette recrudescence de la chouannerie se prolongeront je n’en doute pas, jusqu’à ce que la question portugaise soit terminée en faveur de la jeune reine Dona Maria, et peut-être bien au-delà. »

  • 145 ADLA 1M513, Pr. à ses sous-préfets, 31 août 1833.
  • 146 P. Bois utilise à plusieurs reprises cette expression pour qualifier la nature de la lutte des pay (...)

138Durant l’été, les bandes font parler d’elles, comme à Pouzauges, à Saint-Georges près de Montaigu, ou à Beauvoir dont la prison est attaquée. Les chouans se voient inlassablement combattus par les gendarmes, les troupes de ligne « en cantonnement » dans l’Ouest et parfois par les gardes nationaux. Un regain d’activisme se mesure également aux symptômes suivants : la correspondance du Comité (légitimiste de Paris) augmente, des émissaires parcourent les campagnes, des prêtres, soupçonnés à tort ou à raison, se réunissent… Deux événements paraissent expliquer selon les autorités cette effervescence : la majorité d’Henri V et la marche sur Lisbonne des troupes miguélistes, commandées par l’ex-maréchal de Charles X145. La consigne est claire, il faut détourner les populations d’un « danger chimérique », espoir des « anarchistes ». Les chouans et royalistes conspirant contre le pouvoir, mènent des projets qualifiés à plusieurs reprises d’anarchistes. L’utilisation de ce terme paraît surprenante lorsque l’on considère d’une part, l’ensemble des valeurs défendues par l’anarchisme et d’autre part lorsque l’on étudie l’évolution idéologique du légitimisme sous l’égide du comte de Chambord, désirant s’affirmer comme le meilleur rempart de l’ordre. Pourtant, parmi les révoltés de l’Ouest ou de la péninsule ibérique, on peut déceler un « fond d’anarchisme146 ». S’ils ne rejettent pas Dieu et tolèrent les maîtres traditionnels de la société, ils s’opposent violemment aux bourgeois, ou aux nouveaux pouvoirs de l’État.

  • 147 ADI&V 1M114, S-Pr. de St-Malo au Pr., 28 septembre 1833.
  • 148 Une lettre de la duchesse de Berry du 7 mai 1833, précise qu’il a le pouvoir de négocier pour elle (...)

139Les bruits circulent d’un débarquement en Bretagne du maréchal de Bourmont, avec son armée pour venir placer le duc de Bordeaux sur le trône. À la veille de l’annonce de la mort de Ferdinand, des chefs de bandes chouans résidant à Jersey doivent, dit-on, participer à un mouvement en faveur de la Légitimité. Selon les propos d’un réfugié espagnol libéral, ils devraient partir pour la Hollande et de là être transportés dans le Midi avec des troupes de Guillaume des Pays-Bas pour prendre part à un grand mouvement préparé depuis quelques mois147. Le maréchal de Bourmont est connu et apprécié du souverain néerlandais hostile à Louis-Philippe148.

  • 149 ADVée 4M444, Pr. au MI, 2 septembre 1833.

140Dès la fin de l’année 1833 et peut-être avant, la propagande espagnole circule en France, par le biais de brochures rédigées en castillan ou, plus rarement semble-t-il, en français. Elles doivent prouver la légitimité de Don Carlos. Les familles aînées des Bourbons sont liées comme leurs causes. La presse légitimiste rappelle qu’en cas de décès du jeune Henri V, l’infant ou un de ses enfants deviendrait l’héritier au trône de France. Durant cette période critique dans la Péninsule, dans l’Ouest, comme en Vendée, des bandes de chouans continuent à se montrer en armes149.

  • 150 ADG 1M357, MI aux Préfets, 17 octobre 1833.
  • 151 Ibidem, le 21 janvier 1834.

141Moins d’un mois après le soulèvement en Espagne, le ministère prévient ses préfectures que selon diverses informations la duchesse de Berry a l’intention de pénétrer en France150. En janvier 1834, il est encore question d’instructions envoyées par le Comité légitimiste de Paris. « Cette fois le Midi sera une nouvelle Vendée ». Le débarquement serait prévu à Marseille ou à Bordeaux. Selon les mêmes sources, les partisans de la branche aînée admettent qu’ils ne peuvent rien sans les républicains et « qu’il faut les ménager » puisqu’ils en ont besoin151. Cette alliance contre nature entre légitimistes et républicains, se retrouve aussi en Espagne avec les carlistes. C’est plus un mariage d’intérêts, pour faire chuter la monarchie libérale, que d’amour ou même de raison. Elle semble se faire davantage chez les légitimistes du Midi que dans l’Ouest. Il est vrai que les anciennes provinces du sud de la France n’ont pas eu autant à souffrir de la République.

  • 152 La Gazette de l’Ouest, 11 juin 1833.
  • 153 Ibidem, 18 juin 1833.
  • 154 E. Gabory, op. cit., p. 1007.

142On se plaint dans La Gazette de l’Ouest que les provinces de cette région soient traitées en pays ennemi, « avec plus de rigueur que le sont les Arabes à Alger152 ». On ne parle, dans cet organe qui reprend ici les propos du duc Edouard de Fitz-James (1776-1838), que d’une : « Population opprimée, sans défense, privée de la protection des lois, soumise depuis deux années à des violences et à des vexations souvent plus insupportables que les violences elles-mêmes153. » Cette grande figure du légitimisme, accusé d’avoir provoqué par ses propos la « guerre civile », selon le comte d’Argout, alors ministre de l’Intérieur, dénonce au contraire ce dernier de l’avoir causé. Selon sa thèse, depuis la révolution de Juillet, l’Ouest était tranquille et la paix publique n’avait été troublée que par deux bandes de réfractaires : celle de Diot dans les Deux-Sèvres et celle de La Houssaye dans le Morbihan. Sans nuance, le député de Toulouse affirme que : « Ces bandes ne commettaient point de violences ; elles se faisaient donner des vivres, et quelquefois demandaient des armes. » Il rappelle ensuite que le président du Conseil Casimir Périer écrivait à Louis-Philippe en mai 1831 : « Sire, il n’y a pas de guerre dans la Vendée, par conséquent nul motif à la mise en état de siège. Il n’y a que des réfractaires. » Cependant, selon cet opposant au régime libéral, une situation d’exception injuste a été mise en place : « Ces contrées furent soumises à une véritable loi des suspects. » Cette appellation rappelle le décret du 17 septembre 1793 durant la Terreur. Le tableau de la situation noirci à dessein, fait porter la responsabilité des troubles sur les autorités en place. Les actes de violence commis par les troupes « d’occupation » entraînent la rédaction d’un long article dans La Gazette de France du 23 juin 1833154.

  • 155 La Gazette de l’Ouest, le 2 avril 1833.

143La Gazette de l’Ouest défend cette thèse qui légitime l’insurrection, réaction d’autodéfense en quelque sorte. Il y aurait donc eu selon elle forcément un soulèvement sans l’apparition de la duchesse de Berry. Cette publication de Poitiers présente les vendéens comme des martyrs, à l’image des Irlandais catholiques subissant une occupation humiliante et donc forcément contraints à se révolter. Ainsi, les deux références prises à l’étranger pour désigner les vendéens sont pour leurs détracteurs leur fanatisme espagnol et pour leurs défenseurs son martyr à l’irlandaise. Les rédacteurs pictaviens considèrent d’ailleurs que la France et l’Angleterre sont obligées d’être alliées tant que la situation « d’occupation » en Irlande et en Vendée se maintiendra155.

  • 156 Ibidem, 9 octobre 1834.

144Un autre article conforte cette accusation selon laquelle les orléanistes désiraient pousser l’Ouest à la révolte. Le général Dermoncourt, commandant en chef en Vendée en aurait rejeté la faute sur Louis-Philippe156. Le but de cette manœuvre était que la France préoccupée par une flambée de violence « n’eût plus de sympathies pour les douleurs des autres. » Contrairement aux aspirations d’Adolphe Thiers et de nombreux libéraux, Paris se refuse à soutenir les révolutions des peuples en Pologne ou en Italie. Évidemment, la présence d’une troupe nombreuse dans une région sensible entraîne une confrontation entre deux populations aux options politiques et philosophiques différentes. Que certains soldats réguliers se comportent peu ou prou en pays conquis, ceci ne fait pas de doute, en lisant certains rapports qui mettent en évidence des bavures, largement exploitées par l’opposition.

  • 157 J.-R. Colle, op. cit., p. 78.

145Les libéraux accusent au contraire leur gouvernement de faiblesse. Il est vrai que les cours d’Assises acquittent souvent les chouans à la suite de procès retentissants. La critique du respect des libertés individuelles et d’une justice pondérée se retrouve fréquemment dans les situations politiques difficiles. Doit-on respecter les lois face à des personnes qui ne les acceptent pas ? Les forces de l’ordre opérant en Vendée et de nombreux patriotes vilipendent la politique du juste-milieu. Face aux verdicts rendus à Rennes concernant des chouans, un officier de gendarmerie exaspéré déclare : « Puisque vous les acquittez tous quand nous les prenons, nous ne vous les enverrons plus que tous morts157. »

  • 158 AN F7/6784, Gendarmerie de Bressuire, 1er février 1833.
  • 159 ADDS 4M6/10, S-Pr. de Bressuire au Pr., 10 septembre 1833.

146Le lieutenant Estienne, en poste à Bressuire, nous dépeint des gens des campagnes paraissant « très fatigués de la présence des bandes » et « moins disposés que par le passé à se laisser influencer par le clergé et la noblesse158 ». Selon lui : « Le séjour des troupes dans le bocage, l’équité des différentes administrations, la tolérance des religions et particulièrement la douceur du Gouvernement ont contribué à ramener beaucoup d’esprits égarés. » Seuls ceux « qui n’ont rien à perdre, mais tout à espérer dans le désordre » peuvent encore tenter de se soulever. Ces derniers protègent ostensiblement les bandes de « réfractaires » (refusant de se soumettre à leurs obligations militaires). Des groupes de 20 ou 30 individus sillonnent le pays et l’« on ne peut espérer les rencontrer dans le bocage, où les habitants les servent les uns par crainte les autres par spéculation ». Pour le sous-préfet de Bressuire ses administrés nourrissent pour les bandes des sentiments de sympathie ou de terreur159. Il s’avère plus facile pour des petites bandes très mobiles d’imposer leur loi face à des populations vivant dans un habitat dispersé et isolé. Il n’est pas aisé pour les forces armées de les protéger, ni pour les habitants d’assurer leur autodéfense.

147Le Bocage n’apparaît plus aussi inextricable qu’avant, depuis la construction des routes stratégiques. Il n’est plus sanctuarisé par les rebelles en raison du nombre de cantonnements militaires. Toutefois, les réfractaires et autres personnes recherchées par les autorités ont toujours de quoi se cacher, avec les bois et les chemins creux, même si ces paysages subissent une déforestation pour des raisons économiques.

  • 160 La Gazette de l’Ouest, 18 mars 1834.
  • 161 J.-R. Colle, op. cit., p. 95.

148Pour le comte d’Argout, la police secrète reste le meilleur système. Il demande donc aux chambres plus de moyens financiers, pour faire face aux derniers éléments de « brigandage. » Si ce système devient toujours plus coûteux, l’affaire Deutz a prouvé son efficacité160. A contrario, le général de Solignac s’exprimant un peu avant le soulèvement de 1832, considère qu’il faut arrêter de dépenser autant d’argent pour cette région et l’abandonner à elle-même, les ennemis de l’État bénéficiant de trop de complicités161.

L’apparente continuité d’une résistance et ses limites

  • 162 ADVée, 4M394, MI aux Préfets, 3 janvier 1837.
  • 163 Ibid., MI au Pr. de Vendée, 24 février 1837.

149La résistance des populations contre Louis-Philippe s’exprime également de manière pacifique et multiforme. Les autorités dans l’Ouest luttent depuis 1830 contre tout ce qui peut rappeler la branche aînée des Bourbons. On ne compte plus les affaires de propos, chants et symboles séditieux (drapeaux blancs, verts, fleur de lys…) ainsi que la diffusion d’écrits subversifs. Des pièces et des médailles circulent à l’effigie d’Henry V. L’almanach le Bon Français, se diffuse surtout dans les classes populaires162. Chaque camp, soutenant les Bourbons ou les Orléans, s’accuse d’être composé de « mauvais Français ». L’almanach signale l’Espagne et le Portugal en révolution et précise que la plus grande partie des provinces espagnoles a proclamé Charles V. Vigné-Château, imprimeur à Angers, se voit condamné à 3 mois de prison et 200 francs d’amende pour la vente de cette publication163.

  • 164 ADVée 4M394 dans divers rapports.
  • 165 Ibid., ministère de l’Instruction publique et des Cultes aux préfets, 22 février 1833.

150Les royalistes chantent également ce style de couplets : « Henry cinq quand reviendras-tu pour nous tirer de l’esclavage et des mauvais brigands de patriotes. » Cette chanson a d’ailleurs provoqué une rixe dans la campagne, ce qui n’est pas rare dans cette zone aux passions encore vives164. Les attaques et insultes au drapeau tricolore sont légion. Pavoiser avec les couleurs issues de la Révolution est encore pris dans certaines communes comme une provocation. On l’enlève pour le remplacer par celui « sans tâche » d’avant 1830, ou on lui tire dessus… même placé sur une église, comme à Beaufon. Quand les conscrits montrent leur réticence à aller servir le régime de Juillet, ils s’attaquent à lui en premier. Dans cette guerre des symboles, le Gouvernement a donné ordre de faire disparaître les fleurs de lys de tous les lieux où elles étaient publiquement exposées, même sur les objets consacrés au culte165. Si les chants et cris séditieux peuvent entraîner des poursuites judiciaires, les chouans les plus compromis risquent la peine de mort.

151Jean-Robert Colle démontre dans sa thèse que la chouannerie devint moins populaire dans l’Ouest après le soulèvement de 1832. Auparavant, les bandes constituées ne s’en prennent qu’aux serviteurs les plus représentatifs du régime : les percepteurs des impôts, les maires et les « garnissaires », ces militaires en garnison dans l’Ouest. Lorsque les chouans se ravitaillaient, ils payaient leurs premières réquisitions ou donnaient des gages pour un remboursement qui se ferait lors du règne d’Henri V. Ensuite, n’étant plus rétribués, ils se voient contraints de se servir sur le pays. Le nombre d’aventuriers peu recommandables ayant d’ailleurs augmenté, la chouannerie perd en partie sa popularité.

  • 166 Le Charentais, 31 janvier 1834.
  • 167 Ibidem, 7 janvier 1835, citant L’Ami de la Charte.
  • 168 AN F7/6784, Rapport de Gendarmerie en Vendée, 21 mars 1831.

152En janvier 1834, deux chouans sont guillotinés à Châteaubriant166. Un an après, Martin au pied de l’échafaud, place de Viarmes à Nantes, déclare : « Je meurs pour Henri V et la religion167. » On peut être surpris de voir ce condamné invoquer la liberté religieuse pourtant reconnue. Des chouans justifient leur lutte par les ardeurs iconoclastes des anticléricaux et du nouveau régime contre les symboles de la double restauration monarchique et religieuse. Ainsi, lorsque la bande de Diot, forte d’environ 60 hommes, refuse de payer l’aubergiste de Courlay et son fils réclamant avec insistance leur dû, les chouans leur tondent le crâne en faisant une croix sur la tête de ce dernier en disant : « Il faut que tu en aies une puisqu’on les abat toutes en ce moment168. » En effet, les croix de mission très présentes dans le paysage ont été brisées par des manifestations anticléricales, ou sur ordre des autorités de Juillet, lorsqu’elles étaient fleurdelisées. Néanmoins, sans ces mesures, la chouannerie aurait persisté, sans pouvoir invoquer cette défense de la religion.

  • 169 J. Delumeau, Histoire de la Bretagne, Paris, 1976, p. 431.

153Une partie non négligeable du clergé de l’Ouest se montre favorable à la dynastie déchue. En Bretagne, il semblerait que celui du pays gallo soit généralement légitimiste alors qu’il apparaît plus divisé sur ce point en terres bretonnantes169. La résistance des ecclésiastiques s’exprime parfois symboliquement en refusant par exemple de faire une messe pour les « martyrs de la Révolution de Juillet ».

154L’Ouest demeure une terre de prédilection pour les partisans d’une monarchie de type traditionnel et antilibéral. L’opposition de quelques derniers irréductibles armés et celle plus symbolique d’une grande partie de la population s’exprime encore contre le pouvoir au moment de la première guerre carliste en Espagne. Cependant, l’engouement pour la défense de cette cause par les armes n’est plus celui de 1793. Si durant cette guerre les paysans étaient venus chercher les nobles, l’inverse en 1832 ne mobilise pas suffisamment de combattants. On peut trouver à ce manque d’enthousiasme plusieurs explications.

155La paix religieuse est revenue depuis le Concordat de 1801 et la monarchie de Juillet garantit la liberté de culte. La défense de la religion demeure pourtant toujours invoquée par les derniers chouans, car le changement de régime n’a pas évité quelques vexations largement exploitées par les légitimistes (le bris des croix, les perquisitions musclées dans les églises…).

156Louis-Philippe, malgré ses opinions « douteuses » pour les « purs » royalistes, avec son drapeau tricolore rappelant la révolution, reste pour certains un roi quand même. Les anciens vendéens et chouans, dont les états de service en faveur de la royauté ont été reconnus sous la Restauration, continuent de percevoir leurs pensions.

157La paix a permis une certaine reprise de l’activité économique et l’enrichissement relatif d’une partie de la population (dans le commerce, l’agriculture…). Bien que certains n’aient toujours rien à perdre dans une aventure politique, la majorité des autres craint de voir disparaître comme naguère, ce qu’elle possède. Le comte de Sainte Hermine, préfet de Vendée, a joué sur cette fibre pour détourner ses administrés de l’appel à l’insurrection lancé par la duchesse de Berry.

  • 170 A. Pirala, vol. 3, op. cit., p. 366.

158La multiplication des erreurs commises dès le début, lors des derniers soulèvements de 1815 et 1832 a refroidi bien des velléités guerrières. Enfin, l’ingratitude des Bourbons, ou tout au moins une partie des erreurs matérielles ou symboliques qu’ils ont commises envers l’Ouest, n’a pas renforcé l’abnégation des populations pour cette dynastie. L’historien Antonio Pirala fait justement remarquer que Don Carlos a fait son devoir en venant en Navarre, contrairement à ses cousins qui ne se sont pas mis à la tête de ceux qui mourraient en leur nom en 1793170. Pour Émile Gabory ce manque de caractère, a largement contribué à la désaffection de leurs anciens partisans. De nombreux vendéens et chouans, plus ou moins désabusés, ne désirent plus participer à un nouveau mouvement armé. Les anciennes insurrections étaient-elles vraiment royalistes ? On ne peut nier leur opposition à la Révolution mais l’on peut douter du royalisme de la majorité des combattants. Le légitimisme touche les populations humbles, des campagnes surtout, une partie du clergé, ainsi que des membres des élites aristocratiques ou bourgeoises. Parmi ces derniers, beaucoup étaient employés sous la Restauration et la plupart d’entre eux ont choisi de démissionner ou ont été contraints de quitter leur poste après la révolution de 1830.

159Les contre-révolutions de France et d’Espagne ont de nombreux points communs. L’étude de la presse légitimiste dans l’Ouest confirme la parenté idéologique.

Du légitimisme dans l’Ouest selon la presse des « vrais » royalistes

  • 171 Le Charentais, 24 janvier 1835.

160Face au conflit, les légitimistes soutiennent Don Carlos, mais comme leurs coreligionnaires espagnols, ils se divisent en plusieurs tendances. Les journaux reflètent ce fractionnement et les orléanistes se délectent à les présenter désunis. Il est question des « royalistes purs » et des « royalistes quand même » issus du courant ultra, lecteurs de La France, représentatifs des « vieux » carlistes proches de Charles X. Les religieux tendance « clergé classique » souscrivent à L’Ami de la Religion et ceux du « clergé romantique » à L’Univers religieux171. Ceux que les historiens ont appelé les « néo-carlistes », lisent La Mode, La Gazette de France ou ses cousines de province : La Gazette du Languedoc, La Gazette du Lyonnais… et celle que nous avons étudié plus particulièrement, La Gazette de l’Ouest. Cette publication de Poitiers illustre à merveille les idées du légitimisme fortement implanté dans l’ancien Poitou.

  • 172 La Gazette de l’Ouest, 22 juillet 1834.

161Ce bihebdomadaire, né le 4 février 1831, s’adresse également aux antiques provinces de Touraine, d’Angoumois, de Saintonge et d’Aunis. Il est fondé par Guerry Champneuf, ex-Directeur des Affaires criminelles et des grâces au ministère de la Justice, ayant refusé de prêter serment à Louis-Philippe. Six autres « démissionnaires » le secondent, tous anciens officiers. En 1834, lorsque le marquis de La Rochejaquelein se rend à Poitiers pour la Saint Henri, il est reçu avec environ une centaine de convives chez l’un d’eux M. de la Bouralière. Des toasts sont portés en l’honneur du « beau courage de Mme la duchesse de Berry », du maréchal de Bourmont et des « prisonniers vendéens172 ».

162On considère habituellement que ces royalistes ont un principe, la Légitimité, et pas à proprement parler d’idéologie. Nous avons été surpris de constater que loin de se contenter de critiquer, ils proposent un certain nombre d’idées, fort éloignées parfois de l’image caricaturale que l’on peut se faire d’un parti réactionnaire.

163L’opposition se veut constructive, même si les solutions proposées demeurent le plus souvent floues. On parle d’ailleurs davantage de « mouvement », ou même plus tardivement de « communion » chez les carlistas, que de parti politique à proprement parler, structuré par des textes réglementaires et idéologiques précis.

  • 173 ADDS, Le Véridique : Journal du Poitou (Niort) 30 mars 1832.

164Résumant bien le message des « néocarlistes », un article se présente sous la forme d’un dialogue fictif entre deux étudiants. L’un d’eux est légitimiste et il répond à une question de son camarade libéral : « Ne parle pas de parti, ce mot choque mes oreilles : quand tu dis mon parti, tu fais entendre que tu es d’un autre et que nous sommes ennemis, tandis que tous les deux nous sommes du même, celui de la patrie173. » On retrouve ici cette répugnance qu’ont eu longtemps les formations de droite de se considérer comme des partis. Son interlocuteur accepte : « Tu ne veux pas non plus que je dise les Carlistes, moi je ne veux pas dire les Henriquinquistes, je dirai donc les Légitimistes. » L’appellation carliste, pour désigner les partisans français des aînés des Bourbons, est également considérée comme assez péjorative. Elle est utilisée davantage par les ennemis de cette branche dynastique que par ses partisans. Le terme henriquinquiste, ne s’impose jamais vraiment, même s’il est régulièrement employé par des fonctionnaires de Juillet.

  • 174 Ibidem, 20 janvier 1832.

165Le Véridique des Deux-Sèvres, seul organe légitimiste de ce département, tente de répondre à cette question : « Qu’est-ce qu’on appelle carliste174 ? » Publié pour la première fois le 17 février 1831, quelques jours après le lancement de La Gazette de l’Ouest, il change d’appellation ensuite pour devenir Le Véridique : journal du Poitou puis Le Vendéen : journal du Poitou.

166Pierre-Jean Biraud, ancien secrétaire en chef de la mairie, avant juin 1830, s’en occupe. Il a plusieurs démêlés avec la justice pour provocation contre le Gouvernement ou ses agents. Selon lui, le mot carliste : « Résonne depuis longtemps dans la bouche de certains orateurs avec autant de grâce qu’en avaient les bons sans-culottes à hurler le nom d’aristocrate. Que le peuple sache donc une fois pour toutes à quels hommes on jette ce nom mêlé à tant d’injures. » La réponse, aux allures de sermon, nous a laissé sur notre faim, mais elle précise : « C’est à des Français, héritiers des sentiments de ces anciens preux, aimant leur Dieu, leur patrie et leur roi, plus que leur dame ; pleins de souvenirs historiques qui piquent leur noble émulation […] et d’amour pour la mémoire des Saint Louis, des Louis XII, des Henri IV, les pères du peuple, du Roi martyr (Louis XVI) de sa tendresse et de son dévouement ; à des Français sensibles à la gloire de leur patrie. » Il s’agit également des « adorateurs du vrai Dieu », qui pensent comme Bossuet « que la révolte n’est jamais permise » et qui paient leurs impôts. Ils s’opposeraient à toute nouvelle invasion étrangère. La Légitimité ne serait pas « une arme d’oppression dans les mains des rois » mais pour le « bonheur de leurs peuples ». Les carlistes espagnols estiment aussi que le roi absolu soumis à la « sainte peur de Dieu » ferait le bien de ses peuples unis sous une même couronne.

  • 175 Le Véridique des Deux-Sèvres, 2 septembre 1831.

167Cette longue explication s’oppose à nombre d’idées reçues sur le carlisme français. Tout d’abord, on constate qu’il serait opposé à tout soulèvement, alors que certains ont pris les armes en 1832. Deuxièmement, ces hommes se disent hostiles à toute aide militaire étrangère pour le retour de la branche aînée des Bourbons, à l’inverse des royalistes de 1813 et 1815. Leur nouveau credo est : « Tout pour la France et par la France175. » Cette renonciation à l’usage de la force annonce ce que l’on peut appeler le chambordisme. Cependant, les autorités doutent de cette cohésion en cas de guerre.

  • 176 Ibidem, 19 août 1831.

168Le journal légitimiste niortais s’efforce également de prouver que le maréchal de Bourmont n’a pas vraiment déserté à la veille de Waterloo. S’il est régulièrement encensé par les royalistes comme le vainqueur d’« Alger la guerrière », il demeure pour les autres celui qui a contribué à la défaite finale de Napoléon176. La rédaction ne ménage donc pas ses efforts pour minimiser ce passé « antinational ».

  • 177 R. Rémond, op. cit.

169Le légitimisme dans l’Ouest représente plus qu’une vision politique de la société, il incarne une manière de vivre et de penser qui se reflètent dans ses journaux. Vu de loin, ces aspirations des nostalgiques de la branche aînée n’apparaissent que comme la survivance d’une époque surannée. En étudiant de plus près la presse légitimiste nous nous sommes plongés dans un curieux mélange de principes politiques appartenant de nos jours aux professions de foi de la droite libérale la plus classique (la volonté de diminuer les dépenses publiques par exemple), à la droite la plus antilibérale qui soit (la critique de l’industrialisation « à l’anglaise »), mais aussi à celle de la gauche et à divers mouvements considérés comme progressistes (avec la décentralisation notamment). Il est vrai comme le faisait remarquer René Rémond, les idées politiques défendues par la gauche et la droite sur près de deux cents ans connaissent un véritable chassé-croisé177.

  • 178 La Gazette de l’Ouest, 20 mai 1834.
  • 179 À partir de 1843, selon M. Denis, op. cit., p. 266-268.

170Le credo des royalistes intransigeants peut être ramené à un principe, fil conducteur de tout le mouvement : la Légitimité. Les légitimistes se présentent toujours comme les champions du camp : de la fidélité (à son Roi, à la Tradition et à l’Église) de l’honneur (le refus de la compromission et de l’opportunisme) et du désintéressement. Ils se veulent donc toujours intègres, préférant faire le sacrifice de « leurs plus chers intérêts, plutôt que de rien faire contre leur conscience178 ». Certains ont choisi de s’isoler, mais leur non participation à la vie politique cesse en partie dès 1834 dans la Vienne, mais plus tardivement dans la Mayenne179.

  • 180 J.-Cl. Martin, La Vendée de la mémoire (1800-1980), Paris, 1989, p. 40.

171Pourtant, des « ultras » ont montré leur rapacité au retour des Bourbons. Ils ont réclamé des récompenses alors qu’ils n’avaient participé que d’une manière symbolique aux guerres de Vendée180. Oubliant ces épisodes fâcheux de la Restauration, Le Véridique des Deux-Sèvres attaque dans son premier numéro les « Promesses des soi-disant libéraux » qui disaient dédaigner les places et les honneurs. Il dénonce la curée : « Vous êtes des jongleurs politiques ; vous vous êtes servi du peuple pour arriver au pouvoir. »

172Le triptyque idéologique défendu par La Gazette de l’Ouest incarnerait : la « vraie défense » du peuple, « les libertés » et le « provincialisme » ou régionalisme avant la lettre, considéré comme la situation garantissant le mieux les libertés et les aspirations populaires.

Une politique pour et par le peuple

173Le titre peut paraître surprenant, polémique ou engagé, mais c’est objectivement l’une des idées maîtresses qui ressort de la presse « néo-carliste » de l’Ouest. Si les cadres du mouvement sont souvent des aristocrates ou des bourgeois, ces élites se déclarent être les vrais défenseurs du peuple. En Espagne cette idée apparaît omniprésente également dans le carlisme, le système foraliste, sorte de démocratie locale éloignée du système censitaire libéral, profite cependant aux notables carlistes.

174En France, de nombreux légitimistes de l’Ouest, unis derrière La Gazette de France et ses consœurs de province réclament une plus grande participation du peuple au système politique par un élargissement du corps électoral. Pour cela, les vrais royalistes se tournent vers « la tradition ». Lorsqu’ils cherchent un âge d’or, il est forcément partie intégrante de la société d’Ancien Régime, voire, romantisme oblige, d’un Moyen-âge idéalisé. Ce retour en arrière, forcément réactionnaire par définition, ne serait-il pas une régression inquiétante ?

175Il est difficile de l’évaluer précisément, sans parti pris, tant les propositions demeurent floues dans ce domaine. La Gazette de France invoque à différentes reprises le retour des vieilles franchises et libertés sans donner de plus amples détails. La prudence transparaît dans ce domaine, car même chez d’ardents légitimistes, si l’on demeure favorable à la restauration de la monarchie traditionnelle, on n’en désire pas pour autant un retour pur et simple à l’Ancien Régime. Des acquis de 1789, supprimant le régime seigneurial ou la dîme, ont été appréciés jusque dans les zones les plus contre-révolutionnaires.

L’« Appel au parti national » de La Gazette de France Avril 1832

Le programme de La Gazette de l’Ouest pour l’élection d’un député de l’arrondissement de Poitiers, juin 1834

– La Légitimité, garant de l’« ordre public » ;
– L’inviolabilité de la personne du Roi ;
– La responsabilité des ministres ;
– Le vote doit être public ;
– L’abolition du serment nécessaire en matière d’élections ;
– Des représentants de la Nation en des assemblées communales, provinciales et générales ;
– La création d’une chambre haute avec de grands dignitaires de la couronne (maréchaux de France, présidents des cours judiciaires, grandes notabilités du royaume) ;
– Tous les contribuables doivent être admis aux assemblées des communes ;
– La garantie des libertés individuelles ainsi que celle de la presse, de religion et de conscience, de l’enseignement, ainsi que l’inviolabilité de la propriété ;
– L’égalité devant la loi doit être reconnue dans la répartition des charges, l’admissibilité de tous aux fonctions publiques ;
– Pour une indépendance des tribunaux garantie.

– L’abolition du monopole électoral et du serment politique en matière d’élections ;
– Soutenir la liberté des cultes, d’Enseignement, la liberté individuelle et abolir tout ce qui a été fait contre ces libertés ;
– La réduction du budget et celles des charges publiques ;
– L’abolition de la centralisation administrative ;
– Une loi sur la responsabilité des ministres et des agents de l’Administration ;
– Refuser en tant que député toute fonction salariée, faveur honorifique ou lucrative, pendant toute la durée de son mandat ;
– S’opposer à l’abandon d’Alger et des avantages tirés de cette conquête ;
– Tenir à la fin de chaque session un compte public de la « manière dont il s’est acquitté de son mandat ».

  • 181 Le Véridique…, 2 décembre 1831.

176Les constitutionnels et républicains exploitent largement cette volonté de retour en arrière pas toujours très bien définie, en forçant la caricature sur les objectifs passéistes de ce parti de la réaction. Pourtant, le journal néo-carliste niortais l’affirme : « Non ! Nous ne reviendrons jamais sur le passé. » La gazette pictavienne et Le Véridique de Niort louent les tentatives qui avaient été faites pour réformer la monarchie de 1787 à 1789. Les rédacteurs se battent contre ceux qui font courir les bruits que : « Les droits féodaux, les dîmes et les terrages se rétabliraient aussitôt que les royalistes ressaisiraient le pouvoir ; qu’ils dépouilleraient les acquéreurs de biens nationaux ; que la cherté des blés était occasionnée par les nobles qui les accaparaient, etc.181. » Nous retrouvons en dernier cette accusation récurrente sous l’Ancien Régime des « accapareurs » qui spéculent et affament le peuple. S’il est vrai que l’agriculture évolue, notamment grâce à la pomme de terre, une mauvaise récolte céréalière entraîne des conséquences désastreuses sur l’économie, ainsi que des réactions populaires parfois violentes.

  • 182 J. Touchard, Histoire des idées politiques, vol. II, Paris, 1988, p. 523.

177La rédaction niortaise rappelle que ce sont les royalistes les premiers qui se déclarèrent favorables à la suppression de la féodalité en 1789. Lors de la fameuse nuit du 4 août, le vicomte de Noailles a effectivement demandé la suppression des droits seigneuriaux contre leur rachat par les paysans, ainsi que l’abolition des servitudes personnelles. Cette proposition généreuse ne remettant pas en cause la propriété devait permettre de désamorcer les violences de la « Grande Peur », commises contre leurs seigneurs. Ce journal de Niort va plus loin en affirmant que : « La France sait bien qu’elle doit aux royalistes toutes ses libertés. » Si ces dernières ne sont pas encore plus étendues, ce serait la faute des « doctrinaires » au début de la Restauration. Ils sont jugés seuls responsables du manque de « sanction du peuple » dans le système politique. Il est visé ici un groupe réduit mais influent, incarné par Charles de Rémusat, Pierre Royer-Collard, Victor Cousin ou François Guizot. Ces « centristes » voulaient concilier la monarchie et les libertés octroyées par la Charte. À leur droite, les ultras désiraient élargir le suffrage pour contrecarrer le poids électoral de la grande bourgeoisie libérale. Les doctrinaires selon leur volonté de trouver le juste-milieu, considèrent la révolution terminée182. De nombreux légitimistes et plus particulièrement les partisans de La Gazette de France ou de ses cousines de province reprennent ce projet des ultras d’augmenter le nombre de votants. Le marquis de la Rochejaquelein incarne cette volonté d’accorder ce droit à tous les contribuables fonciers.

  • 183 Le Véridique…, 11 mars 1831. Élève des oratoriens, devenu avocat, bonapartiste puis légitimiste dè (...)

178Le Véridique des Deux-Sèvres, pas toujours d’accord avec La Gazette de l’Ouest, milite également pour la diminution du cens électoral. Il rappelle l’action en ce sens de Pierre-Antoine Berryer (1790-1868), légitimiste marseillais notoire183. Dans la Péninsule surtout, la crainte de voir triompher les carlistes aurait retardé la mise en place du suffrage universel.

  • 184 Ibidem, le 8 avril 1831.
  • 185 M. Denis, op. cit., p. 156 et suivantes.
  • 186 La Gazette de l’Ouest, 20 septembre 1833.

179Désirant d’importantes réformes politiques, les tenants d’un « néo-légitimisme populaire » montrent également des préoccupations sociales face à la misère. Comme les journalistes des autres tendances, ils ouvrent des souscriptions, pour les ouvriers niortais manquant d’ouvrage184. Cette action charitable importante chez les légitimistes est-elle l’accomplissement d’un devoir de bons chrétiens, ou l’un des meilleurs moyens de conserver, voire d’accroître, leur puissance sociale, ou les deux à la fois ? Si les grands propriétaires fonciers admirent le modèle agricole de la « verte Angleterre », les légitimistes n’en dénoncent pas moins les conséquences de son extraordinaire développement industriel185. Ils critiquent la paupérisation et la criminalité qu’engendrent ce monde moderne186.

  • 187 Ibidem, 22 juillet 1834.
  • 188 K. Marx, Le manifeste du parti communiste, Paris (1847) 1978, p. 48.
  • 189 J. Touchard, op. cit., p. 546-548.
  • 190 Voir la thèse de J.-B. Duroselle, Les débuts du catholicisme social en France (1822-1870), Paris, (...)

180Aux fêtes de la Saint Henri, des ouvriers figurent en bonne place187. Selon Marx « la vieille phraséologie de la Restauration était devenue impossible. » Ainsi naquit ce qu’il appelle le « socialisme féodal188 ». « En guise de drapeau, ces Messieurs arboraient la besace du mendiant, afin d’attirer à eux le peuple » alors qu’il est clair que pour lui les légitimistes restent des défenseurs du mode d’exploitation féodale. « D’ailleurs, ils déguisent si peu le caractère réactionnaire de leur critique que leur principal grief contre la bourgeoisie consiste à dire qu’elle assure sous son régime, le développement d’une classe qui fera sauter tout l’ordre social. » Il s’agit ici évidemment du « prolétariat révolutionnaire ». Karl Marx caricature l’attitude de ces royalistes qui malgré leurs discours : « S’accommodent très bien de cueillir des pommes d’or et de troquer la fidélité, l’amour et l’honneur contre le trafic sordide de la laine, des betteraves et de l’eau-de vie. » Il est vrai qu’après 1830, certains s’investissent davantage dans divers projets économiques précapitalistes, tout en critiquant l’affairisme de la vile bourgeoisie. Peut-on cependant affirmer qu’ils ont utilisé les mêmes procédés ? Villeneuve-Bargemont milite quant à lui pour l’amélioration de la condition ouvrière et l’interdiction du travail des enfants, il écrit en 1834 un traité d’Économie politique chrétienne189. Les liens entre catholicisme social et légitimisme apparaissent évidents190.

  • 191 Le Véridique…, 10 juin 1831.

181Toutefois, les légitimistes deviennent conscients progressivement que leurs journaux ne peuvent suffire à influencer le devenir de leurs pays. En France et plus encore ceux de l’Ouest demeurent divisés sur la question de la participation à la vie politique, en raison notamment du serment. La gazette poitevine demande aux légitimistes d’exercer leurs droits politiques. Dès 1831, Le Véridique des Deux-Sèvres insiste pour vaincre leur répugnance à aller voter191.

  • 192 La Gazette de l’Ouest, 14 juin 1835.
  • 193 Ibidem, 1er juillet 1834.
  • 194 Ibid., 3 juillet 1835.

182La Gazette de l’Ouest soutient des hommes politiques nouveaux qui doivent être davantage responsables devant leurs électeurs. Jérémie Babinet candidat à Poitiers en juin 1834 (voir tableau) « appartient, par son âge, à cette génération nouvelle qui ne connaît que par l’histoire nos longues et sanglantes dissensions civiles. Il n’a vu que la restauration et la prospérité sans exemple qui l’accompagnait ». Ce démissionnaire a pu se livrer sans réserve à l’étude des anciens monuments, qui occupait déjà ses loisirs lorsqu’il était encore magistrat192. Comme lui, de nombreux légitimistes se passionnent pour l’Histoire. Pour La Gazette de l’Ouest, il faut voter pour éviter le pire. Finalement, Jérémie Babinet perd contre le candidat libéral, mais Berryer est élu à Marseille, Alphonse de Lamartine (1790-1869) à Bergues… Selon la gazette pictavienne la majorité du parti s’est ainsi prononcée et elle veut donc à nouveau exercer une « action réelle », pour prouver « qu’ils existaient encore comme masses193 ». C’est une volonté très claire de rupture avec le « légitimisme boudeur » défini par Michel Denis, concernant ce refus de toute participation à la vie politique et administrative du pays. L’abstentionnisme demeure plus fort parmi les légitimistes de l’Ouest. Les partisans de la branche déchue reprochent aux opposants de gauche de n’avoir pas voté pour eux selon l’alliance programmée, alors qu’eux déclarent l’avoir fait194.

183Les royalistes ne veulent pas se contenter de réformer le système constitutionnel et la vie politique, ils revendiquent également le respect « des libertés ».

La défense des libertés

184On distingue les antiques libertés accordées par les monarchies traditionnelles, comme les fueros en Espagne et celles que le libéralisme défend à partir de 1789.

185Paradoxalement, les légitimistes, héritiers du courant ultra peu favorable à la Charte, reprennent à leur compte les libertés octroyées dans la droite ligne de la Déclaration des droits de l’homme. La Restauration avait pourtant été accusée par les libéraux de ne pas les respecter assez. C’est une ordonnance limitant la liberté de la presse qui a entraîné la chute de Charles X. Passés dans le camp de l’opposition, les partisans de la branche déchue considèrent comme fort commode ce principe libéral, qui permet de critiquer le régime. Ils deviennent très procéduriers et s’abritent derrière tous les textes de lois qui font apparaître les écarts entre la théorie et la pratique. C’est en arguant des principes de la Charte de 1815, reconnus intégralement par Louis-Philippe, que le journal s’indigne du sort des provinces de l’Ouest.

  • 195 Le Véridique…, 23 décembre 1831.
  • 196 Le Charentais, 4 février 1835.

186Les rédacteurs veulent démontrer que le Roi Bourgeois ne respecte pas la liberté de la presse, en raison des fréquents procès menés contre elle. En effet, nombre de journaux se voient condamnés à des amendes ou à la disparition. On se rappelle cette phrase du vicomte de Chateaubriand : « Née de la presse la révolution de Juillet égorgera sa mère195. » Ainsi, La Gazette de Bretagne se voit contrainte de s’arrêter, comme sa consœur poitevine en 1835. Le juilletiste Le Charentais concède que les condamnations deviennent plus fréquentes que sous la Restauration, mais que les « écarts » des journalistes sont « dans une proportion bien plus excessive196 ».

187C’est encore au nom de la liberté religieuse que les gazettes défendent l’influence de l’Église dans la société. Les légitimistes dans l’ensemble ont beaucoup de mal à séparer le domaine religieux du politique.

  • 197 La Gazette de l’Ouest, 22 août 1835.
  • 198 Même constatation chez S. Rials, Le légitimisme, Paris, 1983, p. 38.
  • 199 La Gazette…, 6 mai 1834.

188Les ultra-catholiques se sentent brimés car les autorités s’opposent avec mollesse aux manifestations d’anticléricalisme. De plus, le catholicisme n’est plus religion d’État, mais celle de « la majorité des Français ». Les néo-carlistes apparaissent néanmoins plus tolérants que leurs coreligionnaires espagnols qui affirment sans cesse l’impérieuse nécessité de maintenir l’unité religieuse. La Gazette de l’Ouest n’attaque pas vraiment les protestants, très présents dans le Poitou et les Charentes. Un rédacteur se permet cependant de commenter, à la suite d’une intervention de François Guizot, que « le mot de religion ne peut-être que suspect dans la bouche d’un protestant197 ». Il n’y a pas non plus de propos antisémites, à l’exception de ceux écrits à l’encontre de Simon Deutz lorsqu’il trahit la cachette de la duchesse de Berry à Nantes198. Seul, un article intitulé « Vivent les juifs ! » ironise sur une célébration ayant eu lieu en l’honneur de la fête du roi Louis-Philippe dans une synagogue199.

  • 200 Ibid., 3 janvier 1834.
  • 201 Ibid., 12 mars 1833.

189Simon Deutz a été chargé pour la Légitimité de négociations avec l’Espagne et le Portugal. Cet homme de confession juive s’étant fraîchement converti au catholicisme, son origine religieuse provoque une flambée d’antijudaïsme. On noircit à dessein toute la fourberie du personnage. Défrayant la chronique, son nom devient synonyme de traître. On peut lire en 1834, concernant l’arrestation d’un réfractaire, que celui qui l’a livré est doté d’une « âme trempée à la Deutz200 ». Dans les écrits légitimistes publiés sous la monarchie de Juillet que nous avons étudiés, les seuls propos antisémites concernent cette trahison. Un rédacteur de La Gazette de L’Ouest veut se rassurer en considérant que : « C’est toutefois une sorte de consolation pour l’honneur national de pouvoir dire que le traître ne fut ni un Vendéen, ni un Breton, ni un Français, mais un étranger, un juif201 ! » Cette énumération n’est pas innocente. Les habitants des provinces de l’Ouest premièrement, puis les autres « vrais Français » sont jugés incapables de trahir. On retrouve en germe les mobiles d’accusation de la très célèbre affaire Dreyfus.

  • 202 Le Véridique…, septembre 1831.

190L’action de Guizot se voit particulièrement dénoncée, car il veut par une loi de 1833 que les municipalités se chargent de développer l’instruction publique. Le mouvement favorable aux aînés des Bourbons revendique haut et fort son alliance avec le clergé pour « la liberté d’enseignement », pour ne pas laisser au Gouvernement : « Le monopole des consciences de la jeunesse202. » La famille catholique doit résister à l’influence de l’État. L’abolition du monopole universitaire est également réclamée. Cette lutte d’influence en germe dès les années 1830, entre l’État et l’Église, prend de l’importance tout au long du XIXe siècle.

  • 203 Expression chère à Voltaire pour écraser le fanatisme, La Gazette de l’Ouest, 31 mai 1833.

191La Gazette de l’Ouest et ses consœurs politiques se montrent globalement opposées à l’esprit des Lumières, à celui de Voltaire en particulier. Contrairement aux libéraux qui veulent développer l’enseignement chez les filles, un Poitevin rétorque : « Jusqu’à présent, Dieu merci, nous n’avons eu, pour les Filles, ni université, ni écoles nationales. Aussi les femmes sont-elles généralement plus religieuses que les hommes ; et on s’en aperçoit bien dans les Statistiques criminelles. […] Le juste-milieu […] ne veut pas rendre les hommes aussi vertueux que les femmes, mais il veut rendre les femmes aussi philosophes, aussi doctrinaires que les hommes, ce qui achèvera d’écraser l’infâme, selon le vœu des encyclopédistes203. » Cette conception contre l’émancipation des femmes s’oppose à cette idée qu’il faut créer des écoles pour fermer des prisons.

192Par ailleurs, les légitimistes réclament parmi les libertés anciennes, la décentralisation, soit un retour du pouvoir dans les provinces.

La décentralisation

  • 204 S. Rials, op. cit., p. 56.
  • 205 « La monarchie selon Maurras », J. Touchard, op. cit., p. 696-698.

193La contestation de la centralisation, vieux cheval de bataille de la noblesse, refait surface dans le débat politique204. Elle se maintient encore au siècle suivant, au cœur des propos de l’Action française, mouvement royaliste animé par Charles Maurras (1868-1952)205. Dans le chassé croisé des idées, la décentralisation est adoptée ensuite par une partie de la gauche.

  • 206 F. Demier, La France au XIXe siècle : 1814-1914, Paris, 2000, p. 103.

194La presse légitimiste demeure favorable au retour des bonnes vieilles provinces. Le courant ultra voulait restaurer le pouvoir à ce niveau206. Ces entités administratives n’ont pas survécu à la Révolution et à son jacobinisme triomphant. Les royalistes aiment à rappeler leur nom, leurs organes de presse l’attestent, de même que les premières sociétés d’érudition historique. Il est symptomatique de lire que la gazette pictavienne parle des « provinces de l’Ouest », alors que l’Administration du Roi des Français évoquent les « départements de l’Ouest ». Les rares mentions par ses fonctionnaires du terme de province servent à rappeler le passé contrerévolutionnaire de ces contrées.

  • 207 La Gazette de l’Ouest, 8 janvier 1833.

195Ce qui peut paraître paradoxal chez les légitimistes, c’est qu’il faut réformer, innover, en cherchant dans ses propres traditions. Contre l’uniformisation, ils se permettent même de critiquer chez le voisin ce qui n’est pas conforme à leurs vœux. Ils citent le Nouvelliste au sujet des réformes préparées à la fin du règne de Ferdinand : « En Espagne, tout doit être espagnol, tenter le bien national (fut-il incontestablement démontré) en employant des moyens exotiques, serait se préparer une défaite. Il faut donc, et le gouvernement l’a senti, flatter l’orgueil national, en rattachant les innovations au pays même, aux anciennes coutumes, aux vieilles institutions […]. Que les Espagnols conservent bien précieusement ce caractère national dont ils ont raison d’être fiers ! Le libéralisme a tout perdu chez nous, pour avoir méconnu les sages maximes […]. En France tout doit être français207. »

  • 208 Ibidem, 18 mai 1833.
  • 209 ADM&L 4M7/29M31, Tribunal de Première Instance de Laval, 27 mai 1844.
  • 210 Le Véridique…, 1er avril 1831.
  • 211 Ibidem, article « Du provincialisme », 16 décembre 1831.

196Les légitimistes critiquent vigoureusement l’institution préfectorale. Pour La Gazette de l’Ouest, le « préfet est la chose au monde la plus inutile208 ». Le Journal de la Mayenne, publié à Laval à partir de 1844, s’attaque au préfet dans son tout premier numéro209. Si les représentants de l’État restent considérés comme des satrapes « ambulants plus occupés d’espionnage que d’administration », les Assemblées provinciales réunies sous Louis XVI font l’objet d’une véritable apologie. Les légitimistes déplorent le fait que lorsque l’on désire faire quelque chose en province, il faut subir les lenteurs de la « bureaucratie » parisienne alors que : « Paris n’est pas la France210 ! » De plus, la province divisée en départements apprend les changements politiques avec le télégraphe et les voitures publiques de cette capitale si fière « du monopole des révolutions ». Ainsi, ce morcellement administratif « inventé par le despotisme » demeure l’« ennemi de nos libertés211 ».

  • 212 Même idée dans L’Ouest (Nantes) ADLA, prospectus imprimé, 1839.
  • 213 ADDS, « Le Vendéen : journal du Poitou » (Niort) 19 novembre 1833.
  • 214 Dans son œuvre inachevée L’Ancien Régime et la Révolution (1856).
  • 215 Voir « II. De la Décentralisation » dans J.-F. Sirinelli, Histoire des Droites en France, Paris, 1 (...)

197« Cette nouvelle maxime du pouvoir absolu qui tend à s’introduire dans notre droit public : si veut Paris, si veut la France. Les affaires de nos villes et de nos campagnes sont à peine remarquées dans le vaste chaos de la centralisation212. » Il est singulier de lire que le pouvoir absolu serait une nouveauté en France. Si Napoléon Ier est considéré comme un usurpateur pour les vrais royalistes, Louis XIV avant lui s’est fait le champion du centralisme. Malgré le prestige qu’il atteint comme peu de rois de France, on le cite rarement au glorieux panthéon de la Légitimité. On lui préfère Saint-Louis ou Henri IV. Le « Roi Soleil » n’est utilisé par la propagande royaliste au XIXe siècle, que pour démontrer que ce sont des Capétiens qui ont fait la France, en acquérant de nouveaux territoires. Quand les écrits de l’époque rappellent que Don Carlos est issu de la « race » des rois de France, on ne précise pas toujours le rôle joué par Louis XIV pour placer un membre de sa famille à Madrid. Chateaubriand ne l’oublie pas quand il estime que : « L’Espagne sait ce qu’elle doit aux descendants de Louis XIV après les faibles successeurs de Philippe II213. » Les Bourbons ont été les premiers à tenter une forte centralisation politique de la Péninsule. Selon Alexis de Tocqueville (1805-1859), la centralisation administrative est l’œuvre de l’Ancien Régime214. Pour éviter le despotisme de la majorité dans un système politique démocratique, ce libéral normand prône comme les néo-carlistes de l’Ouest : la décentralisation, la liberté de la presse et la défense des libertés locales215.

198Dans son article, intitulé « Du provincialisme », Le Véridique des Deux-Sèvres donne pour exemple les « franchises » de Niort, datant du Moyen Âge, qui permettaient aux Niortais de choisir leur représentant. Le maire, jusqu’à la Troisième République, se voit désigné par le pouvoir central. Le journaliste veut démontrer que le peuple partage ces aspirations, car « attaché par instinct au provincialisme » il « en a toujours conservé le souvenir, et […] ignore même jusqu’au nom des départements, à l’exception peut-être de celui où il naît et doit passer ses jours ». Les carlistes espagnols se présentent également comme les défenseurs des particularismes provinciaux chéris par le peuple.

199Symbole de ce retour des provinces, Le Véridique des Deux-Sèvres porte le sous-titre de « journal du Poitou », à partir de 1832. Cependant, cette appellation se voit, cas particulier, supplantée par la Vendée, nom auréolé de gloire pour les royalistes. Cette région retrouve finalement davantage sa cohésion, sa spécificité pourrions-nous dire, depuis qu’elle est objet de défiance et en « proie aux vexations », à partir de la Révolution de 1830. Nous pensons que l’Ouest légitimiste aurait davantage perdu son identité, se serait plus rapidement dilué dans une monarchie qui n’aurait reconnu que timidement son particularisme historique, comme ce fut le cas sous Louis XVIII. Le fait de se sentir brimé ou opprimé par le pouvoir central, permet d’enraciner durablement une « vendéitude » militante. Paradoxalement le nom de Vendée, celui d’une petite rivière, qui a donné son nom à ce département issu de la Révolution, est le seul selon l’écrivain Jean Yole à devenir celui d’une région… royaliste pourrions-nous ajouter. Il est vrai que le terme de Poitou inclut la Vienne, département non franchement contre-révolutionnaire, il en exclut par contre la Loire-Inférieure et le Maine-et-Loire qui ont participé au soulèvement vendéen de 1793. Lorsque le journal niortais est rebaptisé : Le Vendéen : journal du Poitou, ce changement de nom s’explique selon les journalistes par la mise en place d’une collaboration avec leurs « frères de Vendée » départementale. Cette association prouverait selon eux « que l’esprit du provincialisme est vivant dans le Poitou ». Les articles sont très nombreux sur cette Vendée idéalisée, rebelle à l’« usurpation » et fidèle à ses rois légitimes.

  • 216 Le Charentais, 7 mars 1835.
  • 217 La Gazette de l’Ouest, 17 juin 1834.

200Conséquence de la centralisation, les légitimistes s’en prennent au système fiscal. Selon le projet d’une association secrète œuvrant pour une troisième restauration : « Chaque Province s’administrera elle-même, au moyen de propriétaires nommés par le peuple » chargés de voter les impôts selon l’état des récoltes216. À une époque, où nous l’avons rappelé, une mauvaise saison agricole s’avère catastrophique, ce genre d’arguments des « Chevaliers de la Fidélité » peut susciter des sympathies. De plus, le candidat soutenu par La Gazette de l’Ouest réclame une diminution des charges publiques217. L’impôt, selon La Gazette de France, doit être réparti par les assemblées provinciales, départementales et communales. Il y a dans ce procédé un retour évident à l’Ancien Régime.

201En cas de restauration d’Henri V, Le Vendéen, plus critique que La Gazette de l’Ouest, à l’égard de sa consœur parisienne, ne veut pas d’une chambre haute pour deux raisons. La royauté n’a pas besoin de « courtisans » et ce type d’assemblée risque de perdre « l’esprit de provincialisme » qu’il faut imposer. Les attaques de légitimistes de l’Ouest contre les courtisans et ce qui s’oppose à « l’esprit des provinces », rappellent à la même époque, celles qu’adressent les révoltés du Nord de l’Espagne à l’encontre des ojalateros du parti castillan.

  • 218 Ibidem, 7 mai 1833.
  • 219 Ibid., 10 mai 1833.

202Les vrais royalistes jugent anormal l’état de siège mis en place après le soulèvement de 1832. La Gazette de l’Ouest s’oppose au projet de loi Thiers du 29 avril 1833 concernant la construction des « routes stratégiques », seul « moyen d’exproprier et de dépeupler la Vendée sous prétexte d’utilité publique ». L’étymologie de l’adjectif utilisé n’échappe pas à ses champions de la dialectique. Ils font remarquer que le mot grec « stratégie » signifie « propre aux évolutions militaires, à la guerre, à la conquête218 ». On juge cette réalisation porteuse de funestes projets, contraire au respect de la propriété selon le dernier article de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen219. Cependant, il est juste d’ajouter que ce même texte permet d’exproprier des personnes, en échange d’une indemnité, si la nécessité publique l’exige.

  • 220 J.-Cl. Martin, op. cit., p. 16.
  • 221 La Gazette de l’Ouest, 11 juin 1833.
  • 222 Ibidem, 10 mai 1833.

203Les orléanistes se montrent très actifs dans la construction ou l’entretien des voies de communication. Des routes stratégiques ont été construites dans l’Ouest dès l’arrivée au pouvoir de Bonaparte. L’orientation des travaux, comme le souligne Jean-Clément Martin, a été décidée en raison des souvenirs de la guerre ; car « c’est une région dangereuse qu’il convient de contenir220 ». Pour Adolphe Thiers, elles doivent apporter la civilisation et l’industrialisation, ce qui fait dire à un journaliste : « Étrange perfectionnement social, que celui qui s’opère par le sabre et les mouvements de colonnes mobiles221. » Le Vendéen considère qu’il y a là une volonté de procéder à « une régénération politique » de l’Ouest, par le biais de ces nouvelles voies de communication, accompagnées de l’envoi de forces de l’ordre et des écoles de la loi Guizot222.

204Les plaintes de la presse légitimiste peuvent faire écho à celles des victimes des missionnaires bottés de l’absolutiste Louis XIV. Ces souvenirs des « dragonnades » avaient attisé les rancœurs en pays protestant. Il apparaît plus d’un siècle plus tard, que l’« occupation » de l’Ouest selon les légitimistes, n’est pas des plus favorables au retour de la paix sociale et religieuse. Cependant, cette « tyrannie du sabre », tant contestée en ces années 1830, n’est plus cette fois, contrairement au « Grand siècle », le pendant du goupillon. Face aux abus de la soldatesque, une vendéitude, se tournant vers le royalisme des nostalgiques des Bourbons, s’affirme avec force.

  • 223 Ibid., 28 janvier 1834.
  • 224 Le Véridique…, 8 juillet 1831.

205Avec la suppression de l’état de siège La Gazette de l’Ouest insiste sur le fait que la Vendée est rentrée sous la loi commune. « S’il est des officiers qui l’oublient, il faut que les Vendéens ne l’oublient jamais. Trop de vexations ont lieu, dans notre pays223. » Des appels à la résistance légale sont lancés, à l’exemple de cet homme à Pouzauges qui s’est opposé à une visite domiciliaire en s’appuyant « sur son droit » et l’autorité du maire. Le 6 mai 1831, Le Véridique des Deux-Sèvres, avant le soulèvement tenté par la duchesse de Berry, appelait déjà à la résistance passive les habitants du Bocage. Elle doit se faire en respectant la légalité, en refusant notamment les soldats qui ne seraient pas munis des papiers leur permettant de loger chez l’habitant. Une « Société de Défense Mutuelle », s’adressant en priorité aux populations de l’Ouest, se crée contre toute atteinte à la liberté individuelle, à l’inviolabilité du domicile, ainsi qu’aux droits politiques et au respect de la propriété224.

206Il est difficile de comparer les idées des partisans de Don Carlos avec celles des légitimistes de France, car l’erreur serait de considérer qu’il existe un contenu idéologique précis. Cependant des royalistes s’expriment sur leurs objectifs politiques. Il n’est pas certain que le Prétendant les approuve, mais ils expriment des sensibilités partagées dans une partie du pays.

207Le programme des néo-carlistes se révèle parfois surprenant, loin de l’image caricaturale attachée à ce mouvement, d’un parti aristocratique et réactionnaire. Son combat contre le suffrage censitaire, ou contre les grandes industries, démontre des préoccupations populaires ou sociales que certains qualifieront de démagogiques. Quelques différences avec le mouvement frère d’Espagne, semblent cependant pouvoir être mises en évidence. Les néo-carlistes ne se montrent pas aussi intolérants ou attachés à la primauté de l’Église dans la société. Ils se montrent plus pacifiques et respectueux du jeu politique.

208Les causes des guerres de l’Ouest et du premier conflit carliste ont beaucoup de points communs. Dans les deux cas on observe une volonté de défendre la religion catholique ainsi qu’une opposition aux bourgeois et au libéralisme, une résistance à la pression fiscale et des réticences face aux décisions du pouvoir central. D’un côté, le Bocage surtout, résiste à la Révolution, de l’autre des zones montagneuses de la Péninsule entrent en rébellion.

209Quand éclate le conflit au sud des Pyrénées le légitimisme dans l’Ouest demeure encore une force politique bien réelle. Le régime de Juillet estime que les derniers tisons de la chouannerie menacent encore ci et là de raviver le feu de la guerre civile, dans ce foyer traditionnel de la contre-révolution.

210De façon indiscutable, la parenté des idéaux entre légitimistes et carlistas apparaît au grand jour avec le début de la guerre civile en 1833. Alors que la presse favorable à la branche aînée des Bourbons soutient ouvertement la cause de Don Carlos, le Gouvernement désire au contraire le départ du territoire de ces ennemis.

Notes

1 ADV 4M169, MI aux Préfets, 27 mars 1834.

2 Les Espagnols ont même leur chapelle à Nantes dès le Moyen Âge.

3 Chateaubriand, Mémoires d’outre-tombe, Paris, 1973, vol. I, p. 67.

4 E. LeroyLadurie, Histoire de France des régions, Paris, 2001, p. 81 et 83.

5 Duc de Castries, Les hommes de l’émigration, Paris, 1976, p. 153.

6 Abbé J. P. G. Blanchet, Le clergé charentais pendant la révolution, Angoulême, 1898.

7 Voir R. Aymes, Les Espagnols en France 1808-1814, Lille III, 1984.

8 Il est possible de le constater lors des recensements sous le Second Empire que nous avons étudiés.

9 ADV 4M169, MI aux Préfets, 6 juillet 1833.

10 ADV 4M165, id., 25 janvier 1834.

11 Ibidem, 5 septembre 1834.

12 G. Noiriel, Réfugiés et sans-papiers : La République face au droit d’asile (XIXe-XXe siècle), Paris, 1998, p. 38.

13 ADV 4M165, MI aux Préfets, 18 février 1835.

14 J. Sarrailh, « Réfugiés espagnols en France au XIXe siècle : Le dépôt de Montmorillon (1831-1833) », Bordeaux, Bulletin hispanique, vol. 30, 1928, p. 220-234.

15 ADV 4M165, MI aux Préfets, 5 septembre 1834.

16 Ibidem, MI au Pr. de la Vienne, 10 janvier 1834.

17 ADCh 4M150, « La Surveillance et la direction des Dépôts d’étrangers réfugiés », MI aux Pr., 19 mars 1833.

18 ADV 4M165, MI aux Préfets, 15 juin 1835.

19 C. Mondonico-Torri, « Les réfugiés sous la monarchie de Juillet : L’impossible statut », Revue d’Histoire moderne et contemporaine, Paris, octobre-décembre, 2000, p. 731-745.

20 G. Noiriel reconnaît comme nous ce fait, op. cit., p. 47.

21 Bibliothèque administrative de la Ville de Paris, Archives parlementaires tome 95, année 1835.

22 ADV 4M165, MI au Pr. de la Vienne, 29 avril 1835.

23 Ibidem, Pr. des Basses-Pyrénées au Pr. de la Vienne, 10 février 1836.

24 Ibid., Pr. de la Vienne au MI, 20 février 1836.

25 Aucun réfugié ne semble avoir été forcé pour entrer dans ce corps, contrairement à ce qui se pratiquerait apparemment ailleurs, selon G. Noiriel, op. cit. p. 67.

26 ADV 4M169, M. Mévolhon au Pr., 3 juillet 1835.

27 P. Mérimée, « Les Espagnols en Danemark » (1820) dans Carmen et autre nouvelles espagnoles, Paris, 1990.

28 ADV 4M165, Nicolas Osores à Poitiers, 15 octobre 1835.

29 Ibidem, Pr. de la Vienne, 26 février 1836.

30 Ibid., Pr. de Charente-Inférieure au Pr. de la Vienne, 29 août 1835.

31 Ibid., MI aux Préfets, 26 février 1838.

32 Ibidem, 16 avril 1840.

33 Le Charentais, 16 mai 1840.

34 ADCh 4M150, Pr. au MI, 13 mai 1840.

35 R. Gonzalez de la Cruz, Historia de la emigración carlista, vol. I, Madrid, 1846, p. 86.

36 AMAE, M&D suppl. 29, 21 février 1837.

37 Le Charentais, 5 octobre 1839.

38 ADCh 4M150, S-Pr. de Barbezieux au Pr., 29 mars 1840.

39 ADChM 4M4/3, Rapport confidentiel du Pr. au MI, 9 septembre 1841.

40 ADChM 5M6/15, Mie de La Rochelle au Pr., 2 janvier 1840.

41 Ibidem, Pr. de Charente-Inférieure au MI, 9 janvier 1840.

42 Ibidem, à la S-Pr. de Saintes, 20 janvier 1840.

43 Ibid., au MI, 21 mars 1840.

44 ADV 4M169, Pr. de la Vienne au MI, 9 octobre 1839.

45 Le Charentais, 11 juillet 1840.

46 Ibidem, 4 juillet 1840.

47 Ibid., 11 juillet 1840.

48 Ibid., 18 et 22 juillet 1840.

49 Ibid., 25 juillet 1840.

50 A. Pirala y Criado, op. cit., tome VI, p. 88.

51 Ibidem, p. 90.

52 ADV 4M169, MI aux Préfets, 1er août 1840.

53 ADDS 1N23, Session du Conseil général du 26 août 1840.

54 ADDS 4M43/I, Léon de Malleville sous-secrétaire d’État au MI aux Pr. des Deux-Sèvres, du Maine-et-Loire et de la Vienne, 2 septembre 1840.

55 ADMay 4M266, aucun chiffre donné par S. Firmino, op. cit., p. 495.

56 ADMbh 4M385, confirmation dans S. Firmino, op. cit., p. 495 qui donne 60 réfugiés en Loire-Atlantique, 10 pour les Côtes-d’Armor et un point d’interrogation pour le Finistère.

57 ADCal 3M103 et ADOr M1167 et M1168, respectivement jusqu’à 110 et 140, selon S. Firmino, op. cit.

58 ADDS 4M6/13, S-Pr. de Melle au Pr., 9 janvier 1839.

59 Ibidem, 6 avril 1839.

60 Ibid., Pr. au MI, 3 février 1839.

61 Ibid., MI aux Préfets de l’Ouest, 5 avril 1839.

62 ADM&L 29M27 « Chouannerie : correspondance, situation politique 1836-1839 ».

63 ADDS 4M6/13, Pr. au MI, 5 avril 1839.

64 ADVée 4M443, MI au Pr. de Vendée, 25 mai 1839.

65 Ibid., Pr. de Vendée au MI, 6 juin 1839.

66 Ibid., 4M394, Rapport de Gendarmerie, mai 1839.

67 ADDS 4M613, le commandant de la gendarmerie de Niort au Pr., 14 décembre 1838.

68 M. Denis, op. cit., p. 157-160.

69 ADDS 4M6/13, gendarmerie de Bressuire, 23 janvier 1839.

70 Ibidem, le Commandant de la Gendarmerie de Niort au Pr., 15 décembre 1838.

71 Ibidem, 27 février 1839.

72 Élève à Saint-Cyr, officier de cavalerie participant à la campagne de 1823, il combat les Turcs dans l’armée russe en 1828, député de Ploërmel de 1842 à 1848, favorable au suffrage universel, élu à nouveau sous la république puis toujours sénateur légitimiste sous le Second Empire. G. Cougny, Dictionnaire des parlementaires français, Paris, 2000

73 ADLA 1M515, MI au Pr., 3 octobre 1840.

74 ADDS 4M6/13, MI au Pr. des Deux-Sèvres, 21 mars 1840.

75 Le Charentais, 1er août 1840.

76 A.-J. Tudesq, « L’opposition légitimiste en Languedoc en 1840 », dans Annales du Midi, 1956, p. 391.

77 Ibid., Les Grands notables en France (1840-1849) Étude d’une psychologie sociale, Paris, 1964, p. 12.

78 Ibid., L’opposition …, op. cit., p. 404-406.

79 AN F7/6784, Mie de Maisdon, 6 août 1840.

80 Ibid., MI au Pr. de la Loire-Inférieure, 18 août 1840.

81 ADDS 4M6/13, MI au Pr., 26 août 1840.

82 Ibidem, 14 août 1840.

83 Le Charentais, 29 août 1840.

84 ADDS 4M6/13, le commandant des forces armées du département au Pr., 30 août 1840.

85 ADLA 1M515, MI au Pr., 27 août 1840.

86 Ibid., Pr. de Vendée au Pr. de Loire-Inférieure, 23 novembre 1840.

87 Ib., S-Pr. de Paimbœuf au Pr., 2 novembre 1840.

88 Ib., Pr. d’Ille-et-Vilaine au Pr. de Loire-Inférieure, 2 décembre 1840.

89 ADI&V 1M114, Lettre de Louis de Cadoudal à la duchesse de Berry, 17 février 1831.

90 ADDS 4M6/13, Pr. au MI, 28 juin 1841.

91 E. Gabory, op. cit., p. 970.

92 ADV 4M169, Pr. d’Eure-et-Loir au Pr. de la Vienne, 8 septembre 1840.

93 ADDS 4M43/I, Pr. au MI, 11 septembre 1840.

94 Ibidem, Mie de Niort au Pr., 7 mars 1840.

95 Id., Pr. au MI, 3 octobre 1840.

96 Id., 9 novembre 1840.

97 ADV 4M169, liste de la Pr., 11 septembre 1840.

98 ADM&L 32M1, état nominatif, 1840.

99 ADV 4M165, Pr. au MI, 24 novembre 1840.

100 Ibidem, 2M350, année 1840.

101 Id., 4M170, MI au Pr., 6 février 1841.

102 J. Delumeau, Histoire de la Bretagne : Portrait de la France Moderne, vol. II, 1976, p. 146.

103 M. Denis, op. cit., p. 55.

104 L.-M. Clénet, La Contre-Révolution, Paris, 1992, p. 3.

105 Article « Contre-Révolution » in A. Soboul, Dictionnaire historique de la Révolution française, Paris, 1989.

106 C. Lucas serait à l’origine de cette nuance, dans un colloque Mouvements populaires et conscience sociale (XVIe-XIXe siècle), Paris, 1985.

107 E. Gabory, La Révolution et la Vendée, op. cit., p. 114.

108 J.-R. Colle, La chouannerie dans les Deux-Sèvres et la Vendée orientale, op. cit., p. 13.

109 A. Soboul, La révolution française, Paris, 1984, p. 287.

110 Témoignage d’un officier espagnol cité dans Le Charentais, 27 juin 1835.

111 A. de Wismes, Histoire de la Vendée, Paris, 1985, p. 125.

112 Le fait que ces prêtres soient expulsés manu militari par des gens des villes aggrave la frustration des ruraux, P. Bois, op. cit., p. 41.

113 F. Furet et D. Richet, La Révolution française, Paris, 1989, p. 190.

114 J.-F. Sirinelli, Les droites françaises : De la Révolution à nos jours, Paris, 1995, p. 52.

115 Ibid., p. 40. Selon A. Gérard, cité par J. Péret, La Terreur et la Guerre : Poitevins, Charentais et Vendéens de l’an II, Poitiers, 1992, p. 39-40.

116 Cette « haine paysanne » est rappelée par F. Furet, op. cit., p. 191.

117 J. Delumeau, op. cit., p. 145.

118 A. Gérard dans son étude du bocage au XVIIIe siècle, J. Péret, op. cit., p. 29.

119 J. Delumeau, op. cit., p. 145.

120 Pour Jules Michelet, « Femme et prêtre, c’est là tout, la Vendée, la guerre civile », dans son Histoire de la révolution française, 1868, t. II, cité par P. Bois, op. cit., p. 587.

121 ADI&V 1M127, rapport au Pr., 22 novembre 1830.

122 J.-R. Colle, op. cit., p. 14.

123 Selon le Guide pittoresque du voyageur en France, Paris (1838), 1997.

124 Le premier titre, Le Dernier Chouan, rappelait celui d’un fameux roman de James F. Cooper.

125 V. Hugo, Quatre-vingt-treize, Paris, 1996, p. 174.

126 R. Oyarzun, op. cit., p. 19.

127 V. Hugo, op. cit., p. 188.

128 A. Siegfried, op. cit., p. 214.

129 F. Furet : « Il y a des mythes qui font l’Histoire réelle : le complot aristocratique en fut un », op. cit., p. 135.

130 Le « complot de La Rouërie » du marquis de Fougères n’avait pas prévu les paysans dans son projet de soulèvement ! R. Dupuy, La noblesse entre l’exil et la mort, 1989, Rennes, p. 52-56.

131 J. Péret, Histoire de la Révolution française en Poitou-Charentes (1789-1799), Poitiers, 1988, p. 181.

132 Sur l’esprit contre-révolutionnaire à Marseille, voir Ph. Vigier, La vie quotidienne en province et à Paris pendant les journées de 1848, Paris, 1982, p. 113.

133 E. Gabory, op. cit., p. 978.

134 Termes employés dans le manifeste de « la Régente » aux populations de l’Ouest, ADI&V 1M114, mai 1832.

135 ADG 1M357, MI au Pr., 5 décembre 1832.

136 La Gazette de l’Ouest, 29 janvier 1833.

137 L’Auxiliaire Breton, 18 juin 1833.

138 La Gazette de l’Ouest, 21 juin 1833.

139 Ibidem, 8 novembre 1834.

140 ADG 1M357, MI au Pr., 28 avril 1833.

141 ADVée 4M444, S-Pr. des Sables au Pr., 17 juillet 1833.

142 Ibidem, S-Pr. de Fontenay-le-Comte au Pr., 18 juillet 1833.

143 Ib., un officier de Gendarmerie au baron Rousseau, commandant les forces du département, 19 août 1833.

144 ADDS 4M6/10, S-Pr. de Bressuire au Pr., 13 septembre 1833.

145 ADLA 1M513, Pr. à ses sous-préfets, 31 août 1833.

146 P. Bois utilise à plusieurs reprises cette expression pour qualifier la nature de la lutte des paysans de l’Ouest, op. cit., p. 671.

147 ADI&V 1M114, S-Pr. de St-Malo au Pr., 28 septembre 1833.

148 Une lettre de la duchesse de Berry du 7 mai 1833, précise qu’il a le pouvoir de négocier pour elle avec la Hollande, Chateaubriand, op. cit., p. 409.

149 ADVée 4M444, Pr. au MI, 2 septembre 1833.

150 ADG 1M357, MI aux Préfets, 17 octobre 1833.

151 Ibidem, le 21 janvier 1834.

152 La Gazette de l’Ouest, 11 juin 1833.

153 Ibidem, 18 juin 1833.

154 E. Gabory, op. cit., p. 1007.

155 La Gazette de l’Ouest, le 2 avril 1833.

156 Ibidem, 9 octobre 1834.

157 J.-R. Colle, op. cit., p. 78.

158 AN F7/6784, Gendarmerie de Bressuire, 1er février 1833.

159 ADDS 4M6/10, S-Pr. de Bressuire au Pr., 10 septembre 1833.

160 La Gazette de l’Ouest, 18 mars 1834.

161 J.-R. Colle, op. cit., p. 95.

162 ADVée, 4M394, MI aux Préfets, 3 janvier 1837.

163 Ibid., MI au Pr. de Vendée, 24 février 1837.

164 ADVée 4M394 dans divers rapports.

165 Ibid., ministère de l’Instruction publique et des Cultes aux préfets, 22 février 1833.

166 Le Charentais, 31 janvier 1834.

167 Ibidem, 7 janvier 1835, citant L’Ami de la Charte.

168 AN F7/6784, Rapport de Gendarmerie en Vendée, 21 mars 1831.

169 J. Delumeau, Histoire de la Bretagne, Paris, 1976, p. 431.

170 A. Pirala, vol. 3, op. cit., p. 366.

171 Le Charentais, 24 janvier 1835.

172 La Gazette de l’Ouest, 22 juillet 1834.

173 ADDS, Le Véridique : Journal du Poitou (Niort) 30 mars 1832.

174 Ibidem, 20 janvier 1832.

175 Le Véridique des Deux-Sèvres, 2 septembre 1831.

176 Ibidem, 19 août 1831.

177 R. Rémond, op. cit.

178 La Gazette de l’Ouest, 20 mai 1834.

179 À partir de 1843, selon M. Denis, op. cit., p. 266-268.

180 J.-Cl. Martin, La Vendée de la mémoire (1800-1980), Paris, 1989, p. 40.

181 Le Véridique…, 2 décembre 1831.

182 J. Touchard, Histoire des idées politiques, vol. II, Paris, 1988, p. 523.

183 Le Véridique…, 11 mars 1831. Élève des oratoriens, devenu avocat, bonapartiste puis légitimiste dès la fin de l’Empire, il s’engage dans les volontaires royalistes en 1815. Elu député à maintes reprises, il s’est fait connaître pour sa défense lors du procès de F. Lammenais (en 1826) ou de chouans sous Juillet. Ce brillant orateur se veut le défenseur « des libertés » et il demeure favorable à l’action politique légale.

184 Ibidem, le 8 avril 1831.

185 M. Denis, op. cit., p. 156 et suivantes.

186 La Gazette de l’Ouest, 20 septembre 1833.

187 Ibidem, 22 juillet 1834.

188 K. Marx, Le manifeste du parti communiste, Paris (1847) 1978, p. 48.

189 J. Touchard, op. cit., p. 546-548.

190 Voir la thèse de J.-B. Duroselle, Les débuts du catholicisme social en France (1822-1870), Paris, 1951.

191 Le Véridique…, 10 juin 1831.

192 La Gazette de l’Ouest, 14 juin 1835.

193 Ibidem, 1er juillet 1834.

194 Ibid., 3 juillet 1835.

195 Le Véridique…, 23 décembre 1831.

196 Le Charentais, 4 février 1835.

197 La Gazette de l’Ouest, 22 août 1835.

198 Même constatation chez S. Rials, Le légitimisme, Paris, 1983, p. 38.

199 La Gazette…, 6 mai 1834.

200 Ibid., 3 janvier 1834.

201 Ibid., 12 mars 1833.

202 Le Véridique…, septembre 1831.

203 Expression chère à Voltaire pour écraser le fanatisme, La Gazette de l’Ouest, 31 mai 1833.

204 S. Rials, op. cit., p. 56.

205 « La monarchie selon Maurras », J. Touchard, op. cit., p. 696-698.

206 F. Demier, La France au XIXe siècle : 1814-1914, Paris, 2000, p. 103.

207 La Gazette de l’Ouest, 8 janvier 1833.

208 Ibidem, 18 mai 1833.

209 ADM&L 4M7/29M31, Tribunal de Première Instance de Laval, 27 mai 1844.

210 Le Véridique…, 1er avril 1831.

211 Ibidem, article « Du provincialisme », 16 décembre 1831.

212 Même idée dans L’Ouest (Nantes) ADLA, prospectus imprimé, 1839.

213 ADDS, « Le Vendéen : journal du Poitou » (Niort) 19 novembre 1833.

214 Dans son œuvre inachevée L’Ancien Régime et la Révolution (1856).

215 Voir « II. De la Décentralisation » dans J.-F. Sirinelli, Histoire des Droites en France, Paris, 1992, p. 77 et suivantes.

216 Le Charentais, 7 mars 1835.

217 La Gazette de l’Ouest, 17 juin 1834.

218 Ibidem, 7 mai 1833.

219 Ibid., 10 mai 1833.

220 J.-Cl. Martin, op. cit., p. 16.

221 La Gazette de l’Ouest, 11 juin 1833.

222 Ibidem, 10 mai 1833.

223 Ibid., 28 janvier 1834.

224 Le Véridique…, 8 juillet 1831.

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