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Le golfe du Saint-Laurent et le Centre-Ouest français

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Mickaël Augeron
, 
Jacques Péret
, 
Thierry Sauzeau

Deuxième partie. Trafics et circuits d’un échange inégal (XVIIe-XVIIIe siècles)

S’approvisionner en Nouvelle-France : l’arsenal de Rochefort et les ressources canadiennes (1669-1752)

Mickaël Augeron

Texte intégral

1Fondé en 1666 par Louis XIV, l’arsenal de Rochefort ne tarda pas à importer bois, chanvres, lin, fers, poix et goudrons pour les besoins de la construction navale ou l’entretien des vaisseaux de guerre. Pour se démarquer des autres arsenaux et tisser ses propres réseaux d’approvisionnement, il regarda d’emblée en direction du Canada, sur lequel la Couronne venait de renforcer son contrôle (1664) afin de remédier aux déficiences de la Compagnie des Cent-Associés (administration, défense, économie, peuplement). Il est vrai que la vocation coloniale du jeune arsenal l’incitait tout naturellement à identifier – puis à éventuellement mobiliser – les ressources des territoires qu’il était censé protéger.

  • 1 Archives nationales d’outre-mer (ANOM), C11A, vol. 72, « Mémoire sur les colonies françoises et an (...)
  • 2 ANOM, COL C11A, vol. 66, Mémoire de Duhamel du Monceau sur la qualité des bois du Canada, s. l., [ (...)

2Au-delà des objectifs nationaux (efforts sans précédents en matière de construction navale) ou strictement rochefortais (soutien au développement de l’arsenal), cette politique volontariste ne pouvait être dissociée des difficultés dont souffrait, sur le long terme, le royaume en matière d’approvisionnement : insuffisance des ressources naturelles françaises et obligation de se tourner vers les Pays-Bas et la Baltique. Par l’étendue de ses richesses forestières, la Nouvelle-France apparaissait alors, aux yeux de la Marine, comme un partenaire potentiel, comme un établissement « fort avantageux ». Stratégiquement, les enjeux furent vite posés, comme le rappelait encore un mémoire de 1739 : on pouvait tirer du Canada des chanvres [pour les cordages], des bois, du goudron « si nécessaire à la navigation » [calfatage], du « charbon » et des « fers » qui pourraient « fournir les ports ou il y a[vait] des fonderies et des rafineries »1. Duhamel de Monceau semblait lui faire écho dix ans plus tard en soulignant que « la rareté des bois de construction en Europe [devait] faire regarder le Canada comme une ressource des plus importantes pour le rétablissement de la Marine », face à la puissance navale britannique. Cette « ressource » était pour lui « d’autant plus précieuse que tous les avantages se trouv[ai]ent réunis dans ce vaste païs : les bois du plus bel échantillon s’y trouv[ai]ent en très grande abondance, les fers y [était] de la meilleure qualité ; on [pouvait] se procurer de bons chanvres, du goudron, du bray, de la mâture »2. Depuis Jean-Baptiste Colbert, la plupart des secrétaires d’État à la Marine en étaient convaincus. En lien avec les intendants en poste à Québec, qui organisaient sur place la production, deux d’entre eux ont eu un rôle particulièrement actif dans la structuration de ces exportations canadiennes en direction de Rochefort : Jérôme Phélypeaux, comte de Pontchartrain, qui occupa la charge de 1699 à 1715, et Jean Frédéric Phélypeaux, comte de Maurepas, qui en exerça la responsabilité entre 1723 et 1749. Ils furent particulièrement sensibles aux potentialités canadiennes, autorisant notamment la production de chanvre, de lin et de goudron. Quant aux bois, ils en préconisèrent le stockage pour mieux se préparer à un éventuel accroissement des besoins en période de guerre (accélération de la construction navale) et ainsi faire face, le cas échéant, à la fermeture des marchés nord-européens. D’une certaine manière, l’expérience rochefortaise était alors conçue comme un banc d’essai, qui pourrait être étendue aux autres arsenaux, à commencer par celui de Brest (volonté de diversifier les sources d’approvisionnements et de contrebalancer les importations européennes).

  • 3 Voir les différents articles publiés à ce sujet par Camille Gabet dans les Cahiers de l’Université (...)
  • 4 Voir par exemple Lunn A. J. E., Développement économique de la Nouvelle-France (1713-1760), Montré (...)
  • 5 Voir notamment le chapitre intitulé « Le réseau d’approvisionnements » : Acerra M., Rochefort et l (...)
  • 6 Inventaire consultable en ligne : http://www.memoirenf.cieq.ulaval.ca (dir. scientifique : M. Auge (...)
  • 7 Augeron M., « Des productions canadiennes au service de l’Arsenal de Rochefort », dans Augeron M.,(...)

3On connaissait jusqu’ici le rôle de Rochefort, arsenal des colonies, dans le transport et l’approvisionnement des troupes stationnées outre-Atlantique3. Mais fort curieusement, ces productions canadiennes expédiées en direction de la ville-port ont pour l’essentiel échappé aux spécialistes français, alors qu’elles apparaissent – de manière succincte, certes, voire parfois anecdotique – dans quelques ouvrages de référence québécois4 ; des ouvrages qui ont toutefois tendance à sous-estimer, faute d’une étude approfondie, le poids de l’arsenal dans le développement économique de la Nouvelle-France. Dans sa très belle thèse sur Rochefort et la construction navale française (1661-1815), Martine Acerra n’évoque nullement ces importations canadiennes5, alors qu’elles devinrent effectives dès la construction des premiers vaisseaux et qu’elles allaient représenter, en valeur, plusieurs dizaines de milliers de livres à la veille de la Conquête anglaise. Avec des enjeux affirmés de valorisation touristique et culturelle du patrimoine, le programme franco-québécois Inventaire des lieux de mémoire de la Nouvelle-France6 a depuis lors ouvert quelques pistes de réflexion, en permettant notamment de s’interroger sur le rôle et la place du Canada dans l’approvisionnement de l’arsenal : s’il n’est pas exclu qu’une partie des matériaux importés à Rochefort ait ensuite été redistribuée vers les autres arsenaux, il apparaît clairement que l’essentiel des arrivages est venu soutenir sur place l’activité des forges, de la fonderie de canon et de la corderie royale – où étaient entreposés puis travaillés les chanvres –, ou encore alimenter les étuves et cuves à goudrons7. Mais il restait encore à mener une approche sur le long terme afin de mieux cerner les évolutions de ce trafic et d’en préciser les retombées. Il est vrai que les archives les plus riches en informations (courriers officiels, mémoires, rapports, bilans financiers, factures) sont dispersées dans les fonds français et canadiens : cette contrainte a longuement pesé sur le travail des historiens, et ce, jusqu’à la mise en ligne du portail Archives Canada-France et des bases de données informatisées qui lui sont associées (2004). Cet outil a permis d’effectuer un dépouillement presque systématique des documents rédigés – ou reçus – par la haute administration royale (secrétariat d’État à la Marine et aux Colonies, intendances de Rochefort et de Québec), pour la période comprise entre 1666 et le début de la guerre de Sept Ans (1756), qui mit brutalement un terme à ces approvisionnements. La nature et les hésitations de ce trafic, les fonds qui lui furent alloués, les exigences formulées par les ingénieurs de l’arsenal, n’étaient ainsi pas sans refléter baisses et hausses d’activités du port rochefortais (bien mises en évidence par Martine Acerra dans sa thèse), en lien avec les politiques menées à l’échelle nationale.

Le temps des incertitudes et des hésitations (1669-c. 1698)

Du bois et du goudron pour Rochefort : les prémices

  • 8 Acerra M., op. cit., t. 1, p. 205 et 210-211 ; l’auteur parle également de « premier boum naval » (...)
  • 9 ANOM, COL C11A vol. 3, fol. 74-74v, Lettre de Talon au ministre, de Québec, 10 octobre 1670.
  • 10 Loewen B., « Les goudronneries », dans AUGERON M., GUILLEMET D., ROY A. et St-Hilaire M., dir., op (...)
  • 11 Acerra M., op. cit., t. 1, p. 205.

4Ce fut en 1671, soit cinq ans seulement après la création de l’arsenal, qu’eurent lieu les premiers envois de bois et de goudron en direction de Rochefort. L’intendant Jean Talon avait été sollicité deux ans auparavant par les autorités militaires pour en développer la production. Il fallait répondre à des besoins matériels croissants. Cette période était particulièrement propice à de telles initiatives : outre les besoins du jeune arsenal et la nécessité qu’il avait de tisser ses propres réseaux d’approvisionnement, la royauté se lançait alors dans une politique de construction inégalée jusqu’ici : si pour la période 1661-1678, le royaume a construit 8,5 vaisseaux par an en moyenne, il en a bâti 16,6 par an pour les seules années 1667 à 1671, premier véritable « décollage de la construction navale »8 ! Cette « construction massive », dont parle Martine Acerra dans sa thèse, ne pouvait qu’inciter les responsables de l’arsenal à chercher de nouvelles sources d’approvisionnement en bois, mais aussi en chanvres, en goudrons et en lin. Les ressources canadiennes paraissaient alors inépuisables, mais à condition de pouvoir en organiser l’exploitation. En 1670, Talon disposait certes d’un « faiseur de goudron », mais il demeurait toutefois prudent face à la complexité de la tâche et n’osait rien promettre « à la marine » au sujet de « la mine de fer et le goldron ». S’il avait pu aisément ordonner les premières coupes de bois et ainsi réunir près de « mille pièces de bois pour un vaisseau », il demandait de nouveaux moyens en hommes, en argent et en matériel pour remplir au mieux sa mission9. Il parvint à établir une goudronnerie royale à Baie-Saint-Paul, mais la production cessa aussitôt, à la suite d’un tremblement de terre qui en détruisit les infrastructures10. Elle ne fut pas reconstruite et le Canada entra dans un relatif oubli jusqu’au début des années 1680, en raison d’un manque de financements et surtout de la guerre de Hollande (1672-1678), qui entraîna un « effort de construction moindre »11 et qui perturba très fortement les communications maritimes, gênant ainsi les transports de matériaux.

  • 12 Ibid., p. 205 et 210-211 ; l’auteur évoque, pour cette période 1689-1693, le « second décollage de (...)
  • 13 ANOM, COL C11A, vol. 111, fol. 222-222v, Lettre de Pierre Hameau à Lagny, intendant général du com (...)
  • 14 ANOM, COL C11A, vol. 6, Mémoire concernant les mâts du Canada, par Dumont de Blaignac, de Rochefor (...)

5Il fallut attendre une dizaine d’années pour que de nouvelles initiatives soient prises, sous l’impulsion, cette fois, d’intérêts privés. Les objectifs se précisèrent et l’optimisme s’imposait alors, car le contexte était particulièrement favorable. Le royaume renouait avec sa politique de construction navale, destinée à lui donner la maîtrise des mers : la décennie de paix qui précéda la guerre de la Ligue d’Augsbourg (1688-1697) fut en effet « mise à profit pour gérer, augmenter et modifier les effectifs de la flotte ». Le « rythme de lancement » s’accéléra pour atteindre 17 vaisseaux par an en moyenne, de 1689 à 1693, le début de la guerre ayant entraîné une accélération des constructions, dont « une partie correspond[ait] au renouvellement obligé des vaisseaux vieillis »12. À cela, il convenait d’ajouter les nouveaux besoins nés de la nécessité d’entretenir une flotte plus nombreuse. La Nouvelle-France attirait alors d’autant plus l’attention que les ressources européennes ne suffisaient guère et que les rapports envoyés depuis la colonie ne cessaient de souligner que « l’on [pouvait] tirer des bois du Canada tant pour les matures que pour y batir des navires pour le Roy et procurer des retours à tous les navires […], ce qui soulagera[it] les forets de France qui [étaient] rares pour les beaux bois »13. La priorité semblait donnée aux mâts, dont l’approvisionnement était particulièrement stratégique, mais à condition de savoir les préparer : il est à ce titre significatif qu’un mémoire écrit à Rochefort en 1684 préconisait déjà d’envoyer au Canada un bûcheron pyrénéen, « habile dans la coupe des arbres destinés à faire des mâts »14.

  • 15 ANOM, COL C11A, vol. 55, fol. 380-381v, Mémoire de Malhiot au ministre, de Montréal, octobre 1731.
  • 16 ANOM, COL C11A, vol. 10, « Extrait des réponses aux lettres reçues de Canada, de Versailles, 8 mar (...)

6Au-delà de la préservation des forêts françaises, mises à mal par des coupes trop importantes et par une trop lente reconstitution des stocks, la Marine royale se montrait particulièrement soucieuse de diversifier ses sources d’approvisionnement. Les importations en provenance d’Europe du Nord fragilisaient le dispositif militaire français, car en temps de guerre, l’ennemi pouvait fermer la Manche : la guerre de Hollande (1672-1678) l’avait bien montré. Outre la volonté de réduire – ou tout au moins de limiter – la dépendance du royaume vis-à-vis de ces marchés extérieurs, il s’agissait également de développer l’intérêt du Canada pour les armateurs métropolitains, en leur proposant de nouveaux produits d’importation… tout en fournissant des cargaisons de retour aux vaisseaux royaux venus approvisionner les troupes en vivres, outils, vêtements, armes et munitions ! À ces objectifs s’ajoutaient également des préoccupations mercantilistes, qui demeurèrent présentes dans les esprits jusqu’à la fin de la période française : « éviter la sortie de l’argent hors du Royaume pour l’achat des matures et d’une partie des bois de construction qu’on est obligé d’acheter des étrangers »15. Pour structurer et pérenniser ce trafic, la Marine s’adressa tout naturellement aux négociants rochelais, qui par leurs réseaux marchands et leurs navires contribuaient déjà à l’approvisionnement de l’arsenal de Rochefort : elle leur suggéra de se lancer dans la production et la commercialisation du bois canadien, sachant qu’en Nouvelle-France même, peu d’individus avaient les moyens financiers d’investir dans la construction de scieries16.

Encourager les initiatives privées

  • 17 ANOM, COL C11D, vol. 1, fol. 170-170v, Note sur Chedabouctou et l’habitation de Bergier, s. l., ve (...)
  • 18 ANOM, COL C11A, vol. 111, fol. 201 et 203-203v, « Extraits de la relation du voyage de Pierre Hame (...)

7Quelques affairistes répondirent à cet appel, à l’instar du marchand protestant rochelais Clerbaud Bergier, directeur de la Compagnie de la Pêche sédentaire de l’Acadie, fondée en 1682. Une note administrative, présentant son « habitation », située à Chedabouctou, dans le golfe de Canceau, soulignait ainsi qu’elle était située dans une région abondante en bois, qui ferait de « très beaux et bons mats de navire et autres pièces necessaires pour les vaisseaux »17 : en 1683, Bergier en avait d’ailleurs rapporté deux à La Rochelle, ainsi que « du bordage de chesne », qu’il « a fait visitter […] par le m[aistr]e masteur des vaisseaux du Roy a Rochefort », lequel en avait aussitôt loué la qualité. Mais le pillage du site par les Anglais (1688, 1690) mit un terme à ce projet, déjà mis à mal par les difficultés financières de la société et par ses autres priorités commerciales (dont le trafic des fourrures). La Marine espérait pourtant multiplier le nombre de ses fournisseurs, en leur faisant miroiter de beaux profits et en les assurant d’un débouché sûr et régulier, ce qui devait très certainement lui permettre de tirer les prix vers le bas tout en accroissant ses approvisionnements. Elle encourageait les initiatives et se montrait prête, le cas échéant, à les soutenir matériellement. C’est ainsi, par exemple, que Pierre Hameau, « maître de forges de Bretagne », se vit officiellement commissionné, en 1687, pour identifier les meilleurs bois et « pour aller faire recherche et visite des mines en Canada et l’Acadie ». Après dix-huit mois de périple sur place, il proposa, d’une part, d’établir en Nouvelle-France des « fourneaux et des forges », afin de stimuler l’exploitation du minerai de fer, et, d’autre part, de fournir à Rochefort « toutes sortes de bois pour la construction des navires de Sa Majesté ». Optimiste quant à ses futurs résultats, il entendait alors « fournir des retours a tous les navires qui vont en Canada »18. Ne disposant d’aucun fond, il sollicita une aide financière – des « avances » sur plusieurs années – destinée à lancer les opérations et à recruter un commis et dix-huit ouvriers. Il demanda également le prêt d’une flûte pour transporter hommes, marchandises et outils nécessaires à l’entreprise. La Marine ne répondit toutefois pas à ses attentes, peut-être en raison de difficultés budgétaires, mais surtout parce qu’elle préférait donner sa confiance à des hommes fortunés, bien ancrés dans le milieu du grand commerce maritime, ce qui devait constituer un gage de succès.

8La proposition conjointe de François Hazeur, marchand de Québec, et de Jean Grignon, marchand de La Rochelle, lui apparaissait à ce titre comme plus crédible, mais elle n’eut guère plus de chance. Associés à un autre marchand rochelais, Delorme, ils étaient parvenus à mobiliser dès 1687 les capitaux nécessaires à la fondation d’une scierie à la Malbaie, « lieu […] inaccessible dans le commencement » : en 1690, ils avaient déjà investi une somme considérable – plus de 50 000 livres – dans l’opération, dépensées dans le défrichement des terres, la construction de bâtiments (maisons, granges, « corps et garniture de deux doubles moulins à scie »), le tracé de plusieurs chemins et le salaire d’une trentaine d’ouvriers. La production commença et l’avenir était prometteur : ils pensaient pouvoir fournir tous les ans 30 000 belles planches de 10 à 12 pieds de long, 2 000 bordages de diverses épaisseurs, 800 « demoiselles », 50 à 60 mâts, « et jusque à 100 si on [la Marine] en veut faire la depanse ». Mais le premier envoi, en 1689, se solda par un échec : la Louise, transportant des planches ainsi que trois mâts destinés à servir d’échantillon, fit naufrage à Gaspé. En 1690, de violentes inondations et une attaque anglaise entraînèrent la perte d’une grande partie des stocks et endommagèrent les infrastructures. Les associés durent surtout faire face à de sérieuses difficultés de transport : en 1692, il leur restait « sur les bras grand nombre de planches, bordages et meme des masts de navires, dont ils ne [pouvaient] trouver la consommation faute de vaisseaux capables de les transporter en France », comme le souligna l’intendant de la Nouvelle-France, Jean Bochart de Champigny. Armateurs, négociants et capitaines de navire rechignaient à charger leur bois, non seulement en raison des aménagements spécifiques que cela supposait à bord des navires, mais aussi parce qu’ils préféraient embarquer les autres productions canadiennes, à commencer par les peaux et fourrures. Sauf à leur faire « payer un fret sy grand qu’il absorberoit la valeur de leurs esfects [profits] », ce que les intéressés ne pouvaient accepter.

Faire face aux déficiences des compagnies privées

  • 19 ANOM, COL C11A, vol. 11, « Mémoire que présente François hazeur […] à Monseigneur de Champigny […] (...)
  • 20 ANOM, C11A, vol. 10, « Extrait des réponses aux lettres reçues de Canada… », de Versailles, 8 mars (...)

9Champigny a tenté de leur venir en aide, en demandant au roi qu’on les gratifiât pendant deux ou trois années d’une flûte destinée à transporter le bois « dans les ateliers de sa Majesté » et à ramener au Canada « les choses nécessaires pour la continuation et le soutien de cette entreprise ». Soulignant combien la Couronne avait beaucoup dépensé « aux monts piranée [Pyrénées] pour avoir des mats qui ne se sont pas trouvez bons n’aprochant pas de la force ny de la bonne qualité des nostres », il préconisa également de payer « lesdits mats et bois sur un pied raisonnable et non pas sur les mémoires qu’on les prenoit des hollandois » ; un bon prix – bien supérieur à celui du marché européen – qui devait contribuer, du moins dans un premier temps, à soutenir cet établissement, à indemniser ses propriétaires et à rassurer d’autres investisseurs potentiels19. Mais sans succès. Si en 1688, le roi assurait encore les Rochelais de leur donner « toute la protection et le secours » dont ils auraient besoin pour développer leur activité forestière sur place20, la guerre de la Ligue d’Augsbourg (1688-1697), qui venait d’éclater, exigeait désormais de nouvelles priorités sur le plan comptable. La société ne survécut pas à ses pertes. Ce fiasco financier allait décourager pendant de longues années les autres initiatives privées – déjà trop peu nombreuses – et obliger la Marine à organiser elle-même directement son approvisionnement, en contrôlant l’ensemble du processus : de l’identification des gisements boisés à l’embarquement pour la France, en passant par la coupe des arbres et leur acheminement à Québec.

  • 21 Ils avaient estimé que « la qualité de ce bois [était] très bonne et que c’[étai]t du meilleur que (...)
  • 22 ANOM, COL C11A, vol. 11, fol. 279-280, « Procès-verbal de la visite des bois de la Malbaie, de bai (...)
  • 23 Id.
  • 24 Service Historique de la Marine (SHM, Rochefort-sur-Mer), 1E36, fol. 457, Le ministre à Bégon, de (...)

10En 1688 déjà, peut-être avec l’objectif de soutenir l’initiative précédente, deux maîtres-charpentiers (Barisson et Angibault) avaient été envoyés depuis Rochefort à la Malbaie pour y juger de la qualité des bois (pin rouge pour les mâts et chênes blancs pour planches et bordages)21 : ils avaient effectué un rapport à l’intendant qui s’était empressé d’en référer ensuite au ministère de la Marine et des Colonies. Tous trois préconisaient l’envoi chaque année, et ce dès 1689, d’une grande flûte de 500 à 600 tonneaux qui, à l’aller, pourrait apporter des provisions pour les troupes basées en Nouvelle-France et « autres choses qu’il plaira[it] au Roy d’envoyer en ce pays ». Cela permettrait de répondre à une demande accrue en bois, du côté rochefortais, et, par la même occasion, aux besoins défensifs de la colonie. Il s’agissait bel et bien d’amortir au mieux les coûts d’armement et d’éviter que les vaisseaux royaux ne partissent ou ne revinssent à vide à Rochefort. À l’été 1691, De Champigny, poursuivant sa politique volontariste, dépêcha François Sauvin (maître-charpentier de navire) et Charles Chaviteau (capitaine du vaisseau du roi L’envieux) à la Malbaie, à Baie-Saint-Paul et à l’île-aux-Coudres pour identifier tous les gisements de « bois propres a la construction des vaisseaux du roi » : ils y trouvèrent notamment « des arbres de pin rouge propres a faire des mats aux plus forts vaisseaux qui soient en France ». Et De Champigny de plaider la cause canadienne – celle du développement économique de la colonie – qui, selon lui, rejoignait les intérêts de la Marine. Sûr de son argumentation, il envoya d’ailleurs des échantillons à Rochefort, aussitôt chargés sur L’envieux, en précisant que ce « bois [était] ployant et peu cassant » : « cinq moyens mats de pin rouge, de tres beaux bordages et planches pris a la Malbaye qui en feront connoistre la qualité ». Il appela la Cour à engager « un peu de depense dans ces lieux » afin de « trouve[r] tous les mats necessaires sans chercher ailleurs, estans beaucoup meilleurs que ceux des monts pirannees [Pyrénnées] qui [étaient] très cassans et dont la depense a esté considerable ». Il proposa également de remettre en état le fourneau installé à Baie-Saint-Paul par son prédécesseur, convaincu de pouvoir ainsi fournir « du goudron bien meilleur que celuy de Norvegue [Norvège] », si la Couronne décidait d’envoyer « un bon maistre experimenté pour cela ». Et de prendre l’exemple du roi d’Angleterre qui aurait « fait une depense proche de Boston de plus de 50 000 pistolles pour avoir des mats, planches, bordages et goudron », que les Anglais « [avaient] maintenant en nombre suffisant pour entretenir toute l’Angleterre et autres lieux, aussi bien que dans toutes les isles [des Antilles] »22. Soutenu par sa hiérarchie, De Champigny commença à organiser durant l’hiver 1691 la coupe à Baie-Saint-Paul, officiellement parce que le site « [était] plus facile et de moindre depence [dépense] qu’à la Malbaye », mais très certainement pour ne pas concurrencer l’entreprise de François Hazeur, alors en grande difficulté, et dont il espérait encore la reprise. Il projetait notamment de produire trente beaux mâts, « propres aux plus gros navires du Roy », qui devaient être chargés l’année suivante, aux côtés de ceux de Hazeur, dans une flûte que l’on dépêcherait depuis Rochefort, et « a laquelle on observera[it] de faire un grand sabord pour embarquer lesdits masts »23. Mais en 1692, aucun de ces bois n’avait pu être embarqué, « les mauvais temps [ayant] empesché de charger les vaisseaux ». De longues semaines étaient nécessaires pour aménager et charger ces navires : pour qu’ils puissent repartir avant fin octobre/début novembre, ils devaient arriver à Québec en août au plus tard. Il fallut attendre deux ans pour que des mâts, « que M[onsieur] de Champigny a fait couper », arrivassent à Rochefort, après que le roi eut envoyé la flûte La Charente à Québec : armée en guerre, elle devait à l’aller escorter d’autres navires venus approvisionner la colonie. A son retour, le secrétaire d’État à la Marine, Louis Phélypeaux, comte de Maurepas, exigea un examen de ces bois pour en déterminer la qualité24 et pérenniser ou non ce trafic.

Le temps de la consolidation (c. 1698-1719)

Concilier les intérêts de la Marine et ceux de la colonie

  • 25 Acerra M., op. cit., t. 1, p. 211, 224-225.
  • 26 ANOM, COL C11A, vol. 120, fol. 70-74, Extrait d’une lettre de l’intendant Jean Bochart de Champign (...)
  • 27 ANOM, COL C11A, vol. 18, Lettre de Callière et Champigny au ministre, de Québec, 18 octobre 1700.
  • 28 Dièreville, Voyage à l’Acadie (1699-1700), introduction et notes par Melvin Gallant, Moncton, Les (...)
  • 29 ANOM, COL C11G, vol. 2, fol. 38-38v°, Lettre de Pontchartrain à Antoine-Denis Raudot, de Versaille (...)

11Les difficultés financières, la conduite des opérations maritimes et le désastre de La Hougue (mai 1692) – handicapant les possibilités de la Royale en matière de construction navale et de transport maritime – allaient durant quelques années mettre en sourdine cette politique, même si elle ne fut pas abandonnée officiellement. Le rythme de construction de navires royaux s’effondra à seulement 5 unités par an à partir de 1694, avant de remonter à 8 vaisseaux par an en moyenne de 1702 à 1707, c’est-à-dire au début de la guerre de Succession d’Espagne25. En dépit de budgets limités, une timide reprise se lit toutefois dans les mois qui suivirent la paix de Ryswick (1697) : elle entraîna un intérêt renouvelé – avec quelque succès cette fois – pour le Canada. En 1698, 72 mâts, chargés sur deux flûtes royales, furent ainsi envoyés à Rochefort depuis Québec, 56 autres – « qui n’[avaient] pu estre chargés » – attendant un prochain embarquement : leur exploitation sur place avait coûté plus de 8 880 livres. Ce trafic apparaissait d’autant plus prometteur que ces bois étaient alors jugés, par les instances ministérielles, comme étant « de meilleur marché que ceux qu’on achept[ait] ailleurs26 », les experts rochefortais venant en outre de confirmer leur excellente qualité. En 1700, ce sont 13 autres mâts qui furent envoyés en métropole, d’autres attendant la venue d’une nouvelle flûte27. Les autres colonies d’Amérique du Nord étaient également mises à profit, comme en témoigne l’arrivée, la même année, de L’Avenant à Rochefort : venu apporter « les provisions de guerre et de bouche que Plaisance et le fort de la rivière Saint-Jean [recevaient] tous les ans », ce vaisseau du roi s’était ensuite rendu « au Port-Royal pour y charger trente ou quarante beaux mâts que les habitants fournissaient au roi, et les joindre à ceux que quatorze charpentiers et mâteurs [fabricants de mâts], entretenus par Sa Majesté, avaient embarqués à la rivière Saint-Jean »28. Parfaitement conscient des enjeux, le secrétaire d’État à la Marine Pontchartrain suivait personnellement les opérations et s’informait, de temps à autre, sur la bonne qualité des bois, comme celle de ces mâts venus d’Acadie en 1701. Ce trafic se poursuivit durant quelques années encore, comme l’atteste l’arrivage de mâts acadiens, sur la flûte La Loire, en 1705, fournis par des particuliers. Le contexte semblait tellement porteur qu’il avait même incité le sieur Pascaud, un affairiste bien connu des historiens, à proposer à la Marine de transporter en France des mâts et autres bois « pour les vaisseaux du roi »29.

  • 30 ANOM, COL C11A, vol. 17, fol. 300-310v°, Mémoire de Guigues au ministre, s. l., 1699.
  • 31 ANOM, COL C11A, vol. 19, fol. 282-283, « Mémoire sur le commerce des chanvres en Canada », s. l., (...)
  • 32 ANOM, COL C11A, vol. 6, fol. 81-92v°, Lettre de Meulles au ministre, de Québec, 12 novembre 1682.

12Face à la fameuse « crise des fourrures » (surproduction/surplus, effondrement des prix) qui marqua la fin du XVIIe siècle, des voix s’étaient élevées pour demander une diversification de l’économie coloniale, les besoins de la Royale apparaissant alors comme une alternative crédible aux déficiences et aux faiblesses du système commercial canadien. Un mémoire s’en fit l’écho dès 1699 : « La colonie n’a-t-elle [été] établie que pour le seul commerce du castor, n’a-t-elle pas les mats, les bois de construction, les godrons, les chanvres, les bleds et la pesche en abondance, pourquoy faut-il que la plus saine partie de ce peuple passe sa vie a courir les bois chez les sauvages pour y aller chercher de quoy faire des amas prodigieux de castor et qui surpassent la consommation qu’on en peut faire d’ailleurs ?30 » L’intendant François de Beauharnois trouvait là de précieux arguments pour développer de nouveaux secteurs d’activités. Il en profita ainsi pour initier la production de chanvre et de lin en 1702-1703, par la distribution « gratuite aux habitans de ce pays » des premières graines, « pour le service du roi », et après qu’il eut demandé aux autorités rochefortaises (intendant Michel V Bégon), avec l’aval du secrétaire d’État à la Marine, de lui en fournir 15 boisseaux31. L’un de ses prédécesseurs, Jacques de Meulles, en avait déjà préconisé – en vain – le développement vingt ans plus tôt : il voulait même obliger les habitants à en semer. Il avait également imaginé d’établir une corderie à Québec et de « faire des toiles », tout en espérant qu’un jour on expédiera[it] des chanvres à Rochefort à un prix inférieur au chanvre auvergnat, alors importé par l’arsenal32.

  • 33 ANOM, COL C11A, vol. 26, fol. 176-219v°, Lettre de Jacques et Antoine-Denis Raudot au ministre, de (...)
  • 34 ANOM, COL C11A, vol. 29, fol. 190-192, Résumé d’une lettre de Bégon, s. l., 8 janvier 1708.

13C’est dans le même esprit que la fabrication de goudron fut relancée à Baie-Saint-Paul, au printemps 1707, sous la houlette d’un maître-goudronnier et de « trois garçons » (ouvriers spécialisés), envoyés au Canada l’année précédente, par l’intendant de Rochefort Michel Bégon, avec des salaires confortables (40 livres par mois pour le maître, 30 livres pour chacun de ses assistants) et sur les propres fonds de l’arsenal. Dès l’automne, ce sont ainsi 52 barriques qui furent envoyées à Rochefort, le goudron, « qui ne brulera point le cordage » sur lequel il serait apposé, étant alors jugé « plus beau que celuy [d’Europe] du Nord »33. Un autre envoi de 102 barriques fut aussitôt programmé pour 1708. Ces ouvriers spécialisés avaient aussi pour mission d’« apprendre a faire le goldron » aux habitants, afin d’en développer la production dans les années suivantes34.

  • 35 Id.

14Il est significatif que d’autres produits furent encouragés, qui laissaient présager de substantielles économies pour les finances royales, en évitant les intermédiaires français ou étrangers. À Rochefort, une partie de l’éclairage allait ainsi être assurée par les huiles canadiennes, « l’huille de loup marin, qui ne sent point et qui fait une fort belle lumière », étant préférée à « l’huille de marsouin [qui a] une odeur tres mauvaise ». Au-delà des besoins de la Marine et de la limitation des importations « des huiles de Hollande », l’administration estimait que l’usage de ces huiles « dans les ports » (Rochefort et le « port Louis ») permettrait de « soustenir [par la même occasion] la pesche qui s’en fai[sai]t dans le fleuve St-Laurent [et] qui [était] utile pour la colonie »35, c’est-à-dire pour son développement économique.

Des difficultés persistantes

  • 36 Id.
  • 37 ANOM, COL C11A, vol. 26, fol. 176-219v°, Lettre de Jacques et Antoine-Denis Raudot au ministre, de (...)
  • 38 Acerra M., op. cit., t. 1, p. 224-225.

15Cela n’interdisait toutefois pas, et à juste titre, certaines interrogations quant à la rentabilité de ces échanges. Si la qualité du bois canadien était célébrée par la plupart des observateurs, on peut en effet percevoir des hésitations sur le plan financier : en 1707, par exemple, le « pied cube » de bordage coûtait certes 15 sols en moyenne au Canada, soit moins qu’en métropole, mais « en y augmentant le fret » (transport, chargement, etc.), il revenait à plus de 3 livres tournois quand il arrivait en France. Il s’agissait là d’un prix d’importation fort élevé, car le « pied cube » de bordage métropolitain « ne cout[ait] rendu a Rochefort que depuis 20 sols jusqua 30 sols »36, soit entre 1 et 1,5 livre tournois ! Le bois canadien valait donc à l’importation de 2 à 3 fois plus cher que le bois français. Quoi qu’il en soit, l’administration semblait alors disposée à en soutenir financièrement la production et la commercialisation, tant les enjeux pour le royaume et sa colonie étaient importants. C’est pourquoi les autorités coloniales préconisèrent en 1707 l’envoi au Canada, chaque année, d’une « flutte du Roy […] pour y chercher des mats, planches et bordages »37. Mais cette recommandation resta une nouvelle fois lettre morte, du fait de la conjoncture internationale, et bien que du bois acadien parvint à Rochefort cette année-là. Les envois allaient vite s’estomper et l’on ne compte plus guère qu’une arrivée… de charbon de terre acadien en 1708, aux côtés d’une cargaison de goudron ! Une fois de plus, la guerre, « la rareté des navires » venant en Nouvelle-France et les difficultés budgétaires mirent un terme à cette première période d’intense relation entre le Canada et Rochefort : la guerre de Succession d’Espagne (1701-1713) s’éternisait, les transports maritimes redevenaient par trop aléatoires (course active) et les navires du roi étaient mobilisés à d’autres tâches. La « politique de construction navale » était elle-même à nouveau « déficiente » et, après 1713, « l’absence de politique prévisionnelle de remplacement des unités vieillies » ou disparues pendant le conflit, constituait un autre frein à l’activité des arsenaux38.

  • 39 ANOM, COL C11A, vol. 36, fol. 155-156, « État de diverses dépenses depuis 1711 », de Québec, 10 no (...)
  • 40 ANOM, COL C11A, vol. 45, fol. 265-266, « État de la dépense qui a été faite », 10 février 1717. Il (...)
  • 41 ANOM, COL C11A, vol. 36, fol. 155-156, « État de diverses dépenses depuis 1711 », de Québec, 10 no (...)
  • 42 Acerra M., op. cit., t. 1, p. 229.
  • 43 Ibid., p. 230-231.
  • 44 Décision prise après réception d’une lettre de Vaudreuil et de Bégon, datée du 20 octobre 1717, at (...)
  • 45 Le départ du navire du roi se fait généralement en septembre-octobre, depuis Québec, après que l’o (...)

16La faiblesse des importations de bois canadien, dans les années suivantes, en témoigne : de 1713 à novembre 1719, les dépenses faites « pour les mats et autres bois » ont été inférieures à 15 000 livres tournois seulement39, l’année 1716 ayant à elle seule absorbé une grande partie de cette somme. La paix retrouvée avait en effet permis l’envoi d’un vaisseau royal, le François : il revint à Rochefort avec une cargaison de bordages (de chêne et de pin), de planches et de goudron (100 barils), pour une valeur totale de 3 355 livres, à laquelle s’ajouta une dépense de près de 3 543 livres correspondant aux frais de chargement à Québec (1 010 livres), à l’achat de vivres pour l’équipage durant leur séjour sur place (2 466 livres) et aux soins apportés aux malades (67 livres)40 ! Il faut dire que la colonie avait alors d’autres priorités : elle était notamment sujette à la fameuse « guerre des Renards », qui absorbait l’attention des autorités et qui aurait coûté pour les seules années 1715 et 1716 quelque 55 126 livres41. La période n’était par ailleurs pas propice à la construction navale. Les finances du royaume avaient été mises à mal par la guerre de Succession d’Espagne, la Marine souffrant alors des « réductions budgétaires » et de la nouvelle politique – d’apaisement – menée par la Régence à l’encontre de l’Angleterre. L’arsenal de Rochefort entra en « léthargie », comme ses homologues de Brest et de Toulon : ses activités étaient réduites et les « vaisseaux à l’amarre » délabrés42. Le royaume lançait désormais moins d’un vaisseau par an en moyenne. La reprise en matière de construction, associée aux initiatives du ministre Maurepas, « véritable réformateur de la marine », et à un « renouveau d’intérêt pour la flotte de guerre », survint aux débuts des années 1720, avec un véritable sursaut en 1722-1724 et 1727-172843. On en perçoit déjà les prémices dès l’année 1719, quand le Conseil de Marine44 (3 juin) décida d’envoyer tous les ans, à Québec, une flûte pour le transport des goudrons, mâts, bordages, madriers, plançons de bois et autres planches45 : c’était un véritable pont commercial qui se mettait ainsi en place, pérennisant des échanges jusqu’ici marqués par une grande irrégularité et une instabilité chronique.

  • 46 ANOM, COL C11A, vol. 26, fol. 176-219v, Lettre de Jacques et Antoine-Denis Raudot au ministre, de (...)
  • 47 Le navire du roi devait théoriquement arriver à Québec en juillet et repartir au plus tard fin oct (...)
  • 48 ANOM, COL C11A, vol. 41, fol. 31-38, Résumé d’une lettre de Bégon datée du 25 octobre 1719 et déli (...)

17Il s’agissait de remédier à l’une des principales faiblesses du dispositif d’approvisionnement de l’arsenal : l’absence de régularité dans la venue des vaisseaux du roi explique que les mâts devaient parfois attendre deux ou trois ans avant leur embarquement, raison pour laquelle ils « se gatt[aient] », y compris ceux de Baie-Saint-Paul pourtant jugés « d’une très bonne qualité »46, d’où des pertes financières importantes. Il est vrai que les espoirs, en matière de transport, qui avaient été placés sur le port voisin de La Rochelle par les responsables de l’arsenal, n’avaient pas donné les effets escomptés. Les Rochelais, qui avaient alors la haute main sur le grand commerce canadien, n’avaient guère répondu à cette attente : ils frétaient certes au roi, mais seulement pour les voyages allers, se réservant généralement le choix des cargaisons de retour dans les contrats qu’ils passaient avec l’administration : ils préféraient centrer leurs efforts sur l’importation des seules huiles et pelleteries, ou bien effectuer un détour par les Antilles. Quoi qu’il en soit, le vaisseau du roi vint désormais chaque année à Québec, et ce jusqu’à la guerre de Sept Ans47. C’est le Chameau qui allait initier cette politique dans les mois suivants, en transportant, lors de son premier voyage, 147 barils de goudron, 565 planches, 22 bordages et 866 madriers pour le roi, provenant, semble-t-il, de Baie-Saint-Paul. Mais les mâts, arrivés trop tard à Québec, n’avaient pu être embarqués cette année-là48.

Les années 1720-1730 : un trafic actif, des résultats prometteurs…

Des envois annuels, bien qu’irréguliers en valeur et en volume

  • 49 Id.
  • 50 ANOM, COL C11A, vol. 29, fol. 190-192, Résumé d’une lettre de Bégon, à Rochefort, 8 janvier 1708 e (...)

18D’autres initiatives se firent jour au même moment, sous l’impulsion notamment de l’intendant Michel Bégon de La Picardière. Mettant en avant les difficultés qu’il rencontrait pour développer la culture du chanvre, ce dernier souligna la nécessité d’encourager, par une incitation financière, les habitants à en semer, car ils « ne s’y attach[ai]ent pas par le peu davantage qu’ils y trouv[ai]ent »49. Il avait en mémoire les échecs de ses prédécesseurs : en 1707, quand la production était encore balbutiante, le chanvre valait tout au plus 10 à 12 livres le quintal, prix d’achat insuffisamment élevé pour stimuler la production. Avec les frais de stockage, d’emballage, de chargement, de transport et d’assurances, il coûtait alors autour de 20 livres tournois à son arrivée en métropole, ce qui le mettait toutefois sur un pied d’égalité avec les chanvres français50.

  • 51 ANOM, COL C11A, vol. 43, fol. 74-87, Mémoire au Conseil de Marine daté du 8 octobre 1720, de Versa (...)
  • 52 ANOM, COL C11A, vol. 43, fol. 332-335v°, Résumé d’une lettre de Bégon datée du 8 octobre 1721, de (...)
  • 53 ANOM, COL C11A, vol. 50, fol. 428-435v°, Lettre de Maurepas à Dupuy, de Versailles, 11 mai 1728.
  • 54 ANOM, COL C11A, vol. 43, fol. 332-335v°, « Résumé d’une lettre de Bégon datée du 8 octobre 1721 », (...)
  • 55 ANOM, COL C11A, vol. 45, fol. 205, « Facture des bois et autres effets chargés sur la flutte du Ro (...)
  • 56 Il s’agit là de la quantité de chanvre arrivé à Rochefort, sur les 166 860 livres (poids) embarqué (...)

19En homme avisé, Bégon préconisa d’imiter les « colonies angloises de Boston et de la Nouvelle York » qui eurent un certain succès en la matière, approvisionnant ainsi les « magasins du Roy d’Angleterre » : la recette reposait tout simplement sur un prix initial d’achat (jusqu’à 100 livres le quintal) bien supérieur au prix du marché ; ce prix ayant lui-même baissé par la suite au fur et à mesure que la production s’étendait51. Son argumentation porta ses fruits car, dès 1721, il pouvait annoncer aux habitants de toutes les paroisses que « le prix du chanvre leur sera[it désormais] payé à 60 livres le quintal », soit près de trois fois plus cher qu’en métropole, et qu’ils étaient assurés d’écouler toute leur production auprès du roi52, le chanvre n’étant par ailleurs pas assujetti à la dîme (à l’instar du lin ou du tabac)53 ! Il espérait, à juste titre, que ce prix d’achat stimulerait l’ardeur des paysans à le cultiver, sinon « il ny aura plus que d’attendre qu’il y ait des nègres dans la colonie ». Il distribua pour ce faire 30 barriques de graines aux « meilleurs habitans qui seront dans le dessein de le bien cultiver »54. La première livraison eut lieu à Rochefort en 1723, avec l’envoi de 1 644 livres (poids) de chanvre pour une valeur de 986 livres tournois55. La politique ainsi menée porta rapidement ses fruits, les envois de chanvre augmentant considérablement dans les années suivantes : 5 794 livres (poids) en 1724, 21 600 livres en 1727, pour culminer à plus de 132 260 livres en 173056 (soit 3 476 livres tournois en 1724 et 12 960 en 1727, pour 58 648 en 1730).

  • 57 Il s’agit très certainement de copies du « Mémoire concernant la façon de tirer la raisine, bray e (...)
  • 58 ANOM, COL C11A, vol. 55, fol. 88-93v°, Lettre de Hocquart au ministre, de Québec, 14 octobre 1731.
  • 59 ANOM, COL C11A, vol. 61, fol. 173-179, Lettre de Beauharnois et Hocquart au ministre, de Québec, 1 (...)
  • 60 ANOM, COL C11A, vol. 55, fol. 13-13v°, Ordonnance de l’intendant Hocquart, de Québec, 22 août 1731
  • 61 ANOM, COL C11A 64, fols. 87-97v°, Lettre de Hocquart au ministre, de Québec, 15 octobre 1735.

20Si Bégon veilla aussi à l’approvisionnement de l’arsenal en goudron, ce sont surtout ses successeurs qui en développèrent la production (envois annuels, à l’exception semble-t-il de 1725 et de 1729, en raison des naufrages du vaisseau du roi). Aux côtés de Baie-Saint-Paul, apparurent ainsi deux autres centres de production : Kamouraska et Chambly. Brais et résines attiraient également l’attention de l’administration coloniale, la Marine faisant état de besoins croissants. Dans le but d’en améliorer la préparation, de la documentation fut diffusée auprès des producteurs, à l’instar de ces « copies des mémoires instructifs de Mrs Miton [Mithon] et d’Erchigny pour la fabrique du bray et goldron »57. L’intendant Gilles Hocquart offrait même des « facilités [matérielles et financières] pour la construction de leurs fourneaux » à ceux des habitants qui voulaient se lancer dans la production de goudron ; ou de « chaudières » pour ceux qui voudraient produire des brais58. En 1734, des colons de Baie-Saint-Paul se mirent ainsi à produire du brai sec, des résines et de l’huile de térébenthine, après que « l’écrivain du roy » Médard-Gabriel Vallette de Chévigny les eut instruits sur le plan technique59. Il avait lui-même été mandaté trois ans plus tôt, par l’intendant Hocquart, pour visiter « les bois propres a faire du goudron, du brai et de la résine dans les régions de Berthier, Sorel, Chambly, Yamachiche, Saint-François et Sainte-Anne »60. En 1735, c’est la région de Montréal qui fut intéressée à ces productions, ce qui laissait entrevoir par la même occasion de nouveaux envois en direction de la métropole, tout en répondant aux besoins croissants de la construction navale (civile puis militaire) à Québec. Cette année-là, ce sont près de 400 barils de goudron – confectionné par les habitants de Baie-Saint-Paul, de la Rivière Ouelle et de Chambly – qui furent livrés à Rochefort, via les magasins du roi à Québec, ainsi que 350 livres de térébenthine « très propre pour conserver les hauts des vaisseaux et pour entretenir leur mâture »61. Jamais les envois n’avaient été aussi importants, si l’on en juge par les chiffres des années précédentes : 148 barils de goudron en 1720 (à 20 livres tournois pièce), 119 en 1721, 126 en 1723, 180 en 1724, 113 en 1727, 128 en 1730. Et si l’arsenal ne reçut que 60 barils en 1731, il en importa 109 dès l’année suivante, l’accroissement rapide de la production permettant de répondre aux attentes des deux grands foyers de consommation : 226 furent expédiés en 1733, environ 250 en 1738, 408 en 1743, 200 en 1749, les niveaux de livraison restant globalement élevés en dépit de variations conjoncturelles parfois importantes (98 barils « seulement » en 1740). La Couronne déboursait ainsi chaque année entre 1 500 et 5 000 livres tournois pour ces goudrons, avec une dépense moyenne qui oscillait entre 2 500 et 3 000 livres.

  • 62 Id.

21Quelques autres produits avaient certes la faveur des autorités militaires, mais ils empruntaient généralement les circuits commerciaux habituels, à l’instar des « peaux » canadiennes préalablement travaillées dans les chamoiseries du Poitou. Et si en 1735, le vaisseau du roi apporta à Rochefort 60 barriques d’« huiles de poisson », provenant des « traites de Tadoussac » – quantités « suffisantes pour la consommation d’une année » après stockage dans les magasins de l’arsenal –, il s’agissait d’une exception (comme les 100 barriques envoyées en 1747), peut-être due à une opportunité financière : le prix de la barrique n’était cette année-là que de 54 livres tournois, alors qu’elle « cout[ait] ordinairement en France 100 livres »62 ; d’où une belle économie pour la Marine. Il est vrai que les administrateurs royaux se montraient souvent soucieux des intérêts financiers de la Couronne.

Approvisionner la Marine : l’appel aux particuliers

  • 63 Acerra M., op. cit., t. III, p. 534.
  • 64 ANOM, COL C11A, vol. 29, fol. 2-15v°, Lettre de Ramezay au ministre, s. l., 1708.
  • 65 ANOM, COL C11A, vol. 45, fol. 198-201v°, Lettre de Bégon au ministre concernant les conditions du (...)
  • 66 ANOM, COL C11A, vol. 43, fol. 74-87, Mémoire au Conseil de Marine daté du 8 octobre 1720, s. l., r (...)
  • 67 Un certain François Léger fournit par exemple dix mâts pour 400 livres tournois en 1731.
  • 68 Meyer J. et ACERRA M., Histoire de la Marine française, Rennes, Editions Ouest-France, 1994, p. 81
  • 69 ANOM, COL C11A, vol. 113, fol. 399-402, « Compte […] que rend […] le sieur Nicolas Lanouillier […] (...)
  • 70 ANOM, COL C11A, vol. 45, fol. 205, « Facture des bois et autres effets chargés sur la flutte du Ro (...)

22Très vite, s’était posée la question de la passation de marchés généraux avec de riches particuliers, qui devaient s’engager à préparer puis à acheminer à Québec les matériaux demandés par la Marine, avant l’arrivée du vaisseau du roi. En contrepartie, ils étaient assurés d’écouler, année après année, leur production auprès du roi. L’intendant Bégon était convaincu que cela permettrait à la Marine de s’assurer une relative régularité en matière d’approvisionnement. Le modèle avait déjà fait ses preuves en métropole. Il devait théoriquement permettre d’homogénéiser les envois vers Rochefort, de les programmer sur plusieurs années, pour mieux répondre aux attentes de l’arsenal, et d’assurer « le fond de roulement prévisionnel en bois de construction »63. Le premier à en bénéficier était un serviteur de l’État, Monsieur de Ramezay. Gouverneur de Montréal, il s’était déjà montré à plusieurs reprises soucieux de concilier les intérêts de l’État… avec les siens ! En 1707 semble-t-il, il avait envoyé à Rochefort, « pour essay », des planches jugées d’une aussi bonne qualité « que celles quy viennent du Nord ». En 1708, il en fit préparer 3 000 et demanda un navire pour le transport64. Mais la guerre mit temporairement un terme à son initiative : il dut attendre 1720 pour que la royauté acceptât de signer avec lui un « traitté » pour la « fourniture pendant six ans de mâts d’épinette blanche, bordages de chesne et de pin et planches de pin ». Le marché fut en fait conclu pour trois ans et renouvelé en octobre 1723 pour une durée identique65. Les mâts furent d’emblée retirés de ce contrat, après que l’intendant Bégon eut demandé à Ramezay de ne pas en fournir « parce qu’il en rest[ait] a Québec plus qu’on n’en pourra[it] embarquer sur les deux fluttes que Monsieur de Vaudreuil [le gouverneur] et lui propos[ai]ent d’y envoyer en 1721 »66. Dans les années suivantes, ils continuèrent à échapper aux marchés successifs, à quelques exceptions près67, peut-être en raison des difficultés (et des surcoûts) de transport qu’ils occasionnaient, mais aussi et surtout du fait de leur fragilité, la Marine voulant vraisemblablement conserver un étroit contrôle sur leur coupe et leur qualité. Quoi qu’il en soit, dès 1722, Ramezay livra au port de Rochefort pour près de 8 089 livres tournois de bois, année qui marqua véritablement la reprise de la construction navale en métropole68. Si ces importations représentaient seulement 1,99 % du total des dépenses royales (administration, défense) dans la colonie, qui s’élevaient alors à quelque 406 158 livres69, elles n’en demeuraient pas moins stratégiques. En 1723, ses ventes en bois s’élevèrent à 4 876 livres tournois : 380 bordages de pin « de différentes longueurs, espaisseurs et largeurs », 2 144 planches de pin « de 8 pieds de long », 9 madriers de pin « de 2 pouces », 1518 « pieds cubes en 111 pouces de bordage de chesne »70.

  • 71 ANOM, COL C11A, vol. 50, fol. 253, « état de la lettre de change tirée par Lanouiller sur M. de Se (...)
  • 72 ANOM, COL C11A, vol. 57, fol. 231-237v, Lettre de Beauharnais et Hocquart au ministre, de Québec, (...)
  • 73 ANOM, COL C11A, vol. 76, fol. 54, « État des bordages et planches en bois d’épinette […] », par Ho (...)

23À partir de 1728, ce fut au tour d’un affairiste bien connu, l’abbé Lepage de Sainte-Claire, de fournir des bois de construction à l’arsenal, essentiellement des bordages (455 livrés, par exemple, à Québec en 1729, en vue de leur embarquement pour Rochefort)71. Son contrat, « pour des proportions et assortimens pareils a ceux » des Ramezay, fut ensuite renouvelé avec la bénédiction d’une administration particulièrement soucieuse de son bon fonctionnement. L’intéressé était en effet réputé pour sa fiabilité et la qualité du travail fourni, ses ouvriers se pliant aux demandes précises de la Marine (équarrissage, taille et façonnage des bois) : en octobre 1732, Hocquart se désola que « l’indisposition du sieur Lepage ne luy a[it] pas permis descendre a Québec » pour signer un nouvel engagement. L’intendant entendait le convaincre, et à défaut de trouver « quelqu’autre pour faire des fournitures afin que le vaisseau du Roy ne s’en retourn[ât] point a vide l’an prochain »72. Par l’entremise de son « commissionnaire » au Canada, Bégon lui-même n’hésita pas à se lancer dans ce commerce : entre 1734 et 1742, il fit ainsi expédier à Rochefort, chaque année, sur le vaisseau royal, des bordages et des planches provenant de ses propres moulins à scie ; bois qui étaient stockés dans les magasins du roi avant leur envoi : 5 000 planches et 272 bordages en 1735 par exemple ; 8 771 planches et 193 bordages en 174073.

  • 74 Le goudron ainsi fabriqué revenait en 1729 à plus de 43 livres le baril, « ce prix estant [alors] (...)
  • 75 ANOM, COL C11A, vol. 55, fol. 13-13v, Ordonnance de l’intendant Hocquart, de Québec, 22 août 1731.

24Ces contrats furent étendus à d’autres produits. Quand, en 1731, Chévigny reçut l’ordre de promouvoir la production de goudrons, de brais et de résines au Canada, il avait la possibilité de conclure des marchés – jugés « plus avantageux [que] l’envoy du detachement des troupes pour ce service »74 – avec les propriétaires des bois concernés, « a raison de 25 livres le baril de quarante pots »75. Robert Lévesque, avec lequel l’intendant Hocquart contractualisa, fut l’un d’eux, à l’instar du sieur Boucher ; ou de François Léger trois ans plus tard, avec un marché de plus de 3 091 livres tournois. Un certain Le Conte, en 1729-1730, fournit lui-même, dans ce cadre, pour près de 72 000 livres tournois de chanvre.

  • 76 SHM, 1E95, Lettre de L. A. de Bourbon et du maréchal d’Estrée à l’intendant Beauharnois, de Paris, (...)
  • 77 Parmi les neuf hommes engagés à Rochefort en 1720, six perçoivent 500 livres de gage, un 300 et de (...)
  • 78 Pour estimer l’importance de ce bois, il convient de signaler qu’il faut environ « 77 790 pieds cu (...)
  • 79 SHM, 1E96, fol. 42-43, Lettre de L. A. de Bourbon à l’intendant Beauharnois, de Paris, le 12 janvi (...)
  • 80 ANOM, COL C11C, vol. 15, 16 fol., Délibération du Conseil de la Marine sur un extrait de lettre du (...)

25Quelques autres individus apparaissent dans les comptes de la Marine – tels ce Martin Germain de Langlois qui a fourni en 1734 du bois de merisier et d’érable pour 985 livres tournois – afin de combler une pénurie temporaire de certains matériaux ou pour répondre à des besoins spécifiques. Il est à noter que les îles Saint-Jean (île du Prince-Édouard) et Royale (île du Cap-Breton), pourtant riches en bois, n’ont semble-t-il pas fait l’objet d’un quelconque marché avec la Marine. Jean-Antoine, comte d’Agrain, capitaine à l’île Royale, avait pourtant obtenu du Conseil de la Marine, durant l’été 1720, l’autorisation nécessaire pour emmener sur place neuf ouvriers « pour son compte »76. Il en embaucha au total 38, dont « 10 hommes qu’il a[vait] pris dans les prisons de La Rochelle », les candidats au départ étant relativement peu nombreux, même avec la promesse de salaires élevés77. D’Agrain s’était engagé à fournir chaque année 60 000 pieds cubes en quilles et planchons78. Un contrat d’approvisionnement, directement conclu avec le Conseil, fut officiellement signé. Mais les premiers bois (12 000 pieds cubes, semble-t-il, pour une valeur de 5 400 livres tournois) qu’il avait fait embarquer au Port-Dauphin, sur un vaisseau du roi, furent aussitôt rejetés, car « ils n’étoient point des proportions contenües dans son marché »79. D’Agrain ne se découragea pas, mais sa mort prématurée en 1722 mit un terme à cette expérience, personne ne prenant par la suite sa relève. Cela n’empêcha toutefois pas la Marine de s’approvisionner en mâts à l’île Royale, « le roi s’estant [même précocement] réservé les bois de construction qui se trouveront dans [l’] Isle de la Boularderie »80 (près de Baddeck).

  • 81 ANOM, COL C11A, vol. 47, fol. 228-230, Lettre de Bégon au ministre, de Québec, 10 juin 1725.
  • 82 ANOM, COL C11A, vol. 75, fol. 310-317v°, Lettre de Beauharnois et Hocquart au ministre, de Québec, (...)

26Cette préoccupation était constante, même si les envois furent très irréguliers, en raison des difficultés de transport et du manque d’une main-d’œuvre suffisamment qualifiée pour les couper et les tailler. Des expéditions étaient organisées, de temps à autre, pour identifier dans les forêts canadiennes les meilleurs gisements, sélectionner et abattre les meilleurs arbres. En novembre 1724, Monsieur de Tilly fut ainsi envoyé avec un détachement à Baie-Saint-Paul pour y chercher des mâts. En quelques mois, il parvint à en réunir 63, qui « pourr[aie]nt estre envoyés cette année [1725] à Rochefort s’il [venait] icy [à Québec] une flutte de l’Isle Royalle » : ces mâts étaient en effet « propres aux vaisseaux du Roy », à l’exception de 4 ou 5 « qui pourroient servir aux galleres », dont l’administration cherchait également à élargir ses sources d’approvisionnement. Tilly se rendit ensuite « du côté de Montréal » avec le même objectif. Quant à Monsieur de La Ronde, il était au même moment dépêché dans la « Rivière de Richelieu », où l’on avait repéré une « bonne pinière » : il en ramena un « échantillon de deux mats », qui furent ensuite transportés à Rochefort pour juger de leur qualité, avant de repartir pour le Saguenay81. En fait, ce souci d’inventorier puis de protéger les bonnes pinières et chênaies ne se démentit pas tout au long de la période, et ce afin d’assurer « la conservation des bois propres à la construction de vaisseaux »82, comme c’était le cas en métropole.

  • 83 ANOM, COL C11B, vol. 8, fol. 8-20, Messieurs de Saint-Ovide et de Mézy au ministre, de Louisbourg, (...)
  • 84 ANOM, COL C11B, vol. 9, fol. 113-114, Lettre de M. de Mézy au ministre sur le bois de l’Ile Saint- (...)
  • 85 Cette proposition semble faire suite à une expédition menée par la Marine, en 1727-1728, dans la r (...)

27La préparation et l’envoi de ces 63 mâts de Baie-Saint-Paul avaient entraîné une dépense totale de 16 000 livres tournois (coupe, transport vers Québec, etc.). La mobilisation d’une telle somme n’est pas sans expliquer pourquoi les affairistes canadiens hésitaient à se lancer dans ce coûteux trafic : non seulement les bois étaient payés après livraison à Rochefort, mais la Marine était particulièrement exigeante avec ces mâts, rejetant, sans diplomatie aucune, ceux qui étaient jugés de mauvaise qualité : « bois vieux », « coupé[s] de rebut » ou qui « ont été longtemps exposés aux injures de l’air ». C’est peut-être cela qui a mis un terme à la proposition faite à l’île Saint-Jean, en 1726, par le charpentier acadien Le Comte, de « fournir deux cents mats ou matériaux depuis 8 jusques à 18 pouces de diamètre »83. À moins que ce ne soit tout simplement les difficultés de transport et la nécessité de « faire voiturer les matures vers Louisbourg », le navire du roi ne pouvant s’approcher des côtes en raison de la dangerosité des fonds marins84, comme c’était le cas pour la plupart des plus beaux gisements de bois85

Le tournant des années 1730-1740 : le temps des réorientations

Des difficultés endémiques : un environnement contraignant, une nature capricieuse

  • 86 ANOM, COL C11A, vol. 45, fol. 205, « Procès-verbal d’inspection des bois de Mme de Ramezay expédié (...)
  • 87 ANOM, COL C11A, vol. 55, fol. 88-93v°, Lettre de Hocquart au ministre, de Québec, 14 octobre 1731.

28À ces difficultés endémiques, s’ajoutaient d’autres contraintes d’ordre technique. Il est significatif que Rochefort envoyait de temps à autre ses experts pour transmettre connaissances et savoir-faire aux habitants de la colonie. Mais en dépit de cela, les critiques fusaient des deux côtés : aux récriminations des spécialistes de l’arsenal s’opposaient les plaintes canadiennes. En janvier 1728, par exemple, les 71 bordages de chêne envoyés par Madame de Ramezay, dans le cadre du marché contracté par son mari avant sa mort, furent estimés « de mauvaise qualité étant très poreux », tandis que les 31 autres bordages du même bois furent, eux, jugés « être de rebut » et « échauffés », par les officiers du port, les commissaires de la Marine, le garde-magasin et les maîtres-constructeurs de l’arsenal : ils n’ont pu servir « qu’aux réparations des quays »86. En 1731, ce sont les producteurs qui se plaignirent du fait que les bois et les chanvres furent « examinés avec trop de rigueur à Rochefort », alors que le marché – civil – rochelais n’hésitait pas à absorber ceux qui étaient refusés par les militaires87 !

  • 88 ANOM, COL C11A, vol. 61, fol. 173-179, Lettre de Beauharnois et Hocquart au ministre, de Québec, 1 (...)
  • 89 Bibliothèque et Archives du Canada, MG18-H54 3/p. 1585-1588, Fonds de la famille Remezay, Copie d’ (...)

29Les dysfonctionnements en matière organisationnelle, associés aux caprices de la nature elle-même, expliquaient également bien des mécontentements, bien des pertes financières... et bien des irrégularités en matière d’approvisionnement ! En 1726, les mâts, pourtant coupés par l’officier Tilly à Baie-Saint-Paul, n’avaient pu être envoyés en France, car « pourris » : ils n’avaient pas été goudronnés en vue de leur stockage et d’une meilleure conservation ! En 1734, seuls 103 barils de goudron – préalablement stockés dans les magasins du roi à Québec –, sur les 257 prévus, furent embarqués sur le vaisseau du roi, « parce que ces goudrons [étaient] arrivés trop tard »88. Mais cela n’eut guère de conséquences durables. Il en alla autrement des malheurs de la veuve Ramezay. En 1725, un an après la mort de son mari, Claude de Ramezay ne fut ainsi pas en mesure de fournir à Rochefort les bois « portés par son dit marché » : les crues de printemps avaient certes détruit son moulin ainsi qu’une partie des stocks accumulés durant l’hiver, mais c’est surtout la perte du vaisseau du roi, le Chameau, qui l’empêcha d’embarquer ce qu’elle avait pu sauver des eaux et qu’on ne lui avait pas volé. Son propre fils avait péri durant le naufrage : il était venu contracter des « emprunts considérables en France », pour régler certaines dettes et avec l’objectif de faire « des avances aux ouvriers qu’il amenoit avec luy et achepter les ustencilles necessaires pour ces sortes de travaux », montrant combien la famille entendait alors s’investir davantage dans la production de bois. Au total, si l’on en croit le bilan qu’elle effectua l’année suivante, « la fourniture des bois du Roy » lui aurait alors « coûté plus de dix mil livres de perte »89, tant en remboursement d’emprunts qu’en paiement de salaires et disparition de capital. Elle ne s’en remit guère : la destruction d’une partie des infrastructures et ses difficultés financières handicapèrent sa production. Si en 1724 la famille expédiait en direction de l’arsenal pour plus de 4 593 livres tournois de bois, ses ventes chutèrent à seulement 2 854 livres en 1726, et 2 553 livres l’année suivante. Seulement 1 982 pieds cubes de bordages furent envoyés en 1727, contre 4 094 pieds cubes en 1724. Profondément endettée et craignant de nouvelles pertes, la veuve Ramezay refusa de renouveler son marché en 1727, en dépit des demandes réitérées de l’administration coloniale.

  • 90 ANOM, COL C11A, vol. 64, fol. 87-97v°, Lettre de Hocquart au ministre, de Québec, 15 octobre 1735.
  • 91 ANOM, COL C11A, vol. 57, fol. 231-237v°, Lettre de Beauharnais et Hocquart au ministre, de Québec, (...)

30Les autres fournisseurs connurent également des déboires, même si leurs conséquences furent plus limitées : Bégon dut réparer ses moulins à scie, ce qui occasionna des difficultés de livraison en 173590. Quant aux moulins de Lepage de Sainte-Claire, situés dans sa seigneurie de Terrebonne, ils « ont esté oisifs pendant six mois », durant le grand hiver de 1731-1732, à cause de l’épaisseur des glaces « dans la rivière où [ils étaient] establis », « ce qui ne luy estoit pas encore arrivé ». À la fonte des glaces, il tenta bien de palier cette carence, mais ne put finalement pas transporter ses bois à Québec, parce que les eaux étaient trop « basses pendant tout l’esté » ! Le Rubis, cette année-là, ne livra à Rochefort que 300 madriers, fournis par les magasins du roi, ainsi qu’une cargaison de chanvre et de goudron, et ce d’autant plus que l’intendant Hocquart avait refusé d’expédier les « quelques bois torts » du sieur Bleury – de Montréal – qui étaient « mal débités »91.

Des surcoûts mal maîtrisés

  • 92 Acerra M., op. cit., t. 2, p. 236.
  • 93 ANOM, COL C11A, vol. 46, fol. 253-261v°, Lettre de Bégon au ministre, de Québec, 2 novembre 1724.
  • 94 Ces difficultés expliquent en grande partie les irrégularités des envois de bois et le fait qu’il (...)

31En dépit de fluctuations conjoncturelles importantes et de budgets militaires limités, parfois même « dérisoires »92, le Canada accrut certes en valeur ses envois (bois, chanvre, goudron) en direction de l’arsenal de Rochefort, et ce jusqu’au début des années 1730 : 8 382 livres tournois en 1723, 11 669 livres en 172493, 17 774 livres en 1727, pour culminer à 64 152 livres en 1730. Mais il est à noter qu’à deux reprises aucune marchandise ne parvint en métropole, en raison des naufrages du Chameau en 1725 et de l’Éléphant en 1729. Il convient par ailleurs de souligner que cette progression s’explique avant tout par les livraisons de chanvre, non par les envois de bois qui, au contraire, eurent tendance à stagner (voire à baisser certaines années94), tant par manque d’espace disponible à bord des navires que pour des raisons financières (frais de chargement et de transport, aménagement des navires/contraintes techniques) ou la crainte de malfaçons dans sa préparation, faute d’une main-d’œuvre qualifiée. Son embarquement était particulièrement long et coûteux, immobilisant, parfois pendant plusieurs mois, le vaisseau du roi, ce qui renchérissait d’autant son prix pour la Marine. En 1726, Madame de Ramezay avait certes fourni pour 2 854 livres tournois de bois à la Marine, mais les dépenses engagées à Québec pour le séjour de la flûte royale l’Éléphant (vivres pour l’équipage, frais d’hôpitaux pour les marins malades), chargée de l’acheminer à Rochefort, s’élevèrent à plus de 1 538 livres, hors soldes et frais d’armement du navire. En 1730, les « frais de barques » pour charger le Héros s’élevèrent à 1 772 livres ; somme à laquelle s’ajoutèrent 142 livres au titre des « rations » accordées aux « malades reçus à l’hôtel-Dieu de Québec ». En 1734, ces frais s’élevèrent à 4 313 livres – dont 3 012 livres pour charger le Rubis et 421 livres pour les soins aux malades – sur un total de 12 547 livres déboursées par l’arsenal, soit plus de la moitié (52,38 %) de la valeur des marchandises transportées (8 234 livres) ; ce qui équivalait à plus d’un tiers des dépenses ! Ce même navire entraîna en 1740, à Québec, une dépense record en matière de « vivres et rafraichissement » pour l’équipage : près de 6 000 livres, soit plus que la valeur des bois transportés cette année-là (5 817 livres en bordages et planches) ! Il était d’autres frais incompressibles, comme la nécessité de recruter un bon pilote pour guider le vaisseau du roi dans le Saint-Laurent : « à son retour de Québec jusques à l’isle verte », il en coûtait ainsi aux autorités royales près de 410 livres.

32Surgissaient également, de temps à autre, des dépenses exceptionnelles. En 1734 par exemple, c’est le brigantin du roi La Reine Marie qui fut affrété « pour aller au devant » du vaisseau royal Rubis venu charger fers, bois, goudrons et résines : la Marine déboursa alors 11 705 livres pour l’armement du navire, 293 livres pour payer l’équipage, et près de 400 livres pour les vivres, munitions et « ustentiles ». Il avait déjà fait le voyage deux ans plus tôt, succédant en cela à la goélette Thomas Marie. En 1730, il avait fallu embarquer des goudrons et des chanvres sur deux autres navires, la Marguerite et le Beauharnois, ce qui avait entrainé un surcoût en « fret de barques ». Le Beauharnois, appartenant au sieur Lefebvre, fit naufrage sur la route du retour, à l’île-aux-Coudres, occasionnant une dépense supplémentaire de près de 1 700 de livres pour sauver ce qui pouvait l’être de sa cargaison…

  • 95 ANOM, COL C11A, vol. 60, fol. 91-95, « Extrait des dépenses effectuées au Canada sur le port de Ro (...)

33Un « Extrait des dépenses effectuées au Canada sur le port de Rochefort de 1729 à 1732 », daté du 15 octobre 1733, indique que la Marine a déboursé entre 1729 et 1732 quelque 149 037 livres pour approvisionner l’arsenal en bois, chanvre et goudron (hors coûts d’armement du vaisseau du roi)95 : les surcoûts évoqués précédemment représentaient peut-être de 20 à 30 % de cette somme, d’après nos estimations.

  • 96 ANOM, COL C11A, vol. 76, « Mémoire sur le commerce de Canada », s. l., 1741.
  • 97 ANOM, COL C11A, vol. 72, « Mémoire sur les colonies françoises et angloises de l’Amérique septentr (...)
  • 98 ANOM, COL C11C, vol. 15, 16 fol., Délibération du Conseil de la Marine sur un extrait de lettre du (...)
  • 99 ANOM, COL C11A, vol. 43, fol. 332-335v°, « Résumé d’une lettre de Bégon datée du 8 octobre 1721 », (...)
  • 100 À la cargaison de 1730 s’ajoutait celle de 1729, les autorités coloniales ayant récupéré une parti (...)
  • 101 ANOM, COL C11A, vol. 53, fol. 152-156, Lettre de Hocquart au ministre, de Québec, 19 octobre 1730.

34Un mémoire rédigé en 1741 concluait ainsi à l’impossibilité de faire un grand commerce de bois avec le royaume, « par rapport à la difficulté du transport »96, et aux surcoûts qu’elle occasionnait. Deux ans plus tôt, un autre mémoire faisait lui aussi un constat d’échec en soulignant la désaffection des marchands : « Il […] nous manque […] quelques particuliers assés intelligens, assés riches et assés épris du bien public pour ouvrir ce commerce et le mettre en train »97. Il est vrai que ces marchands continuaient à privilégier les « produits-roi » du grand commerce canadien (peaux et fourrures, ginseng, huiles), qu’ils jugeaient moins contraignants en terme de transport et bien plus rémunérateurs, et ce bien qu’il fût fréquent que « [ceux] qui [allaient] tous les ans à cette colonie enlev[ai]ent les bois qui [étaient] aportés lorsqu’il n’[avaie]nt pas leur cargaison complète »98. Sauf à exiger des sommes exorbitantes auprès des autorités coloniales. En 1721, le Chameau ne fut pas en capacité d’embarquer tous les bois stockés sur les quais de Québec (fournis par Ramezay) : Bégon tenta alors de faire appel aux capitaines des navires marchands. Si ces derniers ne pouvaient prendre les bordages restants, parce qu’ils n’avaient « point de sabord à l’arrière », ils exigèrent un « fret excessif » pour les planches de sapin, arguant qu’un déchargement à Rochefort leur ferait perdre « au moins trois semaines » sur leur désarmement à La Rochelle ou à Bordeaux99. Bégon refusa, pour ne pas céder au chantage. Il arrivait certes que les autorités se pliassent parfois aux exigences de certains de ces marchands, mais elles ne pouvaient que constater leur peu d’empressement à soutenir les intérêts du royaume. En 1730, avant même le départ du vaisseau du roi pour Québec, il était déjà acquis qu’il ne suffirait pas pour transporter les chanvres qui s’étaient accumulés dans les magasins du roi100. Un « marché » fut alors passé à Rochefort avec le négociant Louis Charles Fleury fils pour l’embarquement sur son navire, la Marguerite, d’une quantité de 49 700 livres de chanvre. En dépit de cette initiative, il restait encore de nombreux ballots à livrer, mais l’intendant ne trouva aucun marchand ou capitaine qui « ayt voulû les charger aux conditions du Sieur Fleury », pourtant jugées fort avantageuses pour lui101.

  • 102 ANOM, COL C11A, vol. 50, fol. 428-435v°, Lettre de Maurepas à Dupuy, de Versailles, 11 mai 1728.
  • 103 ANOM, COL C11A, vol. 51, fol. 276-285, Lettre de Hocquart au ministre, de Québec, 25 octobre 1729.
  • 104 Bégon rédigea, comme l’on sait, un long plaidoyer pour l’importation de Noirs au Canada : ANOM, CO (...)

35Il y avait là, incontestablement, une limite au développement des échanges avec Rochefort. Mais il est également d’autres contraintes qui constituaient autant de freins : au manque chronique d’infrastructures (hangars de stockage pour protéger les bois, quais d’embarquement, etc.) s’ajoutaient surtout la rareté et le coût de la main-d’œuvre qualifiée (charpentiers, goudronneurs, etc.), qui handicapaient les productions canadiennes sur le marché métropolitain et qui, par-delà, en limitaient l’exportation (coûts, mauvaise préparation des bois, goudrons et chanvres). « La disette des ouvriers […] entraîne la cherté de la main-d’œuvre », écrivit le secrétaire d’État à la Marine Maurepas, en 1728102. « Les journées d’ouvriers sont si chères faute d’hommes », souligna l’intendant Hocquart l’année suivante103. Les coûts de cette main-d’œuvre limitaient les initiatives. Il fut par exemple envisagé, au début des années 1730, de faire venir deux « goudronniers » au Canada, pour en améliorer et en développer plus rapidement la production, mais ceux-ci exigeaient 1 800 livres de gages par an, plus divers frais qui devaient entraîner un coût total annuel de 2 400 livres tournois ! et ce alors que les salaires – pour le même travail, et sans aucune autre indemnité – étaient de 300 à 400 livres par an en métropole… L’intendant Michel Bégon était lui-même persuadé, au début des années 1720, que le développement du chanvre était handicapé par le manque de bras, « par le peu de domestique et gens de journée », la solution passant, selon lui, par l’importation d’esclaves noirs dans la colonie104.

  • 105 Pour ces forges, voir Samson R., Les Forges du Saint-Maurice : les débuts de l’industrie sidérurgi (...)

36Ce contexte incita, au début des années 1730, la Marine à réorienter sa stratégie, sous l’effet de la conjoncture et de décisions politiques qui ne furent pas sans incidences sur l’économie canadienne et la nature des approvisionnements en direction de Rochefort : la baisse du prix d’achat des chanvres par le roi, le développement de la construction navale à Québec et la création des Forges du Saint-Maurice105.

Des « fers » pour Rochefort

  • 106 Le quintal équivaut alors à 100 livres poids.
  • 107 ANOM, COL C11A, vol. 55, fol. 88-93v°, Lettre de Hocquart au ministre, de Québec, 14 octobre 1731.
  • 108 ANOM, COL C11A, vol. 64, fol. 87-97v°, Lettre de Hocquart au ministre, de Québec, 15 octobre 1735.
  • 109 ANOM, COL C11A, vol. 60, fol. 21-24, Lettre de Hocquart au minister, de Québec, 2 octobre 1733.
  • 110 ANOM, COL C11A, vol. 71, fol. 243-246v°, Lettre de Hocquart au ministre, de Québec, 14 octobre 173 (...)
  • 111 ANOM, COL C11A, vol. 93, fol. 234-235v°, Lettre de François Bigot au ministre, de Québec, 25 septe (...)

37Pour des raisons essentiellement budgétaires, la royauté décida en 1728 de fixer à 40 livres le quintal de chanvre106, puis à 25 livres à compter de l’année 1730. Les effets furent immédiats, provoquant le mécontentement et la désaffection des producteurs. Dès 1731, l’intendant Hocquart souligna que ce nouveau prix avait « bien ralenti l’ardeur des habitants » pour cette culture, et s’inquiétait que les magasins du roi n’en avaient reçu, depuis un an, que 121 quintaux seulement, suite à l’effondrement de la production107, et alors qu’elle n’avait cessé de se développer jusqu’ici. La réduction du prix avait notamment « dégouté les habitants du gouvernement des Trois Rivières d’en semer ». Avec l’accroissement de la consommation de chanvre dans la colonie, il n’y eut bientôt plus de surplus à expédier à Rochefort : il est vrai que quatre cordiers s’étaient installés à Québec en 1732, avec le soutien de l’intendant, afin de fournir des cordages « pour le compte des négociants de la colonie »108 et de répondre ainsi aux besoins de la navigation civile. En 1731, seulement 17 500 livres (poids) de chanvre (fourni par l’affairiste Le Conte déjà évoqué) furent livrées à Rochefort. Et s’il y eut un sursaut en 1732 (101 441 livres), il est dû en partie aux 28 356 livres (poids) de chanvre, provenant du sauvetage du Beauharnois, qui avait fait naufrage en 1730. En 1733, Québec en fournit encore 33 287 livres, la désaffection des habitants se conjuguant alors à la forte « sécheresse de 1732 ». Mais les livraisons régulières s’arrêtèrent, semble-t-il, l’année suivante… pour ne plus jamais reprendre ou tout au moins devenir très épisodiques (un envoi, apparemment, en 1744) : entre 1722 et 1733, les magasins de Québec auraient ainsi stocké un total de 357 034 livres (poids) de chanvre pour Rochefort, avec un « déchet de [seulement] 4 545 livres »109. Cette situation explique l’effondrement – temporaire – de la valeur totale des marchandises expédiées vers l’arsenal : 64 152 livres tournois en 1730 pour 11 570 en 1731, 54 208 en 1732 pour seulement 8 234 en 1734. À la fin des années 1730, il n’était officiellement plus question d’en envoyer en direction de l’arsenal : tous les ballots devaient désormais rester à Québec pour répondre aux besoins de « la construction du vaisseau du Roy, [des] armements particuliers et [des] lignes d’emballage que la Compagnie des Indes fera[it] faire à l’avenir pour son service », l’intendant Hocquart soulignant par ailleurs qu’il était « expedient que tous ces chanvres [fussent] employez dans le pays [Canada] plutôt que d’estre envoyez en France »110. La production continua de décliner, au profit du tabac : à la fin des années 1740, il n’en entrait plus assez dans les magasins du roi pour faire face à la demande. C’est pourquoi l’intendant François Bigot préconisa – en vain – d’en relever le prix d’achat pour relancer la production111.

  • 112 Cette année-là, la valeur totale des exportations vers Rochefort s’effondra à 8 234 livres : 5 143 (...)
  • 113 Lunn A. J. E., op. cit., p. 146.

38En raison des difficultés et des contraintes évoquées précédemment, la part du bois tendit elle-même à s’effacer par rapport au reste des cargaisons, en dépit d’un sursaut conjoncturel au milieu des années 1730, probablement lié à la chute brutale des envois de chanvre (volonté de remplir au mieux le vaisseau du roi ?) : si en 1716, il représentait plus de 67 % de la valeur totale des exportations canadiennes vers l’arsenal de Rochefort, il n’en représentait plus que 58,2 % en 1723, 14,37 % en 1727 et 2,95 % seulement en 1730. Et s’il remonta à 62,46 % en 1734112, il ne fut plus présent par la suite (pas d’envois en 1744, 1749, 1751) ou marginal en valeur (1741,1742, 1743, 1745, 1747, 1748, 1752). Dans les années 1750, il semble que les bordages ne soient plus présents dans les cargaisons et qu’ils se soient effacés au profit de bois merrain (fonçailles et longailles) et de simples planches d’épinette, dont le transport était plus aisé et moins coûteux, mais dont les envois furent eux-mêmes très irréguliers… Très ponctuellement, dans les années 1740, on expédia également du « bois à Rochefort sous une autre forme, celle de douves de barriques, fabriquées dans les chantiers navals du Roi [ceux de Québec] avec des troncs impropres à la construction mais comportant des parties saines »113.

  • 114 Harrisson S., « Du fer pour la métropole : les Forges du Saint-Maurice, 1730-1760 », dans Augeron (...)

39De fait, les envois annuels allaient progressivement se recentrer sur deux productions, même si parfois d’autres marchandises pouvaient arriver en métropole : le goudron, dont les envois demeuraient toutefois très irréguliers en volume (50 barils en 1748, 200 l’année suivante !), mais aussi les fers que fournissaient désormais les Forges du Saint-Maurice. Les exportations repartirent alors à la hausse. Il est d’ailleurs significatif que l’arsenal de Rochefort soutint très largement l’établissement et le développement de ces forges, dont « le véritable démarrage » eut lieu entre 1736 et 1739, le ministère de la Marine s’imposant même dès le début comme « le principal client »114.

  • 115 ANOM, COL C11A, vol. 76, fol. 113-114, « Extrait du fonds à remettre en Canada », de Québec, 10 oc (...)
  • 116 Il fallait en effet mobiliser pour la construction d’une de ces flûtes quelque 4 000 « fers ronds  (...)
  • 117 ANOM, COL C11A, vol. 112, fol. 114-126, « Mémoire sur les forges du Saint-Maurice », s. l., fin 17 (...)

40Les premiers fers destinés à la construction navale arrivèrent à Rochefort en 1737, sur le vaisseau du roi, les années précédentes (dès 1734) ayant été marquées par l’envoi d’échantillons. L’année suivante, un véritable marché fut conclu entre l’intendant Hocquart et le responsable des forges, pour une valeur de plus de 8 443 livres115, la Marine souhaitant alors assurer son approvisionnement, en raison d’une concurrence possible – rochelaise notamment – en matière d’importation. En 1737-1738, le port de Rochefort absorba à lui seul 150 000 « fers » (ou livres poids) sur les quelque 300 000 qui ont été produits durant cette période, soit la moitié de la production : cela équivalait à la quantité nécessaire pour la construction de cinq flûtes de 500 tonneaux116 ! Les exportations se développèrent dans les années suivantes et se maintinrent jusqu’à la guerre de Sept Ans : en 1742, on en expédia quelque 178 356, pour une somme totale de 28 536 livres tournois. Les livraisons atteignirent un niveau record en 1743 avec une quantité de 279 954 fers, qui furent embarqués sur trois navires : le Rubis, le vaisseau du roi, La Déesse, appartenant au sieur Pascaud, et le Centaure appartenant au protestant rouennais Robert Dugard. En 1744, ce sont encore de 150 à 200 « milliers de fer » qui furent ainsi envoyés à Rochefort. Dans les premières années, Rochefort sauva littéralement les Forges du désastre financier : du 1er octobre 1741 au 1er octobre 1742, elles produisirent « 336 milliers de fer » (soit 336 000 livres poids)117, l’arsenal en absorbant à lui seul près de 53 % ! Il y aurait eu des pertes financières importantes (déséquilibre des comptes) « si le prix des 178 356 livres de fer envoyées à Rochefort n’avait pas été porté à 160 livres [tournois] le millier au lieu de 124 à 139 », prix auxquels la compagnie vendait jusqu’ici son fer au roi et qui s’avéraient concurrentiels sur le marché métropolitain : ces fers furent achetés cette année-là 28 536 livres tournois, et non 23 248 livres comme cela aurait dû être, soit une différence de 5 288 livres tournois que la royauté accepta de débourser pour soutenir la jeune industrie.

  • 118 ANOM, COL C11A, vol. 79, fol. 300-307, Lettre de Hocquart au ministre, de Québec, 2 octobre 1743.
  • 119 ANOM, COL C11A, vol. 81, fol. 274-285v°, Lettre de Hocquart au ministre, de Québec, 7 octobre 1744

41Comme pour les autres productions importées à Rochefort, la Marine se montrait particulièrement exigeante. Le maître des forges du Saint-Maurice, Olivier de Vézin, reçut ainsi des commandes précises de la part des techniciens de l’arsenal, pour répondre aux besoins de la construction navale. Et de se faire rappeler à l’ordre quand ses envois n’étaient pas de la qualité requise : en 1743, le directeur des Forges reçut ainsi l’ordre d’améliorer la fabrication des « fers quarrés » et de « les corroyer davantage pour en augmenter la qualité », suite à des envois de fers défectueux, jugés « inégaux, faibles au milieu et dans les bouts des barres »118 ; défauts corrigés dès l’année suivante, leur « bonne qualité » étant désormais souligné epar les experts rochefortais, et ce même s’il restait « encore quelque chose a perfectionner dans leur fabrication »119.

  • 120 Acerra M., op. cit., t. 2, p. 237.
  • 121 ANOM, COL C11A 116/fol. 366, « Envois de fer et de goudron à Brest », s. l., 1750.

42Les envois se maintinrent pour répondre à une demande accrue du côté rochefortais. Le tournant des années 1739-1741 vit en effet la France accélérer les rythmes de construction, les dépenses de ces années de reprise doublant alors120. Cet effort perdura jusqu’à la guerre de Sept Ans. Les sommes déboursées au Canada par l’arsenal s’en trouvèrent globalement accrues par rapport à la décennie précédente : bien que marquées par une certaine irrégularité, les dépenses pour les achats de goudrons, de résines, de planches et de fers s’élevèrent à 42 842 livres tournois en 1742, à 78 231 livres en 1743, à 37 964 livres en 1744, à plus de 34 000 livres en 1745, à 54 992 livres en 1747… En 1751, les 200 000 fers représentaient à eux-seuls une valeur de 36 000 livres tournois. Le développement de la production de goudrons et de fers permit également d’élargir les débouchés en direction de l’arsenal de Brest, qui jusqu’ici était pour l’essentiel resté à l’écart de ces échanges avec le Canada. Brest reçut ainsi en 1748 quelque 1829 barres de « fer plat et quarré pesante », 379 barres de « fer rond », 57 « paquets de fer de martinet », 150 barils de goudron ainsi que du merrain : ces envois représentaient une somme totale de 10 350 livres tournois en 1749, de 48 360 livres en 1750121. Mais la guerre de Sept Ans et ses prémices nord-américains allaient mettre un terme à cette nouvelle dynamique… En 1752, ce sont certes 127 000 fers « ordinaires » et « de martinet », 120 barils de goudron, ainsi que 2 380 longailles et 590 fonçailles de merrain, qui furent expédiés à Rochefort, mais pour la dernière fois, semble-t-il…

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  • 122 Statistiques établies à partir des factures identifiées dans les fonds de l’ANOM et des dépenses t (...)

43Bien que croissantes (en valeur) sur le long terme, ces importations n’ont certes jamais pesé très lourd dans le budget de la Marine : 0,07 % des dépenses totales en 1716, 0,08 % en 1723, 0,2 % en 1727, 0,98 % en 1730, 0,06 % en 1734, 0,24 % en 1747122. Ni même dans les budgets dédiés à la seule construction navale : moins de 2 % par rapport aux dépenses totales de construction, bien que la part canadienne augmentât quelque peu jusqu’au milieu des années 1730 (0,18 % en 1723 ; 1,42 % en 1727 ; 1,85 % en 1734 ; 1,05 % en 1747). Mais si l’on s’attache au seul arsenal de Rochefort, ces importations furent proportionnellement plus importantes, même si l’on ne peut donner de chiffres précis, le port ayant de fait – et depuis sa fondation – un quasi-monopole sur la mobilisation des ressources canadiennes. Celles-ci apportèrent un complément non négligeable pour l’arsenal, soucieux de diversifier ses approvisionnements. Les envois de chanvres, de goudrons, de résines puis de fers furent mêmes particulièrement stratégiques pour remédier aux faiblesses du dispositif d’approvisionnement français. Quant au bois, il aurait vraisemblablement été promis à un bel avenir – les liens avec les colonies antillaises, fortes consommatrices de bois canadiens, en témoignent – si les armateurs privés avaient joué le jeu, car la Marine ne pouvait se permettre de mobiliser davantage de navires pour en assurer le transport. Ce trafic dut ainsi affronter de nombreux obstacles, d’ordre technique et financier, et souffrait de difficultés endémiques (contraintes climatiques, difficultés de transport, rareté et cherté de la main-d’œuvre qualifiée), qui en limitaient d’autant l’expansion (renchérissement des coûts d’importation, produits non concurrentiels par rapport aux marchés nationaux et internationaux).

  • 123 ANOM, COL C11A, vol. 103, fol. 488-488v°, « Mémoire sur le Canada », s. l., 27 décembre 1758.
  • 124 ANOM, COL C11A, vol. 92, fol. 228, « État du bois d’yeuse qu’il est nécessaire d’envoyer du port d (...)
  • 125 ANOM, COL C11A, vol. 66, fol. 206-213, Mémoire de Duhamel Du Monceau…, s. l., 1749.
  • 126 Ils préfèrent construire au Canada, les exportations de matériaux vers l’Angleterre restant relati (...)

44D’abord hésitantes et très irrégulières, ces importations bénéficièrent ensuite de la politique mise en œuvre par Maurepas pour donner au royaume une marine puissante, susceptible de contrer les ambitions de l’Angleterre. Le souci constant, de la part des administrateurs coloniaux, de répondre aux attentes de la Marine leur offrait par la même occasion des arguments pour œuvrer au développement économique de la colonie : dans le cadre pourtant rigide de l’Exclusif colonial, ils obtinrent ainsi l’autorisation de se lancer dans la production de goudrons, de lin (même si les quantités n’étaient pas suffisantes pour être exportées), de chanvres puis de fers ; l’arsenal offrant d’emblée de solides débouchés à ces industries naissantes. Il est à noter que la Louisiane fut elle-même mise ponctuellement à profit, comme l’atteste la présence, en 1738, de barriques de goudron, acheminées depuis la Nouvelle-Orléans en direction des magasins de la Corderie royale. Les experts rochefortais furent sans cesse sollicités pour juger de la qualité des productions canadiennes et en apporter les améliorations nécessaires. Dans ces conditions, il n’est pas erroné d’affirmer que l’arsenal de Rochefort et ses besoins spécifiques ont eu un rôle majeur dans la diversification de l’économie canadienne, les intendants successifs organisant sur place la production, avec l’objectif affiché de la stimuler et de la stocker en attendant son chargement sur le vaisseau du roi. Surtout, il y avait là, au tournant des années 1740, les bases nécessaires à l’établissement de chantiers royaux à Québec. Le relais fut pris, surtout en ce qui concerna les bois ; mâts et précieux bordages étant désormais réservés à la construction de nouvelles unités au Canada. A l’instar des chanvres. Il était finalement moins coûteux de construire au Canada les vaisseaux dont la Marine avait besoin, que d’en importer les composants à Rochefort : en 1758, un mémoire souligna ainsi qu’on avait construit à Québec « quelques frégates et vaisseaux dont la dépense s’en trouv[ait] égale à celle de nos ports », mais « dont la durée n’[étai]t pas de moitié de celle des batimens construits en Europe »123. Un demi-succès donc, résultant peut-être d’un transfert partiel, mais non moins réel, d’outils et de savoir-faire en matière de construction navale, de la part de l’arsenal de Rochefort… Les conseils sans cesse prodigués par les spécialistes rochefortais et les maladresses successives dans la coupe, le façonnage et le stockage des bois ont été riches en enseignements et mis à profit par ceux qui ont œuvré au développement des chantiers de Québec. L’arsenal devint lui-même pourvoyeur… de bois, en fournissant des pièces délicates à sélectionner ou à produire, comme l’atteste, par exemple, l’envoi en 1748, depuis Rochefort, de bois d’yeuse – 600 « buches de différentes grosseurs pour essieux de poulies » – pour la construction des vaisseaux du roi à Québec124. Les chantiers navals de Québec furent bien les dignes enfants de ceux de Rochefort, tant la filiation est indéniable sur les plans administratif, technique et militaire. Duhamel du Monceau, après avoir inspecté à Brest deux vaisseaux bâtis au Canada, Le Caribou et le Saint-Laurent, en était convaincu. Il n’hésita pas à écrire, en 1749, que « la rareté des bois de construction en Europe [devait] faire regarder le Canada comme une ressource des plus importantes pour le rétablissement de la Marine [française] »125. Les compagnies forestières et les constructeurs navals arrivés dans le sillage des troupes britanniques l’ont bien compris, au lendemain de la Conquête anglaise126

Notes

1 Archives nationales d’outre-mer (ANOM), C11A, vol. 72, « Mémoire sur les colonies françoises et angloises de l’Amérique septentrionale », s. l., 1739.

2 ANOM, COL C11A, vol. 66, Mémoire de Duhamel du Monceau sur la qualité des bois du Canada, s. l., [1749].

3 Voir les différents articles publiés à ce sujet par Camille Gabet dans les Cahiers de l’Université francophone d’Eté ; et Sauzeau T., « Rochefort et la Nouvelle-France aux XVIIe et XVIIIe siècles », dans Augeron M. et Guillemet D., dir., Champlain ou les portes du Nouveau Monde. Cinq siècles d’échanges entre le Centre-Ouest français et l’Amérique du Nord, La Crèche, Geste Editions, 2004, pp. 201-204. Voir également les pages consacrées à l’arsenal de Rochefort par Emmanuel de Fontainieu, dans son bel ouvrage sur la frégate L’Hermione : De Fontainieu E., L’Hermione de Rochefort à la gloire américaine, Paris, Éditions de Monza, 2009.

4 Voir par exemple Lunn A. J. E., Développement économique de la Nouvelle-France (1713-1760), Montréal, Presses de l’Université de Montréal, 1986, qui atteste d’envois ponctuels vers Rochefort.

5 Voir notamment le chapitre intitulé « Le réseau d’approvisionnements » : Acerra M., Rochefort et la construction navale française, 1661-1815, Paris, Librairie de l’Inde, 1993, t. III, p. 514-539.

6 Inventaire consultable en ligne : http://www.memoirenf.cieq.ulaval.ca (dir. scientifique : M. Augeron, G. Coste, D. Guillemet, A. Roy et M. St-Hilaire).

7 Augeron M., « Des productions canadiennes au service de l’Arsenal de Rochefort », dans Augeron M., Guillemet D., Roy A. et St-Hilaire M., dir., Les traces de la Nouvelle-France au Québec et en Poitou-Charentes, Québec, Presses de l’Université Laval, 2008, p. 156-158.

8 Acerra M., op. cit., t. 1, p. 205 et 210-211 ; l’auteur parle également de « premier boum naval » pour cette période.

9 ANOM, COL C11A vol. 3, fol. 74-74v, Lettre de Talon au ministre, de Québec, 10 octobre 1670.

10 Loewen B., « Les goudronneries », dans AUGERON M., GUILLEMET D., ROY A. et St-Hilaire M., dir., op. cit., p. 154-155 : seuls quelques barils issus de cette goudronnerie avaient pu être expédiés vers les arsenaux de Rochefort et de Brest.

11 Acerra M., op. cit., t. 1, p. 205.

12 Ibid., p. 205 et 210-211 ; l’auteur évoque, pour cette période 1689-1693, le « second décollage de la construction navale ».

13 ANOM, COL C11A, vol. 111, fol. 222-222v, Lettre de Pierre Hameau à Lagny, intendant général du commerce de France, s. l., 1688.

14 ANOM, COL C11A, vol. 6, Mémoire concernant les mâts du Canada, par Dumont de Blaignac, de Rochefort, 15 février 1684.

15 ANOM, COL C11A, vol. 55, fol. 380-381v, Mémoire de Malhiot au ministre, de Montréal, octobre 1731.

16 ANOM, COL C11A, vol. 10, « Extrait des réponses aux lettres reçues de Canada, de Versailles, 8 mars 1688.

17 ANOM, COL C11D, vol. 1, fol. 170-170v, Note sur Chedabouctou et l’habitation de Bergier, s. l., vers 1683.

18 ANOM, COL C11A, vol. 111, fol. 201 et 203-203v, « Extraits de la relation du voyage de Pierre Hameau au Canada et de sa proposition pour fournir des bois dudit pays », s. l., 1689.

19 ANOM, COL C11A, vol. 11, « Mémoire que présente François hazeur […] à Monseigneur de Champigny […] concernant les bois que l’on peut tirer a la Malbay pour le service du Roy », de Québec, 8 novembre 1690 ; et ANOM, COL C11A, vol. 12, fol. 86-86v°, Lettre de Champigny au ministre, de Québec, 3 novembre 1692.

20 ANOM, C11A, vol. 10, « Extrait des réponses aux lettres reçues de Canada… », de Versailles, 8 mars 1688.

21 Ils avaient estimé que « la qualité de ce bois [était] très bonne et que c’[étai]t du meilleur que l’on puisse trouver en Heurope, [et qu’]en mettant des mèches on fera[it] des mats aussi gros que l’on voudra[it], ce bois [était] fort, il [était] ployant comme il [fallait] et ne cass[ait] point que par une grande violance extraordinaire ».

22 ANOM, COL C11A, vol. 11, fol. 279-280, « Procès-verbal de la visite des bois de la Malbaie, de baie Saint-Paul et de l’île aux Coudres », s. l., 4 octobre 1691.

23 Id.

24 Service Historique de la Marine (SHM, Rochefort-sur-Mer), 1E36, fol. 457, Le ministre à Bégon, de Versailles, 10 mars 1694, et Lettre du ministre à Bégon, de Versailles, 22 décembre 1694.

25 Acerra M., op. cit., t. 1, p. 211, 224-225.

26 ANOM, COL C11A, vol. 120, fol. 70-74, Extrait d’une lettre de l’intendant Jean Bochart de Champigny avec commentaires (du ministre ?) dans la marge, s. l., 26 octobre 1699.

27 ANOM, COL C11A, vol. 18, Lettre de Callière et Champigny au ministre, de Québec, 18 octobre 1700.

28 Dièreville, Voyage à l’Acadie (1699-1700), introduction et notes par Melvin Gallant, Moncton, Les Editions d’Acadie, 1985, p. 149.

29 ANOM, COL C11G, vol. 2, fol. 38-38v°, Lettre de Pontchartrain à Antoine-Denis Raudot, de Versailles, 17 juin 1705.

30 ANOM, COL C11A, vol. 17, fol. 300-310v°, Mémoire de Guigues au ministre, s. l., 1699.

31 ANOM, COL C11A, vol. 19, fol. 282-283, « Mémoire sur le commerce des chanvres en Canada », s. l., 1701 ; et ANOM, COL C11A, vol. 20, fol. 187-202v°, Lettre de Beauharnois au ministre, de Québec, 11 novembre 1702.

32 ANOM, COL C11A, vol. 6, fol. 81-92v°, Lettre de Meulles au ministre, de Québec, 12 novembre 1682.

33 ANOM, COL C11A, vol. 26, fol. 176-219v°, Lettre de Jacques et Antoine-Denis Raudot au ministre, de Québec, 11 novembre 1707.

34 ANOM, COL C11A, vol. 29, fol. 190-192, Résumé d’une lettre de Bégon, s. l., 8 janvier 1708.

35 Id.

36 Id.

37 ANOM, COL C11A, vol. 26, fol. 176-219v°, Lettre de Jacques et Antoine-Denis Raudot au ministre, de Québec, 11 novembre 1707.

38 Acerra M., op. cit., t. 1, p. 224-225.

39 ANOM, COL C11A, vol. 36, fol. 155-156, « État de diverses dépenses depuis 1711 », de Québec, 10 novembre 1719.

40 ANOM, COL C11A, vol. 45, fol. 265-266, « État de la dépense qui a été faite », 10 février 1717. Il semblerait que d’autres bois soient arrivés à Rochefort en 1716, car une autre source indique qu’il a été envoyé au total 3 683 pieds de bordage de chêne (soit 150 bordages de différentes longueurs, pour une valeur d’environ 829 livres tournois), 3 540 pieds de bordage de pin (en 118 bordages, soit 664 livres), 100 barils de goudron (à 15 livres le baril, soit 1 500 livres tournois) et 2 100 planches de pin pour 1 575 livres tournois : soit une somme totale d’environ 4 568 livres tournois. Les envois à destination de Rochefort sont alors à peu près équivalents, en valeur, aux marchandises envoyées depuis Québec à l’île Royale, ces deux destinations représentant en 1716 une somme totale de 9 020 livres tournois.

41 ANOM, COL C11A, vol. 36, fol. 155-156, « État de diverses dépenses depuis 1711 », de Québec, 10 novembre 1719.

42 Acerra M., op. cit., t. 1, p. 229.

43 Ibid., p. 230-231.

44 Décision prise après réception d’une lettre de Vaudreuil et de Bégon, datée du 20 octobre 1717, attirant à nouveau l’attention du Conseil sur la qualité des bois canadiens.

45 Le départ du navire du roi se fait généralement en septembre-octobre, depuis Québec, après que l’on ait mis à profit la belle saison pour charger les bois. Les vaisseaux du roi qui ont été successivement assignés à cette mission sont : le Chameau, l’Éléphant, le Héros, le Rubis et la Gironde.

46 ANOM, COL C11A, vol. 26, fol. 176-219v, Lettre de Jacques et Antoine-Denis Raudot au ministre, de Québec, 11 novembre 1707.

47 Le navire du roi devait théoriquement arriver à Québec en juillet et repartir au plus tard fin octobredébut novembre. De longues semaines étaient alors nécessaires pour aménager et charger le navire.

48 ANOM, COL C11A, vol. 41, fol. 31-38, Résumé d’une lettre de Bégon datée du 25 octobre 1719 et délibération du Conseil de la Marine, s. l., 7 janvier 1720.

49 Id.

50 ANOM, COL C11A, vol. 29, fol. 190-192, Résumé d’une lettre de Bégon, à Rochefort, 8 janvier 1708 et ANOM, COL C11A, vol. 18, fol. 397, Mémoire sur la possibilité de commercer du chanvre au Canada, s. l., 1700.

51 ANOM, COL C11A, vol. 43, fol. 74-87, Mémoire au Conseil de Marine daté du 8 octobre 1720, de Versailles, résumé de janvier 1721.

52 ANOM, COL C11A, vol. 43, fol. 332-335v°, Résumé d’une lettre de Bégon datée du 8 octobre 1721, de Québec, 2 décembre 1721.

53 ANOM, COL C11A, vol. 50, fol. 428-435v°, Lettre de Maurepas à Dupuy, de Versailles, 11 mai 1728.

54 ANOM, COL C11A, vol. 43, fol. 332-335v°, « Résumé d’une lettre de Bégon datée du 8 octobre 1721 », 2 décembre 1721.

55 ANOM, COL C11A, vol. 45, fol. 205, « Facture des bois et autres effets chargés sur la flutte du Roy Le Chameau », par Bégon, de Québec, 14 octobre 1723.

56 Il s’agit là de la quantité de chanvre arrivé à Rochefort, sur les 166 860 livres (poids) embarqués à Québec sur trois navires : le vaisseau du roi, la Marguerite et le Beauharnois qui a fait naufrage peu après son départ avec quelque 34 600 livres (poids) de chanvre, représentant une valeur de 13 840 livres tournois. Il convient également de préciser que cet envoi record comprend la cargaison qui était prévue pour 1729 et qui n’avait pu être embarquée pour Rochefort, en raison du naufrage du vaisseau du roi l’Éléphant avant son arrivée à Québec.

57 Il s’agit très certainement de copies du « Mémoire concernant la façon de tirer la raisine, bray et goudron des arbres de pin des forêts de la Provence », dont le manuscrit est conservé à Vincennes.

58 ANOM, COL C11A, vol. 55, fol. 88-93v°, Lettre de Hocquart au ministre, de Québec, 14 octobre 1731.

59 ANOM, COL C11A, vol. 61, fol. 173-179, Lettre de Beauharnois et Hocquart au ministre, de Québec, 10 octobre 1734.

60 ANOM, COL C11A, vol. 55, fol. 13-13v°, Ordonnance de l’intendant Hocquart, de Québec, 22 août 1731.

61 ANOM, COL C11A 64, fols. 87-97v°, Lettre de Hocquart au ministre, de Québec, 15 octobre 1735.

62 Id.

63 Acerra M., op. cit., t. III, p. 534.

64 ANOM, COL C11A, vol. 29, fol. 2-15v°, Lettre de Ramezay au ministre, s. l., 1708.

65 ANOM, COL C11A, vol. 45, fol. 198-201v°, Lettre de Bégon au ministre concernant les conditions du nouveau marché conclu avec Ramezay pour la fourniture de bois pendant trois ans, de Québec, 14 octobre 1723.

66 ANOM, COL C11A, vol. 43, fol. 74-87, Mémoire au Conseil de Marine daté du 8 octobre 1720, s. l., résumé de janvier 1721.

67 Un certain François Léger fournit par exemple dix mâts pour 400 livres tournois en 1731.

68 Meyer J. et ACERRA M., Histoire de la Marine française, Rennes, Editions Ouest-France, 1994, p. 81.

69 ANOM, COL C11A, vol. 113, fol. 399-402, « Compte […] que rend […] le sieur Nicolas Lanouillier […] des recettes et dépenses de son exercice de l’année 1722 », s. l., 25 octobre 1728.

70 ANOM, COL C11A, vol. 45, fol. 205, « Facture des bois et autres effets chargés sur la flutte du Roy Le Chameau », par Bégon, de Québec, 14 octobre 1723.

71 ANOM, COL C11A, vol. 50, fol. 253, « état de la lettre de change tirée par Lanouiller sur M. de Selle, trésorier général de la Marine », de Québec, octobre 1728 ; ANOM, COL C11A, vol. 51, fol. 258, « État des bois de chêne et de pin livrés à Québec par l’abbé Lepage de Sainte-Claire et destinés pour le port de Rochefort », par Hocquart, de Québec, 25 octobre 1729.

72 ANOM, COL C11A, vol. 57, fol. 231-237v, Lettre de Beauharnais et Hocquart au ministre, de Québec, 18 octobre 1732.

73 ANOM, COL C11A, vol. 76, fol. 54, « État des bordages et planches en bois d’épinette […] », par Hocquart, de Québec, 28 octobre 1741.

74 Le goudron ainsi fabriqué revenait en 1729 à plus de 43 livres le baril, « ce prix estant [alors] jugé trop cher » par Versailles : ANOM, COL C11A, vol. 56, fol. 53-57v°, Lettre de Maurepas à Hocquart, de Versailles, 17 avril 1731.

75 ANOM, COL C11A, vol. 55, fol. 13-13v, Ordonnance de l’intendant Hocquart, de Québec, 22 août 1731.

76 SHM, 1E95, Lettre de L. A. de Bourbon et du maréchal d’Estrée à l’intendant Beauharnois, de Paris, le 13 août 1720.

77 Parmi les neuf hommes engagés à Rochefort en 1720, six perçoivent 500 livres de gage, un 300 et deux 250 livres.

78 Pour estimer l’importance de ce bois, il convient de signaler qu’il faut environ « 77 790 pieds cubes de bois de chêne brut pour la construction d’un vaisseau de 74 canons » (pertes ou « déchets » inclus), soit environ 2 500 m3 de bois : Martine Acerra, op. cit., t. IV, note 2.

79 SHM, 1E96, fol. 42-43, Lettre de L. A. de Bourbon à l’intendant Beauharnois, de Paris, le 12 janvier 1721.

80 ANOM, COL C11C, vol. 15, 16 fol., Délibération du Conseil de la Marine sur un extrait de lettre du sieur d’Agrain, qui offre de fournir au roi pendant quatre ans le bois de construction, de Versailles, 13 janvier 1721.

81 ANOM, COL C11A, vol. 47, fol. 228-230, Lettre de Bégon au ministre, de Québec, 10 juin 1725.

82 ANOM, COL C11A, vol. 75, fol. 310-317v°, Lettre de Beauharnois et Hocquart au ministre, de Québec, 2 octobre 1741.

83 ANOM, COL C11B, vol. 8, fol. 8-20, Messieurs de Saint-Ovide et de Mézy au ministre, de Louisbourg, 28 novembre 1726.

84 ANOM, COL C11B, vol. 9, fol. 113-114, Lettre de M. de Mézy au ministre sur le bois de l’Ile Saint-Jean, 11 décembre 1727.

85 Cette proposition semble faire suite à une expédition menée par la Marine, en 1727-1728, dans la région de la “Hillsborough River” pour y chercher des mâts. Même si l’île Saint-Jean était depuis longtemps réputée comme étant riche en bons bois, les premiers envois vers la France se sont révélés décevant quant à leur qualité. Surtout, les coûts de collecte et de transport étaient bien trop élevés pour que ce trafic soit rentable : SOBEY D., « The department of the Marine and the search for masts on Ile Saint-Jean », Island Magazine, vol. 50, 2001, p. 10-18.

86 ANOM, COL C11A, vol. 45, fol. 205, « Procès-verbal d’inspection des bois de Mme de Ramezay expédiés sur l’Eléphant », de Rochefort, 3 janvier 1728.

87 ANOM, COL C11A, vol. 55, fol. 88-93v°, Lettre de Hocquart au ministre, de Québec, 14 octobre 1731.

88 ANOM, COL C11A, vol. 61, fol. 173-179, Lettre de Beauharnois et Hocquart au ministre, de Québec, 10 octobre 1734.

89 Bibliothèque et Archives du Canada, MG18-H54 3/p. 1585-1588, Fonds de la famille Remezay, Copie d’un mémoire présenté au roi par Mme Claude de Ramezay, s. l., 1726.

90 ANOM, COL C11A, vol. 64, fol. 87-97v°, Lettre de Hocquart au ministre, de Québec, 15 octobre 1735.

91 ANOM, COL C11A, vol. 57, fol. 231-237v°, Lettre de Beauharnais et Hocquart au ministre, de Québec, 18 octobre 1732.

92 Acerra M., op. cit., t. 2, p. 236.

93 ANOM, COL C11A, vol. 46, fol. 253-261v°, Lettre de Bégon au ministre, de Québec, 2 novembre 1724.

94 Ces difficultés expliquent en grande partie les irrégularités des envois de bois et le fait qu’il n’aient jamais dépassé en valeur les 6 000 livres tournois, à l’exception de l’année prometteuse de 1722 (8 088 livres) : 4 876 livres en 1723, 4 593 en 1724, 2 854 en 1726, 2 554 en 1727, 2 725 en 1728, 2 304 en 1730, 3 070 livres en 1731, 5 143 en 1734, 1 842 en 1739, 5 817 en 1740, etc.

95 ANOM, COL C11A, vol. 60, fol. 91-95, « Extrait des dépenses effectuées au Canada sur le port de Rochefort de 1729 à 1732 », s. l., 15 octobre 1733.

96 ANOM, COL C11A, vol. 76, « Mémoire sur le commerce de Canada », s. l., 1741.

97 ANOM, COL C11A, vol. 72, « Mémoire sur les colonies françoises et angloises de l’Amérique septentrionale », s. l., 1739.

98 ANOM, COL C11C, vol. 15, 16 fol., Délibération du Conseil de la Marine sur un extrait de lettre du sieur d’Agrain, qui offre de fournir au roi pendant quatre ans le bois de construction, de Versailles, 13 janvier 1721.

99 ANOM, COL C11A, vol. 43, fol. 332-335v°, « Résumé d’une lettre de Bégon datée du 8 octobre 1721 », s. l., 2 décembre 1721.

100 À la cargaison de 1730 s’ajoutait celle de 1729, les autorités coloniales ayant récupéré une partie des chanvres qui n’avaient pu être envoyés à Rochefort, en raison du naufrage de l’Éléphant.

101 ANOM, COL C11A, vol. 53, fol. 152-156, Lettre de Hocquart au ministre, de Québec, 19 octobre 1730.

102 ANOM, COL C11A, vol. 50, fol. 428-435v°, Lettre de Maurepas à Dupuy, de Versailles, 11 mai 1728.

103 ANOM, COL C11A, vol. 51, fol. 276-285, Lettre de Hocquart au ministre, de Québec, 25 octobre 1729.

104 Bégon rédigea, comme l’on sait, un long plaidoyer pour l’importation de Noirs au Canada : ANOM, COL C11A, vol. 43, fol. 74-87, Mémoire au Conseil de Marine daté du 8 octobre 1720, s. l., résumé de janvier 1721.

105 Pour ces forges, voir Samson R., Les Forges du Saint-Maurice : les débuts de l’industrie sidérurgique au Canada, 1730-1883, Québec, PUL, 1998.

106 Le quintal équivaut alors à 100 livres poids.

107 ANOM, COL C11A, vol. 55, fol. 88-93v°, Lettre de Hocquart au ministre, de Québec, 14 octobre 1731.

108 ANOM, COL C11A, vol. 64, fol. 87-97v°, Lettre de Hocquart au ministre, de Québec, 15 octobre 1735.

109 ANOM, COL C11A, vol. 60, fol. 21-24, Lettre de Hocquart au minister, de Québec, 2 octobre 1733.

110 ANOM, COL C11A, vol. 71, fol. 243-246v°, Lettre de Hocquart au ministre, de Québec, 14 octobre 1739.

111 ANOM, COL C11A, vol. 93, fol. 234-235v°, Lettre de François Bigot au ministre, de Québec, 25 septembre 1749 ; en 1758, la colonie du Canada ne produisait plus que 5 000 quintaux de chanvre contre 100 000 de tabac et 120 000 de lin : ANOM, COL C11A, vol. 103, fol. 488-488v°, « Mémoire sur le Canada », s. l., 27 décembre 1758.

112 Cette année-là, la valeur totale des exportations vers Rochefort s’effondra à 8 234 livres : 5 143 livres de bois pour seulement 3 091 livres de fer, de goudrons, de brais secs et de résines.

113 Lunn A. J. E., op. cit., p. 146.

114 Harrisson S., « Du fer pour la métropole : les Forges du Saint-Maurice, 1730-1760 », dans Augeron M., Guillemet D., Roy A. et St-Hilaire M., dir., op. cit., p. 159.

115 ANOM, COL C11A, vol. 76, fol. 113-114, « Extrait du fonds à remettre en Canada », de Québec, 10 octobre 1741.

116 Il fallait en effet mobiliser pour la construction d’une de ces flûtes quelque 4 000 « fers ronds », 16 000 « fers carrés » et 10 000 « fers plats », soit un total de 30 000 « fers » (soit 30 000 livres poids), auxquels on devait ajouter 20 200 livres de « clous » : ANOM, COL C11A, vol. 55, fol. 36, « État des fers et cloux nécessaires pour la construction proposée d’une flute de 500 tonneaux », par Hocquart, de Québec, 20 septembre 1731.

117 ANOM, COL C11A, vol. 112, fol. 114-126, « Mémoire sur les forges du Saint-Maurice », s. l., fin 1742.

118 ANOM, COL C11A, vol. 79, fol. 300-307, Lettre de Hocquart au ministre, de Québec, 2 octobre 1743.

119 ANOM, COL C11A, vol. 81, fol. 274-285v°, Lettre de Hocquart au ministre, de Québec, 7 octobre 1744.

120 Acerra M., op. cit., t. 2, p. 237.

121 ANOM, COL C11A 116/fol. 366, « Envois de fer et de goudron à Brest », s. l., 1750.

122 Statistiques établies à partir des factures identifiées dans les fonds de l’ANOM et des dépenses totales annuelles de la Marine données par Martine Acerra : Acerra M., op. cit., t. IV, p. 906-907.

123 ANOM, COL C11A, vol. 103, fol. 488-488v°, « Mémoire sur le Canada », s. l., 27 décembre 1758.

124 ANOM, COL C11A, vol. 92, fol. 228, « État du bois d’yeuse qu’il est nécessaire d’envoyer du port de Rochefort », par Bigot, de Québec, 8 novembre 1748.

125 ANOM, COL C11A, vol. 66, fol. 206-213, Mémoire de Duhamel Du Monceau…, s. l., 1749.

126 Ils préfèrent construire au Canada, les exportations de matériaux vers l’Angleterre restant relativement limitées en valeur et en tonnage, surtout si on les compare avec les exportations de peaux et fourrures. Si les envois de mâts canadiens et de madriers vers Angleterre demeurent plus ou moins ponctuels après 1763, à l’instar des envois de goudron et de brai, les exportations de planches de pin, de merrain et de tonneaux de futailles « se fraient [au contraire] une voie de façon stable jusqu’aux quais britanniques » : Vallières M. et Desloges Y., « Les échanges commerciaux de la colonie laurentienne avec la Grande-Bretagne, 1760-1850. L’exemple des importations de produits textiles et métallurgiques », Revue d’Histoire de l’Amérique française, vol. 61, no 3-4, 2008, p. 438.

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