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D’herbe, de terre et de sang

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Marc Conesa

Troisième partie : l’herbe et l’avoir

Chapitre V. L’élevage et ses espaces

Texte intégral

  • 1 Jordi Pere Cerdà, Voies étroites vers les terres hautes, 1998, trad. fr., Le Mans, Cénomane, 2006, (...)

« Le monde qui tenait dans nos têtes allait des Pyrénées au Rhône, six mois d’un hiver migratoire. À en croire ce que les hommes racontaient au retour, les terres basses connaissaient une saison plus douce, le vent mis à part. Il y avait toute une suite de noms de cités qui venaient voleter au-dessus de la Cerdagne, portés par les lettres de ceux qui savaient écrire ; quant à ce qui est de lire, on trouve toujours quelqu’un qui sait, à tout le moins le curé. C’étaient des noms gracieux, je veux dire avec quelque chose de magique et de léger, sonnant comme les grelots d’un troupeau : Avignon, Paulhan, Alès, Béziers, Narbonne, une fraîcheur de tintement d’argent ou de cristal, comme une couleur de rêve. »1

  • 2 Marc Conesa, “Des grains, des terres et des hommes. La dîme en Cerdagne, fin XVIIe-fin XVIIIe siècl (...)
  • 3 Chris Whickam, Communautés et clientèles en Toscane......, p. 23 ; Sylvie Caucanas, “A propos des b (...)

1L’élevage rapporte. Il échappe à l’impôt direct, la dîme peine à percevoir son dû2, la seigneurie l’ignore à peu près totalement. La terre passe au contraire sous les fourches caudines des différents prélèvements : la dîme et la capitation, le vingtième et les droits de mutation. Tout au plus, et bon an mal an, l’agriculture offre un rendement de l’ordre de 5 %, autant que le crédit, qui demeure plus sûr à faible échéance, mais quatre fois moins que l’élevage3. L’agriculture s’étend néanmoins, parce que la croissance du nombre des hommes justifie l’escalade des versants. Il n’y a pas que la rentabilité qui compte. Si la concurrence entre les deux activités sur les mêmes espaces est réelle, les complémentarités le sont tout autant. L’élevage est en partie intégré aux cycles de la production agricole. Il fournit la force de travail et il fume les terres. Il apporte aussi un complément alimentaire non négligeable. Il est aussi une source de revenus. Ses produits sont commercialisés dans les foires et dans les boucheries. Ils permettent de payer l’impôt. C’est aussi un capital-risque exposé à tous les aléas. Bref, l’élevage est une activité complexe. Longtemps négligée, elle reprend ses droits sur le devant de la scène historiographique.

2La Cerdagne constitue un terrain d’analyse original. En partie française, elle n’est pas tournée vers Paris, mais en direction de Barcelone, de Gérone et de Lérida pour la commercialisation des productions animales. Pyrénéenne, la composition de son cheptel est plus proche du type languedocien que de celui des Pyrénées et des Alpes. Rurale, son élevage est longtemps contrôlé par la ville de Puigcerdà. Montagnarde, le tiers des communautés de Cerdagne française n’ont pas d’estives. Réputée égalitaire, la possession des troupeaux est néanmoins très fortement hiérarchisée jusqu’à exclure une partie de la population. Toutes ces contradictions apparentes ne se comprennent que dans la transformation du rapport à l’espace entre le XIVe et le XIXe siècle.

3Dans cette perspective, l’opposition de la ville et des villages se retrouve logiquement au premier plan. Puigcerdà contrôle l’élevage entre le XIVe et le XVIIe siècle. Puissamment dotée de droits sur les montagnes, elle organise l’estivage et la transhumance. Riche en bêtes, elle les afferme aux habitants des villages. Mis en série, ces baux à cheptel révèlent une progressive construction d’espaces spécialisés autour de la ville. Mais l’incontestable puissance de la ville est contestée. Elle se replie sur trois espaces qui réorganisent les conditions de l’élevage au profit de Puigcerdà : un quartier de prés, une montagne « domestique » et un fil d’eau capté dans la partie française de la Cerdagne.

4Longtemps considérées comme marginales et ahistoriques, les estives constituent un autre enjeu des réorganisations socio-spatiales de la Cerdagne de l’époque moderne. Ces pacages sont ordinairement gérés par la communauté ou le seigneur. S’ils constituent l’un des socles des communautés rurales, leur exploitation est d’abord domestique. Elle n’est pas le fait de la communauté, mais d’une somme d’individualités qui se l’approprient à l’intérieur d’un cadre réglementaire fixé et provisoirement figé comme le résultat d’un rapport de force interne aux assemblées des chefs de famille. Tout cela bascule progressivement entre le XVIe et le XVIIIe siècle. L’égalité des ayants-droits est remise en question. Plusieurs cas de figure se distinguent. Tous concourent à l’avènement d’une société villageoise ordonnée par la possession foncière. La fiscalité apparaît comme le principal levier du changement.

I. L’élevage dans la longue durée

  • 4 Cet éclatement est particulièrement visible dans les différentes contributions du numéro d’Estudis (...)
  • 5 Sur ce point, on jalousera particulièrement la documentation d’Olivier Codina Vialette, De fer et d (...)

5Les sources de l’élevage sont plurielles4. Elles sont aussi décevantes et discontinues. Contrairement à l’Andorre et à la Castille, les comptabilités ne sont pas de qualité. Le prix de production des animaux, tel qu’il peut être calculé ailleurs, est ici impossible à établir5. En revanche, la typologie des documents embrasse la quasi-totalité du spectre archivistique. Mais le fonds le plus abondant, les registres notariés, est décevant pour la période moderne. À côté de cette documentation privée, les archives publiques jettent une lumière partielle sur l’élevage. Deux types de sources se distinguent : celles de la ville d’abord, si puissamment dotée de montagnes qu’elle accumule les registres ; celles de l’administration domaniale et fiscale ensuite, qui gère les pacages royaux et tient le compte des bêtes pour mieux imposer les hommes. Partout, c’est de nombres dont il est question, comme si l’élevage constituait une structure d’apprentissage du capitalisme.

1. Vue d’ensemble

6L’élevage est « capital » à tous les sens du mot. La dimension comptable de la documentation s’explique par l’intérêt des institutions à dénombrer le bétail. D’une source à l’autre et du XIVe au XIXe siècle, la composition du bétail ne change guère. D’une manière générale, trois à quatre espèces sont représentées. Les ovins forment de 80 % à 90 % des têtes de bétail et comptent de 20 000 à 25 000 têtes en Cerdagne française. Les bovins fournissent environ 10 % des effectifs (2 500 vaches sont recensées au XVIIIe siècle) et les équidés contribuent pour 5 % du cheptel (de 1 000 à 1 500 individus). Les cochons n’apparaissent que de manière intermittente. Assimilés à une production domestique, au même titre que les volailles, ils sont rarement recensés. Comme les potagers, ils ne sont pas imposés. L’année 1730 constitue une exception. Les porcins constituent près de 7 % du bétail et comptent 2 000 têtes. Ils sont une valeur sûre : celle qui permet de passer l’hiver.

  • 6 AD66, 1C2045, mémoire du viguier Sicart, 1730. « Quand au bétail à laine, les habitants dudit pays (...)
  • 7 Michel Brunet, Contrebandiers, mutins, fiers-à-bras. Les stratégies de la violence en pays catalans (...)

7Polyvalence du bétail et complémentarité avec l’agriculture sont les deux maîtres mots de cet élevage. Chaque animal est exploité de toutes les manières possibles, de sa naissance à son abattage. Le bétail à laine fume les terres à l’ouverture des terroirs pendant le printemps. Sa laine est vendue en Languedoc et dans le Pays de Foix6, sa viande est cédée aux boucheries des cités catalanes. Les troupeaux forment le plus souvent des ensembles indistincts, constitués de bêtes à laine, sans plus de précision. Ils sont aussi dénombrés de manière grossière, par dizaine, cinquantaine ou centaine. L’unité ne compte pas. L’animal n’est pas individualisé. Le sel, qui peut constituer une dépense importante, est ici amené à bon prix de Catalogne par les contrebandiers. Les mines de Cardona sont ainsi le principal fournisseur du Roussillon. Depuis 1669, un accord tacite entre les fermiers, la monarchie et les communautés cerdanes permet à chacun de vivre sans perdre la face. Les fermiers de la gabelle s’assurent d’une certaine quantité de sel abonnée. Les habitants s’approvisionnent en Catalogne. La monarchie ferme les yeux et ne condamne que les petits faux-sauniers. Tous ont intérêt à conserver un semblant d’ordre pour préserver leurs intérêts respectifs7.

  • 8 Dans les contrats de parceries, les vaches peuvent être pregnantes, grossas, ou levantes. Chacun de (...)
  • 9 Les parceries fournissent 443 mentions de couleur pour les bovinés. 55 % sont dans les nuances de r (...)
  • 10 ACCE, fons notarial, Pere Pujol, Manual, parceria du 17 octobre 1520, ; Marie-Thérèse Lorcin, “L’él (...)

8Les bêtes grosses sont de deux types. Le bétail bovin est associé au trait et à la culture du sol. Même les vaches tirent l’araire. En 1636, Joan Cotxet pareur de Bellver s’engage, par contrat, à ne pas labourer plus de deux journaux avec les deux vaches qu’il prend à parceria de Francisco Ribas de Riu de Pedra. Le preneur devra aussi payer chaque année une dobla au bailleur à la Saint Michel pour le prix de ce labeur. Ces différentes tâches n’empêchent pas la reproduction8. Les vaches fournissent également du lait puis leur peau. La proximité avec l’animal est aussi plus marquée. Les parceries font le portrait de chaque bête à travers sa couleur9, qu’elle soit rouge, cendre ou or, son âge et son nom. En 1520, la « cortesa » et la « moscarina », deux vaches l’une de huit ans, robe rouge et tête noire, l’autre noire et tachetée de blanc et âgée de cinq ans sont confiées par un apothicaire de Puigcerdà à un habitant de Bolvir10. Les juments sont liées au commerce lucratif des chevaux et des mulets. Essentiellement reproductrices, elles sont utilisées pour le dépiquage des grains. Les mulets sont indispensables au transport des marchandises à travers des cols escarpés. À côté de ces animaux de bât, les chevaux de selle sont rares, une cinquantaine en 1753. Ils sont les marqueurs d’un statut social que s’arroge une élite.

  • 11 Olivier Codina Vialette, De fer et de laine…, op. cit., p. 162.
  • 12 ACCE, registre des baronnies de Cerdagne française. Affaire opposant Joseph Astrié, marchand d’Ax, (...)

9Fumure, travail et transport, lait, laine et viande sont exigés tour à tour des animaux. Il n’y a pas de spécialisation. Chaque animal participe de plusieurs logiques d’exploitation. L’élevage est polyvalent. Mais, cela n’empêche ni l’opportunisme, ni les initiatives. Les parceries fourmillent de petites entreprises lucratives et spéculatives, concernant, par exemple, l’élevage des mulets. Les Cerdans, comme les Andorrans, achètent également des troupeaux au nord pour les conduire au sud, dans les boucheries urbaines, en profitant des différences de prix et en jouant des frontières pour éviter les taxes11. Le passage par l’Andorre n’est-il pas un moyen de contourner certains péages et certains droits ? En 1715, 800 têtes errent d’un côté à l’autre de la frontière, car Barcelone est assiégée par les troupes de Philippe V. L’affaire a été évoquée. Le commanditaire est un homme de Mont-Louis. Les associés sont originaires de France et d’Espagne. L’investissement est considérable. Il dépasse 10 000 livres et atteint le double en 1713. Ces opérations expliquent les soudains à-coups qu’enregistrent les pasquiers, quand arrivent ces grands troupeaux, jusqu’à 6 000 têtes en transit. Ils révèlent aussi la complexité des réseaux constitués autour d’actions ponctuelles qui ne se renouvellent qu’en fonction des opportunités12.

2. Oscillations, variations : le problème des effectifs

10Éclairés par trois documents fiscaux (1730, 1753, 1773), les variations du cheptel sont importantes. Il compte de 25 000 à 35 000 têtes. Mais, les variations constatées entre chaque source sont avant tout des oscillations. En 1730, Angoustrine déclare 124 bovinés, 50 en 1753 et 88 en 1773 ; de son côté, Caldègas et Onzès en dénombre successivement 71, 138 et 65. Les écarts peuvent aller du simple au double.

11D’année en année et d’une période à l’autre, les pasquiers enregistrent également l’irrégularité des effectifs. Les écarts vont de 1 à 4. Toutes les espèces sont touchées par ces oscillations où le nombre de têtes de bétail varie du simple au triple pour les bovins, au quadruple pour les caprinés et encore plus pour les équidés, particulièrement réactifs aux effets de conjoncture et aux opportunités. Si le poids relatif entre les différents types d’animaux est globalement inchangé, la variation des effectifs à l’intérieur d’une même espèce est considérable. Que la documentation soit de nature fiscale et ancre les animaux à la terre ou qu’elle soit de nature comptable et enregistre les entrées sur les pâturages, l’élevage est tout entier parcouru par ces oscillations de différentes amplitudes.

  • 13 Jean-Marc Moriceau, Histoire et géographie de l’élevage. Du Moyen Âge à la Révolution, Paris, Fayar (...)
  • 14 Jean-Marc Moriceau, Histoire du méchant loup : 3000 attaques sur l’homme en France. XVe-XXe siècle, (...)
  • 15 AD66, 21 EDT 21, fo 190
  • 16 Par exemple Miquel Agusti, Libro de les secretos de agricultura, casa de campo y pastoril, 1617, 19 (...)
  • 17 Parmi d’autres : criées de Llo, AD66, 9Bp727 (1777), article 18 et à Estavar, article 9 du règlemen (...)

12Elles s’expliquent par la fragilité du bétail face aux différents aléas qui le menacent : la guerre, les prédateurs, les intempéries et les épizooties13. Les deux premiers demeurent une réelle menace14. Les secondes sont périodiques. Les hivers rigoureux, particulièrement en 1694 et en 1709, puis les grandes sécheresses comme en 1716, 1723, 1742, 1762, 1778 et surtout en 1785 accablent sévèrement les troupeaux. La neige peut, par exemple, surprendre les troupeaux aux prémices de l’été : « die 15 juny de 1769 a la nit per causa de una grandissima tremontana moltissima freda ab cerca de dos palms de neu (…) en las mateixas montanys de Carlit destruhi (…) molt de bestiars de gran y de xich en particular de obellas que moriran cerca de siscents »15. Les épizooties sont un troisième aléa qui menace régulièrement les bêtes grosses et menues. La clavelée, le mal de langue et le mors frappent à tour de rôle. Les pestes de 1714 et de 1742-1748 taillent dans les effectifs. Et si les remèdes sont anciens, ils sont aussi d’une efficacité douteuse16. Les criées de la fin du XVIIIe siècle tentent d’instaurer des mesures prophylactiques, en instaurant des contrôles et surtout l’obligation de dénoncer tout début de contagion17.

  • 18 Jean-Yves Grenier, L’économie de l’Ancien régime ? Un monde de l’échange et de l’incertitude, Paris (...)

13Si l’élevage est une activité rémunératrice qui permet des opérations spéculatives à rendement élevé, c’est aussi un capital-risque qui présente peu de garanties face à la maladie et aux intempéries. Les variations des troupeaux sont avant tout le reflet de cette incertitude qui constitue l’un des traits structurants de cette économie-monde18. Le mouvement des effectifs semble pendulaire. L’évolution globale semble davantage caractérisée par des hausses et des baisses que par une tendance générale bien affirmée. Les récupérations font suite aux pertes, les ajustements du bétail font place au surpâturage. Si chaque recensement fixe le cheptel dans un ordonnancement immobile, leur mise en série est une mise en abyme des difficultés à dénombrer le bétail.

14L’éclatement des sources est lié à la difficulté de saisir d’un seul tenant un objet manifestement complexe. Chaque animal est l’objet de plusieurs formes d’exploitations. La documentation témoigne d’une volonté de contrôle qui passe le plus souvent par le dénombrement des bêtes pour prélever des droits d’entrées ou des impôts. Mais, les effectifs sans cesse varient et taxer les animaux indépendamment de la terre demeure une impasse. Au XVIIIe siècle, le bétail est recensé avec les terres, il leur est fiscalement rattaché. N’est-il pas temps de déplacer le centre névralgique de l’analyse du terrain comptable au terrain spatial, car le cheptel ne dépend-il avant tout pas des conditions d’accès aux herbages ?

II. La ville et ses bêtes. Les logiques spatiales de Puigcerdà entre le XIVe et le XVIIIe siècle

15Quelle place occupe Puigcerdà dans les dispositifs de contrôle de l’élevage et de ses produits, alors que ceux-ci apparaissent comme des produits essentiels pour cette ville sans terroir, et pourtant charnière entre la France et l’Espagne et entre les régions de plaine et de montagne ?

1. L’échec d’une domination (XIVe-XVIIe siècle) ?

16La ville fonde en partie sa position dominante en Cerdagne et son importance commerciale en Catalogne sur l’élevage. Le contrôle des parceries et des flux de troupeaux qui entrent dans les pacages sont une nécessité. Néanmoins, à partir du XVIIe siècle, ces deux piliers sont ébranlés, l’un par la raréfaction des contrats de parceries, l’autre par la contestation des communautés rurales.

Les parceries, une économie spatiale et son démantèlement

  • 19 Le nombre d’actes, par centaines, et leur dispersion dans les dizaines voire des centaines de regis (...)

17Un acte notarial éclaire constitue le cœur des relations entre la ville, les estives et les communautés ruales de Cerdagne. Une parceria (parceries au pluriel) se définit comme un contrat d’une durée moyenne de 4.7 années durant laquelle un bailleur confie un ou plusieurs animaux à un preneur19. Les animaux sont soit des reproducteurs, notamment les vaches et les juments, soit destinés aux boucheries, en particulier les moutons. Les petits troupeaux de brebis sont plus rares. Associés à quelques chèvres, ils sont explicitement liés à des productions fromagères. Dans un cas, la parceria vise l’augmentation et le renouvellement du capital, dans l’autre la commercialisation du cheptel et de ses produits. Au cours du contrat, les fruits (la laine, le lait) et le croît (les naissances) sont partagés selon différentes modalités. Le capital l’est aussi au terme du bail. Le preneur peut obtenir de la moitié au sixième du troupeau. La date d’entrée du bail se situe à la fin de l’automne et en hiver : 70 % des actes sont signés entre le mois octobre et le mois de mars. La Toussaint et la Saint-Michel, Noël et la Saint-André constituent des dates clefs pour l’entrée en vigueur des contrats. Leur durée change peu selon le type d’espèce (4.7 années pour les ovins et les bovins, 4.4 pour les équidés et 3.5 pour les cochons). Ce temps des actes semble défini de façon coutumière. Au bas Moyen Âge, l’acte est indépendant ; à l’époque moderne, il est progressivement intégré à l’affermage d’une exploitation.

  • 20 Gilles Postel Vinay souligne que l’inflation monétaire et la dévaluation des assignats a permis à d (...)
  • 21 Sylvie Caucanas, “à propos des baux à cheptel…”, art. cit, Jean Tricard, Les campagnes limousines d (...)

18La répartition des actes souligne la dichotomie entre l’époque médiévale, où ce type de document occupe plus de 10 % des registres, et l’époque moderne, où il représente moins de 1 %. D’un siècle à l’autre, la trajectoire est nettement descendante. Si au XIVe siècle, dix-sept contrats sont en moyenne découverts par registre étudié, ce rapport passe à six au XVe siècle, à moins de trois au XVIe et au XVIIe siècle avant de devenir insignifiant au XVIIIe siècle. Comment expliquer ici cette progressive disparition des baux à cheptel avant la Révolution20, alors qu’ils continuent ailleurs, en Languedoc comme en Limousin, d’attirer les acteurs de l’élevage21. Les parceries doivent être interrogées du point de vue spatial avec deux objectifs. Il s’agit d’abord de déterminer comment ces contrats participent de la structuration spatiale de la Cerdagne et particulièrement de la constitution d’aires d’élevage individualisées ; l’objectif est ensuite de s’interroger sur la disparition d’une source partout ailleurs abondante mais qui prend ici une couleur particulière liée à la nature des relations entre la ville qui s’essouffle et les communautés rurales qui s’imposent.

L’hypothèse spatiale

19Si les actes notariaux sont l’objet de nombreuses études sociales ou économiques, ils sont plus rarement interrogés du point de vue spatial. L’identification des informations spatiales véhiculées par les sources a été rarement menée. Un large pan de l’histoire est hors-sol. Pourtant, la lecture des actes de notaires par l’espace peut être fructueuse, car elle invite à lire autrement les documents, car elle incite à remettre en cause des conceptions géographiques trop souvent préétablies. L’espace est une construction, pas un donné.

20Dans cette perspective, l’étude des contrats repose sur l’identification préalable des informations spatiales qui y sont contenues. Elle vise à traiter l’hypothèse selon laquelle la présence de vastes zones pastorales d’altitude donne aux relations entre espaces une tonalité particulière : alors que du point de vue du peuplement, le bassin cerdan paraît structuré dès le XIIe siècle en trois couronnes hiérarchisées (ville au centre, villages de plaine, hameaux et écarts de piémont), du point de vue de la richesse herbagère, ce sont les habitats à la marge, au pied des pâturages, qui peuvent devenir centraux. Dans quelle mesure captent-ils éventuellement les contrats ?

21C’est en fonction du droit à la montagne et des découpages territoriaux et juridictionnels qui le définissent, qu’il faut interroger le corpus. Certaines communautés d’habitants, certaines maisons, certaines dominations seigneuriales, en effet, médiatisent vis-à-vis des autres l’accès aux territoires de dépaissance à différents niveaux, du pré commun à un quartier d’estive ou à une vallée entière, selon des configurations où la continuité territoriale n’est pas toujours la règle. Dans ce schéma, essentiellement médiéval et qui change progressivement durant l’époque moderne, le bail à cheptel pourrait apparaître comme un outil de contournement des voies statutaires d’entrée aux herbages : le preneur ouvre ses propres accès au bétail qui lui est confié. L’objectif est donc également de projeter la trame des relations de parceries sur différentes organisations territoriales pour éclairer les transformations des usages de l’acte dans un espace lui-même en mouvement.

22Les parceries ne peuvent-elles pas être envisagées, du point de vue spatial, comme une relation horizontale entre deux individus ? La relation n’implique aucun déplacement. Elle signifie seulement l’existence d’une connexion, matérielle ou immatérielle, entre les acteurs. Ce cas de figure englobe les précédents, sans les contredire. Il intègre également les parceries gagées sur le crédit. Là, le preneur est aussi le débiteur du bailleur ; il doit lui rembourser un capital. Pour rembourser sa dette, il met en gage un lot d’animaux, en totalité ou en partie, au profit de son créditeur. Dès lors, celui-ci baille le bétail au preneur, qui lui verse des intérêts : le croît et le fruit. Si le capital a changé de mains, l’espace des animaux est le même ; ces derniers ne se sont pas « déplacés » au sens géographique. En revanche, les deux flux de sens contraire (le capital et la rente tirée des animaux) peuvent être représentés sous la forme d’une relation entre le domicile du bailleur et celui du preneur. Cette dernière lecture des actes est retenue comme la plus valable.

Mise en espace des bailleurs et des preneurs : méthode et résultats

  • 22 Pau Viciano, “Marché du crédit et structuration de l’espace rural. Le Pays Valencien au XVe siècle” (...)

23Les données sont intégrées dans un Système d’Information Géographique. Chaque relation est signifiée par un segment de droite reliant le domicile du bailleur à celui du preneur (figure 17). Le lieu de domiciliation des notaires a également été localisé. Ils sont les acteurs des échanges. En effet, 90 % des parceries sont signées entre des contractants qui ne résident pas dans la même localité (366/407). Ces actes sont fondés sur la confiance entre les parties. Le notaire apporte des garanties supplémentaires. Sa documentation est biaisée. Elle surévalue les habitants des centres notariés, proportionnellement bien plus représentés dans les contrats que dans la population. Pau Viciano fait le même constat pour le Pays Valencien22. La source notariale sous-enregistre en particulier les baux à cheptel contractés entre des individus originaires d’un même village. L’engagement de la parole donnée devant témoins suffit souvent à conclure le contrat.

Figure 17. Mise en espace et décomposition des parceries (baux à cheptel) : XIVe - XVIIIe s.

Figure 17. Mise en espace et décomposition des parceries (baux à cheptel) : XIVe - XVIIIe s.

24Un rapide examen de la géographie des contractants dénombre 105 localités concernées par les contrats et distingue trois cas de figure. Il y a des villages de preneurs (54), des villages de bailleurs (15) et surtout des localités où les deux types de contractants sont représentés (54/105) (Planche 12). Le nombre de lieux qui donnent des animaux est deux fois moins important que ceux qui en prennent. La distribution géographique des uns et des autres n’est pas très significative puisque les villages de plaine, de piémont ou de montagne sont tout autant concernés par les différents cas de figure. Un examen approfondi contredit partiellement cette première impression. En effet, le dénombrement des effectifs respectifs des bailleurs et des preneurs par localité dessine une toute autre géographie.

25Puigcerdà pèse de tout son poids. La ville fournit plus de la moitié des bailleurs (222/407) tandis qu’aucun autre bourg ou village ne dépasse 3 % : Llivia suit Puigcerdà, de très loin, avec 2.2 % des bailleurs contre 54.5 % pour la ville. Cette dichotomie se confirme dans la géographie du nombre d’animaux confiés ou pris en bail pour chaque localité. Puigcerdà fournit 72 % des équidés, 64 % des bovins et 55 % des ovins ; aucun des villages ne dépasse 4 % des animaux pris ou donnés en bail (Planche 12).

26Les preneurs sont en revanche répartis, sans concentration notable, sur une centaine de lieux. La moyenne est de quatre contrats par localité, soit moins d’un pour-cent. Angoustrine et Urtx cumulent chacun quatorze preneurs et atteignent 3.4 % des contractants. Des aires d’élevage spécialisées se dessinent néanmoins en analysant le corpus par type de bétail pris en bail. Autant les bêtes grosses sont concentrées dans la plaine et à faible distance de Puigcerdà (90 % des animaux de ce type sont confiés dans rayon de cinq kilomètres autour de la ville), autant les ovins sont rejetés sur les marges par rapport à celle-ci et sont placés dans des localités de piémont. Les parceries construisent ces différenciations spatiales.

***

27À travers ces différents tableaux de la répartition des bailleurs et des preneurs d’une part, et des animaux donnés et pris en bail d’autre part, l’implication spatiale des parceries prend forme. La géographie des contrats est ainsi structurée par la très forte concentration de bailleurs originaires de Puigcerdà et par la dispersion des preneurs dans toutes les localités de Cerdagne. Deux aires spécialisées d’élevage apparaissent, l’une proche de la ville privilégie les bêtes grosses, l’autre établie sur les piémonts prend en charge le cheptel ovin. Néanmoins les connexions entre espaces ont été, pour l’instant, négligées. Deux types de configurations apparaissent.

Deux réseaux d’élevage inter-reliés

  • 23 Gilbert Larguier, Le drap et le grain en Languedoc. Narbonne et le Narbonnais (1300 – 1789), Perpig (...)

28La plus évidente et la plus attendue de ces configurations centre les relations sur Puigcerdà. Détentrice du capital, la cité investit dans les villages entrés dans sa proche périphérie à travers des parceries. Cette économie est essentiellement fondée sur le placement de bovins et d’équidés dans les finages proches de la cité. Par ce type de contrats, la ville pallie le manque de fourrage fourni par son terroir étriqué et renforce son emprise sur les espaces environnants. La comparaison avec Narbonne s’impose, même si Puigcerdà n’atteint pas la moitié du poids de la grande cité languedocienne23. Cette configuration paraît dès lors s’inscrire dans un modèle centre-périphérie classique.

29S’en tenir à ce constat serait oublié que 45 % des baux à cheptel sont établis entre les habitants des villages. Les relations y sont définies par des interconnections multiples qui paraissent former une configuration en réseau. Dans cet ensemble, un changement d’échelle montre que les villages dotés d’estives forment des points de convergence des relations. L’élevage concerné est plus souvent de type ovin. Au-delà de l’image dominante où l’essentiel des contrats est à l’initiative de Puigcerdà, ce deuxième modèle met donc au jour une autre forme de relations, a priori non structurée directement par le capital urbain. Du point de vue d’une polarisation par les versants, cet éclairage latéral qui met à distance la ville, sert en quelque sorte de contre-épreuve : non seulement il la confirme, mais il suggère parallèlement le rôle actif des habitats de la plaine et du piémont dans la gestion des parceries. Celles-ci établissent des relations à travers toute la Cerdagne. Leur usage varie toutefois en fonction des espaces : contrats bovins et équins à capitaux urbains sur les herbages intensifs de la plaine et contrats ovins sur les piémonts, esquissent les deux extrêmes de l’acte. Mais ces deux pôles résultent pour l’instant d’un écrasement de la dimension temporelle. Or loin d’être statiques ou a-historiques, les configurations compilées sur la carte procèdent d’évolutions dans la longue durée. Quelles dynamiques celles-ci dessinent-elles ?

La disparition

30En effet, si l’unité de la Cerdagne semble reposer du XIVe au XVIIe siècle sur ces réseaux de relations entre la ville et les villages d’une part et entre les différents espaces ruraux d’autre part, cette configuration géminée est compromise dès lors que l’acte est structuré sur la longue durée par une disparition progressive. Elle n’affecte pas cependant au même rythme les parceries ovines et les contrats portant sur les bovins.

31Les parceries ovines, essentiellement vouées à ouvrir les estives des communautés montagnardes ne se sont jamais fortement polarisées sur Puigcerdà. La ville a, dès le milieu du XIVe siècle, acquis des droits sur différents massifs, qui ont dispensé ses éleveurs de conclure de tels contrats. Les parceries évitent ces aires-là. Dévolue aux relations inter-villageoises, excentrée au sens propre, la parceria se raréfie dans les sources écrites de la capitale cerdane. Lorsque Puigcerdà, au XVIIIe siècle, perd ses pâturages, les formes d’accès aux estives ont profondément changé. Elles se déclinent sur d’autres registres : la location de quartiers de montagne circonscrits aux étrangers d’une part et une rigidification du droit d’estivage sur le reste des communaux d’autre part. L’un et l'autre phénomène indiquent une territorialisation plus exclusive des aires pastorales. La parceria écrite demeure marginale, mais le fait ne reflète pas forcément un déclin proportionnel de cet élevage. Les parceries bovines, elles, concernent essentiellement les herbages intensifs des villages proches de la ville, pour un élevage naisseur et d’embouche. Elles participent de la construction d’un pré carré autour de Puigcerdà. Avec la fermeture progressive au parcours et à la vaine pâture, cet espace a de moins en moins à voir avec les formes d’accès aux herbes collectives. Dans cette relation de proximité urbaine que sous-tend l’affirmation de la propriété privée, l’acte notarié se maintient plus largement. Sa raréfaction, moins nette que pour la parceria ovine, est attribuable en grande partie à des acquisitions foncières par les hommes de Puigcerdà dans ces villages périphériques : ils n’ont plus besoin de preneurs comme intermédiaires. Ceux-là sont privés d’un moyen efficace d’éponger leurs dettes, gagées sur du bétail et non sur le capital foncier. La disparition de l’acte ne met-elle pas en péril leur patrimoine agraire ? Ne sont-ils pas davantage exposés au risque d’un endettement cumulé qui conduit à la dépossession foncière ?

***

32La disparition des parceries est liée à la transformation du rapport à l’espace. Celui-ci s’organise en deux systèmes successifs. Dans le premier, la ville tient et confie le capital mobilier. Elle le fait fructifier. Les baux à cheptel offrent une rentabilité sans équivalent. Ils nourrissent aussi l’appétit de laine, de peaux et de viande de la ville encore peuplée et parfaitement insérée dans les réseaux d’échanges commerciaux. De leur côté, les villageois, adossés aux estives et aux usages collectifs profitent d’un capital à bon prix, même doublé d’un crédit. Le contrat leur permet soit de le rembourser, soit d’investir. Les deux parties sont gagnantes. Mais, la raréfaction des parceries montre une progressive rupture, un deuxième système où l’acte perd sa place centrale dans l’élevage. Les criées ferment les portes de la montagne au bétail pris en bail ; les parceries sont visées, car elles permettent de développer un élevage sur les terres collectives qui profite en partie à des étrangers à la communauté, et en premier lieu à des habitants de Puigcerdà. Aussi, cette fermeture n’est-elle pas une réponse à l’emprise croissante de Puigcerdà sur le marché foncier ? En effet, les habitants de la ville achètent des exploitations. Ils font monter les prix du foncier. Les petits propriétaires peinent à s’aligner. Ce tarissement de l’investissement provoque, en retour, le refus des troupeaux étrangers sur l’herbe commune. Une partie de celle-ci est louée au plus offrant et au profit de la communauté fiscale. Autant la parceria semble traverser la totalité du corps social par capillarité et transcender les appartenances territoriales dont la plus évidente oppose la ville et les villages, autant l’appropriation des herbages par les communautés génère un autre dispositif d’accès aux pacages, fondé à la fois sur la résidence et la propriété foncière et qui confirme cette bipolarisation sociale entre ceux qui possèdent et les autres. La petite histoire de l’acte continue malgré tout. Il se retrouve d’abord intégré dans les baux de ferme, captif de l’exploitation foncière qui ouvre, désormais, la voie des herbes et de l’élevage.

Les pasquiers du Querol (1422-1670)

  • 24 Serge Dontenwill, “La mise en valeur des terres en Roannais-Brionnais au dernier siècle de l’Ancien (...)

33Si les parceries permettent à Puigcerdà de contrôler une partie des produits de l’élevage et de profiter d’un système productif à fort rendement, le dispositif demeure, comme le souligne Serge Dontenwill, un système de « gagne-petits »24, sans envergure et ne s’adressant, pour l’essentiel, qu’aux acteurs et aux cheptels locaux. Or, la ville a bien plus de besoins en laine, en viande et en peaux que ces petits réseaux peuvent lui fournir. Très tôt, la ville acquiert des pacages, très vite elle organise l’estivage pour le cheptel local comme pour le bétail venu d’ailleurs sur ses terres et en particulier sur les estives du Querol pour lesquels la documentation a été conservée.

34Le contrôle de ces montagnes vise trois objectifs. Le premier est de percevoir les droits d’entrées. Ils sont d’autant plus nécessaires que le budget de la ville est régulièrement exsangue. Toutefois, ces pacages rapportent aussi indirectement. Ils ancrent la cité dans les circuits commerciaux de l’élevage local et régional. Puigcerdà supervise l’accueil des troupeaux. Mais c’est aussi une place marchande. Ses deux foires d’automne s’ouvrent quand se ferment les portes de la montagne. Elles sont d’autant mieux situées dans le calendrier que les éleveurs cherchent à alléger leurs troupeaux avant de passer l’hiver. La ville capte ainsi une partie des productions. Elle les transforme. Elle les revend. Le troisième objectif relève de la police des estives et de la volonté de gérer la ressource en herbe afin d’en permettre le renouvellement. La montagne est aussi un espace de la violence. Puigcerdà y régule les conflits en proclamant sa loi, en y imposant sa force et en marquant ses limites. Le contrôle des pacages s’exerce à travers l’instauration d’une organisation où interviennent plusieurs officiers mandatés par la ville.

  • 25 AD66, 1Bp818, fo 100 ro

35Les consuls nomment d’abord des bailes ou « governardors generals de les baroni a Saltegel y termens de aquella y demes muntanyes de la present vila ». Ils sont chargés de taxer les contrevenants et de saisir les animaux ou le bois illégalement coupé dans les forêts de la ville. Cette délégation générale est confiée en 1650 à deux marchands. Ils sont secondés sur le terrain par des apasqueradors élus par le conseil de la ville. Ils sont identifiés par les protocoles qui commencent chaque nouvelle année dans le liber pasquaroum de la vallée du Querol. Ainsi, en 1508, on fait état des « Apasqueraments fets per los honorables Joan Moxo consol e Anton Pasqual apesqueradors elegits per lo consell en l’any Mil Sinch Cents e vuyt, en lo part de pimorent, dels quals pasquers los consols de Querol han la mitat »25. Ces deux hommes sont ainsi chargés de procéder à l’enregistrement et au contrôle des animaux autorisés à entrer sur les pasquiers de la ville. Leur identité marque l’intérêt de la ville pour cet espace. L’élection d’un consul est à mettre en relation avec la montée des oppositions entre Puigcerdà et la vallée du Querol. Il incarne la ville sur ces confins. Le deuxième apasquerador est Anton Pasqual, rédacteur du Manual Pascual qui définit les avoirs pastoraux de Puigcerdà et inventorie ses titres et ses droits. Le pouvoir et le savoir sont liés. Le ton est donné.

  • 26 Quelques très rares cas de saisies de bétail sont mentionnés. Toutefois, ce n’est pas la fonction d (...)
  • 27 La fonction : apasqueradors ; l’action : apascarament ; l’objet : les troupeaux envoyés sur ces esp (...)
  • 28 AD66, 1Bp818, fo 13vº
  • 29 AD66, 1Bp818, fo 169ro-172ro

36La vérification des remues de bêtes constitue l’un des offices majeurs de la ville. Cette charge s’exerce en partie sur les pasquiers, probablement au bas du parcours pour l’enregistrement, puis sur les herbes sommitales26 pour contrôler l’acquittement du droit d’entrée. Les termes utilisés pour désigner la fonction, l’action, l’objet, ainsi que la taxe prélevée et le tarif imposé, constituent un champ sémantique spécifique. Il est formé autour du terme « pasquier » qui désigne un espace de dépaissance non communautaire27. Deux cas sont connus en Cerdagne : les montagnes de Querol et du Puymorens et les pasquiers du Barrès. Les sommes récoltées par les « apesqueradors » sont confiées au clavaire de la ville. Elles sont modestes. En 1435, les délégués aux pasquiers remettent au trésorier 7 livres 7 sous28 ; en 1622, année faste, les caisses communales engrangent 125 livres barcelonaises et 13 sous29, environ la moitié du montant de la dot d’une fille de pagès. La gestion de ces pasquiers ne semble donc pas viser directement une logique de rentabilité financière.

L’organisation des déplacements de troupeaux : un outil de contrôle du territoire.

37Le liber pasquarorum doit être interrogé autrement. En effet, la structure mobilisée pour la gestion de cet espace semble répondre à une logique de contrôle du territoire à trois échelles différentes.

38À grande échelle d’abord, la ville partage la jouissance de cet espace de pâture, stratégiquement placé aux portes du comté de Foix et de l’Andorre, avec la communauté de Querol. La fréquentation de cette estive est une manière de signifier sa prééminence et sa légitimité sur ce territoire, distant d’une quinzaine de kilomètres de ses murailles. En réglementant et en vérifiant l’accès à ces pasquiers, et en déplaçant les pouvoirs sur ces lieux, Puigcerdà s’impose, malgré la discontinuité spatiale, sur l’autre communauté.

  • 30 AD66, 1Bp818, fo 96ro
  • 31 M. Conesa, “L’herbe et la terre. Communautés rurales de Cerdagne française au XVIIIe siècle et accè (...)

39À moyenne échelle, la ville médiatise l’accès à ces estives pour des propriétaires originaires de Cerdagne, mais n’appartenant pas aux deux communautés d’ayants droits. Ainsi, le 11 mai 1501, « Joan Fabre de Ur apasquera en dites ports XXIII besties bovynes a raho de un sol per bestia »30. Ces propriétaires de cheptel habitent des villages ne disposant pas d’estive31. De cette manière, la cité agrège des forains à une pratique, la dépaissance, pourtant considérée comme l’expression privilégiée de l’appartenance à une communauté. Elle organise autour d’elle un faisceau de relations sociales, économiques et territoriales qui transcendent les appartenances communautaires. La cité confirme, ainsi, son rôle de pôle organisateur du territoire.

  • 32 AD66, 1Bp818, fo 42rº
  • 33 Marc Conesa, Mariages et frontières…, mém. cit., p. 34 suiv.

40Ce rôle d’intermédiaire est privilégié aussi à petite échelle. En 1484, par exemple, « Raymundo de Grahel del loc de Beas terre bearni apascara docentes vaques deura XV lliuras A raho de 1 sol 6 diners per bestiar, els vedels de mama exempts »32. La cité ouvre ainsi les portes des montagnes aux troupeaux transhumants et tisse des relations, commerciales notamment, avec des horizons géographiques éloignés. La venue de Raymundo de Grahel n’est pas anecdotique puisque les années 1480-1510 coïncident avec un pic des flux migratoires originaires du Béarn, constitués des jeunes hommes cherchant à s’employer comme artisans et comme maçons dans ces hautes terres pyrénéennes33. L’organisation de la transhumance définit la ville comme l’une des plaques tournantes de ces flux nord-sud. Elle participe de la position dominante de la ville du XVe au XVIIe siècle.

Estivage et transhumance dans les pasquiers de Querol : les rythmes et les flux.

41Les indications sur l’origine géographique et la composition des troupeaux se découpent en trois périodes de durées inégales (figure 18, figure 19, figure 20). Elles reflètent les lacunes dans la documentation. Les deux premières séries sont ininterrompues et s’inscrivent respectivement entre 1432 et 1440 et de 1480 à 1490. La troisième période s’étend avec peine de 1622 à 1638 puisqu’elle ne compte que 8 années documentées sur 17. Toutes périodes confondues, 95 % des entrées se concentrent entre le mois de mai et le mois de juillet ; juin constitue le temps fort pour l’introduction des troupeaux : il réunit 58 % des déclarations.

  • 34 Total des animaux divisé par le nombre d’années constituant chaque série.

42Ces trois périodes se distinguent par un nombre inégal d’entrées sur les pasquiers. La moyenne du nombre d’animaux par année documentée34 atteint près de 1 900 têtes dans la première moitié du XVe siècle, contre plus de 3 000 dans les dernières années du XVe siècle. Le début du XVIIe marque une réelle réduction des effectifs, puisque cette moyenne chute à moins de 1 200 bêtes par an. La fréquentation des pasquiers répond ainsi à des effets de conjoncture. Cette inégale distribution des troupeaux selon les périodes étudiées peut être également analysée à travers les zones d’origine des troupeaux dénombrés.

Figure 18. Origine des bovins expédiés aux pasquiers royaux de Querol (XVe - XVIIe s.) et du Barrès (XVIIIe s.)

Figure 18. Origine des bovins expédiés aux pasquiers royaux de Querol (XVe - XVIIe s.) et du Barrès (XVIIIe s.)

Figure 19. Origine des ovins expédiés aux pasquiers royaux de Querol (XVe - XVIIe s.) et du Barrès (XVIIIe s.)

Figure 19. Origine des ovins expédiés aux pasquiers royaux de Querol (XVe - XVIIe s.) et du Barrès (XVIIIe s.)

Source : AD66, 11Bp818, 2C960, 3E88/12

Figure 20. Origine des équidés expédiés aux pasquiers royaux de Querol (XVe - XVIIe s.) et du Barrès (XVIIIe s.)

Figure 20. Origine des équidés expédiés aux pasquiers royaux de Querol (XVe - XVIIe s.) et du Barrès (XVIIIe s.)

Source : AD66, 11Bp818, 2C960, 3E88/12

43La première période est caractérisée par une fréquentation essentiellement locale, où l’ensemble de la Cerdagne fournit la grande majorité des effectifs. Les pasquiers semblent totalement intégrés dans le modèle de l’économie agropastorale. L’estivage de proximité domine. Les communautés rurales les plus proches géographiquement de ces pacages y sont les plus représentées. De même, les espèces animales expédiées sont le reflet du cheptel local, avec une très forte proportion d’ovins (90 % des animaux relevés). Les pasquiers ouvrent ainsi une deuxième possibilité de contrôle des troupeaux autochtones, parallèlement aux parceries.

  • 35 AD66, 11Bp818, 45vo-49vo
  • 36 AD66, 11Bp818, 46vo et 49vo

44Le système est au contraire ouvert à la fin du XVe siècle. Le nombre de têtes de bétail par année connaît une augmentation de plus de 60 %. Ensuite, l’horizon géographique de recrutement des troupeaux s’est considérablement élargi. De très grands troupeaux ovins proviennent de Catalogne, avec d’autres, composés de centaines de vaches, issus du comté de Foix. Ces migrations lointaines définissent une transhumance de grande ampleur. Ainsi, en 1482, c’est Gui Xarnant, le vacher de Larzat, localité située dans le comté de Foix qui rassemble 200 vaches pour les mener sur les pasquiers du Puymorens et s’acquitte de 18 livres de droits d’entrée. De même, de 1487 à 1490, la ville de Bergà, située dans la zone sub-pyrénéenne catalane, fait parvenir 4 200 bêtes à laine sous la houlette de cinq propriétaires35. L’un d’entre eux, Pere Sabater, vient en 1488 avec 200 têtes et revient deux années plus tard avec 1 100 ovins, démontrant les variations caractéristiques des cheptels à l’époque moderne36. Cette cartographie souligne l’ouverture de la ville, à travers la maîtrise des pasquiers, aux courants de chair et de laine venus du nord et qui irriguent l’économie urbaine. Le cas des bovins est particulièrement révélateur. Puigcerdà semble en demande constante de vaches, pour leur peau comme sans doute pour leur viande. La « bovinisation » constatée dans les Alpes au Bas Moyen Âge semble avoir ici moins d’ampleur, mais connaît un indéniable développement.

45Ce décloisonnement de l’espace cerdan semble favorisé par un autre facteur. En effet, de 1463 à 1482, la Cerdagne est passée sous la domination de Louis XI. La venue de gros troupeaux du comté de Foix coïncide avec cette ouverture forcée au royaume de France.

  • 37 Voir par exemple les deux troupeaux de juments expédiés de Sallel par Joan Bosom en 1622, l’un en s (...)

46La fermeture des pasquiers est en revanche caractéristique de la première moitié du XVIIe siècle. L’aire de recrutement géographique se réduit quasiment au seul horizon local (figure 18, figure 19, figure 20). La Catalogne n’envoie plus que de petits troupeaux37. Même la partie la plus éloignée de la Cerdagne (et qui deviendra en 1659 la Cerdagne espagnole) réduit fortement sa participation. Finalement, au cours de cette période, les pasquiers du Querol et du Puymorens reviennent à une configuration territoriale de type estivage, avec un déplacement de proximité. En deuxième lieu, cette réduction considérable de l’horizon de recrutement amène une forte contraction des effectifs. Ainsi, le ratio total par année chute à moins de 1 200 bêtes. Après 1640, le nombre de déclarations baisse considérablement et les hiatus augmentent. Finalement, le registre s’éteint en 1670, en laissant vierge une cinquantaine de folios. Le XVIIe siècle semble ainsi constituer la ligne faîtière entre deux types de remues de bêtes. Dans l’un, les troupeaux viennent du Royaume de France et semblent promis à approvisionner Puigcerdà en matières premières ; la part des bovinés y est ainsi conséquente. Dans l’autre, les flux s’inversent. Les grands troupeaux sont constitués de moutons originaires de Catalogne ou d’Aragon et à destination des grandes boucheries urbaines catalanes. Puigcerdà n’en demeure pas moins marginalisée.

  • 38 Amaïa Legaz, Systèmes pastoraux et société en Basse-Navarre…, op. cit., p. 152 ; p. 256 suiv. ; p.  (...)

47Elle échoue à transformer une partie de ces pacages en bien propre alors que Saint-Jean-Pied-de-Port, dans une situation très comparable, en obtient la moitié. En effet, cette fondation royale, tout comme Puigcerdà, manœuvre pour que sa représentation à la cour générale du pays de Cize soit égale à la moitié des députés qui y sont dépêchés. Elle argue notamment qu’au XVIe siècle, les jurats envoyés au roi par le pays et par la ville sont distincts et en nombre égal, tout comme ceux de la vallée du Querol et de Puigcerdà. Mais le parallèle s’arrête là, car la cour générale du Pays de Cize sert avant tout à répartir l’impôt en quatre parts, appelées parsans, qui correspondent à quatre secteurs de la vallée. L’assiette est fixée une fois pour toutes entre ces composantes. Le temps semble arrêté, alors même que l’évolution démographique et économique change la donne. Les vieilles maisons sont enregistrées et paient les taxes, mais de nouvelles cellules apparaissent. Les contestations pleuvent à l’intérieur des parsans (les nouvelles maisons doivent-elles payer l’impôt ?) et entre ces derniers (faut-il revoir la répartition générale ?). Face à ces désunions manifestes, les communautés de parsans sont séparées et les montagnes sont partagées. La ville en obtient la moitié. C’est le poids politique de la ville qui a prévalu, et non le nombre de maisons ou sa capacité fiscale38. Saint-Jean-Pied-de-Port parvient à contrôler ces pacages grâce aux dissensions, là où Puigcerdà, contestée puis passée de l’autre côté de la frontière, est rejetée. D’un bout à l’autre de la chaîne pyrénéenne, de mêmes structures peuvent ainsi connaître des évolutions divergentes.

***

48Entre le XVe et le XVIIe siècle, les effectifs respectifs de l’estivage et de la transhumance varient en fonction de l’aire de recrutement des troupeaux. Les trois séries se distinguent par d’importantes variations. A la fin du XVe, le système est ouvert aux troupeaux transhumants qui semblent participer d’un important courant d’échanges Nord-Sud, dont la ville de Puigcerdà est l’un des maillons. Au début du XVe siècle et dans la première moitié du XVIIe siècle, les pasquiers se ferment aux étrangers. L’estivage de proximité s’affirme et domine au point que la ville paraît, dans le dernier quart du XVIIe siècle, avoir perdu sa prééminence sur les pasquiers de Querol. Cette déprise apparente de la ville peut être éclairée, en forme d’un premier épilogue, autour d’un autre espace : la montagne du Carlit.

2. Une autre organisation spatiale (fin XVIIe – XVIIIe siècle)

49Puigcerdà perd au XVIIe siècle la maîtrise de plusieurs terrains d’élevage qu’elle contrôlait directement ou indirectement. La ville en profite pour retailler son territoire en redéfinissant la nature de ses rapports à l’espace. Elle passe d’une domination juridictionnelle et supra-locale, qui ne lui a valu que des déboires et des procès, à une logique d’appropriation sous le régime de la propriété privée et exclusive.

La vente du Carlit

  • 39 Sur la relation à la montagne au moyen âge et ses enjeux : Elisabeth Bille, Seigneurs, maisons et v (...)

50Le Carlit est ce vaste massif dont le sommet domine, du haut de ses 3000 mètres d’altitude, 5000 hectares de pelouses pastorales, de forêts et d’étangs (Planche 13). Le massif naît à la documentation avec une série de concessions des lignages seigneuriaux locaux aux abbayes cisterciennes de Poblet et Stes Creus. A partir du XIIIe siècle, il est sous la juridiction de la ville de Puigcerdà39, mais il passe ensuite dans le royaume de France avec le traité des Pyrénées (1659) ; en 1715, la Montagne est vendue par la cité à la famille des viguiers de Cerdagne, les Sicart, tout en restant ouverte aux droits d’usages des communautés riveraines, dont Llivia, enclave espagnole en Cerdagne française. Établie ainsi, la chronologie signifie peu, elle ne dit rien des intentions qui président à la vente ou à l’acquisition de ces milliers d’hectares pour des sommes considérables. Objet territorial manifestement complexe, ballottée quand bougent les lignes de la propriété, de l’usage et de la frontière, cette Montagne ne se laisse appréhender qu’en croisant les regards sur ses multiples facettes.

Avant 1715 : de l’herbe, du bois, de l’eau et une lacune documentaire

  • 40 ACCE, Registrum baroniae Saltegal, fo 4r.

51La cession de la montagne en 1715 s’accompagne de la transmission des registres qui éclaire sa gestion. Ces documents sont perdus. Quelques indications tirées du registre de Salteguel au milieu du XVIIe siècle comblent partiellement cette lacune. Deux types de documents se télescopent : le premier est constitué d’autorisations d’enlever une quantité déterminée de bois à un prix fixé par la ville, le second relève de la police des estives et de l’exercice du droit de ban par les hommes de Puigcerdà. La petite dizaine de notices relevées livre sans doute une image déformée des activités qui s’y pratiquent. Le nombre d’autorisation de boisage équivaut celui des flagrants délits constatés. En forêt, les contrevenants attrapés sont donc aussi nombreux que les prélèvements autorisés. Ces derniers se monnayent chèrement. Le 28 janvier 1644, Joan Passet et Bernat Naspler de Bolquère font tailler 1200 cannes de bois pour 240 livres barcelonaises40, ils renouvellent l’opération en juillet 1644 en s’associant à deux autres individus pour emporter 2164 cannes de bois de chauffage. Les quantités sont considérables, mais elles sont prélevées dans des secteurs bien délimités. Le transport s’effectue soit par charrettes, soit en utilisant l’eau des étangs. Détournées et canalisées, elle permet d’envoyer le bois en Conflent en utilisant la Têt. Ainsi, le 17 juillet 1648, Joan Marty dit « Fauxio » de Bolquère est surpris à boiser au pla des Avellans. Ils est condamné à 100 livres barcelonaises d’amende, mais :

  • 41 ACCE, Registrum baroniae Saltegal, fo 17 v.-18 r..

« los dits consols donna llicentia al dit Joan Marty que sens incorren pena alguna puga y li sie licit y permes pendrer tanta aigua quanta tindra menester dels Estanys de la bollessa pradella y altres que la present vila té en dites montanyas a fiy a effecte de amanar la dita llenya en conflent alla ahont li aparexa fent pesso botassco rescloses que lo demes sera necessarie per traurer ladita llenya de dit puerte »41.

52Centrée sur cette économie du bois particulièrement rémunératrice pour toutes les parties, la source ignore totalement les activités pastorales alors même que le massif est en l’une des plus importantes surfaces de Cerdagne. Pourtant, la ville s’en dessaisit en 1715.

1715, jeu d’échelles : la ville, la montagne et la frontière.

  • 42 Voir notamment Anne Chailloux, “Le territoire dans les sources médiévales : perception, culture et (...)

53Si les montagnes sont généralement peu représentées dans les registres notariaux, l’année 1715 connaît une floraison de documents concernant le Carlit. Ils se composent de plusieurs types : la vente, la copie des titres de propriété et de privilèges et une série de témoignages sur les raisons de cette aliénation. Tous sont conservés dans le manual de 1715 du notaire Domenèc Marti i Aldran. Celui-ci tient une place particulière dans la naissance d’une nouvelle formation discursive sur la montagne. En effet, secrétaire de la ville, Domenèc Marti i Aldran est aussi le gardien de ses archives, conservées à l’abri des regards indiscrets « en lo Archiu de la casa consular de dita vila y universitat dins los ermari intitulat de Salteguel ». Dans ce lieu de la mémoire urbaine, les privilèges et les titres de propriété s’ajoutent les uns aux autres. Certaines pièces sont montrées ou bien cachées à l’occasion des nombreux procès qu’affronte la ville. Aussi, depuis ce lieu, le notaire copie la liste des privilèges, il y puise les descriptions de la montagne, il y trouve les dénominations les plus anciennes, des sortes d’incantations spatiales archaïsantes, qui enracinent la possession dans un passé quasi immémorial42. En cela, les actes de 1715 participent aussi d’un temps long. Mais, en les remaniant et en les assemblant autrement dans son manual, il crée une rupture, et un événement. Le nouveau cortège d’actes ne s’ajoute pas aux archives de la ville, il sort déjà de la mémoire urbaine. Toutefois, si cette cession a bien été décidée par le conseil de la ville contre 19 000 livres de France, Puigcerdà ne semble s’y résoudre que difficilement, voire contrainte, ce qui génère une série de justifications.

54Les biens vendus au viguier de Cerdagne sont définis ainsi dans l’acte de vente :

  • 43 Domenec Marti y Aldran. Manual, 1715, fo 201.

« Muntanyes, Erbes, Boscos, aïgues, Estayns, Pasquers y Emprius que dita vila y universitat en força dels actes, instruments, privilegis, y altres titols baix continuats tenia y possehia en la terra y dominatio de la Magestat Lluis Catorze Rey de França y de Navarra Gloriosament Regnant y possehint la mitat de la Cerdanya conforme a la divisio de dita Cerdanya feta en lo tractat de la Pau conclosa entre los dos magestats christianissima y catholiqua en lo any Mil Sis Cents Sixanta y per los plenopotentiaris per asso en dita Cerdanya enviats per dites dos Magestats feta en la vila de Llivia lo dit any 1660 »43

55A un premier niveau de lecture, l’objectif de cette rhétorique paraît double. Par le rappel opportun au traité des Pyrénées, Puigcerdà prétend d’abord agir à l’échelle de l’intérêt des royaumes, puisque la vente de sa montagne cherche à s’inscrire dans la lignée des accords de paix. Ensuite, cette manœuvre discursive qui redore le blason de la cité lui permet également de conserver sa reputación, alors même que la ville est dans une situation difficile.

  • 44 Ceci est inspiré des remarques de Paul Veyne, Comment on écrit l’histoire, 1971, rééd. Paris, Le Se (...)
  • 45 L’abbé Naudo, “Le Carlit et ses montagnes. Evolution de la propriété et des droits de pacage du Moy (...)

56En effet, s’en tenir uniquement à cette rhétorique serait prendre pour objectivité la subjectivité des principaux intéressés44. En 1715, Puigcerdà est d’abord vaincue, parce qu’à l’instar d’une grande partie de la Catalogne, la cité commence par soutenir l’archiduc Charles, lors de la guerre de Succession, face au prétendant français Philippe d’Anjou. Malgré la défaite, Puigcerdà entend néanmoins continuer d’être un interlocuteur crédible de la monarchie, d’autant plus que les décrets de Nova Planta, qui entendent réduire les prérogatives politiques des villes catalanes, sont imposés au fur et à mesure des avancées de Philippe V. Face à cette menace qui se rapproche, la cité semble faire croire qu’elle œuvre au mieux des intérêts des Bourbons en renonçant au Carlit, au profit du sieur François Sicart. Ainsi, la ville fait le choix de ce personnage, en écartant un général espagnol, Don Antonio Gandolfo qui se proposait de l’acquérir45, car Sicart est aussi le viguier de Cerdagne française, et à ce titre représentant du roi de France. L’identité de l’acquéreur est alors conforme aux justifications diplomatiques et la vente de la Montagne est bien une affaire de frontière. Puigcerdà justifie son geste en fonction des changements à l’échelle internationale, ce qui implique un certain savoir sur l’espace et une conscience certaine de ses enjeux qui est le fruit de son expérience. Par ailleurs, si le choix de la vente du Carlit apparaît ici dans sa dimension politique, d’autres motivations et d’autres intentions ne sont perceptibles qu’en rasant le sol, autrement dit : en changeant d’échelle.

La montagne dépréciée ?

  • 46 ACCE, Manual, 1715, Domenèc Marti i Aldran, fo 252. Résumé : le témoin atteste qu’il est vrai que l (...)

« Et dixit lo que jo testimoni deposant le puch dir acerca lo contengut en la suplicacio a mi llegida es que es veritat que la Universitat de dita vila de Puigcerda te vendada las herbas y pasturas de la montanya vulgurament dita de Carlit y altres termes annexas en ella, y vuy se troba dita universitat en lo ocasio de entregar al tresorer de sa Magestat (Que Deu guardes) - Quatre mil cent noranta dos reals de vuyt – y es molt gran la urgencia y necessitat dels individuals y habitants de aquella de tal manera que precisament per la satisfacio son obligats en alienar lo Patrimoni propri de dita Universitat com ho es la dita montanya es també veritat que lo vendrer en totas passadas las herbas de dit montanya pasturas, llenyas, estayns, y aïguas, es lo menos danyos a dita universitat comu y singulars de aquella per trobar-se la mateixa montanya de Carlit, y altres termes annexas situats en lo dit domini y jurridiccio del Rey Christianissim »46.

  • 47 Appelé à témoigner en faveur de l’aliénation du patrimoine municipal, l’argumentation présentée par (...)
  • 48 L’abbé Naudo, “Le Carlit et ses montagnes…”, art. cit., p. 70.

57Premier témoin interpellé, « Querolus Vigo agricola loci de Aja » expose en ces termes la situation financière de la cité pour justifier le choix de la vente du Carlit et ne propose qu’ensuite l’argument territorial47. Le changement de point de vue est aussi un jeu d’échelle, car les choix sont désormais motivés localement. L’état des finances de la ville est, comme bien souvent, la principale raison de l’aliénation. L’urgence est soulignée et pas seulement de manière rhétorique. Si le texte précédent s’enracinait dans les antécédents du Traité des Pyrénées, celui-ci fait face à une situation immédiate. En effet, la cité s’est fortement endettée dans l’effort de guerre auprès de la famille de Pont d’Osséja, notamment pour s’acquitter du logement des troupes48. Face au trésorier royal, les caisses sont désormais vides, et la vente est bien la conséquence de la pression fiscale.

  • 49 ACCE, Manual, 1715, Domenèc Marti i Aldran : « lesdites montagnes du Carlit ne donnent aucun profit (...)

58Aux abois, Puigcerdà doit donc vendre une partie de son patrimoine. Le choix se porte sur le Carlit car, « las ditas montanyes de Carlit no donan profit algu a dita universitat y que no pot tenir esperansa de traurelan per la gran distancia que veig y ha desde dita universitat a dites montanyas »49.

59Dans son rapport à l’espace, le massif, possédé depuis le XIIIe siècle, paraît désormais s’être éloigné de la ville au XVIIIe siècle. Il est aussi décrit comme un bien de faible rendement. L’argument économique se révèle ici novateur. Il s’exprime en termes de rentabilité et de distance-coût. En cela, il opère une requalification spatiale de la montagne. Celle-ci n’est plus une ressource commune à un certain nombre d’ayants droits et au rendement indirect, mais un espace-objet dont on espère tirer un profit. Or, le Carlit est ici disqualifié par le discours des témoins : espace central dans l’architecture de contrôle territorial exercé par Puigcerdà depuis le XIIIe siècle, il est devenu une périphérie aliénable.

  • 50 ACCE, Manual, 1715, Domenèc Marti i Aldran.

60Au contraire, d’autres montagnes sont revalorisées par les mêmes discours, à l’occasion du nouvel agencement spatial piloté par la cité à l’occasion de la vente. En effet, la somme perçue par la transaction est destinée « per quitar de mà del Illustre Joseph de Canal lo quarto de dalt de la Montanya de Salteguel, del Illustre Francisco de Mir, y de la senyora Jacintha Vidal la partida del prat dit de Pallarols tot patrimoni de dita universitat »50. En d’autres termes, les fruits de la vente serviront non seulement à payer le trésorier royal, mais aussi à racheter les biens de la ville vendus a carta de gracià aux familles nobles du lieu. Ces terrains, situés au pied de la cité (prats de pallarols) ou sur la montagne proche de Salteguet, sont ainsi préférés au Carlit (Planche 13). Bien que de moindre étendue, ils présentent le double avantage d’être situés du côté espagnol de la frontière et moins distants de la ville. Ce rapport explicite à la distance apparaît ici comme déterminant. Absent des discours avant le XVIIIe siècle, il signale la constitution d’un autre rapport aux espaces, fondés sur des bases plus proches de notre métrique euclidienne. Finalement, Puigcerdà fait le choix d’un espace resserré autour de la ville et moins ouvert aux autres communautés de Cerdagne.

Une montagne pour soi. La forêt de Salteguet

  • 51 Cataleg de pergamins… op. cit., no 208.
  • 52 Cataleg de pergamins… op. cit., no 208 (1393) et no 217 (1395).
  • 53 Cataleg de pergamins… op. cit., no 195-196

61La seigneurie de Salteguet est acquise à la fin du XIVe siècle pour 21 000 sous51. Cette somme témoigne des capacités de mobilisation de la ville pour acquérir des pacages. Puigcerdà acquiert une juridiction. Elle s’y comporte en seigneur : elle s’acquitte de ses devoirs féodaux envers le roi52 et elle perçoit censives et droits de justice sur ses hommes53. Comme souvent, la ville n’insuffle pas un vent de liberté. Au contraire, sa position est ferme car les hommes déguerpissent, la baronnie se dépeuple. Il ne reste qu’un bois pâturé. Il est proche de la ville ; environ cinq kilomètres le séparent de Puigcerdà. Le bois couvre moins de 300 hectares. Il est aussi profondément incisé par un torrent qui le coupe dans le sens de la longueur en deux quartiers. En 1715, la ville rachète les parties qu’elle avait cédées sous le poids des difficultés. Salteguet fait figure de montagne domestique. Elle est préférée au grand massif supra-communautaire du Carlit. La relation de Puigcerdà à cet espace particulier est complexe, puisqu’elle touche autant à l’identité urbaine qu’à son économie.

Distribution de charbon et revenus du bois

  • 54 ACCE, regestrum baroniae Salteguel, fo 140 r.-v., criées de 1732.
  • 55 ACCE, fons local, comptabilitat, « Compte del que se a gastat per los comisionats de part dels grem (...)
  • 56 ACCE, fons local, comptabilitat, « Comptes que presentan Joseph Argeles y Isidro Iglesias comisiona (...)

62Salteguet est autant le siège d’activités pastorales que sylvicoles. Les premières sont faiblement éclairées par la documentation. Celle-ci mentionne la saisie des troupeaux contrevenants aux règlements de la ville, mais guère plus. Les secondes sont centrales. La prise de bois est contrôlée par la ville. Elle seule dispense les autorisations nécessaires. Quiconque y contrevient encourt 50 livres barcelonaises d’amende et jusqu’à trente jours de prison54. Mais rares sont ceux qui semblent obtenir un tel sésame pour la montagne. Au contraire, le conseil de la ville gère directement l’exploitation de la forêt. Il y dépêche ses représentants, des sobreposats des gremis, généreusement défrayés, pour marquer les fûts qui doivent être coupés par les talladors55. Ils inspectent les charbonnières. Cinq sont autorisées en 177956. Ils délimitent aussi les zones mises en défens pour permettre à la futaie de se reconstituer. Un plan grossier de 1802 permet de se faire une idée de la gestion de cet espace sylvestre. La montagne est divisée en deux zones, l’une, basse, constituée d’abattis tendres et d’une jeune futaie et l’autre, la zone haute, d’arbres plus âgés et désignés pour être abattus. L’objectif est de prévenir la dégradation du bois afin d’en garantir les bénéfices. Ils sont de deux formes, l’une est politique, l’autre est financière.

  • 57 ACCE, fons local, comptabilitat, « Comptes que presentan Joseph Argeles y Isidro Iglesias comisiona (...)

63La population ne va pas prélever son bois de chauffage dans la forêt commune. Le Conseil le fait venir : il paie les charbonniers au prorata des quantités produites (5 % leur sont concédés) et organise le transport du charbon dans la ville. En 1779, plus de mille charges (environ trois tonnes) de charbon entrent ainsi à Puigcerdà. Celle-ci en distribue les deux-tiers à la population. Foyer par foyer, les habitants viennent chercher une quantité proportionnelle à la taille de leur ménage57. Domingo Gelbert retire le minimum, une charge (environ 33 kg) ; les maisons nobles sont mieux servies : Don Manuel Pares obtient huit charges tout comme Don Pedro Pedescoll. La distribution épouse la hiérarchie sociale. Tous les états sont représentés. Nobles, religieux, artisans et pauvres se suivent dans cet étonnant succédané du système annonaire. La totalité de la population y participe : sur les 166 foyers, 163 viennent chercher leur dû. L’envoi de sobreposats dans les bois de la ville prend sens. Chargés du ravitaillement au XVIe siècle, véritable contre-pouvoir aux consuls, ils sont au XVIIIe siècle les garants de ces distributions de charbon au « peuple » de la ville qui s’y trouve réinventé.

  • 58 Pour le détail des comptes voir ACCE, fons local, comptabilitat, « Comptes que presentan Joseph Arg (...)

64Le reliquat du charbon est vendu. Le prix de la vente est de 347 livres en 177958. Une somme semblable est tirée des fûts vendus soit par lots, soit à l’unité à différents particuliers. En 1779, la fabrique de la Pobla de Lillet achète ainsi dix-huit fûts de pin et de sapin pour refaire la charpente d’un bâtiment d’exploitation incendié durant l’hiver. La ville en tire 80 livres. Cinquante-trois poutres de sapin sont ensuite cédées pour 280 livres à différents particuliers pour refaire les toitures de leurs maisons urbaines. L’affaire est rentable, même si les coûts d’exploitation sont élevés. Ils absorbent la moitié des revenus. Mais, la somme restante emplit les caisses d’une ville qui a considérablement réduit la voilure de ses dettes et de ses besoins.

65Salteguet s’impose ainsi au XVIIe siècle comme un autre lieu de l’identité urbaine. Ses anciennes dominations s’y perpétuent au service des habitants qui y retrouvent une unité. D’une certaine façon, la montagne constitue le trait d’union entre le présent de Puigcerdà au XVIIIe siècle et son passé de domination politique.

Une juridiction refondatrice

66Salteguet est un microcosme qui reproduit à l’échelle réduite de ses 300 hectares le macrocosme de la ville du bas Moyen Âge. Ses prétentions y survivent. La Montagne est à la fois leur refuge et un repli. La montagne est étroitement surveillée. C’est une affaire collective. Les bailes sont secondés par des banniers qui sont aidés des habitants. Les premiers perçoivent des émoluments, les seconds une partie des amendes prises sur les contrevenants. Le tiers leur est réservé. La surveillance est intéressée. Elle exclut les étrangers. Toutes les dispositions réglementaires s’articulent sur cette interdiction de ceux qui ne sont pas de la ville. Les sobreposats y sont encore représentés. Un exemple, daté de septembre 1645 les met en scène :

  • 59 ACCE, regestrum baroniae Salteguel, fo 9 r.

« sobreposats dels sastres acompanyats de alguns particulars de esta vila havent entès que algunes persones de diversos llochs de la present terra de Cerdanya eran anades a la montanya de Salteguel per devastar lo bosch de aquella se conferi en dita montanya y en ella troba los seguents que havian tellades cargas de dit bosch y que sen exportanent aquelles de aquell es a saber dos fills den Ventajola, amb parells de bous que aportans cargas de dit bosch. Item, dos mossos de Joan Capdevila de Aja ab dos parells de bous ab llatas. Item, un fill de la viuda Gratava de Vilallobent ab dos parells de bous també ab llates. Item, Comossa del Molins den Angles ab dos parells de bous que aportava també cargas y un egua carregada de llenyes »59.

  • 60 ACCE, regestrum baroniae Salteguel, fo 10 v.
  • 61 Idem,, fo 11 r.-v.
  • 62 Idem, fo 14v.-15r.
  • 63 Idem, fo 93 r. - 94 v.
  • 64 Idem, fo 80-82.
  • 65 Idem, fo 39-40
  • 66 Idem, fo 212.

67Tout est confisqué. La sortie des sobreposats et de leurs affidés fait figure d’expédition punitive sur cet espace sensible dont la ville ne paraît souffrir d’aucune déprédation. Certains transigent toutefois. Les pots-de-vin sont acceptés. Le sobreposat Pau Cosme Puy lève l’amende de Rafel Fuster en échange de deux perdrix60. Dans le cas contraire, les sommes imposées aux délinquants sont partagées entre les officiers municipaux et leurs aides. Le 10 mars 1646, les 40 reals d’amende imposés à Alart de Ventajola sont divisées en 8 parts, soit 5 reals chacun61. Une misère. Mais, la montagne est un monde dangereux. Il vaut mieux s’y trouver à plusieurs. Un pagès y rencontre trois hommes barbus vêtus de capes rouges et armés de pedrenyals qui lui volent une jument après l’avoir battu62. En 1675, quatre voleurs de troupeaux s’en prennent à cinq bergers abrités dans une bergerie. Ils les menacent de leurs armes avant d’égorger une bête et d’en faire leur souper. Ils repartent avec quarante moutons qu’ils font sortir par un trou qu’ils ont creusé dans le bâtiment63. Une autre affaire de ce type a eu lieu en 1670. Les ressemblances sont frappantes. Les hommes menacent les bergers de leurs armes. Ils se préparent un repas avant de repartir avec les capes qui s’y trouvaient pour faire une sieste64. Chaque fois les étrangers sont dénoncés. Ils apportent le désordre dans l’espace de la ville et parfois de façon si manifeste qu’elle apparaît provocatrice. Comment envisager autrement les 300 à 400 vaches qui entrent dans la montagne de manière frauduleuse au vu et au su de tous65 ? La lutte contre les étrangers unit les habitants dans un même concert de dénonciations. La violence et les désordres sont rejetés hors des limites. Celles-ci sont fondatrices. Les notaires compilent les textes anciens pour les définir le plus favorablement possible. Un procès du milieu du XVIe est particulièrement mis en avant. Sa puissance évocatrice est sans égale. En 1537, la ville condamne à mort l’un des siens. Il a tué, avec préméditation, sur la montagne. Il est égorgé. Son corps est démembré en quatre parts. Chacune sera enterrée aux limites de la baronnie66. Le texte est réutilisé pour prouver les limites de la montagne. Salteguel apparaît comme l’espace ordonné par la ville avec une violence rejetée à ses frontières ; c’est l’espace imaginé de ses habitants hors de ses murs abattus qui leur permet de rebâtir l’idée et le souvenir d’une cohésion et d’une domination.

***

68La vente du Carlit a permis de payer l’impôt au roi, c’est le prix de la défaite. Elle a été également utilisée pour racheter les portions de Salteguet cédées à des particuliers. La ville se recentre sur sa montagne communautaire pour laquelle elle dispose d’un véritable arsenal juridictionnel. Les grands courants transhumants en sont tenus éloignés. Puigcerdà se referme sur son pré carré. Salteguet en constitue le cœur. La ville s’y réinvente un présent avec les haillons de son passé. Ce repli est complété au même moment et de la même façon par la récupération des prés de Pallarols. Situés aux pieds de la ville, leur contrôle apparaît indispensable à la nouvelle configuration spatiale de Puigcerdà.

Pallarols : des prés pour des bœufs

  • 67 Sebastià Bosom Marti Soler, Carrer i places… op. cit., p. 120.

69Les prés de Pallarols occupent l’emplacement d’une ancienne paroisse. Elle est rattachée à Puigcerdà au début du XVIe siècle, lorsque les derniers habitants déménagent67. La zone forme un triangle de 300 mètres de côté. Elle devient la propriété de la ville dans des circonstances non-éclaircies pour devenir un pré commun, concédé aux boucheries de Puigcerdà. Celles-ci assurent le ravitaillement de la ville en viande. Ce secteur connaît une forte évolution de ses besoins et de ses espaces.

  • 68 ACCE, fons local, carnisseries, liasse 1, accord de 1436.
  • 69 ACCE, fons local, carnisseries, liasses 3 et 4.

70Dès le XVe siècle, les boucheries de Puigcerdà sont mises aux enchères pour être affermées à un particulier pour une durée de quatre années. Le prix du fermage est partagé entre la ville et le collège des prêtres. L’accord date de 143668. Les deux institutions unissent leurs abattoirs et cessent leur concurrence. Pour autant, si la guerre des boucheries s’arrête, celle des bouchers continue. Le collège et la ville multiplient les procès l’un à l’encontre de l’autre69. Ces oppositions favorisent la rédaction de documents judiciaires, ici peu utilisés, et de sources comptables. Celles-ci recensent les achats d’animaux faits par la ville. Un registre couvre les années 1631-1677 et l’autre la période 1695-1707. Rares sont néanmoins les données qui renseignent l’origine géographique des bêtes. L’année 1631-1632 est une exception. à ces livres comptables, s’ajoutent des audits ponctuels comme en 1775 et en 1777. Le premier ne couvre que les six premiers mois de l’année, le second est complet.

  • 70 Pour comparer : Jordi Vidal i Pla, “Les carnisseries de Vilafranca del Penedès. Notes sobre el cont (...)

71Les boucheries constituent le premier poste budgétaire de la ville. Entre 1721 et 1748, les dépenses annuelles de Puigcerdà sont en moyenne de 3 000 livres. Les boucheries dépensent, en 1777, 12 074 livres barcelonaises. 90 % de cette somme est constituée d’achats d’animaux. La revente de la viande génère 12 032 livres de recettes. Les boucheries sont à la croisée des différentes institutions de la ville70. Chacune intervient directement ou indirectement pour le ravitaillement de la ville en viande. Les clavaires, le mostaphah, et les sobreposats forment une chaîne qui conduit l’animal de l’herbe commune à la table privée. Le contrôle des boucheries est une donc affaire politique et financière. C’est aussi une affaire de saison et de contraintes religieuses.

  • 71 Sans doute, cette baisse de l’entrée d’animaux dans les boucheries en hiver est compensée par la co (...)
  • 72 Reynald Abad, Le grand marché. L’approvisionnement alimentaire de Paris sous l’Ancien Régime, Paris (...)
  • 73 René Favier, “Les transformations du marché de la viande à Grenoble au XVIIIe siècle”, Histoire, Éc (...)

72En 1777, la consommation suit, globalement, le calendrier religieux et pastoral : les mois de mars et d’avril sont maigres, l’automne et le printemps sont gras. En hiver, la viande de bœuf et de mouton est rare. Les quantités de viande consommées sont diminuées de moitié par rapport à la moyenne mensuelle (figure 21)71. Celle-ci voit seize bœufs et deux cent moutons passer chaque mois sous les couteaux des talladors. Ces chiffres sont faibles. 120 000 bovins et près de 400 000 moutons entrent à Paris en 163572 et Grenoble achète, chaque année, 2 500 têtes de bétail bovin et plus de 10 000 ovins pour ses boucheries, au XVIIIe siècle73. Comparativement, Puigcerdà pèse peu : elle abat en 1631, le maximum d’une trentaine de bœufs et 5 000 moutons.

  • 74 Pour les animaux consommés ; il est de 1/14 pour les animaux achetés.
  • 75 Puigcerdà se ravitaille sur un marché proche, à la taille de la ville du XVIIIe siècle, contraireme (...)

73L’alimentation n’est pas un objet immobile. Un changement s’opère entre le XVIIe et le XVIIIe siècle. En 1631, pour un bœuf acheté par les boucheries, la ville acquiert 180 ovins. En 1777, le rapport entre les bovins et les ovins abattus est d’un pour douze74. Le marché carné s’est transformé. Le bœuf prend de l’importance. Le nombre de bêtes achetées a été multiplié par sept entre 1631 et 1777. En revanche, les ovins reculent. Leur consommation a été divisée par deux. Cette évolution se répercute sur les espaces de l’élevage. La consommation de bovins génère un tout autre rapport à l’espace, elle nécessite la construction de nouveaux espaces d’approvisionnement, producteurs de bœufs et de fourrages. En 1631, la ville s’approvisionne en bovinés auprès d’une petite dizaine de villages proches75 ; en revanche, les moutons viennent d’une grande majorité des communautés rurales (43). En 1777, le nombre de villages vendant des ovins a été divisé par deux, tandis que les communautés qui approvisionnent la ville en bovins ont été multipliées par trois. La cartographie de ces changements est saisissante (figure 21) : les bovins ont pris la place des ovins. Au sein des relations ville-campagnes, les estives perdent de l’importance tandis que les prés deviennent de véritables enjeux. Le rachat de Pallarols participe de cette restructuration. Or, il n’y a de prés que dans le sillage de l’eau. L’histoire de ces espaces est liée. Ils sont au centre des mêmes conflits d’intérêts. Le canal de Puigcerdà articule à l’échelle de la ville et de la Cerdagne ces enjeux et ces tensions.

Au cœur de la quête de l’eau pour la conquête des prés : le canal de Puigcerdà

  • 76 Helena Kirchner, Aigua prohibida… op. cit., p. 39. et le pertinent Thadée Niyonzima, Étude historiq (...)
  • 77 ACCE, fons local, sequià de Puigcerdà.
  • 78 Sylvie Caucanas, Moulins et irrigation en Roussillon du IXe au XVe siècle, Paris, éd. CNRS, 1995, 4 (...)
  • 79 ACCE, fons local, sequià de Puigcerdà, document no 1.
  • 80 ACCE, fons local, sequià de Puigcerdà, document no 2.

74Le canal de Puigcerdà est un aménagement hydraulique de 9 km de longueur76. La prise d’eau est située dans la vallée du Querol. Il traverse ensuite d’ouest en est les terroirs de Latour et d’Enveig avant d’obliquer au sud vers Puigcerdà. La ville est la dépositaire de ses archives. Le dossier est épais : ne dit-on pas encore aujourd’hui que le canal a fait couler plus d’encre que d’eau ? Il compte une quarantaine de pièces originales et de copies du XIVe au XVIIIe siècle77. Il doit être manipulé avec circonspection, car l’objectif de la ville est d’établir sa possession exclusive. Au XIIIe siècle, le canal est lié à l’édification de moulins par le roi. Ils sont la pièce maîtresse de la reconstitution de l’autorité royale dans l’espace nord catalan78. Puigcerdà en fait l’acquisition en 131879. En 1366, elle obtient l’autorisation de détruire les moulins situés à l’extérieur du bourg80. Ils gênent le développement d’un marché céréalier et drapier captif de la ville. Progressivement, une priorité chasse l’autre. L’alimentation des moulins devient secondaire, l’irrigation s’impose comme une priorité à mesure que les besoins en fourrage et des jardins augmentent.

Figure 21. Les achats d'animaux par les boucheries de Puigcerdà

Figure 21. Les achats d'animaux par les boucheries de Puigcerdà

75Par ailleurs, la ville paraît régner sans partage sur le canal : nul autre ayant droit apparaît dans la documentation. Tout au plus dénonce-t-elle les prélèvements illégaux de ses voisins. Le sequià, c’est le terme le plus usité pour désigner le canal, est en effet, l’enjeu de disputes multiples depuis le XIVe siècle ; le XVIIIe siècle en constitue le point d’orgue. Elles sont de trois types. Aux classiques oppositions amont-aval, s’ajoutent les antagonismes entre la ville et les villages qui sont traversés sans disposer de droits sur le canal. Au XVIIIe siècle, la frontière apparaît comme une troisième ligne de clivage. L’eau vient de France pour aller en Espagne. Chaque partie dénonce l’autre. Les administrations royales jouent l’apaisement et invitent à négocier localement les conditions d’accès à cet espace de conflits.

Puigcerdà et le canal : un espace d’appartenance à la ville

  • 81 ACCE, fons local, sequià de Puigcerdà, « Repartiment dels que deuen contribuir als gastos se han fe (...)

76Géographiquement, le canal se déverse d’abord dans l’étang situé au nord de l’agglomération. Il constitue le principal réservoir d’eau de la ville. Les canalisations traversent la zone urbanisée du nord au sud. Elles alimentent les moulins à draps et à grains. Les activités manufacturières en dépendent également. Le sequià est ensuite à l’usage des habitants. En 1748, tous les foyers, sans exception, sont taxés trois sous pour pouvoir puiser de l’eau81. Tous paient. Le canal et la population urbaine ne font qu’un.

77La propriété foncière constitue ensuite un deuxième niveau d’appropriation. L’eau du canal est utilisée pour arroser les prés situés en amont et en aval de la ville et les jardins qui la ceinturent. Des canaux secondaires prennent le relais. Un réseau extérieur se dessine par bribes. Un rec (petit canal, une rigole) capte l’eau du Rahur à l’ouest pour arroser les prés de Pallarols. D’autres divertissent l’eau du sequià pour l’amener de pré en pré. En 1748, 40 journaux de prairies irriguées (environ 13 hectares) et 114 jardins sont imposés six sous chacun. 40 % des foyers sont concernés. Les potagers comme l’herbe des prés sont les principaux bénéficiaires de cette eau qui court dans la ville et irrigue son terroir. Les sommes collectées servent à financer les travaux de curage et de réparation du canal. Au milieu du XVIIIe siècle, celui-ci est toujours considéré comme la propriété indivise des habitants. Il demeure un espace approprié par une structure de voisinage fondée sur la solidarité de ses membres. Toutefois, les propriétaires fonciers en retirent davantage de bénéfices. Si les jardins semblent constituer le petit lopin du pauvre hère d’une ville happée par le siphon du déclin, les prés appartiennent aux puissantes familles de Puigcerdà. Ils fournissent les fourrages nécessaires à l’élevage destiné aux boucheries de la ville. Du XIVe au XVIIIe siècle, tenir l’eau permet d’arroser les prés. L’enjeu prend de l’importance à mesure que les besoins en viande bovine augmentent.

  • 82 Ferran Valls i Taberner, Privilegis i ordinacions de les valls Pirinenques : Vall d’Aneu, Vallferre (...)
  • 83 Article 29 des constitucions de Montsó (1585).
  • 84 Michel Brunet, “Le conflit ville-campagne en Roussillon à la lumière des cahiers de doléances”, Ann (...)

78Le canal prend sa source à une dizaine de kilomètres au nord-ouest de Puigcerdà. La deuxième forme d’appropriation est juridique et vise à préserver la propriété exclusive de cet espace hors de la ville face aux habitants des finages traversés. Elle s’inscrit dans le sillage de la féodalité. Puigcerdà reprend à son compte la politique royale d’interdire aux communautés traversées l’usage de l’eau du canal. Dans un texte de 1395, les hommes du roi dans la vallée du Querol obtiennent le droit de prendre de l’eau dans la rivière, mais pas dans le canal82. Puigcerdà, Lérida et Perpignan utilisent leur position aux corts pour faire voter en 1585 un texte qui place les canaux royaux sous la juridiction des villes83. Elles entendent profiter de l’eau sans la partager. Michel Brunet souligne ainsi que la capitale roussillonnaise pèse de tout son poids pour s’attribuer la part du lion dans la répartition de la ressource ; les villages situés sur le tracé du canal de Thuir voient leurs droits rognés à la demande de la ville84. Puigcerdà s’instaure également en maître absolu sur les eaux qu’elle tire du Querol. Aigua prohibida titre joliment l’équipe d’Helena Kirchner. Nulle prise d’eau autorisée n’a été trouvée dans les sources. Les écrire serait une forme de reconnaissance. Le canal est un territoire fermé à autrui et réservé aux seuls membres de la communauté urbaine. Pourtant, dès le XVIIe siècle, le monopole de la ville est battu en brèche. Les défaites de Puigcerdà et l’apparition de la frontière modifient les rapports de force. Les terroirs traversés par le canal sont du côté français tandis que la ville demeure en Espagne. Au début du XVIIIe siècle, la suprématie de Puigcerdà sur les villages se renverse. Le sequià est l’objet d’une guerre d’usure d’autant plus déterminée que la conversion des terres arables en prés constitue un enjeu foncier et économique de premier plan. La pénétration des idées physiocrates sur les espaces fourragers renforce encore l’importance de la maîtrise de l’eau. Puigcerdà cherche dans ce nouvel environnement géopolitique à conserver la mainmise sur la ressource captée en amont de son territoire.

Fracture et conflits territoriaux : l’appropriation du canal (XVIIIe - XIXe siècles)

  • 85 ACCE, sequià real de Puigcerdà, documents no 15, 16 et 19.
  • 86 ACCE, sequià real de Puigcerdà, document no 17.
  • 87 ACCE, sequià real de Puigcerdà, documents no 4 & 5.
  • 88 ACCE, sequià real de Puigcerdà, documents no 12 – 14.

79En 1700, la ville entre dans la guerre de succession. Elle prend le parti de l’archiduc. Elle entend localement reprendre ses droits et sa place. Deux plaintes sont déposées contre Enveig, Latour et Rigolisa. Les trois villages sont accusés de divertir l’eau du canal pour arroser leurs terres85. Puigcerdà semble animée d’un esprit de revanche. Depuis le milieu du XVIIe siècle, ses droits sont, en effet, contestés. En 1647, le procureur féodal exige la présentation de justificatifs et tente de lui soutirer le prix d’une inféodation supplémentaire86. Surtout, la guerre suspend l’utilisation du canal par Puigcerdà. Le siège de 1678 semble l’interrompre à deux kilomètres de la ville, près du hameau de Rigolisa. Celui-ci dépend de la seigneurie de l’abbaye de Cuxà. En 1683, la ville cherche alors à obtenir de l’abbé la permission de prolonger à nouveau le canal jusqu’à ses portes87. La demande est dilatoire. Elle s’adresse au premier bâtisseur du sequià, pour ne pas se tourner vers son successeur, le roi de France. Pourtant, en 1688, Puigcerdà se résigne. Elle demande à Louis XIV l’autorisation de restaurer le canal jusqu’à la ville. Le roi accepte la concession en échange d’un cens d’une vingtaine de livres en faveur de l’hôpital de Mont-Louis88. La voie d’eau est à nouveau raccordée, mais la boîte de Pandore est ouverte.

80Les procès du début du XVIIIe semblent suspendus à l’issue des combats. La défaite de Puigcerdà place la ville dans une situation périlleuse. Les plaintes ne sont traitées qu’en 1730. Elles produisent une documentation à la mesure des enjeux. Celle-ci révèle des pratiques interdites et l’érosion des droits de la ville.

L’eau menacée

  • 89 ACCE, sequià real de Puigcerdà, doc. no 23.
  • 90 ACCE, sequià real de Puigcerdà, doc. no 25, fo 2 v.
  • 91 Idem, fo 3 r.
  • 92 Idem, fo 3 v.
  • 93 Idem, fo 4 r.
  • 94 Idem, fo 4 v. – 5 r.

81L’ensemble de la procédure est traité par la chambre du domaine. Son commissaire, le sévère Albert Collarès, intervient directement. C’est un acharné. Il prend à bras-le-corps le problème du canal. La ville se plaint des dégradations causées par les communautés riveraines. Elle conteste les ouvertures qui empêchent l’eau de parvenir jusqu’à Puigcerdà et s’appuie sur le texte voté aux corts de Montso en 158589. Il interdit toute prise d’eau sur les canaux royaux de Thuir, de Perpignan, de Lérida et de Puigcerdà. La manœuvre est habile. Collarès est le doyen du Conseil Souverain du Roussillon. Il sait que les constitucions de Catalunya ont été intégralement admises par la plus haute cour de la province. Le commissaire du Domaine acquiesce pour mieux réfuter les pleins droits de la ville. Il rappelle que celle-ci tient son usage du roi de France. Puigcerdà n’a-t-elle pas demandée à Louis XIV son raccordement en 1688 ? Ne paie-t-elle pas un cens à l’hôpital de Mont-Louis pour en bénéficier ? Le canal est royal avant d’être celui de Puigcerdà, « ayant esté construit principalement pour l’usage des moulins que les souverains de cette province avoient faits bâtir »90 et si la ville en achète une concession, « des criées publiées d’autorité du lieutenant du procureur royal et féodal des comtés de Roussillon, Conflent et Cerdagne du troisième mars milcinq cent vingt et six infère qu’il y a d’autres personnes qui ont droit de se servir de l’eau de ce même ruisseau »91. Si le « riguier » du XVIe siècle, (c’est l’officier de la police des eaux) relate qu’il attend la présentation des titres pour confirmer la légalité de leurs droits, Collarès retient surtout « qu’il doit y avoir des propriétaires qui auront obtenu en différents tems soit des rois, soit de leurs officiers des concessions particulières pour se servir de l’eau de ce ruisseau pour l’arrosage de leurs terres comme nous l’avons vu pratiquer à l’égard du canal de Thuir »92. Le commissaire conclut habilement en deux points : (a) le roi de France est le véritable propriétaire en droit du canal. (b) Il peut autoriser ou interdire les prises d’eaux93. Il instaure donc un nouveau « riguier », en reprenant le mot catalan de « reig », pour mieux souligner la continuité avec les rois d’Aragon. Il est chargé de vérifier les concessions, d’en accorder de nouvelles et de dénoncer les usurpations94. L’ordonnance est placardée par le sergent de la viguerie dans toutes les communautés de Cerdagne française et une copie est adressée à Puigcerdà. Elle impose la levée d’un procès-verbal de descente qui révèle l’ampleur des pratiques interdites.

82Puigcerdà semble dépossédée. Elle perd la juridiction sur le canal. Le roi de France s’est substitué à sa domination. Celui-ci devenu maître en amont, la ville est retenue en otage en aval. Curieusement, elle semble obtempérer et laisse la procédure suivre son cours. Elle participe à l’expertise des dégâts et à l’inventaire des déprédations le long du canal.

Des pratiques concurrentes révélées : l’état du canal de Puigcerdà en 1731

  • 95 ACCE, sequià real de Puigcerdà, registre en français « procès verbal de descente du 12, 17, 17, 18, (...)
  • 96 Idem, fo 15.
  • 97 Idem, fo 16.
  • 98 Idem, fo 16.
  • 99 En 1496, la ville interdit l’utilisation du canal pour transporter le bois dans la vallée du Querol (...)

83Le 12, puis du 16 au 20 avril 1731, François Bonhomme subdélégué de la province du Roussillon est chargé par Albert Collarès de réunir les représentants des communautés concernées par le canal pour procéder à son inspection. Celle-ci relève autant de l’expertise que de l’arbitrage. Il s’agit de comptabiliser le nombre d’ouvertures faites sur le canal et d’en vérifier les titres. Puigcerdà tient son rôle. Elle envoie Domènec Marti i Aldran, l’homme de la vente du Carlit, en sa qualité de regidor de la ville. Il se mêle aux consuls de la vallée de Querol et d’Enveig, il côtoie les propriétaires des parcelles qui bordent le canal, il voit à l’œuvre le seigneur d’Enveig, Don François de Pastors. À 10 heures du matin, les délégués se réunissent au lieudit la roque de Riutès, c’est-à-dire à l’embouchure du canal95. Celle-ci est « encombrée de sable, ce qui fait que l’eau de la rivière darabo ne peut pas entrer dans icelui ». La cause de cet encombrement est que « certains habitans de la vallée ont nouvellement défrichées par-dessus la dite Roque de Riutès et qu’elles ont entraînées par les pluyes qui surviennent et causent les dommages que nous voyons »96. Comme les défrichements incriminés sont des communs, il est demandé d’ouvrir de nouveaux vacants à l’usage des habitants. Le canal tient encore sa suprématie sur les terres alentours. Cette logique se déploie d’aval en amont et sur les bords. La largeur minimale est fixée à huit pans de Montpellier97. Elle est partout amputée. Les cultures, les murailles, les prés ont empiété sur son espace. Il est exigé à tous de reculer et d’aménager un espace de circulation de part et d’autre. De même, les parcelles doivent être situées sous le franc-bord du canal, pour éviter que terre et cailloux ne s’y déversent les jours de pluie. Là aussi, les dénonciations abondent. Les propriétaires sont mis en demeure de procéder aux travaux exigés par le subdélégué. Enfin, les berges sont défoncées sur 100 pans à hauteur du lieudit « lo descarrego de la llenya, c’est-à-dire l’endroit où on met hors d’eau le bois qu’on descend par la rivière et ledit ruisseau »98. Le procédé a été entraperçu dans le Barrès. Il est ici anciennement prohibé99. La pratique est toutefois encore attestée dans le premier tiers du XVIIIe siècle. En aval, un torrent intermittent, celui de Salit, coupe le canal. Il y dépose sables et limons. Les experts mandatés recommandent la construction d’un aqueduc et d’un pont pour le franchir. L’ensemble est à la charge des habitants de la vallée. En arrivant à Latour, la première ouverture est mentionnée. Elle dessert un pré, celui de Garreta, homme fort du village. Le décompte commence. Il dure quatre jours.

  • 100 ACCE, sequià real de Puigcerdà, registre en français « procès-verbal de descente du 12, 17, 17, 18, (...)
  • 101 Idem, fo 19.
  • 102 Idem, fo 22 v.

84Plus de 73 œils sont relevés sur le tronçon de Latour et 18 sur celui d’Enveig. Le canal parcourt un peu moins de sept kilomètres en Cerdagne française ; une ouverture y est pratiquée en moyenne tous les 100 mètres. Les prises d’eau ne sont donc ni épisodiques ni marginales ; elles sont au contraire massives et généralisées. Les propriétés riveraines y puisent toute l’eau qu’elles y trouvent. D’un bout à l’autre du canal, les prés se succèdent. Etienne Garreta pratique deux ouvertures pour arroser son pré100, Joseph Vidal fait descendre la muraille qui entoure sa propriété jusque dans le canal et y aménage six petits oeils pour faire passer l’eau101, le sieur Mosses, baile de la vallée, tient un pré doté de dix ouvertures et son voisin, Etienne Serra, n’est pas en reste avec quatorze « desquelles certaines sont profondes et servent pour arroser le pred dudit Serra mais encore ceux qui sont en-dessous jusqu’à la rivière darabo » située 500 mètres en contrebas102. Situé à flanc de coteau, le canal sert avant tout aux prés qui s’y sont construits. L’aigua prohibida n’est plus. Le canal est moribond, menacé d’ensablement et vampirisé par les prairies : il ne bénéfice d’aucun curage ni d’aucune réparation. Percé de toutes parts, ses francs bords sont en plusieurs endroits effondrés. Les habitants des deux communautés irriguent et arrosent tant qu’ils peuvent.

  • 103 Les précipitations moyennes annuelles sont de 600 à 900 mm/an mais elles sont inégalement réparties (...)
  • 104 Michel Brunet en est le plus habile explorateur : Les pouvoirs au village… op. cit.

85Cette multiplication des ouvertures s’explique doublement. En premier lieu, les difficultés de la ville comme l’apparition de la frontière soustraient les villages de Cerdagne française au contrôle de Puigcerdà. Les propriétaires des prés n’hésitent plus à prendre l’eau du canal. Ils constituent un petit groupe où le seigneur côtoie les principales familles du lieu. Le climat sec renforce l’importance de l’irrigation et des espaces herbagers103. Le deuxième facteur participe du sens politique de ces communautés104. La venue du subdélégué est annoncée. Certaines ouvertures sont aménagées, dans l’attente de son arrivée et dans l’espoir qu’il procède à une régularisation en faveur des sujets du roi de France. En 1732, la majorité des oeils est reconnue. Les opportunistes sont en partie récompensés.

86Le subdélégué part sitôt sa mission achevée. Puigcerdà obtient une copie du registre. Elle figure en bonne place dans le dossier des archives. En participant au procès-verbal de descente, la ville dispose d’un document décrivant l’état du canal. Elle a identifié tous les propriétaires qui puisent de l’eau. En retrait durant la procédure, Puigcerdà obtient le moyen de reprendre la main.

Une ouverture imposée, une propriété établie : le canal de Puigcerdà (1732-1739)

  • 105 ACCE, sequià real de Puigcerdà, documents no 24 et 26, 1732-1733.
  • 106 ACCE, sequià real de Puigcerdà, document no 27, 1736.
  • 107 ACCE, sequià real de Puigcerdà, « obres/neteja de la sequià », affermages à la dernière chandelle d (...)

87Plutôt que d’attendre l’exécution des mises en demeure ordonnées par le subdélégué, le conseil de Puigcerdà passe des accords de gré à gré avec les communautés concernées pour définir les modalités du partage de l’eau. La concordià signée avec Enveig s’ordonne en trois points. La ville concède onze œils sur le tracé pour arroser les prés. Sept des ouvertures existantes devront donc être fermées hermétiquement et à la chaux précise le texte. Enveig obtient ainsi un droit d’eau de Puigcerdà, dont la légitimité est reconnue. Les représentants de l’État central sont tenus à l’écart de cet accord. Aucune des parties n’a intérêt à les voir s’immiscer davantage dans les affaires locales. En échange, Enveig doit réparer et nettoyer à ses frais le canal et procéder aux aménagements pour garantir la bonne circulation de l’eau : un pont et deux petits aqueducs doivent être construits pour permettre le passage des hommes et des charrettes d’une part et des torrents qui dévalent la montagne d’autre part. Le troisième point assure une contrepartie à la ville dans le cas où les habitants ne respecteraient pas l’accord. Puigcerdà sera libre de disposer de l’eau de Llora, à l’extrémité orientale du terroir d’Enveig, trois jours tous les cinq jours si le canal est à sec. En d’autres termes, Enveig doit veiller au bon acheminement de l’eau à travers son territoire, ce qui implique qu’elle doit aussi s’assurer que la communauté de Latour, située en amont, respecte les termes de la convention. Celle-ci est du même acabit ; la ville autorise une vingtaine d’ouvertures en échange de l’entretien du canal et de la fermeture des autres œils105. Ces concordiès sont des actes de droit privé. Ce sont des contrats synallagmatiques conclus hors de la sphère étatique. Les communautés en sont les garants. Une juridiction ad hoc est provisoirement créée pour le respect de ces accords. Dès 1736, les parties nomment un garde du canal, payé par les amendes perçues sur les contrevenants. Son activité n’a pas laissé de trace. Les communautés font aussi dresser un état des réparations à effectuer payées par les deux parties106. Au milieu du XVIIIe siècle, les travaux sont toutefois affermés par Puigcerdà107. Il n’est plus question ni des communautés associées, ni du reig. Cette ébauche de syndicat n’aura que peu duré.

  • 108 Pierre Dubuis, Une économie alpine à la fin du Moyen Âge. Orsières, l’Entremont et les régions vois (...)
  • 109 Idem, p. 92 suiv.
  • 110 Idem, p. 103 suiv.

88Son organisation interne diffère de celles rencontrées ailleurs. Dans le Valais, l’élevage se transforme au XVe siècle. La part des bovins augmente108. Cette évolution se traduit par une aggravation de tensions sur le partage de l’eau. L’organisation fonctionne sur trois niveaux. Les seigneurs en sont les garants109. Les consortages forment ensuite des syndicats auxquels s’intègrent les différents arroseurs en fonction de la taille de leur propriété : les tours d’eau respectent la hiérarchie foncière110. Mais nulle communauté n’est au-dessus des autres pour dicter sa loi. En Cerdagne, la présence d’une ville au milieu des communautés rurales structure différemment les rapports à l’espace. Puigcerdà agit d’abord comme la propriétaire exclusive du canal. Elle concède ensuite un nombre limité d’ouvertures. Il n’y a pas de réelle structure fédérative. De plus, le partage de l’eau dépend du nombre d’œils mais pas, comme ailleurs, de tours d’eau ou d’horaires planifiés et respectés. Dès lors qu’ils disposent d’une ouverture, les propriétaires fonciers en usent et en abusent. Nulle convention écrite ne les contraint. Les propriétaires des terres irriguées ne sont que faiblement entravés. La part laissée à l’initiative de chacun amène rapidement à la fragilité des accords entre la ville et les villages.

De l’eau prohibée à l’eau limitée : l’irrigation des prés comme priorité

  • 111 Rappelons que la Lex stratae est un article des constitucions de Catalunya qui place les chemins, l (...)
  • 112 ACCE, sequià real de Puigcerdà, document no 6-11.
  • 113 Bulletin des lois, no 1678 ; 11 février 1869
  • 114 Thadée Niyonzima, Etude historique du fonctionnement du canal de Puigcerdà, mém. cit., p. 32
  • 115 Idem, p. 22 suiv.

89Le temps de la concorde est en effet de courte durée. Dès 1739 et jusqu’en 1866, les parties s’affrontent mais les arguments ont changé. La ville se présente en propriétaire du canal, libre d’exproprier les communautés d’Enveig et de Latour. Celles-ci ont recours au Conseil Souverain et à la Lex Stratae111 pour justifier leur usage immémorial de l’eau112. La Révolution suspend les débats. Les accords internationaux de Bayonne fixent la frontière et définissent le régime juridique des eaux courantes dans la zone frontalière113. La propriété de Puigcerdà sur le canal est reconnue. Il constitue une sorte d’enclave. Une zone de protection de 6,50 mètres est instituée de part et d’autre de celui-ci. La ville développe une structure de contrôle directement rattachée à la municipalité. C’est un impératif d’ordre public, car, entre 1781 et 1842, le nombre total d’utilisateurs est passé de 348 à 429114. Du côté français comme espagnol, la répartition de l’eau est déterminée à deux niveaux. Un premier partage a lieu entre Puigcerdà d’une part et Enveig et Latour d’autre part. La ville obtient d’abord la garantie d’un débit minimal de 300 litres/seconde. Dans le cas contraire, elle peut augmenter unilatéralement son temps d’utilisation jusqu’à atteindre le volume attendu. Ce minimum dépasse toutefois le débit du Querol en période d’étiage. Il est source de conflits. Les habitants de Puigcerdà doivent prélever ce volume dans un cadre horaire strict. Le droit d’arroser est limité de quatre heures du matin à quatre heures de l’après-midi. Les deux communes françaises ont la plage horaire restante. Elle impose un arrosage de nuit. Là aussi, c’est une cause de disputes. Les exploitants d’Enveig dénoncent la fainéantise des agriculteurs de Latour qui, une fois les vannes ouvertes, partent dormir pendant que leurs voisins attendent une eau qui ne vient pas115. Ces limitations expliquent la faible emprise du périmètre irrigué par le canal sur le territoire d’Enveig. Les exploitants utilisent davantage les torrents de la montagne, plus irréguliers, mais plus sûrs.

  • 116 La comparaison est de Roland Warion, “La « Bellière Grand » des Praz : un syndicat d’arrosage en Ha (...)
  • 117 Canal International de Puycerda. Section d’Enveitg. Répartition de l’eau dudit canal international (...)
  • 118 Thadée Niyonzima, Etude historique du fonctionnement du canal de Puigcerdà, mém. cit., figure 4 : I (...)
  • 119 Idem, p. 21

90Le deuxième niveau de répartition est intra-communautaire. Les propriétaires de terres, et eux-seuls, disposent d’un droit d’arrosage calculé au prorata de la superficie des terres possédées et un créneau horaire prédéterminé. Après l’eau prohibée, c’est le temps de l’eau limitée. Face à ces restrictions, la propriété s’impose comme la mesure– étalon des droits d’arrosage. Les plus grands propriétaires sont aussi les plus gros arroseurs. Puiser de l’eau est une affaire de biens fonciers possédés et non plus d’un droit dérivé de l’appartenance à un lieu. Le statut d’ayant droit a migré d’une définition fondée sur le statut de voisin à celui de propriétaire. La commune d’Enveig met par écrit en 1894 le règlement d’arrosage. Il est établi à partir de la matrice cadastrale, preuve d’une inversion du rapport entre l’eau et la terre. Sa complexité laisse perplexe. Douze œils fonctionnent douze heures par jour entre 4 heures du soir et 4 heures du matin. 720 heures d’arrosage sont réparties en fonction de la superficie de chaque propriété. L’eau du canal constitue ainsi une sorte de société à capital invariable116. François Puig possède un pré de 4,32 hectares et obtient douze heures d’arrosage le lundi tandis que Joseph Maranges possède une prairie de 28 ares qu’il ne peut arroser que le jeudi pendant une heure et demie117. Mais, les prés sont la possession d’un cercle fermé de propriétaires. Leur dispersion est la règle. Un même exploitant peut avoir à ouvrir plusieurs vannes en plusieurs endroits et à la même heure118. Dans tous les cas, l’arrosage dans les règles est difficile sinon impossible. Dans la pratique, le système est néanmoins moins rigide qu’il n’y paraît. Les propriétaires arrosent quand ils le peuvent. Le système est davantage un garde-fou qu’une entrave. Puigcerdà a beau être propriétaire du canal, elle n’est pas maître de l’eau au XIXe siècle. Latour sabote le canal pour arroser en toute impunité ses prés. La ville doit se plaindre, négocier, concéder. En revanche, elle se plaint peu du village voisin d’Enveig119. Mais n’est-ce pas là que plusieurs notables de Puigcerdà y ont acquis de vastes propriétés agricoles, dont une part importante des prés ? Cela n’explique-il pas la position compréhensive de la ville envers les dépassements opérés par des arroseurs qui sont issus de ses rangs ? Là encore, la propriété foncière s’impose comme la grille de lecture la plus pertinente pour comprendre la nature du rapport à l’espace particulier du canal de Puigcerdà.

  • 120 Une même situation d’augmentation des conflits liés à l’eau parallèlement aux changements agraires (...)
  • 121 Une semblable évolution embrasse l’histoire du canal de Prades : Thierry Ruf, “Droits d’eau et inst (...)

91Le canal de Puigcerdà est un objet singulier qui articule les différentes temporalités et les différentes modalités qui en permettent l’appropriation. Il résume les apparentes contradictions qui définissent les rapports à l’espace qui se sont succédé. Avant le XIVe siècle, l’accès à l’eau prend la forme d’une concession seigneuriale. Le canal passe imperceptiblement sous la coupe de la royauté. Celle-ci établit ses moulins et renforce sa position et sa création : Puigcerdà. La ville rachète sa tutelle et redéfinit les fonctions politiques du canal. Elle assoit sa domination sur le marché cerdan. À l’image du grenier de la ville, le canal devient la propriété indivise des habitants, qui contribuent à son entretien. Le statut de voisin permet l’accès à l’eau. Les défaites défont l’édifice juridictionnel fondé sur l’appartenance à la communauté. L’interruption du tracé impose de demander de nouvelles concessions au nouveau maître de la zone : le roi de France. Puigcerdà ne contrôle plus le canal. Les conflits d’usage sont d’autant plus forts que les besoins augmentent. La construction des nouveaux prés est en jeu120. Elle reprend la main en faisant intervenir le pouvoir central. Il inspecte, il met en demeure. Les communautés incriminées ont tout intérêt à s’entendre avec la ville. Les accords passés au début du XVIIIe siècle entérinent le principe d’un partage de l’eau. Puigcerdà s’en sort bien. Elle use, jusqu’aujourd’hui, d’une ressource puisée chez ses voisins. Le traité de Bayonne confirme la nouvelle donne. Mais la propriété foncière détermine les droits accordés aux propriétaires fonciers. Elle est définie comme la valeur de référence, celle qui mesure les droits dévolus à chacun et non plus à tous. Tout invite les hommes de la ville à acquérir des terres pour remplacer leurs droits et leur domination. Comme ancienne puissance juridictionnelle, la ville est laissée à la porte des terroirs, elle doit désormais y entrer sous les traits des propriétaires121.

Conclusion

92Ce repli est significatif du changement de position de Puigcerdà et de l’évolution des rapports de force à trois échelles différentes. La ville est d’abord diminuée dans le giron de la monarchie hispanique. La défaite de 1705 et la Nova Planta entérinent sa disqualification politique. Elle est aussi contrainte de reculer derrière la frontière juridictionnelle. Les représentants locaux de l’État royal, et en premier lieu le viguier Sicart, en tirent profit. Enfin, la ville est impuissante face à l’affirmation des communautés rurales, et plus particulièrement celles du côté français de la Cerdagne. Le repli de Puigcerdà apparaît comme un recul. La ville s’attache à contrôler étroitement Salteguet, déjà proche et assujettie par le droit féodal. Elle cesse dès lors toute immixtion sur les pasquiers et se détourne de la gestion directe des transhumants pour se recentrer sur cet espace domestique. Cette montagne est communautaire. Elle ne dépareille pas des autres estives. La violence et les étrangers sont rejetés aux limites. L’ordre de la ville s’y projette. Elle fait corps avec ce lieu qui lui permet de reconstruire une cohésion et une domination. La montagne est toutefois différente des autres. Gérée par le conseil de la ville, ses fruits sont distribués aux habitants de Puigcerdà, comme une réminiscence du passé.

93Une même logique préside à la rappropriation du canal. La ville entend d’abord garantir son ravitaillement en eau, elle cherche aussi à développer l’arrosage de ses prairies. La consommation de viande bovine a augmenté et il faut de l’herbe à proportion. Confrontée une nouvelle fois, après les pasquiers de Querol, après le Carlit, aux agents de la monarchie française, Puigcerdà a tiré les leçons de ses défaites : elle se soumet d’abord, pour manœuvrer ensuite, en passant des accords de gré à gré avec les communautés françaises. Elle parvient à légitimer ses prétentions sur le canal. Elle en obtient la pleine propriété, ce qui est une chose, et la garantie que la moitié de l’eau lui revient, ce qui en est une autre. Autant la ville a échoué à contrôler les pasquiers et à transformer son pouvoir en avoir, autant elle y parvient avec le canal.

III. La réorganisation de l’élevage entre fermetures ciblées et ouvertures monnayées des territoires de l’herbe

94Du XVIIe au XVIIIe siècle, les communautés rurales paraissent maîtriser l’élevage à travers le contrôle des espaces de pacage et de fourrage. Elles règlent les déplacements de troupeaux, elles limitent la charge pastorale et déterminent les espaces livrés aux bestiaux et ceux qui en sont protégés. Mais l’apparente unité de la communauté masque de profondes divisions internes. Celle-ci ne semble jamais ce qu’elle paraît dès lors que les décisions prises à l’unanimité sont souvent le fait d’une minorité. Elle se redéfinit sans cesse au miroir des circonstances et des pouvoirs auxquels elle s’adresse. De facto, les sources sont partielles et inégales, pauvres au XVIe et au XVIIe siècle, quand les interlocuteurs manquent, mais détaillées au XVIIIe siècle grâce aux exigences administratives de l’intendance du Roussillon. Les enquêtes sur le cheptel sont riches. Elles montrent à l’échelle de la province, puis dans chaque viguerie et sa répartition entre les différents propriétaires d’une même communauté. Ne constituent-elles pas dès lors un révélateur des ressources et des modalités d’accès à l’herbe ?

1. La maîtrise de l’herbe et le problème de la communauté d’habitants au XVIIIe

  • 122 L’espace collectif est constitué d’une part des versants, des hermes et des estives et d’autre part (...)
  • 123 Élie Pélaquier a remarquablement analysé ces oppositions pour la communauté de Saint-Victor : De la (...)

95Au XVIIIe siècle, la répartition sociale du cheptel est doublement structurée. Elle est d’abord liée à un phénomène de concentration du bétail corrélée à l’accumulation foncière, mais elle autorise une grande partie de la population de nourrir un peu de bétail sur les espaces collectifs122. L’équilibre est précaire. Il explique les tensions internes aux communautés d’habitants entre les différents acteurs dont les intérêts sont contradictoires. Il y a ceux qui veulent davantage de bêtes et d’autres plus de terres à cultiver. Tous se soucient enfin de l’état des bois123. Ces activités occupent le même espace où convergent les tensions : les terres communes.

96L’approche exclusivement comptable est insuffisante pour les saisir. Or, la régulation de ces conflits d’intérêts participe de l’inégale densité du bétail entre les communautés. En effet, au cas par cas, et en fonction des rapports de force et des ressources propres à chacune, celles-ci déterminent les seuils d’admission et fixent le calendrier pastoral, favorisent l’élevage ou en restreignent le développement. Les communautés ont le contrôle effectif des pâtures et constituent de facto l’un des grands pôles d’organisation de l’élevage et de son rapport à l’espace.

  • 124 Idem, p. 411-418
  • 125 Antoine Follain, Le village sous l’Ancien Régime…, op. cit., p. 437 suiv.

97Face à la seigneurie, la communauté s’organise comme un partenaire pour la gestion des communs. Ceux-là apparaissent comme sa matrice. À cet égard, Élie Pélaquier souligne bien le grand rôle joué par la petite montagne de Saint-Victor pour la formation de la communauté124. Le modèle est assurément municipal pour reprendre la typologie proposée par Antoine Follain125. Les espaces collectifs imposent une gestion commune des affaires publiques. Dites ainsi, les choses sont simples. Mais, les situations sont complexes, dans le détail et à travers l’extrême diversité des situations locales. Le XVIIIe siècle renouvelle la communauté. Celle-ci est toujours territoriale et encore seigneuriale, mais elle est désormais fiscale. L’impôt se mélange aux autres ingrédients pour déterminer l’accès aux vacants et la recette devient amère pour certains et douce pour d’autres.

La communauté réinventée

  • 126 Élie Pélaquier, De la maison du père à la maison commune…, op. cit., pour la description des source (...)

98L’espace collectif et la gestion de l’herbe constituent l’un des fondements de la communauté rurale. La documentation est principalement constituée de criées qui organisent la vie rurale à travers une liste d’interdits calendaires et agraires. Ce type de règlement de police rurale est connu à travers l’ensemble de l’Europe rurale. En Cerdagne, cette documentation est en grande partie isolée. Les communautés sont avares de sources. Les registres de délibération sont quasiment inconnus et les rôles fiscaux comme les comptabilités n’apparaissent qu’à l’extrême fin du XVIIIe siècle. Les fonds documentaires de la communauté sont donc maigres au regard, par exemple, des sources dont dispose Élie Pélaquier pour faire apparaître, touche par touche, la communauté de Saint-Victor-de-la-Coste126. Toutes archives confondues, les communautés cerdanes n’en fourniraient pas le quart.

Connaître les communautés : des enquêtes publiques tardives

  • 127 Sur l’historiographie de la communauté, voir le premier chapitre de Antoine Follain, Le village sou (...)

99La communauté rurale est encore mal connue, même au XVIIIe siècle et n’a laissé que peu de traces derrière elle. Un renouveau historiographie cherche à éclairer sa part d’ombre127. La fiscalisation tardive de la région explique le peu de renseignements antérieurs au XVIIIe siècle. Les enquêtes se succèdent alors pour déterminer leur potentiel fiscal et établir la répartition des charges. L’intendance et le viguier de Cerdagne sont les principaux interlocuteurs des communautés. L’administration fiscale multiplie les demandes d’informations et les recensements (1694, 1730, 1753, 1758, 1773, 1775), mais il faut attendre 1780 pour qu’un véritable audit des budgets des communautés soit rédigé.

  • 128 AD66, 1C2045-1C2097.

100Face à ces multiples demandes, les communautés répondent, généralement tardivement, par un torrent de suppliques et de demandes d’exonérations qui dévale la montagne vers l’intendance. La pluie, la grêle, le temps qu’il a fait ou qu’il n’a pas fait, la pauvreté, la situation excentrée, les communautés font flèche de tout bois pour diminuer leurs contributions. La contrebande et la concurrence déloyale de l’Espagne sont aussi invoquées128. Les communautés sont toutefois habiles à la négociation, n’hésitant pas à court-circuiter les différentes autorités pour faire passer leurs requêtes. Le viguier Sicart est ainsi régulièrement tenu informé des suppliques des communautés par l’intendant, alors qu’il demeure leur plus proche interlocuteur. Mais l’intendant est aussi contourné quand les villages en appellent au gouverneur. Apparemment dociles et modestes, ces communautés se révèlent de redoutables rhéteurs.

Communautés et affaires privées

  • 129 Élie Pélaquier, De la maison du père à la maison commune…, op. cit., p. 410
  • 130 ACDC, carton 2
  • 131 Michel Brunet, Les pouvoirs au village… op. cit., p. 32 suiv.

101Ces fonds documentaires ne constituent pourtant qu’une petite partie de la production des communautés. Les archives privées ont en effet absorbé une grande partie des sources publiques. Comme en Andorre, la sphère publique est intégrée dans le réseau des maisons dominantes. Mais n’est-ce pas aussi le cas en Languedoc ? À Saint-Victor, la famille Bertrand détient une partie des registres de délibération de la communauté129. Les transactions judiciaires sont généralement conservées au mieux dans le presbytère, au pire dans les archives familiales. Le fonds de la Casa de Cerdanya est constitué de liasses éclairant la saga des Barnola d’Estavar et d’Egat et des Grau entre le XVIe et le XIXe siècle, auxquels sont mélangés des documents de la communauté. Les rôles de répartition du vingtième entre 1749 et 1751 y sont conservés130. La gestion de la maison du père et de la maison commune ne font qu’un. Pourtant l’attitude des élites rurales est longtemps ambivalente. Ne cherchent-elles pas à fuir les charges municipales131 ? La communauté a généralement un consul en chef et deux colistiers. Michel Brunet en fait un bouc émissaire. Le consul est chargé d’une fonction dont la plupart des habitants ne veulent pas. Les notables en particulier cherchent à y échapper, car ils seraient comptables sur leurs deniers des manquements d’autrui. La charge incombe donc aux malchanceux tirés au sort, qui attendent avec impatience leur libération, au terme d’une année de fonction pendant laquelle en faire le moins possible tient lieu de politique. Mais la fiscalisation de la communauté change cette attitude. Les terres sont recensées. Les rôles sont dressés. Les élites participent à ce processus. Peuvent-elles s’en tenir écartées quand l’enjeu est la répartition de l’impôt ? De plus, les criées qui règlent les dates d’entrée des troupeaux sur les finages et le nombre de bêtes autorisées à pacager sont de plus en plus rédigées sous la houlette de l’intendant et du viguier. Tout invite ces propriétaires fonciers à participer à la machinerie fiscale de la royauté. La municipalisation des notables est en marche, car d’un côté il y a ceux qui paient pour les biens qu’ils possèdent, et de l’autre ceux qui ne paient pas. Mais comment accepter que tous décident et bénéficient d’un même accès aux ressources communes sans en payer le prix ?

Le basculement, XVIe-XVIIIe siècle

  • 132 ACCE, fons pobles, ordinacions de Santa Leocadia ; 1591.
  • 133 Voir chapitre 3.

102Le basculement est progressif. Il commence dès la fin du XVIe siècle. Sainte-Léocadie est un cas révélateur. La communauté est divisée en plusieurs écarts. L’église est excentrée. La chapelle de Llus la concurrence et dispose de sa part de dîme. Les niveaux de fortune sont marqués entre les grands héritages, progressivement acquis par des notables (les Montellà ou les Sicart) et les vieilles familles (les Oliver). Dans ce contexte de bipolarisation sociale, sans doute plus précoce ici qu’ailleurs, les criées redéfinissent en 1591 la notion de biens communs132. Elle fait suite au nivellement des conditions juridiques dans la seigneurie parallèlement aux vacants133. Or, si tous les habitants ont les mêmes droits, ils n’ont pas les mêmes moyens. Une partie de la communauté se plaint que les espaces collectifs sont utilisés par ceux qui peuvent y envoyer du bétail. Les autres en profitent moins. Or, le conseil général exige « que les coses que són comunes, sien comunes per a tots, y que tots en gaudeixen » (que les choses qui sont communes soient communes pour tous et que tous en profitent). L’argument est essentiel. Il justifie la taxation des troupeaux, dix reals pour cent moutons et un real la bête grosse. Ces sommes alimentent la caisse commune. Au droit de résidence égal pour tous et défini dès le XVe siècle s’ajoute cette idée que les membres de la communauté doivent contribuer aux charges communes à proportion de l’usage qu’ils font du patrimoine collectif. L’objectif est simple : taxer les riches et les opportunistes qui prennent du bétail en bail.

103La montagne devient un espace comptable (les animaux sont dénombrés…) et fiscal (…pour être imposés au profit de la communauté). Le retournement de cette situation s’appuie sur ces fondations. Au XVIIIe, les grandes maisons ont transmué la taxe en pouvoir : elles obtiennent d’envoyer un contingent supérieur de bétail sur les estives parce qu’elles paient davantage d’impôt. Les choses communes sont devenues la chose de ceux qui paient. Ils en maîtrisent la gestion à travers les criées et à travers une position dominante dans la communauté.

Des cabarets aux budgets : portraits de communautés

  • 134 AD66, 1C2056, 1C2054, 1C2050-2051, 1C 2060, 1C2086
  • 135 Serge Brunet, “Le prêtre, le consul et le missionnaire. Réforme catholique et finances des communau (...)

104Les communautés du XVIIIe siècle seraient-elles entièrement sous la coupe de quelques maisons dominantes, qui en possédant la terre, maîtrisent les estives et s’assurent du contrôle de l’élevage, pierre angulaire de leur position dominante ? Les caisses communes seraient-elles donc entièrement dépendantes des contributions de quelques particuliers ? Chargée de la tutelle des communautés, l’intendance exige la présentation de leurs budgets en 1780. Six réponses sont conservées134. Les budgets moyens sont modestes. Les recettes sont rares. Elles portent sur l’affermage d’un pré, comme à Caldègas, mais le plus souvent, ce sont les contributions des particuliers qui remplissent les caisses de la communauté pour faire face aux menues dépenses. Bajande dépense 15 livres chaque année pour une procession et le paiement du droit de pied fourchu. Caldègas et Angoustrine présentent aussi des comptabilités modestes : 70 livres pour l’une et 150 pour l’autre. Les processions, les droits d’octroi et les émoluments des consuls en absorbent les trois-quarts. Le restant est constitué de dépenses extraordinaires. Elles doivent être autorisées par l’intendant. Les demandes portent régulièrement sur la nécessité de réparer les ponts. L’intendant y consent. La volonté d’améliorer la voirie est une constante de la seconde moitié du XVIIIe siècle. Mais la fréquence de demandes des communautés est suspecte. Bolquère fait réparer son pont quatre fois en quelques années. Mais n’est-ce pas, avant tout, une façon d’obtenir l’autorisation d’engager des dépenses qui servent à tout autre chose ? Les budgets sont donc ordinairement de faible valeur. Les communautés apparaissent comme des navires de faible voilure, navigant à contre-courant d’autres régions pyrénéennes135. Mais n’est-ce pas en partie un faux-semblant des comptabilités présentées ? Les montagnes n’y sont pas généralement intégrées. Elles sont directement exploitées par les maisons sous différentes formes. Élevage, agriculture permanente ou temporaire, boisage s’y déploient sans entrer dans les lignes budgétaires. Elles apparaissent ainsi dans la continuité des exploitations domestiques et non comme le socle constitutif d’une institution communautaire. Les montagnes échappent ainsi aux enquêtes fiscales portant sur les communautés comme sur les particuliers, puisque ces derniers sont imposés sur leurs biens propres. C’est dans doute dans ce type de communauté à faibles revenus directs que le poids des particuliers, et avant tout des grands propriétaires est important. Les montagnes ne constituent pas des sources de revenus indépendants capables d’équilibrer les rapports de force la communauté. Les grands contributeurs y occupent une position dominante. Un contre-exemple existe néanmoins et éclaire, à rebours, les autres communautés.

La location des herbages, fondement des équilibres dans la communauté ?

  • 136 AD66, 1C2083-2087

105La vallée du Querol constitue une figure inversée des autres communautés rurales. Son budget rivalise d’abord avec celui de Puigcerdà. Cette grande communauté de vallée engrange chaque année 4 626 livres de re136. Les trois-quarts sont générés par la location des herbages de la communauté. Six estives sont louées chaque année. L’affermage des cabarets complète le budget pour plus de 1 200 livres. Les dépenses sont à la hauteur des gains. 3 323 livres et 19 sous sortent chaque année des caisses communes. Les salaires des différents officiers municipaux et royaux en forment le tiers. Mais, c’est surtout l’impôt au roi qui pèse lourd dans ce budget. En effet, la vallée paie sur les deniers communs la capitation (40 % des dépenses), l’octroi et le pied fourchu. Le vingtième est également payé par la communauté pour les habitants les moins aisés. À ces dépenses ordinaires s’ajoutent des sorties extraordinaires pour saisir le bétail étranger et surtout chasser le loup et l’ours. La communauté range ainsi dans une même catégorie les grands prédateurs et les étrangers. Elle leur oppose un front uni gagé sur les deniers communs.

106La solidarité et la cohésion communautaire sont fondées sur les revenus des montagnes louées au plus offrant, mais intégrés dans les budgets. La vallée est un espace de solidarité. Sa cohésion transcende les positions sociales et économiques de chacun. Au contraire, les autres communautés sont davantage des mondes du chacun pour soi. Dans les deux cas, les montagnes sont au centre des enjeux. Exploitées par la somme des individualités dans la majorité des communautés, elles sont intégrées au circuit fiscal de la vallée du Querol. Celle-ci se caractérise dès lors par une organisation politique qui contrôle davantage les grandes maisons.

107Les inégalités de budget s’expliquent de deux manières et ont une double conséquence sur la structure sociale. Partout la montagne est structurante. Il y a d’abord des communautés qui n’en possèdent pas. Leurs budgets sont maigrelets. Les grandes maisons sont toutes puissantes. Elles possèdent la majeure partie des terres cultivées. La majorité des habitants n’a pas la possibilité de grappiller quelques cultures temporaires. Elle est tributaire de ces grandes exploitations qui tirent profit d’une main-d’œuvre à leur botte et des terres hermes sans opposition. Dans les autres communautés, la montagne permet de rééquilibrer la balance des possessions économiques et des rapports sociaux qui en découlent. Qu’y a-t-il de commun entre un travailleur dépendant d’un grand propriétaire et un petit exploitant qui peut défricher ? D’un côté, la situation de dépendance est marquée, de l’autre, la communauté peut décider d’ouvrir les portes de la montagne pour les habitants et d’engranger une partie de ses revenus locatifs pour les redistribuer en s’acquittant des impositions royales, sans dépendre des grandes maisons, sans leur laisser le champ libre sur les terres communes.

108La deuxième manière d’expliquer les différences de budget dépend de la décision des communautés d’affermer, ou pas, une partie de leur montagne. Osséja s’y emploie en fonction des besoins et de ses dettes. En 1758, elle déclare distraire une partie de son territoire pour l’affermer cent livres et rembourser ce qu’elle doit. Si l’article 12 des criées de 1739 proclame :

« Qu’aucun étranger ne pourra faire entrer aucune espece de bétail tant gros que menu pour paturer dans les terroir d’Osséja et sa vallée sous peine de trente livres pour chaque marque ou signal qui y sera trouver paturer et pour chaque contravention ».

109Il précise néanmoins :

« (...) que les ordinations faittes le troisième mars 1739, qu’ils (les habitants dudit lieu) approuvent et ratifient (à la réserve des articles qui pourroient porter atteinte à l’afferme des paturages de la montagne de Corbera, ou ayant rapport) seront observées et exécutées suivant leur forme et teneur et sous les peines requises ».

  • 137 Dans la vallée du Querol, « il est déffendu et prohibé à toute sorte de personnes de ladite vallée (...)

110Une partie de la montagne est donc affermée, et cette pratique paraît fréquente en Cerdagne137. Bolquère fait de même. Ces communautés en ont les moyens. Les autres montagnes ont trop peu d’étendues pour être découpées sans léser davantage les habitants qui possèdent du bétail. Ces rapports différents à l’espace collectif, entre les communautés qui s’en réservent la totalité et celles qui les louent tout ou en partie, expliquent, au cas par cas, l’inégale répartition du bétail dans l’espace. La dette est structurante de cette volonté de transformer l’herbe en numéraire.

  • 138 Marià-àngels Sanllehy i Sabi, Comunitats, veïns i arrendataris a la Val d’Aran… op. cit., p. 252 d’ (...)
  • 139 Michel Chevalier, La vie humaine dans les Pyrénées ariégeoises, 1956, rééd. Nîmes, Lacour, 2002, 2 (...)
  • 140 Cité par Jean-Marc Moriceau, Histoire et géographie de l ‘ élevage… op. cit., p. 320-321
  • 141 Olivier Codina, De fer et de laine…, op. cit., p. 74 ; p. 407 suiv.

111La monétarisation de ces pacages se répand dans les Pyrénées et ailleurs. Dans le Val d’Aran, montagnes et forêts sont affermées pour éponger les dettes abyssales des communautés138. Les seigneurs y trouvent aussi un moyen de rentabiliser un domaine difficile à exploiter. En Ariège, la location d’herbage lie des communautés entre elles139. En Haute-Provence, la pratique touche « toute la terre gaste (…) et montagne »140. Mais nulle part aussi bien qu’en Andorre, les motivations et la portée de cette location du patrimoine commun n’apparaissent aussi clairement. Elle est servie, encore une fois, par une documentation exceptionnelle. Les espaces retirés des usages collectifs sont appelés cortons. Dans la commune d’Andorre, les premiers affermages datent de 1609. Ils sont pris par des compagnies d’éleveurs locaux. Les Andorrans se rendent compte de la valeur monétaire des montagnes. Des pans entiers d’estives sont alors détournés des usages collectifs pour être affermés au plus offrant. La montée des prix les met hors de portée de la majorité de la population. La privatisation de l’espace collectif et la confiscation des revenus de l’élevage y sont donc particulièrement marquées141. Mais elles permettent également une forme de redistribution, puisque l’ensemble des communautés profite du montant de la location utilisé pour payer les charges collectives. Dans tous les cas de figure, les modalités du partage des charges et des profits sont essentielles et se déclinent sous une infinité de formes, de choix, et compromis, plus ou moins équilibrés en fonction des partis pris choisis.

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  • 142 Amaïa Legaz, “Cadastres et communaux : deux composantes d’une évolution des communautés rurales ver (...)
  • 143 Philippe Arbos, La vie pastorale dans les Alpes françaises. Etude de géographie humaine, Paris, Arm (...)
  • 144 Amaïa Legaz, “Cadastres et communaux…”, art. cit., p. 5
  • 145 Voir chapitre 3.

112À ce stade de l’analyse, une typologie intermédiaire peut être dressée. Deux grands types de communautés émergent des enquêtes fiscales. Les premières n’ont pas de montagne et sont sous la coupe de grandes maisons. Les secondes ont une montagne et se divisent, avec une infinité de graduations, en deux groupes. Les premières afferment une partie du patrimoine collectif. Elles monétisent l’herbe pour l’intégrer dans le budget commun. Il sert au remboursement des charges individuelles et collectives. Il constitue un petit rempart contre le creusement des écarts sociaux. Les Alpes offrent un terrain de comparaison. Un petit lot de familles « oriondes » bénéficie du plein-droit sur les terres communes. L’admission comme « comparsionnier », que l’on s’installe au village ou que l’on y soit étranger suppose deux conditions. La première est l’accord des membres de la communauté. La seconde est de débourser une somme assez considérable142. Le droit est ensuite héréditaire143. La situation est identique en Béarn et en Pays Basque144. Là aussi, le droit à la montagne se redéfinit dans une perspective financière. Il faut remplir les caisses communes. L’accès aux estives n’est plus une concession seigneuriale. C’est devenu une affaire communale, qui explique, en retour, la position des seigneurs dans les années 1730145. Le second type de communauté cerdane laisse au contraire la montagne en pâture aux appétits concurrents des différents habitants D’un côté, certains cherchent des terres à défricher de manière temporaire, de l’autre ils entendent développer l’élevage. Toutefois, l’exploitation de la montagne est régulée. Les criées définissent les quotas de bétail autorisés et ferment des quartiers aux nouvelles cultures. Face aux intérêts divergents, elles doivent gérer différentes formes de cospatialité comme autant d’équilibres précaires qui basculent, à la fin du XVIIIe siècle, au profit de certains et au détriment des autres.

Cospatialités

  • 146 J. Lévy ; M. Lussault, Dictionnaire de géographie et de l’espace des sociétés, Paris, Belin, 2003, (...)
  • 147 Voir chapitre 4.

113La cospatialité se définit comme une « mise en relation de deux espaces occupant la même étendue »146. La notion permet de penser les pratiques concurrentes qui se déploient sur les mêmes surfaces. Les espaces collectifs sont l’objet de multiples activités et de différentes formes d’appropriations. L’élevage n’a pas le monopole de l’usage des terres communes147. Les nouvelles cultures réduisent la part des pâtures. L’espace commun est mité de toute part comme une peau de léopard. Le seigle monte jusqu’aux plas pastoraux. Son expansion gêne la divagation des troupeaux. Les parcours sont contraints des villages aux estives. À Dorres, les grandes maisons profitent de l’édit d’enclosure de 1769 pour fermer leurs prés situés à la charnière entre la montagne et le terroir. L’objectif est de s’en réserver le regain. Mais n’est-il pas aussi de fermer l’accès à la montagne ? En 1774, le viguier Sicart constate en effet que :

  • 148 AD66, 1C2055, 1774.

« les habitants du village de Dorres pour jouir avec plus de tranquillité et d’avantages que leur procurait l’édit du Roi prohibant le parcours se sont empressés de fermer leurs prés avec des murailles en laissant le chemin être étroits (…). La montagne dudit lieu au pied de laquelle est situé ce village étant par la qualité du terroir très propre à produire beaucoup de fourrage, certains habitants en fermant des communaux ont barré le chemin aux troupeaux, cette entreprise est doublement nuisible en général pour les habitans, Premièrement, en ce que le bétail de toute espèce qui autrefois trouvait sa pâture presque au sortir du village est obligé aujourd’hui à monter une heure sur la montagne sans pouvoir s’élargir. En second lieu, le chemin par où ce même bétail doit passer est si mauvais que très souvent il s’y estropie des bêtes »148.

  • 149 Robert Allen, Enclosure and the Yeoman : The Agricultural Development of the South Midlands 1450-18 (...)
  • 150 AD66, 9Bp746, 15 juin 1768, article 24.
  • 151 AD66, 9Bp746, 15 juin 1768, articles 26 à 28.
  • 152 AD66, Criées de Palau, 3E56/31, articles 13 à 15 et 25.

114Sicart exige la remise en état des accès à la montagne. La mesure conserve les droits anciens. Elle arase les clôtures dans un mouvement de refus qui se déploie de l’Angleterre du XVIIe siècle à la Haute-Saône sous la monarchie de Juillet149. Mais cette tentative de verrouiller l’accès à la montagne n’est-elle pas également une réponse des grandes maisons au grignotage des communs par les défrichements ? En effet, les criées essaient parallèlement de limiter les nouvelles cultures. En 1768, elles enjoignent « d’abandonner les deffrichements pour passer les bestiaux a la devesa de la gavarreras »150, « de laisser libre le passage de la trapa del llop avec deffences a quoi que ce soit de ne le plus embarrasser ny empescher, et d’abandonner les deffrichements ». La même disposition est répétée pour les lieux-dits a Solà, als carrarots et a fontenellas151, tous situés à la charnière entre finage et montagne. À Palau, les criées de 1773 interdisent les artigues (i.e. défrichements) sous peine de six livres d’amende et d’abandonner les récoltes aux bestiaux. Elles proscrivent également « à toutes personnes de pouvoir défricher en aucun endroit du terroir dudit lieu qui puisse empêcher ou priver le passage aux bestiaux sous peine de six livres chaque jour et d’être contraint par les consuls d’abandonner la terre défrichée »152.

115Les tensions s’accumulent et les criées se font l’arbitre, plus ou moins partisan d’intérêts contradictoires. Leur objectif est dès lors de réguler les conflits en séparant les activités, dans l’espace et dans le temps. Ces deux dimensions résument tout le pouvoir des communautés sur la gestion de leur territoire.

La gestion du territoire collectif

  • 153 AD66, 9Bp746

116La première prérogative des criées est de déterminer le calendrier agraire afin d’organiser la succession des activités agricoles et pastorales sur les mêmes étendues. L’entrée des troupeaux dans les terroirs a lieu à Pâques ; la montée aux estives est généralement autorisée à partir du 25 juillet. La descente est imposée le 29 septembre ou à la Toussaint. Mais toutes ces dispositions sont susceptibles de dérogations. Les juments doivent rester en troupeau dans la montagne, sauf si « quelqu’un est pressé »153 ; tel secteur est fermé au pacage, sauf pour les cochons. Les ovins doivent cesser de fumer les terres à telle date, sauf pour tel secteur. L’espace et le temps agraires sont strictement divisés. Mais ces découpages connaissent autant de règles que d’exceptions. Ces dernières témoignent d’une communauté ouverte à la négociation et aux rapports de force. Suivre le calendrier de différentes communautés permet d’abord d’en retracer la logique afin d’en saisir ensuite les tensions invisibles qui la déterminent.

La montée

  • 154 Ce passage s’appuie sur les criées étudiées. Il passe rapidement sur des mouvements que Christine R (...)
  • 155 AD66, 9Bp746, article 19 et 20
  • 156 AD66, 3E56/108, fo 64, article 9
  • 157 AD66, 9Bp727, article 53

117L’espace respire : il s’étend en été jusqu’aux limites de l’étage alpin (près de 2 400 mètres), il se contracte en hiver aux espaces proches des villages (1 200 m.)154. La montagne étage aussi les cultures et les activités en fonction de la saison. Les récoltes du haut viennent après celles du bas. Le temps de maturation des grains diffère de quelques jours à plusieurs semaines, en fonction de l’ensoleillement. Il implique un aménagement des dates d’entrées des troupeaux sur les chaumes. À Dorres, cette progression dans le temps et vers le haut des troupeaux ovins est particulièrement marquée. Les bêtes à laine fument les terres du bas (jusqu’à 1400 m. environ) du printemps au 25 juillet. Un enclos portatif, appelé l’andà est déplacé de parcelle en parcelle pour encadrer la pâture. Après cette date, les moutons doivent monter sur les estives. Ceux qui sont parqués sur les zones de cultures hautes (à 1 600 m. environ) doivent quitter les champs à partir du 1er août155. Dans la vallée du Querol, la date du 25 juillet est également un point de pivot central de l’organisation de l’estivage156. À Llo les criées ordonnent « à tous propriétaires et gardiens des bestiaux de contenir et faire retenir leur bétail, soit gros, soit menu autre que celui de travail au plus haut de la montagne de Llo après le 25 juillet et ceux qui devront faire fianter leur bétail à laine depuis ladite époque du 25 juillet devront demander la permission au Baille et consuls »157.

  • 158 Par exemple, AD66, 9Bp746, article 11
  • 159 Christine Rendu, La montagne d’Enveig… op. cit., p. 485-492
  • 160 AD66, 11Bp946, criées de la vallée du Querol, article 6.

118Les bêtes grosses montent progressivement. Elles constituent un troupeau commun158, en grande partie constituée de vaches. C’est un animal qui traverse toutes les couches sociales. La montée de la vacada comuna à la Saint Jean constitue dès lors un temps fort de la communauté159. Son retour à la Saint Michel de septembre l’est également. Les bêtes à cornes demeurent toujours gardées dans des secteurs où elles précèdent les caprinés qui arrachent l’herbe à ras, tandis qu’elles la broutent haut. Ces déplacements des espaces de culture aux espaces de pâture sont chargés de conflits. L’interdiction faite aux bergers de laisser les troupeaux « esmarginar », c’est-à-dire de laisser les moutons brouter le long des champs de blé est une constante160. Elle s’explique par l’espace fragmenté des aires de culture qui constituent autant d’îlots isolés à mesure que les pentes sont gravies. Une partie des bêtes à cornes est toutefois gardée à proximité du village. Elle est utilisée pour les labours. Autant les vaches que les bœufs sont concernés. Cette nécessité de garder à portée de main une partie du bétail conduit à aménager des réserves d’herbe à faible distance des villages : les devèses. À Dorres, la Serra est fermée aux troupeaux à partir du 1er mai pour accueillir les bêtes de labeur en été. Partout les devèses constituent des lieux centraux entre usage collectif et appropriation privée.

L’exil saisonnier

119Dans certaines communautés, le 25 juillet est synonyme d’exil. Toutes les bêtes, à l’exception des plus chétives et des malades sont exclues des terroirs. À Palau, les criées précisent que le conreu (l’espace cultivé) est ouvert aux moutons du jour des Pâques à la Saint Jacques de Juillet. Passé cette date, et de manière progressive, l’ensemble du bétail devra quitter le finage pour les pasquiers royaux : les bêtes à cornes à la Saint Barnabé, les juments à la Saint Baptiste, et le bétail à laine dès le 25 juillet. Le retour des bêtes grosses n’est autorisé qu’à partir du 12 septembre et le menu bétail une semaine plus tard. Ces communautés de l’exil sont de deux types. Les unes sont sans montagne, comme Estavar et Hix, mais les autres, comme Palau, en disposent la majeure partie de l’année. Le seigneur les afferme à un particulier pendant l’été. Il prive les habitants de leur territoire. Il crée un vide dans le rapport à l’espace. Le cheptel doit trouver des herbages pour une période d’un mois et demi environ. Les pasquiers royaux constituent dès lors une aire d’accueil qu’il faut payer.

La descente

  • 161 Dorres : AD66, 9Bp746, (1768), article 14 : « qu’il soit deffendu à qui que ce soit de faire descen (...)
  • 162 Christine Rendu, La montagne d’Enveig… op. cit., p. 92 suiv.

120Le bétail ne descend ou ne revient qu’à la Saint Michel ou à la Toussaint. Les bêtes grosses rejoignent qui les écuries, qui les étables. Les moutons gagnent progressivement les lieux d’hivernage. Un délestage s’effectue aux grandes foires d’automne qui rythment la descente vers les pâturages d’hiver. Dans ce mouvement descendant, les juments ont leur propre rythme. Elles sont utilisées autant dans les travaux agricoles que pour dépiquer. Elles entrent donc en scène sur les terroirs à la fin des moissons, par petits groupes, et seulement celles qui sont nécessaires161. Les dernières quittent la montagne à la Toussaint. Leur descente marque la fin de la bonne saison et le retour de l’hiver. Ces figures chevalines sont aussi réputées raccompagner les morts de l’année pour leur dernier passage162. L’espace se contracte avant que le cycle redémarre.

La défense des bois et des forêts

  • 163 Particulièrement à Dorres, Osséja et dans la vallée du Querol, AD66, 9Bp746, 3E56/108, 3E56/31
  • 164 En particulier le préambule des criées de Dorres qui reprend, un siècle après, l’ordonnance de 1669 (...)
  • 165 Jacques Delon, Essai sur la statistique du Département des Pyrénées-Orientales, publié sous le titr (...)
  • 166 Christine Rendu, La montagne d’Enveig… p. 362 suiv.

121Les communautés régulent par le calendrier l’usage des espaces collectifs. En revanche, les forêts apparaissent comme l’objet de toutes les restrictions. Les criées réservent la moitié de leurs dispositions à protéger les bois163. Les défrichements comme le surpâturage sont tour à tour dénoncés. Les criées comme les viguiers s’alarment164. Ces textes ne sont pas des cassandres. Au début du XIXe siècle, les dévastations sont encore plus marquées165. Les indicateurs palynologiques publiés pour Enveig et non publiés pour Eyne attestent une réduction des espaces boisés166. Les mesures prises sont souvent radicales et parfois superfétatoires. De larges parties des forêts sont d’abord mises en défens. La coupe des arbres est strictement encadrée. Les jeunes pousses sont protégées. Les bords de rivières sont l’objet d’une attention soutenue. Les communautés font flèche de tout bois pour protéger ce qui reste de la forêt. Pour limiter la consommation, Palau proscrit même la vente des sabots de bois aux étrangers ! Principal combustible, le bois est aussi un matériau de construction indispensable aux habitants. Mais derrière ces volontés de préserver l’espace de tous à partir d’un même constat, n’y a-t-il pas le projet d’en limiter l’usage pour la majorité ? Les cris d’orfraie sur l’état de la planète villageoise ne sont-ils pas un autre moyen de priver une partie de la population des ressources collectives pour en monopoliser davantage l’usage et les revenus ? Les élites locales semblent apprendre rapidement le langage à tenir pour obtenir le soutien des autorités dans les décisions qu’elles entendent opposer aux autres. La fermeture en est le mot clef, car si la communauté prohibe, exclut, et limite de la cave au grenier, ou plutôt des estives aux prés, ces dispositions ont leurs cibles et leurs archers.

La fermeture des espaces collectifs

  • 167 AD66, 3E56/108, fo 59 – 64 v., (1735), article 1.
  • 168 AD66, 3E56/31, criées de Palau (17-06-1759)
  • 169 AD66, 3E56/31, criées de Palau (17-06-1759), article 28. Faut-il y voir la conséquence des pratique (...)

122L’exclusion des étrangers est d’abord systématique. Dans la vallée du Querol, il est d’emblée précisé « qu’il est déffendu et prohibé à toute sorte de personnes étrangères de pouvoir faire pâturer aucune sorte de bétail tant gros que menu dans le terroir de ladite vallée de Querol sous peine de trente-six livres (...) »167. L’étranger est celui qui ne réside ni ne possède de maison dans le lieu168. Le propriétaire forain n’appartient pas à la communauté. Palau propose d’ailleurs plusieurs tarifs selon l’origine des contrevenants. Il y a des degrés de proximité dans le rapport à l’autre. Les contrevenants d’Osséja et des villages de Cerdagne française s’exposent à une amende de 20 livres, ceux d’Age, un hameau situé de l’autre côté de la frontière et distant de quelques centaines de mètres de Palau, encourent 135 livres. S’ils sont de Puigcerdà et de Vilallobent, la contravention est portée à 600 livres de France (200 livres barcelonaises). La proximité explique-t-elle ces variations qui n’ont rien de subtiles ? Osséja et Age sont équidistants de Palau. Puigcerdà, située à trois kilomètres, n’est pas non plus le bout du monde. Cette échelle de valeur est de facto un espace de la négociation. Puigcerdà et Vilallobent verbalisent lourdement ceux qui s’aventurent sur la montagne de Salteguet limitrophe de la communauté Palau. Celle-ci exerce donc un « droit de représailles attendu que les susdites communautés ont un ban de deux cent livres barcelonesas contre ceux qui font dépaître des bestiaux dans les respectifs terroirs ». En revanche, Osséja propose un tarif équivalent à celui de Palau. Le montant des amendes est ainsi symétrique et témoigne des relations, au choix, de fraîche cordialité ou de franche hostilité entre deux communautés169.

  • 170 Dorres : AD66, 9Bp746, (1768), article 34. Les criées d’Estavar conservées datent du XIXe siècle : (...)
  • 171 AD66, 9Bp727, articles 22, 24 et 30

123Certaines communautés font néanmoins le choix de permettre les prises de bétail étranger. Dorres et Estavar autorisent les bêtes prises « en gazaille ou à mitg guany »170. Llo réserve cette possibilité aux grandes maisons seigneuriales, les capmazats. Mais, elles ne peuvent pas dépasser un seuil fixé à 250 têtes171. Toutes ces communautés renoncent à louer leurs estives et à constituer un quartier pour les étrangers. Elles prennent le contre-pied de la situation générale, et permettent à quelques maisons privilégiées de s’enrichir sur les herbes communes. Cette privatisation de fait des estives est particulièrement tangible dans les dispositions prises par les criées qui régulent l’accès à la montagne à une minorité.

Une sélection par la propriété

  • 172 AD66, 9Bp727, articles 22-23
  • 173 Voir chapitre 3 et le capbreu de Llo, AD66, 3E56/421 (1755)
  • 174 Marc Conesa, “Capbreu et paysage..”, art. cit.
  • 175 AD66, 9Bp746, article 6

124Les criées du XVIIIe siècle éclairent, par petites touches successives, la forte hiérarchisation sociale de l’accès aux estives. Elles déterminent en effet le nombre de bêtes autorisées à pacager, soit en fonction du statut de la maison, soit au prorata des terres cultivées. Dans le premier cas, les criées reprennent la distinction entre capmasats et non-capmasats. Elles s’inscrivent dans la filiation et la continuité de la communauté seigneuriale. Les maisons dominantes parviennent à se réinventer au XVIIIe siècle, en faisant du neuf avec du vieux. Elles marquent leur statut distinctif en obtenant des droits supérieurs à celui des autres unités domestiques. À Llo, les non-capmasats ne peuvent entretenir sur la montagne « plus de vingtcinq ou trente bêtes à laine » tandis que les capmasats peuvent envoyer 250 têtes de bétail. Elles sont même autorisées à prendre des bêtes à conlloc ou à cheptel pour atteindre ce seuil172. La hiérarchie statutaire des maisons est bipolaire alors que la terre connaît une graduation de situations. Le réseau de vieilles maisons assure ainsi son statut et sa capacité à se reproduire économiquement et socialement à travers l’élevage, bien plus qu’à partir de la possession foncière. La justification est historique. Les capmas de Llo sont les maisons fondatrices de la communauté, à égale part avec la seigneurie173. Ces limitations permettent également de contrôler les terres du bas en s’arrogeant les pacages du haut. En effet, les exploitations agricoles ne sont viables qu’à la condition de pouvoir nourrir du bétail qui fume et qui laboure. Sans cet apport, elles sont fragiles et leurs parcelles sont menacées par l’appétit de terres des grandes maisons. Le marché foncier à Llo est ainsi fortement animé dans la première moitié du XVIIIe siècle174. Nombre de petites maisons perdent leurs terres au profit des grandes. Palau est dans une situation semblable. Les capmasats peuvent entretenir sur les communs quarante ovins et une vache pour un journal de cultivé. Les non-capmasats sont limités à dix bêtes à laine et une vache pour chaque journal « de terre propre et non commune »175. Les cultures temporaires sont donc exclues. Seule compte la terre imposée et permanente, celle « comprise dans les rolles de ladite communauté ». L’article des criées est, sur ce point, explicite. Mais, une porte demeure ouverte pour tous. Les bœufs et les vaches de labour accèdent aux communs autant que nécessaire. La disposition favorise encore une fois l’agriculture. Les propriétaires fonciers peuvent en élever à proportion de leurs moyens. Ceux qui n’ont pas de maisons peuvent également nourrir une paire de vaches. Elle sert aux labours et leur permet de s’employer lors des temps forts du calendrier agricole. Ainsi, face à l’insoutenable fermeture des communs, les criées aménagent une petite niche pour en diminuer les effets les plus tranchants.

125Cette inégalité entre capmasats et non-capmasats accroît les tensions. Les communautés sont en ébullition à cause des revendications des premiers contre les seconds. Mais, n’est-ce pas une stratégie des vieilles maisons pour profiter des communs que certains parvenus pourraient leur contester en s’appuyant sur l’assise foncière ? Les conflits entre la strate des capmasats qui profite des communs et ceux qui se sont enrichis en achetant la terre éclatent. D’un côté se trouve la légitimité seigneuriale d’un passé en grande partie réinventé, de l’autre celle de l’impôt. Les grandes maisons se séparent en deux groupes qui s’affrontent. La ligne de partage n’a rien d’idéologique. Elle est tracée par l’intérêt. Les positions de chacun ne sont pas non plus irréversibles.

  • 176 AD66, 1C2055
  • 177 Félix Joël, Finances et politiques au siècle des Lumières. Le ministère l’Averdy, 1763-1768, Comité (...)
  • 178 AD66, 1C2089-2090, lettre de 1784 à l’intendant
  • 179 Roland Viader, L’Andorre du IXe au XIVe siècle… op. cit., p. 369 suiv. Olivier Codina, De fer et de (...)

126Cette mainmise des capmasats sur les biens collectifs rencontre d’abord l’opposition des officiers royaux. Les viguiers essaient de limiter leur montée en puissance. À Dorres, François de Travy entend faire payer les réparations de l’église par les propriétaires de capmas, au prétexte qu’ils bénéficient davantage des ressources collectives et se doivent donc de contribuer à proportion. Le viguier entend ainsi corréler le bénéfice à la charge, le droit au devoir176. À Saillagouse, François Sicart intervient pour qu’un « parvenu », le sieur Calvet, chirurgien du roi, puisse être insaculé dans la première bourse. Celle-ci contient les noms des individus éligibles à la charge de premier consul. Deux noms doivent être ajoutés après autant de décès. Les grandes familles du lieu assurent que la fonction est réservée aux capmasats. La règle, inventée de toutes pièces selon le viguier, vise avant tout à nommer un représentant qui soit des leurs. Sicart réfute l’argument, soulignant la vacuité de la notion de capmas. Il la définit comme « un droit de faire paître un nombre supplémentaire de bestiaux ». Il insiste surtout sur le fait qu’elle n’est pas synonyme ni d’expérience ni de compétence. La naissance ou le statut ne semble plus suffire à gouverner. Les communautés se municipalisent, malgré l’échec, relatif, de la réforme de L’Averdy177. Le viguier assure que « le titre peut être vendu, on le voit tous les jours », sans égard pour la naissance ou le savoir. D’ailleurs, « il n’y a plus dans la communauté de Saillagouse que deux capmasats à insaculer, l’un meunier, l’autre berger »178. Tous deux apparaissent comme les marionnettes des familles consulaires. Celles-ci semblent vouloir faire main basse sur les communaux en écartant des décisions collectives la majeure partie des maisons et celles qui pourraient leur contester leur place. Cette confiscation du pouvoir rencontre ainsi des oppositions. Elle n’est pas isolée. L’Andorre en est un autre exemple, particulièrement précoce. La création du consell de la terra au XVe siècle est l’occasion de limiter le nombre de maisons qui participent aux décisions politiques. Les autres, sans être dépouillées des droits d’usage, sont écartées des assemblées délibératives179.

  • 180 En Forez, la côte d’imposition (l’allivrement) détermine le nombre de bestiaux à pacager de manière (...)
  • 181 Michel Brunet, Les pouvoirs au village…, op. cit., p. 169

127La voie statutaire n’est pas la seule qui conduit à hiérarchiser les droits sur la montagne. Plusieurs criées déterminent le nombre de bêtes autorisées à pacager au prorata des terres cultivées. La mesure vise explicitement à favoriser les propriétaires fonciers et à entraver l’accès aux pacages pour les autres. L’objectif est d’empêcher le développement d’un élevage hors-sol qui profite des biens collectifs sans participer aux charges fiscales de la communauté. Les criées de la communauté de Dorres établissent une filiation directe entre l’impôt et le droit aux pacages. Ceux qui n’ont qu’une maison ne peuvent envoyer sur la montagne que deux vaches et une bête de chaume. Le droit de résidence résiste. Il permet la conservation de droits minimaux. Les vaches par paire signalent à nouveau leur statut de bêtes de labour. Mais, les propriétaires des héritages expédient dix bêtes à laine et une bête grosse « pour chaque charge (environ 33 kg) qu’ils sont compris aux rolles des impositions ». L’allivrement des particuliers est ici calculé en fonction de la production céréalière180. Celle-ci constitue une estimation du revenu moyen annuel plus juste que les surfaces possédées. N’est-ce pas aussi un moyen de fiscaliser les cultures temporaires ? Dans la vallée du Querol, l’assiette foncière permet de déterminer la taille du troupeau de chacun : dix-huit moutons pour chaque journal de terre cultivée (1/3 d’hectare) et cinq bêtes grosses pour deux journaux de pré constituent les ratios imposés. Un système d’équivalence est même mis en place. Dix moutons valent une bête grosse181. Mais la vallée est la plus généreuse, celle où les animaux autorisés à monter sur les estives sont les plus nombreux par unité de surface cultivée. C’est aussi la mieux dotée en pacages.

  • 182 Monica Bosch, Rosa Congost, Pere Gifre, “Els bans. La lluita par l’individualisme agrari a Cataluny (...)
  • 183 Voir en particulier François Menant & Jean-Pierre Jessenne (éd.), Les Elites rurales dans l’Europe (...)
  • 184 Maurice Berthe, Le comté de Bigorre. Un milieu rural au bas moyen âge, Paris, SEV-PEN, « les hommes (...)

128Ce basculement progressif d’un droit à l’estive calculé au prorata des surfaces cultivées, et non plus en fonction du statut dans la seigneurie, confirme la progressive modification du rapport à l’espace. Les mêmes dispositions sont prises en Empordà, dès 1670 et plus généralement au début du XVIIIe siècle182. Les acteurs changent peu. Le renouvellement des élites rurales est minime en Cerdagne, comme ailleurs183. En revanche, le changement de la relation à l’espace est important. La seigneurie est constituée de noyaux pérennes qui possèdent quelques terres en propre mais qui exploitent surtout l’espace collectif de manière périodique ou temporaire, sans limite explicite. Ce régime d’appropriation survit en partie dans les criées du XVIIIe siècle lorsqu’elles reconnaissent la suprématie des capmasats sur les non-capmasats. La fiscalité génère néanmoins une toute autre organisation. Seules comptent les terres imposées et régulièrement cultivées. Les contributions de chacun apparaissent noir sur blanc dans les rôles fiscaux. Cette fixation des charges entraîne une fixation des droits. L’usage des communs se calcule en fonction des surfaces fiscales. Cette rationalité comptable a des conséquences sur l’espace pastoral. Elle s’y projette. Les troupeaux sont limités et leur taille est déterminée par la mesure des terres. L’élevage est assujetti. Cette hiérarchisation des droits accentue aussi la bipolarisation sociale. Les animaux sont moins accessibles au XVIIIe siècle qu’ils ne l’étaient dans et à travers les parceries. Les listes dressées en Bigorre pour le XIVe et le XVe siècle confirment le large étalonnement du cheptel dans la société, sans doute bien plus qu’à l’époque moderne184. Mais comment cette dynamique de stratification économique se concilie-t-elle avec une société qui se pense encore égalitaire ? Tous les chefs de famille ne participent-ils pas au conseil général ? La vacada comuna ne résiste-t-elle pas, jusqu’au XIXe siècle, aux coups de boutoir de la fragmentation sociale ?

La hiérarchie sociale sur la montagne : tabou des criées ?

  • 185 Une cabane, un enclos, un pla… voir Christine Rendu, La montagne d’Enveig… p. 589.
  • 186 Mélanie Le Couédic, “Les pratiques de l’espace pastoral dans la longue durée : modélisation de parc (...)
  • 187 Sandra Ott, Le cercle des montagnes. Une communauté pastorale basque, 1981, trad. fr., Paris, CTHS, (...)
  • 188 AD66, 9Bp746, articles 16 à 18
  • 189 AD66, 3E56/431, capbreu d’Egat de 1734, en particulier la reconnaissance du sieur Pierre Fabra, fo (...)

129Les estives constituent en effet la surface de projection des inégalités sociales. Ceux qui paient ont davantage de droits que les autres. Mais, l’appropriation matérielle des quartiers d’estive n’est pas documentée par les criées. Quelques indices affleurent toutefois. Ils corroborent les analyses à la croisée de l’anthropologie, de l’histoire et de l’archéologie de Christine Rendu tout en ouvrant davantage le champ des possibilités. À Dorres, une fois passée la barrière sociale de la montagne, rien n’indique, a priori, une hiérarchisation ou une parcellisation des lieux de dépaissance. Les gardiens doivent faire leurs pletas les unes près des autres dans un quartier d’estive déterminé. Si le mot couvre plusieurs significations185, il désigne ici les lieux de garde. Ces pletas constituent ainsi les points fixes à partir desquels se déploient les parcours, selon des modalités complexes que Mélanie Le Couédic met en évidence186. Elles commandent un espace variable, mais réel. Les bergers sont tenus d’y demeurer quinze jours avant de demander à en changer. Dans ces quartiers où les troupeaux passent la nuit, où les bergers font leur résidence saisonnière, des voisinages se dessinent et se combinent, sans qu’il soit possible de savoir s’ils reproduisent l’ordre des maisons. Ils forment néanmoins un lieu où s’agglomèrent des habitats : les cabanes des bergers. Ils acquièrent une dimension collective. Seuls les consuls ont le pouvoir d’accorder ou d’exiger le changement de pletas. Elles semblent indifférenciées et interchangeables, sans lien direct avec une maison particulière. C’est une affaire collective. Le système présente, ainsi, des similitudes lointaines avec le Pays Basque. La montagne y est découpée en quartiers d’estives contrôlés par des cabanes appelées canyolar. Elles sont tirées au sort chaque année. Nul ne peut se les approprier durablement. Chaque année, à la fin de la saison d’estivage, elles retournent à la communauté187. L’idée qui guide ces changements de pleta est de passer d’un quartier d’estive à l’autre pour ne pas surpâturer les ressources ni sous-alimenter les troupeaux. Les déplacements s’effectuent en franchissant les lignes de la montagne, celles que découpent les grandes articulations du relief, une serra, un col, une crête188. Aucune hiérarchie n’apparaît. Mais, les conditions d’accès aux estives ont déjà opéré un tri. Les maisons qui envoient des moutons sur les étages supérieurs des estives forment une oligarchie. À Llo, les baraques, cabanes ou pletas ne sont pas mieux documentées du point de vue des hiérarchies sociales. Il est interdit de les dégrader, mais il n’est pas exclu d’en faire davantage. Le bois est sans cesse cité. Il est le matériau de base. En cela, ces cabanes sont différentes de celles d’Enveig, pétrifiées dès le XVe siècle et fixant durablement leurs territoires de parcours. Seule une mention dans un capbreu de 1734 montre les cabanes d’égat explicitement appropriées par les grandes maisons189. Dans le cas contraire, le plus fréquent, tout indique un non-dit voire un tabou.

  • 190 Christine Rendu, La montagne d’Enveig… op. cit., p. 478 suiv.

130À Enveig, les travaux de Christine Rendu lèvent le voile. Les pletas transmises par la mémoire orale au début du XXe siècle, portent le nom des principaux propriétaires des hameaux, même si elles apparaissent « incognito »190 dans les règlements de police rurale du XIXe siècle, comme si la montagne était sourde aux hiérarchies sociales et aux marques d’appropriation. À Enveig comme ailleurs, la vacada comuna constitue toutefois le symbole de l’unité qui masque les inégalités. Tous les propriétaires forment, théoriquement, un troupeau unique sur un espace unifié. Cette pratique passe sous silence le véritable découpage de la montagne par les grands troupeaux de moutons au service des grandes maisons et des grandes exploitations agricoles. Autant la garde des vaches unit, autant la montée des troupeaux ovins sépare. La même ambiguïté caractérise les devèses, situées un étage en dessous des estives.

Les devèses confisquées ? Ambiguïté d’un espace central peu original

  • 191 Anastasia Avilés Benitez, “Gestion des ressources naturelles et viabilité des exploitations agricol (...)

131Les devèses constituent des poumons d’herbe à mi-chemin entre finages et pâtures. Ce sont des espaces ambivalents, sémantiquement, juridiquement et socialement. Là encore, le champ des possibles est large. Le mot se déploie du sud de l’Espagne à la France méridionale. De l’Andalousie à la Castille, le terme désigne de vastes étendues mixtes composées de pacages sous un couvert forestier clairsemé191.

  • 192 Jacquette Combes, “Le debois de la boucherie à Roujan au XVIIIe siècle : dépaissance et terroir”, A (...)
  • 193 Juliette Dumasy, “Usages collectifs et territoires dans un pays d’habitat dispersé : Séverac-le-Châ (...)
  • 194 Henri Cavaillès, La vie pastorale et agricole dans les Pyrénées… op. cit., p. 102 et p. 106-108 ; v (...)

132Au nord des Pyrénées, le champ sémantique s’élargit. Dans le Rouergue, les devèzes couvrent une large palette d’usages et d’espaces différents. Elles peuvent être seigneuriales et réservées à la pêche, à la chasse et au bois. Ce sont aussi des herbages ouverts à la vaine pâture pour la deuxième voire pour la troisième herbe. D’autres sont gérées par les communautés et ouvertes aux seuls animaux de labour. Le dernier type est un droit temporaire de parcours sur des parcelles privées, à l’image du debois de Roujan192. La devèse se déploie à l’intersaison après que les grains et la première herbe ont été enlevés193. Il y a superposition de deux types d’appropriation, l’une collective, l’autre privative. Les bédats mentionnés par Henri Cavaillès dans les Pyrénées Centrales apparaissent comme des espaces proches des devèses hispaniques. Collectives et entièrement gérées par la communauté, ces mises en défens forment des quartiers intermédiaires entre la montagne et les villages. Ils servent de pâturages en automne et au printemps194. En Cerdagne, aux XIIe - XIVe siècle, le terme de devèse désigne des pacages mis en défens. Puigcerdà est ainsi exclue des trois devèses de la vallée du Querol que se réservent les habitants. Ces territoires sont retirés du droit commun. Le terme de devèse cesse d’être utilisé pour les montagnes au début de l’époque moderne. Il se redéfinit comme une parcelle enclose, portant de l’herbe même si des cultures dérobées peuvent y être effectuées, appropriée soit par des particuliers, soit par les communautés.

  • 195 Dorres : AD66, 9Bp746, (1768), article 23.
  • 196 AD66, 9Bp727, articles 40 ; 45 à 51.
  • 197 AD66, 9Bp727, article 46.
  • 198 AD66, 9Bp727, articles 47-51.
  • 199 AD66, 9Bp727, article 51.

133En Cerdagne, les criées renseignent des structures semblables aux bédats, gérées par la communauté. À Dorres, la devesa de la gareras est mise en devois début mai jusqu’à la montée des bêtes grosses à la Saint Jean (21 juin). À cette date et jusqu’à la Saint Michel (29 septembre) « ne pourra paccager à la ditte devesa que le seul bétail destiné au travail »195. Le terroir de Llo est ceinturé de devèses situées des deux côtés de la vallée du Sègre et à différentes altitudes. Elles occupent des clairières à mi-versant, généralement en faux-plat. Elles ne se distinguent pas alors des cortals qui leur disputent le même type d’emplacement. Mais, autant les cortals sont ignorés par les criées, autant l’accès aux devèses est scrupuleusement réglementé. Pas moins de huit articles sur cinquante-six leurs sont consacrés196. Elles sont d’abord identifiées et délimitées par quatre confronts. Les criées sont alors à la communauté ce que le capbreu est au seigneur. Comme les terriers recensent les biens du seigneur, elles identifient et délimitent les espaces qu’elles réglementent. Elles leur donnent une étendue, en identifiant les propriétés qui les bornent aux quatre points cardinaux. Certaines sont sur la zone basse, à Rohet197, d’autres sur les hauteurs198. Seuls les animaux de travail y sont acceptés de Sainte Croix au 25 juillet, à l’exception de la grande devèse de la Sirera. Celle-ci prend le relais des autres. Mise en devois du 25 juin au 25 juillet, elle s’ouvre aux bêtes de labeur à cette date et jusqu’à la Toussaint qui ferme les portes de la montagne199.

  • 200 Michel Brunet, Les pouvoirs au village… op. cit., p. 165-166.
  • 201 Clara Arbuès, Els espais agraris feudals de muntanya. L’exemple de Músser (Bàrida), Memoria de rece (...)
  • 202 AD66, 3E88/66, seigneur : couvent des clarisses de Puigcerdà.
  • 203 André Soler et André Fabra
  • 204 Michel Chevalier, La vie humaine dans les Pyrénées ariégeoises… op. cit., p. 273

134Les devèses s’ouvrent à tous, mais d’abord à ceux qui ont des bêtes de labour. La tentation des grandes maisons est de proportionner leur accès aux superficies cultivées. À Saillagouse, une seule paire de bœufs par propriétaire peut pénétrer dans les devèses de la communauté, à l’exception des grandes maisons, dont la liste est établie, qui peuvent en expédier le triple. À Via, quinze journaux de terres (5 ha) permettent d’envoyer une paire de bœufs, trente journaux doublent la mise. Mais ces articles sont biffés200. En effet, les vaches et plus généralement les bêtes de labour sont répandues dans toutes les classes de propriétaires. Fermer les devèses à ceux qui ne possèdent que peu de champs pérennes conduirait à les priver de leur attelage. Les oppositions, sans doute virulentes, ont fait reculer, momentanément, les principaux intéressés de cette mesure. Mais, si les grandes maisons ne parviennent pas à contrôler les devèses collectives, elles ont déjà fait main basse sur celles, privées qu’elles ont prises sur les communs ou sont acquises sur le marché foncier. La fermeture peut être sociale, sans être juridique. Elle porte sur l’avoir et non sur le droit. À Mùsser, quatre devèses privées occupent le talweg de la rivière d’Aranser et s’étendent sur moins d’un hectare chacune201. À Estavar, les devèses des hommes de la baronnie font moins d’un hectare. À Caillastres, celles des tenanciers du prieuré de Cornellà atteignent de cinq à dix hectares. À Villeneuve, le capbreu réalisé entre 1746 et 1757202 mentionne vingt devèses possédées par des particuliers. Les superficies vont de 10 hectares à quelques ares. Trois ont été converties en champs, trois autres sont associées à des prés. Leur statut est indéniablement privé. Leur origine semble néanmoins publique. Les devèses semblent en effet le résultat d’une appropriation du patrimoine collectif. Elles apparaissent comme des zones d’herbage exclusives liées aux maisons dominantes. À Villeneuve par exemple, les quatre-cinquièmes sont entre les mains de deux grands propriétaires203. Cette concentration d’un type de bien dans un groupe social bien défini a sa logique. Elle est entièrement attachée à la possession foncière et au travail du sol. En haute Ariège, l’appropriation a été menée suffisamment loin, lorsque Michel Chevalier mène son enquête, pour effacer le sens ancien des devèses : elles ne se différencient plus des prés que par leur localisation en altitude204. De facto, c’est vers ce dernier type d’herbage qu’il faut suivre la dynamique de privatisation des ressources en herbe qui se déploie ainsi des estives aux terroirs.

Les prés : une autre dynamique de fermeture socio-spatiale

  • 205 AD66, 1C1501
  • 206 Francis Brumont (éd.), Prés et pâtures en Europe occidentale, Actes des XXVIIIe Journées Internatio (...)

135Ce mouvement de verrouillage des herbages du haut se double d’une dynamique de limitation des droits d’usage sur les prés du bas. Ceux-ci demeurent longtemps en nombre limité. Ils fournissent une grande partie des fourrages consommés pendant l’hiver Ils déterminent ainsi la capacité des unités domestiques à nourrir des bêtes grosses. Toutefois, ils ne sont pas réservés à ceux qui les tiennent en propriété. La vaine pâture consiste à laisser les troupeaux paître sur les champs et les prés des particuliers, une fois que les grains et la première herbe ont été enlevés205. Autant les grands comme les petits propriétaires fonciers en profitent206.

  • 207 Marc Conesa, “Capbreu et paysages…”, art. cit.
  • 208 Les prés sont des espaces cultivés (le terme apparaît chez plusieurs agronomes) qui nécessitent plu (...)
  • 209 Une conversion, parmi d’autres, concerne ici un chemin : Capbreu de Llo, AD66, 3E56/421, fo 5r.
  • 210 Une supplique de 1667 fait par exemple état « que en lo dit lloch de Estava estan los prats contigo (...)
  • 211 A Estavar, l’incertaine ligne de partage des eaux et les risques d’inondation poussent aux conflits (...)

136Dans les capbreus, les prés apparaissent d’abord comme des parcelles identifiées par leur localisation toponymique, leurs confronts et leur superficie. Ce sont des points fixes du paysage puisqu’ils résistent plus fortement aux fusions ou aux divisions parcellaires207. Ils forment des quartiers compacts. À Estavar, ils sont limitrophes soit d’autres prés, soit de voies d’eau dans 75 % des confronts recensés entre le XVIe et le XVIIIe siècle. Dans les terroirs, cette concentration paraît s’expliquer par un double rapport à la proximité des cours d’eau d’abord, des habitats, ensuite. À Estavar, l’analyse des plans et des matrices cadastrales de 1829 à l’intérieur d’un Système d’Information Géographique montre que les prés constituent 97 % des parcelles dans une zone tampon de cent mètres autour du réseau hydrographique, alors qu’ils ne représentent que 12 % du nombre total des espaces cadastrés. De même, ils sont en très grande majorité distants de moins d’un demi-kilomètre des habitats. Cette structure spatiale s’explique par la fréquence des interventions qui jalonnent l’exploitation des prés d’une part208, et par l’impératif d’arrosage d’autre part. En revanche, leur nombre est limité et n’évolue guère compte tenu des contraintes de localisation et de situation. Toujours à Estavar, le nombre de parcelles de prés est stable, autour de 70, ce qui ne s’explique que par la faible extension du réseau hydrographique. Néanmoins, un examen plus approfondi de la documentation montre que la superficie totale des prés a augmenté de 10 hectares entre le XVIe et le XVIIIe siècle. Cet accroissement de la surface en herbe ne s’explique que par l’extension des parcelles : d’une superficie moyenne de 0.44 Hectare en 1564, elles s’étendent sur 0.58 Ha en 1782. La mixité culturale de certaines parcelles, mi-prés et moitié champs ou prés et bois à la fois, comme le voisinage des terres arables voire des chemins et des vacants offrent des possibilités de mises en herbage, provisoires ou plus durables de ces espaces209, bien souvent au prix de la construction de canaux et de rigoles. L’accroissement s’opère aussi à l’intérieur du cadre rigide constitué par le réseau directeur de l’hydrographie et en partie à son détriment. En effet, de nombreuses mentions attestent que des portions de lits de rivière ont été converties en prés, ce qui accentue encore plus les risques d’inondation210 comme les conflits avec les communautés limitrophes211. Les prés sont ainsi dépendants de l’eau et ne peuvent se multiplier que dans son sillage.

  • 212 Marc Conesa, “Des grains, des terres et des hommes…”, art. cit., p. 257-258
  • 213 Olivier Passarrius et alii, Vilalta et son terroir dans la longue durée. Commune de Targasonne, Pyr (...)

137Cette dynamique de conversion s’affirme résolument au XVIIIe siècle. A Ur, le nombre de prairies qui paient la dîme double entre 1722 et 1788. Or, seuls les nouveaux prés y sont assujettis212. Les habitats désertés offrent autant d’opportunité de création d’herbages. Le hameau de Sainte Eulalie situé à 1200 m d’altitude est progressivement abandonné au XVIIe siècle. Essentiellement occupé par des parcelles céréalières, jardinées ou maisonnées, il est transformé en zone d’herbage au cours du XVIIIe siècle. Le cadastre napoléonien rend compte de cette progressive conversion qui s’est prolongé au cours du XXe siècle. Les murs des maisons sont remployés pour l’édification des murets qui bordent les prairies et des canaux d’arrosage qui les desservent. Plus à l’est, l’habitat médiéval de Vilalte constitue un large balcon ouvert sur la plaine cerdane. Implanté à 1600m, il est aussi déserté à la fin du bas Moyen Âge. L’espace villageois et les terres alentours sont transformés en prés et en pâture213. La culture du seigle est rejetée sur des terrasses prises en écharpe entre deux bandes d’herbe.

  • 214 AD66, 3T39 et 4EDT, 26EDT, 84EDT, 120EDT
  • 215 Michel Cabouret, L’irrigation des prés de fauche en Europe occidentale, centrale et septentrionale. (...)
  • 216 Par exemple, ACDC, pièce 21, 1816 : « Jo Francisco Soldevila dono facultat al Sr Joseph Fabra y per (...)

138La multiplication des prés intervient progressivement et plus particulièrement entre 1700 et 1860, un village après l’autre, lorsque de petites rigoles et de grands canaux d’irrigation sont construits à travers la Cerdagne, parfois sur plus d’une dizaine de kilomètres, dans un élan de modernisation de l’agriculture214. Le mouvement est d’abord bricolé, d’une rigole à une autre215, et d’une pièce de terre à celle d’à côté216. Ces rigoles découpent les prés en lanières terrassées parallèles aux cours d’eau. L’irrigation est essentiellement gravitaire. Mais, d’autres aménagements sont plus complexes et utilisent tout l’arsenal de la petite hydraulique, dont des écluses. Estavar développe un système d’irrigation apparemment mineur, mais adapté à l’irrégularité de la ressource. Il permet à l’eau de circuler de pré en pré, ce qui est d’autant plus nécessaire que le climat est sec et que la proportion de prés, la plus importante de la province du Roussillon, est déjà un tour de force. Le réseau d’adduction d’eau se ramifiant, de jeunes prés peuvent être construits.

  • 217 AD66, 1C1501, « Avant l’année 1700, ou environ l’on n’avoit point clos aucune propriété composant c (...)

139Ce mouvement d’extension des herbages s’accompagne d’une longue et lente dynamique de fermeture des prés. Les mises en défens sont en effet attestées depuis le XIIIe siècle. Mais, elles apparaissent encore comme des nouveautés en 1700 lorsque le viguier de Travy les dénonce avec véhémence217, preuve s’il en est, qu’on assiste à un changement des plus progressifs et imperceptible avant le XVIIIe siècle où il éclate au grand jour.

  • 218 La mesure vise à réduire la vaine pâture et les droits de glanage comme contraires au progrès. Les (...)
  • 219 Marc Bloch, “La lutte pour l’individualisme agraire dans la France du XVIIIe siècle”, Annales, no 7 (...)
  • 220 Nadine Vivier, Propriété collective et identité communale…, p. 57-87.
  • 221 Michel Brunet, “Droit de parcours et « enclosures » dans le Roussillon du XVIIIe siècle”, Annales d (...)
  • 222 Idem, p. 227.
  • 223 Nadine Vivier, Propriété collective et identité communale… op. cit., p., p. 38.
  • 224 Michel Brunet, “Droit de parcours et « enclosures »…”, art. cit., 227-228.

140Dans les années 1760, la monarchie tente d’imposer l’abolition des parcours. La mesure est d’inspiration physiocratique218. La chronologie de ces édits est connue219. Les résultats sont contrastés d’une région à l’autre220. En Roussillon, « l’Édit du roy portant abolition du droit de parcours et permission de clore les prés, champs ou héritages dans la province » date de juillet 1769. Mais, dès 1752, l’intendant Bertin prend une ordonnance pour réglementer l’introduction de troupeaux en Conflent221. Comme souvent, il est contredit par le Conseil Souverain. L’arrêt de ce dernier est son tour cassé par le Conseil d’État222. Avant 1769, le droit d’enclore les héritages demeure donc un champ de batailles entre des institutions rivales et jalouses les unes des autres. Elles conduisent à la paralysie. À la fin du XVIIIe siècle, l’intendant Raymond de Saint-Sauveur invoque la conservation des sols pour s’y opposer, mais sans contester son principe223. L’argument est habile : dans l’univers physiocratique, la terre porte la richesse, elle doit être cultivée avec soin. Il justifie ainsi l’impossibilité d’appliquer la mesure. Il témoigne, à son tour, des réticences des officiers royaux envers une mesure plus idéologique que bénéfique. Nombre s’y opposent par inertie. Toutefois, d’un village à l’autre, les situations diffèrent224. En Cerdagne, la franche hostilité des viguiers empêche sa généralisation. À Enveig, frontière, bris de clôture et alliance des grandes maisons se superposent : le 11 septembre 1780,

  • 225 AD66, 11Bp849, registres du greffe et des audiences des juridictions subalternes.

« Augustin Llanes meunier de la Vinyola, paroisse d’Enveig, a dénoncé que Samedy dernier du 9e du courant, à 11h du matin, le sieur Raymond Sans chevalier domicilié à Barcelone et le sieur Pedescoll receveur à la Douane de Puycerdà, étant ensemble de leur authorité privé, après avoir fait démolir et abbatre par quatorze hommes par eux commandés dont huit les ayant amenés d’Espagne et six pris sur les lieux, les murailles de l’hiere, d’un perd et d’une devèse me tout luy appartenant (…) firent ravager par une quantité de bêtes grosses à cornes appartenant à Pierre Cassy pagès dudit lieu, fermier de l’héritage dudit Sans, le dit pred et devèse d’un bout à l’autre (…), le tout en présence de Jacques Pont du lieu d’Hix, de Pierre Naudy d’Enveig, de Joseph Rigata de Riutès et autres, ledit bétail ne put point arrêter et n’oza même l’arrêter ledit Llanes pour ne point s’exposer imprudemment à la violence d’une troupe si considérable d’adversaires munis de plusieurs articles pour l’exécution de leur voye de fait (…), faisant la dite dénonce ledit Llanes pour faire condamner ledit Sieur Sans et Pedescoll à l’amende de 50 livres par eux encourue suivant l’édit du Roy portant abolition du droit de parcours de l’année 1769 »225.

141Cet acte de vandalisme scelle l’alliance de grands comme de petits propriétaires contre la progression des enclosures. Mais, la troupe ne s’attaque pas à un grand propriétaire. Le meunier est, au contraire, une victime désignée. Mal aimé, implanté sur une frontière incertaine, et dans une zone de compascuité ouverte à plusieurs communautés, il est le bouc émissaire de cette démonstration de force.

142Clore les terres demeure le résultat d’un rapport de force dans la communauté et dans un finage. Les édits fournissent des arguments juridiques toujours contestables par l’une des multiples juridictions que peuvent saisir les opposants. À Llo et à Estavar, les grandes maisons ne rencontrent pas d’adversaires. Elles sont les maîtres du jeu car elles tiennent la terre. Le droit habille cette domination. S’en tenir aux seuls édits, se contenter des arrêtés et croire aveuglement dans les ordonnances des intendants conduit à sous-estimer la réalité des pratiques et des rapports de force.

  • 226 Daniel Faucher, “Le bocage pyrénéen”, Revue Géographique des Pyrénées et du Sud-Ouest, 1931, p. 362 (...)

143Un bocage pyrénéen prend forme néanmoins226. De Travy le déplore, même s’il tente, par tous les moyens de freiner le mouvement pour préserver les usages collectifs sur les prés. Ne soutient-il pas « qu’il seroit impossible de les clore par le manque de pierres qu’il y a » ? En effet, cette fermeture du milieu signifie la réduction des usages collectifs indispensables à la majorité et uniquement profitables à la minorité des propriétaires.

144En effet, il y a peu de prés et d’autant moins, pourrait-on souligner, que leur utilisation se restreint de plus en plus au régime de la propriété. Or, celle-ci tend à se concentrer entre les mains d’un petit nombre de grandes maisons. D’une manière générale, entre le XVIe et le XIXe siècle, un triple processus est à l’œuvre. Il associe une progressive concentration foncière entre les mains d’un petit nombre de grandes maisons, parallèlement à la multiplication des petits exploitants et à l’effondrement voire à la quasi-disparition des moyennes propriétés. Les prés jouent le rôle de pivot dans la constitution de cette hiérarchie foncière, puisqu’en permettant l’entretien des bêtes grosses indispensables au travail aratoire, ils déterminent les superficies de terres qui peuvent être labourées.

  • 227 Jean-Marc Moriceau, Histoire et géographie de l’élevage… op. cit., p. 230 – 232 ; Marcel Lachiver, (...)

145Le patrimoine foncier des petits propriétaires est ainsi menacé sur deux fronts. Par le haut, l’accès aux estives est restreint. Les possibilités d’élever un peu de bétail ovin et de défricher, temporairement, des cultures se réduisent. Le bétail bovin constitue toutefois un substitut qui permet d’ouvrir ses terres, d’obtenir un peu de lait, de profiter parfois d’un vêlage et surtout de se louer avec ses bêtes de trait sur les grands domaines qui se constituent. Mais, l’entretien d’une paire de vaches ou de bœufs est tout entier dépendant à l’accès aux fourrages dont la vaine pâture passée la fenaison est un maillon essentiel, parallèlement à toutes les solutions possibles et utilisées, de l’herbillage à l’effanage227. Or, les prés se ferment, sans contrepartie, aux usages collectifs. Sans les animaux, ovins et bovins, et sans le recours aux défrichements, les micro-exploitations ne sont plus viables.

146La meilleure analyse des enjeux de ces changements est sans doute celle qu’expose alors le viguier de la Cerdagne à propos des cultures temporaires, pratiquées sur les hermes et les vacants :

  • 228 AD66, 1C1501, Mémoire du viguier de Travy.

« il est à observer que les habitans de cette basse classe s’occupent ordinairement à cultiver des terres communes au pied des montagnes et ne les sèment que par deux fois seulement, les abandonnant après, pour l’engrais desquelles ils ont besoin de toute nécessité de quelques bêtes, soit à corne ou à laine. Ces habitans qui se trouvent sans un pan de pred à leur propre ny de terre champ en la plaine profitent de l’usage à eux permis d’introduire leurs bestiaux dans ces prairies communes pour y depaître pendant l’espace de temps ci-dessus marqué ce qui serait les priver d’en nourrir totalement et que par concéquent ne pouvant fumer ces terres qui sont de la dernière qualité les voilà réduits à décamper ou à vivre très misérablement »228.

***

147De haut en bas du finage, une même logique se déploie. L’espace se ferme aux petits propriétaires au bénéfice des grandes exploitations. Celles-ci tiennent les rênes des communautés et ce sont leurs voix qui se font entendre dans les criées. Sous le couvert d’accents communautaires, elles mènent une privatisation de fait des ressources en herbe qui renforce la bipolarisation sociale constatée dans l’étude des structures foncières. Malgré sa lourdeur, la comparaison apparaît nécessaire pour situer la Cerdagne dans un contexte européen : elle est fortement touchée par la privatisation des ressources. Le monde de l’élevage décrit par les recensements fiscaux et les criées semblent tout entier sous le contrôle des grandes maisons. Mais n’est-il pas paradoxal de le penser sans ligne de fuite alors que la principale caractéristique des animaux est leur mobilité ?

2. Des « espaces-autres » : pasquiers et locations d’hivernage

148Le XVIIIe siècle semble fixer les troupeaux à la terre. Pourtant, elle ne porte pas assez d’herbe pour nourrir le cheptel toute l’année. D’autres territoires sont investis. Ils constituent des lignes de fuite qui n’apparaissent pas dans les recensements agraires. L’élevage figé au sol est un biais de la documentation. Les troupeaux se déplacent. Ils utilisent et construisent des espaces en réseaux plus difficiles à saisir que ceux de la documentation fiscale.

Retour sur les pasquiers : l’ouverture du XVIIIe siècle

149Alors que les herbages des communautés rurales sont pris dans l’étau de la limitation et de la fermeture, les pasquiers royaux de Cerdagne connaissent au XVIIIe siècle une forte fréquentation. Chaque année des torrents meuglant, bêlant et hennissant traversent ces territoires de confins. Ils génèrent aussi de substantiels bénéfices au profit de la royauté. Celle-ci garde la frontière ouverte aux bêtes venues d’Espagne. Ces pâturages participent ainsi de la constitution d’un réseau d’herbages à l’échelle régionale voire internationale. Les séries étudiées sont toutefois limitées, la première renseigne les années 1733 à 1741, la seconde documente la période 1785-1788.

  • 229 AD66, 3E88/12, fo 9 v. : Guillaume Cotxet de Llo envoie, le 8 octobre 1784, 125 cochons sur les pas (...)
  • 230 AD66, 1C1101 (1775)

150Les pasquiers royaux du Barrès constituent des herbages ouverts aux troupeaux qui paient des droits d’entrée. Les effectifs sont importants. Ils sont en moyenne deux à trois fois supérieurs à ceux enregistrés dans le Haut-Vallespir. Les oscillations sont caractéristiques de la fragilité de cet élevage et de sa capacité à se redéployer en fonction des événements. La fréquentation de ces pacages occupe, de manière très inégale, tous les mois de l’année. De mai à octobre se concentrent toutefois 91 % des expéditions d’animaux, dont 74 % entre juin et juillet. De novembre à avril, les pasquiers connaissent une activité épisodique, avec quelques centaines de moutons envoyés par des habitants de Cerdagne, probablement aux beaux jours d’hiver. Ces troupeaux côtoient alors les cochons, parfois réunis en troupeaux de taille importante229. Plus 22 000 têtes de bétail fréquentent en moyenne chaque année ces pacages, dont 20 000 ovins, 1500 bovins, 800 équidés et environ 500 cochons. Ces chiffres sont corroborés par une enquête de 1775 sur les animaux qui paissent sur les herbages, autrement plus vastes, du Carlit. Elle dénombre 56 000 bêtes230. L’herbe est la matière première de cette industrie. De 1733 à 1741 et de 1785 à 1788, plus de 350 000 animaux entrent dans ces pacages. Les bénéfices sont à la hauteur de la fréquentation. Ils atteignent 4 907 livres 18 sous et 4 deniers pour la première période et à 3 588 livres, 7 sols, 8 deniers pour la seconde. Les pasquiers sont ainsi une source d’imposition facile à capter, peu contestée et qui rapporte beaucoup et à moindre coût.

151L’origine des troupeaux est double. Elle est d’abord locale, elle est ensuite régionale. Près de 90 % du cheptel enregistré dans les pasquiers vient de Cerdagne française et moins de 6 % de Cerdagne espagnole. Cette dissociation des deux Cerdagne s’explique de différentes façons. Les droits d’entrée sont élevés. La Cerdagne espagnole a d’autres solutions. En revanche, les pasquiers sont devenus un indispensable appoint d’herbe pour les communautés de Cerdagne française. La limitation des droits sur la montagne, en fonction du statut des habitants ou de leur patrimoine foncier explique la nécessité de partir sur ces estives royales. De plus, ceux qui sont obligés d’exiler leurs troupeaux à la fin du mois de juillet, comme à Palau et à Estavar, n’ont pas d’autre solution que de s’y rendre. En tous les cas, rapportés aux enquêtes fiscales du XVIIIe siècle, le nombre de bestiaux originaires de Cerdagne française envoyés chaque année sur les pacages royaux est considérable.

152Cette fréquentation des troupeaux locaux souligne l’importance des pasquiers royaux pour les habitants, qu’ils soient grands ou petits propriétaires de bétail. Les premiers sont peu nombreux mais bien dotés : 10 % des déclarants possèdent plus de 60 % des effectifs ovins. Les seconds sont nombreux mais possèdent de petits troupeaux : 60 % des déclarations comportent des lots de moins de 100 têtes. En revanche, les autres catégories de bétail ne sauraient être appréhendées de la même façon. En effet, les lots expédiés aux pasquiers sont de taille notable, en moyenne de 30 têtes pour les bovins et les suidés, une dizaine pour les équidés. Mais, ces chiffres sont trompeurs. Il s’agit souvent d’envois groupés : plusieurs propriétaires se réunissant pour payer un vacher. Hix envoie son gardien du troupeau commun, comme si la vacada comuna se reproduisait, en partie, sur les pasquiers. Par ailleurs, les envois sur les pacages se font en plusieurs épisodes. Ce découpage du troupeau est particulièrement sensible pour les vaches, un temps utilisées pour les travaux agricoles avant d’être expédiées aux pacages royaux.

  • 231 AD66, 3E88/12, fo 3 r.

153Les différences de taille les plus notables distinguent toutefois les troupeaux locaux de ceux venus de Catalogne et d’Aragon. Quand « Pierre Martir Goza de Bolquéra a expédié les pasquiers pour dix-huit vaches, a payé 18 sols » en juin 1784, « Le sieur Joseph Dalmau de Sarral en Espagne a expédié les Pasquiers pour 1050 Brebis, 88 chèvres, 26 jeunes chevaux, 200 agneaux, 21 vaches et 3 juments chargées de l’équipage a payé 23 livres 7sols »231. Ces deux notices, qui se suivent dans le registre, donnent à voir ces écarts entre cheptel local et les grands troupeaux venues de l’extérieur. Ceux-ci constituent de véritables expéditions comptant plusieurs bergers et plusieurs vachers se déplaçant pour plusieurs mois sur plusieurs pacages. Ils pèsent peu (5 %) par rapport au cheptel local, mais c’est leur logique qui retient l’attention. Si la taille moyenne des troupeaux de moutons est de 270 têtes au XVIIIe siècle, elle dépasse un millier de têtes lorsqu’ils viennent de Catalogne. Les mêmes individus, comme le Sieur Dalmau de Serrat, se retrouvent d’une année à l’autre. Ces capitaines de l’élevage usent des pasquiers royaux comme d’une étape dans un parcours de plus grande envergure. D’autres déclarants sont vraisemblablement des prête-noms de sociétés d’élevage mettant en commun leurs effectifs pour conduire le bétail sur les estives avant de le vendre de foire en foire et de boucherie en boucherie. L’herbe du Barrès est, sans doute, plus fraîche et moins chère qu’en Espagne ou qu’en Aragon.

154À travers ces exemples, coexistent deux formes de remues de bêtes bien distinctes. L’une est d’origine locale et ne compte que quelques bêtes, probablement attachées à une exploitation agricole. Elle participe de l’estivage, en procédant à un déplacement de proximité, pour l’entretien des bestiaux, de manière à ne pas entamer les réserves en fourrage destinées aux mois d’hiver. L’autre est d’origine lointaine, éloignée de centaines de kilomètres des herbes pâturées pendant l’été. Plus les distances sont élevées et plus les troupeaux sont importants Ils contribuent à un élevage spéculatif. Ces deux formes de déplacement de bétail, déjà dissemblables entre le XVe et le XVIIe siècle, ont gagné en contraste au XVIIIe siècle. Les flux sont inversés. Si les bêtes du royaume de France fréquentent les pasquiers du Querol et contribuent à enrichir Puigcerdà du XVe au milieu du XVIIe siècle, au XVIIIe siècle, ce sont les troupeaux venus de Catalogne qui constituent la majeure partie du bétail étranger. Ils remplissent les caisses royales, mais retournent dans les grandes cités catalanes pour se vendre aux boucheries. De plus, ces flux interrogent à leur tour l’élevage local, pas si captif qu’il y paraît.

Les compagnies d’éleveurs de Cerdagne et la location des lieux d’hivernage

155Les pasquiers accueillent chaque été le cheptel local. Mais ne sont-ils pas également une étape dans pour ces troupeaux originaires de Cerdagne, comme pour le bétail venu de Catalogne ? Les remues ne seraient-elles pas un autre moyen de soustraire une partie du cheptel à la fiscalité ? Ne permettraient-elles pas de contrer les limitations imposées par les criées ?

  • 232 ACDC, liasse 52, 57-58, 62-63, 67-70, 73-74, 89, 157.
  • 233 Octave Festy, L’enquête de l’an III sur les engrais, Paris, Commission de recherche et de publicati (...)
  • 234 i.e. compagnons, i.e. associés.

156Le fonds des Archives de la Casa De Cerdanya compte une douzaine de liasses concernant une compagnie d’éleveurs constituée en 1815232. Le fonctionnement est simple. Chaque membre s’associe en fournissant une partie du capital. Celui-ci est enregistré dans de petits carnets qui détaillent la composition précise du cheptel et évaluent sa valeur. La compagnie recrute des deux côtés de la frontière. Elle est formée d’agriculteurs qui investissent dans l’élevage ovin. Celui-ci est encore nécessaire pour amender les terres233. Mais les périodes d’hivernage demeurent une charge. La mise en commun de l’infrastructure, herbages, pacages, sel, bergers, passages, diminue les coûts et accroît les profits. Les listes de companys234 sont variables. De cinq à quinze individus s’associent selon les années. Un noyau dur apparaît autour de Salvador Barnola d’Estavar, puis de son fils Dominique. Ils sont à l’origine de cette documentation foisonnante. Salvador Barnola écrit des lettres d’instruction aux différents bergers lors des foires d’automne. Il les avertit aussi du mauvais temps et des itinéraires à prendre ou à éviter. Il occupe la position d’une vigie.

  • 235 Olivier Codina, De fer et de laine…, op. cit., p. 157 suiv.
  • 236 ACDC, no 74, location en 1815 du pacage des quatre Pilans à Urgell.
  • 237 ACDC, no 73, acte de location en 1832 des « herbes y pastures aixis de hibern com de estiu dels ter (...)

157Le troupeau compte plusieurs centaines de têtes. Il est divisé en plusieurs lots. Olivier Codina a mis en évidence ces segmentations des troupeaux en fonction des caractéristiques des animaux et de leurs destinations235. Les compagnies andorranes sont documentées dès le début du XVIIe siècle et présentent des comptabilités particulièrement riches en informations sur les prix des bêtes et le coût des herbages. En Cerdagne comme en Andorre, la structure de commandement est clairement pyramidale. Le majoral (chef des bergers) veille à cette bonne organisation. Il répartit les tâches, dont celle de porter le sel d’un lieu à un autre. Il informe Barnola de l’état du marché, il remplit aussi les carnets qui renseignent le prix de vente des carcasses aux boucheries de Lérida. La compagnie loue plusieurs pacages. Ils permettent le stationnement au fur et à mesure des saisons, d’un bout à l’autre de la Catalogne. Le cheptel s’installe dans les Pasquiers du Capcir, du Conflent et de Cerdagne pour l’été. À l’automne, il s’arrête un temps aux portes de l’Andorre236 avant de repartir pour des herbages affermés près de Lérida237, et particulièrement à Artesa de Lérida pour passer l’hiver. La location d’herbe dans cette localité est plus ancienne que la documentation sur la compagnie. Elle invite à penser que cette dernière l’est aussi.

  • 238 Ajuntament d’Artesa de Lérida, Llibre de propis del comú d’Artesa, 1730-1794 : cette source a été s (...)
  • 239 AD66, 3E1/6413.
  • 240 Olivier Codina indique notamment que les pertes sont nombreuses (25 % des effectifs) chaque année e (...)

158Artesa de Lérida est une bourgade située à une dizaine de kilomètres au sud de Lérida. Elle loue ses herbages d’hiver au plus offrant. Le Llibre de propis del comú d’Artesa tient le compte des affermages238. De 1759 à 1788, Bartolomé Tressera de Targasonne afferme les herbages de la communauté pour 4000 à 5000 reales chaque année. Lui succède Jean Aimar d’Angoustrine de 1779 à 1784, puis Raimundo Vidal de Brangoli de 1785 à 1789. Pendant une trentaine d’années, trois Cerdans ont affermé le même pacage d’hiver situé à 200 kilomètres de chez eux. La nécessité de trouver des lieux d’hivernage est ancienne. La plaine d’Urgell et du Roussillon sont des destinations bien connues239. La région de Lérida est une découverte. Les fermiers de ces pacages ne sont-ils pas les prête-noms d’une compagnie qui aurait établi sa base hivernale sur Artesa quasiment sans interruption du XVIIIe au XIXe siècle ? N’est-ce pas la proximité des boucheries de la ville qui motive la location de ces lieux d’hivernage ? Les sommes ne sont pas anodines. Elles semblent difficilement mobilisables par de petits exploitants. En revanche, payées en commun elles peuvent être amorties malgré tous les écueils et les charges de ce type d’expédition240. D’une certaine façon, ces pacages d’hiver forment le support d’une communauté à géométrie variable où se recompose un voisinage à partir de différents individus originaires de Cerdagne.

159L’objectif de la compagnie est donc double. Elle participe d’abord de la quête des fourrages d’une part et de fumures d’autre part. L’élevage est intégré au régime de production céréalière. Les propriétaires fonciers ont besoin de grands troupeaux pour fumer leurs terres entre les mois de mai et de juin. Mais, il leur faut aussi trouver de l’herbe pour ce bétail envoyé en été sur les estives et expédié en hiver dans les basses plaines. L’une des variables qui expliquerait la formalisation des compagnies est liée à l’attitude des communautés. Tant que celles-ci acceptent le bétail étranger, les propriétaires peuvent prendre du bétail dans les plaines et leur restituer au terme de l’été : c’est l’échange de l’herbe commune contre le fumier pour chacun. Mais, dès que les communautés ferment les portes des pâtures communes au bétail étranger, les compagnies ne prennent-elle pas le relais pour organiser autrement les remues des bêtes à laine à travers la Catalogne ?

160Le deuxième objectif participe d’une économie marchande. La compagnie est aussi chargée de dégager des profits. Les bêtes sont vendues aux boucheries, leur laine est également commercialisée. La compagnie a tous les attributs du capitalisme. Chaque année les bénéfices sont versés aux actionnaires au prorata du capital versé. Ceux qui quittent la compagnie repartent avec leur capital de départ. Celui-ci a été renouvelé, puisque les vieilles bêtes sont réformées. Les lettres expédiées entre le majoral et les Barnola permettent également de répondre aux opportunités du marché. Le système est souple et à géométrie variable. Il est sous-tendu par une organisation logistique solide. Toutefois, c’est aussi une structure fragile exposée aux aléas. Il n’y a pas de pas de bénéfices sans prise de risques et de coups sans à-coups.

  • 241 Joan Peytaví Deixona, “Un ofici del temps passat. La temporada estiuenca d’un esquilador per la Cat (...)

161L’une des conséquences les plus fortes de ces compagnies est sans doute leur participation à la monétarisation des pacages des communautés, de plaine, comme Artesa de Lérida, ou de montagne, comme dans la vallée du Querol. Elles mobilisent d’importantes sommes de numéraire. Or, celui-ci fait généralement défaut soit aux habitants, soit aux communautés au moment de payer l’impôt. Elles s’inscrivent ainsi dans la dynamique de fiscalisation de l’espace. En faisant la preuve que ce type d’élevage est rémunérateur, les compagnies parviennent à convaincre les communautés de louer les herbages. Elles séduisent aussi certains propriétaires pour y investir. Elles drainent une main-d’œuvre mobile et migrante qui se déplace de lieux en lieux tel cet esquilador (tondeur) pour lequel Joan Peytavi a retracé les mobilités entre le Roussillon et la Catalogne centrale dans le premier tiers du XIXe siècle241.

***

162Les espaces collectifs apparaissent au XVIIIe siècle sous tension, à travers les acteurs multiples et les usages pluriels dont ils sont l’objet. Les cultures temporaires et les défrichements entament la montagne. Les besoins en herbage augmentent. Les bois régressent. Les tensions s’accumulent. De nouveaux acteurs entrent en scène. L’État est le plus visible. Il tente de connaître les communautés pour mieux les imposer. Elles se réinventent. Structures fiscales, elles sont contrôlées par l’intendance. Elles sont aussi chargées de prélever l’impôt. Celui-ci pèse avant tout sur les terres privées. En effet, les communautés sont faiblement dotées. Les moulins et les fours sont rarement leur propriété et si les cabarets sont affermés et participent de la construction de « l’esprit de localité », ils génèrent peu de revenus, en tout cas pas assez pour prendre en charge l’impôt. Seule la location des montagnes dégage d’importantes quantités de numéraire. Celles-ci permettent de payer l’impôt pour tous. Mais, la plupart des communautés gardent la majeure partie de leurs herbages en faire-valoir direct. L’impôt comme l’exploitation de la montagne est une entreprise privée sur des terres collectives.

163Les gros propriétaires en profitent pour retourner une situation qui leur était défavorable. Au motif qu’ils paient les impositions pour les terres qu’ils possèdent, ils entendent profiter davantage des communaux. Ils prennent les rênes. Une partie des archives des communautés se trouve ainsi dans leurs papiers. Ils sont prêts à toutes les arguties pour obtenir et pour garder le pouvoir, à l’exclusion des autres maisons et des concurrents qui disputeraient leur autorité. Leur objectif est de garder la maîtrise de ces espaces. L’un des moyens utilisé est de laisser se perpétuer les usages collectifs, certes, en les limitant, mais en permettant aussi l’apparition d’un nombre important de travailleurs qu’ils peuvent employer avec leurs deux vaches pour tirer une charrette ou un araire. Le contrôle de l’espace génère une main-d’œuvre devenue abondante par les effets conjugués de la dépossession foncière et de la fermeture graduée des terres communes.

164Mais cette forte hiérarchisation de l’accès aux communs est taboue. La communauté se cache derrière l’unité de la vacada comuna pour se perpétuer avec un semblant de cohésion. Certes, le tableau n’est pas uniforme. D’une communauté à l’autre, les pratiques et les situations diffèrent fortement sur une échelle des possibles apparemment distendue à l’envi. La vallée du Querol assure une cohésion par la mise à l’encan de ses herbages. Pour autant, elle instaure une limitation des accès aux communs au prorata des surfaces possédées, même si elle paie une bonne partie des impositions directes. Mais ces deux contributions ne pèsent-elles pas sur la terre ? La générosité de la vallée n’est-elle pas destinée à favoriser ceux qui cultivent les terres pérennes ? À l’autre extrémité des cas de figure recensés, apparaissent les communautés sans montagne. Leurs troupeaux doivent s’exiler au plus fort des chaleurs de l’été. Les pasquiers royaux les accueillent, mais à fort coût. Leur structure communautaire est maigrelette, limitée à deux processions et trois procès. La structure sociale est brute. Sans structure édredon qui autorise deux vaches et une parcelle temporaire, les petits sont mangés par les gros qui règnent en maîtres. C’est dans ces communautés que Sicart intervient pour contrer les capmasats, c’est encore là que De Travy dénonce les enclosures sur les prés qui privent les sans-terre d’une source indispensable à nourrir un petit cheptel pour subsister, car une même logique transforme le rapport à l’espace. Elle s’étend de haut en bas du finage et transforme le sol en propriété. Les devèses ne sont qu’une étape. Herbages intermédiaires dans un espace où convergent toutes les tensions, ils sont progressivement intégrés dans le patrimoine des grandes maisons.

Conclusion

165Observé à travers le prisme des sources éclatées, l’élevage se révèle un objet fuyant et incertain, caractérisé par des fortes variations d’effectifs. Toutefois, la proportion de chaque espèce n’y varie guère. Le cheptel est formé à 80 % de moutons. Les 20 % restants sont partagés entre les bêtes à cornes et à poil. Les informations de nature qualitative sur ce bétail sont rares et ne permettent pas de déterminer ni la morphologie des animaux, ni une quelconque spécialisation de troupeaux. Partout la polyvalence imprime sa marque, même si, au cas par cas, des assemblages désignent de-ci et de-là de petites opérations spéculatives. Les mulets et les fromages en sont deux exemples clefs, qu’il faut conserver dans les étroites limites où la documentation les expose.

166Vu à travers les espaces qui le porte et le renseigne, l’élevage devient un enjeu central pour les sociétés et les économies de montagne. Intégré dans le cycle de la production agricole et des consommations domestiques, il fournit force de trait et de transport. Les vaches, les bœufs et les mulets sont mis à contribution. Le cheptel procure aussi de la laine et du lait, de la fumure pour les terres et de la viande pour les hommes. Les peaux sont vendues à Barcelone, la laine est achetée par Puigcerdà puis exportée en Languedoc. De plus, c’est un capital renouvelable. Les naissances remplacent les décès. C’est aussi un capital-risque exposé aux aléas, de l’épizootie aux événements climatiques, du bandit au loup. Fortement rémunérateur, bien plus que la terre, il dépend tout entier de la capacité à le nourrir et à le garder. Le contrôle des revenus tirés de l’élevage passe entièrement par la maîtrise des territoires de l’herbe qui se définissent progressivement entre le XIIIe et le XIXe siècle comme des espaces sous tension.

  • 242 Béatrice Palmero, Communautés, enjeux de pouvoir et maîtrise de l’espace pastoral aux confins du co (...)

167Du XIIIe au XVIIe siècle, la ville de Puigcerdà possède la juridiction et des droits sur plusieurs pacages. Elle prend en écharpe la partie septentrionale de la Cerdagne. Cette demi-couronne de pâturages est en contact avec les pasquiers royaux, avec laquelle elle propose une continuité territoriale, et avec le Pays de Foix et le Languedoc avides d’herbe. Cette domination politique assure l’approvisionnement de la ville en laine, en peaux, en viande. Elle demeure la plaque tournante entre les troupeaux du nord des Pyrénées et les besoins du sud. Ces estives participent de ce que Béatrice Palmero définit comme des territoires de confins, au carrefour de plusieurs vallées242. Ces niches inter-communales et inter-valléennes sont garanties par l’État et elles ont généralement la peau dure et la vie longue. Une économie du contrat double cette domination de la ville sur l’élevage. Les baux à cheptel ne sauraient être traduits comme une entreprise collective délibérée pour contrôler l’élevage. Et pourtant, la mise en série d’un corpus de 407 parceries met en évidence le rôle central des habitants de Puigcerdà dans la spécialisation des espaces de l’herbe autour de la ville. Principaux bailleurs, ils tirent profit de ce type de contrat. Ce temps de la ville ne survit pas au XVIIe siècle. Puigcerdà perd ses pacages les uns après les autres entre 1670 et 1715. Elle se replie d’une part sur la montagne domestique de Salteguet, celle qui livre le charbon et fournit le bois, et d’autre part sur les prés et le canal qui lui permettent de faire face au décollage de la consommation de viande bovine. Le centre de gravité de l’élevage s’est déplacé des estives aux prés et la ville participe de ce recentrage sans pour autant s’assurer d’une réelle domination.

  • 243 Béatrice Palmero utilise l’expression « d’alpages de proximité » pour désigner les territoires de p (...)

168D’autres acteurs se sont affirmés. Les communautés rurales montent en puissance face à la ville depuis le XVIIe siècle. Elles participent de la construction d’espaces de pacage exclusifs, appropriés et délimités. La plupart de ces communautés possèdent des « estives de proximité243 », qui constituent à la fois un espace économique et politique, mais aussi culturel et symbolique. Dix communautés demeurent sans montagne. Elles ne sont pas viables, ni économiquement, ni politiquement et ne parviennent pas à obtenir le rang de communes au XIXe siècle. La fermeture des communautés rurales constitue ensuite le point nodal des dynamiques territoriales du XVe au XVIIIe siècle. Elle vise à limiter l’accès aux terres communes aux seuls habitants d’une localité, puis à ceux qui paient l’impôt : les propriétaires fonciers.

169La fiscalisation de l’espace constitue un puissant ferment de transformation de la communauté rurale et de ses équilibres internes. Si au XVe siècle, le droit de résidence devient un maître mot, il est remplacé au XVIIIe siècle par la propriété foncière, après une période de transition où les capmas se réinventent en maîtres des herbages. La dynamique est complexe, sans doute parce que les élites rurales se perpétuent biologiquement tout en se renouvelant politiquement. L’impôt pèse sur la terre. Mais le cheptel est recensé à trois reprises comme une richesse. Il est intégré dans le calcul de l’impôt foncier. Ceux qui le paient manœuvrent pour que l’accès aux terres communes soit proportionné aux terres que chacun possède. Les cultures temporaires ne sont pas imposées car les défricheurs n’en possèdent que la jouissance éphémère. Les enregistrer sur les rôles d’imposition serait les reconnaître, les reconnaître serait les pérenniser en leur concédant une forme de propriété. Les droits des uns et des autres sont inégaux. Ils l’étaient déjà par la capacité à acheter et à nourrir du bétail. Mais, désormais les criées font entendre à tous cette inégalité devant la montagne. Tout concourt à l’avènement d’une société villageoise ordonnée par la possession foncière.

170Les pasquiers demeurent néanmoins. Ils échappent à la définition de ces « estives de proximité » fermées à autrui ou louées au plus offrant. Ils conservent leur statut de « territoires des confins ». Ils offrent une solution de repli pour les exclus et les bêtes exilées des finages et des pacages des communautés. Ils participent aussi d’une mise en réseau des herbages entre la Catalogne et les Pyrénées. Autant d’un côté s’est construit un espace topographique, défini par une étendue et une limite, autant les pasquiers participent d’un espace topologique, constitué d’arc (les routes) et de nœuds (les pacages d’été et d’hiver). N’est-ce pas déjà le révélateur d’un divorce entre un élevage migrant et un autre captif de la terre ? Dans les deux cas, la nature du rapport à l’espace a changé. Territoire commun, les estives se sont fragmentées et divisées. Rattachées exclusivement à certaines communautés, elles demeurent appropriées par une petite clique de grands possédants. La montagne est leur chose. Ils y ont leur cabane, leurs pletas, elles portent leur nom. Mais cette appropriation est discrète. Les criées la taisent. Demeure le mythe d’un espace égalitaire que relaie la vacada comuna. Elle assure l’intégrité de la montagne. Celle-ci constitue un bel élan d’unanimité que relaient encore aujourd’hui les fêtes de l’estive et de la transhumance. Mais, nul besoin ici de partager les estives, les pauvres ont déjà été exclus.

Notes

1 Jordi Pere Cerdà, Voies étroites vers les terres hautes, 1998, trad. fr., Le Mans, Cénomane, 2006, 314 p., p. 47

2 Marc Conesa, “Des grains, des terres et des hommes. La dîme en Cerdagne, fin XVIIe-fin XVIIIe siècle”, Actes des XXXe journées internationales de l’abbaye de Flaran : « La dîme dans l’Europe médiévale et moderne » (octobre 2008), Toulouse, PUM, Flaran, no 30, 2010, p. 253-265, p. 257

3 Chris Whickam, Communautés et clientèles en Toscane......, p. 23 ; Sylvie Caucanas, “A propos des baux à cheptel. Gasailles et arègues en pays d’Aude (XVe-XVIIIe siècle), Histoire et sociétés rurales, no 23, 2005, p. 205-216, p. 206 ; Roland Viader, L’Andorre du IXe au XIVe siècle…, op. cit., p. 179 - 189

4 Cet éclatement est particulièrement visible dans les différentes contributions du numéro d’Estudis d’història agrària, no 14, 2004, sur « La ramaderia : aspectes de la seva evolució ».

5 Sur ce point, on jalousera particulièrement la documentation d’Olivier Codina Vialette, De fer et de laine. Les vallées andorranes du XVIe au XIXe siècle, Perpignan, PUP, « Etudes », 540 p., p. 156 suiv., parce qu’elle est proche géographiquement de notre aire d’étude.

6 AD66, 1C2045, mémoire du viguier Sicart, 1730. « Quand au bétail à laine, les habitants dudit pays n’en retirent d’autre profit que celuy de fumer leurs terres (…) Les laines que les habitants retirent de leurs troupeaux, n’y ayant point de manufacture dans ledit pays, servent aux manufactures du voisinage, des villes de la comté de Foix et du Languedoc. Des marchands desdites provinces viennent dans ledit pays pour les achepter (…) ».

7 Michel Brunet, Contrebandiers, mutins, fiers-à-bras. Les stratégies de la violence en pays catalans au XVIIIe siècle, Canet, Trabucaïre, 2001, 206 p., p. 11-36.

8 Dans les contrats de parceries, les vaches peuvent être pregnantes, grossas, ou levantes. Chacun de ces adjectifs renvoit à la gestation. Elle n’exclut pas les autres tâches.

9 Les parceries fournissent 443 mentions de couleur pour les bovinés. 55 % sont dans les nuances de rouge à rose, 20 % de gris à noir en passant par les couleurs sardine et cendre. Fréquemment, ces couleurs sombres sont mâtinées de rouge ou de blanc. 15 % des bovins sont associés à des couleurs claires, ou, blanche, ou châtain. Le reste est tâcheté, mélangé ou inclassable comme l’inénarrable couleur ail et vinaigre.

10 ACCE, fons notarial, Pere Pujol, Manual, parceria du 17 octobre 1520, ; Marie-Thérèse Lorcin, “L’élevage dans le Forez des XIVe et XVe siècle au miroir des testaments”, Histoire et Sociétés Rurales, no 20, 2003, p. 11-35., p. 14 donne également une liste de noms de vaches

11 Olivier Codina Vialette, De fer et de laine…, op. cit., p. 162.

12 ACCE, registre des baronnies de Cerdagne française. Affaire opposant Joseph Astrié, marchand d’Ax, et Jacques Vives de Merens à Pierre Fabra de Egat.

13 Jean-Marc Moriceau, Histoire et géographie de l’élevage. Du Moyen Âge à la Révolution, Paris, Fayard, 2005, 477 p., p. 71 suiv.

14 Jean-Marc Moriceau, Histoire du méchant loup : 3000 attaques sur l’homme en France. XVe-XXe siècle, Paris, Fayard, 2007, rééd. corr. et aug. 2008, 631 p. voir l’étude régionale d’Emmanuel Garnier, “Salvatgines et sociétés montagnardes catalanes : une guerre d’extermination pluri-séculaire”, Les ressources naturelles des Pyrénées du Moyen Âge à l’époque moderne. Exploitation, gestion, appropriation, Actes du Congrès international RESOPYR 1 (8-10 nov. 2002), réunis par (Aymat) Catafau, Perpignan, PUP, « Études », 2005, p. 327 – 343

15 AD66, 21 EDT 21, fo 190

16 Par exemple Miquel Agusti, Libro de les secretos de agricultura, casa de campo y pastoril, 1617, 194 fo, rééd. fac. simil. Barcelone, Altafulla, 1988.

17 Parmi d’autres : criées de Llo, AD66, 9Bp727 (1777), article 18 et à Estavar, article 9 du règlement de police rurale du 13 mai 1809.

18 Jean-Yves Grenier, L’économie de l’Ancien régime ? Un monde de l’échange et de l’incertitude, Paris, éd. Albin Michel, coll. L’évolution de l’humanité, 1996, 489 p.

19 Le nombre d’actes, par centaines, et leur dispersion dans les dizaines voire des centaines de registres les met hors de portée d’un chercheur isolé. L’idée d’un travail collectif de dépouillement s’est imposée. Inspirés des chantiers archéologiques qui associent une recherche effective et collective sur le terrain à la formation d’étudiants, des « chantiers– histoire » ont été organisés dans les archives de Puigcerdà entre 2003 et 2004. Ils visaient à constituer et à analyser un corpus de parceries pour l’époque médiévale et moderne.

20 Gilles Postel Vinay souligne que l’inflation monétaire et la dévaluation des assignats a permis à de nombreux preneurs de racheter les baux à cheptel qu’ils avaient contractés : “A la recherche de la révolution économique dans les campagnes (1789-1815)” Revue économique, vol. 40, no 6, 1989, p. 1015-1045, p. 1043 ; ce type d’acte est ensuite moins fréquent pendant quelques années.

21 Sylvie Caucanas, “à propos des baux à cheptel…”, art. cit, Jean Tricard, Les campagnes limousines du XIVe au XVIe siècle. Originalité et limites d’une reconstruction rurale, Paris, Publications de la Sorbonne, « Histoire ancienne et médiévale », no 37, 1996 ; 285 p., p. 149-151 ; Élie Pélaquier, De la maison du père à la maison commune…, op. cit., p. 86 ; Marie-Claude Marandet, Les campagnes du Lauragais… op. cit., p. 188

22 Pau Viciano, “Marché du crédit et structuration de l’espace rural. Le Pays Valencien au XVe siècle”, Histoire et Sociétés Rurales, no 21, 2004, p. 11-38, p. 21

23 Gilbert Larguier, Le drap et le grain en Languedoc. Narbonne et le Narbonnais (1300 – 1789), Perpignan, PUP, « Etudes », 2000, 3 tomes, 1368 p., tome 1, p. 298-301

24 Serge Dontenwill, “La mise en valeur des terres en Roannais-Brionnais au dernier siècle de l’Ancien Régime 1670-1789”, Exploiter la terre. Les contrats agraires de l’Antiquité à nos jours, Actes du colloque international de Caen (sept. 1997), Rennes, Association d’Histoire Rurale, « Bibliothèque d’Histoire Rurale », no 7, 2003, p. 111-134., p. 130

25 AD66, 1Bp818, fo 100 ro

26 Quelques très rares cas de saisies de bétail sont mentionnés. Toutefois, ce n’est pas la fonction de ce registre. L’espace, mi-boisage, mi-pacage de Salteguel est aussi documenté par un deuxième type de registre essentiellement composé d’actes de police rurale, d’enquêtes, de procédures judiciaires et de saisies de troupeaux, d’autorisations diverses : Arxiu Historic Comarcal de Puigcerda (ACCE), baronnie de Salteguel.

27 La fonction : apasqueradors ; l’action : apascarament ; l’objet : les troupeaux envoyés sur ces espaces sont aussi désignés par la formule expédier les pasquiers, la taxe prélevée et le tarif imposé : C. Rendu, La montagne d’Enveig…, op. cit., p. 588.

28 AD66, 1Bp818, fo 13vº

29 AD66, 1Bp818, fo 169ro-172ro

30 AD66, 1Bp818, fo 96ro

31 M. Conesa, “L’herbe et la terre. Communautés rurales de Cerdagne française au XVIIIe siècle et accès aux estives : un lien structurant”, Les ressources naturelles… op. cit., p. 205-219.

32 AD66, 1Bp818, fo 42rº

33 Marc Conesa, Mariages et frontières…, mém. cit., p. 34 suiv.

34 Total des animaux divisé par le nombre d’années constituant chaque série.

35 AD66, 11Bp818, 45vo-49vo

36 AD66, 11Bp818, 46vo et 49vo

37 Voir par exemple les deux troupeaux de juments expédiés de Sallel par Joan Bosom en 1622, l’un en son nom de 27 juments, l’autre de 7 têtes, détenues à moitié par un autochtone, Joan Fermenti de Bolvir, qui se charge, sans doute, de l’entretien de ces deux unités en échange de son association à mi-part dans le plus petit des deux troupeaux. De facto, il semblerait ainsi qu’il y ait contraction d’un bail à cheptel qui assurerait la rémunération de la garde et de l’entretien du plus gros troupeau. AD66, 1Bp818, fo 170ro.

38 Amaïa Legaz, Systèmes pastoraux et société en Basse-Navarre…, op. cit., p. 152 ; p. 256 suiv. ; p. 277

39 Sur la relation à la montagne au moyen âge et ses enjeux : Elisabeth Bille, Seigneurs, maisons et vacants… mém. cit

40 ACCE, Registrum baroniae Saltegal, fo 4r.

41 ACCE, Registrum baroniae Saltegal, fo 17 v.-18 r..

42 Voir notamment Anne Chailloux, “Le territoire dans les sources médiévales : perception, culture et expérience de l’espace social. Essai de synthèse”, Les territoires du médiéviste, Rennes, PUR, « Histoire », 2005, p. 223-235.

43 Domenec Marti y Aldran. Manual, 1715, fo 201.

44 Ceci est inspiré des remarques de Paul Veyne, Comment on écrit l’histoire, 1971, rééd. Paris, Le Seuil, coll. Points Histoire, 1996, 429 p., p. 37.

45 L’abbé Naudo, “Le Carlit et ses montagnes. Evolution de la propriété et des droits de pacage du Moyen-Âge au XIXe siècle”, BSALSPO, Perpignan, vol. 84, 1972, p. 39-83, p. 71

46 ACCE, Manual, 1715, Domenèc Marti i Aldran, fo 252. Résumé : le témoin atteste qu’il est vrai que la ville a vendue la montagne du Carlit pour verser 4192 reals au trésorier du roi et que les habitants sont donc contraints de céder leur patrimoine et que la vente du Carlit est le moins dommageable car elle est située du côté français de la frontière.

47 Appelé à témoigner en faveur de l’aliénation du patrimoine municipal, l’argumentation présentée par le premier témoin est ensuite reprise in extenso par tous les autres. Le fait que ces hommes soient choisis à l’extérieur de la cité est, a priori, censé garantir l’authenticité des témoignages. Pourtant, cette unité des discours ne doit pas faire illusion. Taillée sur mesure, elle sert d’abord les intérêts de la ville.

48 L’abbé Naudo, “Le Carlit et ses montagnes…”, art. cit., p. 70.

49 ACCE, Manual, 1715, Domenèc Marti i Aldran : « lesdites montagnes du Carlit ne donnent aucun profit et il ne faut en attendre aucun en raison de la grande distance (8-10km !) qu’il y a entre la communauté et ladite montagne »

50 ACCE, Manual, 1715, Domenèc Marti i Aldran.

51 Cataleg de pergamins… op. cit., no 208.

52 Cataleg de pergamins… op. cit., no 208 (1393) et no 217 (1395).

53 Cataleg de pergamins… op. cit., no 195-196

54 ACCE, regestrum baroniae Salteguel, fo 140 r.-v., criées de 1732.

55 ACCE, fons local, comptabilitat, « Compte del que se a gastat per los comisionats de part dels gremis de la present vila Jaume Puig Guillem Puig en lo any 1784 a la conserbacio del bosch de Saltegal ».

56 ACCE, fons local, comptabilitat, « Comptes que presentan Joseph Argeles y Isidro Iglesias comisionats de Saltegual », fo 1 r.-v.

57 ACCE, fons local, comptabilitat, « Comptes que presentan Joseph Argeles y Isidro Iglesias comisionats de Saltegual », liste fo 6 r.-v.

58 Pour le détail des comptes voir ACCE, fons local, comptabilitat, « Comptes que presentan Joseph Argeles y Isidro Iglesias comisionats de Saltegual », fo 1 v., fo 7 r.-v.

59 ACCE, regestrum baroniae Salteguel, fo 9 r.

60 ACCE, regestrum baroniae Salteguel, fo 10 v.

61 Idem,, fo 11 r.-v.

62 Idem, fo 14v.-15r.

63 Idem, fo 93 r. - 94 v.

64 Idem, fo 80-82.

65 Idem, fo 39-40

66 Idem, fo 212.

67 Sebastià Bosom Marti Soler, Carrer i places… op. cit., p. 120.

68 ACCE, fons local, carnisseries, liasse 1, accord de 1436.

69 ACCE, fons local, carnisseries, liasses 3 et 4.

70 Pour comparer : Jordi Vidal i Pla, “Les carnisseries de Vilafranca del Penedès. Notes sobre el control i l’aprofitament municipal de la venda de carn a l’època moderna”, Estudis d’Història agrària, no 13, 2003, p. 45-61 : l’organigramme p. 61 est particulièrement révélateur de cet objet-carrefour.

71 Sans doute, cette baisse de l’entrée d’animaux dans les boucheries en hiver est compensée par la consommation de cochon. Celui-ci est l’objet d’un élevage domestique qui n’apparaît pas dans les sources.

72 Reynald Abad, Le grand marché. L’approvisionnement alimentaire de Paris sous l’Ancien Régime, Paris, Fayard, 2002, 1030 p., p. 383-392.

73 René Favier, “Les transformations du marché de la viande à Grenoble au XVIIIe siècle”, Histoire, Économie, et Société, no 4, 1994, p. 583-603, p. 585.

74 Pour les animaux consommés ; il est de 1/14 pour les animaux achetés.

75 Puigcerdà se ravitaille sur un marché proche, à la taille de la ville du XVIIIe siècle, contrairement aux grandes cités qui étendent considérablement leur aire d’approvisionnement en viande.

76 Helena Kirchner, Aigua prohibida… op. cit., p. 39. et le pertinent Thadée Niyonzima, Étude historique du fonctionnement du canal de Puigcerdà. Evolution du réseau d’irrigation sur la commune d’Enveitg, mémoire de fin d’études pour l’obtention du diplôme d’ingénieur d’agronomie tropicale, Montpellier, IRC, 1995, 71 p.

77 ACCE, fons local, sequià de Puigcerdà.

78 Sylvie Caucanas, Moulins et irrigation en Roussillon du IXe au XVe siècle, Paris, éd. CNRS, 1995, 421 p., p. 45 suiv.

79 ACCE, fons local, sequià de Puigcerdà, document no 1.

80 ACCE, fons local, sequià de Puigcerdà, document no 2.

81 ACCE, fons local, sequià de Puigcerdà, « Repartiment dels que deuen contribuir als gastos se han fet per lo real sequia de esta vila en lo any 1748 », 6 fo. La répartition épouse les cadres fiscaux des rues.

82 Ferran Valls i Taberner, Privilegis i ordinacions de les valls Pirinenques : Vall d’Aneu, Vallferrera i Vall de Querol, Barelona, Promociones Publicaciones universitarias, 1915, rééd., 1988, 375 p., annexe 6.

83 Article 29 des constitucions de Montsó (1585).

84 Michel Brunet, “Le conflit ville-campagne en Roussillon à la lumière des cahiers de doléances”, Annales du Midi, t. 84, no 108, 1972, p. 249-269, p. 263.

85 ACCE, sequià real de Puigcerdà, documents no 15, 16 et 19.

86 ACCE, sequià real de Puigcerdà, document no 17.

87 ACCE, sequià real de Puigcerdà, documents no 4 & 5.

88 ACCE, sequià real de Puigcerdà, documents no 12 – 14.

89 ACCE, sequià real de Puigcerdà, doc. no 23.

90 ACCE, sequià real de Puigcerdà, doc. no 25, fo 2 v.

91 Idem, fo 3 r.

92 Idem, fo 3 v.

93 Idem, fo 4 r.

94 Idem, fo 4 v. – 5 r.

95 ACCE, sequià real de Puigcerdà, registre en français « procès verbal de descente du 12, 17, 17, 18, 19, 20 avril 1731 », fo 14-30, fo 14 v.

96 Idem, fo 15.

97 Idem, fo 16.

98 Idem, fo 16.

99 En 1496, la ville interdit l’utilisation du canal pour transporter le bois dans la vallée du Querol : ACCE, sequià real de Puigcerdà, document no 3.

100 ACCE, sequià real de Puigcerdà, registre en français « procès-verbal de descente du 12, 17, 17, 18, 19, 20 avril 1731 », fo 18 v.

101 Idem, fo 19.

102 Idem, fo 22 v.

103 Les précipitations moyennes annuelles sont de 600 à 900 mm/an mais elles sont inégalement réparties dans le temps. De plus, l’insolation est l’une des plus fortes d’Europe.

104 Michel Brunet en est le plus habile explorateur : Les pouvoirs au village… op. cit.

105 ACCE, sequià real de Puigcerdà, documents no 24 et 26, 1732-1733.

106 ACCE, sequià real de Puigcerdà, document no 27, 1736.

107 ACCE, sequià real de Puigcerdà, « obres/neteja de la sequià », affermages à la dernière chandelle de 1749, 1750 et 1752.

108 Pierre Dubuis, Une économie alpine à la fin du Moyen Âge. Orsières, l’Entremont et les régions voisines, 1250-1500, Sion, Cahiers de Vallesia 1990, 588 p., p. 191 suiv.

109 Idem, p. 92 suiv.

110 Idem, p. 103 suiv.

111 Rappelons que la Lex stratae est un article des constitucions de Catalunya qui place les chemins, les herbes et les cours d’eau sous la protection des puissants pour la jouissance du peuple : Assier - Andrieu (Louis), Le peuple et la Loi… op. cit.

112 ACCE, sequià real de Puigcerdà, document no 6-11.

113 Bulletin des lois, no 1678 ; 11 février 1869

114 Thadée Niyonzima, Etude historique du fonctionnement du canal de Puigcerdà, mém. cit., p. 32

115 Idem, p. 22 suiv.

116 La comparaison est de Roland Warion, “La « Bellière Grand » des Praz : un syndicat d’arrosage en Haute– Ubaye du XVIIIe siècle à nos jours”, Annales du Midi, t. 95, no 164, 1983, p. 449-477, p. 460.

117 Canal International de Puycerda. Section d’Enveitg. Répartition de l’eau dudit canal international de Puycerda entre les arrosants du territoire d’Enveitg, Perpignan, impr. de l’Indépendant, 1894, 23 p.

118 Thadée Niyonzima, Etude historique du fonctionnement du canal de Puigcerdà, mém. cit., figure 4 : Illustration de l’étalement des heures d’arrosage pour un exploitant (cas d’Augustin Carcassonne), non paginé.

119 Idem, p. 21

120 Une même situation d’augmentation des conflits liés à l’eau parallèlement aux changements agraires est particulièrement forte en Galice : José Manuel Pérez García, “La guerre de l’eau en Galice (1600-1850)”, art. cit., p. 44. suiv.

121 Une semblable évolution embrasse l’histoire du canal de Prades : Thierry Ruf, “Droits d’eau et institutions communautaires dans les Pyrénées– Orientales. Les tenanciers des canaux de Prades (XIVe – XXe siècle), Histoire et Sociétés Rurales, no 16, 2ème semestre 2001, p. 11-44, en particulier sur ce point 17 suiv.

122 L’espace collectif est constitué d’une part des versants, des hermes et des estives et d’autre part de la somme des terres « privées », qui, une fois la récolte ou la première herbe enlevée, s’ouvrent au bétail.

123 Élie Pélaquier a remarquablement analysé ces oppositions pour la communauté de Saint-Victor : De la maison du père à la maison commune…, op. cit., p. 441-445

124 Idem, p. 411-418

125 Antoine Follain, Le village sous l’Ancien Régime…, op. cit., p. 437 suiv.

126 Élie Pélaquier, De la maison du père à la maison commune…, op. cit., pour la description des sources : p. 409-410 : pour l’administration communale, p. 425 suiv., pour la vie politique au village à travers la communauté : p. 497 suiv.

127 Sur l’historiographie de la communauté, voir le premier chapitre de Antoine Follain, Le village sous l’Ancien Régime… op. cit. ; sur le Roussillon, le travail de Brunet (Michel), Les pouvoirs au village… op. cit., demeure une référence.

128 AD66, 1C2045-1C2097.

129 Élie Pélaquier, De la maison du père à la maison commune…, op. cit., p. 410

130 ACDC, carton 2

131 Michel Brunet, Les pouvoirs au village… op. cit., p. 32 suiv.

132 ACCE, fons pobles, ordinacions de Santa Leocadia ; 1591.

133 Voir chapitre 3.

134 AD66, 1C2056, 1C2054, 1C2050-2051, 1C 2060, 1C2086

135 Serge Brunet, “Le prêtre, le consul et le missionnaire. Réforme catholique et finances des communautés dans les Pyrénées centrales au XVIIe siècle”, Nicolas Schapira, Jean-Pierre Dedieu, Stéphane Jettrot (éd.), Les sociétés anglaises, espagnoles et françaises au XVIIe siècle, Paris, Hachette, 2006, p. 159-177 ; Marià-Àngels Sanllehy i Sabi, Comunitats, veïns i arrendataris…, op. cit.

136 AD66, 1C2083-2087

137 Dans la vallée du Querol, « il est déffendu et prohibé à toute sorte de personnes de ladite vallée de Querol de faire entrer leurs bestiaux tant gros que menu pour paturer dans les deveses ou montagnes de la même vallée affermée chaque année comme sont les deveses et Montagnes de Campcardos », AD66, 11Bp946.

138 Marià-àngels Sanllehy i Sabi, Comunitats, veïns i arrendataris a la Val d’Aran… op. cit., p. 252 d’autres communautés vendent une partie de leur patrimoine (p. 149), et afferment leurs forêts (p. 351 ; p. 365 suiv.) pour endiguer la montée des endettements sans aliéner le patrimoine.

139 Michel Chevalier, La vie humaine dans les Pyrénées ariégeoises, 1956, rééd. Nîmes, Lacour, 2002, 2 vol., 1060 p., p. 440 :

140 Cité par Jean-Marc Moriceau, Histoire et géographie de l ‘ élevage… op. cit., p. 320-321

141 Olivier Codina, De fer et de laine…, op. cit., p. 74 ; p. 407 suiv.

142 Amaïa Legaz, “Cadastres et communaux : deux composantes d’une évolution des communautés rurales vers les communes”, Les cahiers de Framespa, no 4, revue en ligne, revues.org

143 Philippe Arbos, La vie pastorale dans les Alpes françaises. Etude de géographie humaine, Paris, Armand Colin, 1921, p. 73

144 Amaïa Legaz, “Cadastres et communaux…”, art. cit., p. 5

145 Voir chapitre 3.

146 J. Lévy ; M. Lussault, Dictionnaire de géographie et de l’espace des sociétés, Paris, Belin, 2003, p. 213

147 Voir chapitre 4.

148 AD66, 1C2055, 1774.

149 Robert Allen, Enclosure and the Yeoman : The Agricultural Development of the South Midlands 1450-1850, Orford-Clarendon press, 1992, 376 p. ; Marc Bloch, Les caractères originaux de l’histoire rurale française, Paris, 1931, rééd. A. Colin, coll. Références Histoire, 1999, 316 p., p. 261.

150 AD66, 9Bp746, 15 juin 1768, article 24.

151 AD66, 9Bp746, 15 juin 1768, articles 26 à 28.

152 AD66, Criées de Palau, 3E56/31, articles 13 à 15 et 25.

153 AD66, 9Bp746

154 Ce passage s’appuie sur les criées étudiées. Il passe rapidement sur des mouvements que Christine Rendu a magnifiquement décrit et analysé et sur lequel il n’est pas nécessaire de revenir à partir de notre corpus réduit et d’une approche bien plus réductrice que celle qu’elle a déployée. Christine Rendu, La montagne d’Enveig…, en particulier chapitres I et IX.

155 AD66, 9Bp746, article 19 et 20

156 AD66, 3E56/108, fo 64, article 9

157 AD66, 9Bp727, article 53

158 Par exemple, AD66, 9Bp746, article 11

159 Christine Rendu, La montagne d’Enveig… op. cit., p. 485-492

160 AD66, 11Bp946, criées de la vallée du Querol, article 6.

161 Dorres : AD66, 9Bp746, (1768), article 14 : « qu’il soit deffendu à qui que ce soit de faire descendre ses juments de la montagne pour dépiquer ses gerbes que toutes les juments des habitants ne descendent aussi avec le gardien à moins que quelqu’un fut pressé après quoy il sera obligé de les faire retourner à la montagne sous peine et ban de dix-huit sols pour chaque peine et contravention ».

162 Christine Rendu, La montagne d’Enveig… op. cit., p. 92 suiv.

163 Particulièrement à Dorres, Osséja et dans la vallée du Querol, AD66, 9Bp746, 3E56/108, 3E56/31

164 En particulier le préambule des criées de Dorres qui reprend, un siècle après, l’ordonnance de 1669 pour protéger sa forêt.

165 Jacques Delon, Essai sur la statistique du Département des Pyrénées-Orientales, publié sous le titre de Le Roussillon après la Révolution, 1801, BSALSPO, vol. 101, 1993, 267 p., p. 44-45.

166 Christine Rendu, La montagne d’Enveig… p. 362 suiv.

167 AD66, 3E56/108, fo 59 – 64 v., (1735), article 1.

168 AD66, 3E56/31, criées de Palau (17-06-1759)

169 AD66, 3E56/31, criées de Palau (17-06-1759), article 28. Faut-il y voir la conséquence des pratiques de compascuité, limitée aux terroirs et se déployant de clocher à clocher que Samuel Leturcq a mis en évidence à Toury (En Beauce du temps de Suger aux temps modernes. Microhistoire d’un territoire d’openfield, Thèse nouveau Régime (dir. Monique Bourin & Elisabeth Zadora-Rio, Université Paris I, 2001, 3 T., 488 p. ; 118 p. vol annex. ; p. 152-159) ? La taxation symétrique des troupeaux n’est-elle qu’une affaire de représailles, ou est-elle liée aux relations de compascuité acceptées ou refusées entre communautés voisines ?

170 Dorres : AD66, 9Bp746, (1768), article 34. Les criées d’Estavar conservées datent du XIXe siècle : celles de l’an IX sont conservées en AD66, 2Op1365, celles de 1809 sont en 60EDT1, ici c’est l’article 3 qui est utilisé : « Il est déffendu à tout habitant ou tenancier d’introduire aucune bette de laine qui ne lui soit propre ou que ne lui soit donnée en bail à cheptel sous prétexte de fiancer (sic) ses terres »

171 AD66, 9Bp727, articles 22, 24 et 30

172 AD66, 9Bp727, articles 22-23

173 Voir chapitre 3 et le capbreu de Llo, AD66, 3E56/421 (1755)

174 Marc Conesa, “Capbreu et paysage..”, art. cit.

175 AD66, 9Bp746, article 6

176 AD66, 1C2055

177 Félix Joël, Finances et politiques au siècle des Lumières. Le ministère l’Averdy, 1763-1768, Comité pour l’histoire économique et financière de la France, 1999, 559 p.

178 AD66, 1C2089-2090, lettre de 1784 à l’intendant

179 Roland Viader, L’Andorre du IXe au XIVe siècle… op. cit., p. 369 suiv. Olivier Codina, De fer et de laine…, p. 100 suiv.

180 En Forez, la côte d’imposition (l’allivrement) détermine le nombre de bestiaux à pacager de manière strictement proportionnelle : Jean Merlay, La Haute-Loire de la fin de l’Ancien Régime aux débuts de la troisième République (1766-1886), Le Puy, Archives Départementales, 1974, p. 357, cité par Jean-Marc Moriceau, Histoire et géographique de l’élevage… op. cit., p. 312

181 Michel Brunet, Les pouvoirs au village…, op. cit., p. 169

182 Monica Bosch, Rosa Congost, Pere Gifre, “Els bans. La lluita par l’individualisme agrari a Catalunya. Primeres hipòtesis (s. XVII-XIX), Rosa Congost ; Lluís To (éd.), Homes, masos, història, Barcelone, Publ. Abat Oliba, 1999, p. 303-304.

183 Voir en particulier François Menant & Jean-Pierre Jessenne (éd.), Les Elites rurales dans l’Europe médiévale et moderne, Actes des XXVIIe Journées Internationales de l’Abbaye de Flaran (sept. 2005), Toulouse, PUM, Flaran, no XXVII, 2007, 329 p.

184 Maurice Berthe, Le comté de Bigorre. Un milieu rural au bas moyen âge, Paris, SEV-PEN, « les hommes et la terre », no 15, 1976, 283 p., p. 99-102

185 Une cabane, un enclos, un pla… voir Christine Rendu, La montagne d’Enveig… p. 589.

186 Mélanie Le Couédic, “Les pratiques de l’espace pastoral dans la longue durée : modélisation de parcours de troupeaux dans la haute montagne pyrénéenne”, Réseau Thématique Pluridisciplinaire Modys, rencontre de doctorants, Lyon, 8-9 novembre 2006, publication en ligne, <http://isa.univ-tours.fr//modys/download/rd06_lecouedic.pdf>.

187 Sandra Ott, Le cercle des montagnes. Une communauté pastorale basque, 1981, trad. fr., Paris, CTHS, 1993, 268 p., p. 147 suiv.

188 AD66, 9Bp746, articles 16 à 18

189 AD66, 3E56/431, capbreu d’Egat de 1734, en particulier la reconnaissance du sieur Pierre Fabra, fo 25

190 Christine Rendu, La montagne d’Enveig… op. cit., p. 478 suiv.

191 Anastasia Avilés Benitez, “Gestion des ressources naturelles et viabilité des exploitations agricoles. Le cas de l’agriculture de dehesa en Andalousie”, Économie rurale, no 263, 2001, p. 48-62 ; Vincent Clément, “La forêt et les hommes de Castille au XIIIe siècle : l’exemple du territoire de Sepúlveda”, Mélanges de la Casa de Velázquez, T. XXX, no 1, p. 523-274, p. 271 ; Équipe de Recherches Pluridisciplinaires de la Casa de Velázquez, “Systèmes d’élevage et mise en valeur du milieu : études des dehesas de la sierra norte de Séville”, Mélanges de la Casa de Velázquez, T. XXII, 1986, p. 559-578, p. 563 ; Guy Lemeunier, “Concejos, Hermandades et Mesta. L’organisation de la dépaissance en Murcie au début de l’Époque Moderne”, Mélanges de la Casa de Velázquez, « Époque moderne », T. XXVIII, no 2, 1992, p. 175-186, p. 176-178 ;

192 Jacquette Combes, “Le debois de la boucherie à Roujan au XVIIIe siècle : dépaissance et terroir”, Anne Blanchard, Henri Michel, Elie Pélaquier (éd.), De l’herbe à la table : la viande dans la France méridionale à l’époque moderne, Actes du colloque de Montpellier (1993), Montpellier, Presses Universitaires de l’université Montpellier III-Paul-Valéry, 1994, p. 41-73

193 Juliette Dumasy, “Usages collectifs et territoires dans un pays d’habitat dispersé : Séverac-le-Château (Rouergue), de la fin du XIIIe au début du XVIe siècle”, Les espaces collectifs dans les campagnes, op. cit., p. 133-145

194 Henri Cavaillès, La vie pastorale et agricole dans les Pyrénées… op. cit., p. 102 et p. 106-108 ; voir aussi, Jean-François Le Nail ; Xavier Ravier, Vocabulaire médiéval des ressources naturelles en haute-Bigorre, Presses Universitaires de Perpignan – Universidad Pública de Navarra, 2010, 279 p., p. 70

195 Dorres : AD66, 9Bp746, (1768), article 23.

196 AD66, 9Bp727, articles 40 ; 45 à 51.

197 AD66, 9Bp727, article 46.

198 AD66, 9Bp727, articles 47-51.

199 AD66, 9Bp727, article 51.

200 Michel Brunet, Les pouvoirs au village… op. cit., p. 165-166.

201 Clara Arbuès, Els espais agraris feudals de muntanya. L’exemple de Músser (Bàrida), Memoria de recerca, Universitat Autonoma de Barcelone, 1998, p. 108-110.

202 AD66, 3E88/66, seigneur : couvent des clarisses de Puigcerdà.

203 André Soler et André Fabra

204 Michel Chevalier, La vie humaine dans les Pyrénées ariégeoises… op. cit., p. 273

205 AD66, 1C1501

206 Francis Brumont (éd.), Prés et pâtures en Europe occidentale, Actes des XXVIIIe Journées Internationales d’Histoire de l’Abbaye de Flaran (setp. 2006), Toulouse, PUM, Flaran, XXVIII, 2008, 292 p.

207 Marc Conesa, “Capbreu et paysages…”, art. cit.

208 Les prés sont des espaces cultivés (le terme apparaît chez plusieurs agronomes) qui nécessitent plusieurs opérations techniques : Olivier de Serres, Le Théâtre d’Agriculture et Mesnage des Champs d’Olivier de Serres seigneur du Pradel dans lequel est représenté tout ce qui est requis et nécessaire pour bien dresser, gouverner, enrichir et embellir la Maison Rustique, 1600, p. 261-270.

209 Une conversion, parmi d’autres, concerne ici un chemin : Capbreu de Llo, AD66, 3E56/421, fo 5r.

210 Une supplique de 1667 fait par exemple état « que en lo dit lloch de Estava estan los prats contigos a las Riberas las quals moltas vegadas per las grans inondations de aigua sen aporta aquelles y resta sen hierba » (AD66, 9Bp710, suplica del Magnifich Lluis Coder) ; en 1789 « notre terroir environné de deux rivières et une au milieu par les inondations causent des dommages irréparables (…) » : Etienne Frenay, Cahiers de doléances de la province de Roussillon (1789), Perpignan, 1979, p. 304.

211 A Estavar, l’incertaine ligne de partage des eaux et les risques d’inondation poussent aux conflits ouverts entre les villageois et la population du village voisin, l’enclave espagnole de Llivia : AD66, 60EDT13, registre de la commune d’Estavar, compte rendu du 21-5-1807.

212 Marc Conesa, “Des grains, des terres et des hommes…”, art. cit., p. 257-258

213 Olivier Passarrius et alii, Vilalta et son terroir dans la longue durée. Commune de Targasonne, Pyrénées-Orientales, Pôle archéologique Départemental, Conseil Général des Pyrénées-Orientales, CNRS-Laboratoire Framespa (UMR5136), DRAC Languedoc-Roussillon, SRA, 2009, 225 p..

214 AD66, 3T39 et 4EDT, 26EDT, 84EDT, 120EDT

215 Michel Cabouret, L’irrigation des prés de fauche en Europe occidentale, centrale et septentrionale. Essai de géographie historique, Paris, éd. Karthala, 1999, 319 p.

216 Par exemple, ACDC, pièce 21, 1816 : « Jo Francisco Soldevila dono facultat al Sr Joseph Fabra y per ell a sos arrendatoris o representant par aque pugan fer una paxera al capdevall de la mia closa dita las planas pera regar per ella las suas closas ab la conditio que deuran ferla y mantenirla corrent a sos gastos (...) ».

217 AD66, 1C1501, « Avant l’année 1700, ou environ l’on n’avoit point clos aucune propriété composant ces prairies communes mais du depuis les propriétaires de ces prairies en ont fait clore beaucoup (…) »

218 La mesure vise à réduire la vaine pâture et les droits de glanage comme contraires au progrès. Les motivations sont avant tout idéologiques.

219 Marc Bloch, “La lutte pour l’individualisme agraire dans la France du XVIIIe siècle”, Annales, no 7 & 8, 1930, p. 329-383 ; p. 511-556. : p. 363-377 ; Nadine Vivier, Propriété collective et identité communale. Les biens communaux en France. 1750-1914, Paris, Publications de la Sorbonne, 1998, 352 p. : p. 35 suiv. et particulièrement p. 39

220 Nadine Vivier, Propriété collective et identité communale…, p. 57-87.

221 Michel Brunet, “Droit de parcours et « enclosures » dans le Roussillon du XVIIIe siècle”, Annales du Midi, t. 107, no 210, 1995, p. 219-229, p. 225.

222 Idem, p. 227.

223 Nadine Vivier, Propriété collective et identité communale… op. cit., p., p. 38.

224 Michel Brunet, “Droit de parcours et « enclosures »…”, art. cit., 227-228.

225 AD66, 11Bp849, registres du greffe et des audiences des juridictions subalternes.

226 Daniel Faucher, “Le bocage pyrénéen”, Revue Géographique des Pyrénées et du Sud-Ouest, 1931, p. 362-365 ; Michel Chevalier, La vie humaine…, p. 209 suiv.

227 Jean-Marc Moriceau, Histoire et géographie de l’élevage… op. cit., p. 230 – 232 ; Marcel Lachiver, Dictionnaire du monde rural : les mots du passé, Paris, Le Seuil, 2006, p. 513 ; 734

228 AD66, 1C1501, Mémoire du viguier de Travy.

229 AD66, 3E88/12, fo 9 v. : Guillaume Cotxet de Llo envoie, le 8 octobre 1784, 125 cochons sur les pasquiers.

230 AD66, 1C1101 (1775)

231 AD66, 3E88/12, fo 3 r.

232 ACDC, liasse 52, 57-58, 62-63, 67-70, 73-74, 89, 157.

233 Octave Festy, L’enquête de l’an III sur les engrais, Paris, Commission de recherche et de publication des documents relatifs à la vie économique de la Révolution, 1941, 188 p.

234 i.e. compagnons, i.e. associés.

235 Olivier Codina, De fer et de laine…, op. cit., p. 157 suiv.

236 ACDC, no 74, location en 1815 du pacage des quatre Pilans à Urgell.

237 ACDC, no 73, acte de location en 1832 des « herbes y pastures aixis de hibern com de estiu dels termens de Vinaterra, Pastor, Curullada, propis de VS. Capitol de la Sta Iglesia Catedral de Lleyda ».

238 Ajuntament d’Artesa de Lérida, Llibre de propis del comú d’Artesa, 1730-1794 : cette source a été signalée par Josep Gallart à Oriol Mercadal du Museu Cerdà, qui l’a à son tour communiqué au Groupe de Recherches Archéologiques et Historiques de Cerdagne (GRAHC).

239 AD66, 3E1/6413.

240 Olivier Codina indique notamment que les pertes sont nombreuses (25 % des effectifs) chaque année et les dépenses importantes : De fer et de laine…, p. 160-166

241 Joan Peytaví Deixona, “Un ofici del temps passat. La temporada estiuenca d’un esquilador per la Catalunya del segle XIX”, Etudes Roussillonaises, tome XVIII, 2000-2001, p. 153-164.

242 Béatrice Palmero, Communautés, enjeux de pouvoir et maîtrise de l’espace pastoral aux confins du comté de Nice (Tende, La Brigue et Triora) à l’époque moderne. Une approche micro-historique : les Alpes de proximité, Thèse de doctorat, université de Provence-Aix-Marseille, 2005.

243 Béatrice Palmero utilise l’expression « d’alpages de proximité » pour désigner les territoires de pacage appropriés, de différentes façons par les communautés rurales : “Une juridiction niçoise sur le versant liguro-piémontais (1725-1735). Les Alpes de La Brigue et les enjeux des confins”, Provence historique, T. LIII, no 214, 2003, p. 493-517, p. 515-516

Table des illustrations

Titre Figure 17. Mise en espace et décomposition des parceries (baux à cheptel) : XIVe - XVIIIe s.
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Titre Figure 18. Origine des bovins expédiés aux pasquiers royaux de Querol (XVe - XVIIe s.) et du Barrès (XVIIIe s.)
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Titre Figure 19. Origine des ovins expédiés aux pasquiers royaux de Querol (XVe - XVIIe s.) et du Barrès (XVIIIe s.)
Légende Source : AD66, 11Bp818, 2C960, 3E88/12
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Titre Figure 20. Origine des équidés expédiés aux pasquiers royaux de Querol (XVe - XVIIe s.) et du Barrès (XVIIIe s.)
Légende Source : AD66, 11Bp818, 2C960, 3E88/12
URL http://books.openedition.org/pupvd/docannexe/image/6467/img-4.jpg
Fichier image/jpeg, 476k
Titre Figure 21. Les achats d'animaux par les boucheries de Puigcerdà
URL http://books.openedition.org/pupvd/docannexe/image/6467/img-5.jpg
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