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Eaux claires, eaux troubles dans le comtat Venaissin (XVIIe - XVIIIe siècles)

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Patrick Fournier

Première partie. Le prestige des eaux vives

Conclusion de la première partie

Texte intégral

  • 1 ACC, DD 21, Mémoire adressé au vice-légat pour le rétablissement des fontaines de Carpentras.

1En comtat, les XVIIe et XVIIIe siècles ne sont pas un âge d’eaux stagnantes. Certes, les besoins de l’agriculture et parfois de l’artisanat rendent les villes sales, mais ce n’est pas nouveau. Le réseau des Sorgues aménagé au Moyen Âge est entretenu. Partout où existent des sources et des résurgences, leur richesse est convoitée. La conquête d’une eau limpide et jaillissante reste l’idéal recherché par tous. Dans un mémoire rédigé en 1712 et consacré aux moyens d’améliorer l’alimentation en eau de Carpentras, un notable de la ville, Jean-François de Villeneuve, espère qu’«  on pourra en peu de temps faire cesser ces iustes et tristes lamentations de nos cytoiens qui corne des moribonds de la soif crient incessement a leau, a leau, il faut de leau, il la faut sans delay, il faut de leau quoy qu’il en coute »1. Or ce n’est pas d’eau que manquent les Carpentrassiens jusqu’au premier quart du XVIIIe siècle, mais d’une eau limpide, fraîche, jaillissant pour tous aux fontaines de la ville. Les moribonds de la soif ont soif d’une eau vive et pure, la seule qui confère la santé et la vie. Jean-François de Villeneuve, docteur en droit, membre de l’élite urbaine, accède au consulat en 1722. Il est aussi à la même date procureur général des Trois États du Comtat Venaissin. Il est sans aucun doute un bon observateur des attitudes populaires. Il transcrit dans un langage imagé non seulement les propos tenus, mais l’esprit qui les soustend. C’est quasiment une pensée magique qui s’exprime, la croyance dans les vertus de l’eau de source, indépendamment de toute analyse et de toute réflexion critiques. Peu importe pour le peuple que les eaux stagnantes des liogues à fumier entretiennent une pourriture permanente sur le sol de la ville. Eaux vives et eaux stagnantes ne sont pas pensées comme opposées mais comme complémentaires : les premières abreuvent les hommes tandis que les secondes nourrissent la terre, donc indirectement aussi les populations. Mais les eaux vives sont immédiatement régénératrices, vivifiantes, sans la médiation de la terre et de ses produits. Aussi sont-elles particulièrement valorisées. L’imagination des poètes et des sculpteurs en fait l’instrument d’une recréation permanente et démiurgique du monde sensible, du monde humain.

  • 2 M. Pinault, «  Chutes d’eau merveilleuses », L’eau, Corps écrit, n° 16, Paris, P.U.F., 1985, p. 71- (...)

2Au XVIIIe siècle, l’évolution des représentations et des pratiques modifie lentement les rapports à l’eau. L’esprit critique progresse ; l’eau devient souvent plus abondante dans les villes et les villages par la volonté conjointe des élites et du peuple, les premières manifestant de plus en plus fréquemment leur sollicitude envers les masses par la création ou la rénovation de réseaux et de fontaines. L’eau vive est exaltée avec une insistance grandissante. Les « chutes d’eau merveilleuses » constituent un thème récurent dans la littérature et dans l’art de la seconde moitié du XVIIIe siècle2. Celles de Vaucluse sont presque aussi célèbres que la cataracte du Rhin au château de Laussen à Schaffausen, ou que les nombreuses cascades du massif du Saint-Gothard.

3Après 1770, l’exégèse littéraire et l’esprit scientifique progressent, malgré d’inévitables tâtonnements. La première conduit à redécouvrir la Fontaine de Vaucluse par une expérience directe sensée faciliter la compréhension des émotions poétiques qu’avait ressenties Pétrarque ; le second incite à l’exploration des profondeurs du sol, à la réflexion sur les effets médicaux des miasmes qui émanent des eaux stagnantes, et à l’analyse des eaux dont les secrets chimiques sont enfin percés. Le mythe de l’assainissement des eaux par le mouvement amorce son déclin. Certes, il semble triompher dans les textes médicaux qui continuent à opposer eaux vives et eaux stagnantes. En réalité, les appréciations portées par les médecins sur la qualité des eaux et sur leurs effets sont de plus en plus diverses et sont souvent contradictoires. Les hypothèses se multiplient. En fait, même dans les périodes antérieures, la fascination pour les eaux vives, toujours dominante, n’empêcha jamais l’expérience d’inciter les populations du Comtat, et sans doute d’ailleurs, à la prudence.

Notes

1 ACC, DD 21, Mémoire adressé au vice-légat pour le rétablissement des fontaines de Carpentras.

2 M. Pinault, «  Chutes d’eau merveilleuses », L’eau, Corps écrit, n° 16, Paris, P.U.F., 1985, p. 71-79.

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