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La commune de 1871 : utopie ou modernité ?

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Gilbert Larguier
, 
Jérôme Quaretti

Discussion

Discussion

Texte intégral

1M. Agulhon : (sur la conclusion de la communication de Joël Delhom). J’ai un peu peur mon cher ami si vous me permettez d’anticiper sur la discussion qu’il y a eu quand même plus de mythe et moins d’histoire dans les quartiers déshérités que dans les amphis des universités...

2R. Huard : Je poserai une question à Pierre Boisseau. Précisément, à quelle période historique se réfère L’histoire populaire et parlementaire de la Commune d’Arthur Arnould que vous avez citée ?

3P. Boisseau : Elle commence à partir du 4 septembre et elle se termine à la dernière séance de la Commune. Ensuite, il y a une conclusion où il mène aussi une réflexion sur les problèmes d’État, d’utilité de la Commune, etc.

  • 1  Nous restituons ici une remarque faite par J.M. Schiappa au sujet de la communication de Pierre Bo (...)

4J.-M. Schiappa1 : J’interviendrai sur la communication de Pierre Boisseau. Sur ce qu’écrit Lénine sur l’État dans L’État et la Révolution et surtout dans les derniers textes de 1922-1923, je ne pense pas qu’il y a grande référence, loin s’en faut, à l’État hégélien. Il utilise un moment la formule suivante « l’État ouvrier qui est un État bourgeois sans bourgeoisie » (reprenant un petit peu la formulation de Rosa Luxemburg « L’État capitaliste sur sa tête »). Lénine dit que cet État serait « un État qu’une cuisinière puisse administrer ». On est bien loin de l’État hégélien. C’est une parenthèse, mais quel a été le point de départ, pas dans les textes, mais dans les faits, du début de processus de dégénérescence de l’Union Soviétique ? Incontestablement quand la leçon, la pratique, le fait de la révocabilité des élus – héritage s’il en est de la Commune – a été abandonné. Alors bien évidemment, comme nous avons tous étudié cela, il est très facile, ici, un après-midi, quasiment sous le soleil, d’en parler relativement sereinement. L’abandon dans les faits de la révocabilité des élus est lié aussi à un contexte historique bien précis de guerre civile, de guerre étrangère, d’invasion, etc. Donc là-dessus il faut être modéré, mais en même temps il faut situer tous ces termes.

  • 2  Voir la communication de P. Boisseau dans le 1er thème.

5P. Boisseau : En fait, durant mon intervention, à aller vite, je me suis mal fait comprendre. Je n’ai pas dit que Lénine avait organisé l’État hégélien, j’ai dit qu’il laissait en suspens une période transitoire où il restait des antagonismes de classe qui, dans les faits, ouvraient des possibles (pour reprendre un terme utilisé ce matin2). Et ces possibles ont débouché, non pas sur le fait de briser préalablement la machine bureaucratique et militaire, mais dans une large mesure de l’utiliser voire de la renforcer. Donc, on est arrivé non pas à briser une machine bureaucratique et militaire, mais à chercher à l’utiliser à des fins révolutionnaires. Cela a mis en cause l’idée même de souveraineté populaire parce que finalement, il y a eu un mandat représentatif, non pas au nom de la Nation, mais au nom de la Révolution. Mais c’est toujours le problème de la mise en cause des principes comme en 1793, par exemple.

6R. Huard : Est-ce que-la participation impressionnante de la franc-maçonnerie provient du fait qu’ils sont maçons ou parce que la maçonnerie à l’époque servait en quelque sorte d’abri ? C’était un lieu où l’on pouvait entrer et où par conséquent se retrouvaient des tas de gens y compris des gens très avancés comme vous l’avez montré qui n’avaient pas au fond d’autre endroit où aller, où s’organiser. Je me pose cette question parce qu’effectivement, l’intense investissement des maçons dans la Commune contraste – comme l’a bien montré André Combes – avec postérieurement une certaine indifférence, puisque l’on n’en parle plus par la suite. En outre, cela n’a pas créé de tradition.

7A. Combes : Vous avez raison, la défaite de la Commune a privé la franc-maçonnerie parisienne, et même en province, de son aile la plus révolutionnaire. Ensuite, le souci majeur a été la défense de la République et la bataille laïque. Il faudra attendre les élections de 1893 et la remontée du mouvement socialiste pour voir à nouveau dans la franc-maçonnerie une mouvance socialiste qui devienne très importante. Tandis qu’entre 1871 et 1893 c’est la mouvance radicale qui prédomine.

  • 3  OURS : Office Universitaire de Recherches Socialistes.

8R. Huard : Je souhaiterais poser une autre question à M. Lefèvre. Avez-vous noté en 1948 un phénomène de concurrence entre le centenaire de 1848 et la Commune dans les publications, par exemple, de l’OURS3 ? Parce qu’il me semble que lorsque l’on étudie les commémorations, on trouve des phénomènes de concurrence pour certaines années. Je pense notamment aux anniversaires de 1936 ou de 1917... Ces phénomènes joueraient-ils en défaveur de la Commune ?

9D. Lefèvre : Je crois qu’il n’y a pas de concurrence parce qu’en 1948 on voit qu’au niveau de la production intellectuelle de la SFIO il n’y a qu’un ou deux numéros spéciaux, si mes souvenirs sont bons, de la Revue Socialiste sur l’anniversaire de 1848, mais pas de manifestation populaire. Par contre, il n’y a pas d’écrits sur 1871 en 1948, mais manifestation. Et ces deux dates ne se placent pas sur le même niveau.

10En 1971, on retrouve cela entre le centenaire de la Commune et les 35 ans du Front populaire. Une publication qui s’appelle Les vétérans socialistes qui est une publication pour les anciens du parti socialiste, ne consacre en 1971 aucun article au centenaire de la Commune et un numéro complet à 1936. Cette dernière date correspond à sa génération alors que depuis sa création en 1949, son « fonds de commerce » c’était la Commune de Paris !

11G. Ferré, historien : Je m’adresserai à M. Combes. Je voudrais savoir comment les loges maçonniques de province ont appréhendé la Commune avant et après l’événement. Je sais par exemple que Louise Michel, maçonne, a visité des loges de l’Aude et en particulier celle de la Libre-Pensée à Narbonne. En a-t-il été pareil dans d’autres ateliers maçonniques ?

12A. Combes : Sur le moment, la franc-maçonnerie de province est majoritairement neutraliste et radicale. Elle n’est ni pour Versailles, ni pour la Commune. Elle essaie d’avoir une position conciliatrice. Quant à Louise Michel, elle n’entre en franc-maçonnerie qu’en 1904. Donc tout à fait à un autre moment. À cette époque, la Commune est devenue une célébration.

13J. Harriot : Je voudrais revenir sur le point soulevé par M. Delhom lors de sa conclusion. On se rend compte qu’actuellement les idéaux de la Commune basés sur la souveraineté du peuple deviennent plus un terme de réflexion scientifique qu’une revendication politique. On a pu voir cela lors du mouvement de décembre 1995. Alors, est-ce que les idéaux de la Commune se retrouvent encore actuellement dans les formations qui existent ?

  • 4  Les sciences politiques et le droit constitutionnel.

14P. Boisseau : En ce qui concerne mon champ d’investigation4, il est certain qu’en terme institutionnel et d’organisation du pouvoir, il y a une mise en cause de la tradition du mouvement ouvrier qui s’est opérée, par exemple, par l’acceptation du cadre institutionnel de la Ve République. En termes concrets, et pour ne prendre que cet exemple, le parti communiste ne cherche plus à remplacer, mais cherche à aménager la Ve République avec quelques propositions de réformes sur le mandat, etc. Mais, même participer à l’élection du président, par une sorte de plébiscite, c’est déjà légitimer le système. En outre, il y a acceptation de la puissance de l’exécutif, etc. Enfin, beaucoup de choses qui n’ont absolument plus rien à voir en termes institutionnels, ni avec la tradition du mouvement ouvrier, ni avec la Commune de Paris...

15C. Schagen : Je suis enseignante de langue et de civilisation française à Amsterdam. C’est pour cette raison que je suis peut-être incapable de partager votre mémoire collective et votre conscience historique. Actuellement en Hollande, on ne parle pas ou très peu de la Commune de Paris. Il y a pas mal de travaux sur la Révolution française mais il n’y en a plus tellement – ou pas du tout – sur la Commune de Paris. Sauf dans quelques groupes anarchistes. Par exemple, Jules Vallès a été traduit par l’un de mes anciens collègues en hollandais. C’est pour cette raison que je suis peut-être mal placée pour réfléchir sur la Commune. Pourtant j’ai entrepris de travailler sur les interprétations et les représentations de la Commune de Paris. Prochainement d’ailleurs, je dirigerai un séminaire sur ce sujet. Vous comprendrez donc que j’ai quelques remarques à faire ainsi que quelques questions à poser.

  • 5  cf la Commune de 1871, actes du colloque de Paris (mai 1971), les éditions ouvrières, Paris, 1972, (...)

16Malgré les quelques remarques de tout à l’heure sur les manifestations de novembre et de décembre 1995 et les quartiers déshérités, j’ai un peu l’impression que les recherches sur les interprétations et les représentations de la Commune de Paris ont stagné depuis 1971. Il me semble que des suggestions qui ont été faites par Georges Haupt lors du congrès de 19715 n’ont pas encore été suffisamment étudiées ni exploitées.

17Je souhaiterais également poser une question précise. Dans quelle mesure l’effondrement de l’Union Soviétique a influencé la réflexion sur la Commune et sur la pensée révolutionnaire en France ?

  • 6  Cette question est évoquée dans le dernier débat.
  • 7  Robert TOMBS, La guerre contre Paris 1871, Paris, éd. Aubier, 1997.

18M. Agulhon : Sur cette dernière question, je pense qu’il est peut-être un peu trop tard pour engager la discussion6. Je retiens de ce que vous avez dit une allusion au travail sur la Commune à l’étranger. Il n’est pas nul et cela me donne l’occasion de citer un historien anglais qui s’est occupé récemment de la Commune et dont l’ouvrage va être traduit incessamment en français. C’est celui de Robert Tombs sur l’Armée versaillaise qui n’est pas – je vous rassure tout de suite – un ouvrage versaillais7. Donc, le travail continue et il continuera comme tout continue en histoire...

19Comme il est maintenant fort tard, je n’ai plus qu’à me donner la parole à moi-même pour acheminer vers la fin si vous me permettez ces deux mots.

20Nous avons vu deux choses. La Commune est tout d’abord un témoin de la complexité extrême de l’histoire de France au XIXe siècle. C’est un vrai nœud de problèmes : Nation – République – Lutte de classes. D’où la richesse des débats d’interprétation. Et puis nous avons vu aussi, il faudrait être sourd pour ne pas s’en être aperçu, que cette lutte de masse socialement très typée et dramatiquement conclue gardait par là même une place dans la mémoire, la culture et la sensibilité de ce qu’il est convenu d’appeler le mouvement ouvrier. Et peut-être sans le chercher, votre colloque a montré la coexistence – je dis bien la coexistence – et j’ajouterai presque pacifique entre ces deux aspects des choses et ces deux problématiques. Car s’il y a bien ces deux aspects de la réalité Commune et ces deux façons de l’étudier, le fait est que cela n’a pas donné lieu à deux catégories d’interventions bien tranchées, mais à des interventions dans lesquelles la composante réflexive érudite et la composante politique affective étaient toujours présentes. Seulement, celles-ci étaient simplement dosées de façon diverse et de façon inégale. C’est sans doute pour cela que la courtoisie et le dialogue ont été possibles ; ce dont il faut nous féliciter pour aujourd’hui et continuer pour demain. Je vous remercie.

Notes

1  Nous restituons ici une remarque faite par J.M. Schiappa au sujet de la communication de Pierre Boisseau lors de sa propre communication. Cette remarque est donc insérée pour rendre compréhensible la réponse faite par Pierre Boisseau lors du débat.

2  Voir la communication de P. Boisseau dans le 1er thème.

3  OURS : Office Universitaire de Recherches Socialistes.

4  Les sciences politiques et le droit constitutionnel.

5  cf la Commune de 1871, actes du colloque de Paris (mai 1971), les éditions ouvrières, Paris, 1972, p. 205-226.

6  Cette question est évoquée dans le dernier débat.

7  Robert TOMBS, La guerre contre Paris 1871, Paris, éd. Aubier, 1997.

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