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Réalités et représentations de la violence en postcolonies

 | 
Victorien Lavou Zoungbo
, 
Jean-Godefroy Bidima

III. Violences : entre éthiques et justices

Église catholique et dictature au XXe siècle. Allemagne et Argentine en perspective comparée

Jean-Yves Paraïso

Note de l’auteur

Pour les échanges, les informations et la documentation sur l’Argentine, je voudrais remercier sincèrement Ana Patricia W., chercheure germano-argentine à la Deutsche Forschungsgemeinschaft. Elle est la preuve vivante que l’amitié vraie, dénuée d’opportunisme, de cynisme froid et de calcul, existe encore !

Texte intégral

  • 1 Cf. Terray, Emmanuel. Réflexions sur la violence symbolique, in Jean Lojkine (éd.), Les sociologies (...)

1Les manifestations de la violence sont protéiformes. Toutes les violences sont aliénantes et la violence la plus brutale ne se trouve pas forcément là où il y a du sang, des assassinats, des camps de concentration ou de la torture. La violence peut prendre des formes plus pernicieuses. Il y a notamment ce que Bourdieu appelle des violences symboliques qui sont d’autant plus insidieuses qu’elles sont dissimulées, masquées, enrobées et, donc, oubliées. Cette dissimulation leur confère une efficacité spécifique plus grande sans pour autant leur ôter leur caractère irréductible de violence. La violence symbolique se passe certes de la force brutale, mais elle n’en est pas moins violence, au sens le plus strict du terme. En son fondement, cette violence symbolique est et demeure violence physique1.

2Il ne s’agit point de sous-estimer la violence dans sa dimension symbolique. Toutefois, le présent article se limite au phénomène de la violence telle qu’elle se manifeste dans les dictatures, cette forme de gouvernement par la terreur et la quasi-militarisation de la société. On peut ainsi examiner comment la quête du pouvoir et la violence peuvent alimenter en permanence l’ambiguïté entre valeurs (chrétiennes) et faits. Dans deux pays chrétiens, l’Allemagne des années 1933-1945 et l’Argentine des années 1976-1983, la dictature a trouvé une expression concrète dans le mépris de la vie, l’humiliation des personnes et la violation systématique des droits humains les plus élémentaires et ce, – il s’agira de le vérifier dans le présent article – avec le soutien silencieux et/ou explicite de l’Église catholique romaine. L’Église catholique romaine en tant qu’instance morale a-t-elle pu, à l’encontre des principes qu’elle défend, servir de légitimation à la violence et à la répression ?

I. ALLEMAGNE 1933-1945 : LES FAITS

3Il a fallu opérer un choix pour déterminer les événements les plus importants qui à partir du 30 janvier 1933 ou, plus exactement, du 5 mars 1933, ont marqué l’histoire de l’Allemagne. Tout choix implique une certaine dose de subjectivité. Les faits présentés ci-dessous présentent en tout cas le double avantage de mettre en évidence la barbarie et la violence inouïe de la dictature hitlérienne et, d’autre part, de pouvoir examiner le rôle de l’Église catholique allemande dans une telle configuration politique et historique exceptionnelle.

La nuit des longs couteaux 1934 - L’exécution de Röhm

  • 2 La loi est votée par 444 voix contre 94, celles des députés, encore en liberté, du parti social-dém (...)

4L’année 1933 représente une véritable césure dans le rapport de l’Église catholique allemande au national-socialisme qui, jusque-là, avait fait l’objet de condamnations répétées et explicites de sa part. Lors des élections anticipées du 5 mars 1933, et malgré la terreur qu’elle fait régner, la coalition soutenant Hitler n’obtient que 52 % des voix, dont 44 % pour le parti nazi (NSDAP). Hitler veut se débarrasser de ce Parlement qui ne lui laisse pas les coudées franches. Il souhaite donc que lui soient accordés les pleins pouvoirs (Ermächtigungsgesetz) pour quatre ans. Mais il lui faut pour cela obtenir une majorité des 2/3 au Reichstag. En stratège habile et rusé, il feint de faire des concessions à l’Église catholique qui exerce une forte influence sur le Parti du Centre (le parti catholique). Il fait miroiter la possibilité de signer avec le Vatican un Concordat qui octroierait à l’Église de très nombreux privilèges. Le résultat ne se fait pas attendre : dans un discours mémorable prononcé en mars 1933 lors d’une manifestation, le président de la Conférence des Évêques, le cardinal Adolf Bertram, évêque de Breslau, estime que le temps est venu pour l’Église catholique allemande d’atténuer ses réserves et de montrer une attitude de bienveillance à l’égard du pouvoir nazi. Résultat immédiat : il obtient la majorité requise des 2/3 en circonvenant les députés du Parti (catholique) du Centre2 et la loi d’exception est adoptée (23/24 mars 1933). Hitler est parvenu à ses fins et il pourra, en toute légalité et impunité, faire usage de la brutalité la plus bestiale pour mettre au pas l’ensemble du corps social. Désormais, l’Église catholique qui, à travers le Parti du Centre, a accordé indirectement les pleins pouvoirs à Hitler, ne parle plus que de simples débordements quand des hordes nazies commettent impunément des violences inouïes, y compris sur des prêtres et laïcs catholiques.

5C’est dans ce contexte qu’intervient ce que l’on a appelé la nuit des longs couteaux, dont la principale victime est Ernst Röhm (1887-1934), vieux compagnon de route de Hitler et chef des Sections d’assaut (SA). Ernst Röhm a réussi à faire des SA une puissante organisation paramilitaire, qui multiplie les manœuvres d’intimidation vis-à-vis des opposants au nazisme. Mais il ne se satisfait pas de la simple accession de Hitler à la chancellerie en 1933. Il souhaite que la révolution sociale vienne parachever la révolution politique. Dans les Nationalsozialistische Monatshefte, Ernst Röhm avait écrit en juin 1933 : « Le moment est venu pour la révolution nationale d’aller jusqu’à son terme en devenant une révolution nationale-socialiste. Les SA et les SS ne permettront pas qu’elle soit trahie à mi-chemin ». Röhm qui déteste la bourgeoisie, en appelle à une seconde révolution, dirigée cette fois non plus contre la gauche, mais contre la droite conservatrice et le capitalisme. Hitler ne partage pas un tel point de vue. Il propose certes comme tâche principale « d’éliminer les derniers vestiges de la démocratie », mais pour lui, à l’automne 1933, la révolution est terminée. Il faut passer à une phase nouvelle, celle de « l’évolution ». Autre divergence majeure : Röhm réclame la création d’une armée révolutionnaire où les officiers de la Reichswehr seraient subordonnés aux chefs SA. Il veut faire des SA une milice nationale, qui serait chargée de l’éducation paramilitaire de la nation toute entière. Ces plans contredisent ceux de la Reichswehr, pour qui les SA doivent constituer une sorte de réserve où elle puise éventuellement hommes et cadres, elle-même conservant la direction des opérations et le contrôle du réarmement.

  • 3 Au lendemain de ces massacres, le juriste Carl Schmitt, qui continue de bénéficier d’une haute esti (...)
  • 4 Cf. Jean-Marie Argelès et Gilbert Badia, Histoire de l’Allemagne contemporaine. Weimar/IIIe Reich, (...)

6Hitler tente de neutraliser Röhm en le nommant ministre d’État le 1er décembre 1933. Mais les officiers supérieurs de la Reichswehr, le Président von Hindenburg, von Papen ainsi que des dirigeants nazis comme Goering, Himmler, Heydrich et Rosenberg poussent Hitler à se débarrasser de Röhm en lui faisant croire qu’un complot des SA est en préparation. Le 30 juin 1934, au petit matin, Röhm est arrêté avec plusieurs autres dirigeants SA, homosexuels comme lui. Le 1er juillet, sans procès ni jugement3, il est exécuté dans sa cellule, à Munich. Tous les autres chefs SA subissent le même sort. Le soir même, Goebbels invoque un vaste complot ourdi par Röhm pour justifier les assassinats. L’homosexualité de Röhm qui n’était nullement ignorée est promue au rang de crime. En fait, il s’agit d’un vaste règlement de comptes. Hitler en profite pour satisfaire d’autres désirs anciens de vengeance : l’ancien chancelier, le général von Schleicher, son épouse et son collaborateur, le général von Bredow sont abattus chez eux. Georg Strasser, qui croit pouvoir animer une aile gauche socialiste à l’intérieur de la NSDAP, est exécuté. Il fait également massacrer des opposants qui ne sont liés ni de près ni de loin à Röhm et aux SA. À Munich, un certain Schmidt, critique musical, est pris pour un homonyme, chef local des SA et exécuté4.

7Hitler qui a bénéficié des voix du parti catholique pour faire adopter la loi sur les pleins pouvoirs ne s’embarrasse point de s’attaquer à des personnalités catholiques gênantes. Sont ainsi liquidés Erich Klausener, dirigeant de l’Action catholique du diocèse de Berlin, Fritz Michael Gerlich, le rédacteur en chef de Der Gerade Weg, revue catholique critique envers le régime, Adalbert Probst, dirigeant d’un mouvement de jeunesse catholique. Ce sont au total plusieurs centaines de personnes qui seront froidement abattues. Désormais, la violence, pratiquée ouvertement ou de manière latente, devient le moyen par excellence pour conquérir et monopoliser le pouvoir, pour imposer la mise au pas de l’ensemble du corps social.

  • 5 Deux évêques protestèrent, mais à titre personnel : l’évêque de Berlin, Nikolaus Bares ainsi que l’ (...)

8En dépit de toutes ces évidences, il n’y eut, de la part de l’épiscopat catholique5, aucune réprobation devant autant d’assassinats commis avec autant de froideur. Dans le cas des dirigeants SA, on a pu invoquer la brutalité de la milice paramilitaire pour trouver une justification au silence de l’épiscopat allemand. C’est aux SA qu’était dévolue l’organisation de la terreur visant à éliminer tous les irréductibles. On imagine par ailleurs l’horreur que suscite aux prélats l’homosexualité de Röhm. Dans le Catéchisme de l’Église catholique datant de 1992, voici ce que l’on peut lire : « les actes d’homosexualité se présentent comme des dépravations graves », « intrinsèquement désordonnées », « contraires à la loi naturelle ». On peut émettre l’hypothèse qu’en raison de l’homosexualité assumée de Röhm, chef des SA, les hauts dignitaires de l’Église aient pu être conduits à détourner le regard. Mais comment expliquer leur silence devant les assassinats crapuleux de personnalités catholiques bien en vue ?

La persécution des Juifs6

  • 6 Cf. Michael Kißener, Die deutschen katholischen Bischöfe und die Juden. Perspektiven auf ein umstri (...)
  • 7 Les lois raciales de Nuremberg comportaient deux volets. La loi sur la « citoyenneté allemande » di (...)
  • 8 C’est l’assassinat du diplomate allemand von Rath par un Juif polonais, Herschel Grynspan, qui sert (...)

9D’un point de vue strictement factuel, l’absence de réprobation des évêques allemands devant ces actes de violence communique, d’une certaine façon, avec le silence qu’ils observent face aux discriminations croissantes, aux persécutions et à l’extermination dont les Juifs font l’objet. C’est le 1er avril 1933 que commence officiellement le « boycott des Juifs ». De nombreuses démarches vont être entreprises afin d’obtenir une intervention de l’épiscopat allemand en faveur des Juifs. Le président de la Conférence des Évêques, le cardinal Adolf Bertram, évêque de Breslau, se tourne vers les autres évêques pour solliciter leur avis. L’archevêque de Freiburg, Conrad Gröber approuve le projet. En revanche, l’archevêque de Munich, le cardinal Michael von Faulhaber, poids lourd de la Conférence des évêques, y oppose un refus catégorique et ce, alors même qu’il est convaincu du caractère antichrétien des mesures discriminatoires à l’égard des Juifs. On observera le même silence coupable de l’épiscopat allemand lors de la promulgation, en 1935, des lois de raciales de Nuremberg7, et après la « Nuit de Cristal » du 9 au 10 novembre 19388, qui coûta la vie à une centaine de Juifs, tandis que des synagogues étaient brulées et que des magasins tenus par des Juifs étaient pillés. Même l’envoi à la mort de millions de Juifs dans les camps de concentration de l’Est pendant la Seconde Guerre mondiale ne conduit pas l’épiscopat allemand à des condamnations publiques explicites de la violence et des crimes ainsi perpétrés.

  • 9 Cf. Ulrich von Hehl, « Die Kirchen in der NS-Diktatur ». Zwischen Anpassung, Selbstbehauptung und W (...)

10On trouve dans la littérature des tentatives d’explication de ce comportement si peu chrétien de l’épiscopat allemand. Ce dernier n’aurait pas eu conscience, dans un premier temps, de l’ampleur de la campagne de répression menée par le régime nazi. D’autre part, l’Église catholique elle-même aurait été soumise à des intimidations et des violences qui rendaient impossible toute intervention en faveur des Juifs. Dans de telles conditions, toute démarche publique eût contribué uniquement à aggraver leur sort9.

11Visiblement, ce type d’explication fait l’impasse sur l’essentiel, à savoir que le silence coupable de l’épiscopat allemand devant le martyre des Juifs a des causes beaucoup plus profondes. Pour l’exprimer sans euphémisme aucun, ce silence et cette indifférence tiennent principalement à l’antijudaïsme séculaire prégnant dans le code génétique du catholicisme. Dans les tréfonds de l’imaginaire catholique, les Juifs restent le peuple déicide, responsable de la crucifixion du Christ. Poussé à l’extrême, autrement dit jusqu’à l’antisémitisme, cet antijudaïsme a pu créer une communauté d’intérêt manifeste entre le régime nazi et l’Église catholique allemande en tant qu’institution.

La Seconde Guerre mondiale

12Quand la Seconde Guerre mondiale est déclenchée, les meurtres et les violations des droits humains les plus élémentaires ont pris une telle ampleur qu’il apparaît inconcevable que l’épiscopat allemand puisse se réfugier encore derrière l’argument de l’ignorance de la réalité du régime nazi. Des prêtres, des laïcs et même quelques évêques avaient été victimes de l’arbitraire du pouvoir hitlérien. Certes, contrairement à 1914, les soldats de la Reichswehr n’ont pas eu droit à la bénédiction et à des messes concélébrées par le très haut clergé, mais lorsqu’en 1941, un front est ouvert contre la Russie bolcheviste, présentée comme ennemie de la chrétienté, il se trouve quelques évêques allemands pour acclamer la guerre meurtrière menée par Hitler. Mais, d’une manière plus générale, évêques et prêtres suggéraient que la guerre devait être interprétée comme une mise à l’épreuve des êtres humains par Dieu pour divers manquements graves. Un tel raisonnement ne pouvait que convenir au régime nazi si bien qu’il faut bien se demander si cela ne revenait pas in fine à une absolution pure et simple des pires atrocités perpétrées par le régime national-socialiste.

II. ALLEMAGNE : ESSAI D’EXPLICATION

  • 10 Hubert Gruber, Katholische Kirche und Nationalsozialismus 1930-1945. Ein Bericht in Quellen, Paderb (...)

13Jusqu’en 1933, l’Église catholique allemande adopte, comme déjà indiqué, une attitude univoque de rejet de l’idéologie nationale-socialiste considérée comme une hérésie à laquelle aucun catholique ne doit succomber. La raison de ce rejet n’est pas politique, mais religieuse : le culte nazi de la race et de la violence, la violation manifeste des droits et des libertés constituaient, pour l’épiscopat allemand, autant de raisons de décréter dans de nombreux documents officiels une incompatibilité totale entre doctrine catholique et appartenance au parti nazi10.

  • 11 Ibid., p. 40.
  • 12 Lettre de saint Paul Apôtre aux Romains, chapitre 13, 1-5 : 1-Que chacun soit soumis aux autorités (...)

14La césure va intervenir avec la déclaration fameuse des évêques allemands du 28 mars 1933 dans laquelle les plus hauts dignitaires de l’Église catholique allemande, sans infirmer la « condamnation de certaines erreurs éthiques et religieuses » du national-socialisme, décrètent toutefois que les « interdictions et mises en gardes » précédentes étaient désormais sans objet11. La légitimité du nouveau gouvernement ne fut plus remise en cause dans sa qualité d’« autorité légitime » dans l’esprit de la lettre de saint Paul Apôtre aux Romains 13,1-5. Cette dernière en appelle en effet à la soumission aux autorités établies en tant qu’elles sont sous la dépendance de Dieu. Toute rébellion contre l’autorité légitime revient à se dresser contre l’ordre des choses établi par Dieu et on attire sur soi le jugement12.

  • 13 Cité par Gilbert Badia, Ces Allemands qui ont affronté Hitler, Paris, Éditions de l’Atelier, 2000, (...)
  • 14 Cf. Heinz Hürten, Das katholische Episkopat nach dem Reichskonkordat, in Günther Heydemann und Loth (...)

15Comment expliquer un revirement aussi brutal de la part de l’épiscopat allemand ? Le Vatican a joué un rôle non négligeable dans cet aggiornamento. Revenant de Rome, le cardinal Michael von Faulhaber, archevêque de Munich, avait informé la Conférence des évêques allemands des déclarations du pape Pie XI devant le consistoire, le 13 mars 1933 : « le Saint-Père avait publiquement félicité Hitler de sa prise de position contre le communisme »13. Le « preneur de rats » Hitler comprend alors le bénéfice qu’il peut tirer de ces bonnes dispositions du Vatican à son égard. Il se montre alors conciliant à l’égard de l’Église : dans sa première déclaration gouvernementale du 23 mars 1933, Hitler impute tous les maux de l’Allemagne à la République de Weimar qu’il sait abhorrée et honnie par l’Église catholique. Il s’engage par ailleurs à faire du christianisme « la base de notre morale, de la famille, la cellule première de notre peuple » et à entretenir avec le Saint-Siège des relations empreintes d’amitié et de respect. Il reconnait l’inviolabilité de la doctrine catholique et des droits de l’Église. Condamnant le matérialisme, le bolchevisme et le libéralisme, Hitler promet de « promouvoir le renouveau du peuple allemand au plan spirituel et moral ». Désormais, tout comme le Saint-Siège, la frange la plus conservatrice des prélats allemands voit dans Hitler le rempart le plus sûr face au bolchevisme, au spectre d’une révolution communiste et aux dangers de toutes sortes. Le 8 juin 1933, les évêques allemands publient une lettre pastorale qui vaut reconnaissance pleine et inconditionnelle du nouveau régime. La lettre pastorale fait en effet état de l’existence de concordances entre la « pensée nouvelle », c’est-à-dire l’idéologie nationale-socialiste et la doctrine de l’Église. L’habile tacticien Hitler comprend alors que le moment est propice pour proposer la signature d’un concordat tant espéré par le Vatican et les autorités ecclésiastiques allemandes. Le 20 juillet 1933 intervient la signature du concordat (Reichskonkordat). Pour la première fois, le Vatican, par ailleurs haute instance morale dans le concert des nations, reconnaissait officiellement le régime nazi sur la scène internationale, apportant ainsi une caution morale chrétienne à un régime de non-droit. Cela constitue un succès indéniable pour Hitler. Quels bénéfices l’Église catholique allemande tire-t-elle du Concordat ? Il consacre les droits du Saint-Siège comme pouvoir spirituel sur l’ensemble des catholiques allemands, reconnaît la liberté de foi, la liberté de communication entre la curie et les évêques, la place de l’enseignement religieux dans les écoles publiques, le rôle des écoles catholiques. Toutefois, l’article 14 du Concordat donne au gouvernement un droit de veto sur la nomination des évêques, par ailleurs astreints à un serment de fidélité au régime nazi. Surtout, le Concordat n’offre aucune garantie concrète face à un pouvoir nazi dont la nature foncièrement antichrétienne n’était pas méconnue par le Vatican et l’Église catholique allemande14.

  • 15 Il est indéniable que cette Constitution de la première République démocratique sur le sol allemand (...)

16Dans ces conditions, on est en droit de se poser la question de savoir en quoi ce Concordat, d’un point de vue qualitatif, va plus loin que les droits qui avaient été déjà octroyés à l’Église catholique allemande par la Constitution de Weimar. En 1918, dans le contexte de la défaite, une révolution éclate dans le Reich qui aboutit à la naissance du premier État démocratique sur le sol allemand, la République de Weimar (1918-1933). La Constitution démocratique qui est promulguée le 11 août 191915, sous un gouvernement à majorité sociale-démocrate, respecte toutes les sensibilités et notamment les intérêts de l’Église. Joseph Rovan souligne combien la Constitution du 11 août 1919 fait droit aux revendications essentielles formulées par les catholiques depuis plus d’un siècle, à savoir la liberté du culte et de l’enseignement ainsi que le respect de la parité totale :

  • 16 Joseph Rovan, Le catholicisme politique en Allemagne, Paris, Seuil, 1956, p. 191-192.

Le rêve de Görres, de Windthorst et de Lieber est ainsi accompli par la République démocratique avec l’aide des sociaux-démocrates marxistes et athées [souligné par nous JYP] ! L’article 135 garantit l’entière liberté de la religion et du culte. Les petits États protestants qui avaient maintenu jusqu’en 1918 leur législation anticatholique sont eux aussi contraints à abandonner enfin leur vieille politique restrictive et discriminatoire. L’article 137 donne aux « confessions » le droit d’administrer librement leurs propres affaires sans intervention de l’État. [...] L’article 124 institue une liberté d’association pleine et entière. Plus de limitations pour les Ordres et Congrégations, qui désormais sont également admis à ester en justice. Les Jésuites peuvent librement œuvrer dans toute l’Allemagne. [...] L’article 138 garantit les droits de confessions en ce qui concerne les institutions et fondations pieuses, les biens destinés au culte, à l’enseignement et à la charité. L’article 137 précise qu’il n’y a plus d’Église d’État mais évite soigneusement la séparation primitivement voulue par les socialistes et les démocrates mais rejetée finalement sous la pression du Centre. La Prusse n’est plus un État protestant ; mais dans l’État neutre les catholiques recouvrent les droits que leur déniait l’ancien « État chrétien ». L’article 149 garantit formellement l’existence des facultés de théologie catholiques dans le cadre des universités [...], l’article 139 garantit le repos dominical, l’article 42 autorise la formule religieuse du serment. Bien plus important encore du point de vue catholique, l’article 120 reconnaît, quoique sous une forme un peu embarrassée, le droit des parents de fixer l’esprit de l’éducation qui sera donnée à leurs enfants. Le totalitarisme étatique en matière scolaire est rejeté - en revanche le Centre renonce à faire reconnaître formellement par la Constitution le droit de l’Église à contrôler l’éducation dispensée aux enfants catholiques, mais l’article 149 proclame que « l’enseignement de la religion fait partie à titre normal des programmes, à l’exception des écoles non confessionnelles ». (...) Ainsi la Constitution de Weimar accorde aux catholiques allemands presque tout ce qu’ils n’avaient cessé de demander aux États de l’absolutisme et du libéralisme [souligné par nous J.-Y. P.]16.

17Mais l’Église catholique allemande, à l’instar de la curie romaine, a du mal à s’accommoder de la République de Weimar en dépit des nombreux droits constitutionnels qu’elle lui consent. L’Église allemande montre encore des réticences très fortes à l’égard de tout ce que symbolise la République, notamment la liberté de conscience et l’autonomie de pensée des individus, la laïcité, la séparation du politique et de la religion qui relève de la sphère privée, étant entendu que séparation ne signifie nullement exclusion. Simplement, la Constitution de Weimar, tout en garantissant la liberté religieuse, prévoit que les Églises sont en situation d’extériorité par rapport à la sphère publique d’État. À rebours des Églises protestantes et orthodoxes qui ont globalement accepté la souveraineté de l’État et leur subordination à l’empire du politique, l’Église romaine ne communie toujours pas avec la démocratie. Rome et l’Église catholique allemande considèrent cette République comme contraire à la conception catholique de l’État, comme le laisse entendre clairement le cardinal von Faulhaber, archevêque de Munich lors d’un rassemblement catholique en 1922. Le rapport de l’Église catholique à la République de Weimar se complexifie par le fait que se trouvent à la tête du gouvernement des sociaux-démocrates perçus comme le mal absolu en ce qu’ils sont prétendument les principaux vecteurs de l’athéisme militant et du danger bolcheviste. Pourtant, comme le souligne bien Joseph Rovan, comme aucun autre gouvernement dans l’histoire de l’Allemagne, cette République tant abhorrée garantit à l’Église catholique allemande la liberté religieuse, le libre exercice du culte et de nombreux droits. Jamais les sociaux-démocrates de la République de Weimar, pourtant dénoncés avec véhémence par l’Église catholique, n’ont été porteurs d’une laïcité restrictive. Certes, le libéralisme philosophique qui sous-tend la vision du monde sociale-démocrate récuser toute forme de cléricalisme et de religieux prétendant soumettre à ses décrets la liberté de conscience. Mais l’Église catholique allemande y voyait déjà une forme de laïcisation, stigmatisée comme étant une attaque contre la religion. Il apparaît donc que le rapport de conflictualité avec Weimar, savamment entretenu, s’explique uniquement par le fait que la première République démocratique sur le sol allemand est, aux yeux de l’Église catholique allemande, une émanation de la social-démocratie allemande. Or, pour des raisons qui tiennent à sa défiance séculaire à l’égard du socialisme, l’Église catholique suspecte la social-démocratie allemande de vouloir propager un athéisme d’État. Elle était fondamentalement hostile aux « rouges », sociaux-démocrates et communistes, jugés en outre responsables du développement du bolchevisme et coupables d’encourager la liberté des mœurs, voire de favoriser la diffusion d’une littérature considérée comme licencieuse.

  • 17 Cf. Matthias Stickler, Kollaboration oder weltanschauliche Distanz ? Katholische Kirche und NS-Staa (...)

18Entre l’Église catholique et le pouvoir nazi, il existait une large convergence de vues en matière de mœurs, de morale sexuelle, de rapport entre les sexes et de conception de la famille. Sous la République de Weimar, l’épiscopat n’avait eu de cesse de mettre en garde contre les atteintes à la moralité et la dissolution des mœurs dues à la culture socialiste d’essence libérale. Les évêques dénonçaient notamment l’homosexualité banalisée, la « propagande perverse en faveur du nudisme » ainsi que certains codes vestimentaires mettant en évidence le corps. À leurs yeux, ces déviances entretenues par la République de Weimar faisaient courir le risque d’une dégénérescence morale, frein à l’accession au salut de Dieu. Un tel rigorisme moral faisait écho aux préoccupations nazies. Dans sa déclaration gouvernementale du 23 mars 1933, Hitler avait justement exprimé son vœu de procéder à un assainissement moral radical du corps social. Devaient contribuer à cette œuvre de réarmement moral le théâtre, le cinéma, la littérature, la presse et la radio. À juste titre, l’organe du parti nazi avait titré au lendemain de ce discours : « Enfin commence la lutte implacable contre le vice et le nudisme »17. Le théologien de Münster, Michael Schmaus, va, en 1933, en appeler au pouvoir nazi pour rétablir la censure afin de préserver le noyau sain de la société de la perversité des intellectuels marxistes. Dans ces conditions, les personnes soupçonnées de déviances sexuelles ne pouvaient espérer aucune aide ni compassion de l’Église lorsqu’elles étaient victimes de persécutions de la part du régime nazi.

  • 18 Cf. Jan Rehmann, Kirchen im NS-Staat. Untersuchung zur Interaktion ideologischer Mächte, Berlin, Ar (...)

19En réalité, l’Église catholique allemande aspire à reconquérir son hégémonie sur la sphère publique, fortement bousculée par le luthéranisme et la République. Pour s’assurer des ressources de pouvoir, elle entend redevenir le fleuron historique de la catholicité, c’est-à-dire l’institution qui statue sur les comportements corrects ou incorrects, les discours licites ou illicites. Elle est appuyée en cela par le Vatican. Pour cela, elle est prête à trouver à n’importe quelle condition une sorte de modus vivendi avec la pieuvre nationale-socialiste18. Bien que parfaitement consciente de la perfidie du pouvoir nazi, la hiérarchie catholique allemande se laisse prendre au piège du nominalisme ; elle est subitement frappée de myopie devant la captation, opérée par la NSDAP, d’une bonne partie du vocabulaire du « romantisme politique » : exaltation de l’État, du « Peuple », de la famille et même de la foi. Malgré le fossé idéologique, l’Église catholique allemande, partageait largement les buts politiques nationaux de Hitler : rétablissement de l’ordre et de la paix sociale, restauration d’une Allemagne forte et respectée. Ce faisant, elle se méprend gravement puisque le romantisme politique du XIXe siècle repose sur le principe d’amour chrétien, alors que le national-socialisme participe d’une forme de darwinisme social et est, à ce titre, une idéologie de haine et d’exclusion.

  • 19 Cité par Rudolf Augstein, Feierliches Glockengeläute angeordnet. Wie führende deutsche Katholiken H (...)

20À l’exception notable de l’évêque de Münster, le comte Clemens August von Galen, et du cardinal Bertram, évêque de Breslau, l’épiscopat allemand reste sourd à toutes les alertes et fait mine de ne pas entendre les cris et appels au secours provenant des camps de concentration. Sur les conseils du Vatican, l’Église catholique allemande s’était engagée à ne pas critiquer les actions du régime nazi. Parfois, les dignitaires allaient plus loin en se faisant les auxiliaires de l’appareil de répression. Ainsi, dans une lettre à Hitler en date du 20 août 1935, les évêques vont même jusqu’à assurer Hitler que les ecclésiastiques confessant les prisonniers politiques « ne s’immisceront jamais dans les questions relevant des juges » et qu’ils se « feront au contraire un devoir de persuader l’inculpé de dire la vérité et de reconnaître l’autorité de l’État ». En décembre 1936, au cours de la période de l’Avent, fut lue dans toutes les paroisses une lettre pastorale dans laquelle l’épiscopat allemand remerciait « le Führer d’avoir tout mis en œuvre pour préserver le peuple allemand et l’Occident du bolchevisme, ce monstrueux péril. Les évêques allemands considèrent qu’ils ont le devoir d’aider dans cette tâche le chef du Reich par tous les moyens que Dieu a mis à leur disposition »19.

21Il y eut certes des protestations et des actes mémorables de résistance, mais il s’agissait d’actes isolés de quelques prêtres, théologiens et laïcs courageux. En fin de compte, l’Église catholique allemande avait certes préservé sa relative indépendance en tant qu’institution. Demeurait toutefois un fort sentiment qu’elle avait gardé un silence coupable, synonyme de complicité, devant les pires atrocités des nazis et face à la guerre d’extermination à laquelle devaient succomber six millions de Juifs, mais aussi des Tsiganes, des malades mentaux, des homosexuels ainsi que des opposants politiques (socialistes, communistes, etc.).

III. ARGENTINE 1976-1983 : LES FAITS

  • 20 Cf. Maria Soledad Catoggio, La dictature militaire argentine (1976-1983) : La conception du terrori (...)
  • 21 Ricardo Salas Astrain, « Violence fondatrice, mémoires de la dictature et politiques de la reconnai (...)

22Le coup d’État militaire fomenté en 1976 par les généraux Jorge Rafael Videla, Eduardo Massera et Reynaldo Bignone, le cinquième dans l’histoire de l’Argentine depuis 1930, a ouvert la voie au régime le plus répressif, le plus féroce et le plus sanglant qu’aient connu le pays et l’ensemble du continent latino-américain. La période ainsi inaugurée fut marquée par des arrestations extrajudiciaires, la torture et la disparition de près de 30 000 personnes, assassinées en réalité par les « commandos d’extermination » mis en place par l’armée de terre et de l’air, la marine et la police. La dictature militaire argentine fut la plus cruelle expérience en matière de violation des droits de l’homme dans le Cône Sud de l’Amérique latine20. L’École de mécanique de la marine (ESMA) de Buenos Aires, aujourd’hui transformée en Musée de la mémoire est là pour témoigner de ce passé sanglant, de ces années de plomb et du terrorisme d’État. Situé en plein cœur de la capitale, sur l’avenue Libertador, à quelques centaines de mètres du célèbre stade du River Plate, l’ESMA fut le plus grand des 340 centres de détention et camps de concentration clandestins situés le plus souvent dans des casernes ou des bâtiments désaffectés, à travers tout le pays. Ce sont des milliers de « subversifs », communistes et assimilés, qui y transitèrent. Ni magistrats, ni avocats, ni aucune famille n’y avaient accès. Les détenus étaient torturés avec une sauvagerie inouïe. Ils étaient retenus parfois comme esclaves pour des travaux subalternes et quand leurs geôliers considéraient qu’ils n’avaient plus aucune utilité, ils étaient froidement assassinés. Tous, sans exception, furent soumis à d’atroces supplices avant d’être, pour la majorité d’entre eux, embarqués dans les avions et les hélicoptères de la mort et jetés, parfois encore vivants, dans les eaux du Rio de la Plata ou de l’océan Atlantique. Un tel mode opératoire appliqué de façon systématique, ne relevait pas de l’improvisation. Il avait fait l’objet d’une planification et de préparations préalables minutieuses. Six mois avant le putsch dont de nombreux dignitaires de l’Église catholique avaient été informés dans le secret de la confession, les militaires avaient pris possession des prisons et remplacé les personnels pénitentiaires habituels. Ricardo Salas Astrain analyse la torture « comme un dispositif sophistiqué destiné au contrôle physique de tous les corps. La pratique systématique et perfectionnée de la torture repose sur un imaginaire de corps rebelles qu’il faut soumettre au moyen de procédés symboliques à mettre en œuvre contre d’éventuels insurgés. Pour les agents, ces insurgés ne sont plus des êtres humains, mais de simples apparences [...]. Cette nouvelle idéologie, qui réduit l’autre à une simple "chose menaçante voire clairement ennemie "conduira à légitimer l’élimination physique de l’autre ainsi que la disparition de toute preuve physique de sa mort »21.

  • 22 On estime à plus de cinq cents le nombre des enfants disparus et remis à des parents adoptifs sélec (...)
  • 23 Ce sont des archives découvertes par hasard fin décembre 1992 en Argentine et au Paraguay qui ont p (...)
  • 24 C’est le long métrage de Luis Puenzo, L’Histoire officielle, prix d’interprétation féminine à Canne (...)
  • 25 En 2007, Juan Gelman a reçu le prix littéraire le plus prestigieux de l’aire hispanophone, le prix (...)

23Un autre aspect illustre parfaitement l’infamie du régime militaire : l’enlèvement de près de cinq cents bébés nés en captivité ou arrachés à leurs parents « disparus » et donnés ou vendus à des familles de militaires22. La vie de Juan Gelman (1930-2014), poète argentin très engagé contre la dictature, concentre à elle seule toutes les horreurs de la dictature argentine. En 1975, il est en mission à l’étranger pour le compte d’une organisation de guérilla, les Montoneros, dont il est membre, quand survient le coup d’État militaire. Alors qu’il se trouve en exil, son fils, Marcelo Ariel Gelman, poète et écrivain engagé comme son père, est enlevé par les escadrons de la mort au service de la junte militaire. En 1990, Juan Gelman réussit à identifier les restes de son fils. Les analyses révèlent que ce dernier a été non seulement torturé, mais placé dans un tonneau de sable et de ciment, puis jeté dans un canal. Sa femme, Maria-Claudia Garcia, enceinte de sept mois, a été enlevée et jamais retrouvée. Juan Gelman parvient toutefois à établir que sa belle-fille a été déportée en Uruguay dans le cadre du plan Condor, un programme de répression mis en place par le général Pinochet en concertation avec les autres dictateurs latino-américains23. À Montevideo, elle a donné naissance à une petite fille, Macarena, cédée illégalement à la famille d’un fonctionnaire de police uruguayen. En 2000, Juan Gelman retrouve sa petite fille, alors âgée de 23 ans. Elle ignore tout de ses véritables origines24. Après avoir effectué de nombreuses démarches pour vérifier son identité, Macarena décide de reprendre le nom de ses parents biologiques25.

  • 26 D’une certaine manière, l’épiscopat argentin a constitué la parfaite contre-image de l’épiscopat br (...)
  • 27 Cf. Franck Lafage, L’Argentine des dictatures (1930-1983). Pouvoir militaire et idéologie contre-ré (...)

24Quelle fut l’attitude de l’Église catholique argentine dans de telles circonstances ? Dans le contexte insurrectionnel que connaît l’Amérique latine en ces années-là, le Saint-Siège et l’Église catholique argentine ont longtemps espéré des dictatures militaires une restauration de l’ordre, autrement dit de l’ordre catholique. Il paraît opportun d’insister, d’entrée de jeu, sur le conservatisme profond, doublé d’un anticommunisme viscéral, de la hiérarchie catholique argentine. L’épiscopat était profondément lié à l’appareil militaire, à l’oligarchie et aux milieux les plus rétrogrades de la société. Pendant les années de la dictature militaire, des clercs, des religieux, des laïcs, mus par leur conscience de chrétien, ont certes participé à titre individuel à la résistance, mais, comme dans le cas de l’Église catholique allemande sous la dictature nazie, on ne peut pas parler d’opposition de l’Église catholique argentine, en tant qu’institution, au régime de terreur et de non-droit. En Argentine, comme en Allemagne, la hiérarchie catholique a appuyé la dictature et l’état d’exception, soit implicitement par son silence, soit explicitement comme Mgr Adolfo Servando Tortolo (1911-1998). Ce dernier, à l’époque président de la Conférence épiscopale argentine et archevêque de Paraná, n’avait pas hésité à apporter une caution catholique aux violations des droits de l’homme : après tout, faisait-il valoir, les victimes des tortures ainsi que des assassinats n’avaient pas à espérer de compassion et de solidarité de la part l’Église catholique argentine, puisque, dans leur majorité, il s’agissait de communistes, autrement dit, de militants athées, donc supposément hostiles au catholicisme, tandis que Videla, pour sa part, était un catholique pratiquant, plutôt intégraliste, donc éligible au salut de Dieu. Avant de fomenter leur coup d’État de mars 1976, deux des membres de la future junte militaire, le général Jorge Rafael Videla et l’amiral Emilio Eduardo Massera, avaient cru bon devoir en informer au préalable Mgr Adolfo Servando Tortolo26 pour obtenir sa bénédiction. Le prélat argentin considérait que la répression participait d’un projet chrétien sain de régénération du corps social argentin27.

  • 28 Cf. Veit Strassner, Die offenen Wunden Lateinamerikas. Vergangenheitspolitik im postautoritären Arg (...)
  • 29 Sur Griselda Gambaro lire : Stéphanie Urdician, Le théâtre de Griselda Gambaro, Paris, Indigo, 2009

25L’Église catholique argentine a donc acquiescé à l’usage de la violence féroce et des armes en vue d’atteindre des objectifs d’ordre politique et sociétal. Mais pas uniquement : même dans la question douloureuse des bébés enlevés à la naissance à leur mère biologique, l’Église catholique argentine, en tant qu’institution, aura joué un rôle des plus sujets à caution. La raison toute banale se trouve dans le fait que l’enlèvement des bébés procédait de la volonté des militaires de les éduquer dans les valeurs occidentales et chrétiennes. Leur enlèvement et leur placement dans des familles d’accueil saines devaient donc permettre de sauver leur âme, ce qui est, en soi, un objectif bien chrétien. Il y a là comme un paradoxe tragique à voir une Église catholique, défenseur inébranlable, parfois jusqu’à l’absurde, d’un schéma très traditionnel de la famille (père/mère/enfants biologiques), approuver implicitement le vol de bébés et leur placement dans une famille non-biologique au nom d’une prétendue sauvegarde des valeurs chrétiennes et d’un ordre social profondément rétrograde. Toutes ces années de 1976 à 1983 se trouvaient sous le sceau de la toute puissance dictatoriale des armes, l’armée se considérant comme le garant légitime de l’ordre social28. La littérature argentine et le théâtre en particulier rendent largement compte de cette violence institutionnalisée. Le théâtre est en effet un lieu de représentation de toutes les passions humaines, de toutes les violences aussi, physiques et psychologiques. Ainsi, dans son théâtre d’un « monde-immonde », Griselda Gambaro (1928) tisse une poétique alliant le grotesque et l’absurde pour mieux dénoncer la perversité et l’abjection de la dictature militaire qui a dirigé l’Argentine d’une main de fer avec le concours de l’Église catholique29.

IV-ARGENTINE : ESSAI D’EXPLICATION

On ne peut pas comprendre vraiment notre identité nationale si on ne prend pas en compte le catholicisme. [...] C’est leur foi qui a donné au peuple et aux pères de la patrie leur conception de l’homme et de la vie
Cardinal Antonio Quarracino, archevêque de Buenos Aires, le 10 avril 1992 à l’auditorium du Banco Rio.

  • 30 Cité par Fortunato Mallimaci, Les courants au sein du catholicisme argentin : continuités et ruptur (...)
  • 31 Cf. Jean-Pierre Bastian, Les réponses de l’Église catholique à l’expansion du protestantisme en Amé (...)
  • 32 Sur la spécificité de la relation entre catholicisme et fabrication de l’identité nationale en Arge (...)

26Le mot du Cardinal Antonio Quarracino qui est mis exergue est corroboré par le Dr Angel Centeno, alors secrétaire d’État argentin chargé des questions religieuses, qui souligne que « l’Argentine n’est pas un État catholique, c’est une Nation catholique »30. En d’autres termes, c’est la religion catholique qui fonde l’identité argentine. Cette intrication a laissé des traces dans la Constitution argentine. En vertu d’accords diplomatiques entre le Vatican et l’Argentine, l’Église catholique jouit de prérogatives. L’Argentine a signé un concordat garantissant au culte catholique un statut de droit public ainsi que des accords avec l’Église en termes de subventions et d’enseignement. La Constitution argentine octroie une reconnaissance particulière au culte catholique. En son article 2, elle stipule que « l’État soutient le culte catholique, apostolique et romain ». Il a fallu attendre la révision constitutionnelle de 1994 pour voir l’abrogation de l’article de la Constitution de 1853 qui prévoyait que la/le président (e) de la République argentine devait être obligatoirement catholique31. C’est dire à quel point l’Église catholique est parvenue à irriguer tous les domaines de la vie publique et à consolider les bases d’une catholicisation totale de l’ensemble de la société32.

  • 33 Cf. Michael Löwy, Le concept d’affinité élective en sciences sociales, in Critique, Paris, Presses (...)

27Argentinité et catholicité sont, disions-nous, indissociablement liées. Or, l’armée se pense et se vit comme la matrice et le cœur de l’identité argentine, de l’argentinité. Catholicité, argentinité et armées communiquent donc entre elles. Depuis le coup d’État militaire de 1930, il existe en Argentine une affinité élective – au sens où l’entend Michael Löwy33 – entre l’Église catholique et l’armée, qui a contribué à formater un modèle particulier d’État et de démocratie restrictive avec de forts accents conservateurs. Pour ce premier coup de force dans l’histoire de l’Argentine, l’armée a pu bénéficier du soutien entier de l’Église catholique qui était alors en quête d’une occupation beaucoup plus large de l’espace public et ce, pour mettre en œuvre un projet catholique intégraliste, antilibéral. À partir de ce moment, on assiste à une catholicisation croissante de toute la société argentine si bien que le coup de force suivant, en 1943, est marqué du sceau d’un militaro-catholicisme profondément conservateur et régressif.

  • 34 Cf. Olivier Compagnon, Le XXe siècle argentin. Historiographie récente sur la nation et le national (...)
  • 35 Cf. Fortunato Mallimaci, Humberto Cuchetti et Luis Miguel Donatello, Catholicisme et nationalisme : (...)
  • 36 Dietmar Willoweit, Verweigerte Toleranz und geheiligte Kriegführung, in Klaus Schreiner, Heilige Kr (...)
  • 37 Cf. Martin Bock, Religion im Militär. Soldatenseelsorge im internationalen Vergleich, München, Olzo (...)
  • 38 De façon vivante et très expressive, l’anthropologue et philosophe René Girard, récemment décédé, a (...)

28Depuis lors et jusqu’en 1983, nationalisme, militarisme et catholicisme sont inextricablement imbriqués et peuvent être considérés comme la matrice de l’argentinité34. Le pouvoir politique considère l’Église catholique comme un acteur politique majeur et l’Église catholique argentine elle-même se vit comme partie intégrante d’un combat mené contre le communisme dans le cadre plus vaste de la Guerre froide. Dès lors les coups de force militaro-religieux ne sont plus perçus pour ce qu’ils sont intrinsèquement, à savoir une usurpation du pouvoir, condamnable tant du point de vue du droit que de la morale, mais comme un moyen licite visant au rétablissement d’une démocratie authentique et saine ainsi qu’à la reconquête de ces valeurs fondamentales devant permettre d’écraser la subversion et de replacer l’Argentine dans le monde occidental et chrétien35. Les éléments subversifs ne peuvent espérer quelque compassion de la part de l’Église catholique dans la mesure où ils sont considérés comme des « non-êtres », des créatures diaboliques, des bêtes sauvages, des malades auxquels on dénie le statut d’Argentins, qui, à ce titre, ne méritent pas de vivre. L’éradication de la subversion communiste et marxiste sera même érigée par la hiérarchie catholique au rang de combat entre Dieu et l’athéisme36. Il n’est donc pas étonnant que la défense de l’armée par la haute hiérarchie catholique prît souvent une tonalité quasi-biblique. Ainsi, rendant hommage à des soldats tombés en martyrs dans la lutte contre la guérilla communiste, Mgr Adolfo Servando Tortolo, alors vicaire aux armées, affirme en 1977 que leur sang a été versé pour purifier l’Argentine du péché de l’irréligiosité. Leur sacrifice est le prix indispensable à payer pour la rédemption du pays. Il faut noter au passage que pendant la guerre civile en Espagne, l’archevêque de Burgos recourt aux mêmes procédés. Il déclare dans une homélie que la guerre est comparable aux sacrifices consentis durant la période du carême. De la même façon que le carême est un apprentissage de la pénitence, la guerre pour laquelle est versé autant de sang, est sublimée comme étant la juste sanction infligée par Dieu. Le sang versé est la condition préalable à la rédemption de la nation, qui interviendra avec la victoire des franquistes sur les Républicains. Mgr Adolfo Servando Tortolo va encore plus loin. Il établit ensuite un lien analogique avec Caïn, fils d’Adam et Ève, meurtrier de son frère Abel. En raison de sa médiocrité, Caïn [ici, les éléments subversifs de la guérilla marxiste/communiste] a assassiné Abel [ici, les soldats valeureux de l’armée argentine] dont il ne supporte pas la grandeur d’esprit et d’âme37. Traduction en termes simples : meurtriers de leurs frères soldats de l’armée régulière, les éléments subversifs [Caïn] illustrent deux conséquences du péché : les mauvaises dispositions du cœur déplaisent à Dieu ; elles ruinent la paix ainsi que la charité et conduisent à l’homicide38. La mise hors d’état de nuire de Caïn, autrement dit des communistes et autres athées, quand bien même elle est mise en œuvre de façon extrajudiciaire, prend finalement valeur d’acte chrétien et ne saurait donc faire l’objet de quelque stigmatisation de la part de l’Église catholique.

  • 39 Grand pourfendeur du pape (argentin) François qu’il accuse de collaboration avec la dictature milit (...)
  • 40 Horacio Verbitsky, Doble Juego. La Argentina Católica y Militar, Buenos Aires, Sudamericana, 2006, (...)

29C’est le national-catholicisme traditionnel fortement ancré dans les forces armées argentines qui était la matrice de la formation intellectuelle de Jorge Rafael Videla lorsque ce dernier, à la tête de la junte militaire, s’empare des rênes du pouvoir. Dans cet esprit et en profonde harmonie avec les desseins de l’Église catholique, la junte militaire argentine assume sa mission comme une véritable croisade contre les temps modernes, contre la subversion et contre la guérilla en vue de la défense de la civilisation occidentale chrétienne. Pour perpétrer ses crimes, la junte militaire invoque Dieu, le pape, la doctrine de l’Église catholique et se prévaut de recommandations d’évêques et de prêtres catholiques. Ce sont là les présupposés dans lesquels s’origine le silence coupable de l’Église catholique argentine. En analysant un document épiscopal paru en 1984, l’écrivain, historien et journaliste Horacio Verbitsky39 a pu établir qu’il s’agissait en réalité d’une nouvelle version du document dont les évêques avaient soigneusement expurgé un passage compromettant contenu dans la version originale du 15 septembre 1976. Y figurait en effet le passage suivant qui est très éclairant : « Nous n’avons en aucun cas l’intention de condamner les actions conduites par l’État ; cela n’est pas de notre ressort ; en revanche, nous attirons simplement l’attention sur les menaces dont nous avons pris conscience. [...] Nous, les évêques, il nous apparaît clairement qu’un échec [de l’action de la junte militaire] conduirait inéluctablement au marxisme. C’est la raison pour laquelle nous accompagnerons le processus actuel de réorganisation nationale qui est mis en œuvre et dirigé par les forces armées »40. Le document original souligne par ailleurs la réussite des nouvelles politiques mises en œuvre par la junte militaire, qui se traduirait, tant à l’intérieur du pays que sur la scène internationale, par une bonne image des plus hautes autorités. L’intrication de l’appareil militaire et de l’épiscopat argentin atteint un niveau tel que les évêques argentins en viennent à percevoir toute menace pesant sur les forces armées comme une remise en cause de leur pouvoir symbolique et religieux. Il ne faut pas perdre de vue le rôle d’intermédiaire entre l’armée et la hiérarchie catholique joué par le vicariat militaire dirigé en Argentine par un évêque. Créée en 1956, cette institution qui, par définition, se trouve à l’intersection du religieux et du politique avait, entre autres, pour mission de contribuer au remembrement idéologique des soldats et de les préparer à la lutte contre le communisme. Cet « endoctrinement » était censé englober l’ensemble des membres des forces armées sans exception, y compris les non-catholiques. On peut donc affirmer avec certitude que de 1976 à 1983 la religion catholique a été utilisée à dessein et de façon consciente comme instrument de légitimation de la violence et du terrorisme d’État en Argentine.

Notes conclusives : similitudes et dissimilitudes

  • 41 Cf. Maria Soledad Catoggio, Cambio de hábito : trayectorias de religiosas durante la última dictadu (...)
  • 42 Les réserves et doutes que fait naître le pape François dans certains milieux intellectuels et univ (...)

30Le présent article n’a pas pour objet de faire accréditer la thèse qu’il n’y a eu aucune résistance catholique face aux horreurs commises en Allemagne par le régime nazi et en Argentine par la junte militaire du dictateur Jorge Rafael Videla. Il y eut en Argentine de nombreux réseaux laïques catholiques de résistance, mais également des mouvements de prêtres et de religieux qui furent d’ailleurs exposés à la torture et à l’oppression féroce de la junte sous l’œil bienveillant de la hiérarchie catholique argentine. De nombreux laïcs, prêtres et religieux catholiques appartenant soit à des mouvements profanes, soit à des réseaux clandestins ou à des organisations catholiques plus structurées comme Movimiento de Sacerdotes para el Tercer Mundo ou Cristianos para la Liberación, mouvement proche de Los Montoneros, l’aile révolutionnaire du péronisme, furent rangés dans la catégorie des subversifs et, à ce titre, exposés au terrorisme d’État, à la torture et aux assassinats crapuleux41. Il y eut le cas des religieuses françaises Léonie Duquet et Alice Domon enlevées en décembre 1977 en compagnie de plusieurs fondatrices des Mères de la place de Mai par un commando dirigé par le colonel Alfredo Astiz surnommé l’ange blond de la mort. Beaucoup plus emblématique est le cas des deux jésuites, Orlando Yorio et Francisco Jalics. Le rôle exact joué dans leur arrestation par celui qui était alors leur provincial, l’actuel pape François, continue de faire débat42. Parmi les laïcs, on pourrait citer Adolfo Pérez Esquivel, fondateur en 1974 du SERPAJ (Servicio de Paz y Justicia) et Prix Nobel de la Paix en 1980, qui se réclamait ouvertement de sa foi catholique dans son combat en faveur des droits de l’homme sous la dictature argentine.

  • 43 Cf. Günter Buchstab, Brigitte Kaff und Hans-Otto Kleinmann, Verfolgung und Widerstand 1933-1945. Ch (...)
  • 44 Cf. Karl-Heinz Jahnke und Alexander Rossaint, Dr. Joseph Cornelius Rossaint (1902-1991). Aus seinem (...)
  • 45 Ulrich von Hehl, Priester unter Hitlers Terror. Eine biografische und statistische Erhebung, Mainz, (...)

31En Allemagne également, s’il n’y a pas eu de résistance à la dictature nazie de la part de l’Église catholique en tant qu’institution, des prêtres, religieux, théologiens et laïcs ont combattu la dictature au nom de leur foi. Dans ce cadre, on peut citer La Rose blanche, organisation fondée par des étudiants catholiques de Munich. Trois de ses membres les plus en vue, Hans Scholl et sa sœur, Sophie, ainsi que Christoph Probst, furent arrêtés en février 1943 et exécutés quatre jours plus tard. Vont également se distinguer le Kreisauer Kreis, ou encore les réseaux catholiques de résistance regroupés autour de Jakob Kaiser ou Carl Goerdeler. De nombreux démocrates chrétiens opposeront au moins une résistance intellectuelle à Hitler43. Parmi les ecclésiastiques, il faudrait mentionner le cas du père Joseph Cornelius Rossaint arrêté en janvier 1936 pour acte caractérisé de résistance et condamné à dix ans de bagne par le Volksgerichtshof44. Ulrich von Hehl recense le cas de 8 021 prêtres, religieux ou théologiens qui firent l’objet, à un titre ou à un autre, de mesures répressives45. Mais ces actes de résistance résultaient de choix individuels et n’engageaient pas l’Église catholique allemande en tant qu’institution, qui avait fait le choix de pactiser avec le régime nazi, dernier rempart sûr contre le bolchevisme. Souvent même, ces actions de résistance contre le nazisme avaient nécessité un acte de désobéissance à l’égard de la hiérarchie catholique.

32En Allemagne (1933-1945) comme en Argentine (1976-1983), l’Église catholique est prise par la hantise d’une dissolution de l’ordre pouvant résulter de l’action de forces subversives mues par la seule volonté de nuire à la chrétienté. Ici s’origine cette identité de vues, à première vue contre-nature entre l’Église catholique et des régimes de terreur au pouvoir dans les deux pays. Cette identité de vues entre, d’une part, Église catholique allemande et national-socialisme et, d’autre part, Église catholique argentine et dictature militaire, se cimente autour de la lutte contre la modernité, contre l’idée de République laïque et démocratique, contre « le marxisme, la social-démocratie, le communisme », « l’immoralité et les machinations du bolchevisme athée », étant entendu que l’on disqualifie, sous le vocable de « communiste », quiconque manifeste des opinions réformistes.

33Église catholique allemande de la période 1933-45 et Église catholique argentine des années de plomb ont ceci en commun d’être irrigués à l’époque par un catholicisme intégraliste. L’actualité, avec ses effets parfois dramatiques, a fait entrer le terme intégrisme dans le discours quotidien. Le terme « intégralisme » définit plutôt une conception intégrale de la religion, qui concerne toute la vie du croyant et ne se limite donc pas à la sphère privée. Ainsi, l’intégralisme catholique est une façon d’appréhender le catholicisme comme un « englobant » ; le catholicisme dépasse le domaine de définition du mot religion et investit tout le champ social. L’intégralisme trouve ses racines dans la néoscolastique thomiste qui a été forgée à Rome et, sans se confondre avec lui, a quelques points communs avec l’intransigeantisme, courant antimoderniste et antilibéral. L’intégralisme est foncièrement hostile aux Lumières, à la Révolution Française et donc à toute pensée critique, au socialisme et au marxisme ; il incarne tout un courant militant pour le rétablissement d’une société régie uniquement par des normes chrétiennes (en fait catholiques). Il se définit négativement : antilibéralisme, anti-laïcité, anti-modernisme. L’apocalyptisme est un autre trait dominant du courant intégraliste ; cela se traduit par une conception de l’Histoire comme affrontement de Puissances, en l’occurrence de Satan et de ses suppôts, cherchant depuis la Renaissance, la Réforme et plus particulièrement depuis les Lumières, à éliminer Dieu, le Christ et son Église. Le bolchevisme et le communisme sont assimilés à l’empire du mal et ceux qui s’en réclament, sont accusés d’être des apostats préparant le règne de l’Antéchrist. Dans l’optique d’une hiérarchie catholique marquée du sceau de l’intégralisme, on est anticommuniste parce que catholique, fils de l’Église et de Dieu. Le communisme apparaît comme le « système » dernier, authentique aboutissement de toutes les hérésies des siècles passés, inventé pour la ruine de la Civilisation chrétienne qui est œuvre de Dieu, de l’Église et des peuples chrétiens.

  • 46 Mario Ranalletti, Aux origines du terrorisme d’État en Argentine. Les influences françaises dans la (...)

34Or, aux yeux de l’épiscopat allemand, et le Vatican soutenait cette position, Hitler est perçu d’une part comme un rempart contre le bolchevisme satanique et, d’autre part, comme la promesse d’une rupture avec un ordre libéral agnostique, laïque, libre-penseur, matérialiste et permissif. Le même constat vaut pour l’Argentine où clergé et militaire sont unanimes pour condamner toute pensée progressiste, socialiste (même non-marxiste) ou tout simplement libérale comme étant une forme d’atteinte à Dieu. L’Église catholique argentine part de l’axiome que la planète est aujourd’hui partagée en deux camps irréconciliables : l’Occident chrétien et l’Orient communiste. Dans l’esprit de l’épiscopat argentin de l’époque, tant l’histoire que la culture démontrent que l’Argentine fait naturellement partie de l’Occident. Il importe, en conséquence, d’organiser la « sécurité nationale » du pays en fonction de cette donnée, quel qu’en soit le prix. Le corollaire de tout cela est qu’une guerre « permanente », « totale », ravage aujourd’hui la planète. L’agresseur est le communisme qui a recours à l’arme de la « subversion ». Or, seul un pouvoir militaire fort est à même d’assurer cette « sécurité nationale ». La terreur exercée par la junte militaire reçoit l’onction de la hiérarchie catholique, soutenue en cela par le Vatican qui partage les mêmes desseins. Dans cette idéologie militaro-catholique, on retrouve une perception typiquement maurrassienne où le catholicisme n’est plus perçu que comme un signe d’identité nationale en ce qu’il s’oppose au communisme athée. Mario Ranaletti a montré de façon saisissante comment l’idéologie réactionnaire, fondamentaliste et maladivement anticommuniste du catholicisme intransigeant français qui a durablement imprégné les officiers supérieurs argentins de 1955 à 1976 à travers l’œuvre laïque La Cité catholique, va constituer « un appui spirituel aux futurs exécuteurs du terrorisme d’État en Argentine ». L’enjeu consistait avant tout à « convertir les militaires argentins en "soldats chrétiens" persuadés de lutter pour la défense de la "civilisation occidentale et chrétienne" » si bien que « sous couvert du pardon chrétien accordé aux exécuteurs du terrorisme d’État, tout était permis pour vaincre et assurer le triomphe des défenseurs de l’ordre établi, peint aux couleurs d’un "ordre naturel" voulu par Dieu »46. En 1936, Pie XI invoquait la « guerre juste » pour défendre les nationalistes franquistes espagnols en lutte contre les Républicains. La doctrine catholique de la guerre juste trouve une consécration nouvelle dans la « violence juste » utilisée tant en Allemagne qu’en Argentine contre les forces bolcheviques du Mal.

  • 47 La formule est empruntée à Loris Zanatta, La dictature militaire argentine (1976-1983) : une interp (...)
  • 48 Ibidem, p. 150.

35Si les observations précédentes permettent de mettre en lumière de nombreuses lignes de continuité, il ne faudrait pas perdre de vue une dissimilitude majeure qui existe entre les deux situations. L’Argentine des années de plomb se caractérise par une unité d’essence entre catholicité et armée ou, pour reprendre une formule, un « organicisme social congénital de l’armée et de l’Église »47, ces deux entités s’étant érigées en gardiennes de l’argentinité, en « forces tutélaires de l’ordre politique et de la légitimité idéologique, inviolables coffresforts de l’identité nationale, gardiens de l’unité, de la cohésion et de l’homogénéité de la nation »48. Catholicité, argentinité et armées communiquent donc entre elles. Les hauts cadres des trois armées ont entièrement inculturé l’idée que c’est dans le catholicisme que réside la garantie la plus sûre de l’unité et de l’identité argentine. En Allemagne, on ne trouve en revanche nulle trace de cette empathie organique qui existe en Argentine entre le nazisme et l’Église catholique. Comme Hitler le souligne dans ses « Propos de table », il attendait en fait la victoire pour régler définitivement son compte à l’Église catholique qu’il méprisait autant qu’il l’admirait. À la longue, l’Église catholique allemande représentait en effet un défi insupportable pour Hitler. La foi catholique engage l’homme tout entier et pour des « normes », celles du Décalogue, directement opposées à la dynamique du nazisme. Une foi à vocation universelle (la foi catholique) entre en opposition directe avec une vision du monde qui se veut elle-même une « Foi » et qui émet elle aussi des prétentions globales, mais au bénéfice d’une race élue, d’une morale de la violence et de la haine. Il ne faut pas oublier que le principal idéologue du parti nazi s’appelle Alfred Rosenberg (1893-1946). Hitler est séduit par les prétentions scientifiques et les références culturelles du racisme et de l’antisémitisme de Rosenberg. Dans son ouvrage Le Mythe du XXe siècle, ce dernier souligne sa foi dans la supériorité du sang aryen nordique. Aux influences de Gobineau et de Chamberlain s’ajoute, chez Rosenberg, celle de Nietzsche. Pour lui, l’origine du mal provient du christianisme. Son néopaganisme dans lequel se reconnaît totalement Hitler, est violemment antichrétien. On ne trouve pas de trace de ce national-catholicisme militariste argentin dans l’Allemagne des années 1933-1945. Il y a un abime théologique et culturel entre le catholicisme et le néopaganisme nazi. Cela n’empêche pas toutefois l’Église catholique allemande et le Saint-Siège de se mettre volontairement hors d’état de tirer toutes les conséquences pratiques de cette constatation.

36D’aucuns émettent l’hypothèse que l’inexistence d’un parti démocrate-chrétien fort en Argentine et, donc, d’un interlocuteur privilégié de la haute hiérarchie catholique sur l’échiquier politique argentin aurait pu conduire cette dernière à se trouver un allié dans les rangs de l’armée pour maintenir un influence durable sur le corps social argentin. Le cas de l’Allemagne vient toutefois infirmer cette hypothèse. Dans ce pays existait un parti démocrate-chrétien sous la dénomination de Parti du Centre/Zentrum fondé en décembre 1870. Entre 1918 et 1933, ce parti joue un rôle non négligeable dans la naissance et la consolidation de la République de Weimar en participant à des gouvernements de coalition avec la social-démocratie allemande. En 1933, le Parti du centre est à son apogée. Mais il contrarie les desseins du dictateur nazi qui entre temps fait miroiter au Vatican la signature d’un Concordat. Après l’avoir contraint à se déshonorer en accordant les pleins pouvoirs à Hitler, la hiérarchie catholique allemande n’hésite pas ensuite à sacrifier sur l’autel du Concordat le Parti du Centre qui s’auto-dissout le 5 juillet 1934.

37Demeure une interrogation (en guise de provocation) : l’Église catholique romaine est-elle soluble dans les dictatures les plus sanglantes et les plus violentes ?

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Notes

1 Cf. Terray, Emmanuel. Réflexions sur la violence symbolique, in Jean Lojkine (éd.), Les sociologies critiques du capitalisme – En hommage à Pierre Bourdieu. Paris : PUF (Actuel Marx Confrontation), 2002, p. 11-23.

2 La loi est votée par 444 voix contre 94, celles des députés, encore en liberté, du parti social-démocrate (SPD). Les mandats des députés communistes avaient été confisqués auparavant. Le Parlement est ainsi mis en vacances dès sa première réunion. La loi sera prorogée en 1937 et 1939 par les seuls députés du NSDAP et en 1943 par décision de Hitler lui-même.

3 Au lendemain de ces massacres, le juriste Carl Schmitt, qui continue de bénéficier d’une haute estime auprès de certains universitaires français, pourtant réputés de gauche, avait estimé que l’action du Führer n’était pas justifiable devant la Justice parce que, par définition, elle était, elle-même, la justice suprême, tout droit émanant du Führer.

4 Cf. Jean-Marie Argelès et Gilbert Badia, Histoire de l’Allemagne contemporaine. Weimar/IIIe Reich, Paris, Messidor/Éditions Sociales, 1987, p. 287-290. Lire également Max Gallo, La nuit des longs couteaux, Paris, Robert Laffont, 2001.

5 Deux évêques protestèrent, mais à titre personnel : l’évêque de Berlin, Nikolaus Bares ainsi que l’évêque de Münster, le comte Clemens August von Galen.

6 Cf. Michael Kißener, Die deutschen katholischen Bischöfe und die Juden. Perspektiven auf ein umstrittenes Thema, in Thomas Brechenmacher und Harry Oelke (Hrsg.), Die Kirchen und die Verbrechen im nationalsozialistischen Staat, Göttingen, Wallstein, 2011, p. 162-174.

7 Les lois raciales de Nuremberg comportaient deux volets. La loi sur la « citoyenneté allemande » distingue deux catégories d’Allemands, les « citoyens du Reich » et les « sujets ». Seuls les premiers conservent leurs droits politiques, civiques parce qu’ils sont de sang allemand. En revanche, les non-Aryens en sont privés. Les Juifs allemands deviennent ainsi, du jour au lendemain, des étrangers dans leur propre pays. La seconde loi, la loi « sur la protection du sang allemand » vise à protéger la pureté du sang allemand. Elle interdit tout mariage et même tout rapport sexuel entre Juif et Allemand sous peine de dix ans de prison.

8 C’est l’assassinat du diplomate allemand von Rath par un Juif polonais, Herschel Grynspan, qui sert de prétexte au déclenchement du pogrom.

9 Cf. Ulrich von Hehl, « Die Kirchen in der NS-Diktatur ». Zwischen Anpassung, Selbstbehauptung und Widerstand, in Karl-Dietrich Bracher, Manfred Funke und Hans-Adolf Jacobsen (Hrsg.), Deutschland 1933-1945. Neue Studien zur nationalsozialistischen Herrschaft, Düsseldord, Droste, 1993, p. 166-169.

10 Hubert Gruber, Katholische Kirche und Nationalsozialismus 1930-1945. Ein Bericht in Quellen, Paderborn, Schöningh, 2005, p. 18.

11 Ibid., p. 40.

12 Lettre de saint Paul Apôtre aux Romains, chapitre 13, 1-5 : 1-Que chacun soit soumis aux autorités supérieures, car il n’y a d’autorité qu’en dépendance de Dieu, et celles qui existent sont établies sous la dépendance de Dieu ; 2-si bien qu’en se dressant contre l’autorité, on est contre l’ordre des choses établi par Dieu, et en prenant cette position, on attire sur soi le jugement. 3-En effet, ceux qui dirigent ne sont pas à craindre quand on agit bien, mais quand on agit mal. Si tu ne veux pas avoir à craindre l’autorité, fais ce qui est bien, et tu recevras d’elle des éloges. 4-Car elle est au service de Dieu pour t’inciter au bien ; mais si tu fais le mal, alors, vis dans la crainte. En effet, ce n’est pas pour rien que l’autorité détient le glaive. Car elle est au service de Dieu : en faisant justice, elle montre la colère de Dieu envers celui qui fait le mal. 5-C’est donc une nécessité d’être soumis, non seulement pour éviter la colère, mais encore pour obéir à la conscience.

13 Cité par Gilbert Badia, Ces Allemands qui ont affronté Hitler, Paris, Éditions de l’Atelier, 2000, p. 150.

14 Cf. Heinz Hürten, Das katholische Episkopat nach dem Reichskonkordat, in Günther Heydemann und Lothar Kettenacker (Hrsg.), Kirchen in der Diktatur. Drittes Reich und SED-Staat, Göttingen, Vandenhoeck & Ruprecht, 1993, p. 109-125.

15 Il est indéniable que cette Constitution de la première République démocratique sur le sol allemand comportait de nombreuses faiblesses. C’est ce qui explique l’instabilité chronique qui a caractérisé la République de Weimar. Lire à ce sujet Christoph Gusy, La conception de la démocratie dans la Constitution de Weimar, in Gilbert Krebs et Gérard Schneilin (dir.), Weimar ou la démocratie en Allemagne, Asnières, Publications de l’Institut d’Allemand, 1994, p. 11-46.

16 Joseph Rovan, Le catholicisme politique en Allemagne, Paris, Seuil, 1956, p. 191-192.

17 Cf. Matthias Stickler, Kollaboration oder weltanschauliche Distanz ? Katholische Kirche und NS-Staat, in Karl-Joseph Hummel und Michael Kißener (Hrsg.), Die Katholiken und das Dritte Reich. Kontroversen und Debatten, Paderborn, Schöningh, 2009, p. 83-99.

18 Cf. Jan Rehmann, Kirchen im NS-Staat. Untersuchung zur Interaktion ideologischer Mächte, Berlin, Argument-Verlag, 1986, p. 40-44, 62-66, 96-99.

19 Cité par Rudolf Augstein, Feierliches Glockengeläute angeordnet. Wie führende deutsche Katholiken Hitler und den Krieg priesen, in Der Spiegel, Nr. 43, 20.10.1997, p. 106.

20 Cf. Maria Soledad Catoggio, La dictature militaire argentine (1976-1983) : La conception du terrorisme d’État, in Online Encyclopedia of Mass Violence, Paris, Sciences Po. URL : http://www.massviolence.org/fr/Article? id_article=500.

21 Ricardo Salas Astrain, « Violence fondatrice, mémoires de la dictature et politiques de la reconnaissance », in Appareil [en ligne], articles, mis en ligne le 06 mars 2014, p. 7.

22 On estime à plus de cinq cents le nombre des enfants disparus et remis à des parents adoptifs sélectionnés par les régimes militaires. Les familles éligibles devaient être des familles saines, non susceptibles d’être contaminées par des idées subversives. Les mères, quant à elles, étaient systématiquement liquidées physiquement. En 2004, les associations de victimes n’avaient réussi à identifier que soixante-dix-sept de ces enfants volés, désormais marqués par l’indicible traumatisme de découvrir que ceux qu’ils croyaient être leurs parents étaient en fait complices de l’assassinat de leurs véritables géniteurs. Maria Rosario Otero Rossi a analysé les particularités de la souffrance de ces bébés, depuis leur enlèvement et leur cession jusqu’à leur localisation. Les sujets se trouvent alors mis en demeure de choisir entre deux familles (famille biologique et famille d’accueil) aux idéaux, on s’en doute, totalement inconciliables. Cf. Maria Rosario Otero Rossi, Planification du vol et de la circulation clandestine d’enfants durant la dictature militaire en Argentine, Thèse de doctorat en Anthropologie psychanalytique et pratiques cliniques du corps, Université Denis Diderot-Paris 7, 2010.

23 Ce sont des archives découvertes par hasard fin décembre 1992 en Argentine et au Paraguay qui ont permis de mettre au jour l’existence du plan Condor. Né d’une initiative du Chili de Pinochet, il a permis aux dictatures au pouvoir dans les années 1970 d’organiser une véritable Internationale de la répression. Après le putsch de Pinochet au Chili, de nombreux opposants s’étaient réfugiés en Argentine. Le putsch du général Videla en mars 1976 va changer la donne. Sept pays sud-américains dirigés par des généraux anticommunistes, formés à la doctrine de la « sécurité nationale » enseignée par les Américains, pourchassaient et tuaient les « subversifs » sur leur propre territoire. Mais certains leur échappaient en traversant une frontière. D’où l’idée, avancée par les Chiliens au cours d’une réunion secrète, d’échanger des informations sur les opposants (ou supposés tels) recherchés et de coordonner la répression à l’échelle régionale. Telle est la genèse du plan Condor, du nom de ce grand rapace des Andes, commun à tous les pays d’Amérique latine, Brésil et Paraguay exceptés. Voir Pierre Abramovici, Opération Condor, cauchemar de l’Amérique latine. Retour sur un terrorisme d’État béni par les États-Unis, in Le Monde Diplomatique, Paris, mai 2001, p. 24-25.

24 C’est le long métrage de Luis Puenzo, L’Histoire officielle, prix d’interprétation féminine à Cannes et Oscar du meilleur film étranger, qui a révélé au monde l’ampleur du drame des enfants de femmes disparues. Sur le sujet, on peut lire un témoignage poignant : Victoria Donda, Moi, Victoria, enfant volée de la dictature argentine, Paris, Robert Laffont, 2010.

25 En 2007, Juan Gelman a reçu le prix littéraire le plus prestigieux de l’aire hispanophone, le prix Cervantes. Lors de la cérémonie de remise du prix en Espagne, il était accompagné de sa petite fille, Macarena Gelman. Lire Edmundo Gómez Mango, La poésie de Juan Gelman et l’appel des disparus, Paris, Myriam Solal éditeur, 2001.

26 D’une certaine manière, l’épiscopat argentin a constitué la parfaite contre-image de l’épiscopat brésilien dont les prélats Hélder Câmara et Aloísio Lorscheider donnaient une image beaucoup plus progressiste et ouverte.

27 Cf. Franck Lafage, L’Argentine des dictatures (1930-1983). Pouvoir militaire et idéologie contre-révolutionnaire, Paris, L’Harmattan, 1991.

28 Cf. Veit Strassner, Die offenen Wunden Lateinamerikas. Vergangenheitspolitik im postautoritären Argentinien, Uruguay und Chile, Wiesbaden, Verlag für Sozialwissenschaften, 2007, p. 77.

29 Sur Griselda Gambaro lire : Stéphanie Urdician, Le théâtre de Griselda Gambaro, Paris, Indigo, 2009.

30 Cité par Fortunato Mallimaci, Les courants au sein du catholicisme argentin : continuités et ruptures, in Archives des sciences sociales des religions, Paris, n° 91, juillet-septembre 1995, p. 113.

31 Cf. Jean-Pierre Bastian, Les réponses de l’Église catholique à l’expansion du protestantisme en Amérique latine, in L’Ordinaire Latino-américain, Toulouse, n° 210, mai-août 2008, p. 92.

32 Sur la spécificité de la relation entre catholicisme et fabrication de l’identité nationale en Argentine, il faut renvoyer à Roberto Di Stefano et Loris Zanatta, Historia de la Iglesia argentina, Buenos Aires, Grijalbo Mondalori, 2000. Ana Patricia W. a fourni à l’auteur une synthèse en langue allemande des points saillants de l’ouvrage.

33 Cf. Michael Löwy, Le concept d’affinité élective en sciences sociales, in Critique, Paris, Presses de Sciences Po, n° 2/Hiver 1999.

34 Cf. Olivier Compagnon, Le XXe siècle argentin. Historiographie récente sur la nation et le nationalisme, in Le Mouvement Social, Paris, La Découverte, 2010/1 (n° 230), p. 3-6.

35 Cf. Fortunato Mallimaci, Humberto Cuchetti et Luis Miguel Donatello, Catholicisme et nationalisme : le politico-religieux et la « matrice commune » en Argentine, in Problèmes d’Amérique latine, Paris, 2011/2 (n° 80), p. 29-47.

36 Dietmar Willoweit, Verweigerte Toleranz und geheiligte Kriegführung, in Klaus Schreiner, Heilige Kriege. Religiöse Begründungen militärischer Gewaltanwendung : Judentum, Christentum und Islam im Vergleich, München, Oldenbourg (Schriften des Historischen Kollegs, 78), 2008, p. 260-261.

37 Cf. Martin Bock, Religion im Militär. Soldatenseelsorge im internationalen Vergleich, München, Olzog, 1993, p 259-260.

38 De façon vivante et très expressive, l’anthropologue et philosophe René Girard, récemment décédé, a analysé la question de la violence dans son rapport avec le religieux. Cf. René Girard, La violence et le sacré, Paris, Fayard/Pluriel, 2011.

39 Grand pourfendeur du pape (argentin) François qu’il accuse de collaboration avec la dictature militaire, notamment dans l’arrestation des jésuites Orlando Yorio et Francisco Jalics alors qu’il était provincial des jésuites, Horacio Verbitsky est, aujourd’hui, lui-même soupçonné d’avoir travaillé pour la junte.

40 Horacio Verbitsky, Doble Juego. La Argentina Católica y Militar, Buenos Aires, Sudamericana, 2006, p. 123. C’est à Ana Patricia W. que je dois la traduction de ce passage de l’espagnol en allemand.

41 Cf. Maria Soledad Catoggio, Cambio de hábito : trayectorias de religiosas durante la última dictadura argentina, in Latin American Research Review 45, 2 (2010), p. 27-48. Je suis redevable à Ana Patricia W. pour cette référence ainsi que pour toutes les informations sur les réseaux de résistance catholiques à la dictature argentine.

42 Les réserves et doutes que fait naître le pape François dans certains milieux intellectuels et universitaires argentins, contrastent fort avec l’enthousiasme, parfois béat, que suscite sa personnalité de par le monde entier. À ce propos, il convient de reproduire les propos de Michael Löwy, directeur de recherches émérite au CNRS et spécialiste de sociologie des faits religieux, dans un entretien avec le journal Le Monde : « À l’époque de la dictature militaire en Argentine, qui a fait de 1976 à 1983 des dizaines de milliers de morts et de disparus – dix fois plus que sous la dictature militaire d’Augusto Pinochet au Chili –, Jorge Mario Bergoglio s’est distingué par une grande discrétion. Il n’a émis aucune condamnation ni même aucune critique de la dictature. Pire, Jorge Mario Bergoglio était le supérieur de l’ordre des jésuites et a, à ce titre, retiré, en mai 1978, la licence religieuse à deux jésuites [Orlando Yorio et Francisco Jalics, JYP] qui avaient pris des positions très engagées sur les droits des pauvres. Peu après, ces deux jésuites, ayant perdu la protection de l’Église, ont été arrêtés et torturés dans la sinistre école militaire ESMA. On a accusé Bergoglio d’avoir dénoncé ses deux anciens collaborateurs aux militaires, mais il a toujours réfuté cette accusation. Le fait reste qu’en retirant le soutien de l’Église, il a permis aux militaires d’intervenir ». Michael Löwy, Entretien avec Hélène Sallon, « Bergoglio n’a jamais émis aucune critique contre la dictature », Le Monde. fr, 15.03.2013.

43 Cf. Günter Buchstab, Brigitte Kaff und Hans-Otto Kleinmann, Verfolgung und Widerstand 1933-1945. Christliche Demokraten gegen Hitler, Düsseldorf, Droste Verlag, 1986.

44 Cf. Karl-Heinz Jahnke und Alexander Rossaint, Dr. Joseph Cornelius Rossaint (1902-1991). Aus seinem Leben und Werk, Frankfurt, Verlag für Akademische Schriften, 1997.

45 Ulrich von Hehl, Priester unter Hitlers Terror. Eine biografische und statistische Erhebung, Mainz, Matthias-Grünewald-Verlag, 1985.

46 Mario Ranalletti, Aux origines du terrorisme d’État en Argentine. Les influences françaises dans la formation des militaires argentins (1955-1976), in Vingtième Siècle. Revue d’Histoire, Paris, n° 105, janvier-mars 2010, p. 45-56 (citations p. 52, 54, 56).

47 La formule est empruntée à Loris Zanatta, La dictature militaire argentine (1976-1983) : une interprétation à la lumière du mythe de la « nation catholique », in Vingtième Siècle. Revue d’Histoire, Paris, n° 105, janvier-mars 2010, p. 148.

48 Ibidem, p. 150.

Auteur

Maître de Conférences en études germaniques à l’Université de Perpignan via domitia. Il est membre du CRILAUP/CRESEM. Ses recherches portent sur le catholicisme de gauche en Allemagne, la nouvelle théologie politique de Johann Baptist Metz et la réception de la théologie latino-américaine de la libération en République fédérale d’Allemagne. Ses principaux ouvrages sont : Catholicisme et Socialisme en Allemagne (1848-1933). Aux origines du catholicisme de gauche. Paris : L’Harmattan, (2003) ; « Brief über die Kirche ». Die Kontroverse um Ida Friederike Görres’Aufsatz. Ein Dokumentationsband. Herausgegeben, eingeleitet und kommentiert von Paraïso, Jean-Yves. Köln/Weimar : Böhlau Verlag (2005) ; La perception de la théologie latino-américaine de la libération en République fédérale d’Allemagne. L’exemple du cercle d’études « Église et libération » (1973-1978). Paris : L’Harmattan, 2013

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