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L'Internet et la démocratie numérique

 | 
Philippe Ségur
, 
Sarah Périé-Frey

L'Internet, une transformation de la démocratie ?

Un renouvellement du système représentatif ? Les partis pirates

Jérémy Laviers

Texte intégral

1La démocratie numérique ne cesse d’évoluer et de se multiplier sous des formes plus ou moins inattendues. Cette démocratie numérique est le support notamment de nouveaux pôles de militantisme et de redéfinition du système représentatif sous la forme de « partis pirates ».

2Le système représentatif est un système d’organisation politique dans lequel les citoyens sont appelés à élire des représentants dans le but d’assurer les valeurs de la démocratie. Dans une république démocratique, chaque citoyen exerce ainsi son droit de souveraineté en le déléguant à des représentants élus au suffrage universel. Les citoyens peuvent notamment élire des candidats regroupés dans des partis politiques défendant des causes et des programmes plus ou moins variables, et ce en fonction de revendications diverses.

3Le XXIe siècle a subi l’apparition soudaine de nouvelles revendications concernant les droits des utilisateurs de l’Internet. En effet, un aspect majeur et récurrent de l’utilisation des nouvelles technologies, et surtout de l’Internet est le déclenchement de nouveaux problèmes liés à l’utilisation, la réception ou l’émission de données en ligne. Ce phénomène ne cesse de prendre de l’ampleur et de nouvelles entités « politiques » s’en sont inspirées pour les intégrer dans un programme cherchant à lutter contre ces questions de sécurité. Ces entités prennent ainsi la forme de partis politiques nommés « Partis pirates ».

  • 1 M. Dagnaud, « Le Web, ce laboratoire du capitalisme sympa », Le Débat, 2010-3, n° 160, p. 161-176.
  • 2 A. Laurent, « Le Parti pirate suédois siègera au Parlement européen » [en ligne] http://www.clubic. (...)

4Nous remarquons que ces partis pirates se sont formés en 2006, le premier était d’origine suédoise. En effet, le site de téléchargement BitTorrent, The Pirate Bay avait été fermé pour illicéité de droits d’auteur, quatre fondateurs du site ont été condamnés. Des cybermilitants ont alors défendu la cause du site et ont revendiqué une plus grande liberté pour les utilisateurs de l’Internet. De ce fait, cela a largement influencé la création de partis pirates par la suite car ces cybermilitants n’ont cessé de déplorer la rigueur invasive dans les droits et libertés des utilisateurs de l’Internet1. Le Piratpartiet suédois connaît en outre, en avril 2009, une forte augmentation de son succès, les partisans reprochant le manque de programmes politiques réglant les sujets de l’Internet dans les partis dits « classiques ». Les nombreuses controverses au sujet du téléchargement illégal ont de même joué un rôle sur la croissance de ce parti politique2.

5Il apparaît que par suite du contrôle accru par les États et du sentiment d’insécurité de l’utilisation des internautes, des cybermilitants ont voulu se pencher sur la question. C’est le cas de Rick Falkvinge, créateur du Piratpartiet suédois, qui s’est insurgé contre un trop large encadrement des États en la matière lors d’une soirée de nouvel an en date du 31 décembre 2005 : « quand je pense que nous autres citoyens qui ne demandons qu’à partager le savoir et la culture, les puissants et politiciens de tous poils ne cessent de nous traiter de pirates ! Eh bien soit : créons notre propre parti, ce sera le Parti pirate ! »3. Le lendemain, Rick Falkvinge crée une page sur le Net exposant ses revendications et en quelques jours seulement le site attire des centaines de milliers de visiteurs. Ce sera le début d’une montée en puissance des revendications de Rick Falkvinge au sein de son pays, et ce qui ne devait être seulement qu’un site Internet se transforme rapidement en une organisation partisane regroupant toujours plus de visiteurs et d’adhérents chaque jour. Sa devise est « Liberté, Démocratie, Partage ».

  • 4 F. Greffet et S. Wojcik, « “La citoyenneté numérique” Perspective de recherche », Réseaux, 2014-2, (...)
  • 5 J. Boquet, « La culture pirate à l’épreuve de la forme partisane », Tracés, 2014-1, n°26, p. 89-110

6Nous pouvons élargir ce phénomène à de nombreuses autres nations qui ont assisté à la naissance de partis pirates semblables, et ce n’est alors pas moins d’une dizaine de ces partis qui ont vu le jour en 2006. Aujourd’hui, ce sont plus de soixante pays qui peuvent prétendre héberger un parti de ce genre. L’émergence de ces partis semble symptomatique d’une volonté de contrer un manque de réaction des autorités en place face à l’émergence brutale des cultures numériques en politique. Ces partis se prévalent ainsi d’être des structures plus souples, plus transparentes, et prétendent opérer une véritable rupture avec la politique commune des institutions précédentes4. Leur slogan est assez fort et novateur, « Nous sommes tous des pirates » proclament-ils. En effet, ils considèrent qu’un jour ou l’autre, tout le monde télécharge un fichier ou un document sans autorisation légale, que tous les internautes deviennent obligatoirement des pirates. Les partis pirates émergent dans un contexte de débats sur la contrefaçon et le piratage de la propriété intellectuelle qu’ils veulent enrayer ; pour eux tout le monde deviendrait pirate mais au final personne ne le deviendrait vraiment. Il s’avère que les partis pirates tirent leur nom « pirate » des législations sur la propriété intellectuelle, en référence au piratage qu’ils souhaitent dépénaliser, mais il semble que peu de leurs membres soient des pirates informatiques, ce sont surtout des « bidouilleurs », c’est-à-dire des hackers ou des crackers. C’est par ailleurs pour cela que les partis pirates et leurs adhérents ne sont pas pris au sérieux par les autres acteurs du système partisan. Ces derniers les assimilent constamment à des voleurs de la propriété intellectuelle et du droit d’auteur. Or, l’avènement des partis pirates repose principalement sur des considérations tenant à l’avenir de l’Internet ainsi qu’à son embellissement. À cette fin, ils mettent en avant la protection de l’anonymat, la nécessaire neutralité du réseau ; ils prétendent vouloir favoriser l’échange des informations et de la culture en remettant en cause le droit d’auteur afin de favoriser le partage de fichiers. La position originelle des pirates ne serait alors pas seulement le déverrouillage complet de l’Internet pour « pirater », elle partirait d’une volonté de transparence et de défense de l’accès à la culture et à l’éducation en marge d’une promotion des sciences et de la recherche. Ce qui est certain, c’est que ces partis souhaitent s’éloigner de la forme partisane traditionnelle par méfiance envers leur forme et leur organisation5.

7Notons que la notion de parti pirate va bien au-delà de la forme classique des partis politiques. Certes, les partis pirates se forment à l’instar des partis classiques, mais leur structure est totalement différente. Les caractéristiques formelles des partis pirates divergent de celles des « classiques » regroupements politiques, en particulier du fait d’une volonté explicite de rompre avec la tradition politique et de moderniser à la fois le système représentatif, le système politique et de redonner au citoyen une place importante dans la souveraineté de la nation. Ce principe de démocratiser le numérique peut être perçu avec un double sens. À la fois, le phénomène des partis pirates peut sembler mener à une démocratisation du numérique et de l’Internet, en substance, car en se prévalant d’exister grâce à Internet les partis pirates rapprochent le numérique de la relation politique et démocratique. Mais dans le même temps, nous pensons que le but principal de ces partis en question serait d’intégrer la démocratie et le jeu politique au sein de l’Internet. Ce cas se rencontre déjà dans plusieurs phénomènes. Il est question par exemple de campagnes ou de sensibilisation politiques sur le Web ou les réseaux sociaux, ou encore de l’utilisation préexistante par les partis politiques de l’Internet pour créer des sites de regroupement des programmes, des actions... Toutefois, le fait que les partis pirates se forment et agissent par le Web accentue d’autant plus le phénomène de corrélation grandissante entre le numérique et le système représentatif.

8Il faut aussi noter que les partis pirates bénéficient à l’échelle mondiale d’un réseau qui leur permet de s’harmoniser et de s’accorder sur la marche à suivre. Nous pouvons d’ailleurs rapprocher cette tendance de la multiplication récente de ces partis sur la scène internationale. En effet, les partis pirates nationaux voire locaux n’avancent pas seuls, ils sont encadrés par une entité centralisatrice qui leur permet de s’épanouir et de se frayer un chemin plus large en politique. À l’échelle mondiale, le Parti pirate International s’attache fortement à valoriser ainsi qu’à développer l’action de ces partis pour les mener avec une certaine quiétude sur le champ politique.

9Les partis pirates à l’échelle mondiale bénéficient d’une notoriété nationale de plus en plus grandissante. S’il est possible de les mesurer en termes de quantité, il serait alors de mise de s’interroger sur les objectifs de ces partis pirates, c’est-à-dire de se pencher sur les moyens d’action leur permettant de jouer un rôle politique certain.

10Le phénomène des partis pirates étant un chapitre assez récent dans le renouvellement de la démocratie numérique, les ouvertures bibliographiques ne sont pas encore très développées ce qui restreint le champ des informations à d’autres ouvertures. Des pistes de recherche peuvent notamment être envisagées au sein de revues. En effet, des articles permettent de comprendre ce processus partisan dans les grandes lignes, soulevant surtout le rapport des partis pirates avec une démocratisation de l’Internet et leur rapport avec le système représentatif. Il s’agit ainsi d’articles donnant des informations générales et donc pas forcément assez détaillées. Pour véritablement saisir les enjeux du phénomène pirate, l’Internet reste le principal outil. De nombreux sites Internet offrent une large palette d’informations concernant la multiplication, l’évolution, le fonctionnement ou encore les enjeux de ces partis, notamment les sites d’hébergement de ceux-ci qui sont des sources indispensables.

11Pour pleinement cerner le phénomène grandissant des partis pirates et leur rôle sur la scène politique, il faut dégager de nombreux critères qui font la force de leur action. Si nous nous en tenons à l’évolution des partis pirates, l’essentiel serait alors de souligner la façon dont leur organisation interne, ce qui caractérise leur action et leur existence sur la toile (I) leur permet de prendre place, au-delà de l’Internet, dans un champ politique plus global (II).

I. Des partis pirates rigoureusement organisés sur Internet

12Notre but est donc de mettre en évidence la façon dont les partis pirates se forment et se pérennisent après leur création. Il semble que l’un des critères principaux des partis pirates soit leur existence numérique. Concernant leur nature profonde, leur création ou leur mode d’action, l’Internet reste au cœur de leur développement et permet à ces partis pirates leur assise dans le système représentatif, notamment par la défense du principe de démocratie liquide né sur le Web (A). Ces partis, en outre, se développent à l’instar des autres partis classiques en présentant à leurs partisans des programmes politiques novateurs reprenant toutefois les bases des revendications principales des citoyens (B).

A. Un mode de diffusion de la démocratie liquide : la toile

13La démocratie liquide caractérise fortement l’essor des partis pirates. Pour cela, elle sera développée plus loin, toutefois auparavant, il convient de souligner l’action de diffusion par la toile. L’essor du militantisme en ligne interroge grandement la sociologie politique car il transforme vraisemblablement l’engagement partisan et les rapports aux partis politiques. Pourtant, les partis pirates se jouent de leur notoriété naissante pour affirmer cette hypothèse. Reste à savoir comment s’organisent ces derniers dans la sphère politique. Nous pouvons clairement assimiler l’existence de ces partis pirates à l’explosion de l’Internet les partis pirates sont sûrement une incidence de la domination d’Internet dans tous les domaines de la société. Ainsi, l’Internet est au cœur de la naissance des partis pirates qui ne pourraient exister sans lui.

  • 6 Ibid., p. 89-110.

14L’inspiration directe de la culture des partis pirates repose sur des bases clairement liées à la sphère numérique. Quelle que soit la question que nous pouvons nous poser au sujet de la vie de ces partis, le Web se retrouve toujours au milieu des explications. Concernant les objectifs des partis pirates, c’est le cas puisque leurs revendications principales se basent sur l’utilisation du numérique. De même, concernant leur forme propre, les partis pirates se créent, séduisent, et agissent par le moyen de l’Internet. Les partis pirates sont inspirés de la communauté du logiciel libre, c’est-à-dire de logiciels sans propriété intellectuelle, sans droits d’auteur. Cette communauté rapproche les partis pirates car elle rassemble des programmateurs et qu’elle repose sur des logiques d’organisation tout à fait spécifiques s’agissant de l’échange d’informations sur l’Internet6. C’est ainsi que se développent ces partis : par le biais de l’Internet. En effet, ils prennent la forme de pages web qui énoncent clairement leur qualité. En Suède par exemple, le parti pirate national est représenté par le site www.piratpartiet.se et regroupe toutes les formes d’action que met en avant le parti. En France, www.partipirate.org est le siège du phénomène pirate. Mais il existe aussi des partis pirates locaux, comme dans le Nord-Pas-de-Calais, npdc.partipirate.org. Comme aux États-Unis, dans le Massachussets qui valorise son existence sur la page masspirates.org. Nous pouvons donc bien entrevoir la force de l’Internet dans le processus de ces partis pirates et la pérennité de leur existence grâce à leurs sites Internet. Ils utilisent notamment au sein de ces pages des outils de partage de leurs idées qui permettent de les rapprocher des partis classiques et sans lesquels il serait impossible de les identifier en tant que partis politiques.

  • 7 L. Dricot, « Et si on tuait le Parti Pirate ? » [en ligne] http://ploum.net/et-si-on-tuait-le-parti (...)
  • 8 « “Notre électorat potentiel est avant tout composé de gens aux valeurs post-matérialistes”, Entret (...)
  • 9 J. Boquet, op. cit., p. 89-110.

15Ainsi, les partis pirates utilisent des pages web pour partager leurs idées et permettre aux citoyens de connaître et de propager leurs idées. Pour cela ils mettent en place des outils techniques, au sein-même de leurs sites. Ils mettent à la disposition de leurs partisans des forums de discussion, des « wiki », des listes de diffusion, des pétitions, ou encore la technique du mailing, qui permettent à ces derniers d’agir tels des partisans classiques. Les forums de discussion et les « wiki » regroupent ainsi les revendications des adhérents, leurs idées ou leur mécontentement à l’égard du parti ou des règles existantes. Les pétitions jouent un rôle dans la défense des idées des partis pirates puisque ces dernières ont pour finalité de sensibiliser le pouvoir politique et de contrer son action. S’agissant de l’utilisation par les partis de listes de diffusion et du mailing, nous pouvons retrouver des critères de partis classiques mais dans ce cas-ci, l’échange d’informations s’effectue uniquement par l’intermédiaire de l’Internet. Il faut bien entrevoir que, tout comme les partis politiques classiques, l’objectif principal des partis pirates est bel et bien les élections7. De ce fait, à l’instar des partis classiques, les partis pirates organisent des élections au sein du parti afin d’élire des représentants lors d’élections à une échelle nationale, et ce grâce aux outils de communication évoqués auparavant. Pour que cette représentation ait lieu, les partis offrent la possibilité d’une adhésion, toujours uniquement sur Internet, et les adhérents seront alors les électeurs de ces partis. Les adhérents ont ainsi la possibilité de déposer des amendements via les « wiki » en ce qui concerne les statuts, les règlements intérieurs, ou encore les programmes des partis. Pour ce faire, l’adhésion en ligne est payante, tout comme l’adhésion aux partis dits classiques, mais elle se fait exclusivement en ligne. Par ailleurs, les adhésions en ligne et les dons constituent environ 90 % des ressources des partis pirates. Ces partis offrent tout de même la chance aux plus démunis d’adhérer gratuitement à la condition que ces derniers approuvent totalement les statuts et règlement intérieur. La démarche d’adhésion gratuite doit alors être motivée par écrit, conjointement, il faut que la personne envoie un mail aux secrétaires nationaux élus du parti en joignant un formulaire d’adhésion et un justificatif d’identité Par ailleurs, les adhérents se transforment régulièrement en militants afin de diffuser plus largement les idées pirates. Selon Fabio Reinhardt, député du Partipiratar allemand à la Chambre de Berlin, il y aurait eu grâce à cet engagement, entre 2009 et 2012, de 1 000 à 3 000 militants du Parti pirate allemand8. Ce processus militant est surtout poussé par une remise en cause de la frontière entre les adhérents et les militants initiée par la méfiance des adhérents envers les formes partisanes classiques. Il semble qu’il existe un écart important entre le profil des adhérents et des militants des partis pirates et ceux des partis institutionnels. Il y a peu de retraités au sein des premiers (10 % ont plus de 45 ans), de plus 47 % des membres des partis pirates sont concernés par des questions liées aux licences et aux droits d’auteur car la majorité est composée d’informaticiens. Ces adhérents insistent sur la question de l’impuissance des partis classiques face aux problématiques techniques de l’Internet qui se tournent constamment vers des experts fournis par les industries concernées elles-mêmes par les problèmes de propriété intellectuelle9.

  • 10 B. Manenti, « Le Parti Pirate ou l’avènement de la ‘’démocratie liquide’’«  [en ligne] http://temps (...)
  • 11 A. Renault, « Démocratie liquide » [en ligne] http://www.participation-etdemocratie.fr/fr/dico/demo (...)
  • 12 J. Boquet, op. cit., p. 89-110.
  • 13 N. Auray et S. Ouardi, « ‘’Numérique et émancipation’’, De la politique du code au renouvellement d (...)
  • 14 C. Albano, « Vous avez dit "Démocratie réelle ?"« Multitudes, 2013-4, n° 55, p. 203-210.

16Afin de réintégrer pleinement les citoyens au cœur de la vie politique pour leur permettre d’influer sur les débats, les partis pirates se servent de l’Internet comme d’un nouvel outil. Ils ont notamment créé un nouveau concept, totalement inédit, et spécialement initié par le Net : la « démocratie liquide » (Demliq ou Liqdem)10. Ce nouveau concept se distingue notamment de la démocratie représentative qui permet aux citoyens de voter individuellement pour un représentant qui fait valoir par la suite ses idées. La démocratie liquide est, pour sa part, un dispositif technique propre à l’Internet permettant aux citoyens de délibérer, amender, consulter et voter afin de privilégier leur participation effective au champ politique et à la prise de décision11. Bien que les partis pirates évoluent vers une forme plus efficace et professionnelle d’organisation partisane, ils gardent en tête d’éviter une hiérarchie représentative classique. La démocratie liquide repose donc sur une logique de délégation échelonnée des voix en fonction des enjeux du vote et de la compétence des votants. C‘est ainsi que chaque votant peut déléguer son vote à un autre selon un modèle de liberté et de coopération. Un votant peut cumuler autant de voix qu’il reçoit de délégations et peut même par la suite déléguer des voix qu’il a lui aussi reçues12. C’est en quelque sorte une contribution individuelle au collectif. La démocratie liquide est située entre une démocratie directe et une démocratie participative et pose les bases de logiciels tels que Adhocracy, Liquid Feedback, ou Agora Ex Machina qui sont des plates-formes de démocratie liquide. Le second est créé en 2009 par un groupe de développeurs de Berlin sous une licence libre13. La démocratie liquide est l’objet de plusieurs conceptions. La principale est la récupération de la délégation du pouvoir afin de la combiner avec l’exercice total de la citoyenneté active de la démocratie directe pour la rendre viable et transparente14.

17Il apparaît ainsi que les partis pirates développent leur action sur l’Internet en passant par de nouvelles techniques. Le citoyen se trouve placé au cœur de la vie politique et ces partis se vantent de leur attribuer une voix plus importante en redéfinissant en quelque sorte le principe de la démocratie qui se numérise.

18En outre, le système représentatif semble renouvelé dans un souci de partage égalitaire de la souveraineté. Les interlocuteurs des partis pirates ont l’habitude de déclarer : « nouveaux objectifs, nouvelles méthodes, nouveaux militants » pour définir leur action. Il nous semble donc que les objectifs des partis pirates ont évolué par rapport à ceux appartenant aux partis traditionnels, et cette mutation peut se retrouver au sein des programmes qu’ils mettent en avant.

B. Une programmation politique riche de nouveauté

19Certes, les partis pirates existent et tentent de percer lors des élections, cependant, Maxime Rouquet, vice-Président du Parti pirate français, résume assez clairement l’objectif principal de ces partis : « ce n’est pas un mouvement de politiciens qui cherchent à faire une carrière politique, à prendre le pouvoir ou obtenir une majorité au Gouvernement, c’est uniquement un parti qui est là pour amener des propositions »15. Dès lors, ce n’est pas un programme classique que les partis pirates servent à leurs adhérents, c’est un programme notamment qui ne servirait ni des idées de droite, ni de gauche, mais dont les idées pourraient aider à redéfinir la société de façon pacifique si nous écoutons les dénommés « pirates »16. Cet état d’esprit nous rappelle ainsi que les partis pirates ont été créés afin de défendre la cause de l’Internet et sa liberté de même que sa sécurisation.

20Les partis pirates défendent en outre la liberté du modèle de l’Internet, ils se veulent des défenseurs de la liberté liée au partage de la culture et des informations grâce à la technologie du numérique. Leur principale préoccupation est effectivement d’atteindre une réorganisation, à l’échelle mondiale, du développement « solidaire, soutenable et équitable » de la société. Pour arriver à ce paradigme qu’ils jugent nécessaire, les partis pirates aiment réaffirmer les valeurs fondamentales citoyennes et démocratiques. Ils soutiennent qu’il faut favoriser l’accès et la diffusion de la culture et de la connaissance en se servant d’Internet, afin d’influencer le développement plus global de modèles culturels, économiques ou sociaux, et de pouvoir prétendre à faire coexister des institutions politiques plus modernes, justes et transparentes17. Les programmes des partis pirates sont donc votés par leurs adhérents et militants. Ils reposent surtout sur la défense des droits fondamentaux des citoyens tout en incluant la notion de « droits de l’Internet » qu’ils privilégient et placent en tête de liste des arguments politiques. Les partis pirates s’efforcent ainsi de se saisir d’une question sur les droits numériques dont ils reprochent aux partis institutionnels de ne pas assez s’en préoccuper et de souvent faire preuve de trop de rigueur. Pour eux, les partis classiques freinent l’accès à la culture et au partage de l’information en se prévalant de « non-droits » plutôt que d’accorder des droits plus larges aux internautes. En particulier, les partis pirates luttent contre les monopoles privés ainsi que le système des brevets. « Nos propositions incluent la légalisation du partage hors marché l’ouverture des données, la lutte contre le fichage abusif, le renforcement de l’indépendance de la justice et de la transparence de la vie politique », pouvons-nous lire sur la page Internet du Parti pirate français.

  • 18 Ibid.

21En outre, le programme du Parti pirate français est composé de quatorze points fondamentaux, quatorze domaines d’action qu’ils défendent avec force. Il est mis en exergue que la richesse principale de leur programme est constituée par la défense des droits fondamentaux relatifs au numérique18.

22Concernant les droits fondamentaux, ils sont le point central du programme du programme du parti. Il soumet la nécessaire préservation du droit à l’anonymat et au « pseudonymat » et notamment la reconnaissance de l’Internet comme droit fondamental. De même, le parti défend le droit à l’interruption volontaire de grossesse, l’accès équitable à des soins pour tous les patients, ou encore il souhaite interdire des dispositifs qu’il juge contraires aux droits de l’Homme à l’instar des « ultrasons » pour les jeunes. S’agissant des communications, le parti veut garantir la neutralité des réseaux, étendre le haut-débit à l’ensemble du territoire, toujours dans un souci d’égalité ; en clair, il soumet un programme de défense et d’égalisation de la liberté de communication.

23Pour la diffusion des œuvres, le parti entend légaliser la copie des œuvres, dans un but non lucratif, il souhaite également redonner aux auteurs un contrôle sur leurs œuvres mais en parallèle interdire les systèmes « anticopie ». Il souhaite aussi imposer des délais après lesquels les œuvres passeraient dans le domaine public. À propos de ce domaine public, le programme du parti défend une certaine interdiction de son appropriation. Il veut réduire le délai d’entrée d’une œuvre dans le domaine public ou à l’inverse le rallonger du moment que le public se verrait accorder plus de libertés sur son contenu. De plus, le délai souhaité par le parti ne devrait courir, non plus à la date du décès de l’auteur, mais à compter de la publication de l’œuvre.

24Le parti envisage un soutien des artistes et des auteurs. Il veut créer des licences de gestion collective ou encore mettre en place de nouveaux modèles de soutien et de financement aux œuvres. La protection de la production artistique lui enjoint de limiter fortement les droits d’auteur. Le parti veut également séparer la contrefaçon de l’atteinte au droit d’auteur ou encore créer un délit de plagiat qui soit totalement séparé de ce droit. Concernant le système de brevets et monopoles, la principale idée de cette catégorie est le blocage et la limitation des brevets et monopoles. L’exemple principal est l’interdiction de nombre de brevets et de licences qui semblent limiter les droits fondamentaux des citoyens.

25La vie privée est un domaine privilégié par le parti, il souhaite interdire le fichage abusif, limiter la vidéo-surveillance, permettre aux citoyens de jouir d’un droit d’accès et de modification de leur identité sur des fichiers... En outre, la protection de la vie privée et son renforcement sont fortement mis en avant. La transparence des revenus de la création est défendue par le parti qui émet l’idée que les revenus de la création ne sont pas bien répartis et qu’une transparence plus développée pourrait stabiliser les revenus de l’auteur de l’œuvre.

26Pour la censure, le parti souhaite, non pas interdire la censure, mais autoriser seulement les techniciens des sites à l’utiliser. Ils défendent ainsi l’idée que la censure doit être limitée. Ils veulent donc accéder à une neutralité du réseau pour garantir l’égalité de traitement de tous les flux de données sur l’Internet. Dans un souci de transparence de la vie politique, le parti entend « clarifier » le système politique, avec notamment une clarification des marchés publics ou des lois d’exception.

27L’indépendance de la justice est de même envisagée pour le parti : la justice doit retrouver son indépendance et son intégrité, ceci passant notamment par la conformité inadéquate des lois aux décisions communautaires remises en cause. Au niveau de l’État et des collectivités, le parti défend l’utilisation de logiciels libres et la publication des formats standards ouverts et libres.

28L’écologie est aussi traitée par le programme pirate qui entend favoriser les énergies écologiques et empêcher les lobbies de détenir des monopoles énergétiques.

  • 19 C. Schoen, « Le fondateur du Parti pirate suédois : "J’ai pris de la drogue et ça m’a plu"«  [en li (...)

29Revenant sur la liberté du Web tant désirée par les partis pirates, en France notamment, la liberté individuelle est menacée par des projets de loi ou des lois déjà entrées en vigueur. Ainsi, nous pouvons évoquer les lois HADOPI (qui vise à réprimer le partage d’œuvres sur Internet) ou « loi de création » LOPPSI (qui vise à autoriser l’Administration à bloquer certains sites sans l’intermédiaire d’un juge et qui renforce la censure en ligne) ainsi que le Traité ACTA ou « Accord commercial anti-contrefaçon » (qui vise à surveiller et censurer les communications en réseau tout en contournant l’organe judiciaire). Le Parti pirate met un point d’honneur à contredire ces législations dont il critique le caractère répressif. Il souhaiterait par là-même enterrer ces dernières qu’il considère comme une menace à la liberté d’expression. De la même manière, le Piratpartiet suédois s’oppose à la législation nationale dans un autre domaine, celui de la consommation de stupéfiants. En effet, ce parti intègre dans son programme la légalisation de l’usage des stupéfiants dans la sphère privée. Rick Falkvinge ayant même tenu pour propos : « j’ai pris de la drogue et ça m’a plu »19.

30Les partis pirates se sont ainsi inspirés des problèmes de société pour forger leur programme, ils partagent des domaines d’action avec les partis institutionnels mais ils se sont spécialisés sur une nouvelle approche du numérique qui permettrait aux internautes et à tous les citoyens d’utiliser l’Internet de façon à les ouvrir le plus possible à la culture en naviguant plus librement sans être contrôlés de manière intempestive par les gouvernements. En soit, le système représentatif est réinventé par la notion de démocratie liquide, plus exactement par la force des partis exclusivement basés sur Internet. Ces partis défendant la liberté de partage, ils créent une nouvelle tendance politique propre à la défense de ce droit. Intrinsèquement, ces partis pirates trouvent à s’étoffer du fait de leurs idées et parviennent à dépasser le seul champ de séduction numérique pour prendre place dans un contexte plus large. Ainsi, ils parviennent à s’implanter dans la sphère politique aux côtés des autres partis et se libèrent progressivement de leur attache à la toile.

II. Des partis pirates effectivement libérés d’Internet

31Nous constatons que les partis pirates se forgent une idéologie qu’ils tentent de faire partager au plus grand nombre. À cette fin, ils visent à rendre plus accessibles leurs programmes afin de capter l’attention d’un plus large public qui devient alors, par la forme partisane des pirates, un électorat. Les électeurs pirates sont notamment plus nombreux, ce qui mène les partis pirates nationaux aux portes des institutions politiques nationales (A). Ce processus donne aux partis une voix sans cesse grandissante à l’échelon international (B).

A. Une autorité naissante sur la scène nationale

  • 20 E. Braw, « Parti pirate : nous sommes le prochain grand courant politique » [en ligne] http://www.m (...)

32En 2012, Rick Falkvinge déclare lors d’une interview faire partie du « prochain grand courant politique »20. Il défend en effet l’idée que le programme des partis pirates répond grandement aux nouvelles préoccupations des citoyens et que grâce à cela le nombre de personnes rattachées à ce courant politique partisan se voit multiplié. Ce que déclare le fondateur du Piratpartiet est notamment basé sur le succès grandissant des différents partis pirates nationaux au sein de leur pays de siège. Si nous nous en tenons simplement aux chiffres, nous nous apercevons que plus d’une soixantaine d’États possèdent aujourd’hui un parti de ce genre, cela, additionné aux nombreux partis pirates locaux, montre que l’essor de l’idéologie pirate s’est considérablement actionnée depuis 2006, date de création du premier parti. Ce qui est assez fort et qui révèle la volonté de changement des citoyens pirates est la proportion d’entre eux souhaitant impérativement changer la totalité du système politique. En France, 15 % des votants appartenant à ce parti électronique veulent tout simplement la rédaction d’une nouvelle Constitution ce qui prouve une fois de plus que les attentes des adhérents pirates sont précises et claires.

33À l’international, l’émancipation de partis pirates du Net s’est effectuée de manière assez irrégulière, mais toutefois elle est flagrante. En analysant le cas français, il est presque impossible d’extraire le Parti Pirate de son attache numérique par exemple. En effet, une limite se dégage du nombre d’électeurs nationaux ignorant son existence. Ainsi, seulement 12 % des électeurs français connaissent le Parti pirate, c’est un frein à son développement sur la scène politique21. C’est la raison pour laquelle un candidat à une législative partielle dans les Yvelines n’a obtenu que 2 % des suffrages exprimés. Pourtant, aux élections législatives françaises de juin 2012, pas moins de 101 candidats du Parti Pirate se sont présentés dans les différentes collectivités, ce qui montre un engouement pour ce dernier. Nous pouvons souligner que la France compte pas moins de 900 adhérents (elle en comptait moins d’une centaine en 2009) et le Parti Pirate revendique même plusieurs millions de sympathisants. Il existe même des rassemblements pirates semblables à des Universités d’été qui sont créés à l’instar des partis classiques, c’est le cas d’un mouvement de rassemblement qui s’est tenu en août 2012 à Angoulême surnommé « Pirate camp ». En parallèle, l’idéologie du parti s’étend hors des frontières numériques grâce à diverses interventions de ses représentants C’est ainsi que le 25 avril 2013, le parti a pu présenter sa conception de la démocratie à Paris au sein de la glorieuse institution de la Sorbonne. En 2014, la France connaît son premier élu pirate, Freddy Vasseur, devenu conseiller municipal de Porte-lès-Valence dans la Drôme, après que la liste UDI sur laquelle il était inscrit arrive en tête face au Parti communiste. Cependant, il est vrai que le parti, ayant déposé ses statuts en 2009, ne parvient pas à faire valoir sa légitimité nationale. Il n’a pas de succès aux élections, les partis traditionnels ne cessent de critiquer ses idées. En définitive, le Parti Pirate français est montré comme un parti sans grande réussite pour le moment. Certains se demandent alors comment il pourrait compter sur un succès au même titre que ses voisins européens.

  • 22 B. Ferran, « Le Parti pirate français rêve de suivre l’exemple allemand » [en ligne] http://www.lef (...)

34Pour ce qu’il en est de la France, le succès n’est pas encore au rendez-vous. Pourtant, en Europe, deux partis pirates sortent de leur enclave numérique et sont parvenus à intégrer la politique et le corps législatif de leur pays. Il s’agit en outre de l’Allemagne, laquelle a vu s’élargir le spectre du programme politique des partis pirates. Cela a alors permis au Piratenpartei d’obtenir des élus dans des instances électives locales. De ce fait, en 2011, le parti pirate allemand obtient pas moins de 8,9 % des voix aux élections du Parlement du Land de Berlin, ce qui lui permet d’obtenir 15 sièges au sein de cette institution régionale. Le Piratenpartei est devenu la quatrième force politique allemande, ce qui lui confère la légitimité désirée. Angela Markel, la Chancelière nationale déclare à la suite de cela que « c’est un vote contestataire à prendre au sérieux », ce qui renforce une fois de plus le rôle politique du parti22. Le fait que le Piratenpartei ajoute à son programme des dimensions écologiques ou sociales lui permet d’obtenir de plus forts résultats par exemple que le parti écologiste. Entre 2009 et 2012, ce parti a réussi à placer 45 élus députés dans les différents Länder. En plus des 15 députés berlinois, il y a eu 4 élus au Parlement de la Sarre. En parallèle de ces élections législatives, 194 conseillers municipaux ont été élus sur le territoire allemand, ce qui nous donne encore une fois une marque du succès grandissant des pirates. En dehors des élections, le parti allemand compte plus de 300 groupes à l’échelle nationale organisant des activités collectives, des congrès, des conférences et des échanges. Le parti pirate est donc très présent ce qui lui permet de mieux être vu, d’aller au-devant de la scène politique. Comparativement à la France qui est plus sur la réserve, l’Allemagne connaît une avancée spectaculaire de son parti pirate.

  • 23 Le Monde, « Le Parti pirate islandais, premier au monde à entrer dans un Parlement national » [en l (...)

35Dans le reste de l’Europe, les marqueurs de l’avancée de l’idéologie pirate se font connaître après le succès en Allemagne. En Islande, le parti « Piratar » a été le premier au monde à franchir les portes d’une instance élective nationale, c’est une nouvelle ère des pirates qui s’est développée alors. En effet, ayant obtenu un score de 5,1 % des suffrages aux élections législatives de 2013, le « Piratar » a ainsi obtenu 3 sièges sur les 63 en lice. Cela marque le début de l’action pirate dans la politique, non plus locale, mais désormais nationale, et offre des voix de décision aux pirates dans la politique de l’État23. Dans un moindre degré mais qu’il ne faut pas négliger, il est possible de mettre en exergue que trois conseillers municipaux pirates ont également été élus en République Tchèque, et qu’un autre à l’instar de la France a été élu en Suisse.

36Nous percevons que les partis pirates nationaux se sont élargis, et ont réussi petit-à-petit à s’offrir une place dans le système politique de la nation. Cela souligne que le système représentatif des partis classiques est bouleversé et qu’une nouvelle vision idéologique défendant l’usage de l’Internet et la libre-circulation des informations est en train d’émerger au sein des États. Cependant, nous pouvons constater que le phénomène des partis pirates est bien plus large que le cadre national. En effet, il s’agit bien de souligner que les pirates, à l’échelon mondial, s’imposent et commencent à séduire la société internationale.

B. Une assise légitimée par la société internationale

  • 24 Parti pirate français, op. cit.
  • 25 P. Hérard, op. cit.

37Les différents partis pirates internationaux révèlent un intérêt commun dont les sources sont très certainement reprises du premier parti pirate de 2006, le Piratpartiet. Il a été question très rapidement de fonder une organisation capable de regrouper et de gérer l’ensemble de ces derniers. La finalité poursuivie par les partis pirates était une harmonisation de leur programmation. De même ils ont pensé qu’une présence internationale leur permettrait une plus large voie d’action et de représentation. De ce fait, après une première rencontre internationale en juin 2007, afin d’aider à construire, soutenir, promouvoir ainsi que de maintenir la communication entre tous les partis pirates du monde, le Parti pirate International est créé à Bruxelles entre le 14 et le 16 avril 2010. Cette année représente donc une valeur fondamentale dans l’internationalisation des pirates puisque le Parti pirate International permet à ses membres, les partis pirates nationaux, d’avoir un point de contact au niveau mondial. Le Parti pirate International prend, en outre, la forme d’une organisation internationale regroupant les partis pirates du monde entier et, est régi par un Conseil ainsi qu’une Assemblée générale, reprenant les bases de fonctionnement des organisations internationales préexistantes. L’organisation abrite des membres ordinaires et des membres observateurs. Dès l’origine du Parti pirate International, il a notamment rassemblé pas moins de quarante-trois pays24. L’organisation a d’abord été construite comme un groupe de pression se prononçant sur des questions liées aux nouvelles technologies et aux libertés des utilisateurs de l’Internet. Assez rapidement, le Parti pirate international évolue vers une vision plus globale de la société. Il est notoire de constater que les partis pirates nationaux s’identifient clairement comme faisant pleinement partie de l’organisation, à l’instar du Parti pirate en France dont le vice-Président semble fier d’annoncer : « Nous ne sommes pas le Parti pirate français, mais le Parti pirate de France ». Cette citation tend à montrer une internationalisation constante et voulue des partis pirates qui se rattachent désormais à l’organisation, laquelle leur apporte une légitimité sur la scène internationale25.

  • 26 N. Sanyas, « Le Parti Pirate international deviendra-t-il un observateur de l’OMPI en 2013 ? » [en (...)
  • 27 Parti pirate International, « WIPO Member States delegations have denied Pirate Parties Internation (...)
  • 28 Parti pirate International, « The WTO has accepted Pirate Parties International (PPI) as an Observe (...)
  • 29 RFI, op. cit.

38Si les partis pirates profitent de la notoriété du Parti pirate International, ce dernier tente aussi par ses moyens de se frayer un chemin dans la gestion politique des affaires internationales, et ce afin de réellement porter l’idéologie et le programme des partis pirates au cœur de la gouvernance mondiale. Pour ce faire, dans un premier temps, l’organisation pirate formula une demande à l’Organisation mondiale de la propriété intellectuelle, basée à Genève en Suisse, pour devenir un de leurs observateurs. En effet, la propriété intellectuelle étant l’un des fondements de l’action des pirates, ils se proposent comme observateurs afin de faire valoir leurs objectifs. Or, certains États membres de l’OMPI se déclarent opposés et refusent la demande de l’organisation. Les partis pirates se définissant comme opposés aux droits d’auteur, l’OMPI, par le biais des États-Unis et d’autres pays industrialisés, leur ferme la porte car l’organisation se place à l’inverse dans la défense de ces droits26. Cette mésaventure ne découragea pourtant pas le Parti pirate International qui, dans un second temps va chercher à se rapprocher de l’Organisation mondiale du commerce. Les pirates demandent alors à l’OMC de les accepter en tant qu’observateur permanent, ce qu’elle refuse tout d’abord27. Mais par la suite, l’OMC accepte la seconde demande du Parti pirate International pour devenir observateur, non-permanent. Elle laisse donc les pirates assister à la conférence ministérielle qui s’est tenue à Bali du 3 au 6 décembre 201328. Cela constitue une avancée majeure dans la légitimation des revendications pirates au sein de la société internationale et de ses instances de négociation. Ce statut d’observateur permet ainsi au Parti pirate International d’envoyer quatre personnes à la Conférence de l’OMC afin d’y exposer ses objectifs. Le Parti pirate International est aussi une structure permettant des interventions dans le monde entier, et non plus seulement au sein des nations respectives des partis. Par exemple, en 2014, 200 délégués de l’organisation se sont réunis à Prague afin de discuter d’un programme commun en vue des élections européennes de la même année29.

  • 30 Le Monde, « Européennes : résultats décevants pour le Parti pirate » [en ligne] http://www.lemonde. (...)
  • 31 Parti pirate Suède [en ligne] http://partipirate.se/politique-liee-au-commerce-exterieur (consulté (...)

39Le Parti pirate International a renforcé l’action individuelle des partis pirates nationaux. Toutefois, déjà, avant sa création, les partis pirates nationaux s’étaient établis sur la scène politique mondiale outrepassant les limites de leur territoire. En 2009, pour citer la force du Piratpartiet, ce dernier a réussi l’exploit de séduire 7,1 % des électeurs lors des élections européennes ce qui lui a permis de faire entrer deux députés suédois mais surtout pirates au Parlement européen. Ces deux nouveaux eurodéputés au Parlement, Christian Engström et Amelia Andersdotter, sont le symbole d’une victoire du programme pirate à l’échelle internationale et communautaire. De même, Julia Reda est élue eurodéputée à Bruxelles. Cette allemande est élue au Parlement européen aux élections de 2014 et reste actuellement la seule eurodéputée d’idéologie pirate30. En définitive, à l’échelon supranational, trois élections ont permis de relever de l’avancement politique des partis pirates qui entrent ainsi dans une sphère politique mondiale. En reprenant ce concept de communautarisation de la pensée pirate, de même qu’en analysant les scores d’élections dans l’Union européenne, le Parti pirate International a voulu instituer un parti pirate qui regrouperait ses confrères européens. Ainsi, le Parti pirate Européen est créé à Bruxelles en 2014 après que 15 pays européens se soient réunis au Luxembourg le 4 septembre 2013. Le Parti pirate Européen est alors fondé pour préparer la participation organisée conjointement des différents partis qui le composent dans la perspective des élections européennes de 2014. Ce dernier se compose de 21 partis pirates provenant de l’Union européenne et d’ailleurs en Europe (c’est le cas de la Suisse, de la Norvège ou encore de l’Islande). Tous ces partis se concertent par ailleurs cette année pour entrevoir une candidature à la présidence de la Commission européenne. Ils se mettent d’accord sur un programme commun à tous les partis, et ils élisent l’eurodéputée en cours de mandat, Amelia Andersdotter comme Présidente, ainsi que Martina Poser et Maxime Rouquet comme vice-Présidents. Grâce à cette entente européenne, les partis pirates nationaux et locaux ont introduit dans leur programme des revendications nouvelles basées sur le droit européen. C’est le cas, en France du Parti pirate Sud-Est, qui défend depuis le commerce extérieur à l’Europe passant par de nouvelles négociations européennes. Il demande notamment une participation renforcée du Parlement européen, une intégration des intérêts du Parti pirate International dans les négociations européennes, un accès global à l’information et la mise en place d’auditions publiques, ainsi que le respect de l’autodétermination et de la vie privée31.

40Il est possible d’affirmer que le système représentatif est renouvelé par de nouvelles formes partisanes numériques qui semblent évoluer et se détacher de l’Internet en produisant des élus qui les représentent, qui représentent leurs programmes en utilisant le web et le principe de la démocratie liquide. Ces partis vont petit-à-petit prendre place au cœur de la vie politique nationale et internationale grâce à des moyens d’action assez structurés. Si les partis pirates ont réussi à s’émanciper de la toile grâce à l’élection, un doute peut être émis sur la continuité et l’avenir de ces derniers parce que leur identité est remise en question. En effet, le fait que ces partis n’existent que dans un nombre restreint d’États permet de se questionner sur le processus de leur globalisation. De même, le succès des pirates aux élections législatives de 2009 ne s’est pas reproduit en 2014. Malgré la création du Parti pirate Européen, pourtant censé accentuer leur voix, Julia Reda a été élue de justesse et les deux eurodéputés suédois ont perdu leur siège. Cela montre une faiblesse des partis pirates qui n’arrivent certainement pas encore à capter suffisamment l’intérêt des citoyens. Il est tout aussi hypothétique de croire que ces partis vont s’éteindre que de penser qu’ils vont se développer jusqu’à parvenir à un succès à l’instar des partis traditionnels et institutionnels. Pour autant, ce qui souligne un renouveau du système représentatif en parallèle est un certain alignement de ces partis classiques qui utilisent désormais plus le Web dans leur mode d’action, pour certains, ou qui émettent des revendications nouvelles inspirées du programme des partis pirates. Ce phénomène pirate peut aussi être mis en corrélation avec d’autres mouvements numériques comme le « Mouvement 5 étoiles » fondé par un humoriste italien, Beppe Grillo, qui lui aussi bouleverse le système représentatif par l’utilisation d’un blog et de plates-formes numériques destinées à établir des listes de candidats aux élections. Ce mouvement a lui aussi sa part de succès, puisqu’en 2013 il a réussi à obtenir 109 sièges à la Chambre des députés et 54 sièges au Sénat. Pour finir, le Parti pirate International se rapproche du mouvement « Anonymous » qu’il soutient de par sa forme d’engagement pirate, bouleversant lui-aussi les codes politiques du système démocratique et représentatif.

Notes

1 M. Dagnaud, « Le Web, ce laboratoire du capitalisme sympa », Le Débat, 2010-3, n° 160, p. 161-176.

2 A. Laurent, « Le Parti pirate suédois siègera au Parlement européen » [en ligne] http://www.clubic.com/actualite-280810-parti-pirate-suedois-siegera-parlementeuropeen.html (consulté le 4 février 2015).

3 « Forum de discussion du Parti pirate français » [en ligne] http://www.partipirate.org/ (consulté le 14 janvier 2015).

4 F. Greffet et S. Wojcik, « “La citoyenneté numérique” Perspective de recherche », Réseaux, 2014-2, n° 184-185, p. 125-159.

5 J. Boquet, « La culture pirate à l’épreuve de la forme partisane », Tracés, 2014-1, n°26, p. 89-110.

6 Ibid., p. 89-110.

7 L. Dricot, « Et si on tuait le Parti Pirate ? » [en ligne] http://ploum.net/et-si-on-tuait-le-parti-pirate (consulté le 27 janvier 2015).

8 « “Notre électorat potentiel est avant tout composé de gens aux valeurs post-matérialistes”, Entretien avec Fabio Reinhardt, député du Parti pirate à la Chambre de Berlin », Parlement[s], Revue d’histoire politique, 2014-1, n° 21, p. 131-141.

9 J. Boquet, op. cit., p. 89-110.

10 B. Manenti, « Le Parti Pirate ou l’avènement de la ‘’démocratie liquide’’«  [en ligne] http://tempsreel.nouvelobs.com/politique/legislatives-2012/20120524.OBS6436/le-partipirate-ou-l-avenement-de-la-democratie-liquide.html (consulté le 14 janvier 2015).

11 A. Renault, « Démocratie liquide » [en ligne] http://www.participation-etdemocratie.fr/fr/dico/democratie-liquide (consulté le 6 février 2015).

12 J. Boquet, op. cit., p. 89-110.

13 N. Auray et S. Ouardi, « ‘’Numérique et émancipation’’, De la politique du code au renouvellement des élites », Mouvements, 2014-3, n° 79, p. 13-27

14 C. Albano, « Vous avez dit "Démocratie réelle ?"« Multitudes, 2013-4, n° 55, p. 203-210.

15 P. Hérard, « Parti pirate : partageurs de tous les pays unissez-vous ! » [en ligne] http://information.tv5monde.com/info/parti-pirate-partageurs-de-tous-les-pays-unissez-vous-6881 (consulté le 19 février 2015).

16 RFI, « Le Parti pirate international réuni en congrès à Prague » [en ligne] http://www.rfi.fr/europe/20120414-le-parti-pirate-international-penche-prague-europeennes-2014 (consulté le 18 janvier 2015).

17 Parti pirate français [en ligne] http://www.partipirate.org (consulté le 14 janvier 2015).

18 Ibid.

19 C. Schoen, « Le fondateur du Parti pirate suédois : "J’ai pris de la drogue et ça m’a plu"«  [en ligne] http://www.lexpress.fr/actualite/monde/europe/le-fondateur-du-parti-piratesuedois-j-ai-pris-de-la-drogue-et-ca-m-a-plu_1534333.html (consulté le 27 janvier 2015).

20 E. Braw, « Parti pirate : nous sommes le prochain grand courant politique » [en ligne] http://www.metronews.fr/info/parti-pirate-nous-sommes-le-prochain-grandcourant-politique/mleD !rqYHIL6pjSI1o/ (consulté le 14 janvier 2015).

21 G. Goly, « Le Parti Pirate à l’abordage » [en ligne] http://www.mouv.fr/article-le-parti-pirate-a-l-abordage (consulté le 18 janvier 2015).

22 B. Ferran, « Le Parti pirate français rêve de suivre l’exemple allemand » [en ligne] http://www.lefigaro.fr/secteur/high-tech/2011/09/20/01007-20110920ARTFIG00541-le-parti-pirate-francais-reve-d-un-destin-a-l-allemande.php (consulté le 14 janvier 2015).

23 Le Monde, « Le Parti pirate islandais, premier au monde à entrer dans un Parlement national » [en ligne] http://www.lemonde.fr/europe/article/2013/04/28/le-parti-pirate-islandais-premier-au-monde-a-entrer-dans-un-parlement-national_3167882_3214.html (consulté le 23 février 2015).

24 Parti pirate français, op. cit.

25 P. Hérard, op. cit.

26 N. Sanyas, « Le Parti Pirate international deviendra-t-il un observateur de l’OMPI en 2013 ? » [en ligne] https://www.nextinpact.com/news/74911-le-parti-pirate-international-deviendra-t-il-observateur-ompi-en-2013.htm (consulté le 15 janvier 2015).

27 Parti pirate International, « WIPO Member States delegations have denied Pirate Parties International’s application for admittance as a Permanent Observer » [en ligne] http://www.pp-international.net/WIPO-denied-PPI-application-for-admittance-as-a-Permanent-Observer (consulté le 18 janvier 2015).

28 Parti pirate International, « The WTO has accepted Pirate Parties International (PPI) as an Observer of the WTO Ministerial Conference » [en ligne] http://www.pp-international.net/wto-has-accepted-PPI-as-an-observer-of-the-wtoministerial-conference-in-bali (consulté le 18 janvier 2015).

29 RFI, op. cit.

30 Le Monde, « Européennes : résultats décevants pour le Parti pirate » [en ligne] http://www.lemonde.fr/pixels/article/2014/05/26/reusltats-decevants-pour-le-parti-pirate-aux-europeennes_4426195_4408996.html (consulté le 4 février 2015).

31 Parti pirate Suède [en ligne] http://partipirate.se/politique-liee-au-commerce-exterieur (consulté le 15 janvier 2015).

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