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La persistance du Midi blanc

 | 
Philippe Secondy

Quatrième partie. Vers une réhabilitation de l'expérience pétainiste

Chapitre 1 : L’effervescence de la Libération : un contexte favorable à l’effacement de Vichy

Texte intégral

  • 1 Fred Kupferman, Les premiers beaux jours (1944-1946), Paris, Calmann-Lévy, 1985, p. 82.

1Les périodes de transition correspondent souvent à des conflits de légitimité qui peuvent très facilement s’envenimer. L’atmosphère pesante, propre à la France de Vichy, perdure. La liesse populaire vire rapidement aux règlements de compte orchestrés par les rameaux d’organisations formés durant la clandestinité. Des individus isolés décident de se faire justice ou profitent d’une situation incontrôlable pour assouvir leurs plus bas instincts. Bien des parties en présence souhaitent « effacer Vichy »1. Cette expression est empruntée à l’historien Fred Kupferman qui décrit les années 1944-1946. Celui-ci l’utilise à propos de la mission confiée par Charles de Gaulle aux commissaires de la République envoyés dans les régions pour jouer le rôle de régulateur de l’ordre public. La vision gaullienne de la politique plaide en faveur du pardon des trahisons et des reniements pour donner un nouvel élan au pays. Nonobstant, elle peut se lire à d’autres niveaux. C’est ainsi que dans le balbutiement du redéploiement des partis politiques, nous noterons que des petits groupes éparpillés, regroupant des radicaux ou des ex-PSF vont se rapprocher au sein du Rassemblement des gauches républicaines. Au cœur de celui-ci, certains brandissent ouvertement la bannière de l’oubli qui ouvre la voie à la future réhabilitation du régime de Vichy. Enfin, et nous commencerons par cet aspect saillant, « l’effacement » peut signifier la volonté de faire disparaître « physiquement » tous ceux qui incarnaient le soutien à un régime décidé à s’investir dans « l’Europe nouvelle » dominée par les nazis. Les sentences expéditives observées dans les premiers mois d’une Libération, sujette à tous les excès, correspondent en partie à ce désir refoulé durant la période où le carcan autoritariste encadrait les populations.

Un immense défoulement collectif

  • 2 Ce spécialiste de la Seconde Guerre mondiale dirige la collection « La Libération de la France » a (...)
  • 3 Roger Bourderon, Libération du Languedoc méditerranéen, Paris, Hachette, 1974.
  • 4 Parmi tous les travaux universitaires disponibles, trois thèses de doctorat semblent se distinguer (...)

2Le voile qui cachait les mois brûlants de la Libération se lève progressivement. Il a fallu attendre le début des années 1970 pour découvrir les premières études régionales encouragées par Henri Michel2. En 1974, Roger Bourderon a ouvert la voie. Il a défriché l’espace languedocien dans une solide monographie3 et, depuis lors, d’autres travaux de qualité ont bénéficié des facilités juridiques pour accéder aux fonds d’archives afin de compléter ou d’amender le tableau brossé par cet éclaireur4. La période de transition entre la chute du régime de Vichy et la reconstruction de la légalité républicaine varie d’un lieu à l’autre. Les initiatives prises par l’appareil répressif, le poids de la Résistance, l’attitude des populations face aux efforts de guerre, la position géostratégique de l’espace étudié, sont des facteurs qui dessinent un type particulier de rapport à la Libération.

  • 5 Patricia Boyer, Épuration, politique..., op. cit., p. 17 et s.
  • 6 Pierre Maraval, « La répression... », op. cit., p. 70.
  • 7 Gilbert de Chambrun, Journal d’un militaire d’occasion, Avignon, 1982, p. 154.

3Pour ce qui concerne le Bas-Languedoc, les variables lourdes sont les problèmes liés au ravitaillement que n’arriveront jamais à résoudre les autorités de l’Occupation et la mise en défense du littoral en vue de contrer un éventuel débarquement. Ce qui entraîne l’exode de 80 000 personnes vers le Nord du département, l’Aveyron ou le Tarn5. Déjà, au cours de l’été 1942, les rafles touchant les juifs et l’installation des troupes allemandes avaient constitué un tournant majeur. Même si la comparaison avec d’autres sites mériterait d’être approfondie, les opérations menées par la Gestapo et la Milice, « institutionnalisant la torture »6, laissent des traces impossibles à effacer. Les rapports de l’époque font état de 8 100 prisonniers de guerre, 5 000 déportés du STO, 500 déportés politiques et raciaux. On compte aussi 138 FFI tués au combat et de nombreux résistants fusillés par les nazis... Les leviers du pouvoir régional sont accaparés par les miliciens : le préfet Reboulleau fait partie de ce service, tout comme l’intendant de police (Hornus), le chef de l’administration pénitentiaire, le directeur de cabinet du préfet... Dès le début de l’année, la justice expéditive des cours martiales permet de « fusiller légalement » les Résistants. Leurs actions répétées et l’intensification des bombardements alliés, de juin 1944 à la date du débarquement en Provence, provoquent un repli des armées allemandes. Ce climat général fait dire à Gilbert de Chambrun, le chef des FFI pour la région, « qu’il était facile de prévoir qu’une explosion de colère se produirait à la Libération du territoire »7.

  • 8 Dans le village de Pignan, près de Montpellier, la police militaire des FFI procède à l’arrestatio (...)
  • 9 Archives municipales de Béziers 42 W 3. Citation donnée par Pierre Maraval, ibidem.
  • 10 Rapport du 10 janvier 1945 de la mission d’inspection du général Revers sur le territoire de la 16(...)

4Au cœur de la période estivale, pendant que les principales autorités administratives et militaires de la Résistance trouvent leurs repères pour empêcher une vacance trop prolongée de l’autorité publique, une « répression insurrectionnelle » se manifeste. Les Comités locaux de Libération délivrent des « mandats d’arrêt », imposent des restrictions de liberté à des présumés suspects. Des forces autonomes du pouvoir, issues des FFI ou des Milices patriotiques, s’attribuent des missions habituellement confiées à la gendarmerie ou à la police8. Dans la croisade engagée par les nouveaux maîtres de la rue, certains affichent ouvertement leur désir d’employer de grands moyens pour « effacer » (c’est-à-dire éliminer) tous les complices de l’État français. Le responsable des FFI de Béziers, ville dans laquelle se regroupent de nombreux citoyens avides de sévir au plus tôt contre les persécuteurs, déclare en septembre 1944 que « si pour arrêter 200 personnes coupables, il fallait procéder à 10 000 arrestations, l’autorité militaire n’hésiterait pas un seul instant à faire son devoir. Les 10 000 personnes seraient arrêtées »9. Les points de vue convergent pour regretter le désordre qui frappe la cité de Jean Moulin. « Béziers est devenue une véritable ville de gangsters, lieu de rendez-vous de tous les interdits de séjour du littoral méditerranéen », souligne le préfet. Quant au général Revers, commandant de la région Languedoc-Roussillon, il dresse un plan large et insiste sur ce particularisme : « la région est extrêmement sensible. La population y est bruyante, volontiers emportée et des troubles soudains peuvent naître si les sentiments populaires sont trop violemment heurtés (...). Le point certainement le plus délicat où les incidents sont le plus à craindre est nettement la ville de Béziers. Elle a toujours été une ville relativement extrémiste. Son caractère n’a pas changé »10.

  • 11 Ibidem.
  • 12 André Halimi, La délation sous l’Occupation, Paris, Alain Moreau, 1983.
  • 13 L’affiche suivante a été apposée sur les murs de la ville de Béziers, le 14 septembre 1944. Elle c (...)
  • 14 Pierre Maraval, ibid.
  • 15 Témoignage donné par Jacques-Augustin Bailly, La Libération confisquée..., op. cit.
  • 16 Patricia Boyer, « L’épuration en Languedoc... », op. cit.
  • 17 Rapport du 15 mars 1946. ADH 356 W 161. Citation donnée par Pierre Maraval, ibid.

5À l’échelle du département, environ « 2 000 individus sont emprisonnés pour faits de collaboration dans les deux premiers mois qui suivent la Libération »11, écrit Pierre Maraval. L’arbitraire naît de la passion. Il en résulte que les accusations de collaboration peuvent cacher des conflits interpersonnels aux conséquences ravageuses. La délation fréquente au temps de l’Occupation12 ne faiblit pas avec le retour de la paix. Les Comités de Libération multiplient les avertissements pour endiguer l’escalade des lettres anonymes13. La chasse aux femmes infidèles, tondues et exhibées sur la place publique, choque l’observateur lointain d’une période qui laisse se développer toutes les exubérances. Celui-ci ne manque pas d’être étonné par le caractère expéditif de la justice. La Cour martiale de Montpellier, entre août et septembre, juge 102 accusés : 70 % seront condamnés à la peine capitale. Entre le 6 et le 11 septembre, le chiffre atteint même les 92 %. Ce qui la situe, avec Limoges, parmi les plus implacables au niveau national14. La barbarie des miliciens siégeant à la caserne de Lauwe, au cœur du chef-lieu du département, est un des éléments couramment avancé pour comprendre la soif de vengeance animant les personnes en charge de rendre la justice. Toutes appartenaient au groupe de FTP du maquis de la Haute-Lozère dont le caractère « révolutionnaire » paraît indéniable. L’exaltation du public qui se presse aux audiences n’aide pas à la sérénité des débats. Un témoin décrit en ces termes les procès du 6 septembre : « Une foule énorme assiste à l’audience. On se bat aux portes de la salle. Dans les tribunes, beaucoup de FFI, beaucoup aussi de jeunes gens, de jeunes filles, de femmes en toilette élégante. Des jeunes gens envahissent le deuxième étage des galeries, entrent par les fenêtres, des carreaux cassent ; il fait terriblement chaud (...). Véritable impression de tribunal révolutionnaire ; autour des juges, les gens se pressent, assis, debout. La foule hurle à mort, applaudit quand les sentences sont proclamées »15. Un semblable climat règne, selon les rapports des renseignements généraux, durant les exécutions. Fréquemment, 700 ou 800 spectateurs s’y rendent « en famille »16. Rétrospectivement, André Weiss, le préfet nommé par le Gouvernement provisoire de la République française, apporte ces précisions sur la période : « Dès la Libération du département, dans l’atmosphère révolutionnaire créée par l’arrivée des FFI et la prise des pouvoirs administratifs par les Comités de libération, les Cours martiales se sont mises à fonctionner. La sévérité de ces Cours, auprès desquelles les droits de la défense n’étaient que très imparfaitement assurés, donnait grande satisfaction à cette partie de la population qui avait particulièrement souffert de l’occupation allemande et des procédés de la Milice... Une autre partie de la population (importante, il faut le reconnaître) blâmait le caractère aveugle de cette répression et manifestait bientôt la crainte que son caractère révolutionnaire ne se prolongeât et qu’on assistât à des effusions de sang injustifiées... Chacun admet ici qu’un pays hautement civilisé comme le nôtre ne pouvait voir se perpétuer les cours martiales. Elles n’étaient admissibles qu’en période révolutionnaire et, tant vis-à-vis de l’étranger que de nous-mêmes, nous eussions perdu la face en les laissant subsister après notre retour rapide à la légalité républicaine »17.

6L’appareil d’État en lambeaux, obligé d’imposer ses nouvelles institutions dans tous les recoins du territoire, n’arrive pas à canaliser toutes les poussées de fièvre. Or, le retour de l’ordre public est un préalable indispensable. Pour arriver à ses fins, le gouvernement s’emploie à retrouver la maîtrise de la machine judiciaire confisquée dès les premières lueurs de la Libération par les organisations de la Résistance. Pour faire aboutir ces objectifs complexes, le gouvernement provisoire a recours à des délégués personnels propulsés à la tête de régions regroupant plusieurs départements pendant une durée indéterminée : les commissaires de la République.

La voie de l’apaisement choisie par les autorités légales

  • 18 C’est ainsi que René Cassin les définit dans la préface de l’ouvrage de Charles-Louis Foulon, Le p (...)
  • 19 Ce sigle désigne l’administration militaire alliée des territoires occupés. Sa présence est intolé (...)
  • 20 Charles-Louis Foulon, op. cit., p. 8.
  • 21 « On n’a pas vu de tels hommes en France depuis la Révolution ». Citation de Fred Kupferman, op. c (...)
  • 22 Le commissaire de la République en poste à Montpellier est chargé d’administrer six départements : (...)
  • 23 Charles-Louis Foulon, op. cit.
  • 24 Jacques Bounin, Beaucoup d’imprudences, Paris, Stock, 1974.

7Les écueils à éviter sont innombrables pour ce corps de dix-sept membres triés avec soin parmi la nuée des Résistants. Aux administrateurs prudents, on a préféré des « hommes d’action »18 capables de répondre à : « l’anti-Vichy, l’anti-AMGOT19, “l’antinaphtalinards” (ou l’anti-attentistes), l’anti-anarchie »20. Ces pions essentiels, dotés de pouvoirs exorbitants, s’efforcent de remettre en marche l’administration, de gérer la pénurie, d’épurer, d’associer le plus grand nombre au redressement national21... Les agents de De Gaulle, pour asseoir la domination légale, cherchent à se faire accepter par la population et doivent composer avec les délégués des organisations nées dans le maquis. L’imposition d’une même logique de domination à tous les comités de Libération nécessitera du tact. De la relation entre les missi dominici et les chefs de l’armée clandestine dépendra l’avenir de la République en reconstruction. Ce patient travail de négociation sera assuré sur le plan régional22 par Jacques Bounin, l’inspirateur des décisions qui conditionneront en particulier une bonne partie du redémarrage de l’activité politique. Michel Debré penche en sa faveur, après l’intervention d’Émile Laffon, un « ami personnel » de Bounin en charge de fonctions importantes dans l’entourage de De Gaulle23. Les souvenirs de Jacques Bounin, publiés en 1974, agrémentés par des notes prises au jour le jour durant son passage en Languedoc, nous apporteront des informations sur l’époque et le sens que donne à sa mission cet inconnu dépourvu d’attaches locales24.

  • 25 « Voyageant en Italie au cours de l’été 1936 (avec quelques amis), nous rencontrons sur l’autostra (...)
  • 26 Jacques Bounin, op. cit., p. 39.
  • 27 Jacques Bounin, op. cit., p. 66.

8Avant d’aller plus loin, un éclairage sur son parcours semble nécessaire. Parisien d’origine, né le 26 mars 1900, il est le fds d’un officier, diplômé de l’École centrale qui embrassera la carrière politique. Son père, installé à Nice, s’oppose à la Camorra décidée à faire main basse sur la ville. En souvenir de cet engagement, Jean Médecin le prend en 1935 sur sa liste. Le jeune Bounin trouve rapidement ses marques au sein de la municipalité. Le maire qui oriente sa carrière vers le Sénat récompense sa fougue en le poussant à prendre sa succession au Palais-Bourbon. Élu lors de l’élection partielle du 26 mars 1939 sous l’étiquette de « républicain indépendant anti-munichois », il repousse les sollicitations de tous les groupes et conserve son indépendance. Si ce frontalier récuse l’allégresse de quelques-uns pour la vague politique qui balaie l’Italie25, il se tourne néanmoins, à l’instar de la très grande majorité des parlementaires, vers Pétain en juillet 1940. Trente ans plus tard, il analyse son vote par rapport à sa position de frontalier. Les paroles apaisantes du maréchal aux mobilisés, la disparition d’une Troisième République « lamentable depuis des années »26, sont autant d’éléments qui ont pesé dans le choix. Par contre, son geste, dit-il, ne valide pas l’armistice. Dans son autobiographie, Jacques Bounin affirme ne pas tarder à réagir. Sans rentrer dans les détails qui justifient le soudain changement, il l’explique en écrivant à la troisième personne pour accentuer le caractère hétérodoxe d’une démarche qui s’apparente à un appel semblable à celui du 18 juin : « La France envahie doit retrouver une unité nationale, autre que celle de Vichy qui n’est qu’un expédient dicté par la peur. Si infimes que soient les moyens dont nous pouvons disposer en juillet 1940, nous devons agir avec cette seule pensée constante : nous réunir tous, autour de la patrie profanée. Et pourquoi ne pas commencer par s’adresser à ceux qui ont l’apparence d’en être le plus exclu ? Voilà pourquoi Jacques Bounin, modéré, bourgeois, va essayer (je crois bien le premier de ce bord) de joindre le Parti communiste »27.

  • 28 « On m’annonce Montoire, les communiqués de la Collaboration, la main du Maréchal serrant celle d’ (...)
  • 29 « Ces approches vers le PSF sont une grande déception » se plaint-il. « Leur confiance en Pétain d (...)
  • 30 Elle va de pair avec une stigmatisation officielle qui a des conséquences personnelles. « Chassé d (...)
  • 31 « Montpellier est une ville qui a de la noblesse : le Peyrou, l’Arc de Triomphe, le jardin botaniq (...)

9Le pas supplémentaire que représentent les accords de Montoire le pousse à entrer en contact avec les Forces françaises libres28, tout en consultant le bord politique qui lui est familier. Avec Charles Vallin, un de ses collègues parlementaires affilié au Parti social français, il rencontre le colonel de La Rocque et des cadres départementaux. Leur anticommunisme viscéral prend le dessus. La confiance imperturbable en Pétain refroidit Bounin parti en éclaireur au sein d’un milieu politique majoritairement attentiste ou s’activant pour favoriser la réussite de la Révolution nationale29. Dès lors, la vie trépidante du clandestin voulant en découdre le préoccupe exclusivement30. Organisateur à Nice de réseaux d’action, il participe à la fondation en zone sud du Front national ainsi qu’à sa représentation à l’échelon central. Ce qui lui vaut la gratitude de la France libre et une désignation en mai 1944 à la tête des six départements au coeur desquels Montpellier, qu’il définit d’emblée comme une « ville réactionnaire »31, sera le carrefour névralgique d’où partiront les décisions.

  • 32 En réalité, à partir d’octobre 1944, une décision du Conseil des ministres limite plus strictement (...)
  • 33 Roger Bourderon, « Jacques Bounin et la restauration de l’État », in Jules Maurin, dir., Lendemain (...)
  • 34 Roger Bourderon, op. cit., p. 68.

10L’ordonnance du 10 janvier 1944 détaille les prérogatives des commissaires de la République. Elles peuvent aller jusqu’à la suspension des lois. Exerçant un gouvernement de fait, les commissaires rebâtissent la légalité républicaine en vérifiant sur le terrain si la nullité des lois de l’État français est effective. Leur première mission est la dissolution des supports du pétainisme (la Milice, le groupe Collaboration, le PPF...) et l’épuration d’une administration très compromise. Les questions économiques et policières sont aussi de son ressort32. Forts de ces attributions exceptionnelles, les envoyés d’un pouvoir central encore fragile doivent s’immiscer au cœur des réseaux sociaux pour tenter de dresser un diagnostic. D’une région à l’autre, d’un département à l’autre, d’une ville à l’autre, d’un quartier à l’autre, quatre années de conflits, de haines plus ou moins larvées, de souffrances personnelles, de pénurie, présentent un même champ de ruine au milieu duquel suintent des rancoeurs tenaces qu’il devra décrypter et gérer. L’imposition des directives gouvernementales dans de tels contextes dépend grandement du savoir-faire de chacun des délégués. Face aux populations qui affichent leur méfiance, Jacques Bounin cherche à rassurer. Il résume sa mission sous la forme d’une boutade : « On gouverne avec le Journal Officiel »33. Dans la réalité, les ambassadeurs du gouvernement provisoire, privés de moyens de communication adaptés, disposent d’une large marge de manoeuvre personnelle pour intégrer les agents et les institutions dans l’ordre républicain voulu par le général de Gaulle. Dans une région exsangue, Jacques Bounin noue des liens avec les bouts de structures qui composent la Résistance (MUR, Front national...) et entreprend sa hasardeuse mission en donnant une précision révélatrice dans les premières instructions envoyées aux préfets qu’il vient de choisir : « vous disposez des plus larges pouvoirs, les instructions fournies sont plutôt des indications que des règles absolues »34.

  • 35 « Partout c’est l’affolement », écrit Jacques Bounin. Ibidem.
  • 36 « Je prends contact avec les huissiers. Ils viennent en général de la Chambre des députés et sont (...)
  • 37 La pratique n’est pas sans risque. Au sein de son état-major particulier, on démasquera quelques t (...)

11Animés d’une même volonté de rassurer l’ensemble des groupes sociaux et d’assurer la primauté du pouvoir civil de l’État, les préfets et le commissaire de la République font preuve d’un grand pragmatisme. Chacun use de ses relations ou à recours à son intuition pour arriver à ses fins. Devant le chaos organisationnel35 et le climat de suspicion, Jacques Bounin avoue dans ses mémoires s’appuyer sur le regard avisé d’une profession dont la discrétion légendaire lui a valu de franchir sans encombre les changements de régime : les huissiers36. Il ne cache pas en particulier le rôle clé joué par le dénommé Charmasson, devenu en quelque sorte l’éminence grise du « nouveau roi du Languedoc » : « Il y a parmi eux Charmasson, l’huissier qui va devenir pour moi l’admirable Charmasson. Dans cette ville où je connais si peu de gens, il va me les faire tous apprécier, en me les amenant ; d’un regard, il me fait comprendre comment jauger les personnages »37. Ce tandem hors norme composé d’un « bourgeois modéré », venu de Nice, et d’un huissier habituellement à l’écart, dans l’ombre des hauts- lieux du pouvoir, va recoudre le tissu politique, économique et social régional.

  • 38 Une inquiétude perce des consignes données par Jacques Bounin aux préfets : « Pratiquez à l’égard (...)
  • 39 Citation donnée par Jacques Bounin, op. cit., p. 159.
  • 40 Extrait des mémoires de l’intéressé cité par Jacques Bounin. Ibidem.
  • 41 Philippe Lamour, Le cadran solaire, Paris, Robert Laffont, 1980, p. 251. Citation donnée par Patri (...)

12Au centre de ses préoccupations, on trouve pour l’essentiel une force souhaitant aller plus loin que la seule Libération : les Forces françaises de l’intérieur (FFI). Elles sont tentées de fomenter une sorte de pouvoir insurrectionnel38. Obsédé par le maintien d’une ligne de conduite fixée dès son installation (« rassurer toutes les couches de la population et toutes les opinions »39), ce « tandem » négocie à plusieurs reprises avec le chef de la région des FFI pour qu’il maîtrise des troupes autour desquelles gravitent de folles rumeurs. Emmanuel d’Astier de la Vigerie, l’un des relais du général de Gaulle, les croise sur son chemin en se rendant à Montpellier à la fin du mois d’août. La description qu’il en donne témoigne de la peur qu’ils ont pu déclencher lors de leur descente des montagnes cévenoles, en arborant un accoutrement qui les assimile plus aisément aux « terroristes », désignés par la propagande de Vichy, qu’aux libérateurs tant attendus. « Au croisement des routes, des groupes étranges surgissent fusil au poing. Ces visages tirés, ces apostrophes, ces silhouettes d’épouvantails nous ramènent au temps de la Commune et des jacqueries »40, raconte-t-il. Philippe Lamour, délégué à l’Information pour le département du Gard après la guerre, ne mâche pas ses mots quand il évoque l’emprise du chef de file des FFI sur le représentant légal du gouvernement : « À Montpellier même, Jacques Bounin doit subir les caprices du chef des maquisards, un gentilhomme communisant qui se fait appeler Carel (Gilbert de Chambrun). Lui aussi pratique la justice sommaire. Il se fait porter à table, à la préfecture, la liste des condamnés de la matinée et, avec un stylo en or, devant les dames subjuguées, il marque d’une croix ceux qui ne bénéficient pas de son droit de grâce et qui seront fusillés dans l’heure »41.

  • 42 Jacques Bounin, ibidem.
  • 43 Elle est divisée en deux sections. L’une se trouve à Montpellier, l’autre à Béziers.
  • 44 Ibidem.

13Jacques Bounin, désemparé devant la tâche à accomplir, s’indigne en observant les gesticulations de « certains (qui) se mettent à jouer les fanfarons (...) et risquent de devenir insupportables »42. Les citadins commencent à conspuer les maquisards sans réaliser toujours leur part de courage saluée par le commissaire de la République dans ses souvenirs. Pour reprendre en main une situation délicate, le nouvel homme fort commence par installer des institutions ayant l’onction gouvernementale. La Cour de justice43, présidée par des magistrats professionnels, est le symbole du rétablissement du cadre républicain. Toutefois, le désordre qui touche la région ne s’apaisera pas uniquement par l’érection d’un système administratif refaçonné. Jacques Bounin comprend qu’il est indispensable de jouer sur les émotions. Il décide, comme il l’écrit lui-même, de « frapper un grand coup »44. Il en appelle au général de Lattre de Tassigny. Le charisme qu’il dégage attirera, selon lui, toutes les franges de l’opinion dans une même communion autour du pouvoir en place. Jacques Bounin le convainc de faire un bref détour par Montpellier et met en scène minutieusement son arrivée dans le chef-lieu régional pour conforter définitivement sa légitimité :

  • 45 Ibidem.

« Je vais utiliser de Lattre ; il a commandé à Montpellier. Les notables se réjouiront de le retrouver, et le peuple aimera saluer un général français vainqueur, qui indiquera aux combattants des maquis le chemin de nouvelles victoires, françaises celles-là ! De Lattre de Tassigny est un chef théâtral, ne l’appelle-t-on pas “Théâtre de Marigny” ! Il obtient ce qui est irréalisable aux autres, et arrive avec ses officiers baroudeurs qui ont conduit de folles aventures »45.

  • 46 Yves Déloye, Claudine Haroche, Olivier Ihl, dir., Le protocole ou la mise en forme de l’ordre poli (...)
  • 47 Jacques Bounin, op. cit., p. 163.
  • 48 Voir Nicolas Mariot, « Le président en voyage : rapprochement physique et distanciation protocolai (...)
  • 49 Jacques Bounin, op. cit.
  • 50 Yves Déloye, Claudine Haroche, Olivier Ihl, dir., Le protocole...., op. cit., p. 17.
  • 51 Jacques Bounin, ibidem.
  • 52 Jacques Bounin en garde un souvenir toujours vivant : « La foule est déchaînée, en particulier une (...)
  • 53 La partie n’est pas encore gagnée car Jacques Bounin écrit : « le général “recruteur” croit les av (...)

14Il orchestre le retour du vainqueur en instituant un protocole rigoureux. Le commissaire comprend à l’instar de De Gaulle qu’il est « l’expression de l’ordre en République »46. À la recherche d’un moyen de domestication des conflits qui pourrissent la situation locale, l’unificateur du gouvernement provisoire l’utilise pour rendre visible une hiérarchie si difficile à être reconnue. De Lattre se prête volontiers au jeu. Il entre dans Montpellier « avec très peu de matériel, pour ne pas humilier les FFI à qui les armes ont été chichement comptées »47. Associés à la démonstration d’apparat, les jeunes formés dans la clandestinité se laissent absorber par le protocole. L’itinéraire, savamment choisi au coeur de la ville, développe une « fiction relationnelle »48 gage de souveraineté et « bien entendu, note l’organisateur, il doit passer sous l’Arc de Triomphe »49, symbole des victoires passées. Tout au long du parcours juché sur un char d’assaut, tel un Empereur romain, l’incarnation du succès militaire parade en saluant une foule avec seul à ses côtés le commissaire de la République sur lequel rejaillit une partie de la ferveur, tout en forgeant sa reconnaissance. Ainsi le représentant civil du pouvoir renforce une suprématie jusqu’alors branlante. Dans le dispositif protocolaire, l’autre étape après la procession réside dans les traditionnels discours qui permettront au libérateur de confirmer l’intronisation régionale de Jacques Bounin. Cet « outil de gouvernement »50, en train de retrouver sa place dans l’ordre républicain, « vole en éclats »51 passagèrement au contact d’une population « qui s’est dégelée, (et qui) va faire (à de Lattre) "un malheur" »52. Le coup, monté de toutes pièces par le plus haut représentant de l’État, se déroule parfaitement. La joie immense des habitants, qui pour la première fois descendent en nombre dans les rues saluer les héros, désignés par leur attitude majestueuse sur un engin militaire assimilable à un rouleau compressant les envahisseurs, conforte son autorité. Il profite de la fièvre pour le soir même convoquer dans son bureau tout ce qui compte dans la Résistance et, en compagnie de De Lattre, cherche à reprendre le contrôle des FFI53.

  • 54 Roger Bourderon, ibidem.
  • 55 Il a, à ses yeux, le grand tort d’avoir « refusé à ses prêtres de faire partie des comités de Libé (...)
  • 56 Ibidem.
  • 57 Ibidem.
  • 58 Fred Kupferman, Les premiers beaux jours..., op. cit., p. 85.
  • 59 Jacques Bounin, op. cit., p. 170-171.
  • 60 Des militants, combattants de la première heure, souhaitent susciter au lendemain de la Libération (...)
  • 61 Par exemple, Jacques Bounin raconte : « Je vois Raoul Calas, de Sète ; la répression de Vichy l’a (...)
  • 62 Roger Bourderon s’appuie pour avancer cette hypothèse sur les confidences de Jean Bène (entretien (...)

15La présence fugitive de l’armée légale au cours du défilé souligne un retour de l’ordre officiel dans une circonscription où seules les FFI avaient véritablement agi54. Ce redéploiement prend une tournure nuancée selon les particularismes locaux et la trajectoire des régisseurs envoyés sur place. Jacques Bounin, tout en récusant la présence de l’évêque aux cérémonies organisées au moment du déplacement de De Lattre55, se souvient de ne pas avoir « empêcher les notables d’être là »56. S’il ne s’attarde pas dans son livre paru trente ans plus tard sur les noms des personnalités enfermées dans cette catégorie, on peut penser en lisant les lignes suivantes que la masse des « naphtalinards » est visée : « Appelés le 11 novembre 1942, ils arrivent le 2 septembre 1944. De Lattre, dont je ne contrôle pas les mouvements, -qui pourrait prétendre le faire- reçoit en dehors de moi tout ce beau monde. Il sait faire la part entre l’émoi réel et leur attentisme. Il leur promet l’arrivée prochaine du 4ème Zouaves à Port-Vendres. On l’attend encore, mais pour l’heure cela rassure »57. Le dépositaire de l’ensemble des prérogatives du Gouvernement provisoire les intègre aux fêtes de la Libération et de ce fait, tout en portant un regard insolent sur leur attitude circonspecte, contribue à les réinsérer dans une République en cours de restauration. Un tel acte résulte d’une volonté délibérée de Jacques Bounin. La nomination d’une tout autre personnalité aurait pu aboutir à une attitude inverse. À Lyon, Yves Farge, un autre membre du Front national, n’hésite pas à expédier la plupart des notables rangés dans le flou de l’attentisme en prison58. Le commissaire de la République installé à Montpellier se transforme en pèlerin de la pacification. Il ne cesse de suivre ce qui se déroule dans les usines, d’anticiper les premiers signes annonciateurs de troubles, de négocier avec les édiles, de calmer les impatiences de certains... Il multiplie les déplacements pour prêcher l’apaisement (« Oublions les querelles qui ne sont plus de mise ») et l’union (« Unissons-nous ! Unis, nous pouvons tout, désunis nous risquons de rendre inutiles tant de dévouement, tant de sacrifices »59). Les communistes dans ces mois de frénésie demeurent la seule force véritablement active60. Pour s’assurer de leur soutien, la concertation prime aux yeux du représentant étatique peu rebuté par les réserves essuyées61. À propos des socialistes, plusieurs témoins pensent que Jacques Bounin voit dans la SFIO « un contrepoids utile, par sa modération et par ses assises dans le monde des notables, aux risques de turbulences provenant du PCF »62.

  • 63 Archives nationales F1a 3334. Rapport cité par Pierre Maraval, op. cit., p. 96.

16Comme nous venons de l’apercevoir, Jacques Bounin préfère éviter les solutions expéditives et ménager les acteurs en présence pour stabiliser l’espace régional dont il a la charge. Les résultats obtenus satisfont entièrement les autorités parisiennes, très sceptiques au départ sur sa capacité à résoudre une situation jugée inextricable. Le ton employé par les auteurs d’une mission d’inspection menée par Claude Bouchinet-Sereulles, compagnon de la Libération et chef du cabinet du ministre de l’Intérieur, est tout à fait éclairant sur ce revirement : « Les autorités n’ayant pas à leur disposition de forces régulières propres à imposer le respect sont contraintes à tout instant de devoir composer avec les éléments responsables du désordre. L’histoire des quatre derniers mois dans le Midi de la France n’est qu’une suite d’efforts, quelquefois infructueux, souvent profitables, mais jamais spectaculaires pour réduire les oppositions et amener progressivement à la raison les fauteurs de trouble. Cette politique de compromis aboutit à des résultats tangibles. Nulle part les autorités ne sont entrées en conflit avec la résistance... Parti pour Montpellier avec l’intention de proposer au gouvernement des sanctions exemplaires contre les autorités civiles et militaires de la région, j’en reviens avec la conviction qu’elles ont fait leur devoir et qu’elles ne pouvaient tirer un meilleur parti d’une situation qui est non seulement difficile, mais souvent humiliante. Je n’ai aucune critique à formuler, ni à l’adresse de M. Bounin, ni du colonel Zeller. Leur tâche est ingrate, les résultats sont peu apparents, mais ils progressent lentement, “grignotent” de façon efficace les adversaires de l’ordre. Je ne pense pas que d’autres pourraient faire mieux à leur place. Quiconque arriverait avec l’intention de lancer une offensive de grand style créerait aussitôt l’irréparable »63.

La recomposition du milieu partisan

17Les partis politiques héraultais n’ont pas attendu l’arrivée du commissaire de la République pour prendre leur repère dans une compétition aux contours très indécis. Empêcher de fonctionner par les autorités vichyssoises, ils s’agitent de manière désordonnée dans la clandestinité pour une minorité avant de rentrer dans une phase de reconstruction de grande ampleur. Les « années sombres » ont vu la compromission d’une partie des élites en place et la Résistance offre une opportunité exceptionnelle de renouvellement des milieux politiques. Plusieurs personnalités sont victimes d’une épuration qui brise provisoirement ou définitivement les carrières engagées sous la Troisième République.

  • 64 Pierre Maraval, Justices politiques et répression de la Collaboration..., op. cit.
  • 65 Hélène Chaubin, « L’Hérault », in Gilles Le Béguec, Denis Peschanski, dir., Les élites locales dan (...)

18Les différentes ramifications conservatrices connaissent un démantèlement certain. Les cibles privilégiées sont les étendards reconnus du pétainisme. L’Éclair est immédiatement touché ainsi qu’Henri de Rodez-Bénavent, nommé à la présidence du conseil départemental par Vichy. Si la justice expéditive fait des ravages parmi les agents notoires de la Collaboration64, il demeure malgré tout malaisé de recenser avec précision le sort de tous les participants ayant obtenu des fonctions dans « l’ordre nouveau ». La déstructuration des vecteurs organisationnels paraît indéniable. Les royalistes en particulier ne retrouveront jamais plus leur assise populaire. Ils sont loin d’être les seuls concernés. La très grande majorité des autres mouvements politiques ne sort pas indemne de la guerre. Parmi les six parlementaires ayant apporté en juillet 1940 leur confiance au maréchal Pétain, deux sont décédés, les sénateurs Roustan et Masse (déporté à Auschwitz), et quatre sont concernés par des poursuites judiciaires. Trois d’entre eux (les socialistes Roucayrol et Majurel ; le député-maire radical de Béziers, Auguste Albertini), déclarés inéligibles, quittent le département. Quant au quatrième, Édouard Barthe (USR), il subit la même sentence, mais gagne sa cause devant le jury d’honneur. Très populaire pour sa défense du Midi viticole, il avait converti son journal (Le Devoir socialiste) au maréchalisme et accédait au Conseil national en janvier 1941. Quatre ans plus tard, avant même que la commission n’examine son dossier, les électeurs de Montblanc, dans le Biterrois, lui assurent leur appui en le réélisant à la mairie. Son échec aux cantonales n’hypothèque pas complètement sa carrière puisqu’il renoue avec un mandat national en 1948 en accédant au Conseil de la République sous l’étiquette du Rassemblement des gauches républicaines65.

  • 66 Pour une vision d’ensemble, voir ADH 137 W 1.
  • 67 Marianne Caron-Leulliez, « Le pouvoir municipal dans les villes de l’Hérault », in Centre d’histoi (...)
  • 68 Ibidem.
  • 69 Plusieurs rapports reviennent sur les difficultés rencontrées par le PRL pour s’implanter. ADH 322 (...)
  • 70 Marie-Françoise Furet, Paul et Alfred Coste-Floret. Deux jumeaux et trois Républiques (1911-1990), (...)
  • 71 Notre connaissance de ce courant politique est réduite sur le plan local à la thèse de Jean-Claude (...)
  • 72 « Les zones, où coïncident épuration et radicalisation de l’électorat, sont celles où la Résistanc (...)
  • 73 Pour une présentation des « lourdes responsabilités des radicaux dans la défaite et dans la mort d (...)

19Sur le plan communal, le pouvoir pétainiste avait fait le choix de maintenir 18 maires à la tête de conseils nommés dans les 40 communes de plus de 2 000 habitants et, 258 municipalités ont été conservées dans les 303 autres. Le pouvoir résistant procède à des remplacements dans 282 localités sur 343. Le vote de 1945 confirme en grande partie le choix opéré66. Ce qui correspond à un véritable bouleversement politique67 puisque dans « les 28 communes les plus peuplées, seuls trois maires de 1935 sont réélus, à savoir Vincent Badie à Paulhan, Jean Bène à Pézenas et Paul Boulet à Montpellier. Dans l’ensemble des localités supérieures à 2 000 habitants, trois modifications d’envergure sont notées : le succès du PCF (qui a le plus grand nombre de voix), les progrès de la SFIO et l’affaiblissement des radicaux »68 analyse Hélène Chaubin, à partir des données préfectorales. La tendance se maintient à l’occasion des cantonales puisque les communistes font leur entrée dans l’hémicycle départemental avec 8 sièges sur 36, comme les radicaux. Ces derniers perdent 7 cantons, alors qu’avec 19 élus les diverses composantes socialistes restent stables. Les droites n’ont aucun représentant contre trois à la fin des années 1930. Le Parti républicain de la liberté, une tentative de résurgence des forces conservatrices, n’aboutit à aucun résultat probant69. En octobre 1945, les élections à l’Assemblée constituante adoubent les moteurs de l’insoumission. On trouve tout d’abord une prime au sortant avec les réélections de Vincent Badie et de Jules Moch. Le PCF a deux sièges qui symbolisent un engagement tenace contre l’Occupant. Tandis que le MRP signe son apparition dans ce type de scrutin en faisant élire deux députés âgés de 34 ans : l’avocat Joseph Aussel, premier adjoint au maire de Montpellier et Paul Coste-Floret. Le second, issu d’une lignée politique ayant eu des responsabilités au niveau communal ou participant aux activités des « rouges chrétiens », inaugure ici une carrière politique le conduisant à fréquenter les ministères puis le Conseil constitutionnel. Très mobilisé avec Pierre-Henri Teitgen par les activités du groupe Liberté, les compétences de ce juriste (il vient d’intégrer la Faculté de droit de Montpellier après un détour par Alger), utiles pour le Comité français de libération nationale, seront mises à contribution au moment des discussions sur l’élaboration de la Constitution de 194670. À ce stade, il convient de noter que le gaullisme sera le grand absent de l’après-guerre. Contrairement à l’ancienne zone d’occupation nord, le Sud-Ouest et le Languedoc se montrent peu réceptifs car la Résistance gaulliste n’est pas prépondérante au sein des maquis dominés par la gauche. En outre, l’attitude conciliante du chef de la France libre à l’égard des communistes pendant l’épuration mécontente le puissant lobby des grands propriétaires fonciers ou une bourgeoisie urbaine restée attentiste en 194071. De tels résultats semblent pousser l’Hérault vers une forme de « révolution locale », à l’instar de ce qui se produit dans d’autres sites touchés par un « glissement politique sensible, sur un fond inédit de politisation »72. Pourtant, il n’en est rien. Les deux courants républicains traditionnels (socialistes et radicaux) « gardent ou retrouvent » pendant la Quatrième République un électorat important et bloquent l’essor des candidats « révolutionnaires ». Les métamorphoses partisanes de la fibre radicale, discréditée avant le retour des « beaux jours »73, mérite un intérêt soutenu car c’est par son intermédiaire que bon nombre de personnalités conservatrices trouvent une influence politique annihilée après les rapprochements plus ou moins visibles avec le régime de Vichy.

  • 74 Contrairement à une bonne partie des formations politiques, « le parti radical n’a jamais fait de (...)
  • 75 Michèle Cointet, op. cit., p. 20.
  • 76 Pour un tour d’horizon sur la situation du parti radical entre la Libération et mars 1946, voir AD (...)
  • 77 Vincent Badie, « Vive la République ». Entretiens avec Jean Sagnes, Toulouse, Privat, 1987, p. 80.
  • 78 Rapport du 9 juin 1944. ADH 111 W 18.

20Évincés des comités de Libération, les cadres du parti s’en prennent à ceux qui s’emploient à récupérer la flamme résistante en visant les communistes et les socialistes74. Vincent Badie, un des « premiers parlementaires (le 10 juillet 1940) à ne pas céder au flot de l’abandon »75, représente le principal étendard du radicalisme méridional76. Cet avocat a toujours regretté les excès de l’épuration77. Interné à Dachau, il revient en France au printemps 1945, à une époque où les stratagèmes à l’œuvre pour rebâtir l’espace politique occupent les esprits depuis plusieurs mois. Parmi les plus prompts à réagir, on rencontre les dirigeants du PSF. Au début du mois de juin 1944, dans une enquête passant en revue la vie militante, les autorités signalent que trois sections subsistent dans les villes les plus peuplées. Deux cents adhérents cotiseraient dans la seule section de Montpellier dirigée par François Delmas, alors que Louis Carrère fait office de « délégué régional » et Robert Faucherre de « président départemental »78. Dès le mois de décembre 1944, en toute discrétion, cinquante militants provoquent une réunion dans laquelle est adoptée une motion, teintée d’ambiguïtés, annonçant une ligne de conduite qui se durcira avec le temps.

Extraits de la motion adoptée par le PSF de Montpellier79

  • 79 Note des RG sur l’activité du PSF, datée de 1945, ajoutée à un rapport du préfet du 1er avril 1946 (...)

21« Réunis le 7 décembre 1944 à 21 heures, les membres du Parti social français de Montpellier :

  • Les uns ayant librement, et de façon désintéressée, servi pendant quatre ans la personne du maréchal Pétain,
  • Les autres ayant librement, et de façon désintéressée, servi la cause de la Résistance et du général de Gaulle,
  • Les uns et les autres étant restés dignes de la France par des voies différentes mais dans un amour commun de la Patrie, et dans un commun sentiment d’hostilité à l’ennemi,
  • Constatant qu’il ne doit exister entre les Français d’autres distinctions que celle de l’indignité et celle du mérite, l’une conséquence des trahisons, l’autre conséquence des services rendus au cours d’une guerre de trente ans,
  • Se réjouissent de ne compter parmi eux que des Français de bonne foi, désireux de servir.
  • Décident de soumettre à une commission, conformément au principe ci-dessus, la vérification des titres civiques des adhérents.
  • Affirment une fois de plus leur attachement à La Rocque qui paie de sa détention en Allemagne sa fidélité à la France (...).
  • Affirment leur loyalisme à l’égard du Gouvernement provisoire de la république française, pouvoir légal, et de son président le général de Gaulle, et leur discipline envers son action de renaissance française.
  • Demandant que la loi soit respectée (notamment les lois sur la liberté individuelle, le respect de la personne humaine, la liberté de pensée, de conscience et d’expression (...)).
  • S’interdisent tout sentiment de haine et de représailles à l’égard d’autres Français, mais affirment au préalable la nécessité d’une pleine et impartiale justice.
  • Proclamant qu’il ne peut y avoir de renaissance française sans réconciliation française.
  • Affirment que cette réconciliation française ne serait que confusion et équivoque si l’unité de la nation n’était pas compatible avec le maintien des différentes familles françaises.
  • Se veulent les agents de cette réconciliation entre tous les Français de bonne foi et la déclarent possible en s’interdisant toutes querelles sur des faits déjà dépassés et en désirant uniquement œuvrer pour rendre à la France sa grandeur (...) ».

22Immédiatement après l’arrêt des hostilités, alors que le pays est en ébullition, les membres du mouvement créé par le colonel de La Rocque mettent sur un même plan : Pétain et De Gaulle. Le « héros de Verdun » étant cité d’emblée par les rédacteurs du texte. Une distinction mérite d’être relevée. On affirme, en soulignant le nom, que c’est la « personne » qui a bénéficié des services « libres et désintéressés » d’une frange des adhérents. Le projet porté par le chef de l’État semble ici délaissé... Par contre, ils considèrent que Pétain et De Gaulle avaient un ennemi commun : l’envahisseur allemand. À la suite de cette « mise au point », ils poursuivent en expliquant leur volonté de vérifier les « titres civiques des adhérents », de soutenir le gouvernement provisoire, tout en demandant un respect strict des lois sur la liberté individuelle ou la garantie de l’impartialité de la justice... Le contexte débridé de l’épuration ne les rassure pas. Pour terminer, ils en appellent à trois reprises à la « réconciliation » pour permettre à la nation de « renaître » et de conserver son unité dans le respect de la diversité des « différentes familles françaises ». Les partisans montpelliérains des thèses prônées par l’inventeur du slogan « Travail-Famille-Patrie » confirment leur ambition, à la fin de la motion, de devenir les principaux vecteurs d’une « réconciliation » qui n’est « possible », écrivent-ils, qu’à la condition expresse d’ » interdire toutes querelles sur des faits déjà dépassés ». Pour le dire différemment, ils exigent l’oubli. « Effacer Vichy », s’entend ici au sens propre du terme : « faire disparaître » cet épisode historique pendant lequel la République a été remplacée par un autre type d’expérience politique. L’interdiction du PSF, prononcée par le Conseil des ministres le 9 mars 1945, ne réfrène pas l’ardeur des anciens ligueurs des Croix-de-Feu.

  • 80 Jean-Paul Thomas, ibidem.
  • 81 Le scrutin de liste départemental avec répartition des restes à la plus forte moyenne interdit sou (...)
  • 82 Éric Duhamel, « Le parti radical et la Rassemblement des gauches républicaines », in Éric Duhamel, (...)
  • 83 Ibidem.
  • 84 René Rémond, Les droites..., op. cit., p. 17.
  • 85 Un rapport rédigé en 1950 résume la situation ainsi : « Si dans l’Hérault, le RGR existe de fait e (...)
  • 86 Rapport des RG, 7 juin 1951. ADH 338 W 58.

23Dans une période floue propice à la redistribution des marques partisanes, ils n’entendent pas rester à la marge de l’efflorescence organisationnelle. En août 1945, le Parti républicain et social de la réconciliation nationale remplace le PSF. Le noyau des fervents militants mobilise des réseaux locaux affichant un activisme remarqué avant-guerre, source d’un recrutement massif80. Sans jouer un rôle officiel, au regard de l’organigramme, François de La Rocque intervient dans le fonctionnement de cet esquif politique afin de faciliter les contacts en vue du scrutin législatif de 194681. Il se montre « obnubilé, explique Éric Duhamel, par la naissance en décembre 1945 du Parti républicain de la liberté (PRL), autour duquel pourrait se reconstituer un Front de la Liberté »82, semblable à celui que Jacques Doriot conduisait. Dans ce cas de figure, la renaissance d’un Front populaire était prévisible. Ce qui aurait attisé les conflits encore très douloureux et rapidement anéanti les espoirs de toute « réconciliation nationale ». La reconstruction générale en cours et le mode de scrutin favorisent le rapprochement entre le nouveau venu et une nébuleuse radicale cherchant sa voie. Après bien des discussions, les dirigeants du plus influent mouvement de la Troisième République entérinent lors d’un congrès extraordinaire le choix « de se rassembler avec d’autres formations sous une bannière suffisamment large (...) attachée à l’idéal républicain »83. Le Rassemblement des gauches républicaines sera la dénomination officielle derrière laquelle on trouve sept formations, à côté du parti radical : l’Union démocratique et socialiste de la Résistance ; l’Alliance démocratique ; le Parti démocrate ; le Parti radical indépendant ; le Parti républicain socialiste ; le Parti social-démocrate et le Parti républicain et social de la réconciliation française. Cet ensemble de « débris de partis, qui ont en commun de combattre la politique sociale et économique des forces de gauches associées dans le tripartisme »84, trouve une cohérence sur le plan local exclusivement pendant les « moments électoraux »85. L’anticommunisme est le dénomitateur commun aux différents groupes. Par exemple, lors des législatives de 1951, le RGR base sa propagande sur ce slogan : « Français ne vous laissez pas Moscou...illoner ! Il faut RéaGiR »86.

  • 87 Ibidem.
  • 88 « C’est pour constituer sans les radicaux un rassemblement nouveau axé plus à droite que le RGR, q (...)
  • 89 Rapport des RG, 5 octobre 1950. ADH 338 W 58.
  • 90 Rapport des RG, 5 décembre 1951. ADH 338 W 58.

24Le RGR permet au mouvement radical de retrouver une assise. Le groupe des « réconciliateurs », « peu important numériquement »87, envisage même un temps de lancer de concert avec l’Alliance démocratique un « rassemblement nouveau axé plus à droite que le RGR »88. En parallèle, l’UDSR et le parti républicain socialiste s’efforcent d’obtenir un « rassemblement des gauches sans les radicaux », alors que ces derniers se démènent pour faire fonctionner une fédération accueillant « outre les radicaux et les républicains socialistes, bon nombre de modérés et de socialistes indépendants ». Le policier, qui révèle cette énième tractation politique, achève son rapport en précisant : « Autant que possible, on évitera d’y faire figurer les éléments de la Réconciliation française (qui, pourtant est affiliée au RGR sur le plan national), les responsables de ce parti dirigé par François Delmas étant, à Montpellier, trop nettement axés vers l’extrême droite »89. De semblables conclusions émergent des propos rapportés par un autre fonctionnaire, attentif aux réactions des leaders radicaux, à la sortie d’une réunion organisée en décembre 1951 par un mouvement politique en voie de constitution : « Louis Dance, secrétaire fédéral du parti républicain socialiste et les autres observateurs du RGR ont été vivement impressionnés par la nette orientation vers l’extrême droite du “Centre départemental des Indépendants et paysans de l’Hérault”, et soulignent que s’ils avaient encore quelques doutes à ce sujet, le développement des “idées force” exposées par François Delmas et le fait que Louis Delbez lui-même ainsi que de nombreux adeptes du Centre aient adhéré à la “Réconciliation française” auraient suffi à les convaincre définitivement »90. Constamment sur « le terrain », ces observateurs privilégiés sont chargés d’apporter du sens à une hiérarchie encouragée par le pouvoir central à scruter les variations d’un jeu partisan très difficile à décrypter. Leurs intuitions nourries par la connaissance des acteurs et du milieu méritent le plus grand intérêt. Bien que les appellations politiques demeurent très friables, surtout dans une période comme celle de l’après-guerre, les synthèses des préposés aux comptes-rendus officiels, remises quotidiennement aux autorités préfectorales, nous semblent pertinentes à propos de cette jeune pousse. Jusqu’aux années 1960, les représentants locaux du CNIP s’inscrivent dans une ligne dure en stigmatisant le virage institutionnel et politique pris depuis la fin de la guerre. Fortement marqués par l’expérience pétainiste, ils interviennent dans la vie publique en ayant pour objectif de « rétablir la vérité » sur le passé proche, enjeu d’une « guerre des mémoires » qui perdure.

Notes

1 Fred Kupferman, Les premiers beaux jours (1944-1946), Paris, Calmann-Lévy, 1985, p. 82.

2 Ce spécialiste de la Seconde Guerre mondiale dirige la collection « La Libération de la France » aux éditions Hachette.

3 Roger Bourderon, Libération du Languedoc méditerranéen, Paris, Hachette, 1974.

4 Parmi tous les travaux universitaires disponibles, trois thèses de doctorat semblent se distinguer. Pour l’instant une seule a été publiée. Il s’agit de celle de Jacques-Augustin Bailly : La Libération confisquée. Le Languedoc (1944-1945), Paris, Albin Michel, 1993. Les deux autres ont été écrites par : Patricia Boyer et Pierre Maraval. La première s’intitule : Épuration, politique et société en Languedoc et Roussillon (août 1944-août 1953), Thèse de doctorat d’histoire, Université Paul Valéry-Montpellier III, 1999. Quant à celle de Pierre Maraval, elle porte ce titre : Justices politiques et répression de la Collaboration à la Libération (1944-1945). L’exemple du ressort de la Cour d’Appel de Montpellier, Thèse de doctorat d’histoire du droit et des institutions, Université de Perpignan, 2002. Pour un aperçu de quelques-unes de leurs hypothèses, voir Patricia Boyer, « L’épuration et ses représentations en Languedoc et Roussillon (1944-1945 », Vingtième siècle. Revue d’histoire, n°68, octobre-décembre 2000, p. 17-27 ; Pierre Maraval, « La répression de la Collaboration à la Libération dans le département de l’Hérault », in Claude Malbranke, dir., Administration et sociétés en Languedoc, Actes du 19e colloque des archives d’Agde (14 juin 2003), Agde, Imprimerie agatoise, 2003, p. 69-100. Les actes du colloque intitulé Lendemains de Libération dans le Midi (Montpellier, Université Paul Valéry-Montpellier III, 1997) et l’ouvrage dirigé par Rolande Trempé (La Libération dans le Midi de la France, Toulouse, Eché, 1986) apportent des éléments supplémentaires à la réflexion.

5 Patricia Boyer, Épuration, politique..., op. cit., p. 17 et s.

6 Pierre Maraval, « La répression... », op. cit., p. 70.

7 Gilbert de Chambrun, Journal d’un militaire d’occasion, Avignon, 1982, p. 154.

8 Dans le village de Pignan, près de Montpellier, la police militaire des FFI procède à l’arrestation de 26 personnes qui auraient des liens avec la Milice. Ibidem.

9 Archives municipales de Béziers 42 W 3. Citation donnée par Pierre Maraval, ibidem.

10 Rapport du 10 janvier 1945 de la mission d’inspection du général Revers sur le territoire de la 16e région militaire. Service historique de l’armée de terre, 7 P 43. Voir Patricia Boyer, op. cit., p. 192.

11 Ibidem.

12 André Halimi, La délation sous l’Occupation, Paris, Alain Moreau, 1983.

13 L’affiche suivante a été apposée sur les murs de la ville de Béziers, le 14 septembre 1944. Elle commence ainsi : « Avis aux délateurs ». « Le comité de libération reçoit fréquemment des lettres anonymes qui signalent des noms et adresses de gens ayant soi-disant appartenu à la Milice, à la Gestapo ou travaillé pour le compte de l’ennemi. Il est arrivé souvent que les renseignements donnés étaient erronés ou motivés par des haines ou rancunes personnelles. Pour éviter des arrestations, qui après enquête, s’avèrent illégitimes, le Comité de Libération prévient les délateurs que toute personne qui aura dénoncé un individu et qui ne sera pas en mesure d’apporter toutes justifications nécessaires, sera poursuivie impitoyablement ». Extrait du catalogue de l’exposition, Béziers, Résistance et Libération, 1985. Voir Patricia Boyer, Épuration, politique.....op. cit., p. 75.

14 Pierre Maraval, ibid.

15 Témoignage donné par Jacques-Augustin Bailly, La Libération confisquée..., op. cit.

16 Patricia Boyer, « L’épuration en Languedoc... », op. cit.

17 Rapport du 15 mars 1946. ADH 356 W 161. Citation donnée par Pierre Maraval, ibid.

18 C’est ainsi que René Cassin les définit dans la préface de l’ouvrage de Charles-Louis Foulon, Le pouvoir en province à la Libération (1943-1946), Paris, Presses de la Fondation nationale des sciences politiques, 1975, p. xiv.

19 Ce sigle désigne l’administration militaire alliée des territoires occupés. Sa présence est intolérable pour le gouvernement attaché à l’instauration de sa souveraineté nationale.

20 Charles-Louis Foulon, op. cit., p. 8.

21 « On n’a pas vu de tels hommes en France depuis la Révolution ». Citation de Fred Kupferman, op. cit., p. 83.

22 Le commissaire de la République en poste à Montpellier est chargé d’administrer six départements : l’Hérault, le Gard, l’Aude, les Pyrénées-Orientales, l’Aveyron et la Lozère.

23 Charles-Louis Foulon, op. cit.

24 Jacques Bounin, Beaucoup d’imprudences, Paris, Stock, 1974.

25 « Voyageant en Italie au cours de l’été 1936 (avec quelques amis), nous rencontrons sur l’autostrade de Milan, la foule des Français qui fuient le Front populaire et cherchent refuge dans l’ordre fasciste. Nous ne pouvons retenir notre réaction, et, consternés, ils nous voient tous trois les saluer ironiquement le poing fermé ». Voir Jacques Bounin, op. cit., p. 35.

26 Jacques Bounin, op. cit., p. 39.

27 Jacques Bounin, op. cit., p. 66.

28 « On m’annonce Montoire, les communiqués de la Collaboration, la main du Maréchal serrant celle d’Hitler. Nous sommes outrés. Je me précipite à Vichy pour demander un rendez-vous à Pétain. Je déclare au Maréchal : “Je viens de Paris. Vous êtes considérés comme un représentant de l’unité nationale. Vous ne pouvez pas vous engager à des négociations avec Hitler. L’occupation allemande se fait de plus en plus dure. Où est la correction du début ? (...)”. L’entretien devient vite orageux. “Vous parlez comme la radio de Londres” me dit Pétain, et il sonne un huissier pour me faire partir. Dès ce moment, il n’y a plus de Maréchal, il y a Pétain, qui va jouer à la poupée avec la France ». Voir Jacques Bounin, op. cit., p. 71-72.

29 « Ces approches vers le PSF sont une grande déception » se plaint-il. « Leur confiance en Pétain du début, leur attentisme, vont gagner de proche en proche ceux qui les suivent. Trop de fort braves gens vont être rendus sensibles à la propagande de Vichy, si décourageante ». Voir Jacques Bounin, op. cit., p. 69.

30 Elle va de pair avec une stigmatisation officielle qui a des conséquences personnelles. « Chassé du conseil municipal de Nice, début 1941, (...) les gens changent de trottoir pour ne pas me parler », raconte l’intéressé. Voir Jacques Bounin, op. cit., p. 78-79.

31 « Montpellier est une ville qui a de la noblesse : le Peyrou, l’Arc de Triomphe, le jardin botanique... Elle ne doit rien aux Romains et garde toujours la nostalgie de sa gloire sous la Monarchie (...). Montpellier est une ville réactionnaire. Avant-guerre, elle eut un quotidien royaliste, L’Éclair. Cette fois-ci, elle a fourni de nombreux miliciens, et tout près d’elle à Pignan, on les honore encore en 1973 ». Voir Jacques Bounin, op. cit., p. 138.

32 En réalité, à partir d’octobre 1944, une décision du Conseil des ministres limite plus strictement leurs compétences à celles fixées par les ordonnances et décrets du gouvernement provisoire. Voir Charles-Louis Foulon, op. cit., p. 122-124.

33 Roger Bourderon, « Jacques Bounin et la restauration de l’État », in Jules Maurin, dir., Lendemains de Libération dans le Midi, Université Paul-Valéry - Montpellier III, 1997, p. 67.

34 Roger Bourderon, op. cit., p. 68.

35 « Partout c’est l’affolement », écrit Jacques Bounin. Ibidem.

36 « Je prends contact avec les huissiers. Ils viennent en général de la Chambre des députés et sont assez satisfaits qu’un parlementaire succède à un autre parlementaire ». Ibidem.

37 La pratique n’est pas sans risque. Au sein de son état-major particulier, on démasquera quelques temps plus tard la présence d’agents de la Gestapo.

38 Une inquiétude perce des consignes données par Jacques Bounin aux préfets : « Pratiquez à l’égard (des FFI), sans les heurter, une politique de présence qui les amènera à admettre votre juste rang le jour de la Libération. Portez-vous dans les régions libérées. Établissez une liaison étroite entre les CDL et le département FFI ». Ibidem.

39 Citation donnée par Jacques Bounin, op. cit., p. 159.

40 Extrait des mémoires de l’intéressé cité par Jacques Bounin. Ibidem.

41 Philippe Lamour, Le cadran solaire, Paris, Robert Laffont, 1980, p. 251. Citation donnée par Patricia Boyer, Épuration, politique..., op. cit., p. 137.

42 Jacques Bounin, ibidem.

43 Elle est divisée en deux sections. L’une se trouve à Montpellier, l’autre à Béziers.

44 Ibidem.

45 Ibidem.

46 Yves Déloye, Claudine Haroche, Olivier Ihl, dir., Le protocole ou la mise en forme de l’ordre politique, Paris, L’Harmattan, 1996, p. 11.

47 Jacques Bounin, op. cit., p. 163.

48 Voir Nicolas Mariot, « Le président en voyage : rapprochement physique et distanciation protocolaire », in Yves Déloye, Claudine Haroche, Olivier Ihl, op. cit., p. 263.

49 Jacques Bounin, op. cit.

50 Yves Déloye, Claudine Haroche, Olivier Ihl, dir., Le protocole...., op. cit., p. 17.

51 Jacques Bounin, ibidem.

52 Jacques Bounin en garde un souvenir toujours vivant : « La foule est déchaînée, en particulier une jeune femme en tenue sportive, magnifique, avec un ruban d’Alsacienne dans les cheveux. Elle est là : toute aux vainqueurs. Sous l’Arc de Triomphe du Peyrou, de Lattre et moi sommes face à face, jetés l’un contre l’autre par la foule. Nos figures s’écrasent, nos nez se frottent de par et d’autre du micro ». Ibidem.

53 La partie n’est pas encore gagnée car Jacques Bounin écrit : « le général “recruteur” croit les avoir eus, mais à la fin de la veillée, Chambrun (leur chef) est toujours réservé ». Ibidem.

54 Roger Bourderon, ibidem.

55 Il a, à ses yeux, le grand tort d’avoir « refusé à ses prêtres de faire partie des comités de Libération ». Ibidem.

56 Ibidem.

57 Ibidem.

58 Fred Kupferman, Les premiers beaux jours..., op. cit., p. 85.

59 Jacques Bounin, op. cit., p. 170-171.

60 Des militants, combattants de la première heure, souhaitent susciter au lendemain de la Libération d’immenses espérances. C’est le cas de Raoul Calas à Sète, de Gabriel Roucaute à Alès, de Ginestet à Decazeville ou de Jean Baby à Nîmes. Voir Roger Bourderon, Libération du Languedoc Méditerranéen, Paris, Hachette, 1974, p. 242 et s.

61 Par exemple, Jacques Bounin raconte : « Je vois Raoul Calas, de Sète ; la répression de Vichy l’a mis en vedette. Il joue sur mon titre de commissaire de la République, “pas du peuple”, dit-il. “Je pense bien” est ma réponse ». Ibidem.

62 Roger Bourderon s’appuie pour avancer cette hypothèse sur les confidences de Jean Bène (entretien du 22 juin 1973), le maire de Pézenas, très actif dans les maquis qui devient président du comité départemental de Libération. Jacques Bounin interrogé n’a jamais démenti cette version. Voir Roger Bourderon, « Jacques Bounin... », op. cit., p. 73.

63 Archives nationales F1a 3334. Rapport cité par Pierre Maraval, op. cit., p. 96.

64 Pierre Maraval, Justices politiques et répression de la Collaboration..., op. cit.

65 Hélène Chaubin, « L’Hérault », in Gilles Le Béguec, Denis Peschanski, dir., Les élites locales dans la tourmente. Du Front populaire aux années cinquante, Paris, CNRS Éditions, 2000, p. 206-207.

66 Pour une vision d’ensemble, voir ADH 137 W 1.

67 Marianne Caron-Leulliez, « Le pouvoir municipal dans les villes de l’Hérault », in Centre d’histoire contemporaine du Languedoc-Méditerranéen et du Roussillon, dir., La ville en pays languedocien et catalan de 1789 à nos jours, Université Paul Valéry-Montpellier III, 1982.

68 Ibidem.

69 Plusieurs rapports reviennent sur les difficultés rencontrées par le PRL pour s’implanter. ADH 322 W 159 ; 356 W 129/1 et 356 W 153.

70 Marie-Françoise Furet, Paul et Alfred Coste-Floret. Deux jumeaux et trois Républiques (1911-1990), Nîmes, Lacour, 2001.

71 Notre connaissance de ce courant politique est réduite sur le plan local à la thèse de Jean-Claude Roux : Sociologie politique du gaullisme dans l’Hérault, Thèse de doctorat d’histoire, Faculté de lettres, Montpellier, 1969.

72 « Les zones, où coïncident épuration et radicalisation de l’électorat, sont celles où la Résistance a été la plus active et a permis au PCF d’accroître considérablement son influence, zones de maquis des Côtes-du-Nord, de l’Indre, de l’Isère, ou encore la Corse, pôles de résistance ouvrière des Bouches-du-Rhône, du Nord-Pas-de-Calais ou de la banlieue parisienne ». Voir Jean-Marie Guillon, « Variables régionales ? Continuités, mutations, brouillages », in Gilles Le Béguec, Denis Peschanski, dir., Les élites locales..., op. cit., p. 164. Pour une visualisation des résultats de l’enquête conduite sur ces aspects au niveau national, voir Philippe Buton, Jean-Marie Guillon, dir., Les pouvoirs en France à la Libération, Paris, Belin, 1994).

73 Pour une présentation des « lourdes responsabilités des radicaux dans la défaite et dans la mort de la République », voir Michèle Cointet, « Les radicaux dans la tourmente (1940-1944) », in Éric Duhamel, Gilles Le Béguec, dir., La reconstruction du parti radical (1944-1948), Paris, L’Harmattan, 1993, p. 15-29.

74 Contrairement à une bonne partie des formations politiques, « le parti radical n’a jamais fait de son action dans la Résistance un tremplin de propagande politique », explique un des responsables montpelliérains à l’occasion de la réception donnée en l’honneur de deux militants au cours d’une cérémonie de remise de la médaille de la Résistance. Note d’information des Renseignements généraux (RG), 11 juin 1946. ADH 356 W 153. Citation donnée par Patricia Boyer, op. cit., p. 433.

75 Michèle Cointet, op. cit., p. 20.

76 Pour un tour d’horizon sur la situation du parti radical entre la Libération et mars 1946, voir ADH 322 W 159.

77 Vincent Badie, « Vive la République ». Entretiens avec Jean Sagnes, Toulouse, Privat, 1987, p. 80.

78 Rapport du 9 juin 1944. ADH 111 W 18.

79 Note des RG sur l’activité du PSF, datée de 1945, ajoutée à un rapport du préfet du 1er avril 1946. ADH 137 W3.

80 Jean-Paul Thomas, ibidem.

81 Le scrutin de liste départemental avec répartition des restes à la plus forte moyenne interdit sous peine d’échec la multiplication des listes classées, selon les critères en vigueur à l’époque, au « centre-gauche ».

82 Éric Duhamel, « Le parti radical et la Rassemblement des gauches républicaines », in Éric Duhamel, Gilles Le Béguec, dir., La reconstruction du parti radical..., op. cit., p. 137-138.

83 Ibidem.

84 René Rémond, Les droites..., op. cit., p. 17.

85 Un rapport rédigé en 1950 résume la situation ainsi : « Si dans l’Hérault, le RGR existe de fait en période électorale, il n’a jamais été véritablement constitué et les unions qui se sont réalisées sous le vocable “Rassemblement des gauches républicaines” ont, avant tout, servi les intérêts électoraux du parti radical ». RG, 10 mai 1950, ADH 338 W 58.

86 Rapport des RG, 7 juin 1951. ADH 338 W 58.

87 Ibidem.

88 « C’est pour constituer sans les radicaux un rassemblement nouveau axé plus à droite que le RGR, que M. Ventenat, membre du comité directeur national de l’Alliance démocratique, est venu récemment dans le département pour y contacter certaines personnalités. Il s’est entretenu, notamment avec M. Dijol, avoué à Montpellier, représentant l’Alliance démocratique, et, M. Maurel, agent d’assurance de la Réconciliation française, avec lesquels il a élaboré un projet d’entente entre ces formations. Le bloc ainsi réalisé pourrait, d’après ces derniers constituer le noyau d’un rassemblement plus vaste (...) ». Ibidem.

89 Rapport des RG, 5 octobre 1950. ADH 338 W 58.

90 Rapport des RG, 5 décembre 1951. ADH 338 W 58.

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