La persistance du Midi blanc
|Quatrième partie. Vers une réhabilitation de l'expérience pétainiste
Introduction à la quatrième partie
Texte intégral
- 1 Joseph Algazy, La tentation néo-fasciste en France (1944-1965), Paris, Fayard, 1984.
- 2 Jérôme Cotillon, Ce qu’il reste de Vichy, Paris, Armand Colin, 2003.
- 3 Le gouvernement, conformément aux souhaits du général de Gaulle, « n’a aucunement l’intention de f (...)
- 4 Pierre Birnbaum, La France imaginée..., op. cit., p. 217.
1Les mesures radicales prises pour détruire les fondations démocratiques, tout comme la violence des actions menées contre les ferments de l’opposition ou les populations jugées « dangereuses » en disent long sur la détermination des agents en place. C’est dans la douleur que la France se débarrasse des derniers suppôts d’un régime qui encore au milieu de 1944 multiplie les exactions. Les efforts des Alliés et de la Résistance, dont les rangs grossissent au fil des mois, contribuent à son renversement sans éliminer définitivement toutes les ramifications d’un pouvoir protéiforme. Même la tourmente de l’épuration ne les déracine pas. Elle n’empêche pas l’existence d’un « Vichy après Vichy »1. Il se manifeste à travers une guerre des mémoires et le maintien de certains acquis législatifs, économiques ou sociaux. Les hommes, les réseaux, les relais d’opinion favorables à la politique conduite durant les années d’Occupation, fidèles jusqu’aux derniers jours ou ayant pris leur distance après quelques mois d’exercice, se rejoignent sur un point. Quand vient la fin des combats, ils mettent rarement en cause publiquement le rôle de Pétain. Les débuts de la Quatrième République sont étrangement marqués par la résurgence de cette mouvance très attachée à une figure charismatique inébranlable et aux idéaux promus alors2. Dès l’aube de la Libération, une partie de la Résistance prône la pondération, en particulier vis-à-vis des principales courroies de transmission entre le centre et la périphérie. L’armature de l’État doit être protégée. En effet pour refonder prestement la légalité républicaine, le gouvernement provisoire ne veut pas se passer des capacités de l’administration en place3. Comme l’écrit Pierre Birnbaum, pour résumer les orientations prises par le général de Gaulle, « le temps presse, on passe l’éponge, on oublie. Il s’agit de reconstruire, de susciter l’enthousiasme, de se retrousser les manches, et seul l’Etat, dans la logique française, peut servir de moteur à cette mobilisation »4.
- 5 Charles de Gaulle, Mémoire de guerre. Tome 3 : le Salut, Plon, 1959, p. 92.
- 6 Charles de Gaulle, Mémoires de guerre. Tome 2 : l’Unité (1942-1944), Paris, Plon, 1956, p. 308.
- 7 C’est dans Paroles françaises, l’organe du Parti républicain de la liberté, que l’on soutient pour (...)
- 8 Henry Rousso, Vichy. L’événement, la mémoire, l’histoire, Paris, Gallimard, 2001, p. 345 et s.
2De façon générale, le chef de la France libre évoque dans ses Mémoires son désir d’« assurer l’action de la justice, de telle sorte que les fautes commises soient sanctionnées rapidement, (...) qu’une fois les jugements rendus rien n’empêche la réconciliation »5. Il défend une thèse qui restera très répandue pendant des décennies selon laquelle, cet événement historique majeur que représente la mise en place d’un régime qui dès ses premières heures écrase les principes fondamentaux établis au moment de la Révolution française n’est en fait qu’une simple « parenthèse ». Il n’hésite pas écrire dans un autre tome que « la République n’a jamais cessé d’être. (...) Vichy fut toujours et demeure nul et non advenu »6. Le mythe d’une France résistante confrontée exclusivement aux nazis présents sur le sol national et aux groupes de collaborateurs leur facilitant la tâche s’installe durablement avec la thèse du « double jeu »7. Elle s’ancre dans les consciences grâce aux vecteurs primordiaux que représentent les cérémonies commémoratives et les manuels scolaires8.
3Un tel positionnement va avoir des conséquences sur le plan juridique. Entre 1947 et 1953, les partisans de l’amnistie bataillent au Parlement. Ils recrutent aussi bien dans les rangs des formations issues de la Résistance, que parmi les nostalgiques de « l’ancien régime », regroupés sous la férule de Jacques Isorni, l’avocat de Pétain. Souhaitant mettre un terme aux déchirements entre les différentes tendances formées dans la clandestinité, tout en revenant sur les excès de l’épuration, les représentants du peuple se lancent dans des joutes oratoires peu épargnées par la confusion. Les convulsions des « années noires », générées par un gouvernement très conciliant envers les nazis, sont souvent assimilées aux débordements observés en 1944. Les considérations partisanes propres au régime né de la Constitution de 1946, entraînant une instabilité gouvernementale chronique, perturbent les combats législatifs. Les tensions internationales portées par la « guerre froide », la critique gaulliste des institutions, les efforts de rapprochement avec la « nouvelle Allemagne », tandis que s’amorce une coopération européenne en matière économique et sur la défense, sans oublier les affaires coloniales, sont d’autres pommes de discordes ayant des répercussions sur les débats.
- 9 Léon Werth, Impressions d’audience. Le procès Pétain. Préface de Christophe Kantcheff, Paris, Édit (...)
4Dans cet imbroglio politico-juridique, l’entente dépassant le clivage droite-gauche forgée contre l’ennemi commun s’effondre. Au sein des droites, les éléments extrémistes trouvent enfin un moyen de rebondir en entreprenant une campagne visant à influer sur l’écriture de l’histoire immédiate. Ils s’agrègent au thème fédérateur de la « réconciliation nationale ». C’est la matrice commune qui rassemble les gaullistes, les démocrates-chrétiens, les radicaux, et un nouveau mouvement à la fin de la décennie 1940 : le Centre national des indépendants et paysans. Tous ne donnent pas le même type de définition à cette expression et des membres isolés peuvent la refuser. Cependant, elle constitue une balise incontournable. Le résultat de cette alchimie politique aura des conséquences sur le long terme. Elles se résument ainsi, aux yeux de Christophe Kantcheff, auteur de la préface de la réédition du livre de Léon Werth relatant au quotidien le procès de Pétain : « Au nom de la "réconciliation nationale", un concept passe-partout censé éloigner à tout jamais le spectre de la guerre civile, on banalise, on pardonne, on oublie, on réhabilite. Et, au bout du compte, on obtient exactement le contraire de ce qu’on escomptait »9.
- 10 Comme le remarque Caroline Baudinière, dans ce combat des vaincus contre les vainqueurs, « l’histo (...)
5Ce schéma national connaît une inflexion singulière au sein du découpage territorial retenant notre attention. La guerre des deux France perd de sa substance. L’accroissement du rôle dévolu aux catholiques proches de la Jeune République et du Mouvement républicain populaire est indéniable même au cœur d’un Languedoc méditerranéen historiquement réticent envers la ligne « modérée ». Désormais, seul un noyau réfute l’évolution. Il rassemble les derniers héritiers directs des figures politiques du « Midi blanc » et quelques personnalités modelées par le discours des ligues d’anciens combattants des années 1930. Les cadres de l’ex-PSF et les monarchistes, déjà réunis sous Vichy, forment la charpente du Centre départemental des Indépendants et paysans, en ordre de marche pour préserver les valeurs « traditionnistes ». Ils s’ingénient à défendre la dernière expérience politique construite autour de celles-ci en glorifiant le pétainisme. Leur démarche produit des effets politiques car leur intervention se fait sur un corps social pris par un tourbillon de crises qui s’alimentent l’une l’autre. Le milieu politique au centre de notre propos profite de la situation chaotique pour s’adapter aux nouveaux codes de la vie publique. En parallèle, il amorce un travail en profondeur de « révision » de l’histoire lui permettant de relativiser sa part de responsabilité durant l’Occupation et « de se positionner en victimes »10.
Notes
1 Joseph Algazy, La tentation néo-fasciste en France (1944-1965), Paris, Fayard, 1984.
2 Jérôme Cotillon, Ce qu’il reste de Vichy, Paris, Armand Colin, 2003.
3 Le gouvernement, conformément aux souhaits du général de Gaulle, « n’a aucunement l’intention de faire tout à coup table rase de la grande majorité de ses serviteurs, dont la plupart, pendant les années terribles de l’occupation et de l’usurpation, ont avant tout cherché à servir de leur mieux la chose publique ». On préconise de ne pas « suivre aveuglément » la législation républicaine car la justice intransigeante aurait porté préjudice « à l’intérêt supérieur de l’administration ». Voir Olivier Wieviorka, Nous entrerons dans la carrière. De la Résistance à l’exercice du pouvoir, Paris, Seuil, 1994, p. 28.
4 Pierre Birnbaum, La France imaginée..., op. cit., p. 217.
5 Charles de Gaulle, Mémoire de guerre. Tome 3 : le Salut, Plon, 1959, p. 92.
6 Charles de Gaulle, Mémoires de guerre. Tome 2 : l’Unité (1942-1944), Paris, Plon, 1956, p. 308.
7 C’est dans Paroles françaises, l’organe du Parti républicain de la liberté, que l’on soutient pour la première fois la théorie « du glaive et du bouclier » quelques semaines seulement après la Libération : De Gaulle étant présenté comme le défenseur de la France à l’extérieur, pendant que Pétain luttait à l’intérieur en sa faveur. « La suite va de soi ou presque, résume Caroline Baudinière, le Maréchal s’est sacrifié pour la patrie en accord avec De Gaulle, il n’est pas et n’a jamais été un traître mais au contraire une victime à réhabiliter ». Voir Caroline Baudinière, « L’extrême droite française de 1944 à 1951 : quelques conditions d’une réapparition publique sur la scène politique », Contre Temps, n° 8, septembre 2003, p. 54.
8 Henry Rousso, Vichy. L’événement, la mémoire, l’histoire, Paris, Gallimard, 2001, p. 345 et s.
9 Léon Werth, Impressions d’audience. Le procès Pétain. Préface de Christophe Kantcheff, Paris, Éditions Viviane Hamy, 1995, p. 21.
10 Comme le remarque Caroline Baudinière, dans ce combat des vaincus contre les vainqueurs, « l’histoire est révisée, c’est-à-dire que le passé est repensé et reconstruit à la lumière d’événements plus récents, et que chaque nouvel incident en rapport avec l’épuration ou le communisme sera intégré dans cette version de l’histoire, dans le but de la renforcer ». Ibidem.
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