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La persistance du Midi blanc

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Philippe Secondy

Troisième partie. La tentation du fascisme

Chapitre 1 : Les élites des ordres contre le « désordre »

Texte intégral

  • 1 Louis Guibal, « Les Professions libérales, la guerre et l’après-guerre », Bulletin de la société la (...)

1Avant même la fin du conflit, dans une communication mobilisatrice, Louis Guibal en appelle aux professions libérales pour tirer le pays des décombres. Prononcée au cours d’une séance de l’Académie des sciences et lettres le 25 février 1918, elle est reproduite dans le Bulletin de la société languedocienne de géographie, une revue scientifique de premier plan largement diffusée depuis le milieu du xixe siècle. L’auteur, qui signe « Bâtonnier de l’Ordre des Avocats », justifie ainsi son intervention devant ses collègues académiciens : « En me proposant de retenir quelques instants votre attention sur “Les Professions libérales, la guerre et l’après-guerre”, je n’ai pas eu la prétention de vous apporter des pensées nouvelles et de neuves péremptoires réponses, sur toutes les questions que soulève l’épreuve actuelle du monde. Je n’ai même pas cru vous exposer des questions qui soient nouvelles pour vous. J’ai seulement voulu vous soumettre quelques-unes des réflexions que, toujours dans un esprit exclusivement et intégralement national, m’a suggéré la connaissance de ma profession et plus encore l’exercice de ma charge professionnelle, en face, d’une part, des événements si imprévus qui nous ont tous dominés dès le 2 août 1914, de l’admirable mais simple contribution des nôtres à la défense, à la glorification de la Patrie, en considération d’autre part des obligations qu’ils nous ont imposées actuellement et qui doivent en découler pour nous dans l’avenir immédiat et dans l’avenir plus lointain de la France »1.

  • 2 Ibidem.
  • 3 Ibidem.
  • 4 Ibidem.
  • 5 Ibidem.

2Se drapant dans une tunique synonyme de prestige social et arborant un drapeau apolitique (« exclusivement et intégralement national »), il prétend que la réflexion sur l’avenir doit préoccuper en priorité « nous tous qui appartenons à la profession libérale ». Il pense « plus spécialement (aux) médecins et avocats, que la généralité même de nos relations professionnelles met le plus directement en contact avec tous les états sociaux, et par là même avec toutes les réalités de la vie quotidienne des individus, des familles, des intérêts privés et sociaux »2. Pour lui, les professionnels du droit et de la médecine sont plongés au cœur de la société et la « confiance »3 qu’ils inspirent, par « l’excellence du service rendu »4, les prédispose à une meilleure compréhension des « réalités de la vie quotidienne ». Tout repose à ses yeux sur « l’estime »5, la vertu sociale au fondement de la notabilité.

  • 6 Louis Guibal, op. cit.
  • 7 Ibidem.

3« L’épreuve du feu », un passage obligé, a permis de vérifier que « la notion de devoir, celle de la responsabilité morale, inséparable (...) de l’exercice de certaines professions libérales, ont pu n’être pas étrangères à la ferme docilité des nôtres envers la discipline nouvelle »6. Louis Guibal n’hésite pas à en tirer une leçon générale applicable immédiatement après l’extinction des hostilités : « Et ceux qui -Dieu les conserve et nous les rend-reviendront, après la victoire des armes, prendre au foyer leur place, auront le droit d’affirmer qu’ils ne furent inférieurs à personne dans la discipline, dans le dévouement, dans le sacrifice. Nous penserons sans doute, si leur modestie les empêche de le dire, que la formation de leur esprit, de leur conscience, de leur âme, leur donne souvent quelque supériorité et quelque avantage, honneur des professions qui les avaient nourries et à la grandeur desquelles ils ont su ne pas mentir »7. L’instauration de la paix, la reconstruction du pays et tout ce que cela implique nécessitera le recours aux professions libérales seules en mesure d’établir une société basée sur quelques principes fondamentaux résumés ainsi par le bâtonnier :

  • 8 Ibidem.

« À ceux qui pensent que le progrès matériel doit être le principal, (certains mêmes disent l’unique) objectif des individus et des sociétés, parce qu’il n’y aurait sans lui “ni bien-être, ni liberté, ni sérénité pour un peuple dans l’état du monde actuel”, l’histoire même de nos jours ne répond-elle pas que seul le progrès matériel risque d’endormir la liberté et de compromettre ainsi la sécurité des peuples ; que la puissance matérielle acquise est souvent arrêtée, dominée, vaincue par la force morale des individus et des nations ; que le progrès, que la puissance matérielle doivent servir et non dominer les peuples ; que leur action n’est désirable, et vraiment utile que si elle est inspirée par les principes de l’ordre moral, et conduite par ce qui fait la dignité de la force, c’est-à-dire la conception du droit et le service du juste ; que pour les sociétés, comme pour les individus, il y a sans doute ce que l’on possède, mais aussi ce que l’on vaut ; et que seule l’union de ces deux biens compose le patrimoine intégral d’un peuple. Il serait donc aveugle et injuste de méconnaître l’utilité sociale des professions qui mettent en jeu ces éléments d’ordre immatériel (...) »8.

  • 9 Ibidem.
  • 10 Ibidem.
  • 11 Ibidem.

4Louis Guibal s’empresse d’indiquer que l’intervention des professions libérales se justifie sur un autre plan. « Leur méthode (qui) est celle de l’action »9 s’avère obligatoire pour relever les défis d’une société bouleversée par la guerre, nécessitant un traitement particulier administré par un nouveau personnel politique. Plutôt puiser dans ce vivier plein d’entrain, estime-t-il, que dans des classes, baptisées les « âmes à salaires fixes », atteintes par la « routine » et dont la « méthode (se caractérise) par l’inertie », source de « toutes les décadences nationales »10. Le futur député termine son propos en préconisant, devant « l’affaiblissement général », de « redresser les volontés, de les fortifier, et de les mettre en garde contre les entraînements et les compromissions, de les protéger contre les faiblesses et les chutes »11. La foi constitue un soubassement indispensable aux « énergies françaises » pour que la France redevienne « l’étendard du monde », conclut-il. À travers cette intervention, Louis Guibal fixe le cap de l’action « traditionniste » pour les années à venir. La capitale administrative du Languedoc méditerranéen constitue historiquement une place forte d’un milieu juridique et médical décidé à prendre ses responsabilités. Ces « hommes nouveaux » seront irrémédiablement issus d’un monde combattant en ébullition, organisé dans de puissantes associations qui pèseront constamment sur le débat public de l’entre-deux-guerres.

Un vivier : le milieu des avocats et des médecins

  • 12 Christophe Charle, La république des universitaires (1870-1940), Paris, Seuil, 1994, p. 247.
  • 13 Cette expression désigne « les métiers (médecins, barreau...) qui ont développé un ensemble de cara (...)
  • 14 Christophe Charle, « Pour une histoire sociale des professions juridiques. Note pour une recherche  (...)
  • 15 Matéï Dogan, « Les professions propices à la carrière politique. Le verbe et la plume », in Michel (...)
  • 16 62 siègent au Palais-Bourbon en 1881. Voir Christophe Charle, Histoire sociale..., op. cit.
  • 17 Jacques Léonard, La France médicale au xixe siècle, Paris, Gallimard / Julliard, 1978, p. 284. Pour (...)
  • 18 Patrick Hassenteufel, Les médecins face à l’État. Une comparaison européenne, Paris, Presses de Sci (...)
  • 19 En novembre 1921, le ministre radical-socialiste de l’Instruction publique, l’Héraultais Louis Laff (...)

5Formés dans une institution universitaire « fermée »12, les membres de ces « professions établies »13 se définissent comme une « élite ». D’une guerre à l’autre, avocats et médecins s’emploient à convertir leurs ressources sociales en ressources politiques. Entre les deux professions, la frontière n’est pas étanche. Des stratégies d’alliances et des processus de mobilité inter ou intra-générationnels14 renforcent leur cohésion. L’implication dans l’espace public ne prend pas simplement une forme militante ordinaire, souvent encore regardée avec répugnance. Elle s’exprime dans des « nous » spécialisés comme les constellations catholiques, les réseaux professionnels ou les sociétés savantes. Dès le xixe siècle, les avocats profitent de l’extension du droit de suffrage. Leur prédisposition à intégrer la carrière politique intéresse des catégories sociales dépourvues de tels atouts. Des paysans aux commerçants, tous espèrent trouver parmi ces « beaux parleurs » des élus capables de décrypter les procédures et de convaincre15. Ils entrent facilement en concurrence avec les médecins qui représentent la seconde profession à la Chambre des députés dans les premières années de la Troisième République16. Le crédit des médecins, assimilés par Jacques Léonard à une « aristocratie de la compétence »17, s’appuie en grande partie sur le pilier du savoir scientifique devenu une des principales valeurs des sociétés occidentales. Le diplôme universitaire de docteur garanti par l’État leur délivre un monopole sur les soins. Synonyme de longues années d’études, dans une France où l’accès à l’Université demeure très réduit, il leur confère un vocabulaire « savant » gage de légitimité sociale. Au service du « bien public », le médecin bénéficie d’une « aura exceptionnelle »18 du fait de son intrusion quotidienne dans la vie privée et de son rapport direct avec la vie et la mort. Profession de confiance, dans la confidence de ses patients au même titre que le prêtre tenu de respecter le secret de la confession, il possède des « vertus » faciles à convertir dans le champ politique. Le poids des médecins repose également sur leur esprit corporatif qui s’affine tout au long du siècle. Les pouvoirs publics agissent avec tact et n’osent pas bousculer un puissant groupement social au contact permanent des populations. Ces considérations, propres à tous les médecins, peuvent être décuplées dans un département siège d’une Faculté glorieuse, souvent célébrée par la presse, et devant laquelle s’inclinent toutes les autorités politiques19.

  • 20 Louis Pinto, « L’armée, le contingent et les classes sociales », Actes de la recherche en sciences (...)
  • 21 Ces deux professions constituent l’essentiel des élites des Ordres. On pourra y rajouter quelques u (...)
  • 22 A. Oudin, L’Ordre des médecins, Thèse de doctorat de droit, Université de Paris, Paris, Librairie E (...)
  • 23 Ibidem.

6Le Palais de justice et l’Université regroupent une fraction dominante des professions libérales et bourgeoises. Elle loue l’ordre et investit les Ordres assimilés à un « cosmos hiérarchique et nécessaire, antérieur à l’individu, immémorial où tout un chacun est à sa place (et dans lesquels) on est “tenu” »20. Une telle définition appliquée habituellement à l’ordre militaire, prend tout son sens dans des professions marquées par le passé et basées sur un culte de la hiérarchie et de la discipline adroitement entretenu par des rituels21. Si l’Ordre des avocats remonte au Moyen Âge, celui des médecins n’est officiellement créé que par une loi du 7 octobre 1940. Cependant dès 1923, des projets relatifs à sa création apparaissent. À la Chambre, Xavier Vallat, le député de l’Ardèche, Louis Guibal et Henri de Rodez-Bénavent inscrits dans le groupe des Indépendants, réclament l’instauration d’une instance capable d’endiguer « l’abaissement de la moralité professionnelle »22. Pendant près de vingt ans, plusieurs parlementaires reprendront une proposition relayée par de nombreux praticiens qui lui donnent une large publicité, avant que le gouvernement de Vichy ne la fasse aboutir. Elle établit une juridiction confraternelle à caractère corporatif en s’inspirant des regroupements professionnels de l’Ancien Régime, marqués par la rigueur disciplinaire23. Bien des acteurs sont animés par l’ambition de gravir une à une les marches d’une telle institution. Le jeu demeure trouble pour les non-initiés. En possession d’un habitus leur permettant de connaître les lois et les enjeux en cours, certains bénéficient d’une reconnaissance au fondement de leur autorité. Elle résulte pour une part non négligeable aussi d’un héritage direct : le barreau ou la chaire faisant partie intégrante du patrimoine familial.

Les gardiens de « l’avocature »

  • 24 Nous empruntons ce terme à Laurent Willemez. Il montre bien que « la volonté d’imposer la professio (...)
  • 25 Jean Lafont, « Éloge du Bâtonnier Jean Guibal », Bulletin de l’Académie des sciences et lettres de (...)

7La famille Guibal, imprégnée par la foi catholique, veille sur « l’avocature »24 durant la première partie du siècle. Nous avons déjà subrepticement évoqué l’emprise de Louis Guibal. Elle s’accroît grâce au concours de son fils Jean, lui aussi formé à l’école de la tribune, dont les allocutions prononcées dans le cadre professionnel prennent aisément une tournure idéologique. Nous en donnerons un premier aperçu avant de nous pencher plus loin sur son engagement au cœur du régime de Vichy. Bâtonnier peu de temps après son père, il représente un guide pour ses confrères. En 1986, devant l’assemblée des académiciens montpelliérains, celui qui a été appelé pour siéger dans son fauteuil raconte une anecdote révélatrice de l’impact unique de Jean Guibal, baptisé le « Bâtonnier légendaire » : « Lorsque j’ai entrepris de réunir des éléments d’informations plus précis (pour faire son portrait), c’est unanimement que tous ses contemporains et les confrères qui l’ont bien connu, m’ont affirmé qu’il avait été Bâtonnier à trois reprises, et dans tous les discours officiels je relis “plusieurs fois Bâtonnier”. Mais en fait, il n’avait été élu qu’une fois en 1938. C’est bien ainsi que commencent les légendes. Cette exagération dans la mémoire de ses pairs en dit sans doute plus long sur la place qu’il occupe dans notre mémoire collective et dans nos cœurs »25, conclut le nouvel entrant.

  • 26 Jean Guibal, Discours du Bâtonnier de l’Ordre prononcé le 6 décembre 1938 à la séance solennelle d’ (...)
  • 27 Jean Guibal, op. cit., p. 5-6.
  • 28 Ibidem

8Constamment, jusqu’à la fin des années soixante, Jean Guibal montre aux plus jeunes la marche à suivre. Les discours prononcés lors des séances solennelles d’ouverture des conférences réservées aux stagiaires fixent à jamais sa conception du rôle de l’avocat. Celui de 1938 met l’accent, comme quantité d’autres, sur sa place à part dans l’ordre social : « Il faut avoir l’orgueil de nos disciplines (...). L’Avocat est, dit-on, une des trois forces qui ont un rôle immuable, une grandeur propre, une mystique qui n’est interchangeable avec nulle autre : le Soldat, le Religieux, l’Avocat. Il faut même y ajouter le Médecin. Et déjà, vous mesurez votre orgueil, ne fût-ce qu’à sentir celui des autres »26. Tel un phare, les jeunes recrues sont priées de se référer explicitement à la ligne tracée par le bâtonnier : « c’est le gardien des privilèges de Votre Ordre (...). Il est dépositaire de la confiance de ses pairs (...), recueille pour le transmettre le flambeau de notre âme à travers les générations (...). Pour lui, il devra garder notre passé, et préparer notre avenir »27. Les impétrants accédant à l’Ordre des avocats doivent mesurer leur chance : « Pour franchir notre seuil, il faut le connaître dès l’abord, non comme une géhenne, mais comme une sécurité, une force, surtout à l’époque où nous en sommes ; et puis il faut en s’éprouvant soi-même, l’aimer comme un orgueil »28.

  • 29 Voir Pascal Plas, « La professionnalisation des avocats au début des années vingt. Enjeux, ruptures (...)

9Jean Guibal et ses proches affichent une constante préoccupation. À leurs yeux, le « désordre » règne. Il concerne la profession elle-même qui subit dans les années vingt une rupture : « le métier remplace la fonction »29. Or, les gardiens du « vieux palais » entendent à la fois conserver l’état d’esprit teinté d’humanisme cher aux « maîtres » du xixe siècle et se protéger contre la concurrence des agents d’affaires usurpateurs de titres. Plus encore, des « avocats-militants » contestent l’ancienne organisation, régie par l’Ordre, et préfèrent s’en remettre à des syndicats. La remise en cause de la hiérarchie déplaît. Le noyau avant-gardiste disposé à la mutation professionnelle agit après la guerre dans un siècle porteur de nouveaux idéaux. La confirmation de l’essor du prolétariat, sa meilleure structuration, la montée des revendications et des échanges secouent une vieille Europe obligée de s’adapter. Les schémas anciens craquent avec, dès le début des années trente, l’explosion économique dans une société en pleine urbanisation, emportée par un processus de contagion venu d’Outre-Atlantique. Les déchirures qui en résultent dessinent une autre France. Au creux de ces changements, seules quelques « forces supérieures demeurent » selon Jean Guibal. Elles se dressent pour faire face à ce qu’il appelle : « l’homme-1938 ».

  • 30 Jean Guibal, op. cit., p. 13-15.

« Pour l’observateur lointain, il semblerait qu’en France tous les dieux sont morts. L’homme se grise de lui-même, et surtout il étale impudemment sa griserie ; il affecte de reléguer au bon vieux temps tous les respects, toutes les réserves, toutes les pudeurs ; les forces intérieures ne sont plus que niaiserie ; on les regarde en souriant. Jean-Jacques peut être content : la société a cessé de pervertir l’homme avec “la civilisation qui nous donnait des voiles, la religion qui nous donnait des scrupules”, le respect qui nous donnait des longues patiences. Dans la formation de l’homme, cette donneuse de conseils est tout simplement remerciée ; et l’homme-1938 enfin débarrassé d’elle, de ses entraves, veut se retrouver comme aux premiers temps : son premier souci est de tout oublier, son deuxième de prendre sa revanche. Éternelle et vaine expérience ? Ainsi toute vie, jusqu’au moment où elle rencontre le réel, s’emploie à créer l’illusion, s’essaye à la faire durer. Et toute génération recommence. Il s’agit seulement de savoir de quoi sera faite l’illusion, quel adjuvant elle pourra trouver. Or l’homme-1938 trouve autour de lui un renfort de moyens matériels qui l’aide à sortir de lui-même : l’auto, l’avion le font rare au foyer, et quand par hasard, il revient, la TSF se substitue à ce qu’il pouvait garder de vie intérieure. La vie extérieure avec ses besoins matériels et sa mobilité remplace les méditations, les résignations ; l’homme est captif de son œuvre matérielle, ébloui par elle ; il est sur les routes de tout, et à la porte de lui-même. (...) Ils sont quelques-uns dans cette griserie qui durent (...), quelques-uns pour lesquels la consigne reste la même : le soldat demeure le soldat, le religieux demeure le religieux, le médecin demeure le médecin. Pourquoi l’Avocat ne demeurerait-il pas l’Avocat ? Ces quatre disciplines échappent peut-être à l’attention, parmi les valeurs de ce temps. Mais ces autres valeurs ne sont-elles pas seulement la “coulisse” des valeurs ? Le public se jette sur elles ; elles jouissent de sa faveur (...)». Selon lui, « Le Soldat, le Médecin, le Religieux, l’Avocat se contentent de rester “la corbeille” des valeurs ; ils demeurent »30.

  • 31 Ibidem.
  • 32 En novembre 1969, dans sa dernière conférence, à la Faculté de droit destinée aux étudiants du cert (...)
  • 33 Voir Philippe-André Vincent, La vie et l’œuvre d’André Vincent, op. cit., p. 131.
  • 34 Ibidem.
  • 35 Voir Philippe-André Vincent, La vie et l’œuvre d’André Vincent..., op. cit., p. 121-122.
  • 36 L’Éclair, 6 octobre 1925.
  • 37 Marie-Claude Fajon, L’Italie fasciste à travers la presse languedocienne (octobre 1922-juin 1935), (...)
  • 38 La Gazette du Languedoc, n° 260, 4 décembre 1932.
  • 39 Eugen Weber, op. cit., p. 322-323.

10Dans ce plaidoyer, Jean Guibal veut résumer les perversions de l’époque. « L’abîme » est atteint depuis l’établissement du Font populaire où l’on ne croit « qu’à l’aléa et aux loisirs pour alimenter la vie »31. Ce discours sur le « désordre » ambiant ne quittera quasiment jamais l’héritier de Louis Guibal32. Ses confrères sont nombreux à le partager. André Vincent, bâtonnier avant-guerre et instigateur de la structuration monarchiste, martèle sans cesse que « le redressement ne peut venir que d’une élite »33 et fait la prédiction suivante : le pays ébranlé par une « crise nationale » rédhibitoire tombera dans les bras d’une « minorité énergique, discipliné, audacieuse autant que clairvoyante » issue de l’Action française. Le mouvement porteur du « nationalisme intégral » représente « une élite qui dans le désarroi quasi-universel sait ce qu’elle veut et le veut passionnément (...) »34. Dès 1922, il acclame la bravoure des « faisceaux ». Philippe-André Vincent écrit : « Tout de suite, il reconnut en Mussolini un homme extraordinaire, et dans le fascisme, une révolution ». Un article paru dans L’Éclair le 25 novembre 1922 dégage sa vision du fascisme : « Qu’on le veuille ou non le procès du parlementarisme est ouvert et les événements se chargent de l’instruire. Mais la dictature n’est qu’un expédient passager. Pour donner au pouvoir suprême la possibilité de longs espoirs et de vastes pensées avec le souci des responsabilités proches et lointaines, il faut assurer sa continuité et son indépendance à l’égard des partis. Le fascisme italien l’a compris, et c’est pour cela qu’il a pris la Monarchie comme point d’appui de son entreprise de restauration nationale »35. L’avocat du royalisme se passionne pour le Duce considéré comme un « homme de génie »36. La presse nationaliste et catholique participe à la glorification quotidienne de son action37 et invite « tous les États à imiter le fascisme dont les principes de base ne sont que l’application des méthodes promises par Charles Maurras »38. L’Action française désire s’en rapprocher dans le cadre d’une ligue latine opposée au pangermanisme39. La liste des bâtonniers dont nous avons pu faire apparaître les engagements politiques témoigne d’une profession grandement tenue par des dirigeants attachés aux valeurs « traditionnistes » qui, à l’instar de l’ensemble du champ conservateur des années trente, se passionnent pour les mesures préconisées de l’autre côté des Alpes par Mussolini.

  • 40 Nous avons établi le profil politique à partir d’informations recueillies tout au long de notre rec (...)

Liste des bâtonniers à la tête du Conseil de l’Ordre de Montpellier40 (1928-1945)

Liste des bâtonniers à la tête du Conseil de l’Ordre de Montpellier40 (1928-1945)

11Le malaise général à l’égard de l’État républicain transparaît au détour des pages d’un curieux livre qui célèbre le barreau local. Intitulé Au Temple de Thémis (Cour d’Appel de Montpellier). Fresques et médaillons (Montpellier, Imprimerie Mari-Lavit, 1934), il est écrit par un mystérieux auteur qui se cache derrière le pseudonyme de Jehan d’Arvernie. Véritable ode aux membres du barreau, il nous offre dans le premier chapitre une galerie de portraits qui n’éclaire guère la trajectoire de ces spécialistes du droit. Le style privilégié permet juste d’apercevoir quelques caractéristiques morphologiques ou professionnelles. Prenons un exemple significatif :

« Le Bâtonnier Louis Guibal

Noble tête au profil de seigneur. Barbe blanche

Soulignant un menton résolu. Dans l’œil bleu,

Un acier aussi vif qu’un fer aigu qui tranche ;

Sur la bouche un sourire qu’envierait le bon Dieu !

Lorsqu’après l’exposé du procès qu’il ébranche,

Il aborde, soudain la substance et l’enjeu,

Silence, magistrats ! car le Droit se déclenche

Aussi fort qu’un tonnerre, aussi brûlant qu’un feu

De ses deux doigts tendus d’où s’élance la foudre,

Il ascène, d’un coup, l’argument capital

Qui surprend, déconcerte et réduit tout en poudre.

Oh ! la beauté du verbe issu d’un cœur royal !

Par sa force, on peut tout oser et tout résoudre...

Mais, qui donc se mesure au Bâtonnier Guibal »?

12Les autres chapitres présentent le Palais, la Cour et un florilège d’audiences cocasses (« Le lapin et la gendarmerie », « Nouille et andouille », « Le vol de deux poules »...). L’intérêt vient de l’appendice. L’auteur croque les avocats durant le banquet annuel de l’Ordre et dans les dernières pages d’un ouvrage qui a obtenu sans nul doute par son ton à la fois solennel et humoristique, un certain écho, reprend deux complaintes répandues au sein de ce corps professionnel. L’État subit une salve d’attaques très franches. Le Juif, le fisc, le député sont directement mis en accusation. Une telle situation nécessite aux yeux des jeunes avocats une modification des paroles de l’hymne national...

La PATENTE des AVOCATS

Il remonte à l’an sept de notre République,
-Le temps où l’on croyait encore à ses attraits -
Cet impôt dévorant, dont la Force publique
Accable, insolemment tout le Barreau français.

Puisque des mercantis la race judaïque
Répand dans le pays l’horreur de ses méfaits,
Ne dit-on que, comme eux, l’avocat tient boutique
Au Palais, en vendant sa salive à grands frais ?

Et c’est pourquoi l’État, misérable et sordide,
Et qui n’a de pitié que pour les grands voleurs,
Que soutient bassement le Député cupide,

Prend plaisir à plonger au désespoir, aux pleurs,
Ces Maîtres dévoués, que son âme perfide
Ose implorer, pourtant, pour tous les resquilleurs.
26/1-34

La MARSEILLAISE des Jeunes Avocats

Allons, enfants de la Justice,
Le jour de gloire est arrivé !
Du FISC voici que l’Avarice,
A contre nous le poing levé.
Entendez-vous, chose effroyable !
Gémir vos enfants éplorés ?
Nos gains entiers sont dévorés
Par le FISC féroce impitoyable.
Aux pelles, citoyens ! Creusons en rangs pressés
Creusons ! Qu’un sang très pur arrose les fossés !

Chaque jour, défendant la veuve
Et l’orphelin déshérité,
Au Palais, nous donnons la preuve
De notre incroyable bonté.
Eh bien ! Pour notre récompense,
Armé de son plus noir courroux,
Le FISC fait casser les cailloux
Aux meilleurs des citoyens de France.

Aux pelles, citoyens ! Creusons en rangs pressés !
Creusons ! Qu’un sang très pur arrose les fossés !

Mais, nous saurons, par la vaillance,
Vaincre le FISC et ses grigous.
Gens sans pitié, maudite engeance,
Vous n’aurez pas nos pauvres sous !
Et quand, accusés de trop prendre,
Vous tomberez dans la prison,
Nous perdrons plutôt la raison
Que d’aller, ô bandits, vous défendre !

Au pelles, citoyens ! Creusons en rangs pressés !
Creusons ! Qu’un sang très pur arrose les fossés !
7/11-1931

  • 41 Nous avons démontré la dérive des catholiques favorables au général de Castelnau essentiellement à (...)
  • 42 Pierre Bimbaum, Un mythe politique : la « République juive » : de Léon Blum à Pierre Mendès-France, (...)
  • 43 L’Union catholique de l’Hérault, n°643, 6 juin 1937.
  • 44 « (Il s’agit) d’une œuvre abominable qui prend exactement le contre-pied non seulement de notre mor (...)
  • 45 L’Union catholique de l’Hérault, n° 608, 4 octobre 1936.

13À travers ces lignes, nous voyons poindre une haine du républicanisme avec des relents d’antisémitisme. Comme à l’époque de l’affaire Dreyfus, la plupart des rouages du conservatisme sont contaminés par ce « venin ». Les milieux catholiques « modérés », proches du général de Castelnau, en pointant du doigt un «juif d’État» accusé de fomenter les plus noirs complots basculent au temps du Front populaire41. Léon Blum représente la victime expiatoire idéale42. Plutôt que de l’attaquer sur son programme économique, la presse catholique préfère insister sur sa « perversité » sous-jacente. En présentant une œuvre de jeunesse du président du Conseil (Le Mariage), L’Union catholique de l’Hérault s’efforce de convaincre le lecteur de « la morale spéciale de M. Léon Blum »43 et du rôle continuellement néfaste des « Israélites » dans ce domaine44. La politique du président du Conseil mènerait le pays à « l’abîme » parce qu’elle serait source de « folies collectives à peine imaginables »45.

  • 46 L’Union catholique de l’Hérault, ibid.

« Divisions, colères, menaces partout. Nous ne voulons pas parler ici au point de vue économique ou financier, ni montrer les contradictions de nos grands augures à un an de distance, pas même de leurs volte-face qui n’attendent pas une semaine. Nous nous plaçons seulement au point de vue moral et, là, il faut bien convenir que, en quelques mois, un travail de désagrégation de la nation française s’est opéré avec une rapidité et une violence étonnantes. Les Français sont devenus, par force, divisés en deux partis ennemis ; les plus paisibles d’entre eux comme les plus raisonnables, sans qu’ils le veuillent ou le désirent, sont rangés, grâce à leur coutume, à leur profession, à leur parenté..., dans telle ou telle catégorie et du coup insultés et menacés. Les vacances nous ont fait parcourir les campagnes. Sans aucune provocation de notre part, il n’est pas rare que des citoyens, des jeunes surtout, aient tendu le poing contre nous. Et qu’on ne dise pas que c’est une façon de saluer car ces mêmes “antifascistes”, pour rien au monde, ne voudraient saluer un curé, par exemple, alors qu’ils se précipitent sur lui pour montrer leur poing fermé, prêt à s’abattre. Il est vrai que d’autres saluent alors à la “fasciste” et voilà, dans tout le village, la jeunesse qui, au lieu de s’entendre pour s’entraider dans le travail et s’associer dans des distractions amicales, affirme par un geste, à chaque rencontre, sa division irréductible ! La rentrée des vendanges se faisait autrefois dans la joie : la vie en commun, le gain important, le vin à profusion excitaient la verve de chacun. Voici des tombereaux qui vont vers les caves décharger leurs comportes, les deux ou trois hommes qui les accompagnent rugissent l’Internationale, faisant de cette fête de l’abondance et de la vie un signe avant-coureur de la colère et de la mort (...). Cela fait une jolie France. Plus de chant, plus d’entente, plus de joie dans le travail, plus de collaboration loyale, plus d’estime réciproque, voilà le résultat des nouveaux principes, voilà le malheur »46.

14Cet article nous permet de mieux appréhender le climat d’une époque pénétrée par des attitudes et des explications irrationnelles. Le récit nous brosse un tableau catastrophique. Même les vendanges, ce rite immuable de la vie collective héraultaise, auraient perdu leurs vertus réconciliatrices.

  • 47 Ibidem.

15Face au virage pris par le Front populaire, le milieu conservateur se réunit sous une bannière identique plaidant pour la restauration de l’autorité47. L’évolution de l’Italie peut être une source d’inspiration convenable. L’Éclair et L’Union catholique de l’Hérault vilipendent la France de Léon Blum et saluent « la Rome mussolinienne » :

  • 48 Voir L’Union catholique de l’Hérault, n°644, 13 juin 1937.

« On ne peut nier que M. Mussolini n’ait changé la face des choses en Italie (...). L’ordre, la discipline, la bonne tenue, voilà ce qui frappe tout de suite dès qu’on aborde les frontières d’Italie (...). Les maximes en honneur dans le fascisme s’étalent sur les murs des maisons et des villas (...). J’omets celles qui chantent la vertu du régime, et elles sont nombreuses. En voici quelques-unes qui sont des conseils moraux dont chacun peut tirer profit : “Discipline-Concorde-Travail”. Trilogie d’une saine sociologie, qui le niera ? (...) Sur une caserne : “Croire-Obéir-Combattre”. Croire à la patrie, à ses destinées. Obéir aux chefs légitimes. Combattre contre les ennemis du pays. Rien que de normal en une citadelle que de chanter les vertus patriotiques (...). “Il n’y a pas de miracle, il y a votre travail”, dit Mussolini. (...) L’ardeur du travail pour l’amour et la grandeur de la patrie, ne s’étale pas seulement en formules murales, elle est passée dans les faits ». Outre les transformations urbaines, l’auteur n’oublie pas de souligner l’impact d’une pareille politique : «Le “tonus” donné à toute une nation, le renouvellement de l’esprit public, l’élan qui l’emporte vers plus de travail et de sacrifices (...) »48.

16Concomitamment aux gardiens de « l’avocature », une grande majorité des élites médicales, motivée par les appels des maurrassiens, construit dès l’orée du siècle un discours visant à apporter un discrédit « scientifique » au régime républicain. Face au Front populaire, les hiérarques de la médecine et les syndicats préconisent également les solutions mussoliniennes.

« La Faculté de Médecine de Montpellier est unique en France »…

  • 49 Emmanuel Le Roy Ladurie, enseignant dans le principal lycée de la ville entre 1955 et 1963, insiste (...)
  • 50 Dominique Raynaud, « La controverse entre organicisme et vitalisme : étude de sociologie des scienc (...)
  • 51 Gérard Cholvy, « Montpellier capitale viticole ? Mentalités et croyances », in Histoire de Montpell (...)

17Parmi toutes les Facultés, celle de médecine occupe un rang prééminent49. Le rayonnement international de l’École de Montpellier est une évidence estimée tant au point de vue qualitatif, par de nombreux témoignages historiques, qu’au regard d’un effectif étudiant important au xviiie et xixe siècles par rapport à la plupart des autres instances universitaires françaises. Vers 1810, le pôle médical local engage un bras de fer avec Paris. La doctrine vitaliste montpelliéraine défie l’organicisme cher aux praticiens de la capitale. L’analyse sociologique de la controverse montre comment se construisent et se détruisent les connaissances à partir des intérêts professionnels, des facteurs philosophiques et politiques50. Sans prétendre clarifier toutes les subtilités de la conception défendue par les médecins héraultais, on peut s’en tenir au fait qu’il existerait en chacun de nous : un corps, une âme et le « principe vital » à la base de l’unité indivisible de l’être humain. La doctrine néglige l’anatomie. Claude Bernard en 1875 estime qu’elle est « contraire à l’esprit scientifique »51. Afin de mieux appréhender les enjeux qui se cachent derrière la doctrine, voyons comment en 1968 le chanoine Jean Segondy la présente dans un article revenant sur la « noble amitié » entre le cardinal de Cabrières et la référence majeure de la Faculté de médecine des années 1900 : le neurologue Joseph Grasset.

  • 52 Jean Segondy, « Une noble amitié : le Cardinal de Cabrières et le Professeur Grasset. Atmosphère am (...)

« Ce principe vital, cette force vitale, dont parlait le grand Barthez, cette énergie que la Tradition médicale montpelliéraine, maintient et défend contre nos modernes matérialistes qui ne voudraient connaître que des manifestations de propriétés chimiques et des lois naturelles établies pour les corps bruts. La Vie ! Cette vie que Dieu a répandue à pleines mains dans le monde et que le médecin a pour devoir de défendre et de soutenir. Et l’Ame humaine, dont le professeur Grasset a fait l’objet préféré de son étude, dont il s’est appliqué avec la plus intelligente perspicacité à décrire les rapports avec le corps, rapports réguliers ou anormaux, à souder et à soulager les mystérieuses maladies »52.

18Dans un siècle qui n’en finit pas de gérer les animosités découlant de l’interprétation donnée à 1789, le vitalisme rejoint les préoccupations de médecins opposés aux idéaux promus par les Lumières et mis en pratique par les agents de la Révolution. S’il paraît réducteur de ne voir parmi les Montpelliérains initiateurs d’une conception opposée à l’organicisme parisien qu’une faction politique, nous constatons, qu’à la croisée du xixe et du xxe siècle, le vitalisme cautionne l’idéologie traditionaliste.

  • 53 Voir H. Roger, Le Professeur Grasset. Sa vie et son œuvre, Marseille, Imprimerie marseillaise, 1926 (...)
  • 54 « À Montpellier, poursuit-il sans toutefois en dire beaucoup, où les souvenirs anciens sont vivaces (...)
  • 55 Ibidem.

19Joseph Grasset est né l’année qui suit la proclamation de la Seconde République. Éduqué, en raison des déplacements réguliers de son père receveur principal des douanes, par une grand-mère maternelle qui « fût tour à tour belle-fille, femme, mère et grand-mère »53 d’enseignants en médecine à Montpellier, il apparaît dans l’enceinte universitaire, selon un de ses confrères marseillais auteur d’un tour d’horizon biographique, comme « le porte-drapeau d’un parti »54. Celui que l’on appelle toujours « le Professeur Grasset », comme si le titre professoral faisait partie intégrante de son patronyme, a marqué l’histoire de la médecine. Dans un hommage public en 1929, les médecins se penchent sur son legs institutionnel. Onze années après son décès, le « Professeur » est plus que jamais présent dans l’enceinte universitaire. Il semble faire l’unanimité. Durant la célébration, les intervenants citent volontiers la parole du « Chef de notre École », comme ils le dénomment. Dès les premières « leçons », Joseph Grasset annonçait à son jeune auditoire la voie à suivre : « la doctrine que je vais vous exposer, disait-il, ne m’appartient pas ; c’est la doctrine traditionnelle de l’antique école où j’ai été élevé, c’est la doctrine que j’ai reçue de mes maîtres et que j’ai prêté serment de transmettre fidèlement à leurs enfants »55. S’ensuit une description immuable aux allures de « manifeste » que tous les futurs praticiens doivent retenir.

Le « manifeste » de l’École de Montpellier

  • 56 Ibidem.

« Deux mots, proclame Joseph Grasset, peuvent être inscrits en tête de mon enseignement comme devise de ma vie scientifique, je pourrais presque dire de mon existence toute entière : tradition et progrès. J’aime passionnément le progrès : je l’admire et je le recherche partout où il se trouve. En cela, j’ose le dire, je suis entièrement et absolument de mon siècle (...). Mais si j’aime le progrès, je respecte infiniment et ne veux en rien sacrifier la tradition ; j’entends cette belle et grande tradition, synthèse de tous les efforts et de toutes les conquêtes des siècles passés. À mon sens, ce serait un crime, si ce n’était folie, de vouloir effacer d’un seul trait toute l’histoire et toutes les gloires des hommes et des générations qui nous ont précédés. La science, pas plus que la France, n’est née d’hier. La tradition, loin d’être l’ennemie du progrès, en est le fondement et la condition. Sans la tradition, on s’agite, mais souvent le mouvement n’est qu’une oscillation sur place quand encore, par un détour dissimulé, il ne ramène pas au delà du point de départ. Avec la tradition, au contraire, tous les efforts sont utilisés, tout le mouvement se fait en avant. C’est le véritable progrès. C’est pour cela, Messieurs, qu’en science il ne faut pas de révolution, parce que les révolutions rompent la tradition. Le vrai progrès ne veut que des évolutions sages et graduelles qui n’exposent pas le pionnier à perdre dans la réaction du lendemain le terrain laborieusement conquis par l’action de la veille. Dans mon admiration pour mon siècle, je n’oublie donc pas ce géant des siècles passés, sur les épaules duquel le nôtre se hisse pour voir plus haut et plus loin que ses devanciers. Cette manière de voir est celle de l’Ecole de Montpellier tout entière, c’est la caractéristique constante de l’enseignement dans notre vieille Faculté. C’est à nous qu’appartient l’avenir de la Tradition, de cette tradition qui fait et fera toujours notre sauvegarde. Car si une Loi peut créer tous les jours de nouvelles Facultés de Médecine, aucun pouvoir ne peut leur improviser une tradition semblable à celle dont nous sommes les légitimes héritiers »56.

  • 57 Les phrases ci-dessous prononcées lors de l’inauguration de la statue du « Chef » disparu l’atteste (...)
  • 58 « Sa notoriété mondiale, écrit H. Roger, le fait successivement nommer membre associé de l’Académie (...)

20Bien après sa mort, les « leçons » de Joseph Grasset résonnent toujours dans la conscience des universitaires57. La multiplicité de ses positions à l’échelle mondiale58 suffit à démontrer que le rôle de praticien, de technicien de la médecine n’a été qu’une partie de son engagement professionnel. L’autre réside dans une entreprise éditoriale de nature philosophique et sociologique aux implications politiques.

Extrait de l’œuvre philosophique et sociologique de Joseph Grasset

  • Les limites de la biologie, Paris, F. Alcan, 1902

  • L’hypnotisme et la suggestion, Paris, Doin, 1903

  • L’Hygiène sociale. Œuvre de Science et œuvre de Morale, Montpellier, Coulet et fils, 1905

  • La responsabilité des criminels, Paris, Grasset, 1908

  • L’occultisme hier et aujourd’hui : le merveilleux préscientifique, Montpellier, Coulet, 1908

  • Introduction physiologique à l’étude de la philosophie, Paris, F. Alcan, 1908

  • La biologie humaine, Paris, Flammarion, 1917

  • La science et la philosophie, Paris, La Renaissance du livre, 1918

  • Le dogme transformiste et la philosophie, Paris, La Renaissance du livre, 1918

  • 59 Citation donnée par Jean Segondy, op. cit., p. 5.
  • 60 « Tous ceux qui détiennent ou exercent l’autorité publique, à un titre quelconque, estime-t-il, doi (...)

21En ce qui la concerne, il avoue toute sa reconnaissance à la personnalité influente en charge du diocèse : « le Cardinal de Cabrières, dit-il publiquement, a exercé un haut patronage pour tous ceux de mes livres qui n’étaient pas de la Science médicale pure, avec une hauteur de vues inimitables et une largeur de vues admirables (...) »59. Avec l’aval du prélat, Joseph Grasset a produit une réflexion sur la société en s’inspirant des perspectives tracées par le sociologue Auguste Comte, d’origine héraultaise. Un autre penseur le marque profondément. Il s’agit d’Alfred Fouillée (1838-1912) qui fut son professeur de philosophie au lycée, avec lequel il poursuivait les discussions après les cours. Resté dans l’histoire de sa discipline comme le père du positivisme spiritualiste, Alfred Fouillée lui a donné le goût pour les « études de morale ». Les moeurs l’intriguent. En permanence, on perçoit dans les écrits de Joseph Grasset le désir de s’investir au cœur de l’organisation de la vie sociale60. Nous retrouvons là une vieille marotte de l’inventeur du mot « sociologie ». Il était persuadé que le choix politique pouvait être dicté par le scientifique. Dans une France ballottée par la « question sociale », de nombreux experts en « santé nationale » sortent de leurs laboratoires pour intervenir dans l’espace public.

  • 61 Pierre-André Taguieff, La couleur et le sang. Doctrines racistes à la française, Paris, Éditions Mi (...)

22Depuis la fin des années 1880, l’Université de Montpellier se distingue sur cette question. Plusieurs « savants » y ont apporté une attention soutenue. Sur ce point exclusivement, on peut dire, sous forme de parenthèse, que Joseph Grasset s’inscrit dans le sillage d’un obscur sous-bibliothécaire de la Faculté des sciences à l’origine d’un « cours libre » sur le thème suivant : « L’anthropologie et la science politique ». Il y annonce un programme basé sur la refonte des sciences sociales. L’orateur dénommé Georges Vacher de Lapouge « expose les conséquences établies des récentes conquêtes de la biologie » à partir d’un projet de « nouvelle science sociale ». Il entend appliquer l’anthropologie « darwinienne » à la science politique. Pour lui, la politique et la sociologie dépendent étroitement des lois établies par la biologie. Le « sélectionnisme » constitue la pierre centrale de ses théories au destin funeste61. Le court séjour dans le chef-lieu de l’Hérault (entre 1886 et 1893) de Georges Vacher de Lapouge revêt de l’importance. Il rédige et professe les «Leçons de Montpellier». Des quatre cours qu’il y dispense, deux furent publiés : Les sélections sociales. Cours libre de science politique professé à l’Université de Montpellier (1888-1889) (Paris, A. Fontemoing, 1896) et L’Aryen, son rôle social. Cours libre de science politique professé à l’Université de Montpellier (1889-1890), (Paris, A. Fontemoing, 1896).

  • 62 Guy Thuillier, « Un anarchiste positiviste : Georges Vacher de Lapouge », in Pierre Guiral, Émile T (...)
  • 63 Jean Boissel, « Paul Valéry et Georges Vacher de Lapouge à Montpellier (1888-1893) », Revue de lett (...)
  • 64 C’est ainsi que la présente Paul Ourliac, membre de l’Institut, dans « L’enseignement de la science (...)
  • 65 Né à Neuville-de-Poitou, le bibliothécaire étudia la médecine, fut docteur en droit de l’Université (...)
  • 66 « Forte tête, et esprit fort, Lapouge avait la réputation d’être un bibliothécaire négligeant et mé (...)
  • 67 Les différents éléments recueillis dans les études sur ce penseur du racisme tendent à prouver que (...)
  • 68 Voir Paul Ourliac, ibidem
  • 69 Georges Vacher de Lapouge, « La nécropole de Castelnau-le-Lez », Le Félibrige latin, juin 1891, p.  (...)
  • 70 Paul Ourliac la présente ainsi en 1983, sans citer explicitement Lapouge, employant un vocabulaire (...)

23Par contre, aucun lien soutenu n’existe avec les cercles conservateurs languedociens. Bien au contraire, comme l’écrit Guy Thuillier, « nous avons la surprise de voir ce théoricien du racisme, militer dans les rangs du parti socialiste ouvrier, collaborer activement au Messager du Midi (qui devient en 1892 La République du Midi) de Georges Lachapelle »62. Candidat malheureux aux élections municipales à Montpellier en 1888 et 1892, le bibliothécaire engagé en politique vante dans la presse locale les théories marxistes aux militants. Paul Valéry qui suit une partie de son enseignement rapporte qu’il « avait la réputation d’un “original” et, pour quelques-uns, faisait même figure d’esprit dangereux »63. Dans une « ville calme et un peu passéiste »64, son parcours professionnel atypique65, voire son comportement au sein de la corporation des bibliothécaires66, le marginalisent67. Malgré ce portrait peu reluisant, les expériences qu’il entame ne choquent pas. On lui facilite même sa tâche. Par exemple, Mgr de Cabrières l’autorise à mesurer 600 squelettes68 trouvés dans la nécropole de Castelnau-le-Lez, à proximité du chef-lieu départemental69. Ils fournissent la matière aux cours de « crâniométrie et d’anthropomésie » destinés aux apprentis médecins. Les tests servent à légitimer « l’idée fixe »70 de Lapouge qu’un collaborateur de l’Académie des sciences et lettres dans une communication solennelle, donnée en 1936, résume sans sourciller par ces mots :

  • 71 L’auteur de la communication fait référence à l’étude de Lapouge publiée dans L’Anthropologie (n° 3 (...)

24« Pendant son séjour à Montpellier, l’activité scientifique de Lapouge fut considérable. Poursuivant ses études anthropologiques, il rassembla les documents destinés à appuyer ses théories. Il fouilla de nombreuses grottes et sépultures préhistoriques dans les Cévennes et dans l’Hérault. Des travaux exécutés dans notre ville, au bord du Merdanson, à l’Hôpital Général, mirent au jour une grande quantité de crânes humains d’époque récente qu’il mensura et classa avec soin, pour montrer, par leur étude comparative, quel intervalle séparait, au point de vue morphologique, les classes de la société montpelliéraine pendant les deux derniers siècles. Il mensura encore, dans les cryptes situées sous l’autel de l’Église de Notre-Dame-de-Londres, qui servait autrefois de chapelle au château de Londres, les crânes des membres de la noblesse du pays du xve au xviie siècle, les Montlaur-Murles, les Roquefeuil, et démontra, par comparaison avec les crânes de paysans, que la différence morphologique des classes était aussi réelle dans les campagnes que dans les villes »71.

  • 72 Citation donnée par Guy Thuillier, ibidem.

25À travers cette présentation, nous voyons poindre un intérêt indéniable pour la « démonstration » proposée par l’auteur des « Leçons de Montpellier ». Il est vrai qu’entre temps Vacher de Lapouge, que Guy Thuiller désigne comme un « anarchiste positiviste », va construire un jugement sur l’évolution du système politique républicain qui rejoint celui des penseurs traditionalistes. Juste avant de quitter la région, il n’hésite pas à écrire : « La faillite de la Révolution est éclatante. La ploutocratie laisse tomber son masque démocratique, et l’on se demande si la démocratie est possible. Sous le nom de République, l’Empire continue, et l’on se demande si les formes politiques valent contre les hommes. Le conflit des races commence ouvertement, dans les nations et entre les nations, et l’on se demande si les idées de fraternité, d’égalité des hommes n’allaient point contre les lois de la nature (...) »72.

  • 73 Sur les rapports entre médecine et politique, voir Francine Muel-Dreyfus, Vichy et l’éternel fémini (...)
  • 74 Anne-Laure Simonnot, Hygiénisme et eugénisme au xxe siècle à travers la psychiatrie française, Édit (...)
  • 75 Ibidem.
  • 76 Pour une analyse plus approfondie, voir Philippe Secondy, La droite extrême..., op. cit., p. 157 et (...)
  • 77 Joseph Grasset, L’Hygiène sociale..., op. cit., p. 21.
  • 78 Dans une note de bas de page, il donne une citation après une réflexion sur les « supérieurs » et l (...)

26Ce bref aperçu sur cet « apprenti sorcier », resté seulement quelques années dans la capitale du Bas-Languedoc, nous révèle une volonté de participer aux affaires de la Cité aussi bien par le biais des élections mais aussi en prodiguant des recommandations « scientifiques ». Les initiatives pour construire « une sorte de médecine politique »73, en vue de « redresser » le corps social, sont légions. Bien souvent, elles correspondent à une forme de parade pour contrer les éventuels débordements des populations désemparées par les crises sociales. C’est clairement explicite à propos de Joseph Grasset. Son auscultation, sous tous les angles, vise à mieux les cerner afin de pouvoir les contenir74. Un grand nombre d’aliénistes participe au mouvement. Il ressort de leurs travaux que les désordres physiques et mentaux sont susceptibles de résulter, après plusieurs générations, de l’accommodement à un environnement pathogène75. Joseph Grasset construit une partie de son capital scientifique et symbolique en proposant des réponses aux interrogations d’alors76. Le docte professeur élabore son hypothèse centrale en prétendant que « l’égalité matérielle est impossible et anti-scientifique »77. Il laisse ainsi percer des signes de dépit devant le cours que prend son époque78.

  • 79 Paul Bourget, Sociologie et litterature, Tome 3, Paris Plon, 1906.
  • 80 « La conception de la Science (de Joseph Grasset) a conduit l’illustre médecin à un traditionalisme (...)
  • 81 Ibidem.

27Les liens d’identifications avec les projets politiques des royalistes sont donc palpables. Les deux piliers de l’École de médecine de Montpellier (« Tradition et progrès ») deviennent le nom d’un cercle de réflexion animé par Paul Bourget, au sein duquel s’activent l’abbé Pascal, un proche d’Édouard Drumont ou encore Firmin Baconnier, une figure de la Jeunesse catholique antijuive. Il n’est pas surprenant que dans le troisième tome du livre Sociologie et littérature, conçu par Paul Bourget, le neurologue occupe une place de choix. Un chapitre entier est consacré à la démarche qu’il développe dans Les limites de la biologie. La réflexion sur la portée de cet essai se situe dans une série qui, de l’avis même de l’auteur, « comprend l’exposé et la discussion de quelques problèmes de politique, si l’on donne à ce mot le sens où le grand Aristote l’employait déjà : la recherche des lois naturelles de la cité, par voie d’observation »79. Dans le cadre de cette « science », au service du politique, le célèbre romancier qui prend la parure du sociologue donne un intitulé programmatique aux pages qui s’arrêtent sur le cadre défini par Joseph Grasset. « De la vraie méthode scientifique », tel est le titre proposé aux lecteurs. Paul Bourget d’emblée le classe dans la lignée des pères protecteurs du traditionalisme au xixe siècle80. L’idée fondamentale constituant la colonne vertébrale de la démonstration se résume ainsi : « il peut y avoir, et, pour ma part, je suis persuadé qu’il y a une unité absolue dans l’action de la nature, mais que cette unité ne peut être saisie par l’esprit que métaphysiquement (...) ». Le progrès scientifique, prévient-il, doit être muselé : « une humanité qui voudrait se comprendre toute, systématiser toute son activité, penser tous ses modes d’être, irait au rebours de la nature. Elle dépérirait dans une décomposition intellectuelle dont le conflit des doctrines nous donne par avance une image, quand il s’agit de formuler une hypothèse sur des problèmes, tels que l’origine de la vie ou simplement l’organisation du travail ou du capital (...) »81.

  • 82 Ibidem.
  • 83 Ibidem.
  • 84 Ibidem.

28Le gardien de la « vraie méthode scientifique » se cabre devant les projets des « utopistes du socialisme » ou des « autres utopistes plus dangereux peut-être, qui, dans l’Église même ont tenté d’introduire l’anarchie, toujours sous le prétexte de Science et de renouvellement »82. Il leur reproche de mal comprendre la signification exacte du mot « Science ». L’erreur provient « d’un abus de langage, causé lui-même par une griserie des idées, alors que l’esprit, s’exaltant sur une découverte, en amplifie les conséquences plus encore par autosuggestion que par charlatanisme »83. Le chapitre se clôt par un hommage appuyé de l’Académicien qui attribue au philosophe-médecin une fonction majeure au sein de l’élite scientifique de son époque : « il appartient aux savants, dont la supériorité professionnelle est indiscutable, de rappeler les constructeurs de systèmes pseudo-scientifiques à la discipline des bonnes méthodes. L’auteur des Limites de la biologie a rempli ce devoir avec une énergie dans la pensée qui le classe parmi les logiciens de notre époque au rang qu’il occupait déjà parmi les cliniciens. Ceux qui suivent ses travaux de neurologie savent que le rang est un des tout premiers »84.

  • 85 Bulletin de l’Académie des sciences et lettres de Montpellier, janvier-juin 1918, p. 62 et s.
  • 86 Jean-François Sirinelli, Génération intellectuelle. Khâgneux et normaliens dans l’entre-deux-guerre (...)
  • 87 Patrick Hassenteufel, op. cit., p. 41-42.

29Dans les années 1930, les médecins imprégnés par les thèses de celui qui, selon L’Éclair, « exerçait dans notre région et même bien au-delà une véritable souveraineté ou royauté médicale »85, manifestent leur désir de changement vis-à-vis d’un régime soumis à une contestation de tous les instants. Les ligueurs de l’Action française, en pointe dans ce domaine, agissent par l’intermédiaire de groupements professionnels, syndicaux, scientifiques ou par le biais de cercles de sociabilité86. Des historiens comme Jacques Bainville ou Pierre Gaxotte véhiculent les idées du maître dans la presse (L’Éclair, par exemple, reproduit leurs chroniques) et les militants sont vivement conviés à consulter leurs publications. Le combat contre la Révolution recueille une caution supplémentaire en 1938 quand Charles Maurras fait son entrée à l’Académie française. La réhabilitation des corporations d’Ancien Régime, prônée par l’auteur de L’Enquête sur la monarchie, pénètre tout particulièrement un milieu médical en ébullition. Elle se produit en pleine revendication de la mise en place d’un Ordre protecteur. Il représente pour la majorité d’entre eux une question vitale dans un contexte d’isolement souhaité par rapport à un État républicain accusé de vouloir contrôler la profession. Comme l’écrit Patrick Hassenteufel, « de façon assez paradoxale, l’idéologie corporative s’imbrique fortement avec une conception libérale et individualiste qui s’est propagée au sein du groupe professionnel d’abord au niveau de son élite »87. Charles Maurras trouve à Montpellier un terreau favorable à ses vues nationalistes discutées à plusieurs reprises au sein de la Faculté.

  • 88 L’Éclair, 3 décembre 1934.
  • 89 La Gazette du Languedoc, n°365, 9 décembre 1934.
  • 90 Ibidem.

30À titre d’exemple, le 2 décembre 1934, les bancs de l’École de médecine l’accueillent au cours d’un « grand banquet médical corporatif », présidé par le docteur Fiessinger, membre correspondant de l’Académie de médecine. La mobilisation est massive. Deux cents professeurs, praticiens et élèves participent au repas. « À vrai dire, rapporte L’Éclair, ce nombre aurait pu être grossi à plaisir si les organisateurs avaient voulu accueillir les sympathisants, les curieux et les autres. Mais ils ont tenu à être en famille, en famille médicale, et les souscriptions ont été passées au crible. Il en est résulté une assemblée de techniciens triés sur le volet »88. La colère des « techniciens » de la médecine est bien résumée la veille du repas dans une séance inaugurale par André Vincent : « Tout Français qui réfléchit peut constater l’impuissance de la République à se réformer elle-même. Nous voici au carrefour : la Dictature ou le Roi »89 ! Dans son intervention, il souligne la supériorité accordée par la société locale au médecin. Il salue « les Maîtres et les disciples de cette glorieuse Faculté qui à travers les siècles a projeté sur notre ville un éclat si prestigieux (...) » et ne nie pas le rôle des maurrassiens dans l’élaboration des rencontres : « Je sais que votre mouvement, suscité par l’Action française mais sans être enfermé dans les cadres d’une organisation politique, se préoccupe de défendre les intérêts et la dignité de votre profession contre les atteintes des lois démagogiques et des réglementations étatiques »90.

  • 91 Ibidem.
  • 92 Ibidem.

31Pour le fédérateur du royalisme méridional, l’engagement des médecins se justifie facilement. Il fait un long exposé pour expliquer que les principes d’observation à la base de la discipline que « maîtrise avec brio l’élite », réunie ce jour, s’appliquent en « science politique ». « Par-delà vos intérêts corporatifs, remarque-t-il, vous avez considéré qu’aux heures graves que nous traversons vous aviez sans doute votre mot à dire, médecins patriotes inquiets et clairvoyants, sur les lois qui régissent la santé des nations. Certes, je confesse les limites de la biologie en face de la politique et de la morale et je ne serais pas ici aujourd’hui si je ne croyais pas à la liberté humaine ; mais n’est-il pas évident que la méthode d’observation qui est à la base de vos études est celle qui doit aussi guider les recherches de la science politique »91 ? On estime que la « désolation sociale, morale, politique » qui caractériserait l’époque nécessite le recours à des spécialistes reconnus par tous dans le domaine de la guérison. Au lieu de traiter un individu, les médecins paraissent pour cet avocat les mieux formés pour intervenir sur « cette grande patiente qu’est la France (...) ». Aidés par les « Français de bonne volonté », ils élimineront les « maladies politiques » propagées par le « front commun qui va de la République catholique de Marc Sangnier aux soviets en passant par le Grand Orient et la rue de Valois »92 !

  • 93 La Gazette du Languedoc, op. cit.
  • 94 L’Éclair, 2 décembre 1934.

32Toutes les personnalités qui se succèdent à la tribune mettent l’accent sur le fait que la descente des médecins dans l’arène publique représente l’ultime chance pour la sauvegarde du pays. « La science médicale, explique le docteur Fiessinger, est conditionnée par la réaction du bon sens révolté par la basse idéologie de notre temps. Le romantisme a quitté la littérature pour se réfugier dans la politique »93. Ce cadre de l’Action française affirme parler au nom de la science à l’encontre des coteries et des partis politiques synonymes de « médiocrité ». Avant d’entamer une longue diatribe, au centre de laquelle se trouve le « virus démocratique », il célèbre le lieu qui le reçoit en insistant sur la spécificité de l’École de médecine : « La Faculté de Médecine de Montpellier est unique en France (...). Elle fait du médecin à la fois un clinicien et un philosophe. À notre époque de bassesse intellectuelle, elle a gardé le culte des idées générales (...) ». La teneur de son intervention est ainsi résumé par L’Éclair : « Montpellier étant considéré comme l’école du bon sens, le Docteur Fiessinger propose à son auditoire un bref énoncé des absurdités qui inspirent les institutions du régime. La liste des chimères est copieuse. Voici les plus marquantes : la croyance à la supériorité du nombre, d’où cette acrobatie arithmétique qui voudrait faire admettre que des zéros produisent des unités ; le principe d’égalité alors que l’inégalité est une loi de la nature ; la galéjade que l’on doit à Karl Marx, à savoir l’affirmation de la supériorité qui dresse le travail des mains au-dessus du labeur de l’esprit et prétend faire des ouvriers les maîtres et les conducteurs du peuple ; la double folie de Rousseau que l’homme est un être bon de nature et que la somme des intérêts particuliers règle le bilan de l’intérêt général (...) »94.

  • 95 L’Éclair, 3 décembre 1934.
  • 96 Ibidem.
  • 97 Ibidem.
  • 98 Le Languedoc Médical, n°7, juillet 1936, p. 326-327.

33Le lendemain, jour du banquet, le professeur Aubertin de la Faculté de Bordeaux axe son discours sur ce thème. L’Éclair, qui le reprend, déplore les « ravages du bacillus démocraticus ». Il nous livre une anecdote lourde de sens pour justifier la tenue d’un tel rassemblement : « (Les médecins se dressent contre) le nivellement par en bas, la haine de toutes les individualités supérieures, l’âme collective en folie qui a donné, dans un arrondissement de notre pays, comme successeur à un Académicien, l’homme canon des Folies-Bergères, et écarte un Georges Claude du soin des affaires publiques (...) »95. Charles Maurras, le rejoint, quand il commence par demander au régime de reconsidérer « d’abord le rôle des élites »96 dans l’hommage rendu à Mgr de Cabrières et au « professeur Joseph Grasset ». Il rappelle leur « sagesse ». Elle s’inscrit dans une lignée attentive aux liens entre la science et la foi. La place très symbolique occupée par la Faculté de médecine jouxtant la cathédrale à Montpellier en dit long, pour le père du « nationalisme intégral », sur les vertus du passé. Le mouvement royaliste reçoit un écho positif car il soutient le pouvoir médical qui se heurte à un État enclin à la réforme. Attachés à leur autonomie et au monopole sur les soins, les principaux porte-parole regroupés depuis 1929 au sein du groupe médical corporatif prétendent pendant toute la décennie que les gouvernements successifs préparent des projets drastiques tendant à modifier l’essence même de la profession. Le docteur Fiessinger estime que « l’ambition du régime est de transformer le médecin en fonctionnaire, en homme qui n’obéit plus qu’aux règlements de l’administration (...) »97. La peur de la « caporalisation » se répand dans toute la profession. Le malaise s’aggrave dès la victoire du Front populaire. Le Languedoc Médical l’exprime dans ses colonnes en juillet 1936 en reproduisant un appel à la mobilisation lancé par le docteur Orsaud, vice-président du syndicat de l’arrondissement de Béziers-Saint-Pons : « Notre apathie va-t-elle durer ? Allons-nous nous laisser envahir ? Exproprier ? Ruiner ? Les lois qui nous défendent, supporterons-nous plus longtemps qu’elles restent inappliquées ? Sommes-nous vraiment sans réflexes et désormais mûrs pour la fonctionnarisation, c’est-à-dire la perte de notre indépendance, de notre liberté, pour l’esclavage »98?

  • 99 Louis Dulieu, l’historien de la médecine locale le présente ainsi. Il signale néanmoins que cet aut (...)
  • 100 Il obtient en 1907 le Prix Fontaine pour sa thèse et deux ans plus tard le Prix Paul Ricard de l’Ac (...)

34Le milieu médical est persuadé de perdre son aura sociale. Or, celle-ci revêt une dimension spéciale dans une cité marquée par l’histoire des sciences médicales. Quelques propos empruntés à Paul Delmas, le « chantre de la Faculté »99 de l’entre-deux-guerres, admiré dans les salons mondains et craint par ses étudiants, nous apportent des informations sur la magnificence dont se parent les enseignants de cette institution. Titulaire de la chaire de Clinique obstétricale en 1926, après avoir obtenu une pléiade de prix100, Paul Delmas est fils, petit-fils, arrière petit-fils de médecin. Il s’investit dans les sociétés savantes (la société des sciences médicales de Montpellier, la société anatomique de Paris...) et dans la défense de la profession. À l’origine de près de 300 communications dans les domaines scientifiques, historiques et syndicalistes, il est persuadé que le passage par la Faculté offre un signe distinctif qui permet d’acquérir une forme de reconnaissance nobiliaire.

  • 101 Hommage au Professeur Paul Delmas, Montpellier, Éditions du Languedoc Médical, 1932, p. 67.

« Depuis 1897 que je suis venu frapper à la porte de cette vieille Ecole, raconte Paul Delmas, j’ai trouvé dans son sein l’exemple de la bienveillance de nos Maîtres, et sans penser réalisable l’ambition de devenir l’un des leurs, j’ai eu dix ans après la fierté d’être de la famille. DMM, comme on voulait l’imprimer en tête des circulaires du Comité d’organisation. Docteur en Médecine de Montpellier, cela aussi est un titre de noblesse dont il faut se montrer digne »101.

35Le déclin du modèle social de domination nobiliaire nécessite le recours à une autre fraction de la classe dominante appelée « méritocratique », en possession des capacités scientifiques et « morales » qui légitiment leurs interventions dans les débats houleux de la France de l’après-guerre.

  • 102 Une minutieuse analyse de contenu montre le dégoût véhiculé par le corps médical. Il s’insurge, au (...)
  • 103 Près d’un tiers des nouveaux docteurs, au milieu des années trente, est d’origine étrangère. Voir P (...)
  • 104 Pierre Birnbaum, « La France aux Français ». Histoire des haines nationalistes, Paris, Seuil, 1993.

36Celui qui fut le père de François Delmas, le futur maire de Montpellier entre 1959 et 1977, aura un engagement virulent en faveur de la politique de Collaboration, à la différence de la très grande majorité de ses collègues restés « maréchalistes » et affichant un rejet des positions hitlériennes. Pourtant, à l’époque des « années tournantes », tous se rejoignaient sur un point. À l’instar de Paul Delmas, qui préside aux destinés d’un important syndicat médical, ils sont nombreux à voir dans le « métèque »102 le bouc émissaire idéal. Cet univers social bercé par la tradition tolère mal l’accroissement important du nombre d’étudiants étrangers reçus au doctorat103. Le « laxisme républicain » favoriserait la diffusion de ce « nouveau virus ». C’est ce qui ressort des « Tribunes professionnelles » du Languedoc Médical. Elles relatent le foisonnement de manifestations et stigmatisent la « politique qui désire que notre pays devienne le champ clos où se réunissent tous les indésirables et les profiteurs internationaux ». L’antiparlementarisme suinte de la plume de tous les contributeurs. Une communauté de vue unit les étudiants aux médecins affiliés à la confédération des syndicats médicaux de France. La Faculté montpelliéraine est le berceau de cet élan xénophobe qui rejaillit dans un Hexagone sensible au mot d’ordre : « la France aux Français »104. Les principaux intéressés reviennent sur la genèse de la contestation et rejettent toutes les accusations :

  • 105 Ibidem.

« De Montpellier est parti en février 1935 un mouvement de protestation suivi par presque toutes les associations d’étudiants, soutenu par les externes et internes (...). Lors du XIe congrès de la fédération nationale des associations des externes des hôpitaux de France, M. M. Roche et Bigounet, au nom de l’association de Montpellier explique la situation : “Notre mouvement était dirigé contre les naturalisations extraordinairement faciles, et de cela, et de celà seul, nous ne voulons plus. Quoi qu’en pensent certains qui disent les médecins atteints d’une psychose collective quand ils dénoncent le péril. Nous croyons, quant à nous que ce péril existe, et que médecins demain nous avons le droit et le devoir de le combattre (...). Dans notre profession, la pléthore est mauvaise conseillère ; c’est vouloir en défendre la grandeur de demander que les médecins français puissent, dans leur propre pays, l’exercer avec dignité. C’est aussi un devoir de patriotisme. Nous ne nous cacherons pas de ne pas apprécier beaucoup des motifs de seul intérêt qui poussent la plupart des étrangers à choisir notre pays pour exercer leur profession. Nous désirerions que la France hospitalière soit aimée par ceux qui veulent en faire leur patrie (...). Il nous paraît imprudent de laisser s’introduire dans un cadre aussi important que celui formé par le corps médical, des éléments étrangers” »105.

  • 106 Un « rapport sur les dangers de l’exercice de la médecine par les étrangers », approuvé à l’unanimi (...)
  • 107 Elle peut aussi compter sur le soutien du « groupe de défense de la médecine libre » et sur celui d (...)

37Les tensions s’enveniment à la fin du premier semestre 1936. La survie de la nation française ne tient plus qu’à un fil, si l’on en croit les conclusions d’une assemblée de syndicats parisiens qui dénoncent la « francisation des noms », le « charlatanisme », la « malhonnêteté avérée des médecins étrangers »106... Forte de 20 000 adhérents, la Confédération des syndicats médicaux espère attirer les 6 000 autres praticiens toujours à l’écart du mouvement107.

  • 108 Il existe deux syndicats d’arrondissements (Montpellier-Lodève et Béziers-Saint-Pons), rattachés à (...)

38Le quasi-unanimisme apparent masque des discordes ou une certaine indifférence. À l’échelle de l’Hérault, la campagne féroce autour de la Faculté ne mobilise pas tous les médecins de campagne. Sans données chiffrées en notre possession, nous pouvons le supposer à la lecture d’un courrier publié dans la « Tribune professionnelle ». Le responsable d’un des deux syndicats d’arrondissements108, basé dans la plaine viticole, avoue rencontrer des difficultés :

  • 109 Le Languedoc Médical, n°7, juillet 1936, p. 327-328.

« La France est, dit-on, le pays des redressements inespérés. Ne sommes-nous pas des Français ? Le médecin, individualiste irréductible, s’enfermera-t-il toujours dans sa tour d’ivoire ? En restant isolé dans son égoïsme, croit-il qu’il vaincra mieux les ennemis qui l’assaillent ? Au grand danger qui nous menace, je ne crois qu’un remède l’union. Groupons-nous dans nos syndicats, nos grands intérêts, le salut de notre profession l’exigent. Disciplinons-nous, oublions nos mesquines querelles personnelles, surtout, ah !, surtout, ne terminons pas chaque discussion d’intérêt général par la puérile menace si souvent entendue : “Sinon, je démissionne du Syndicat” (...). Nous sommes, au Bureau, les gérants de vos intérêts professionnels, si vous les croyez confiés à des incapables, changez-nous, les hommes de bonne volonté ne manquent pas pour nous remplacer, mais je vous en conjure, quels que soient les hommes, au Bureau, restez fidèles à l’idée syndicale, seule cette idée-force peut nous sauver »109.

  • 110 Voir Le Languedoc Médical, n° 2, février 1936.
  • 111 Ibidem.

39Le sermon syndical vise à conforter la cohésion générale dans une perspective de résistance massive. La presse professionnelle stigmatise les gouvernements républicains. Elle se réjouit de la reprise de la doctrine corporatiste par le fascisme italien et réprouve la politique dite des « sanctions », exigée par la France. Le Comité permanent de la fédération de la presse médicale latine ne tolère pas une conduite « aussi absurde qu’inhumaine»110. Il regrette d’abandonner toute relation intellectuelle avec les collègues italiens. À l’unanimité les médecins latins, dans une grande réunion, adoptent une adresse de soutien à la médecine et au régime fasciste, « pour l’œuvre de civilisation poursuivie par cette grande et noble nation, conformément à sa mission millénaire, l’accomplissant sur tous les terrains »111. Les médecins proches de l’Action française et des autres ligues se tournent vers un régime qui les fascine.

  • 112 Les positions politiques des élites médicales méridionales n’ont jamais été mises en avant. Pourtan (...)
  • 113 Pour un premier essai de synthèse, voir Julie Fette, « Avocats et médecins xénophobes (1919-1939) » (...)
  • 114 Parmi les principaux acteurs de l’époque, le professeur de médecine Paul Boulet, devenu maire de Mo (...)

40Ce tour d’horizon112 a permis de dessiner à gros traits les caractéristiques de milieux professionnels dominants engagés contre une tournure sociale regardée avec inquiétude. Comme il s’agit « d’une mobilisation par le bas », les études ne sont pas répandues113. Nos investigations mériteraient d’être accentuées et mieux comparées avec d’autres sites provinciaux concernés par une vague xénophobe qui débordera très largement le cadre de l’extrême droite pour imbiber de nombreux pans du champ politique à la veille de l’explosion guerrière. En outre, au sein des milieux pointés du doigt, tous les acteurs ne se laissent pas séduire par les solutions autoritaires114. Elles attirent en premier lieu les hiérarques du barreau et d’une institution médicale héritière d’une tradition qu’il sera difficile de faire évoluer. Les principaux relais organisationnels, véhiculant cette thématique dans l’espace public, reposent sur le monde combattant progressivement tenu par des dirigeants passés par le filtre des Ordres.

Un relais : le tissu des anciens combattants

  • 115 On emploie alors 275 travailleurs pour une superficie de 1 000 hectares contre 316 au début de la d (...)

41La société héraultaise vacille dès que le principal secteur d’activité frissonne. Dans le contexte de marasme économique mondial, la viticulture souffre ; ce qui suscite une forte augmentation du nombre de personnes inactives. En 1931 sur une population totale de 514 819 habitants, les actifs représentent 252 779 personnes. En 1936, ils ne sont plus que 233 571, soit une diminution de 7,5 % sur un total de 502 043. Sur les 19 208 emplois supprimés, la très grande partie (15 738) affecte l’agriculture pourvoyeuse de la moitié des postes proposés115.

  • 116 Jean-Paul Scot, Le Front populaire et les élections législatives dans l’Hérault, op. cit., p. 13

Évolution de la population active116

Évolution de la population active116
  • 117 On trouve des informations sur ces ligues dans plusieurs liasses aux ADH : 1 M 1119 ; 111 W 18, 12 (...)
  • 118 Rapport de novembre 1934. ADH 1119.

42Au total en 1936, on dénombre 9 600 chômeurs. Ce chiffre mérite d’être rehaussé car traditionnellement dans les départements agricoles peu d’ouvriers se déclarent dans les statistiques officielles. La dépression économique réveille les mécontentements. Une myriade de ligues entend profiter de la situation en se dressant contre les « politiciens » en place et le régime qu’ils soutiennent. Elles forment des groupements hétéroclites pouvant agir sur un terrain catégoriel. À l’extérieur de l’orbite royaliste, bien peu de ligues mordent véritablement sur le sol héraultais. Lorsqu’on part à la recherche d’éléments sur le Francisme, le Parti national social et les Jeunesses patriotes, le Cercle de la Tour du Pin, Solidarité française, le Parti frontiste ou encore le Rassemblement national populaire, les rapports de police ne délivrent que de brèves évocations. Tous soulignent l’inexistence ou l’extrême chétivité de ces groupes117. De façon épisodique, quelques rassemblements pour séduire les populations sont signalés. La volonté de mettre sur pied des sections locales n’est pas absente. L’ancrage ne prend pas. Commentant le passage de Marcel Bucard à Montpellier en 1934, le commissaire spécial termine ainsi son compte-rendu : « Si on met en regard ces déclarations avec l’importance réelle du mouvement franciste on ne peut s’empêcher, tout au moins dans le cadre de notre agglomération, d’estimer que le contraste est frappant entre les vues du “chef” et le petit nombre de personnes qui professent ses idées »118. Pour cette organisation, entre 1933 et 1934, le nombre de militants dans le chef-lieu est passé de 8 à 15... Nous pourrions multiplier les exemples à propos de la très grande partie des autres mouvements nés pendant l’entre-deux-guerres.

  • 119 Pierre Milza, Facisme français. Passé et présent, Paris, Flammarion, 1987.
  • 120 Henri Dorgères entre en scène au début des années 30. Quelques temps après, il signe une alliance a (...)
  • 121 Huit mille personnes acclament le « Mussolini Hexagonal » le 30 novembre 1935 dans la capitale régi (...)
  • 122 Robert O. Paxton, op. cit., p. 263.
  • 123 Marianne Caron, op. cit., p. 467.

43La percée est, par contre, davantage visible si l’on se penche en direction du « dorgérisme » qui constitue une « catégorie intermédiaire »119 entre les quelques structures politisées et militarisées dont nous venons de noter la léthargie et les mouvements catégoriels. Par l’entremise du journal L’Action viticole et de groupements professionnels (la confédération de défense viticole, la société des viticulteurs de France...) des actions sporadiques montrent le visage radical d’une fraction des viticulteurs. À partir de 1935, la Fédération des jeunes paysans, passée sous la tutelle d’Henri Dorgères, propose un arsenal de réponses au malaise de l’époque120. L’attrait réel de cet « artiste du verbe »121 dans les campagnes ne se traduit pas par un ralliement massif dans le Midi méditerranéen à cause de la « relative étroitesse de l’espace politique disponible »122, note Robert Paxton. Apprenant que le Front paysan empiète, non seulement chez les petits vignerons mais aussi chez les ouvriers agricoles, en demandant l’alliance avec le patronat dans la lutte contre les viticulteurs algériens123, les syndicats ripostent immédiatement. La presse républicaine s’en émeut en précisant que L’Éclair orchestre les campagnes des Jeunes paysans.

44Il ne ressort du tableau sur l’agitation ligueuse dans notre département qu’une seule organisation de masse : les Croix-de-Feu. Ce groupe de pression agissant pour défendre la « dignité » des combattants de la Grande Guerre devient le point de rencontre de bon nombre de sympathisants de la droite radicale, issus des rangs monarchistes et d’une Action française éprouvée par la condamnation papale. L’imbrication entre toutes les tendances s’intensifie durant une période qui prend une forme chaotique. Une frange des constructeurs locaux de la ligue cherche une ligne « autoritaire » claire et n’hésite pas à faire allusion au fascisme italien écarté, avec des nuances, par la direction parisienne. Ce qui deviendra au fil des mois un véritable conglomérat politique se transforme en parti affichant ses ambitions électorales. Tout au long de ce chapitre, nous suivrons les mutations organisationnelles de ce regroupement d’anciens combattants tout en remarquant les volte-face d’un encadrement qui n’aspire qu’à un objectif : l’éradication des principes républicains. Son ralliement intégral et sa participation active aux institutions créées par le régime du maréchal Pétain ne laissent planer aucun doute à ce sujet.

Le rôle crucial des Croix-de-Feu

  • 124 Odon Abbal, Les monuments aux morts de l’Hérault (1914-1918), Montpellier, Université Paul Valéry-M (...)
  • 125 On évalue pour toute la France les veuves de guerre à 700 000 et les orphelins à 760 000. On compte (...)

45Les départements méridionaux sont durement concernés par la Première Guerre mondiale. Odon Abbal nous révèle que « sur les 341 communes de l’Hérault, 339 ont donné au moins une vie à la France »124. D’innombrables personnes se retrouvent sans ressources et les blessés de guerre se comptent par milliers125.

  • 126 Pascal Doriguzzi, Solidarité et nationalisme dans l’Hérault de 1914 à 1939, Mémoire de DEA d’histoi (...)

Un aperçu des « blessures » de la Grande Guerre126

Un aperçu des « blessures » de la Grande Guerre126
  • 127 Antoine Prost, Les anciens combattants et la société française (1914-1939), Paris, Presses de la Fo (...)
  • 128 D’autres moins bien implantées poursuivent des objectifs analogues : la FNCR et la FOP. Voir supra.

46Avec l’espoir de faire respecter la mémoire des victimes, la détresse de leurs familles ou encore d’accorder une large écoute aux survivants, une floraison d’associations naît après la signature du traité de Versailles127. Les partis politiques regardent de près la fermentation citoyenne. La plus considérable des associations (l’UFAC) se situe dans le sillage des organisations ouvrières. L’élection à sa tête entre 1925 et 1930 du député-maire SFIO de Sète, Lucien Salette, confirme les liens128. Sa grande rivale, l’Union nationale des combattants ne surgit que très tardivement. Quant à l’association générale des mutilés de guerre, elle n’affiche pas une couleur politique très voyante et paraît fidèle au credo de départ de toutes les associations « écœurées » à l’évocation même du mot « politique ».

  • 129 Olivier Dedieu, « Anciens combattants et revanche politique : l’Hérault et sa Légion française des (...)

Évaluation de l’importance des associations d’anciens combattants129

Évaluation de l’importance des associations d’anciens combattants129
  • 130 Jean-Paul Cointet répertorie ainsi l’Hérault en compagnie du Gard, de la Creuse, de la Haute-Vienne (...)
  • 131 Or, ainsi que le souligne René Rémond, une greffe sur les institutions politiques des usages et du (...)
  • 132 Nous reviendrons plus loin sur la trajectoire de celui qui occupera la direction régionale de la Lé (...)
  • 133 Antoine Prost, op. cit.
  • 134 Olivier Dedieu, op. cit.

47Une vision lointaine du champ combattant selon laquelle l’Hérault appartiendrait aux départements dominés par des structures clairement « à gauche et à l’extrême gauche »130 mérite d’être amendée. « L’esprit ancien combattant » marque l’opinion. Il célèbre de nouvelles normes sociales et politiques basées sur le commandement, l’esprit de décision et d’obéissance, le culte de l’action, en opposition aux principes de la délibération, du compromis, du gouvernement par la discussion, propres à la démocratie parlementaire. Le « bavardage politique », source de divisions et de perte de temps exaspère les tenants d’une société politique calquée sur la société militaire131. L’irritation devant la « faiblesse » du régime s’accentue vers 1930. L’ascension de Marcel Blanchard132 au sein de l’UFAC signale un changement. Sa prise de pouvoir constitue un signe fort de la « droitisation » d’une structure classée à gauche au niveau national. Les essais de rapprochement avec l’UNC à la fin de la décennie vont dans ce sens133. Marcel Blanchard profite de sa nouvelle influence pour dépasser le simple appel à la défense du droit des victimes du conflit. Retrempés dans une telle expérience sacrificielle, les anciens de 14-18 revendiquent les premiers rôles. La montée en puissance de cet historien de formation, désireux d’entretenir des rapports étroits avec l’UNC, soulève quelques remous au sein de l’UFAC. Notre Lien, le journal de l’association rapporte quelques critiques internes prestement écartées par la direction. Elles seront amplifiées par les organisations liées au mouvement ouvrier qui craignent une éventuelle hégémonie sur l’ensemble associatif134.

  • 135 Philippe Machefer, « Les Coix-de-Feu (1927-1936) », L’Information historique, n° 1, 1972, p. 28-33.
  • 136 Hormis la récente biographie de Jacques Nobécourt, (Le colonel de La Rocque (1885-1946) ou les pièg (...)
  • 137 Jacques Nobécourt, Le colonel de La Rocque (1885-1946), op. cit., p. 92.
  • 138 Ibidem.
  • 139 Financées par l’homme de presse François Coty qui aspire à prendre le pouvoir, les Coix-de-Feu vise (...)

48Parmi toutes les organisations qui se mobilisent, les Croix-de-Feu se singularisent par une soif d’ordre mobilisatrice et l’intention de peser directement sur le débat politique135. Rares sont les études nationales revenant sur l’histoire de ce mouvement né en 1927136. La dénomination, en elle-même, suscite « l’effroi ». Au départ de ce projet, on trouve Maurice Hanot dit d’Hartoy, un blessé de guerre devenu « homme de lettres » spécialisé dans les récits légendaires vantant l’héroïsme national et la barbarie des Allemands. Il va chercher à rassembler « les croix de guerre gagnées au feu, donc les Croix-de-Feu »137. Il se prononce en faveur d’une dénomination très éloignée des qualificatifs usuels trop connotés. Le rejet du « politique » le pousse à choisir un nom tiré de la « quincaillerie de marques qui ponctuent le réalisme fantastique, le romantisme allemand et les divagations des sectes »138. L’insigne aussi nous plonge dans cet univers inquiétant : une tête de mort occupe le centre d’une croix de guerre, deux glaives s’y croisent, six flammes ondulent sur chaque branche139. Ses statuts primitifs n’admettent que les titulaires de citations de guerre pour « actes de bravoure au feu » et par la suite les « briscards », c’est-à-dire des combattants de première ligne reconnus plus tardivement. Dans un troisième temps, pour élargir son audience, les Croix-de-Feu ouvrent en 1933 leurs portes aux jeunes générations qui partagent les mêmes craintes et un idéal similaire. Ils forment le regroupement des Volontaires nationaux.

  • 140 Jacques Nobécourt, op. cit., p. 183.
  • 141 Ibidem.
  • 142 Jacques Nobécourt, op. cit., p. 16.

49L’intensification du recrutement correspond à la volonté d’un homme qui accède à la présidence en 1931 : le colonel François de La Rocque. Proche de Lyautey, de Weygand et de Pétain, François de la Rocque est parfaitement intégré dans les réseaux de l’état-major général. L’organe des Croix-de-Feu, Le Flambeau, ne cesse de célébrer les vertus des « grands chefs »140 et la question de l’intervention de l’institution militaire dans la prise de pouvoir, afin de régénérer une structure naissante, pour l’orienter vers des visées insurrectionnelles ou autres, reste posée141. Quoi qu’il en soit le colonel, né gentilhomme, s’il ne cache pas son allégeance à sa lignée monarchiste refuse, selon son biographe Jacques Nobécourt, de servir un Prince. Il le décrit comme un républicain attaché à la foi chrétienne et aux valeurs de la « Tradition ». Celle-ci s’apparenterait chez lui à une « dynamique du progrès » et non pas comme une « force de résistance à l’avenir »142. La proclamation d’une « mystique » des « valeurs du feu », d’un « esprit Croix-de-Feu fait de fraternité » semble la seule voie envisageable face aux discours des partis « contaminés » par les agissements des « loges maçonniques ». Les tracts, distribués par toutes les sections, présentent un cadre général d’action destiné à une « élite » qui vénère « la patrie », exalte « l’amour de l’ordre français ». La méfiance vis-à-vis des instituteurs, « semeurs de haine », constitue un autre volet souvent répandu. Enfin, la « collaboration des classes », autour des « trois éléments essentiels de toute civilisation : le travail, la famille et la Patrie », est préconisée.

  • 143 Voir pour l’essentiel : ADH 1 M 1118.

50Ces quelques considérations nationales s’imposaient. Elles permettent de situer le modelage doctrinal loué par le colonel de La Rocque. À partir de sa longue expérience du commandement, il entreprend dès son accès à la présidence un lent travail de reconstruction en vue de créer un mouvement de masse très hiérarchisé. Les « petits chefs » non élus, choisis en fonction de leur mérite combattant, peuvent diriger dans les sections les notables de la cité. Dans l’Hérault, les critères d’une hiérarchie atypique s’effacent peu à peu. Les indices que nous possédons143 montrent que le renforcement des effectifs des sections coïncide avec un encadrement plus prononcé de la « piétaille », pour reprendre un terme de François de La Rocque, par les élites des Ordres héritières directes des valeurs du « Midi blanc ». Au fil des années, elles vont avoir même tendance à s’affranchir de la tutelle parisienne.

  • 144 L’Éclair, 14 mars 1930.

51Les premiers éléments affiliés aux Croix-de-Feu font leur apparition à Montpellier en 1928. Un restaurateur Louis Saintoux fonde une section et cherche à étendre l’action dans les deux entités urbaines d’importance que sont Béziers et Sète. Il faut attendre 1930 pour qu’enfin ces communes se dotent d’une organisation144. C’est seulement en 1932 qu’elles acquièrent leur autonomie par rapport au chef-lieu. Les organigrammes des sections du début de l’année 1934 attestent de l’hétérogénéité sociale des responsables.

Section de Montpellier

Président : Louis Saintoux, restaurateur
Vice-président : André Bourgs, employé de commerce
Trésorier : René Caïn, interne à l’Hôpital
Administrateur : Emmanuel Temple, avocat, officier de réserve
Secrétaire: Marceau Soulié, représentant de commerce

Autres membres du bureau :

- Louis Carrère, professeur à la Faculté de médecine
- Arnal-Bazille, déménageur
- Maurice Chollet, chemiserie
- Victor Verges, quincaillier
- Joseph Leignadier, rentier
- Antoine Ramade, cafetier
- Clément Heral, peintre
- Vincent Balazard, capitaine en retraite
- Emile Azémard, capitaine en retraite
- François Alberti, capitaine en retraite
- Louis Gaillaud, commis
- Henri Lorveuvre, dentiste
- Fernand Favier, dentiste

Section de Sète

Président : Alfred Imbert, docteur en médecine
Vice-président : Arthur Pouech, colonel en retraite
Trésorier-secrétaire : François Vienney, employé de commerce

Section de Béziers

Président : Gabriel Guille, négociant en clôtures et en vins
Secrétaire : Pierre Huc, commerçant

52Une section biterroise du « Regroupement national » a été créée en janvier 1934. Elle compte une trentaine d’adhérents.

Président : Ernest Lafon, docteur en médecine
Secrétaire : Guillaume Caussade, négociant en fourrage

  • 145 Compte-rendu du congrès, voir ADH 1 M 1118.
  • 146 Rapport de police sur la création des Coix-de-Feu, 25 février 1934.
  • 147 Rapport du commissaire spécial de Sète, 3 mars 1934.
  • 148 Rapport du commissaire spécial de Montpellier, mars 1934.

53Elles regroupent chacune une centaine de militants. Près de 400 membres sont revendiqués par le mouvement au moment du congrès départemental en mars 1934145. Environ 20 % des adhérents appartiennent à d’autres ligues. Pour la plupart, ils militent au sein de l’Action française146. Le travail d’implantation de l’association des « poilus » inquiète le gouvernement qui invite les forces de l’ordre à en savoir plus. De leurs rencontres avec des personnalités influentes, à « l’observation participante » dans l’autobus qui conduit les militants montpelliérains au congrès, ils en tirent quelques enseignements. Nettement à droite à l’origine, les Croix-de-Feu bénéficient du renfort de tous les mécontents du « parlementarisme auquel ils imputent le désordre économique, la vie chère, la gabegie dans les administrations, l’insécurité militaire du pays et la richesse mal acquise par des individus ou des groupes prélevant une dîme sur les producteurs et consommateurs »147. Parmi les plus convaincus, se trouvent de nombreux commerçants aisés inscrits par ailleurs dans la Ligue des contribuables et du redressement français. Le fonctionnaire raconte qu’ils font « pression sur certains de leurs employés pour les obliger à adhérer aux Croix-de-Feu »148.

  • 149 Jacques Nobécourt, op. cit., p. 256.
  • 150 Rapport du commissaire de Sète, 25 mars 1934.
  • 151 Les radiations touchent ceux qui malgré les dissensions persistent à vouloir siéger. Rapport du com (...)
  • 152 Par exemple à l’automne 1934, au moment des cantonales, un bref communiqué publié dans L’Éclair se (...)

54Sur le terrain, la consolidation rencontre des difficultés. D’ailleurs, quand le colonel de La Rocque cherchera plus tard à expliquer sa modération au moment des émeutes du 6 février 1934, il admettra que les cadres locaux ne commandaient que des « sections de quelques centaines d’hommes sans plus »149. Fortement impréparées, ils ne pouvaient prolonger en province le moindre coup de force souhaité par les monarchistes et les ligues ouvertement fascisantes. Quelques semaines après le tumulte parisien, La Rocque présent au congrès départemental de Sète prend la parole pour « faire le procès des gouvernants qui se sont succédés depuis la guerre », tout en clamant que : « les Croix-de-Feu ne font pas de politique (...). Ils comptent sur la volonté de tous pour défendre le drapeau tricolore, ne voyant d’adversaires que dans les amis du drapeau rouge »150. La subversion avortée réveille la rancœur des « royalistes de raison », déçus par l’intervention du président des Croix-de-Feu dans le port sétois. Ils lui reprochent son manque de courage. La polémique prend un tour très virulent dans la presse, ce qui pousse les dirigeants des Croix-de-Feu à écarter de leurs groupements les sympathisants de Charles Maurras151. Après ces moments de fièvre, les activités de l’association reprennent lentement. Elles se déroulent encore en marge du calendrier électoral152.

  • 153 Les estimations soulèvent bien des questions. Les historiens avancent des chiffres différents. Si l (...)
  • 154 L’Éclair, 27 décembre 1930.
  • 155 Rapport du commissaire spécial de Sète du 17 décembre 1935.
  • 156 ADH 1 M 1118.
  • 157 Madame Gondard, responsable des sections féminines dans le département, perçoit dans le « dévouemen (...)

55Dans les six mois qui suivent le 6 février, la courbe des effectifs connaît une poussée significative153. Au plan régional, l’architecture de l’édifice se fortifie. Les directives officielles demandent aux cadres d’imiter les cultivateurs de blé. Il faut «jeter le grain de l’esprit Croix-de-Feu (...), le cultiver, le soigner et le faire grandir (...) » rapporte L’Éclair154. Autour du groupe de départ, s’articulent désormais une section féminine et les Volontaires nationaux, composés pour l’essentiel d’une jeunesse séduite par la mystique du mouvement. Les étudiants du Groupement universitaire des Croix-de-Feu en assurent la direction. Le premier président de ces activistes est l’avocat François Delmas155 qui fait ici son apprentissage de la vie militante. Dans ces années de crise, l’action sociale devient un passage obligé. Seule une réaction ferme du réseau des adhérents peut endiguer le flot de l’exclusion. Une circulaire en précise les modalités. Un service de placement confié aux responsables communaux cherche à répondre aux besoins des « camarades dans la peine, mais il doit aussi nous aider à pénétrer dans la foule (...) afin d’assister de braves gens qui deviendront des sympathisants et peu à peu grossiront nos phalanges »156. Les Dames s’occupent de la rue. Une centaine de Sétoises par exemple s’engagent sous la bannière du colonel de La Rocque pour distribuer des vêtements à tous les déshérités157. Les enfants constituent l’autre priorité. À l’instar du patronage, l’éducation « du corps et de l’esprit » dans les colonies des Croix-de-Feu annonce le projet de société en marche. Les dépliants de la propagande présentent ces activités comme « une miniature de la France que nous voudrions ». Dans une feuille de liaison locale, la déléguée des sections féminines héraultaises nous en propose une bonne illustration. Elle conte avec lyrisme le quotidien des enfants à la colonie de Palavas :

  • 158 ADH 1 M 1118.

« Pendant trente et un jours, accompagnés de trois ou quatre délégués de notre section féminine chargés de la surveillance, la joyeuse troupe, remplissant le car de ses chants et de son espièglerie, prendra, à deux heures le même chemin pour revenir, à sept heures, heureuse et lasse d’une saine fatigue (...). Tout au long de ce mois, à leur arrivée à Palavas, la terrasse hospitalière de la Villa Bianca les recevra pour une séance de gymnastique. Puis ce sera les jeux sur la plage en attendant l’heure du bain. Enfin quatre heures, l’heure bénie ! Au bain ! Appel attendu et qui n’est pas besoin d’être réitéré ! (...) Déjà les plus braves baignent jusqu’au cou, les autres s’enhardissent bientôt, les rires fusent, la joie est complète... Danger ? Non, car au milieu d’eux, leurs yeux ne les quittent pas, deux ou trois délégués de la section féminine sont là organisant des rondes pour les plus petits, tandis que les Volontaires nationaux surveillent et s’occupent des plus grands, moniteurs de nage pour la circonstance (...). Nous nous sommes ensuite séparés de ces enfants ravis de leur saison à la mer et que l’école allait reprendre dans ses murs. Ces enfants (...) auxquels nous nous étions attachés en essayant de leur donner une plus grande santé du corps et de l’esprit (...). Les sentiments venus du cœur ne sont-ils pas à la base de l’esprit Croix-de-Feu et l’explication de nos sections féminines créées pour mettre davantage en lumière cet élément spirituel fondamental de notre mouvement, pierre de touche de nos aspirations ! Ce mélange, ces rapports tout amicaux, tout fraternels de tous ceux qui vivent sur le même sol et que désire par-dessus tout l’homme au grand cœur que nous avons pour Chef (...) »158.

  • 159 « Parmi les sections importantes de mon secteur, écrit le préfet au ministre de l’Intérieur, on tro (...)

56Les efforts déployés à tous les niveaux gonflent les rangs. En 1936, une enquête globale prouve que l’extension est réussie. Les dirigeants affirment encadrer désormais 6 000 adhérents. En réalité, commente le préfet, ils seraient environ 4 000. La seule ville de Montpellier compterait 1200 inscrits, « soit un gain de 400 membres depuis le 11 novembre 1935 ». L’arrondissement montpelliérain regrouperait la moitié des Croix-de-Feu du département159. Les faibles résultats de Sète (130 Croix-de-Feu, 420 Volontaires nationaux, 90 Dames ou Demoiselles) et de Béziers (210 Croix-de-Feu, 450 Volontaires nationaux, 120 Dames ou Demoiselles) contrastent par rapport à l’attraction suscitée dans la capitale régionale. Ils s’expliquent, en partie, par des soubresauts qui ponctuent la vie de l’association dans les sphères parisiennes et dont les répercussions en province sont parfois décisives.

  • 160 Dominique Borne, « Les Coix-de-Feu », in Jean-François Sirinelli, dir., Dictionnaire historique de (...)
  • 161 « Toujours maintenus en situation subalterne, écrit Jacques Nobécourt, devant les Coix-de-Feu propr (...)

57De la fin de l’année 1934 aux premiers mois de 1935 de profonds changements marquent la vie de ce mouvement très centralisé. Le légalisme du leader se manifeste avec la publication de Service public. Un projet politique s’élabore enfin, même si son empreinte idéologique au confluent de la droite autoritaire et du catholicisme social reste floue160. Ce qui soulève des remous au sein de son propre mouvement où des militants ne cachent pas leur désir de bousculer le régime en place. Pierre Pucheu et Bertrand de Maudhuy, en charge des Volontaires nationaux, défendent un plan visant à édifier un État fort, d’inspiration technocratique et corporatiste. Outré par les intrigues, le colonel qui sent poindre une menace sur le contrôle de l’appareil central emploie tous les moyens pour chasser les contestataires. Ce coup d’éclat signale des dissensions anciennes. Il ne provoque pas une scission massive, mais dévoile les ambitions d’une partie des générations nouvelles, regroupée dans les Volontaires nationaux. Ils sont persuadés que la prise du pouvoir et sa reconversion dictatoriale demeurent possibles161. La crevasse apparente, rapidement colmatée par l’équipe dirigeante, ne se comble pas uniformément. Dans l’Hérault, les échos des luttes d’influence aboutissent à un changement majeur : les élites des Ordres s’emparent du pouvoir.

Le durcissement des positions antirépublicaines

58Louis Carrère, grand mutilé de guerre et professeur de médecine, devient en cette fin d’année 1934, le président de la section de Montpellier « en remplacement de M. Saintoux, rentré dans le rang ». Il est secondé par : Gabriel Guille, négociant en vin, président de la section de Béziers ; Alfred Imbert, médecin, président de la section de Sète ; François Delmas, avocat, responsable des Volontaires nationaux.

  • 162 Voir R. Jean, « Éloge du Professeur Louis Carrère », Bulletin de l’Académie des sciences et lettres (...)
  • 163 « La perte de mon Père, dit-il, a été pour moi une cause de déficit intellectuel et moral ». Cité p (...)
  • 164 Ibidem.
  • 165 Ibidem.
  • 166 Ibidem.
  • 167 Ibidem.

59Le mouvement prend de l’envergure. Le profil politique du nouvel homme fort est très typé. Né en 1892 d’un père officier interprète dans les « Bureaux Arabes », Louis Carrère passe une partie de son enfance dans le Sahara en compagnie d’un père très influent. C’était un « militaire rigoureux, un chrétien sincère, mettant en acte sa religion (...) »162. Très touché par sa disparition prématurée, à la suite d’une chute de cheval163, « il tentera toute sa vie, confie dans son éloge son successeur à l’Académie, de retrouver des raisons d’estime et d’admiration pour son Père ». Ce qui le pousse à devenir « sévère et méprisant pour les hommes médiocres »164. De retour en France, Louis Carrère s’installe à Puilacher (près de Gignac) dans le château de la commune hérité de la branche maternelle. Durant la période estivale, il se rend chez son grand-oncle paternel, curé de village, auprès duquel il puise « les principes moraux chrétiens exhaustifs qui étaient ceux de son Père »165. L’éducation familiale se déroule dans les cadres de la « France ancienne ». « Sa grand-mère, raconte-t-on, l’appelait “Monsieur”, quand elle le réprimandait »166. Envoyé au Prytanée militaire de la Flèche, l’adolescent y apprend à cultiver l’amour de l’ordre. Pendant les vacances, « il fait sensation, se souviennent ses amis, parmi les pékins et les filles dans sa tunique à double rangée de boutons dorés »167.

  • 168 Ibidem.
  • 169 Rapport du préfet au ministre de l’Intérieur, 10 décembre 1935. Ibidem
  • 170 L’Éclair, 6 juillet 1935.

60Peu doué pour les mathématiques, Louis Carrère renonce à Saint-Cyr et opte pour la médecine. Sa vocation pour la vie militaire ressurgit avec la mobilisation générale. Médecin auxiliaire, il revient du front en 1915 amputé d’une jambe. Il reprend alors le chemin de l’Université « sous la conduite autoritaire et la stimulation affectueuse du professeur Gilis »168, devenu son beau-père en 1917. Agrégé en 1933, la vie de ce spécialiste en ophtalmologie ne se limite pas à la routine professionnelle puisque dès son retour des tranchées, il tonifie son ardeur militante auprès de ses frères d’armes. « L’esprit ancien combattant » ne doit pas s’éteindre et le professeur de médecine s’emploie à maintenir la flamme en adhérant, dès la première heure, aux Croix-de-Feu. Son goût pour l’armée renaît au contact des vaillants rescapés. Il y gagne avec patience et méthode ses galons de « commandant ». Le prestige social du médecin, touché dans sa chair au front, constitue une ressource à prendre en compte dans une structure maîtrisée jusqu’alors par les catégories populaires. Dès son intronisation à la tête du mouvement, les attaques contre le régime pleuvent. Il n’hésite pas à exprimer « son mécontentement sur l’attitude de son chef à qui il reproche de pactiser avec les gauches », écrit le préfet. Au cours d’un meeting, en décembre 1935, il déclare « en levant le poing qu’il n’a plus confiance en de La Rocque »169. Des proches vont plus loin. Jean Coll de Carrera, lui aussi professeur à la Faculté de médecine, à ses côtés durant un rassemblement à Quissac, dans une intervention qui précède celle de François Delmas, « se flatte d’être un fasciste »170. Les Volontaires nationaux reprennent régulièrement ce genre de tentations subversives.

  • 171 Des départements voisins sont aussi touchés. Le Vaucluse par exemple.

61Plusieurs des anciens combattants acceptent difficilement de telles prises de position. Ils finissent par démissionner devant la détermination affichée par les élites des Ordres. Un des exemples les plus significatifs est le départ, début 1936, du président fondateur de la section de Sète, Alfred Imbert. Dans le Biterrois, les Volontaires nationaux se livrent à une intense propagande, plus de 800 membres sont répertoriés à la fin du premier trimestre de 1936. Leur enthousiasme effraie les anciens soldats réservés à l’égard de l’option politique prônée par les cadres héraultais. La stratégie d’ouverture aux Fils et filles des Croix-de-Feu se retourne contre le noyau initial dépassé par le succès du recrutement. Les Volontaires nationaux désirent développer les rassemblements inopinés sur divers points du territoire. Leur caractère paramilitaire sème la discorde171. Les rumeurs qui annoncent la démission de La Rocque déstabilisent les sections attachées à la ligne de leur « patron ». L’ambivalence des positions de l’état-major parisien explique grandement les débordements.

  • 172 Plusieurs expressions relevées par Stéphane Cambacédès dans son dépouillement de L’Éclair illustrer (...)
  • 173 L’Éclair, 20 mars 1931.
  • 174 L’Éclair, 10 janvier 1931.
  • 175 L’Éclair du 11 mars, du 19 juin 1931...
  • 176 L’Éclair, 23 juin 1932.
  • 177 L’Éclair, 19 juin 1931.
  • 178 Les Coix-de-Feu parlent de « démonstrations hystériques de 150 000 hommes à Cologne, 100 000 à Bres (...)
  • 179 Jacques Nobécourt, op. cit., p. 356.

62Dès les premiers temps, les Croix-de-Feu se constituent sur le modèle d’une armée172. Un responsable de la permanence montpelliéraine conseille au début des années trente de toujours l’arborer : « Portes-tu ton insigne ? Sinon, tu as tort, car en voyant la tête de mort, le mercanti, l’enrichi de la guerre, l’embusqué, il se dira : “celui-là, c’est un vrai, ne lui montons pas sur les pieds” »173. Pour faire aboutir leurs revendications, les consignes sont claires : il faut édifier des « phalanges étroitement unies et animées d’un même idéal »174. « Au garde à vous », « marcher droit », hurlent les « chefs » au cours des rassemblements. Le verbe « veiller »175 revient de façon récurrente dans le vocabulaire des Croix-de-Feu. Si le danger se précise, ils doivent figurer « aux premières lignes »176. Les anciens combattants épinglent les pacifistes de la Ligue internationale des combattants de la paix, accusés de ne faire « l’étalage que de vilenies antimilitaristes ». Ils invitent ces « Messieurs de la ligue » à prendre un « billet jusqu’à la frontière où ils pourront à cœur joie haranguer la foule hitlérienne et celle des Casques d’Acier (Stahlhelm) ; là au moins, ils feront bonne besogne ; à moins qu’ils ne soient reçus à coup de pieds (...) »177. Les Croix-de-Feu entendent contrer le déploiement de forces178. Nombreux sont ceux qui trépignent d’impatience en regrettant l’attitude d’un président pétri de contradictions. En effet, bien qu’ayant tout entrepris pour créer une troupe prête à en découdre, La Rocque sanctionne sévèrement les errements des extrémistes. Alors qu’il n’a de cesse de faire l’éloge de la paix, ce militaire annonce de façon tapageuse à la fin du premier semestre 1935 que « l’heure du balayage définitif qui nous conduira à la France française est proche »179. Dans le même temps, il déplace une manifestation si le risque d’affrontements sanglants se révèle réel. De telles tergiversations exaspèrent des cadres locaux, bien décidés à franchir le pas.

  • 180 Jacques Nobécourt, op. cit., p. 388.
  • 181 L’Éclair, 19 juin 1936.
  • 182 « À la destruction politique, il opposera la construction politique. À la division, à la lutte des (...)
  • 183 Sur la structuration du PSF, nous puiserons beaucoup dans le mémoire de Stéphane Cambacédès, basé s (...)

63Les Croix-de-Feu ne cèdent cependant pas à la tentation. La ferveur triomphante du Front populaire, analysée par La Rocque comme l’aboutissement d’un « complot démoniaque », ourdi par un Parti communiste à la solde de l’URSS, alliée potentielle de l’Allemagne nazie180, emporte les ligues dont la dissolution est prononcée le 18 juin 1936. Les ligueurs, rassemblés place de la Comédie à Montpellier, s’enflamment. L’Éclair écrit que « le Front populaire exécute ceux qui ne pensent pas comme lui ». Un tel accroc ne signifie pas la fin de la mobilisation. L’opposition prévient : « les groupements sont dissous mais le reste ne le sera point. Et le reste, c’est l’essentiel, c’est tout »181 ! En effet, un mois plus tard le quotidien, porte-parole du courant anti-Blum, présente la nouvelle configuration du colonel de La Rocque qui sort des ruines des Croix-de-Feu. La thématique n’évolue guère. « Le Parti social français entre dans la vie civique pour la déterminer et l’orienter avec vigueur vers le service du peuple et de la Patrie », d’où les qualificatifs de « social » et de « français »182. Le PSF base sa structuration sur l’ancienne ligue, tout en renforçant de façon considérable la mainmise territoriale avec pour objectif de canaliser l’essor des sympathisants183.

La métamorphose partisane

  • 184 Philippe Machefer, « Le Parti social français en 1936-1937 », L’Information historique, n° 2, 1972, (...)
  • 185 L’Éclair du 9 octobre 1936 évoque le passage du délégué Vigo venu donner les instructions du colone (...)

64Centralisation, discipline et essaimage sont les maîtres mots de la ligue métamorphosée en parti184. Le colonel de La Rocque donne des consignes par l’intermédiaire des délégués. Véritables missi dominici, ils se rendent dans les régions pour porter la parole présidentielle185. Les groupes locaux dépendent totalement du comité exécutif parisien. Tout ce qu’émet Paris est restitué fidèlement dans l’Hérault. Le centre national, dans l’espoir d’éviter les erreurs passées et l’outrecuidance parfois dangereuse des jeunes recrus, ne renouvelle pas l’expérience des Volontaires nationaux et s’emploie à contrôler avec plus de vigueur les représentants du parti. L’objectif affiché est limpide : la conquête du pouvoir. Le symbole du PSF apposé sur les anciennes permanences des Croix-de-Feu résume l’ambition : les trois lettres (P.S.F.), d’où partent des rayons en direction de toutes les régions, trônent au cœur d’une carte de France.

  • 186 Par exemple sur Montpellier, il y a deux sections : une regroupe le premier et le troisième canton  (...)
  • 187 Celui de Montpellier est confié à Louis Carrère.

65La première étape consiste à convertir toutes les sections dissoutes. La nouvelle forme partisane s’implante d’abord à Montpellier, Sète, Béziers, Pézenas, Lunel et Ganges. Des groupes, mieux organisés qu’auparavant, structurent les cantons de Castries et de Gignac. Des communes, restées hors du champ de gravité de l’ex-association des anciens combattants, fondent des sections (Lodève, Saint-Pargoire, Mèze...). En 1939, tous les arrondissements possèdent des antennes. Les villes de Montpellier et de Béziers sont découpées en plusieurs groupes186. Leurs dirigeants sont alors placés sous la dépendance d’un comité des sections187. Chacune élit un président, rééligible, qui choisit des collaborateurs : vice-président, secrétaire, trésorier... L’assemblée des présidents communaux se réunit régulièrement dans un comité de la circonscription à la tête duquel un président est élu. Ils procèdent lors d’un conseil fédéral au choix du leader de la fédération départementale. Les représentants des sections ayant un effectif important (Castries, Gignac, Roujan...) participent aussi au conseil fédéral. Une commission de discipline à l’échelle départementale sanctionne tous les manquements.

  • 188 Ibidem.
  • 189 Rapport des Renseignements généraux (RG), 3028, 9 juin 1944. ADH 111 W 18.
  • 190 Voir supra.

66Les évaluations nationales données par Jean-Paul Thomas démontrent que l’ancrage est important (entre 5 000 et 9 999 adhérents)188. En s’intéressant d’un peu plus près à la situation départementale, on constate que le chef-lieu demeure un pôle d’influence indéniable. Environ 800 adhérents participent à la vie du parti en 1938-1939189. Pourtant, si l’on s’en tient à cette donnée les Croix-de-Feu étaient bien mieux lotis puisqu’en 1936, 1 200 avaient été recensés sans compter la couronne montpelliéraine190. Comment peut-on interpréter ce résultat ? Il faut d’emblée noter qu’un seul rapport établi à la fin de la Seconde Guerre mondiale avance une estimation. L’effort organisationnel n’aurait donc pas eu de résultats probants dans le secteur. La prudence s’impose car il paraît étonnant que ce fief des Croix-de-Feu subsiste à l’écart de l’essor général. Toutefois une hypothèse peut expliquer cela. La citadelle du « Midi blanc » rechignerait à admettre les atermoiements de La Rocque qui s’enorgueillit d’appartenir sans entrave, depuis l’été 1936, au champ politique officiel. La récente formule d’organisation élimine la dynamique contestataire. Elle se développe sur un modèle partisan très classique dans le respect du régime démocratique. La transformation radicale a pu choquer des anciens combattants ou leurs « fils », rejetant un système politique basé sur le parlementarisme. Rappelons enfin que les puissants groupes des Volontaires nationaux, désormais supprimés, manifestaient un net mécontentement devant « l’immobilisme » de la direction.

  • 191 Un millier sont recensés dans la seule ville de Béziers. Rapport du commissaire de Béziers du 13 dé (...)
  • 192 Rapport du commissaire spécial de Sète du 4 janvier 1937. ADH 12 W 767. L’absence d’archives du PSF (...)
  • 193 Philippe Machefer, « Les syndicats professionnels français (1936-1939) », Le Mouvement social, n°l (...)
  • 194 Voir Christian Pastor, op. cit., p. 31-32.

67Ce clivage majeur pourrait par ailleurs permettre de mieux comprendre l’élan observé dans le Biterrois qui, souvenons-nous, avait perdu de sa force quand les fractions paramilitaires encourageaient, au lendemain du 6 février, les sympathisants à soutenir le basculement vers un régime inspiré du voisin italien. Six mois après la création du PSF, une note du commissaire de Béziers indique que dans la ville et son arrondissement 1 546 personnes se rangent dans la catégorie des miltants191. Les Croix-de-Feu et ses diverses ramifications ne dépassaient pas les 800 adhérents. Ce gain considérable contraste également avec les estimations sétoises où l’on estime le nombre de cartes vendues à 110 au début de 1937 contre près de 650 à l’époque de la ligue192. Relevons par ailleurs l’effort notable entrepris dans le monde du travail. Les premiers Syndicats professionnels français (SPF) se faufilent dans un paysage très pourvu en 1936. Ils constituent la «courroie de transmission » du PSF dans l’univers quotidien des travailleurs manuels193. Qualifiés de « syndicats jaunes » par les représentants du mouvement ouvrier, les SPF n’apprécient pas la doctrine libérale dont découle selon eux la « lutte des classes ». Ils préfèrent se référer au syndicalisme corporatiste galvanisé par Mussolini. Le secteur de la viticulture, longtemps opposé à toute emprise syndicale, représente une cible privilégiée. Les actions entreprises portent leurs fruits car en 1937 le Biterrois devient une place forte. Le SPF de l’agriculture du département enregistre 137 adhésions194. Dans le Montpelliérais, aucune ramification du SPF n’est répertoriée parmi les principaux groupes professionnels. Nous pouvons noter l’existence seulement d’une dizaine de sections éparpillées, regroupant 150 travailleurs.

  • 195 François de La Rocque en juin 1937 affirme que sur 2,5 millions d’adhérents du PSF, 72,5% n’avaient (...)
  • 196 Les rapports montrent qu’il se dépense sans compter. Il est présent dans toutes les réunions.

68Au fil des semaines, le colonel de La Rocque a repris son mouvement en main. Les contestataires sont rentrés dans le rang. La vague générale d’adhésion constatée dès les premières semaines d’existence du parti semble consolider sa stratégie195. Il pense se frayer un chemin entre les deux doctrines en vogue. Le slogan n’est-il pas : « Ni fascisme, ni communisme ! La France heureuse forte et libre par le PSF ». Affirmant « mépriser » la droite autant que la gauche, la mystique réconciliant « l’esprit social et le patriotisme » cherche à recomposer un « ordre français » basé sur trois piliers : « travail, famille, patrie ». L’organigramme comprend des cadres formés à « l’école » des Croix-de-Feu et quelques nouvelles personnalités. Louis Carrère, promu délégué régional, ne paraît plus exprimer des réserves. Il est remplacé à Montpellier par un dentiste : Éloi Alméras. L’ancien animateur des Volontaires nationaux, François Delmas, prend en charge la propagande196. Quant à la présidence départementale, elle revient à un protestant notoire, Robert Faucherre, par ailleurs administrateur d’une importante pépinière. La plus active des sections, celle de Béziers, repose sur le dénommé Dejean, un artisan bourrelier secondé par Gabriel Guille, l’ancien président de la première section des Croix-de-Feu. Ce dernier exerce la profession de négociants en vins. Le chef du parti à Sète, Henri Arnal, occupe la même activité professionnelle. Cet échantillon situe les cadres du mouvement dans les catégories libérales et bourgeoises.

  • 197 Jusqu’alors les Coix-de-Feu avaient préconisé de voter contre les candidats du « désordre » dans un (...)
  • 198 Stéphane Cambacédès, à qui nous empruntons ce pointage, a comptabilisé toutes les réunions signalée (...)

69À travers l’esquisse des grandes lignes de l’organisation du PSF, on s’aperçoit des changements opérés depuis la dissolution. Poussé à devenir un parti politique, il s’efforce d’étendre son influence en présentant un projet de société spécifique. La propagande impressionne. Il y a toujours les manifestations d’éclat (messe anniversaire à l’intention de l’aviateur Jean Mermoz, défilés commémoratifs...), l’investissement dans les œuvres sociales confié aux militantes féminines... Mais le grand changement réside dans le fait que le parti de La Rocque n’affiche plus de réticences à l’égard de la compétition électorale197. Les cadres ratissent tout le département. Entre 1937 et 1939, le PSF organise 104 réunions198. L’engagement dans la politique « politicienne », longtemps repoussé, détone dans l’espace politique local peu habitué à voir un tel déploiement de force venant des franges conservatrices qui ont perdu pied dans les scrutins depuis plusieurs années. Une « machine » originale apparaît. Elle cherche à faire éclore un personnel politique façonné par l’appareil central et en mesure, par ses ressources propres, de mobiliser suffisamment. Le défi, peu évident dans une terre labourée depuis de longues années par les radicaux et la SFIO, prend toutefois forme dans quelques secteurs.

  • 199 L’Éclair, 10 octobre 1937.
  • 200 L’Éclair, 16 septembre 1937.
  • 201 Stéphane Cambacédès, op. cit., p. 175.

70Les élections cantonales et au conseil d’arrondissement des 10 et 17 octobre 1937 servent de banc d’essai. Elles nous permettent d’évaluer le capital de confiance du Front populaire et l’impact de l’assaut des droites réunies dans un front « antimarxiste ». L’Éclair publie les recommandations d’un comité, créé pour l’occasion, qui établit une « liste des candidats uniques anticommunistes de l’Union des groupements nationaux » pour lesquels il recommande de « voter sans hésitation »199. Louis Carrère, Emmanuel Temple, Robert Faucherre figurent parmi les signataires de l’appel. L’Action française y apporte son appui. Le PSF gère ce comité parce qu’il apparaît comme l’organisation la mieux structurée. Dans toutes les circonscriptions, des commissions étudient la situation politique et transmettent à la fédération un rapport à partir duquel on décidera de présenter un postulant ou de demeurer en retrait. Le choix des candidats se fait lors d’un congrès où « plusieurs centaines de délégués »200 sélectionnent des candidats fidèles aux idéaux du PSF, ayant une parfaite connaissance des problèmes locaux201. Le comité des droites, sous l’autorité des proches de Louis Carrère, patronne les deux conseillers sortants labellisés « Union nationale » : Louis Guibal, élu dans le premier canton de Montpellier depuis 1907 et Jean Granier, conseiller d’arrondissement sortant de Ganges. Celui-ci occupe le fauteuil de son père, médecin comme lui, constamment réélu pendant quarante années. Les dirigeants du PSF mènent la campagne avec les deux notables solidement installés.

  • 202 Rapport du commissaire spécial de Montpellier (septembre 1936). ADH 1 M 1119.
  • 203 Le bureau fédéral est composé de deux secrétaires : Enrico Corsaletti, un voyageur de commerce ital (...)
  • 204 Philippe Secondy, « Regard sur le fascisme dans l’Hérault. La difficile implantation du Parti Popul (...)
  • 205 En 1938 et 1939, neuf sections supplémentaires seront créées : Castries, Vendargues, Pignan, Valfau (...)

71L’organisme de sélection intègre des figures récemment apparues bien décidées à renverser la tendance en cours. Elles appartiennent à un parti fondé en juin 1936 par Jacques Doriot : le Parti populaire français. Le régime fasciste constitue un prototype politique à importer sur le sol national, selon l’ancien dirigeant du parti communiste qui l’anime. Les premières réunions du PPF ont lieu en juin et septembre 1936 sous la présidence de Teulade, le secrétaire de Doriot. Elles fixent les jalons de l’organisation. La capitale héraultaise est choisie comme « centre régional d’action ». Les départements de l’Aude, des Pyrénées-Orientales, de l’Aveyron ainsi que la Lozère y sont rattachés. « Un certain nombre d’anciens militants des Croix-de-Feu »202 suivent les premiers pas du PPF qui installe une ébauche d’organigramme où l’on rencontre des profils sociaux et politiques très différents203. Les doriotistes peinent à s’enraciner204. En février 1937, cinq sections sont recensées (Montpellier, Béziers, Sète, Bédarieux et Florensac). Quelques-unes germent en cours d’année : Saint-Bauzille-de-Putois, Cournonterral, Mèze, Bouzigues et Ganges205. Jusqu’au déclenchement de la guerre, les « hommes de Doriot » concentrent leurs actions sur Montpellier. Ils s’en tiennent à des diffusions de tracts, à des actions publicitaires présentant le journal L’Émancipation nationale et sèment le trouble sur la voie publique à l’occasion de manifestations défavorables au Front populaire. En un mot, de 1936 à 1939, le PPF demeure une force marginale. Pour exister, il doit s’intégrer à « l’Union des groupements nationaux », tenue par le PSF.

72Sur les vingt cantons renouvelables en 1937, les droites présentent neuf candidats. Louis Guibal porte l’étiquette « Union nationale » ; deux défendent les vues de Jacques Doriot (Henri Mathieu-Laugier dans le troisième canton Montpelliérain et Roger Amans à Sète) ; cinq veulent faire triompher la doctrine du PSF (Jean Pascal à Aniane, Richemond Dehan à Gignac, Clarenc à Roujan, Fernand Hodin à Saint-Pons et Bernard de Bernis à Saint-Martin-de-Londres). Un dernier se signale comme un « républicain antimarxiste » (Bruno Augé à Florensac). L’autre scrutin vise à élire dans 19 cantons les conseillers d’arrondissement. Sept personnalités espèrent stopper l’avancée du « drapeau rouge » : deux membres du PSF (Roger Leenhardt à Montpellier II et Gilles Ricome à Castries) ; deux affiliés au PPF (Jaubert à Saint-Gervais-sur-Mare et Antonin Bessières à Servian) ; deux se contentent de l’intitulé « national » (Vernette à Béziers II et Auguste Cauquil à Capestang). Quant à Jean Granier, il revendique son appartenance à « l’Union nationale ». La campagne, dominée par des enjeux nationaux, fut brève. Une seule certitude en ressort. Les efforts organisationnels du PSF n’aboutissent pas à des résultats satisfaisants. Un seul candidat tire son épingle du jeu : Gilles Ricome. Arrivé largement en tête dès le premier tour (969 voix sur 2 011 votants), il devance un camp « républicain » divisé et triomphe le dimanche suivant. Il rejoint dans cette institution, sans réels pouvoirs, Jean Granier. Ailleurs, il faut noter que Roger Leenhardt fait quasiment jeu égal avec le radical Pierre Gibert (2 563 contre 2 627 le 10 octobre) mais échoue face à la discipline républicaine. Au conseil général, Louis Guibal retrouve son fauteuil avec une grande aisance. À propos des autres cantons, seul celui de Gignac aurait pu basculer. Richemond Dehan (PSF) est arrivé second derrière le radical-socialiste Paul Pelisse lors du premier tour. Le faible écart laissait entrevoir un petit espoir au parti du colonel de La Rocque. En bon « soldat », le valeureux candidat du PSF cède sa place à Louis Carrère qui perçoit les possibilités du succès. Le prétexte invoqué est l’ancrage familial du président régional. Originaire de Puilacher, devenu professeur dans une prestigieuse institution, « l’enfant du pays » pourrait par ce capital accumulé faire la différence aux yeux d’un appareil soucieux de ne pas sortir bredouille de ce test très suivi. Le retour du « fils prodigue » ne suffit pas. L’intransigeance des radicaux dans les négociations pré-électorales, alors même qu’une fraction de ces derniers ne cache pas sa phobie du marxisme, constitue une des raisons de l’insuccès des partisans de La Rocque.

73S’agissant du PPF, la médiocrité de son score témoigne de son inexistence politique. Les trois candidats du « Comité de l’union des groupements nationaux » qui réussissent à émerger du scrutin le doivent en grande partie à leur ancrage personnel. Celui de Louis Guibal est bien connu. Le second élu, Jean Granier rassure dans une circonscription labourée de longue date par son père. Quant au nouveau venu, les éléments en notre possession attestent qu’il dispose de ressources valorisantes par rapport à la majorité des autres qui ne brandissent qu’une étiquette partisane. Gilles Ricome, propriétaire-viticulteur à Castries, siège au conseil municipal dans une commune intégrée à un canton traditionnellement sensible aux discours critiques à l’égard du régime. Sa position de président de la section locale et du groupement cantonal de la Confédération générale des vignerons conforte sa stature d’éligible.

74Le désabusement frappe l’état-major local du PSF. Il perçoit le fossé qui existe entre un jeune parti, en voie de structuration et les « vieilles machines ». Ancrées dans les réseaux socio-économiques, avec une « clientèle » fidèle de génération en génération, elles reçoivent l’appui de notables à l’écoute d’une population encadrée par des structures partisanes favorables au Front populaire. Les divisions, au sein du courant républicain, s’effacent en règle générale à l’occasion des échéances ultimes, alors qu’elles subsistent à propos de la méthode à adopter au sein des forces nouvelles. Pendant que s’amoncellent au loin de sombres nuages, les réseaux tissés par les protagonistes du PSF, s’ils se consolident, n’arrivent pas à renverser une tendance qui paraît indéfectible.

75Un an plus tard, des lézardes jaillissent au grand jour lors du premier tour d’une élection partielle dans le troisième canton de Montpellier. Le PSF rencontre sur sa route le Parti populaire français. Il s’intéresse à la masse des sympathisants tombés dans les filets du PSF. Après son refus de « se laisser prendre au piège du Front de la liberté », concocté par Jacques Doriot, le colonel de La Rocque qui clame sa fidélité aux institutions républicaines essuie de nouvelles attaques. Sur le terrain, elles se traduisent par des divergences épisodiques lors d’élections qui ne sont alors qu’une formalité pour les candidats opposés. Toutefois, au second tour, le candidat du PPF appelle à soutenir le représentant du PSF mieux placé.

76À l’aube des années trente, une radicalisation générale est constatée. Elle repose sur un mouvement ligueur concentré sur les organisations issues du monde combattant. Dans une société en ébullition, le « modèle fasciste » constitue une voie attractive pour un nombre croissant de partisans du slogan : « la France aux Français ». C’est au cœur des professions libérales, et en premier lieu dans le monde médical et juridique, que la tentation de s’inspirer du « laboratoire italien » est la plus forte. Les élites des Ordres impulsent une dynamique politique originale, basée sur cet attrait pour une « expérience nouvelle », tout en espérant revigorer les fondations « traditionnistes » mises à mal depuis l’essor des réformes laïques. La fusion de ces orientations aboutit en 1940 avec l’effondrement brutal de la République, lié à la déroute de l’armée française et à l’instauration d’un gouvernement décidé à élaborer une politique de « rénovation » en octroyant les postes de responsabilités aux figures de la mouvance conservatrice.

Notes

1 Louis Guibal, « Les Professions libérales, la guerre et l’après-guerre », Bulletin de la société languedocienne de géographie, tome XLI, 2ème trimestre 1918, p. 62-70.

2 Ibidem.

3 Ibidem.

4 Ibidem.

5 Ibidem.

6 Louis Guibal, op. cit.

7 Ibidem.

8 Ibidem.

9 Ibidem.

10 Ibidem.

11 Ibidem.

12 Christophe Charle, La république des universitaires (1870-1940), Paris, Seuil, 1994, p. 247.

13 Cette expression désigne « les métiers (médecins, barreau...) qui ont développé un ensemble de caractéristiques spécifiques, monopole d’exercice de certaines fonctions, contrôle des praticiens par leurs pairs»... Voir Jean-Michel Chapoulie, « Sur l’analyse sociologique des groupes professionnels », Revue française de sociologie, XIV, 1973, p. 89.

14 Christophe Charle, « Pour une histoire sociale des professions juridiques. Note pour une recherche », Actes de la recherche en sciences sociales, n° 76-77, 1989, p. 119.

15 Matéï Dogan, « Les professions propices à la carrière politique. Le verbe et la plume », in Michel Offerte, dir., La profession politique xixe-xxe siècles, Paris, Belin, 1999, p. 171-200.

16 62 siègent au Palais-Bourbon en 1881. Voir Christophe Charle, Histoire sociale..., op. cit.

17 Jacques Léonard, La France médicale au xixe siècle, Paris, Gallimard / Julliard, 1978, p. 284. Pour une analyse des fondements du pouvoir professionnel des médecins, voir Eliot Freidson, La profession médicale, Paris, Payot, 1984.

18 Patrick Hassenteufel, Les médecins face à l’État. Une comparaison européenne, Paris, Presses de Science po, 1996, p. 21 et s.

19 En novembre 1921, le ministre radical-socialiste de l’Instruction publique, l’Héraultais Louis Lafferre célèbre l’Université montpelliéraine en présence du président de la République. La Faculté de médecine, rappelle-t-il, a une « longue et immortelle histoire qui raconte des travaux, des moeurs, des disputes d’idées, par quoi elle se relie étroitement à l’histoire même de la vie et de la pensée française ». Voir L’Appel au peuple du Midi, 12 novembre 1921.

20 Louis Pinto, « L’armée, le contingent et les classes sociales », Actes de la recherche en sciences sociales, n° 2, mai 1975, p. 20.

21 Ces deux professions constituent l’essentiel des élites des Ordres. On pourra y rajouter quelques universitaires extérieurs à ces disciplines qui partagent la même conception des rapports sociaux et appartiennent à la « génération du feu ». Voir Philippe Secondy, La droite extrême..., op. cit.

22 A. Oudin, L’Ordre des médecins, Thèse de doctorat de droit, Université de Paris, Paris, Librairie E. Le François, 1941, p. 95.

23 Ibidem.

24 Nous empruntons ce terme à Laurent Willemez. Il montre bien que « la volonté d’imposer la profession d’avocat comme catégorie unifiée historiquement, géographiquement et sociologiquement, est un acte proprement politique ; elle a en effet pour but et pour conséquence de renforcer la légitimité de la profession, de faire de “l’avocature” autre chose qu’un groupe professionnel : une catégorie universelle ». Voir Laurent Willemez, « La “République des avocats”. 1848 : le mythe, le modèle et son endossement », in Michel Offerlé, dir., La profession politique..., op. cit., p. 201-230.

25 Jean Lafont, « Éloge du Bâtonnier Jean Guibal », Bulletin de l’Académie des sciences et lettres de Montpellier, Nouvelle série, tome 17, 1986, p. 347.

26 Jean Guibal, Discours du Bâtonnier de l’Ordre prononcé le 6 décembre 1938 à la séance solennelle d’ouverture des conférences des avocats stagiaires, Montpellier, Imprimerie de la Presse, 1938, p. 12-13.

27 Jean Guibal, op. cit., p. 5-6.

28 Ibidem

29 Voir Pascal Plas, « La professionnalisation des avocats au début des années vingt. Enjeux, ruptures et nouveaux modèles », in Gilles Le Béguec, dir., Avocats et barreaux en France (1910-1930), Nancy, Presses universitaires de Nancy, 1994, p. 61.

30 Jean Guibal, op. cit., p. 13-15.

31 Ibidem.

32 En novembre 1969, dans sa dernière conférence, à la Faculté de droit destinée aux étudiants du certificat d’aptitude à la profession d’avocats, Jean Guibal persiste dans cette voie : « l’avocat, déclare-t-il, est un artisan de l’ordre social. Il aide l’homme de la base à retrouver son équilibre ; il peut aider à dissiper le malaise social qui menace aujourd’hui l’Occident... » Voir Jean Guibal, La confiance dans la nuit. Lettre ouverte à de futurs stagiaires, 1969, p. 22. Archives de la Bibliothèque de la Maison des avocats de Montpellier.

33 Voir Philippe-André Vincent, La vie et l’œuvre d’André Vincent, op. cit., p. 131.

34 Ibidem.

35 Voir Philippe-André Vincent, La vie et l’œuvre d’André Vincent..., op. cit., p. 121-122.

36 L’Éclair, 6 octobre 1925.

37 Marie-Claude Fajon, L’Italie fasciste à travers la presse languedocienne (octobre 1922-juin 1935), Mémoire de maîtrise d’histoire, Université Paul Valéry - Montpellier III, 1971.

38 La Gazette du Languedoc, n° 260, 4 décembre 1932.

39 Eugen Weber, op. cit., p. 322-323.

40 Nous avons établi le profil politique à partir d’informations recueillies tout au long de notre recherche. Quant à la liste des dirigeants, elle émane d’une source professionnelle : Barreau de Montpellier. Tableaux de l’Ordre (1928-1985), Édité pour le CARAM, CARPA de Montpellier, 1985.

41 Nous avons démontré la dérive des catholiques favorables au général de Castelnau essentiellement à partir du dépouillement du périodique : L’Union catholique de l’Hérault. Il a été édité entre le début de l’année 1925 et février 1939. Voir Philippe Secondy, La droite extrême..., op. cit., p. 369 et s.

42 Pierre Bimbaum, Un mythe politique : la « République juive » : de Léon Blum à Pierre Mendès-France, Paris, Fayard. 1988.

43 L’Union catholique de l’Hérault, n°643, 6 juin 1937.

44 « (Il s’agit) d’une œuvre abominable qui prend exactement le contre-pied non seulement de notre morale, à nous catholiques, mais de toute morale. (...) Quelqu’un a fait observer que M. le Président du Conseil avait voulu tout simplement démontrer que les jeunes filles avaient le droit, aussi bien que les jeunes hommes, de faire l’expérience de la passion avant le mariage. (...) Ces écarts sont représentés comme une sorte de nécessité pour que le jeune homme acquière une expérience indispensable. Et M. Blum estime logiquement qu’il n’y a pas de raison de priver les jeunes filles du “bienfait” de cette “expérience” ! (...) Son livre est tout simplement la démonstration de la légitimité de la passion, la glorification de l’instinct anima! ! Un autre juif, Naquet, a introduit chez nous le divorce. Les théories de ces deux Israélites sont au plus haut sommet de l’anarchie ». Ibidem.

45 L’Union catholique de l’Hérault, n° 608, 4 octobre 1936.

46 L’Union catholique de l’Hérault, ibid.

47 Ibidem.

48 Voir L’Union catholique de l’Hérault, n°644, 13 juin 1937.

49 Emmanuel Le Roy Ladurie, enseignant dans le principal lycée de la ville entre 1955 et 1963, insiste sur l’aura des médecins : « Dans le Languedoc, un professeur, c’était quelqu’un. Tout en haut de la pyramide sociale à Montpellier, se situaient, endogamiques, les hauts enseignants de la faculté de médecine (...). La collation des titres traduisait les déférences locales. Malade, un employé du Gaz ou des Postes ne disait pas : “Je suis allé chez le docteur”, mais “j’ai été voir le professeur”. Médecins et chirurgiens universitaires étaient des dieux locaux (...)». Voir Emmanuel Le Roy Ladurie, Paris-Montpellier P.C.-P.S.U. (1945-1963), Paris, Gallimard, 1982, p. 143.

50 Dominique Raynaud, « La controverse entre organicisme et vitalisme : étude de sociologie des sciences », Revue française de sociologie, XXXIX-4, octobre-décembre 1998, p. 721-750 ; Thierry Lavabre-Bertrand, « La philosophie médicale de l’Ecole de Montpellier au xviiie et xixe siècles », Collectif, L’Université de Montpellier, ses maîtres et ses étudiants depuis sept siècles (1289-1989), Fédération historique du Languedoc méditerranéen et du Roussillon (FHLMR), Montpellier, 1995, p. 163-178.

51 Gérard Cholvy, « Montpellier capitale viticole ? Mentalités et croyances », in Histoire de Montpellier, op. cit., p. 345-346.

52 Jean Segondy, « Une noble amitié : le Cardinal de Cabrières et le Professeur Grasset. Atmosphère amicale entre l’Église et l’Université », Monspeliensis Hippocrates, n° 41, 1968, p. 1-9.

53 Voir H. Roger, Le Professeur Grasset. Sa vie et son œuvre, Marseille, Imprimerie marseillaise, 1926, p. 13.

54 « À Montpellier, poursuit-il sans toutefois en dire beaucoup, où les souvenirs anciens sont vivaces, on a pu à une certaine période parler... d’une nouvelle guerre de religion qui aurait son théâtre à la Faculté de médecine ». Ibidem.

55 Ibidem.

56 Ibidem.

57 Les phrases ci-dessous prononcées lors de l’inauguration de la statue du « Chef » disparu l’attestent : « Sa vie s’est élevée au-dessus du mortel ; elle se prolongera et se transmettra. Nous tenons son ombre pour tutélaire. Son souvenir restera plus encore qu’un modèle... une belle enseigne, un vrai drapeau, et ce monument d’un symbole, hautement représentatif, est formé par l’association de trois mots, qui continueront à s’appeler mutuellement en écho : Montpellier, Faculté de Médecine, Grasset ». Ibidem.

58 « Sa notoriété mondiale, écrit H. Roger, le fait successivement nommer membre associé de l’Académie de Médecine, des sociétés savantes de Rome, Londres, Moscou, Barcelone, Cambrai, Bordeaux ; Docteur Honoris causa de Louvain et Genève ; et lui fait accorder des hautes distinctions par l’Académie de Médecine, l’Académie des Sciences, l’Académie Française. À Montpellier même, il préside tour à tour l’Académie des sciences et lettres, le Syndicat médical, l’Association de prévoyance et de secours mutuels des médecins de l’Hérault ». Ibidem.

59 Citation donnée par Jean Segondy, op. cit., p. 5.

60 « Tous ceux qui détiennent ou exercent l’autorité publique, à un titre quelconque, estime-t-il, doivent constamment s’appuyer sur la Science, qui d’ailleurs ne leur fera pas défaut et ne leur marchandera pas son concours (...). Le Chef respecté et aimé de notre Université de Montpellier nous l’a excellemment dit dans une de nos séances de rentrée : il faut que les Universités aillent au peuple, reconnaissent les sacrifices incessants de la société en sortant de leurs laboratoires pour enseigner la Société, en élargissant leurs amphithéâtres et le rayonnement de leur enseignement, en dirigeant, du haut de leurs chaires, l’entier mouvement social. En un mot, il faut que le savant, “s’il lève encore les yeux au ciel... regarde en bas de temps en temps, se rappelant que l’homme est là” ». Voir Joseph Grasset, L’Hygiène sociale. Œuvre de Science et œuvre de Morale, Montpellier, Coulet et fils, 1905, p. 11-13.

61 Pierre-André Taguieff, La couleur et le sang. Doctrines racistes à la française, Paris, Éditions Mille et Une Nuits, 1998, p. 91 et s.

62 Guy Thuillier, « Un anarchiste positiviste : Georges Vacher de Lapouge », in Pierre Guiral, Émile Temine, dir., L’idée de race dans la pensée politique française, Paris, Éd. du CNRS, 1977, p. 53.

63 Jean Boissel, « Paul Valéry et Georges Vacher de Lapouge à Montpellier (1888-1893) », Revue de lettres modernes, Paul Valéry, n° 6, 1989, p. 32.

64 C’est ainsi que la présente Paul Ourliac, membre de l’Institut, dans « L’enseignement de la science politique à Montpellier en 1890 », Annales de l’Université des sciences sociales de Toulouse, tome XXXI, 1983, p. 147.

65 Né à Neuville-de-Poitou, le bibliothécaire étudia la médecine, fut docteur en droit de l’Université de Poitiers puis agrégé avant de commencer une carrière de magistrat qu’il abandonne aussitôt. Voir Pierre-André Taguieff, ibidem.

66 « Forte tête, et esprit fort, Lapouge avait la réputation d’être un bibliothécaire négligeant et méprisant à l’égard de ses collègues : il ne leur adressait jamais la parole, et ne communiquait avec eux que par écrit, même lorsqu’il partageait avec eux le même bureau » ! Ibidem.

67 Les différents éléments recueillis dans les études sur ce penseur du racisme tendent à prouver que les principaux acteurs de la droite extrême, pendant son passage éclair dans le Sud du pays, n’ont pas noué de liens particuliers avec lui. Dans les archives privées de Vacher de Lapouge, consultées à l’Université Paul Valéry-Montpellier III, aucune correspondante écrite n’existe avec les figures en lutte contre « les méfaits du républicanisme ». La seule trace fugace de relation épistolaire se présente sous la forme de trois lettres d’Alfred Fouillée, une des personnalités ayant influencé la démarche de Joseph Grasset.

68 Voir Paul Ourliac, ibidem

69 Georges Vacher de Lapouge, « La nécropole de Castelnau-le-Lez », Le Félibrige latin, juin 1891, p. 129-135.

70 Paul Ourliac la présente ainsi en 1983, sans citer explicitement Lapouge, employant un vocabulaire étonnant pour l’époque : « L’humanité est faite de brachycéphales et de dolichocéphales, de crânes ronds et longs. Les brachycéphales sont noirauds, courtauds, lourdauds ; ils sont inertes, médiocres ; ce sont des soldats soumis, des fonctionnaires obéissants, des magistrats parfaits, parce que toujours attentifs aux ordres des puissants du jour. Leur nombre augmente sans cesse car par bêtise, ils sont prolifiques. Au contraire, les dolichocéphales se distinguent par la puissance de la raison et de l’intelligence. Ils sont travailleurs, créateurs ; ils calculent tout et calculent bien, sans excès de hâte, sans indécision, sans entêtement, sans amour-propre, avec une volonté froide, précise, tenace. Ils ont l’aptitude au commandement. Leur race est dominatrice par nature et si naturellement même que les autres s’habituent à être dominés ». Ibidem.

71 L’auteur de la communication fait référence à l’étude de Lapouge publiée dans L’Anthropologie (n° 3, mai-juin 1892, p. 317-322) sous le titre suivant : « Crânes de gentilhommes et crânes de paysans - Notre-Dame-de-Londres (Hérault) ». Voir M. Bel, « Georges Vacher de Lapouge », Bulletin de l’Académie des sciences et lettres de Montpellier, 66, 1936, p. 87.

72 Citation donnée par Guy Thuillier, ibidem.

73 Sur les rapports entre médecine et politique, voir Francine Muel-Dreyfus, Vichy et l’éternel féminin, Paris, Seuil, 1996, p. 289 et s.

74 Anne-Laure Simonnot, Hygiénisme et eugénisme au xxe siècle à travers la psychiatrie française, Éditions Seli Arslan, 1999.

75 Ibidem.

76 Pour une analyse plus approfondie, voir Philippe Secondy, La droite extrême..., op. cit., p. 157 et s.

77 Joseph Grasset, L’Hygiène sociale..., op. cit., p. 21.

78 Dans une note de bas de page, il donne une citation après une réflexion sur les « supérieurs » et les « médiocres » aujourd’hui. Elle est extraite d’un livre de Paul Adam intitulé : Le triomphe des médiocres (Paris, 1898). « C’est peut-être pour cela, peut-on lire, que le “médiocre” triomphe, barbare suprême, contre la lumière de l’Idée et que le triomphe du “médiocre” est partout ». Ibidem.

79 Paul Bourget, Sociologie et litterature, Tome 3, Paris Plon, 1906.

80 « La conception de la Science (de Joseph Grasset) a conduit l’illustre médecin à un traditionalisme qui fut celui de Taine dans Les Origines de la France contemporaine, de Renan dans La Réforme intellectuelle et morale- magnifiques ouvrages où ces deux maîtres ont abordé l’histoire et la politique, non plus avec des hypothèses de type scientifique, mais avec la méthode scientifique, tout simplement ». Voir Paul Bourget, op. cit., p. 15.

81 Ibidem.

82 Ibidem.

83 Ibidem.

84 Ibidem.

85 Bulletin de l’Académie des sciences et lettres de Montpellier, janvier-juin 1918, p. 62 et s.

86 Jean-François Sirinelli, Génération intellectuelle. Khâgneux et normaliens dans l’entre-deux-guerres, Paris, Fayard, 1988.

87 Patrick Hassenteufel, op. cit., p. 41-42.

88 L’Éclair, 3 décembre 1934.

89 La Gazette du Languedoc, n°365, 9 décembre 1934.

90 Ibidem.

91 Ibidem.

92 Ibidem.

93 La Gazette du Languedoc, op. cit.

94 L’Éclair, 2 décembre 1934.

95 L’Éclair, 3 décembre 1934.

96 Ibidem.

97 Ibidem.

98 Le Languedoc Médical, n°7, juillet 1936, p. 326-327.

99 Louis Dulieu, l’historien de la médecine locale le présente ainsi. Il signale néanmoins que cet auteur prolixe « n’a pas effectué de recherches en profondeur ». Défenseur infatigable de l’Université et de la médecine en général, il s’emploie à révéler « le riche passé de l’École de médecine ». Voir Louis Dulieu, La médecine à Montpellier, tome 6 : 1920-1960 (seconde partie), Avignon, Les Presses Universelles, 1997, p. 36.

100 Il obtient en 1907 le Prix Fontaine pour sa thèse et deux ans plus tard le Prix Paul Ricard de l’Académie de médecine.

101 Hommage au Professeur Paul Delmas, Montpellier, Éditions du Languedoc Médical, 1932, p. 67.

102 Une minutieuse analyse de contenu montre le dégoût véhiculé par le corps médical. Il s’insurge, au fil des numéros, contre « la lenteur du Parlement (incapable) de voter des lois protectrices contre l’invasion de la médecine française par les métèques ». Voir Le Languedoc Médical, n° 6, juin 1935.

103 Près d’un tiers des nouveaux docteurs, au milieu des années trente, est d’origine étrangère. Voir Patrick Hassenteufel, op. cit.

104 Pierre Birnbaum, « La France aux Français ». Histoire des haines nationalistes, Paris, Seuil, 1993.

105 Ibidem.

106 Un « rapport sur les dangers de l’exercice de la médecine par les étrangers », approuvé à l’unanimité le 26 juin 1936 par l’assemblée générale des syndicats des médecins de la banlieue ouest et nord de Paris, décrit dans le détail l’état d’esprit de la corporation : « Est-ce faire preuve de xénophobie que de demander de pouvoir “gagner sa pitance” sur un sol qui nous appartient encore (...). Les médecins français ne comprennent pas et ne comprendront jamais pourquoi ils doivent accepter la gêne, voire la ruine, pour recueillir des médecins étrangers chassés de leur pays d’origine pour des raisons politiques, religieuses et de race. Leur valeur scientifique ? Vous la connaissez tous. La plupart ne savent même pas parler le français. Quant à leur valeur morale, reportez-vous aux listes de médecins marrons condamnés par les tribunaux : 95 % sont des étrangers. Pour ma part, j’en connais qui francisent leur nom, les uns en supprimant carrément une consonne par trop étrangère, les autres en supprimant, en ajoutant une lettre à leur nom (...). J’en connais d’autres qui s’installent avant d’avoir le diplôme de docteur en médecine et, lorsqu’un syndicat médical veut les poursuivre devant les tribunaux, l’étranger s’est envolé : il va planter sa tente un peu plus loin. “Si le médecin, écrit M. le député Dommange, ne détient aucune parcelle de puissance publique, il exerce une influence sociale et politique de premier ordre”. (...) Il importe que l’un des cadres les plus importants de la nation soit composé pour la presque unanimité de nationaux ». Voir Le Languedoc Médical, n° 9, septembre 1936, p. 414-415.

107 Elle peut aussi compter sur le soutien du « groupe de défense de la médecine libre » et sur celui des « chirurgiens de France ». Voir Le Languedoc Médical, n° 8, août 1936.

108 Il existe deux syndicats d’arrondissements (Montpellier-Lodève et Béziers-Saint-Pons), rattachés à une fédération départementale, qui regroupe l’essentiel du corps médical.

109 Le Languedoc Médical, n°7, juillet 1936, p. 327-328.

110 Voir Le Languedoc Médical, n° 2, février 1936.

111 Ibidem.

112 Les positions politiques des élites médicales méridionales n’ont jamais été mises en avant. Pourtant à l’échelle locale, si l’histoire sociale des professions juridiques n’existe pas, une foule d’études concernent le champ de la médecine. Certes, la plupart n’abordent que des aspects doctrinaux. Toutefois, les travaux érudits de Louis Dulieu, un historien de la médecine très réputé, se proposent d’appréhender de manière globale cet objet. Les six volumes consacrés entre 1975 et 1997 à La médecine à Montpellier (Avignon, Les Presses universelles) négligent la dimension de l’engagement politique. L’auteur s’en tient à une « histoire académique ». Il contourne les tensions qui traversent ce groupe particulier ainsi que son inscription dans l’espace public.

113 Pour un premier essai de synthèse, voir Julie Fette, « Avocats et médecins xénophobes (1919-1939) », in André Gueslin, Dominique Kalifa, dir., Les exclus en Europe (1830-1939), Paris, Les Éd. de l’Atelier, 1999, p. 345-357. Gérard Noiriel apporte des éléments de réflexion sur ce point dans Les origines républicaines de Vichy, Paris, Hachette, 1999.

114 Parmi les principaux acteurs de l’époque, le professeur de médecine Paul Boulet, devenu maire de Montpellier en 1935 et député l’année suivante fait figure d’exception. Il appartient au frêle esquif de la Jeune République. Voir Philippe Secondy, La droite extrême..., op. cit. p. 360-363.

115 On emploie alors 275 travailleurs pour une superficie de 1 000 hectares contre 316 au début de la décennie. La réduction de 13 % qui en résulte est très supérieure à la moyenne générale. Voir Jean-Paul Scot, Le Front populaire et les élections législatives de 1936 dans l’Hérault, Mémoire pour le DES d’histoire, Faculté des lettres, Montpellier, 1966.

116 Jean-Paul Scot, Le Front populaire et les élections législatives dans l’Hérault, op. cit., p. 13

117 On trouve des informations sur ces ligues dans plusieurs liasses aux ADH : 1 M 1119 ; 111 W 18, 12 W 767. Aux archives nationales, les documents concernant notre département n’émergent guère du dépouillement effectué. Des informations générales sur l’activité de ces mouvements contestataires sont à rechercher dans : F7 13209 : Mouvements fascistes. Classement départemental (premier semestre 1926) ; F7 13238 La Solidarité française (François Coty) : notes sur l’activité (1933-1934) et F7 13239 pour la période : 1934-1935. Sur les autres ligues, voir F7 13240 Le Redressement français : notes sur l’activité 1926 ; F7 13241 : Francistes : notes sur l’activité (1935) et réactionnaires divers (dissidents de l’Action française, légitimistes français...). Enfin, on peut aussi se rapporter aux liasses F7 de 13245 à 13247 : Fascisme : notes de correspondants, rapports des préfets, extraits de presse (1925-1928).

118 Rapport de novembre 1934. ADH 1119.

119 Pierre Milza, Facisme français. Passé et présent, Paris, Flammarion, 1987.

120 Henri Dorgères entre en scène au début des années 30. Quelques temps après, il signe une alliance avec le Front paysan pour accroître son influence. Ce mouvement était une coalition réunissant la plupart des organisations agricoles hostiles à la gauche. Voir Robert O. Paxton, Le temps des chemises vertes. Révoltes paysannes et fascisme rural (1929-1939), Paris, Seuil, 1996, p. 211.

121 Huit mille personnes acclament le « Mussolini Hexagonal » le 30 novembre 1935 dans la capitale régionale. Les « chemises vertes » locales espèrent reformer « l’Union sacrée ». De nombreux papillons rédigés dans la langue de Mistral et apposés sur les murs de la ville encouragent le rétablissement du front de 1907 : « 9 juin 1907 / 9 juin 1935 : Lou 9 de jun es un grand jour.Toutes ensen, lous blancs, lous rouges crident appassionats, ferouges : Viva lou vi pur, lou majou ». Dans la région, c’est le département des Pyrénées-Orientales (avec 51 sections répertoriées en novembre 1935) qui bénéficie de l’implantation la plus solide. Voir Marianne Caron, Le Front populaire dans le Bas-Languedoc et le Roussillon, Thèse de doctorat d’histoire, Université Paul Valéry-Montpellier 111, 1972.

122 Robert O. Paxton, op. cit., p. 263.

123 Marianne Caron, op. cit., p. 467.

124 Odon Abbal, Les monuments aux morts de l’Hérault (1914-1918), Montpellier, Université Paul Valéry-Montpellier III, 1997, p. 13-14.

125 On évalue pour toute la France les veuves de guerre à 700 000 et les orphelins à 760 000. On compte aussi 800 000 vieillards qui vivotent... Voir Jean-Jacques Becker. Serge Berstein, Victoire et frustrations (1914-1929), Paris, Éd. du Seuil, 1990, p. 160.

126 Pascal Doriguzzi, Solidarité et nationalisme dans l’Hérault de 1914 à 1939, Mémoire de DEA d’histoire, Université Paul Valéry-Montpellier III, 1988, p. 54.

127 Antoine Prost, Les anciens combattants et la société française (1914-1939), Paris, Presses de la Fondation nationale des sciences politiques, 1977.

128 D’autres moins bien implantées poursuivent des objectifs analogues : la FNCR et la FOP. Voir supra.

129 Olivier Dedieu, « Anciens combattants et revanche politique : l’Hérault et sa Légion française des combattants », Annales du Midi, tome 116, janvier-mars 2004, p. 39.

130 Jean-Paul Cointet répertorie ainsi l’Hérault en compagnie du Gard, de la Creuse, de la Haute-Vienne, du Var et du Vaucluse. Voir Jean-Paul Cointet, La Légion française des combattants. La tentation du fascisme, Paris, Albin Michel, 1995, p. 77.

131 Or, ainsi que le souligne René Rémond, une greffe sur les institutions politiques des usages et du rythme de la société militaire, postulant l’apolitisme, incline l’« esprit ancien combattant » vers la droite. Voir René Rémond, « Les anciens combattants et la politique », Revue française de science politique, n° 2, avril-juin 1955, p. 267-290.

132 Nous reviendrons plus loin sur la trajectoire de celui qui occupera la direction régionale de la Légion française des combattants sous le régime de Vichy.

133 Antoine Prost, op. cit.

134 Olivier Dedieu, op. cit.

135 Philippe Machefer, « Les Coix-de-Feu (1927-1936) », L’Information historique, n° 1, 1972, p. 28-33.

136 Hormis la récente biographie de Jacques Nobécourt, (Le colonel de La Rocque (1885-1946) ou les pièges du nationalisme chrétien, Paris, Seuil, 1996) qui revient sur le rôle de François de La Rocque dans l’histoire des Coix-de-Feu et du PSF, on ne recense aucune synthèse sur ces deux formations. Le « travail militant » de Philippe Rudaux nous apporte des informations générales à manier avec prudence. 11 existe quelques articles de Philippe Machefer sur l’évolution des deux mouvements et de Jean-Paul Thomas sur l’ancrage du PSF. Voir à ce propos, Jean-Paul Thomas, « Les effectifs du Parti social français », Vingtième siècle. Revue d’histoire, n°62, avril-juin 1999, p. 61-83. Enfin quelques informations peuvent être trouvées aux archives nationales : F7 13241 : notes sur l’activité des Coix-de-Feu (1935). L’intérêt pour ce type de mouvements renaît depuis peu avec deux contributions primordiales : Robert Soucy, Fascismes français ? (1933-1939), op. cit., p. 163-292; Didier Leschi, « L’étrange cas La Rocque », in Michel Dobry, dir., Le mythe de l’allergie française au fascisme, op. cit., p. 155-194.

137 Jacques Nobécourt, Le colonel de La Rocque (1885-1946), op. cit., p. 92.

138 Ibidem.

139 Financées par l’homme de presse François Coty qui aspire à prendre le pouvoir, les Coix-de-Feu visent la « masse des combattants » dépitée, après l’échec des États généraux de la France meurtrie, par l’absence de « doctrine d’action » et de leaders capables de leur donner un rôle social de premier plan. Convaincus de l’invasion prochaine des « hordes moscovites », F. Coty et d’Hartois comptent sur la fraternité nouée au front et le courage tenace dont les anciens poilus font preuve depuis pour bâtir une solide organisation « apolitique » apte à éviter les périls prévus. Philippe Rudaux, dans son histoire hagiographique des Coix-de-Feu, insiste avec force sur cet aspect et sur le sentiment de « désagrégation des valeurs spirituelles ». Voir Philippe Rudaux, Les Coix-de-Feu et le Parti social français, Paris, France-Empire, 1967, p. 42-43.

140 Jacques Nobécourt, op. cit., p. 183.

141 Ibidem.

142 Jacques Nobécourt, op. cit., p. 16.

143 Voir pour l’essentiel : ADH 1 M 1118.

144 L’Éclair, 14 mars 1930.

145 Compte-rendu du congrès, voir ADH 1 M 1118.

146 Rapport de police sur la création des Coix-de-Feu, 25 février 1934.

147 Rapport du commissaire spécial de Sète, 3 mars 1934.

148 Rapport du commissaire spécial de Montpellier, mars 1934.

149 Jacques Nobécourt, op. cit., p. 256.

150 Rapport du commissaire de Sète, 25 mars 1934.

151 Les radiations touchent ceux qui malgré les dissensions persistent à vouloir siéger. Rapport du commissaire spécial de Sète, 4 avril 1934.

152 Par exemple à l’automne 1934, au moment des cantonales, un bref communiqué publié dans L’Éclair se contente d’inviter les « patriotes » à voter dans le « sens antimarxiste », mais ne recommande aucun candidat. Rapport du commissaire spécial de Montpellier du 8 novembre 1934.

153 Les estimations soulèvent bien des questions. Les historiens avancent des chiffres différents. Si l’on se base sur les données de Pierre Milza, celui-ci affirme que l’effectif global ne dépasse pas une trentaine de milliers de personnes à la fin de 1932. En juin 1933 on en dénombre plus de 80 000 ; 150 000 à la fin de 1934 et probablement le double un an plus tard. Voir Pierre Milza, Fascisme français. Passé et présent, Paris, Flammarion, 1987, p. 135. Quant à Jacques Nobécourt, il donne le chiffre de 700 000 adhérents à la fin de cette même année et affirme que la barre du million est franchie en 1938. Voir Jacques Nobécourt, op. cit., p. 288.

154 L’Éclair, 27 décembre 1930.

155 Rapport du commissaire spécial de Sète du 17 décembre 1935.

156 ADH 1 M 1118.

157 Madame Gondard, responsable des sections féminines dans le département, perçoit dans le « dévouement » une chance pour le mouvement car, explique-t-elle, « les femmes en pénétrant dans des logis où un Volontaire national ou un Coix-de-Feu ne serait pas admis, (sont) les éclaireurs de nos idées ». Réunion mensuelle de la section de Montpellier (8 novembre 1935).

158 ADH 1 M 1118.

159 « Parmi les sections importantes de mon secteur, écrit le préfet au ministre de l’Intérieur, on trouve Lunel (70 membres), Saint-Georges-d’Orque (20), Castries (25). Le reste des affiliés étant répartis par groupe de 5 à 10 dans les autres communes (Fabrègues, Lavérune, Pignan, Ganges...), pour former un total de 2 000 hommes y compris les 1 200 Montpelliérains qui devraient une partie de leur organisation matérielle aux libéralités de M. Bluche industriel à Ganges ». Rapport du préfet au ministre de l’Intérieur, avril 1936. Ibidem.

160 Dominique Borne, « Les Coix-de-Feu », in Jean-François Sirinelli, dir., Dictionnaire historique de la vie politique française au xxème siècle, Paris, PUF, 1995, p. 247.

161 « Toujours maintenus en situation subalterne, écrit Jacques Nobécourt, devant les Coix-de-Feu proprement dits, les Volontaires nationaux portaient la dynamique d’un projet de société qui repoussait sur les marges la mystique du feu, épuisée par l’âge et les rites ou coutumes de la convivialité ancien combattante. Les Volontaires nationaux n’avaient pas adhéré à une société de pensée, ni à un groupe initiatique. Ils brûlaient d’agir (...) ». Jacques Nobécourt, op. cit., p. 354-355.

162 Voir R. Jean, « Éloge du Professeur Louis Carrère », Bulletin de l’Académie des sciences et lettres de Montpellier, tome 8, 1977 (1978), p. 171-188.

163 « La perte de mon Père, dit-il, a été pour moi une cause de déficit intellectuel et moral ». Cité par R. Jean, op. cit.

164 Ibidem.

165 Ibidem.

166 Ibidem.

167 Ibidem.

168 Ibidem.

169 Rapport du préfet au ministre de l’Intérieur, 10 décembre 1935. Ibidem

170 L’Éclair, 6 juillet 1935.

171 Des départements voisins sont aussi touchés. Le Vaucluse par exemple.

172 Plusieurs expressions relevées par Stéphane Cambacédès dans son dépouillement de L’Éclair illustreront notre propos. Voir Stéphane Cambacédès, op. cit., p. 58-59.

173 L’Éclair, 20 mars 1931.

174 L’Éclair, 10 janvier 1931.

175 L’Éclair du 11 mars, du 19 juin 1931...

176 L’Éclair, 23 juin 1932.

177 L’Éclair, 19 juin 1931.

178 Les Coix-de-Feu parlent de « démonstrations hystériques de 150 000 hommes à Cologne, 100 000 à Brescau défilant devant l’ex-Konprinz et vieux Mackensen, maréchal des armées impériales ». Voir L’Éclair du 19 juin 1931.

179 Jacques Nobécourt, op. cit., p. 356.

180 Jacques Nobécourt, op. cit., p. 388.

181 L’Éclair, 19 juin 1936.

182 « À la destruction politique, il opposera la construction politique. À la division, à la lutte des classes, il opposera le labeur en commun, la collaboration de tous pour l’avènement d’un ordre nouveau !...) ». Voir L’Éclair du 17 juillet 1936.

183 Sur la structuration du PSF, nous puiserons beaucoup dans le mémoire de Stéphane Cambacédès, basé sur un dépouillement de L’Éclair. Voir Stéphane Cambacédès, op. cit., p. 85 et s.

184 Philippe Machefer, « Le Parti social français en 1936-1937 », L’Information historique, n° 2, 1972, p. 74-80.

185 L’Éclair du 9 octobre 1936 évoque le passage du délégué Vigo venu donner les instructions du colonel de La Rocque. Louis Carrère invite les militants « à se conformer aux excellents conseils qu’ils viennent de recevoir ».

186 Par exemple sur Montpellier, il y a deux sections : une regroupe le premier et le troisième canton ; la seconde a en charge le second canton.

187 Celui de Montpellier est confié à Louis Carrère.

188 Ibidem.

189 Rapport des Renseignements généraux (RG), 3028, 9 juin 1944. ADH 111 W 18.

190 Voir supra.

191 Un millier sont recensés dans la seule ville de Béziers. Rapport du commissaire de Béziers du 13 décembre 1936. ADH 12 W 767.

192 Rapport du commissaire spécial de Sète du 4 janvier 1937. ADH 12 W 767. L’absence d’archives du PSF et de témoignages précis nous oblige à faire des hypothèses assez vagues pour expliquer les différences géographiques.

193 Philippe Machefer, « Les syndicats professionnels français (1936-1939) », Le Mouvement social, n°l 19, avril-juin 1982, p. 92.

194 Voir Christian Pastor, op. cit., p. 31-32.

195 François de La Rocque en juin 1937 affirme que sur 2,5 millions d’adhérents du PSF, 72,5% n’avaient jamais appartenu au mouvement Coix-de-Feu. Voir Jacques Nobécourt, op. cit., p. 640.

196 Les rapports montrent qu’il se dépense sans compter. Il est présent dans toutes les réunions.

197 Jusqu’alors les Coix-de-Feu avaient préconisé de voter contre les candidats du « désordre » dans un « sens non-marxiste » sans toutefois soutenir clairement les candidats de la droite.

198 Stéphane Cambacédès, à qui nous empruntons ce pointage, a comptabilisé toutes les réunions signalées par L’Éclair. Voir Stéphane Cambacédès, op. cit., p. 93.

199 L’Éclair, 10 octobre 1937.

200 L’Éclair, 16 septembre 1937.

201 Stéphane Cambacédès, op. cit., p. 175.

202 Rapport du commissaire spécial de Montpellier (septembre 1936). ADH 1 M 1119.

203 Le bureau fédéral est composé de deux secrétaires : Enrico Corsaletti, un voyageur de commerce italien naturalisé français, ancien entrepreneur en maçonnerie et ancien limonadier et de Paul Servel, un marchand forain ancien secrétaire de la section SFIO de Montpellier. La trésorerie a été confiée à André Esprit, un médecin qui n’a jamais milité dans un parti politique. Enfin, on a décidé de créer un poste d’archiviste. Le bénéficiaire de cette responsabilité est un ancien militant des Coix-de-Feu. Il en avait démissionné en déplorant le manque d’action de ce groupement. Il se nomme Roger Amans. Rapport du commissaire spécial de Montpellier de septembre 1936. ADH 1 M 1119.

204 Philippe Secondy, « Regard sur le fascisme dans l’Hérault. La difficile implantation du Parti Populaire Français (1936-1944) », Études héraultaises, n° 30-31-32, 2001, p. 253-265.

205 En 1938 et 1939, neuf sections supplémentaires seront créées : Castries, Vendargues, Pignan, Valfaunès, Saint-Aunès, Saint-Georges-d’Orques, Lavérune, Montferrier et le Mas-de-Londres. ADH 1 M 1119.

Table des illustrations

Titre Liste des bâtonniers à la tête du Conseil de l’Ordre de Montpellier40 (1928-1945)
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Titre Évolution de la population active116
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Titre Un aperçu des « blessures » de la Grande Guerre126
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Titre Évaluation de l’importance des associations d’anciens combattants129
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